Vous êtes sur la page 1sur 1

comportements, dans les discours, dans l'ab-

sence d'agressivité des projets du gouverne-


ment. Et avec le temps, on peut voir des évolu-
LA CHRONIQUE
tions dans les votes du centre. Il peuty avoir des DE JACQUES JULLIARD
abstentions, à la limite des votes pour. Et au

Tout est fax dans le foot


bout d'un an ou dix-huit mois, le climat peut
avoir été modifié.
N. 0. —A terme, un gouvernement socialiste-
centriste vous paraît donc possible ?
M.Faure. — Ce n'est ni certain ni exclu. C'est
le but de la route. C'est comme si vous me
demandiez si l'Europe débouchera sur une ous l'avouerai-je ? A chaque trouverait réunies la plupart des maladies so-
fédération politique. C'est vers cela qu'il faut match de football, c'est le même ciales dont nous souffrons : la violence, la tri-
aller. Mais laissons le temps au temps. En scénario : d'abord la ruée sur le foot che, le fric et l'ennui.
parler imprudemment, c'est risquer de com- comme un drogué sur sa came et le Le général Pinochet est un précurseur mé-
promettre le succès. sentiment humiliant de la dépen- connu. Transformer les stades en camps de
N. 0. — François Mitterrand le souhaite-t-il dance ; ensuite un malaise grandis- concentration, voire d'extermination, était ap-
vraiment ? sant, parce que le foot est devenu ce que le paru d'abord comme une provocation sinistre,
M. Faure. — Il est un peu inconvenant de monde est pour le philosophe, une déception une dérision paradoxale. Erreur : cela n'était
répondre à cette question à sa place. Mais je ne systématique, ou ce que la femme est pour le qu'une anticipation. Pinochet, comme son
suis pas loin de penser que, face aux échéances poète, la promesse quine peut être tenue ; enfin voisin argentin Videla, avait compris la vraie
qui nous attendent, chômage, Sécurité sociale, la honte de me plier de mon plein gré à un rituel nature du football. La tuerie du Heysel n'est pas
marché unique, le président de la République foot-télé-Kronenbourg aussi aliénant pour la un accident isolé, la suite l'a montré. Le football
redoute que les responsabilités ne reposent sur liberté humaine que le fut naguère le célèbre britannique s'efforce, week-end après week-
une seule formation politique. D'autre part, il métro-boulot-dodo • en un mot, au-delà de l'in- end, de rééditer un exploit aussi mémorable. Le
estime sans doute que les démocraties occiden- nocent plaisir du beauf, la participation aux football, c'est la guerre en champ clos. D'énor-
tales obéissent à une logique de majorité de gestes de la servitude volontaire. mes forces de police sont là pour encadrer des
coalition et qu'il n'y a pas de raison pour que la J'avais bien hier une excuse, mais elle a combattants bottés, casqués, vêtus d'unifor-
France y échappe. disparu. C'est que le foot qui fut le plus déli- mes, brandissant des matraques, voire des ex-
N .0. — Est-ce que cette « formation politi- cieux des opiums, le soupir de la créature plosifs. Pour mieux se préparer à l'affronte-
que » que vous évoquez, en clair le PS, ne blessée par la brutalité du monde extérieur, est ment, ils ont absorbé, comme jadis les poilus
constitue pas un des principaux freins à l'ou- devenu, écrasé sous le poids de ses responsabili- montant à l'assaut, d'énormes quantités de
verture? tés et du magot qu'il charrie, le plus insipide des vinasse et de bière qui font régner en perma-
M. Faure. — La vérité est moins abrupte que cérémonials. Sa gratuité était comme celle nence dans les tribunes de tous les stades du
vous ne le supposez. Les socialistes sont parta- d'autres sports : une compensation au mercan-
gés. J'imagine qu'un certain nombre d'entre tilisme croissant de la société. Le sentiment du
eux comprend les impératifs que je viens de réel, cette mince pellicule qui se forme à la
souligner. surface de nos rêves, en était comme transfi- En un seul match,
N. 0. — Pensez-vous un accord possible entre guré. Allez donc aujourd'hui parler de gratuité la plupart des
le gouvernen2enfet les centristes sur la réforme à Gullit ou à Maradona ; allez donc rêver sur
du mode de scrutin ? une réalité transcendante quand ce qu'on vous maladies sociales
M.Faure. — C'est un domaine dans lequel une présente tient de plus en plus du simulacre et dont nous
discussion est opportune et probablement ac- relève chaque fois davantage de cette « ère du souffrons: la
ceptable par les deux parties. faux » dont a parlé Umberto Eco.
N. 0.— Quelsy,stèmeauraitvotre préférence ? Tout est faux désormais dans le foot, dans la violence, la triche,
M. Faure. — Les Français ont été choqués de joie qui se veut délirante du marqueur après le le fric et l'ennui
l'absence de représentation du Front national, but, dans ces obscènes empilements de joueurs
indépendamment de leur opinion sur le Front. qui se forment alors, dans ces convulsions de
Deux millions et demi de voix, un député : cela l'avant-centre prétendument fauché dans la
leur a fait toucher du doigt les succès du scrutin surface de réparation ; dans ce ciel salué à
majoritaire. L'opinion serait ouverte à l'idée genoux, ou cette terre que le dirigeant vain- monde cette inimitable odeur de vomissure et
d'un scrutin mixte, dans lequel il y aurait des queur embrasse mystiquement. De sorte que ce de déjections. J'ai à peine besoin d'ajouter que
députés territoriaux et des députés élus à la que l'on attend désormais d'un arbitre n'est la plupart des footballeurs professionnels sont
proportionnelle. A condition que ce soit un plus de sanctionner des fautes mais de faire la devenus des mercenaires sans âme et sans
système simple et en particulier qu'il s'inscrive part entre ce qui est sincère et ce qui est simulé. honneur, qui le soir du Heysel ne craignirent
dans le cadre régional, afin de conserver le lien Il n'est plus le juge d'application de la règle, pas de slalomer entre les cadavres et les blessés
entre le député et les électeurs. c'est un psychologue de plein air, ou encore un pour remplir leur contrat, tandis que les télé-
Le problème est de savoir si, face à l'élection habile diplomate qui négocie avec la foule visions, qui avaient payé pour cela, s'empressè-
du président de la République au scrutin hurlante l'équilibre politique des penalties. rent de retransmettre ces macabres ébats. Au
majoritaire, il ne faut pas contrebalancer par Voilà pourquoi nous ne nous amusons plus moment où j'écris ces lignes, le championnat
une assemblée élue à la proportionnelle, pour au football, dépassé par ses enjeux, paralysé par d'Europe en est à environ 800 personnes inter-
obliger l'exécutif à débattre avec le parlement la peur. Marquer des buts n'est même plus pellées. C'est ce queJacques Georges, président
afin que celui-ci redevienne un véritable l'objectif essentiel ; dans la plupart des matchs, de l'UEFA, appelle une « Europe propre ».
contre-pouvoir. Il faut redonner un rôle et un c'est un accident exceptionnel, qui vient trou- Alors vivre sans football ? L'idée d'une an-
souffle aux assemblées à tous les niveaux, bler l'ordonnancement et la finalité même de la née sans football, comme celle d'une journée
municipal, départemental, régional et natio- partie : la nullité ! Mais il y a plus grave ; il y a la hebdomadaire sans télévision, devrait être
nal. Le président de la République lui-même a . place croissante prise par le foot dans notre examinée. A moins qu'a l'instar des Mayas du
reconnu que nous vivions une époque d'effa- univers politique : naguère langage universel, Mexique précolombien nous décidions de sa-
cement excessif du parlement et qu'il fallait aujourd'hui espéranto de notre déchéance ! A ' crifier aux dieux, dans les jeux sacrés de la balle,
corriger cela. Propos recueillis par qui, débarqué d'une autre planète, voudrait les membres de l'équipe victorieuse. Cela au-
CLAUDE WEILL • goûter en une seule soirée à toutes nos névroses rait au moins pour avantage de nous délivrer de
(*) Ministre d'Etat ministre de l'Equipement et du d'aujourd'hui, on ne saurait conseiller plus la race obsédante des vainqueurs.
Logement. rapide initiation qu'un match de football. Il y I
24-30 JUIN 19 /35

Vous aimerez peut-être aussi