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LA ROUE À LIVRES

Collection dirigée
par
Michel Casevitz

Professeur émérite de grec


à l’université de Paris X
 
François Hartog
 
Directeur d’études à l’École
des Hautes Études en Sciences sociales
 
John Scheid
 
Professeur
au Collège de France
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation
réservés pour tous les pays.

© 2014, Société d’édition Les Belles Lettres,


95, bd Raspail, 75006 Paris.
www.lesbelleslettres.com

Première édition 2000

ISBN : 978-2-251-91159-5
ISSN : 1150-4129

avec le soutien du
Introduction*

Libanios fut célèbre en son siècle, le quatrième de notre ère, comme à


travers tout le Moyen Âge byzantin. Cette célébrité est bien retombée
depuis et, si l’on peut encore associer son nom à celui de l’empereur Julien
l’Apostat, on reste aujourd’hui bien en peine de mesurer l’ampleur et la
portée de son œuvre. Libanios n’est ni un historien ni un auteur
«  littéraire  », c’est un rhéteur ou, comme l’on disait en son temps, un
sophiste. Il fit toute sa vie profession de rhétorique : il y forma ses élèves,
il en défendit les valeurs, celles de l’héritage hellénique et païen, il en
exploita toutes les formes et les moyens d’action dans une œuvre
pléthorique Son attachement à la culture et à la langue grecques
s’affirmait d’autant plus qu’il vivait dans un monde romanisé. Certes,
originaire d’Antioche, en Syrie, il appartenait à l’empire romain oriental,
dont les élites et l’administration étaient hellénophones ; mais ce monde
avait été structuré et ordonné par Rome et il obéissait à ses lois. Cette
double appartenance, politique et culturelle, explique, chez Libanios, à la
fois le refus de la latinité et la revendication quasi obsessionnelle de
l’identité grecque. Dans ce siècle riche en mutations, dont la plus
importante fut la christianisation de l’Empire, le sophiste se dévoua
passionnément aux autres, cherchant à aider les hommes – et d’abord ses
élèves – à combattre l’injustice, à défendre les acquis de la civilisation et
de la cité. Pour cela, il écrivit des milliers de lettres et tissa ainsi, à travers
tout l’Orient, un réseau exceptionnel de correspondances, d’amitiés et de
services.

L’homme et son destin


La vie de Libanios est bien connue, autant grâce à son Autobiographie
qu’à ses discours et ses lettres. Il est né en 314 et meurt
vraisemblablement dans l’année 393 (d’après les dernières lettres
conservées, qui sont sans doute les dernières écrites). Toute sa vie et sa
carrière se déroulent entre Antioche, sa patrie, où il a vécu les trois1
quarts de son existence, Athènes, séjour de ses études, et enfin Nicée,
Nicomédie, puis Constantinople où il enseigne, successivement, quelque
temps. Il appartient à une famille de notables antiochéens honorablement
connus et estimés, mais pauvres : son grand-père et son grand-oncle ont
été exécutés sous Dioclétien et leurs biens confisqués2, sa famille se
trouvant dès lors privée des moyens d’assumer brillamment un destin de
curiale *.
Sa vie se confond avec les étapes de sa longue formation, puis de sa
carrière de professeur. Élevé par ses parents, puis ses oncles maternels
devenus ses tuteurs3, il révèle assez tôt et soudainement une vocation
pour la rhétorique. Dès cette «  conversion4  », son destin semble tracé.
Après des études menées à Antioche même, et une initiation approfondie
aux auteurs anciens, il parfait à Athènes sa culture rhétorique, et vit peut-
être quelque temps comme sophiste itinérant. Ces années de formation à
Antioche sont aussi marquées par un accident auquel il attribue l’origine
de tous ses maux physiques : frappé par la foudre en 344, il voit dans cette
commotion la cause des violents maux de tête qui l’accablent, par
intermittence, sa vie durant et lui interdisent parfois même de travailler
et d’enseigner. Libanios débute sa carrière à Constantinople, comme
professeur libre, puis il se réfugie à Nicée (après avoir échappé dans la
capitale à une accusation de magie astrologique), et vit ensuite cinq
années de bonheur à Nicomédie (344-349) où il connaît succès et amitiés.
Il y fréquente Basile de Césarée (le futur saint Basile) qui enseigna sans
doute dans cette cité. Mais victime de son prestige naissant, Libanios se
voit rappelé à Constantinople par une nomination officielle. Commence
alors pour lui un séjour (349-353) dont l’apparent honneur ne compense
pas les contraintes et les embûches  : rigueurs du climat, corruption des
milieux proches du pouvoir, assujettissement obligé aux puissants,
rivalités acharnées entre les sophistes, déception face à la qualité de
l’auditoire, tout incite Libanios à tenter d’échapper à cette ville détestée.
Après des démarches assez laborieuses, il obtient son exeat de l’empereur
(354), mais son retour à Antioche est tristement marqué par la mort de sa
cousine, fille de Phasganios, qu’il devait épouser et par une lutte féroce
contre le sophiste en vogue, Acakios, dont il triomphe cependant
rapidement. Libanios vécut le reste de son âge dans sa patrie. Il en avait
été absent dix-sept ans, il ne devait plus quitter la ville, même pour des
séjours à la campagne comme les affectionnaient les riches propriétaires,
car il est au plus haut point un citadin. Il se consacre désormais à sa cité,
comme « sophiste » officiel : cela lui vaut l’exemption des responsabilités
curiales. La rédaction et la récitation de l’Éloge d’Antioche pour les Olympia *
de 356 consacrent symboliquement son retour. Son prestige ne fait que
s’accroître au cours des années et il est désormais l’illustration de sa cité,
ce que mesurent bien les puissants et hauts fonctionnaires de l’Orient,
avides d’entrer en relation avec lui et de recevoir la sanction de son
estime par les éloges que sa langue immortalise. Il se dévoue au service de
ses élèves qu’il forme avec conscience, soutient dans leur carrière et
félicite de leurs succès. Sa situation personnelle n’en est pas moins parfois
difficile, car il s’attire des jalousies et des rancœurs  ; il est aussi menacé
pour ses positions religieuses, voire dangereusement inquiété sous
prétexte de magie. Les deuils ponctuent enfin son existence  : peu après
son retour à Antioche, il a la douleur de perdre son meilleur ami
Aristainétos et d’autres compagnons de Nicomédie dans le séisme qui
mine la ville le 24 août 358 ; en 359, son oncle Phasganios meurt et sa mère
ne lui survit guère. Mais le coup le plus douloureux est, à la fin de sa vie,
de perdre, après sa compagne, le fils qu’il en a eu, Kimon, et dans lequel il
a mis tous ses espoirs, espoirs d’abord déçus, puis définitivement brisés.
Les quatre règnes (pour ne pas tenir compte des quelques mois de
celui de Jovien) qu’il connaît sont pour lui une succession contrastée
d’espoirs et d’inquiétudes  ; après avoir souffert de la fin du règne de
Constance II et des menaces qui s’alourdissaient sur les païens, il voit
arriver au pouvoir son héros, l’empereur Julien, et peut croire au
renouveau de tout un idéal perdu  : culture grecque et culte des dieux,
hellénisme et civisme revalorisés. L’amitié entre les deux hommes est
traversée de quelques froids, mais le séjour de Julien à Antioche marque
l’apogée de leur affection et de leur complicité, bientôt suivi, après la mort
de l’empereur en juin 363, d’une période de détresse et de nostalgie. Les
règnes de Valentinien et de Valens sont pour Libanios une sorte de
traversée du désert, du moins officielle, et la perte de sa correspondance,
pour ces années-là, est bien le signe qu’il tient à la conserver secrète (le
seul discours de cette période, en 374, est l’Autobiographie, et encore
n’était-il pas destiné à être publié). Le sophiste doit se défendre
d’accusations de magie (de 371 à 377), ce qui est particulièrement grave en
un temps où ce « crime » est de lèse-majesté. Certes, Libanios est toujours
en poste à Antioche et instruit ses élèves, mais son rayonnement et son
influence sont alors réduits. Le règne de Théodose, qui correspond
pourtant à la fin officielle du paganisme (391-392), marque pour le
sophiste un retour de faveur et de prestige, sanctionné par l’octroi (en
383) du titre de questeur5. Ainsi sont reconnus son rôle politique6 et
l’efficacité de ses démarches d’intercession  : cette période est la plus
féconde d’interventions rhétoriques dans le domaine civique. Il reste que
ses derniers combats (il devient alors le porte-parole des opprimés, des
malheureux, des bafoués) sont parfois sanctionnés d’échecs  ; faut-il les
imputer aux maux de plus en plus douloureux qui aigrissent le sophiste et
nuisent à son sens – pourtant aigu – des relations sociales ? Ou bien aux
temps devenus difficiles pour ces défenseurs d’idéaux périmés et d’une
culture que des formations plus pragmatiques ou techniques rejettent
dans le panthéon des gloires inutiles ? Ou encore à la perte irrémédiable
du pouvoir, des cités dont les membres éminents ou influents ne peuvent
plus espérer contrebalancer le poids de la bureaucratie impériale  ? Tout
cela se conjugue sans doute. Pourtant sa faveur reste grande et ses
dernières lettres attestent, par exemple, l’estime que le préfet Rufin,
chrétien fanatique et haut fonctionnaire imbu de son pouvoir, lui
témoigne, faveur à laquelle Libanios répond par une flagornerie qui fait
peine. Qu’importe si l’homme est brisé par les douleurs physiques, et
surtout morales : il n’est plus temps pour lui de prendre la mesure d’une
évolution où l’emprise de l’État est désormais prégnante. Ce monde-là
n’est plus le sien. Libanios meurt sans doute en 393, ayant toute sa vie
dédié son talent et le pouvoir de ses mots à l’hellénisme, exprimé pour lui
par une langue, une culture, une religion et un mode de vie éminemment
civilisé, celui de la cité.

L’héritier d’une tradition culturelle et le modèle du genre épistolaire


La fidélité dont Libanios fait preuve vis-à-vis de la tradition hellénique
se manifeste dans tous les domaines7. Du point de vue littéraire, il est
représentatif de la tendance des écoles d’éloquence de son temps et
revendique le style le plus classique : l’atticisme8, au point qu’il est resté
pour les érudits byzantins le modèle même de ce style. Sa correspondance
en est le meilleur exemple. Elle nous est parvenue sous la forme de deux
ensembles regroupant 1544 lettres : les lettres écrites de 355 à 365, puis de
388 à 393. La date de 355 se justifie par le retour définitif à Antioche qui
inaugure d’abondants échanges avec les amis et connaissances désormais
éloignés. Mais entre les deux séries, l’énorme lacune (dix-huit ans)
s’explique moins par les hasards de la transmission des manuscrits que
par la démarche délibérée de leur auteur : dans le climat de suspicion du
règne de Valens, le sophiste païen préférait dissimuler ses missives et ne
pas en laisser de copies. Car chacun des six livres9 qui composent le
recueil des lettres reproduit, probablement, les cahiers sur lesquels
Libanios faisait enregistrer, avant expédition, les copies de ses missives.
L’ordre chronologique en a été complètement bousculé et il faut un
patient travail de remise en ordre pour retrouver la succession des
lettres10. Encore certaines ne sont-elles pas datées avec certitude, et
quelques-unes impossibles à situer chronologiquement. Mais le refus de
l’explicite comme de la précision sur les faits, les dates ou les hommes est,
chez Libanios, moins un réflexe de prudence qu’un choix de style et même
de pensée  : la lettre n’a pour destinataires que ceux qui peuvent la
comprendre, et aussi l’apprécier.
Les lettres de Libanios étaient donc destinées à être rendues
publiques, c’est-à-dire lues et commentées, dans le cercle d’amis et de
pairs auquel elles s’adressaient (ce qui était d’ailleurs vrai pour toute
composition « littéraire » dans l’Antiquité, réservée à un public éclairé qui
en jugeait les qualités oratoires). Particulièrement travaillées, ces épîtres
ont été considérées et admirées par les clercs et lettrés byzantins comme
des modèles de l’art épistolaire. On sait que les Anciens appréciaient
beaucoup le genre lui-même de la lettre, mais la plupart des exemples
grecs en sont perdus11 Des règles en avaient été fixées et des traités
théoriques codifiaient l’art de la correspondance. Ainsi Démétrios, dans
son traité Sur Le Style, définit d’abord la lettre comme le «  miroir de
l’âme  »  ; les exigences élémentaires en sont la concision, la clarté,
l’harmonie entre le sujet et le style et enfin la grâce (charis) : la lettre doit
être à mi-chemin entre la simplicité et la grâce. Libanios applique ce
modèle mais le dépasse, voire le pervertit, car ses lettres sont rarement de
simples témoignages d’amitié, ou le reflet de ses états d’âme (l’Antiquité
ignore les complaisances du moi) ; d’autre part, la simplicité n’est qu’une
affectation d’écrivain  : Libanios est un styliste et chaque tournure est
ciselée, chaque lettre est émaillée de citations ou de souvenirs littéraires
qui sont autant d’appels à la connivence du public qui reçoit la lettre et lui
donne écho. Toute lettre est enfin le produit d’une construction soignée :
elle s’ouvre le plus souvent sur des compliments, des protestations
d’amitié, et des flatteries, tout ce qui peut s’apparenter à une captatio
beneuolentiae. Puis vient l’objet de la demande proprement dite, en général
une aide à apporter à un protégé ; enfin la chute est habilement amenée et
clôt la lettre sur un trait saillant. On devine que l’écriture – et la lecture –
de la correspondance sont un plaisir aussi raffiné que l’art de la
conversation entre gens cultivés. Elle est bien une conversation en différé.

Le rôle de la lettre
Adresser une lettre à quelqu’un n’allait pas de soi dans l’Antiquité. Il
n’existe pas de service organisé pour en assurer la transmission, mis à
part le cursus publicus * pour les dépêches officielles. Il incombe donc à
l’expéditeur d’assurer l’acheminement et il risque bien souvent de ne
jamais voir arriver sa missive à bon port. Il a recours à un porteur qui est
le plus souvent un ami ou une connaissance en déplacement et qui se
charge des lettres à remettre à tel ou tel habitant des cités qu’il traverse.
Lui-même y gagne d’obliger un ami et de recevoir le gîte et le couvert de
la part du correspondant  : les étapes de son voyage peuvent ainsi être
assurées. Le porteur engage, dès lors, une conversation avec le
destinataire et se fait le relais de son auteur  ; la présence du porteur
compense l’absence de l’épistolier et permet de donner de vive voix les
nouvelles, ce qui est à la fois plus sûr et plus vivant que de les transmettre
par écrit. Mais si le porteur fournit lui-même l’information, quel est le rôle
de la lettre  ? La lettre a d’abord pour fonction d’accompagner et de
commenter les nouvelles, c’est-à-dire de préparer le lecteur à les recevoir,
de l’aider à les interpréter, de le disposer à les accepter : elle est comme
une mise en condition de la réception du message et les retombées de
celui-ci dépendent de la vertu persuasive de la lettre. Elle est ensuite le
«  véhicule de l’amitié  »  : en prenant la peine d’écrire à un destinataire,
promu ainsi interlocuteur privilégié, l’épistolier – surtout aussi
prestigieux que Libanios – lui offre un témoignage d’affection et d’estime.
Les mots et les tournures choisis sont le reflet de cette connivence acquise
ou créée, et chaque lettre est unique, car chaque destinataire, chaque
occasion est unique. La correspondance, don d’amitié, témoignage de
cette grâce que l’on accorde à l’autre, est un moyen de communier par
l’écriture avec des proches géographiquement éloignés : et dans le différé
s’approfondit une relation où chaque mot écrit scelle une amitié.
La lettre est enfin pour le sophiste un moyen de propagande. Libanios
connaît la destination de ses lettres et en ménage soigneusement les
effets. Elles sont le véhicule privilégié des idées, des valeurs, des croyances
qu’il défend et leur envoi aux amis lettrés, mais surtout aux puissants et
aux personnages influents de l’Empire, en permet la diffusion et le
retentissement. Ainsi la correspondance est le miroir et l’expression
même de cette culture sans laquelle, selon Libanios, il n’est pas de survie
de l’Empire. Celle-ci dépend de la prospérité des cités, creusets et
conservatoires de la paideia*. Le caractère culturel, et donc historique, des
lettres explique pour partie leur difficulté  : ces envois ne nous sont pas
destinés. Car cette rhétorique classicisante est un véritable code de
langage et de pensée  : elle crée une complicité entre gens nourris de la
même paideia *. Mais le code n’appartient qu’à ceux qui l’ont mis en
vigueur. Au-delà d’eux, la lecture devient du déchiffrement.

Le défenseur de l’idéal rhétorique et civique


La correspondance de Libanios emprunte des formes variées et
changeantes, tour à tour celle des récits12, gazettes, lettres de
recommandation13, épîtres morales, discours en raccourci14, expression
d’états d’âme enfin15, mais la variété de la forme dépend moins des
situations évoquées que des destinataires à la qualité desquels elle répond
justement. Dans le contexte politique et social où les lettres d’un tel
auteur constituent de véritables moyens d’action et de précieux laissez-
passer, il est, la plupart du temps, question de carrières réussies ou
espérées, de place ou d’image dans la société, et du conflit, dont se soucie
particulièrement Libanios, entre l’idéal civique et le service de l’État. Les
rapports qu’entretient le sophiste avec ses correspondants sont
complexes : si les lettres aux proches amis sont empreintes de sincérité, ce
qui n’exclut pas la prudence16, les envois aux puissants mêlent habilement
flatteries et compliments aux faveurs demandées, mais, parfois aussi,
reproches voilés ou aigreur. Ces tons modulés révèlent à la fois la
familiarité que Libanios s’autorise avec de grands personnages et l’impact
des lettres, qui, mises en écho dans leur cercle de lecture, constituent des
sanctions, distribuent des blâmes, ou proposent des lignes de conduite. Il
est frappant de constater le décalage qui existe parfois entre les lettres et
les passages d’un discours portant sur un même personnage : le sophiste
est, en général, beaucoup plus virulent et critique dans la prose
« officielle » qui fait de son auteur, en quelque sorte, le porte-parole d’un
groupe et d’une opinion commune. La lettre, au contraire, crée un lien
direct entre deux hommes et relève d’une chaîne de relations et de
services réciproques exigeant la cordialité, voire l’hypocrisie17. Dans un
monde où compte plus la reconnaissance du mérite que le mérite même,
l’éloquence peut faire et défaire les réputations, assurer jusqu’à
l’immortalité : tels sont presque les derniers mots de Libanios, qui propose
cette grâce au puissant Roufinos (Lettre 97 *). Les lettres de Libanios
touchent ainsi à tous les aspects de la vie publique, et exceptionnellement
privée, de ce monde des cités d’Orient : vie économique et problèmes de
l’approvisionnement18, événements militaires et protection de l’empire,
vie religieuse19 et, en particulier, organisation des concours et spectacles,
moments forts de la vie sociale de la cité20. Mais on aborde surtout la vie
politique qui s’exprime à la fois par la gestion municipale des cités et
l’administration centrale qui contrôle la vie locale. Les rouages de cette
administration se révèlent à travers bien des exemples, bien des tensions
entre les choix possibles de carrières, à travers toutes les tracasseries,
enfin, de la vie judiciaire, si intense dans cette bureaucratie procédurière.
Quant à la vie culturelle et à la vie sociale, elles sont illustrées par les
rapports que Libanios entretient avec les élites culturelles – certaines des
grandes figures du siècle apparaissent dans ses correspondants – et une
riche galerie de portraits (plus de 700 correspondants pour l’ensemble des
lettres) qui permet d’éclairer de façon vivante toutes les nuances sociales
d’un monde multiforme, même si l’on demeure dans la sphère d’un
groupe cultivé, de langue et de mœurs grecques, représentant l’élite
intellectuelle de l’Empire. Mais l’art de la correspondance est déjà un
apanage de l’élite, a fortiori dans l’Antiquité.
Cette œuvre difficile est donc si riche d’enseignements sur la société,
les hommes et les aspirations de cette époque qu’on pardonne au sophiste
de trop souvent s’écouter écrire et de ressasser21 ses références classiques.
En répandant par sa parole et ses écrits sa foi en l’héritage de l’hellénisme
et sa conscience aiguë que seules les communautés urbaines, par leur vie
sociale, culturelle et même politique, peuvent entretenir cet héritage,
Libanios est représentatif à la fois du passé et de l’avenir. Comme l’écrit P.
Petit : « L’idée de la cité, une des plus nobles créations assurément de la
civilisation antique, vit encore, profondément ancrée au cœur des élites
provinciales et cultivées, et a joué un rôle dans la survie de l’Empire
oriental, et dans l’élaboration de la civilisation byzantine22  ». La défense
de l’idée de cité est bien au cœur des préoccupations du rhéteur. Sans
doute est-ce là sa leçon la plus chère, tant il est vrai que ses lettres se
départissent rarement d’un ton didactique, devenu naturel au professeur
qu’il est. On tient trop souvent Libanios pour un conservateur, passéiste et
fermé à toute évolution. Mieux vaut rétablir l’image d’un homme qui s’est
passionnément intéressé à son temps et qui a choisi de dire et de faire
partager cet intérêt par l’éloquence et la culture littéraire, expression
même de la civilisation.

*
**
Je tiens à remercier ici mon ami Didier Pralon, professeur à
l’Université de Provence, pour l’aide précieuse qu’il m’a apportée dans la
traduction de certaines lettres, pour ses conseils toujours éclairés et une
bienveillance qui ne s’est jamais démentie.
*. Les personnages homonymes sont distingués selon la numérotation (chiffres arabes)
présentée dans The Prosopography of the later Roman Empire, by A. H. M. Jones, J. R.
Martindale & J. Morris, T. I : A.C. 260-395, Cambridge, 1971 ; certains des personnages cités
par Libanios n’y figurant pas, ils sont distingués par des chiffres romains correspondant à
la classification établie par R Petit, Les Fonctionnaires dans l’œuvre de Libanios. Analyse
prosopographique, Paris, 1994. Les lettres citées dans les notes avec astérisque renvoient à
la numérotation du présent recueil. Toutes les autres lettres citées en note renvoient à
l’édition de Richard Foerster, cf. Table des concordances.

1. Libanius, Opera, éd. R. Foerster, Leipzig, Bibliotheca Teubneriana, 11 volumes, 1903-1922.

2. Libanios, Discours 2, 11.

3. L’aîné s’appelle Panolbios  ; le cadet, Phasganios, joue un rôle important dans la vie
municipale d’Antioche, par son éloquence et sa diplomatie comme ambassadeur de sa
cité, par son dévouement et son sens des responsabilités comme liturge* (pour les
Olympia de 336). Cet oncle fut pour Libanios un modèle et un guide, en l’absence d’un père
disparu alors que Libanios n’avait que onze ans.

4. Autobiographie, 5 : « J’atteignais mes 15 ans, quand je fus saisi d’un amour violent pour les
études de rhétorique. »

5. Et non de préfet du prétoire honoraire comme le croient la plupart des commentateurs ;
le titre de questeur est déjà considérable (Libanios, Disc. 2, éd. et trad. par J. Martin, C.U.E,
p. 249).

6. Discours 2, 65  : «  Je considère essentiellement que les affaires de l’univers sont les
miennes, pour le meilleur et pour le pire. »

7. Voir B. Schouler, La Tradition hellénique chez Libanios, 2 vol., Lille – Paris, 1984. Ces
références constantes à l’hellénisme expliquent le jugement hâtif et méprisant de E.
Gibbon, Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain, chap. 24, « Le sophiste Libanius »,
trad. M. Guizot, réimpr., Paris, 1983, p.  670-671  : «  Les volumineux écrits de Libanios
subsistent encore : la plupart offrent les vaines compositions d’un orateur qui cultivait la
science des mots, ou les productions d’un penseur solitaire qui, au lieu d’étudier ses
contemporains, avait les yeux toujours fixés sur la guerre de Troie ou la république
d’Athènes. »

8. L’atticisme est le choix littéraire des auteurs de la seconde sophistique, qui démarre au
Ier siècle av. J.-C. et qui consiste à utiliser la langue attique telle qu’on la pratiquait aux
Ve et IVe s. av. J.-C. et à rejeter la langue courante comme véhicule de la littérature. Ce
purisme stylistique est le symptôme d’un souci plus large de préserver et de faire
renaître toute la littérature et la civilisation classiques, d’où le nom de «  seconde
sophistique  », dont l’un des représentants est Aelius Aristide (117  ? -185) que Libanios
prend pour modèle et référence.

9. Livre I (Lettres 19 à 96) de l’été 358 à l’hiver 359-60 ; Livre II (Lettres 97 à 202 de l’hiver 359-
60 au printemps 360) ; Livre III (Lettres 203 à 310 du printemps 360 au printemps 361)  ;
Livre IV (Lettres 311 à 389 de l’été 357 à l’hiver 358-59)  ; Livre V (Lettres 390 à 493 du
printemps 355 au printemps 356)  ; Livre VI (Lettres 494 à 607 du printemps 356 à l’été
357) ; il faut y ajouter un important complément rassemblant trois appendices : I (Lettres
615 à 839 de 361 à 363) ; II (Lettres 840 à 1112 de 388 à 393) ; enfin des additamenta (Lettres
1113 à 1544 de 363 à 365).

10. O. Seeck, Die Briefe des Libanius zeitlich geordnet, Leipzig, 1906 (réimpr. Hildesheim, 1966) ;
P. Petit, Les Fonctionnaires dans l’œuvre de Libanius, Analyse prosopographique, Annales
Littéraires de Besançon, 541, Paris, 1994.

11. R. Hercher, Epistolographi Graeci, 1873.

12. Par exemple, celui de l’ambassade en Perse de Spectatos, Lettre 17*, ou le récit, mené sur
un ton vif et dramatique, du viol de la femme d’Eustathios, Lettre 43*.

13. Entre de nombreux exemples, l’éloge de Théodoros, littéraire et juriste, dans une lettre
au préfet Anatolios, Lettre 19*.

14. Défense d’un poète auprès de la curie de la cité d’Ancyre, Lettre 78*  ; ou défense de
l’immunité accordée aux sophistes, Lettre 84*.

15. Lettres écrites après la mort de Julien : Lettres 66*, 68*, 71*, 72*.

16. Lettre 45* à Fortounatianos qui évoque le climat de peur du règne de Constance II.

17. Par exemple, au sujet d’Optatos 1, sénateur influent de Constantinople, l’opposition est


frappante entre le Discours 42, particulièrement violent et accusateur et les lettres qui
obéissent aux circonstances, exigeant de le ménager (Lettre 86*). Ou encore Proclos 6, fils
de Tatianos 5, que Libanios charge dans ses discours, mais flatte dans ses lettres (Lettre
79*). À l’inverse, certaines lettres portant sur le préfet Stratégios dénoncent ses défauts :
brutalité, vénalité, vanité (Lettres 506 F, 515 F), alors que l’Autobiographie souligne le rôle
important que le sophiste aurait joué auprès du préfet.

18. Lettre 59* à Roufinos 11 pour lui conseiller de laisser libre le marché d’Antioche.

19. Par exemple, Lettre 49* sur la restauration du culte d’Artémis à Tarse ; Lettres 51* pour
l’application juste de la restitution des biens des sanctuaires, sous Julien. Lettre 54* pour
défendre un chrétien injustement traité.

20. Lettre 39* à Andronicos 3 pour obtenir des chasseurs qui combattront dans les
uenationes*.

21. E. Gibbon (Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain, trad. M. Guizot, réimpr.,
Paris, 1983, p. 671) a complètement méconnu l’apport capital des lettres ; il se contente
d’en signaler en passant le « travail » et de citer, en notes, un jugement particulièrement
dévalorisant  : «  Le docteur Bentley observe, peut-être avec raison, quoique avec
affectation, “qu’en lisant ces lettres inanimées et vides de choses, on s’aperçoit bien que
l’on converse avec un pédant qui rêve le coude appuyé sur son bureau”. »

22. . P. Petit, Libanius et la vie municipale à Antioche, au IVe s. av. J.-C., Paris, 1955, p. 396.
Liste des lettres

Concordance

Lettres du recueil Édition de R. Foerster


* F
1 16 à Thalassios
2 397 à Alkimos
3 423 à Anatolios
4 434 à Thémistios
5 469 à Gorgonios
6 509 à Anatolios
7 534 à Olympios
8 558 à Mousonios
9 563 à Anatolios
10 574 à Anatolios
11 582 à Aristainétos
12 330 à Aristainétos
13 107 à Philagrios
14 362 à Anatolios
15 368 à Thémistios
16 369 à Julien
17 331 à Aristainétos
18 332 à Clématios
19 339 à Anatolios
20 374 à Aristainétos
21 377 à Thalassios
22 21 à Aristainétos
23 281 à Dianios
24 19 à Anatolios
25 35 à Julien
26 388 à Stratégios
27 49 à Modestos
28 85 à Florentios
29 86 à Thémistios
30 80 à Anatolios
31 37 à Modestos
32 112 à Thémistios
33 114 à Datianos
34 150 à Andronicos
35 154 à Modestos
36 163 à Modestos
37 283 à Démétrios
38 196 à Modestos
39 217 à Andronicos
40 252 à Thémistios
41 293 à Modestos
42 632 à Gérontios
43 636 à Anatolios
44 647 à Basileios
45 661 à Fortounatianos
46 664 à Thémistios
47 694 à Maxime d’Éphès
48 701 à Ioulianos
49 710 à Bacchios
50 723 à Kelsos
51 724 à Hésykhios
52 731 à Hyperékhios
53 736 à Kelsos
54 763 à Bélaios
55 797 à Antipater
56 802 à Julien
57 811 à Julien
58 1367 à Modestos
59 1379 à Roufinos
60 1392 à Alexandros
61 1400 à Doulkitios
62 1402 à Aristophanès
63 1424 à Entrékhios
64 1429 à Saloutios
65 1430 à Thémistios
66 1431 à Skylakios
67 1446 à Datianos
68 1220 à Skylakios
69 1180 à Elpidios
70 1186 à Thémistios
71 1187 à Alkimos
72 1224 à Saloutios
73 1189 à Cléarkhos
74 1253 à Priskianos
75 1264 à Aristophanès
76 1467 à Saloutios
77 1508 à Séleucos
78 1517 à la curie d’Ancyre
79 840 à Tatianos
80 846 à Eusébios
81 852 à Proclos
82 871 à Tatianos
83 898 à Élébicos
84 907 à Abourgios
85 914 au Patriarche
86 926 à Eusébios
87 947 à Priscos
88 951 à Thalassios
89 959 à Tatianos
90 972 à Richomérès
91 994 à Kyros
92 1004 à Symmaque
93 1023 à Anatolios
94 1036 à Postumianus
95 1048 à Firminos
96 1063 à Ammien
97 1106 à Rufin
98 1110 à Aristainétos
Lettre 1 (16 F) 352/353

à Thalassios1

Tout ce dont j’avais pris conscience en te fréquentant était déjà beau,


mais ce dont j’entends parler approche de la philosophie  : une parole
libre, un caractère ennemi des méchants, et ami des honnêtes gens, le
courage de faire du bien à ceux-ci et de repousser ceux-là, et surtout, le
plus important, le mépris de l’or que tu as vaincu, alors qu’il exerce le plus
grand pouvoir chez les hommes2. Ayant appris de Gorgonios ceci
seulement : qu’il t’admire, j’en suis venu à l’admirer, car s’il ne t’avait pas
ressemblé, il n’aurait pas été ainsi. Accomplis donc pour nous, grâce à lui,
ce que j’apprends également  : mon retour. Car je désire voir ce que
j’apprends3.
1. Préfet du prétoire* de Gallus à Antioche, de 351 à 354, date de sa mort  ; il épousa la
cousine de Libanios et se trouva à la tête d’une grande famille qui se consacra au service
de l’État : voir P. Petit, VM, p. 405 (arbre généalogique).

2. Libanios use ici de flatterie, car il ne cache pas ailleurs (Let. 12*) ses réticences face à ce
haut fonctionnaire chrétien.

3. Le retour, enfin autorisé, de Libanios à Antioche. Thalassios, intervenant auprès de


Gorgonios 3, praepositus sacri cubiculi* (grand chambellan) de Gallus, peut faciliter ce
retour.
Lettre 2 (397 F) début 355

à Alkimos4

Nous vous avons formé un gouverneur et nous nous enorgueillissons


non de ce qu’un de nos concitoyens gouverne, mais parce qu’il sait ce
qu’est la tâche d’un gouverneur5. Il sait, en effet, que l’homme placé dans
cette position doit sortir de charge non pas plus riche, mais mieux réputé
et doit mener une action qui fasse souhaiter à ceux qu’il gouverne de
conserver son patronage6. Les Égyptiens ont donc souvent formé ce
souhait, et c’est chez vous que cet avantage est passé. Lui qui m’aime
beaucoup m’a demandé qui j’aimais le plus chez vous, pour devenir son
ami. Entendant ce « le plus », je lus porté aussitôt vers toi et je prononçai :
« Alkimos ». Lui me répondit : « Écris donc, et je porterai la lettre. Ne fais
pas plus de plaisir à celui qui la recevra qu’à celui qui la porte.  » Et j’ai
envoyé la lettre en cherchant à mettre en harmonie, par elle, un
éducateur savant, Alkimos, et un gouverneur juste, Apellio7.
4. Ami de Libanios à Nicomédie ; il y enseignait la rhétorique.

5. Il s’agit d’Apellio, originaire d’Antioche et homme de culture, qui fut gouverneur
d’Égypte avant d’être nommé consularis* de Bithynie en mars 355.

6. Libanios emploie ici patronage au sens général de protection exercée par celui qui
commande.

7. Libanios propose la rencontre idéale entre un gouverneur épris de justice et un rhéteur


garant de la culture : toute la lettre tend à justifier cette alliance du savoir et du pouvoir,
meilleur gage à ses yeux du salut des cités et donc de l’Empire.
Lettre 3 (423 F) milieu 355

à Anatolios8

Atteint en mon corps de multiples maux et m’étant débarrassé des uns


non sans peine tout en supportant encore les autres, je n’ai qu’une
consolation, mes espoirs en toi  ; ne crois pas, en effet, que les hommes
chantent autre chose que ta toute proche accession à la position qui te
convient depuis longtemps et qui sauvera la situation. Ce salut, on le
conjecture d’après deux signes : ta valeur et le fait que l’empereur veille
aux moyens propres à sauvegarder les cités. Mais surtout ne te dérobe pas
de nouveau à la charge qui se présente ; l’échappatoire à laquelle tu song
es n’est pas quelque chose de bien beau  ; car même si tu devais être un
fugitif, tu l’as déjà été en fuyant Rome.
8. Anatolios 3  : ce haut fonctionnaire, de formation juridique, mais de goûts littéraires,
venait de refuser, en 355, la préfecture de Rome par crainte des sénateurs romains ; on
parlait désormais de lui pour la préfecture du prétoire* d’Orient.
Lettre 4 (434 F) Hiver 355

à Thémistios9

Je me suis réjoui avec la philosophie et avec l’empereur  : avec lui,


parce qu’il sait honorer le plus beau des dons accordés à l’homme par les
dieux, avec elle, parce que même les hommes de pouvoir l’admirent. Mais
c’est à toi qu’elle et lui pourraient être reconnaissants, car tu es pour
chacun la source de ces avantages. Pour ma part, avant même que tu ne
m’écrives, je savais la nouvelle par les lettres parvenues au très noble
Stratégios10. Il m’a, en effet, remis la lettre que tu lui avais envoyée et
celle qu’à ton sujet l’empereur bon en toutes choses a écrite au sénat.
Informés de sa teneur par sa traduction, nous en étions plus que réjouis.
Mais une rumeur avait précédé ces lettres, et elle ne fut pas sans crédit ;
puis rapidement les lettres sont venues la corroborer. La plus belle chose
que tu aies faite a été de ne pas juger déshonorants les moyens permettant
d’entrer au sénat, mais de repousser comme il fallait les avantages
lucratifs11. C’était à la fois t’honorer toi-même et montrer que tu méritais
d’être honoré par celui-ci12. Quant à ma situation, la voici  : les maux de
mon corps me recommandent de rester, mais sache bien que, même en
parfaite santé, je me serais donné le conseil de rester, car ici, les
troupeaux d’étudiants sont une bonne aubaine, alors qu’enseigner chez
vous, c’est gouverner Skyros13.
9. Cette lettre, portée sans doute par Clématios 2, félicite le philosophe Thémistios pour sa
nomination au sénat de Constantinople, par adlectio* (1er septembre 355). Cette
nomination d’un philosophe grec au sein d’une assemblée conçue sur le modèle romain
est exceptionnelle  : la lettre (en latin) qu’adressa l’empereur au sénat pour justifier ce
choix prouve assez qu’il heurtait les mœurs sénatoriales.
10. Il fut nommé, en 354, préfet du prétoire* d’Orient, poste qu’il occupa à nouveau en 358.
Quoique chrétien, Stratégios semble avoir été l’un des meilleurs amis de Libanios. Il
estimait hautement les maîtres de la paideia* comme le sophiste.

11. À travers la lettre de l’empereur Constance, il apparaît pourtant clairement que la


pension de Thémistios dut augmenter de façon importante (Thémistios, Discours 2, 25 d-
26 a). Il se vit également honoré de privilèges qu’il prétend avoir refusés.

12. L’empereur Constance avait, en effet, proposé au sénat la nomination de Thémistios en


« termes de marché » : « C’est en même temps à vous et à Thémistios que je fais honneur
car Thémistios, prenant sa part d’une dignité romaine que nous lui conférons, apporte en
échange la science hellénique. » (cité par G. Dagron, Thémistios, p. 61).

13. Allusion au retour de Libanios à Antioche. L’image de l’euôria (« la bonne saison », donc
la fertilité) utilisée par Libanios, s’oppose à l’expression «  gouverner Skyros  », qui
s’entend par allusion au sol pierreux et stérile de l’île de Skyros et désigne une charge
particulièrement ingrate.
Lettre 5 (469 F) Hiver 355-56

à Gorgonios14

Voici venue pour toi l’occasion d’être le bienfaiteur de tout


l’hellénisme  ; en effet, la vie d’Himérios15 c’est éduquer, le lieu de son
enseignement c’est Athènes, et ses biens sont en Arménie. L’homme
mérite l’honneur le plus élevé, mais n’en obtient pas le moindre  ; au
contraire, certains Lycurgues16 l’attaquent et pourchassent ce Dionysos, et
ce qu’il avait là-bas est devenu « proie de Mysiens »17. Si, pour sa part, le
dommage n’atteint que ses biens, eux ne s’aperçoivent pas qu’ils sont
impies envers le dieu qui a fait don de l’éloquence. Il te convient donc
d’être l’un de ceux qui empêchent ces actes, non de ceux qui les
accomplissent  : c’est facile pour toi en tant qu’assesseur et associé au
commandement. Montre donc aux ennemis des Muses que les Muses ont
aussi des amis plus puissants que leurs ennemis, et, par une seule action,
fais une grâce aux dieux grecs, fais une grâce à celui qui t’écrit et pour ce
qu’il t’écrit, et enseigne à ton fils Aquila que l’éloquence n’est pas sans
honneur.
14. Père d’Aquila qui fut élève de Libanios et assesseur, en 355-56, du praeses* d’Arménie.

15. Himérios 2 : le fameux sophiste, originaire de Pruse en Bithynie, auteur de discours de


circonstances et d’œuvres scolaires  ; Julien le fit, quelques années plus tard, venir
d’Athènes à Antioche pour enseigner l’éloquence. Libanios ne le mentionne pas,
volontairement, dans son Autobiographie. Mais à l’époque de cette lettre, il n’était pas
directement en concurrence avec lui et pouvait donc lui porter assistance sans réticence.
Toute la lettre développe l’idée que l’éloquence est source d’honneur.

16. Allusion littéraire à Lycurgue, roi des Édoniens, persécuteur de Dionysos  : Homère,


Iliade, 6, 130-138.
Expression proverbiale pour désigner une proie facile, ce que l’on peut piller
17. impunément ; les Mysiens étaient réputés faibles et efféminés et ce topos était passé en
proverbe.
Lettre 6 (509 F) été 356

à Anatolios*

J’étais assis aux côtés de mon oncle et je discutais avec lui quand
quelqu’un survint et lui donna une lettre ; l’objet donné attira mon regard
et ton nom apparut. Je demandai donc ‹au porteur›18  : «  Où est donc la
lettre pour moi ? », pensant que tu ne pourrais pas, écrivant à d’autres, ne
pas t’être souvenu de moi. Mais lui : « Quelle lettre ? Je n’ai rien apporté
pour toi. » J’en étais donc à penser que tout cela était de la fiction et que
ton amour était un mot, non de l’amour. Si tu prétends, en effet, que c’est
moi qui ai mis fin à celui-ci en n’écrivant pas, tu montres par là même que
le dieu19 ne te hante pas beaucoup  ; car s’il était, comme tu le disais
souvent, multiple20 et vigoureux, il n’aurait jamais été chassé sur un ‹si›
pauvre prétexte. Voici donc les fleuves qui remontent leur cours21  : tu
dédaignes, moi j’aime, et le sort s’inversant, tu fuis, je poursuis. Mais ma
consolation est de partager avec de nombreux peuples, de nombreuses
cités et un très grand nombre d’hommes l’outrage que tu leur fais : alors
qu’ils forment le vœu de t’avoir pour guide, toi qui peux gouverner, tu ne
le veux pas. Pourtant, le luxe préféré à la peine et le sommeil à la
bienfaisance, comment se peut-il que tu ne tiennes pas tout cela pour peu
de chose  ? Mais en réalité, je ne crois pas faire bon usage de mon
éloquence si, contrarié par ton dédain, je tiens des propos qui
l’accentueront : dire, par exemple, que tant de gens sont béats devant toi !
Pour éviter donc cela, apprends que tu ne plais pas à tous ; en effet, ceux
pour qui les malheurs des autres sont source de revenus, même s’ils te
coupaient en morceaux et te mangeaient volontiers, il n’y aurait peut-être
là rien d’étonnant. Car les loups haïssent les chiens22.
*. Voir Lettre 3* ; Anatolios 3 est à Milan et le bruit court qu’il refuse cette fois le poste de
préfet du prétoire* d’Orient.

18. Les crochets obliques signalent une addition au texte des manuscrits.

19. Éros, le dieu de l’Amour.

20. Euripide, Hippolyte, 1, applique à Aphrodite l’adjectif pollè (nombreuse, multiple).

21. L’image, proverbiale en grec, illustre un bouleversement des lois naturelles.

22. On apprend là, de façon assez vague, qu’Anatolios a des ennemis et suscite des jalousies.
Lettre 7 (534 F) fin 356

à Olympios23

Dès que j’ai entendu dire que tu avais été enlevé à Rome, je t’en ai jugé
heureux  ; et reconnaissant que ta réputation et ton influence en étaient
améliorées, je t’appelais encore plus heureux. Je crains cependant que
notre patrie ne soit privée de ses biens en ce qu’il soit donné à ses natifs
d’être réputés chez les autres. Moi, je voudrais que tu obtiennes partout
des éloges, sans pour autant léser la patrie qui t’a porté et qui te demande
par mon intermédiaire de venir à elle, parce qu’elle se réjouit de
l’éloquence que tu as acquise et désire profiter de cette éloquence acquise.
Et elle me blâme plus que toi  ; on pense, en effet, que tu suis mes
injonctions et l’on m’accuse de ce que tu n’es pas encore venu, moi qui
t’en aurais dissuadé. Que Rome soit donc la capitale de toutes choses sur
terre, mais qu’elle ne te fasse pas faire ceci : oublier tes amis et ta famille.
Reviens donc, pour autant que nous sommes tes semblables, et prends
soin avec nous des troupeaux24, en trouvant plus agréable de gouverner
ceux-ci avec moi plutôt que gouverner les cités  ; et si l’auditoire est
indigne de ta voix, tu le fortifieras par ta voix. J’ai pris de l’agrément aux
livres que tu m’as envoyés et à ceux que tu as dis collecter. T’arrivera aussi
de notre part, cet été, ce que tu demandes.
23. Olympios 4  : ce médecin originaire d’Antioche et de culture littéraire était parti
rejoindre la Cour de Constance en Italie. Libanios espère le faire revenir à Antioche pour
qu’il ouvre à ses côtés une école d’éloquence. Mais Constance le garda auprès de lui
comme médecin et il demeura à la Cour.

24. Métaphore habituelle chez Libanios pour désigner les étudiants.


Lettre 8 (558 F) février/mars 357

à Mousonios25

Il m’aurait été possible, déjà par le passé, de t’écrire  : ce que l’on


chantait de ta nature m’en persuadait, mais j’étais retenu par la pensée
qu’il était audacieux d’écrire avant toute rencontre. Spectatos m’ayant
écrit qu’il y a une place en toi pour le souvenir de moi et que, si j’écrivais,
ce serait à quelqu’un qui le désirait, j’y obéis rapidement, pensant y
gagner si tu ne blâmais pas ma précipitation, mais ne rien y perdre si tu la
blâmais, car Spectatos serait l’homme à punir. Mais il faut s’attendre au
meilleur  ; car tu es assurément celui qui a sauvé la Grèce26 et qui a
maintenant ouvert le palais à l’éloquence. Je suis moi aussi en quelque
sorte, sinon de ceux qui font de beaux discours, du moins de ceux qui
aiment les beaux discours, aussi est-il vraisemblable que cette lettre et son
porteur27 te trouveront bien disposé. Pourtant il est ridicule d’écrire pour
un autre avant de savoir ce qu’il résultera pour moi d’avoir écrit. Osons
néanmoins et sois tout pour Létoios à cause de mon audace.
25. Mousonios 1, magister officiorum* de Constance  ; la lettre 557 F, écrite à son ami
Mygdonios, montre Libanios peu favorable à l’idée de lui écrire, mais il se décide sur les
conseils de son cousin Spectatos, ami de Mousonios.

26. Il fut proconsul d’Achaïe.

27. Létoios, notable antiochéen, qui part en ambassade à Rome à l’occasion des Vicennalia*
de Constance ; il a remplacé Phasganios, l’oncle de Libanios, curiale* tout désigné par son
âge et son autorité à faire partie de l’ambassade, mais que la maladie retenait. Létoios
était muni de lettres de recommandation auprès de plusieurs hauts fonctionnaires de la
Cour.
Lettre 9 (563 F) mars 357

à Anatolios28

Même si je n’ai pas obtenu quand je le voulais ce que je désirais, ce que


je désirais, du moins, je l’ai obtenu  ; j’aurais dû, normalement, avoir ta
lettre il y a longtemps, je l’ai tardivement. Et tu as fait cesser mon chagrin
alors qu’il dépendait de toi que je ne sois pas du tout chagriné. Tu as
trouvé, en quelque sorte, une consolation à cela aussi  : toi qui n’as pas
donné rapidement, tu as donné à la lenteur la grâce29 de celui qui apporte
‹la lettre›. Car c’était Spectatos, auprès duquel il n’est pour moi rien de
plus grand, sinon toi, et pour toi, peut-être absolument rien. Sache que
c’est moi que tu as nommé gouverneur de Palestine en envoyant
Clématios30 là-bas, et que les honneurs dont a été couvert Aristainétos31,
c’est à nous qu’ils reviennent. Ajoute encore aux honneurs que tu lui fais !
Je crains malgré tout qu’il ne paraisse meilleur pour parler que pour agir.
De la force des lois que tu leur32 as rendue et des craintes par lesquelles tu
les empêches de commettre l’injustice, on pense en général que le fait
d’être trop strict te privera vite de commandement ; mais cela me paraît
surtout rendre ton commandement plus durable, son utilité ne passant
pas inaperçue. Et même s’il en advenait autrement, il ne faut pas que tu
t’écartes du bien : pourvu, en effet, que, pour gouverner plus longtemps
ceux que tu gouvernes, tu ne deviennes pas mauvais ! Mais voici un point
sur lequel tu n’as nul besoin de conseillers : tu connais, je suppose, notre
Pélagios33  ; tu n’ignores pas, en effet, parmi les Syriens ceux qui sont
hommes de bien. Et le sachant homme de bien, tu le verras avec plaisir et
tu accompagneras avec bienveillance un homme qui reçoit les éloges de
ses concitoyens, tous ceux qui sont dans le besoin et ceux qui survivent
grâce à sa probité. Pourtant, en réussissant ainsi mieux que d’autres, il a
échappé aux traits de l’Envie. Il a été autrefois mon condisciple, il est
toujours mon ami : cela, découvre-le tant qu’il est près de toi.
28. Voir Let. 3* et 6*  ; lettre adressée à Sirmium. Anatolios vient enfin de répondre à
Libanios  : dans sa lettre précédente (552 F, de février-mars) Libanios attribuait son
silence à la crainte d’être sollicité.

29. Libanios exploite l’ambivalence de sens de charis, en grec : charme, agrément, mais aussi
faveur.

30. Clématios 2 vient d’être nommé consularis* de Palestine, sur l’intervention d’Anatolios.

31. Aristainétos 1 est le meilleur ami de Libanios depuis son séjour à Nicomédie ; le préfet
Anatolios a proposé à Aristainétos d’être assesseur, mais Libanios l’excuse par avance
d’être peu fait pour l’action.

32. À tous ceux qui sont sous son commandement (préfecture du prétoire* d’Illyricum).

33. Curiale* important de Cyrrhus en Euphratensis, ambassadeur de sa cité à Rome en 357 : il


s’arrêta à Antioche avant de rejoindre l’Italie par voie de terre, en passant par Nicée, puis
Sirmium. Il paraît apprécié de tous et a dû gouverner une province très voisine puisque
Libanios le qualifie de « Syrien ».
Lettre 10 (574 F) 357

à Anatolios34

En larmes, Iamblikhos est parti de chez nous : « Reverrai-je un jour ‹la


cité› orientale35 ? » disait-il ; « assurément, disais-je, chez les Illyriens, tu
verras très bientôt ce qu’il y a de plus beau en Orient » ; et lui, parce qu’il
est vif et qu’il appartient à cette famille qui s’est distinguée par la pensée,
a vu ce que je dis et a fait cesser ses larmes en mettant en balance les cités
de là-bas et le seul homme grâce à qui les cités d’ici sont en honneur36. Tu
l’honoreras donc d’emblée à cause de son père, de son oncle et de son
grand-père37, puis faisant l’expérience de son jugement (en effet, il s’est
consacré à être le meilleur), tu admireras l’homme pour cela  ; si tu lui
demandes de parler de nous, tu le verras, dans son récit, dans les mêmes
dispositions que toi envers moi et, constatant cela, tu le tiendras pour ton
enfant. Tel est, en effet, ton rôle envers celui qui me veut du bien. Quant
au reste, lui te le dira : le nombre des discours et peut-être quelque chose
aussi de leur beauté, le nombre des étudiants et les efforts que je déploie
pour les étudiants, des étudiants qui aiment les efforts, des amis
nombreux et brillants, des ennemis peu nombreux et vils. Mais ce que
celui-ci ne dira pas – il n’est pas beau de le taire – c’est qu’il m’a fait maître
de ses biens avec lui, par égards pour notre parenté  ; et je pense que
j’aurais fait la même chose aussi pour quelqu’un d’autre qui n’aurait pas
été mon parent, mais homme de bien.
34. Voir Let. 9* ; Anatolios a finalement été nommé préfet du prétoire d’Illyricum en hiver
356-57  ; Libanios lui recommande son élève Iamblikhos 2, peut-être le petit-fils du
philosophe néoplatonicien Jamblique, ami de Julien (mais rien n’est moins sûr), et qui est
pressenti pour un poste de fonctionnaire. Il appartient à une grande famille curiale
d’Apamée. Son voyage, accompagné de nombreuses (9) lettres de son maître doit le
mener à Constantinople, par la Cilicie et la Galatie, puis en Grèce  ; il prévoyait enfin
d’aller jusqu’en Italie.

35. C’est-à-dire la cité d’Antioche.

36. Compliment un peu précieux, bien dans le style des flatteries ampoulées réservées à
Anatolios. Ce dernier a été consularis* de Syrie en 349 et uicarius* d’Asie en 352.

37. Himérios 3 meurt en 357 et son fils hérite de ses biens  ; dans la lettre 571 F, Libanios
signale qu’Himérios est le frère de Sopater 2. Il est passé par plusieurs commandements.
Le grand-père est Sopater 1.
Lettre 11 (582 F) 357

à Aristainétos

Il est beau cet attelage : toi et le bon Domitios38 ; et vous êtes sous le
joug commun d’un bon cocher qui vous accorde le même suffrage à tous
deux ; en effet, celui qui t’appelle à partager ses travaux ‹appelle› celui-ci
aux mêmes travaux. Mais toi qui ne te préoccupes pas de t’établir, tu
restes, et lui, le bienheureux, s’en va alléger ‹la tâche› du gouverneur par
lequel il a été appelé et le rendre également heureux par ce qu’il lui
apporte  ; ce qu’il lui apporte, c’est son expérience des lois, l’habileté de
son éloquence, la justice de sa conduite39. Or, réjouis-toi avec l’un40 que
l’autre va recevoir41, avec l’autre auprès duquel va le premier, et fais de
cet homme un ami de sorte qu’il se réjouisse avec toi de ce qu’il a obtenu.
38. Le préfet Anatolios a proposé à Aristainétos 1 (voir Let. 9*) un poste d’assesseur ainsi
qu’à Domitios Modestos 2 ; mais l’ami de Libanios, peu fait pour l’action, a décliné l’offre.
Modestos accepte et, en route, apporte cette lettre à Aristainétos. C’est le point de départ
de la carrière de Modestos, longue et toute dévouée à l’État, et qui fait de lui l’un des
meilleurs représentants de la catégorie des hauts fonctionnaires, de Constance à Valens.

39. Modestos est de formation juridique, mais Libanios loue aussi sa culture littéraire ; les
autres sources sont plus réservées sur cette dernière  : subagreste ingenium, «  une
intelligence un peu rustique », dit de lui Ammien Marcellin, Histoire, 30, 4, 2.

40. Modestos.

41. Anatolios.
Lettre 12 (330 F) 357

à Aristainétos42

Ce Thalassios43 porte le nom de son père, mais son caractère est plus
beau que le sien. Qui est, en effet, aussi honnête  ? Qui est ‹aussi›
obligeant  ? Qui a davantage engagé l’amitié  ? Qui l’a observée une fois
nouée  ? Qui s’est abstenu de railleries  ? Qui a supporté des railleries  ? Il
s’est mêlé d’éloquence, non pas autant qu’il le voulait, à cause de sa
situation d’orphelin, mais, souffrant de cela même, il juge heureux et il
aime ceux dont il sait qu’ils possèdent l’éloquence ; d’autre part, quoiqu’il
vive dans une grande richesse, il est plus tempéré que les pauvres, et il se
sert de ses biens pour protéger les pauvres, louant la richesse pour ce seul
avantage  : qu’elle aide une nature noble à se faire connaître. Et ces
qualités n’ont pas non plus échappé à Stratégios44  : l’admirant, comme
nous, il se languit de son absence et se réjouit de sa présence  ; et
précisément, il demandait souvent  : «  Pourquoi est-il le seul à ne rien
réclamer  ?  » En effet, le jeune homme est prêt à donner, mais lent à
demander. Et si on le voyait quelque part, de tous côtés le louaient les
bénéficiaires de ses bienfaits et ceux qui connaissaient ces bénéficiaires.
Personne n’a blâmé la Fortune de sa bienveillance envers lui tant il s’est
employé à être mesuré dans l’abondance  ; pour ceux qu’il connaissait, il
faisait du bien aux uns, et pas de mal aux autres. Il m’aime plus qu’on
aimerait son père, me vénère plus qu’un étudiant et il me fait maître de
ses biens, comme la loi l’en fait maître. Cela, il n’était pas beau que je le
taise ni que tu ne l’apprennes pas ; j’aurais, en effet, commis une injustice
et vous auriez subi un dommage de ne pas être réunis par moi de la façon
la plus juste alors que vous vous seriez connus l’un l’autre45.
42. L’ami de Nicomédie (voir Let. 9*, 11*).

43. Fils de Thalassios 1 qui fut préfet du prétoire* de Gallus à Antioche, de 351 à 354, date de
sa mort ; Thalassios 2 se rend en Pannonie, à la Cour de Constance ; il y fera un assez long
séjour. Cette lettre l’introduit auprès d’Aristainétos.

44. Stratégios, dit Mousonianos, est préfet du prétoire* d’Orient (voir Let. 26*).

45. Dans cette fin de lettre, fort alambiquée, Libanios oppose une connaissance réciproque,
fruit du hasard, à la réunion organisée par un tiers (synagogè).
Lettre 13 (107 F) fin 357

à Philagrios46

La corne d’Amalthée47 vous est arrivée avec Euthérios48, bon en toutes


choses  ! En effet, ce que tu aurais fait, toi, pour l’Arménie, si tu la
commandais, il faut s’attendre à ce que cela lui arrive aussi par lui, qui
possède culture rhétorique, douceur du caractère, pratique de la justice et
désir de gloire : qualités pour lesquelles, je crois, l’empereur lui-même l’a
mis à la tête des cités, dont la bonne administration est la survie de
l’empire. Comme il me demandait ce qu’il verrait de plus beau dans votre
province, je dis « Philagrios », et je lui racontai ce que je savais de toi ou
plutôt un peu de ce que je savais de toi : le tout eût exigé, en effet, bien du
travail et bien du temps. Toi, pourtant, songe que tu vois de la Grande
cité49 ce qu’il y a de plus beau  ; car si celui-ci, voulant la magnifier, dit
qu’il passe après bien d’autres, n’oublie pas que par la fortune il le cède à
beaucoup, mais que par la beauté de l’âme il peut l’emporter.
46. Philagrios III, arménien, père de deux futurs élèves de Libanios.

47. Amalthée était la chèvre qui nourrit Zeus ; de sa corne s’échappait, dit le mythe, tout ce
que l’on pouvait désirer : c’est l’image de la corne d’abondance.

48. Euthérios 2, originaire de Constantinople, vieil ami de Libanios, païen et de culture


littéraire, était peut-être avocat de profession. Il confia son fils à Libanios. Il fut praeses*
d’Arménie en 357-58.

49. Libanios désigne toujours Constantinople par la périphrase de « la Grande cité » : voir
Let. 33*.
Lettre 14 (362 F) début 358

à Anatolios50

Tu connais sans doute Markellos par son art51 et davantage encore par
son caractère ; car il n’est pas plus bon médecin qu’homme de bien. Toi, tu
as découvert son art sur le corps des autres et tu pourrais ainsi t’instruire
de l’art de tous les médecins, mais moi, je l’ai constaté dans mes propres
maux, d’où il m’a tiré alors que j’étais déjà submergé. Car si celui-ci n’avait
pas assoupi mon mal de tête, je serais mort ou, encore en vie, j’aurais
déploré de ne pas être mort. Et chacun des habitants de notre cité
pourrait aussi se souvenir de Markellos pour de semblables raisons, car il
est allé d’un corps à l’autre en affrontant les assauts des ‹maladies›, si bien
que, lui en bonne santé, les malades aussi espéraient, mais lui affaibli, la
crainte était générale, que l’on fût souffrant ou non. Qui honore celui-ci ne
fait rien d’admirable, car il rend peu pour beaucoup, mais qui ne l’honore
pas frapperait son père à la mâchoire. Il m’est donc de toute nécessité de
rendre ses bienfaits au vieil homme, et je lui rendrais ses bienfaits si
j’avais ton pouvoir ; le mien est, en effet, bien faible. Sois de bonne volonté
et montre-moi comme quelqu’un qui ne paye pas de retour
misérablement. Que demandons-nous donc  ? Markellos est devenu père
sur le tard après avoir vivement souhaité porter ce nom et avoir supplié
dans les sanctuaires, et il a des enfants, dons d’Asclépios. Voilà pourquoi,
fort vieux, il nourrit des fils fort jeunes, mais qu’à peine arrachés au lait
maternel, un ordre de l’empereur a inscrits parmi les fonctionnaires52 que
dirige le noble Mousonios53, leur offrant ainsi une sécurité définitive. Or
voilà que des ordres circulent de se rendre auprès de vous si l’on a cet
état. Pour les enfants de Markellos, il n’y a pas moyen que cela soit très
facile, et pas même de franchir les portes. Or nous craignons justement
que cela ne les prive de leur situation et nous te demandons de les
maintenir, même absents, dans leur situation. On dit qu’un signe de ta tête
a valeur de loi pour Mousonios, et la loi ancienne veut que le préfet soit
celui qui détermine les actes54 des hommes dans la position qu’il occupe
actuellement. Confirme donc, dans ce que nous te mandons, une décision
aussi belle et ne t’étonne pas si ma lettre était associée à celle de
Stratégios55  ; car la rumeur dit que j’ai auprès de toi le plus grand des
pouvoirs.
50. Voir Let. 10*.

51. Le mot technè désigne ici le savoir-faire, l’art par excellence, c’est-à-dire la médecine.
Libanios écrit plusieurs lettres pour alerter hauts fonctionnaires ou puissants sur ce cas ;
l’exemple de Markellos 2, médecin attaché à Antioche, est intéressant pour le
dévouement qu’il a montré au service de ses concitoyens (on retrouve le style des décrets
honorifiques en l’honneur de médecins, connus à l’époque hellénistique et impériale  ;
voir aussi Let. 50*) et pour le prestige que cela lui vaut. Il reste que, pour ses fils,
Markellos n’espère d’autre carrière qu’une carrière au service de l’État.

52. Comme agentes in rebus* ou notarii* ; la grande réorganisation de 357-58, qui toucha tous
les départements des préfectures et du palais, explique ce recrutement massif de
fonctionnaires.

53. Mousonios 1 est magister officiorum*.

54. Les préfets sont donc les plus hauts dignitaires de l’Empire, après l’Empereur.

55. Préfet du prétoire* d’Orient depuis le milieu de 358.


Lettre 15 (368 F) mars 358

à Thémistios

Vois-tu, ce qui était auparavant cousu a cessé de l’être  : nous ayant


dépouillés de la langue d’Harpocration56, tu l’as donnée à ceux qui n’en
ont nul besoin et tu as dénoué un lien plus difficile à dénouer que le
‹nœud› gordien, ou plutôt, tu as tranché à la manière de celui qui est dans
l’impossibilité de dénouer. En effet, si tu l’avais pu par la persuasion, je
dirais que tu l’as dénoué, mais en réalité – car tu as usé de la force – je dis
que tu l’as tranché. Tu souris, dans la haute opinion que tu as de ta grande
influence et, tout ce que tu veux, tu l’attires à toi. Ce Zeus, ton patron, de
qui tu as procédé et vers qui tu t’en retournes, alors qu’il était à sa portée
de hisser à lui terre et mer et, une fois brûlés, de les lâcher comme
météores, en a proféré la menace, mais ne l’a pas réalisée57. Tandis que
toi, sans câble, mais d’un signe de tête, tu as entre tes mains tout ce qui te
paraît bon. Parce que tu aimes ta cité, tu diras que tu ne fais aucun tort,
mais en livrant un corps égyptien aux vents de Thrace58 vois ce que tu vas
faire  ! Après avoir reçu ton discours qui montrait combien par ton
ambassade tu as servi ta cité59, puis avoir appris que tu envoyais chercher
des sophistes, je me suis dit : « Le noble Thémistios cherche des élèves. »
Car qui est encore orateur quand tu façonnes de telles œuvres60  ?
Télémaque ne ressemblait pas tant à son père par la beauté que toi à
Démosthène par l’éloquence, que tu as produite tardivement quoique tu la
possèdes depuis longtemps61. Il faut donc, entre autres raisons, se féliciter
de cette ambassade parce qu’elle a fourni ‹à ton éloquence› l’occasion
d’être offerte au public. Multiplie donc les nobles actions et envoie tes
discours non seulement à ceux qui commandent, mais à ceux qui, s’ils
n’ont pas de commandement, ont peut-être des oreilles.
56. Poète et rhéteur originaire d’Égypte et ancien élève de Libanios, qui vient de céder aux
sollicitations de Thémistios, le philosophe, chargé de recruter des sénateurs pour la
capitale. Cette politique est dénoncée par Libanios, car elle vide les provinces de leur élite
intellectuelle et les cités de leurs curiales*.

57. Allusion à un épisode mythologique (Iliade, 8, v. 18-25) dans lequel Zeus propose aux
dieux l’épreuve de la corde, assurant qu’il saurait hisser à lui, par un câble d’or, terre et
mer ainsi que les autres dieux qui s’y seraient attelés pour lui résister.

58. Allusion au climat de Constantinople, mais aussi citation littéraire, car la Thrace est,
déjà chez Homère, le pays des vents et des tempêtes.

59. Discours que Thémistios, au retour de son ambassade à Rome, en été 357, prononça
devant le sénat pour rendre compte de sa mission  : il avait obtenu de l’empereur le
rétablissement de l’annone* à son taux d’avant 342 (taux diminué par mesure de
rétorsion après une rébellion).

60. Thémistios compose des discours depuis plus de quinze ans, puisqu’il a déjà écrit, en
358, les Discours 24, 32, 27, 33, 30, 1, 20, 2, 3, 4.

61. La manifestation publique et éclatante de son talent fut le panégyrique de Constance


prononcé à Rome à l’occasion des Vicennalia, le 22 mai 357  ; il a également exposé au
public romain quelques-unes de ses œuvres, se faisant auprès de lui l’ambassadeur de la
culture grecque.
Lettre 16 (369 F) début 358

à Julien62

Double est la victoire que tu as remportée  : l’une dans les armes,


l’autre dans l’éloquence et si l’un des trophées t’est dressé sur les
Barbares63, l’autre l’est sur moi, ton ami, mais ce trophée-ci64 est agréable
à celui qui est soumis. Car tous les pères font, entre autres, cette prière
d’être surpassés par leurs fils, et toi qui as reçu de moi les rudiments de
l’art d’écrire, tu as dépassé ton donateur dans le don reçu65. Pour ce qui
est de la longueur de la lettre66, je dois sans doute, moi le rhéteur,
présenter mes excuses au général, ou plutôt à qui n’a pas moins appris à
manier la langue que les armes. Quand l’empereur t’a appelé à partager le
pouvoir, je pensais devoir renoncer à ma liberté de langage et ne plus me
comporter comme auparavant face à un homme élevé à une telle dignité.
Il serait fâcheux, en effet, que nous qui, dans les débats fictifs des
concours de déclamation, saurons comment parler à un Périclès, à un
Cimon et à un Miltiade, devions, placés dans une situation réelle, perdre
de vue la règle. Car tes propres mots sur la correspondance des généraux
que l’action rend brève me persuadaient à mon tour de réduire mes
lettres, sachant bien que l’homme qui ne peut, par manque de loisir, écrire
longuement, serait ennuyé par la longue missive d’un autre. Mais
aujourd’hui donc, puisque tu m’invites à la longueur, j’obéirai. Je me
réjouis d’abord avec toi de ce que tu n’as pas, les armes à la main, relâché
ton intérêt pour l’éloquence : au contraire, tu combats comme si c’était ta
seule activité et tu vis au milieu des livres comme détaché des combats67.
Ensuite, ‹je me réjouis› de ce que tu n’as pas, à celui qui t’a partagé le
pouvoir, fait regretter de l’avoir partagé, mais considérant que le même
homme est pour toi un cousin, un codirigeant, un maître et un
éducateur68, tu as, par tes exploits, servi sa renommée et tu dis aux
ennemis terrassés  : «  Que seriez-vous devenus si l’empereur lui-même
s’était montré  ?  » Je te félicite de cela et aussi de n’avoir pas changé de
disposition d’esprit en changeant de vêtement, de n’avoir pas non plus
chassé, sous l’effet du pouvoir, le souvenir de tes amis. Sois comblé de
nombreuses choses pour m’avoir présenté, moi qui fais l’éloge de ta
nature, comme quelqu’un qui ne ment pas, ou plutôt pour m’avoir
présenté comme un menteur, moi qui n’ai rien dit qui fût à l’aune de ce
que tu as montré. Voici du moins ce qui t’est réellement propre et ne
procède d’aucun modèle  : car les autres contractent, avec le pouvoir
impérial, l’amour des richesses  : les uns, même s’ils n’en avaient pas le
désir auparavant, commencent à les aimer, les autres exacerbent cette
passion qui les habitait déjà ; mais toi seul, élevé au pouvoir suprême, tu
as abandonné ton patrimoine à tes familiers, donnant à l’un une maison, à
l’autre des esclaves, à celui-ci une terre, à celui-là de l’or, et tu t’es montré
généreux comme particulier plutôt que comme empereur69. Et ne crois
pas que je m’exclus du nombre de tes amis parce que je ne suis pas, moi
aussi, l’un des bénéficiaires ; je puis dire, en effet, pourquoi je suis seul à
ne rien avoir : tu souhaitais pour les cités, entre autres moyens de rendre
les cités heureuses, la force de l’éloquence, sachant que si l’on éteignait
celle-ci, nous serions ravalés au rang des Barbares. Tu as donc craint que,
devenu riche, je ne me détourne de mon art et tu as pensé qu’il fallait me
garder dans la pauvreté pour que moi aussi je garde ce rôle. C’est la
meilleure interprétation que je trouve. Car tu ne saurais dire : « Canapeus
et Amphiaraos valent leur ration, mais un tel compte pour moins que
rien70. » N’avoir pas donné est, au contraire, de qui se soucie de l’ensemble
des choses ; ainsi sommes-nous pauvres de richesses, mais riches de mots
– c’est justement ton cas –, et cette charge qui est la nôtre, peut-être ne lui
faisons-nous pas honte, pas plus que toi à la grande qui est la tienne.
62. Cette lettre est la réponse à la lettre de Julien (perdue) qui accompagnait la copie de son
discours en l’honneur de Constance.

63. Julien a été élevé au rang de César* par Constance en novembre 355 : il fut alors envoyé
en Gaule où la situation était particulièrement grave, les Barbares ayant enlevé les
forteresses du Rhin : Cologne, Mayence et Strasbourg ; Julien, révélant de belles qualités
militaires, rétablit l’autorité de Rome et la protection du limes*  ; il remporta la fameuse
bataille « de Strasbourg » (Argentoratum, le 25 août 357) contre les Alamans.

64. Le panégyrique de Constance que Julien a composé et que Libanios présente comme un
trophée, au sens de marque tangible d’une victoire, d’un succès.

65. Libanios se flattait d’avoir formé Julien, du moins indirectement, dans l’art rhétorique
et il rend ici un hommage à l’élève qui a dépassé le maître, ou plutôt au fils qui a dépassé
le père, selon l’adage homérique.

66. La taille idéale des lettres était fixée par les théoriciens de l’art épistolaire qui
condamnaient aussi bien l’excès de brièveté que de longueur.

67. Julien se donnait tout entier aux combats ou aux études, comme le confirme le
témoignage d’Ammien Marcellin, 16, 5, 3.

68. Julien était le fils de Jules Constance, lui-même fils légitime de Constance Chlore ; cette
branche se rattachait aussi par Théodora, mère de Jules Constance, à la famille du
tétrarque Maximien, ce qui était pour les descendants un surcroît de gloire impériale,
alors que le cousin de Julien, Constance II, descendait de Constance Chlore par un autre
fils, Constantin Ier. Cela explique la jalousie et l’inquiétude que nourrissait Constance à
l’égard de l’autre branche, prestigieuse, de la famille flavienne et la façon dont il la traita.
Les titres que choisit Libanios font donc la part belle à la flatterie et à la prudence.

69. Libanios rappelle à plusieurs reprises la générosité de Julien à l’égard de ses amis et ne


manque jamais de signaler son propre désintéressement (Autob. 125). Il feint ici de
considérer l’exception faite pour lui dans les prodigalités du prince comme destinée à
l’encourager dans son art, mais le ton plaisant ne cache-t-il pas un reproche voilé ?

70. Canapeus et Amphiaraos sont deux héros qui appartenaient à l’expédition des Sept
contre Thèbes et qui furent foudroyés par Zeus ; Libanios a choisi d’associer le héros le
plus impie (Canapeus) à un modèle de piété (Amphiaraos) pour suggérer d’une façon
assez subtile que la générosité de Julien profitait aussi bien à ses coreligionnaires qu’aux
chrétiens (E. Salzmann, Sprichwörter, diss. Tübingen, 1910, p. 22 et 35).
Lettre 17 (331 F) printemps ? 358

à Aristainétos

Voici Spectatos71 de retour chez nous de son ambassade72 et bien des


gens le jugent heureux, les uns parce qu’il a vu beaucoup de pays, de
montagnes et de fleuves, les autres parce qu’il a vu le genre de vie des
Perses, les mœurs et les lois qu’ils observent ; d’autres tenaient pour une
grande chose le spectacle du souverain lui-même et des pierres qui le
paraient, d’autres encore jugeaient grandiose que celui qui avait donné
des cadeaux en reçût à son départ. À moi aussi cela me paraissait avoir
quelque charme, mais le plus beau était que l’on repartît après avoir
montré le pouvoir d’un rhéteur à Suse. Pourtant, je pensais que celui-ci
avait perdu cette force, détourné depuis longtemps déjà des livres pour
autre chose, mais l’habileté lui restait en son for intérieur. En effet,
comment le Perse a mené les négociations, comment la discussion a porté
sur les différends, comment il a réclamé avec insistance le retour aux
frontières ancestrales73 et a demandé à maintes reprises s’il n’était pas
juste que les biens des ancêtres reviennent à leurs enfants  : les
manœuvres des autres, dans ce débat, Spectatos les rapportera, s’il est
capable de dominer son rire. Quant aux moyens que lui-même a utilisés,
ils étaient tout à fait nobles et ont fortement ébranlé les discours spécieux
du Perse. Il disait en effet : « Roi, si Constance ampute ton territoire, reste
en armes aussi longtemps que lui en appétit de conquête, mais si ceux que
tu incrimines sont morts depuis longtemps et si lui, compte tenu des
conditions dans lesquelles il est entré en guerre, veut arrêter la guerre,
veille à ce que toi qui incrimines l’appétit de conquête, tu ne te trouves
pas convaincu d’avoir le même.  » Sur de tels propos, il revêtit, dit-il, la
peau du lion74 de sorte que ‹le roi› considérant son âge et examinant son
discours ne manquait pas de secouer la tête. Et grâce à l’homme que tu
aimes, celui qui dénonçait fallacieusement notre empereur se tut. Lui qui
a donc, pour un autre, parlé brillamment, que pourrait-il dire sur lui-
même avec plus de ferveur quand il court de nous vers toi plutôt que de
Perse jusque chez nous ?
71. Spectatos 1, cousin germain de Libanios, était entré au service de l’État dans le corps
des notarii* avec, depuis janvier 358, le rang de tribun. Les notarii pouvaient se voir
confier des missions diplomatiques.

72. La lettre fait le récit de son ambassade en Perse, passée par Antioche en 357 et qui y
revint en 358. L’ambassade était chargée de négocier de délicates questions territoriales.
Aux prétentions du roi Sapor (Shapur) – il pouvait revendiquer toutes les terres romaines
jusqu’au Strymon, mais il se contenterait de l’Arménie et de la Mésopotamie – Constance
répondit bien sûr négativement, ce qui signifiait la guerre, et peu de jours après sa
réponse, «  on envoya une mission composée du comte Prosper, de Spectatus, tribun et
notaire, et du philosophe Eustathios qui avait été désigné comme expert en l’art de
persuader » (Ammien, 17,5, 1-15). Ceux-ci devaient s’efforcer de retarder quelque temps
les préparatifs de Sapor pour permettre à Constance de protéger ses provinces du Nord
contre les Alamans avant de se retourner contre les Perses. On mesure la gravité de la
situation. De fait, la guerre en sortit et débuta par le siège, puis la prise d’Amida par les
Perses (Ammien, 18, 9-19, 1).

73. Frontières historiques : Mésopotamie et Arménie (Ammien, 17, 5, 14).

74. Allusion à Héraclès revêtant la peau du lion de Némée, symbole de sa puissance et de


son invincibilité, qui s’exercent dans le sens de la civilisation.
Lettre 18 (332 F) printemps ? 358

à Clématios75

Ce que tu désires, tu l’obtiens : éloge, applaudissement, admiration du


commun, de ceux qui sont au-dessus du commun, et tu ne sembles pas
seulement avoir autorité sur les vivants, mais aussi sur ceux à qui de
n’être plus apporte un surcroît d’estime. Si jamais quelqu’un dit
« Clématios », viennent aussitôt : « le divin gouverneur », « la pauvreté »,
« celui qui méprise la richesse », « les cités prospères », et tout ce qui te
concerne. Veille cependant à ne pas «  jeûner comme un mulet  »76, à ce
que les applaudissements ne t’envoient pas à la famine et à ce que, devenu
père et sollicité par tes enfants, tu n’aies en fait de patrimoine rien d’autre
qu’un beau récit ! Je ne le dis pas pour te persuader de devenir mauvais,
mais puisque tu as décidé de quitter ton commandement les mains vides,
il est temps pour toi de te soucier de la manière dont, sorti de charge, tu
t’occuperas de ta famille.
75. Clématios 2 va quitter son commandement de Palestine : voir Let. 9*.

76. Image du poisson qui reste le ventre vide, c’est-à-dire, dans le contexte du


fonctionnariat, de celui qui est trop honnête pour s’enrichir aux dépens de ses
administrés.
Lettre 19 (339 F) été 358

à Anatolios

Tu as fait de belles choses  ; mais puissent ces belles choses devenir


encore plus nombreuses. J’ai confiance de t’en persuader en te demandant
de suivre ta propre loi. Les raisons de te féliciter sont nombreuses et,
entre autres, parce que ton activité chez les Panonniens ne t’a pas fait
oublier ceux d’ici ; au contraire, comme si tu vivais avec nous et en notre
compagnie, tu veilles à ce que chacun de ceux que tu connais ait un sort
meilleur et, en y veillant, tu y réussis. Quand nous avons su le résultat de
ton zèle envers Sabinos77, on ne pouvait rien entendre chanter d’autre
que «  cela est arrivé à celui-ci, de la part de celui-là, par l’intermédiaire
d’un tel  ». Il faut que Théodoros, lui aussi, obtienne des avantages
semblables, qu’il devienne pour toi la source d’éloges semblables et que
Sabinos se réjouisse avec lui, comme lui avec le premier. « Tu n’es pas sans
connaître Théodoros », disait-on. Cependant, je t’en parlerai à mon tour,
car il n’y a pour toi aucun mal à entendre ce que tu sais, et j’ai moi-même
plaisir à faire l’éloge de cet homme. Celui-ci, issu d’une bonne famille
d’Arabie, s’est montré meilleur que ses ancêtres, parce qu’il a couru vers
ta cité78 pour posséder le droit et qu’il trouvait plus de plaisir à travailler
que d’autres à danser. Revenu de là-bas plein de science juridique, mais
sans que le droit ait banni la force de notre éloquence qu’il possédait
auparavant, il offrait à ceux qui cherchaient refuge auprès de lui deux
ports, par sa connaissance des lois et par la puissance de sa rhétorique79.
Et il ne négligeait pas le salaire, sans ‹pour autant› ne viser que ce seul
but  : comment recevoir un salaire  ; mais il débat si brillamment, et sur
tous les sujets qu’il traite, qu’il est très rarement battu  : les félicitations
viennent même des adversaires battus. Et quand on loue ton
commandement, il n’est pas d’abord sans y accorder foi – c’est connaître
ta nature –, ensuite il se réjouit comme nous, qui pouvons, au premier
chef, nous réjouir de tes bienfaits, enfin il juge heureux tes subordonnés
et il voudrait être de tes subordonnés. Envers nous, tu pourrais juger
quelle sorte d’homme est Théodoros : il est celui qui a fait venir son fils à
nous80, a montré aux autres la voie et leur a donné conseil, dans la
pratique, sur la route à suivre  ; et comme justement nos affaires vont
souvent jusqu’au tribunal, il ‹nous en› a épargné beaucoup de sueur et
tous les cris. Il a même gâté l’une de ses affaires en prenant soin de la
nôtre. Un homme aussi admirable, qui t’est aussi dévoué, qui m’aime
autant, que son art met aux premiers rangs, ne serait-il pas beau que, pour
le reste aussi, il soit dans les premiers  ? Ou bien veux-tu que nous en
trouvions un autre qui réalisera cela ? Même si ce n’est pas infaisable, il ne
sera pas digne de Théodoros. Celui-ci préfère, en effet, au résultat lui-
même le fait que celui-ci vienne par toi et ne rien obtenir lui paraît plus
raisonnable que de l’obtenir d’un autre. Dévoue-toi et que Théodoros soit
au nombre de ceux que tu as honorés81 : il vaut bien mieux, en effet, que
celui-ci coure vers moi et aime me dire les honneurs reçus plutôt que tu
n’ailles chercher une excuse à présenter.
77. Remerciements pour la nomination de Sabinos 5, consularis* de Syrie.

78. Anatolios 1 est originaire de Bérytos (actuelle Beyrouth), qui était, pour le droit,
l’équivalent d’Athènes pour la culture philosophique.

79. Théodoros 11 est un exemple, suffisamment rare pour que Libanios y insiste, d’homme
possédant à la fois une culture littéraire et une culture juridique. Ses capacités lui
assurèrent des succès importants comme avocat, mais il aurait souhaité, vers 358,
devenir collaborateur d’Anatolios, préfet du prétoire* d’Illyricum, d’où la
recommandation de Libanios.

80. Théodoros confie à Libanios son fils aîné comme élève en 358, puis l’autre en 364.
81. Malgré le vibrant éloge de Libanios, Anatolios qui se défiait des littéraires, ne fit pas
obtenir de poste à Théodoros. Ce n’est que quelques années plus tard que celui-ci obtint
son premier commandement.
Lettre 20 (374 F) été 358

à Aristainétos82

Tu devais bien un jour goûter aussi aux peines du commandement, car


tu n’as pas fui par tous les moyens le fait de commander, et maintenant
voici ceinturon, garde armée, foule autour de ta porte, veilles, soucis  ;
mais cette longue vie facile et cette inactivité se sont enfuies. Je ne crains
nullement que, touchant d’emblée aux plus importantes affaires, tu ne
sois saisi de vertiges  ; en effet, ta nature, même sans entraînement, sait
aller droit : aussi ai-je confiance dans le fait que, rapidement, tu susciteras
l’admiration dans ta position présente et que, rapidement, ton mérite en
ces affaires te mènera à quelque chose de plus brillant. Mais ce qui me
réjouissait moi-même le plus et pourrait te réjouir, le voici  : autant ont
reçu le rapport de l’événement, autant ont pris plaisir à ce rapport. Et de
ceux qui se disaient tes amis auparavant, aucun ne s’est vu reprocher de le
dire et encore moins d’aimer. Mais l’expression d’autrefois, « l’estimable
Aristainétos », circulait d’une même voix par toute la cité ; et l’on admira
également l’empereur d’avoir fabriqué, plus habile que l’abeille, ce miel83
de commandement. Si j’avais pu moi aussi courir vers toi, j’aurais volé  ;
mais celui à qui il était donné de marcher est venu, c’est Dianios84, ton
parent et mon compagnon  ; souvent appelé par toi auparavant, il l’est
aujourd’hui par les circonstances  ; car le fait que tu diriges la Bithynie
ramène cet homme qui a fui longtemps sa patrie par crainte de la curie et
de la pauvreté. S’il était pris, en effet, alors qu’il se trouvait dans sa cité,
mais dans l’impossibilité d’accomplir les charges, il ne lui restait qu’à être
enfermé. Une terre étrangère avec la liberté lui paraissait donc plus
raisonnable que sa patrie sans ses droits. S’il souffrait d’être séparé de sa
mère, il avait scrupule à ce que sa mère le voit avec de telles perspectives.
Pourtant, quand il vivait chez nous, il a illustré sa mère, toi et vous tous,
en se comportant avec sagesse et douceur et en se montrant digne de
respect  ; et le plus important, c’est que, sans enfreindre aucun de ses
devoirs envers nous, il ne s’est pas attiré la haine de la partie adverse85.
C’est donc plein de confiance que j’ai dit qu’il était de ta race et ne me
paraissait pas démériter de son sang. Accueille donc ton familier à qui son
caractère a valu de nombreux amis ici et conseille-le sur ce point : « Quel
chemin emprunter  ?  »  : soit rester chez lui, soit revenir vers nous, soit
vivre dans la Grande cité en gagnant sa vie par les procès ?
82. Aristainétos qui a si longtemps refusé d’entrer au service de l’État (voir Let. 11*) vient
d’accepter un poste de gouverneur et a été nommé directement uicarius* du nouveau
diocèse de Pietas, d’où l’allusion de la première phrase qui n’est pas sans ironie  ;
Aristainétos offrait l’exemple atypique d’un dilettante cultivé dans un monde où
l’ambition de servir le pouvoir faisait rage.

83. Expression un peu précieuse pour désigner quelque chose d’agréable.

84. Recommandation pour Dianios, un élève originaire de Bithynie, que Libanios a hébergé


à Antioche, où il s’était réfugié pour échapper aux charges curiales. Le jeune homme
espère un poste d’avocat auprès du tribunal de Stratégios, le préfet du prétoire* d’Orient.

85. Comme Dianios est païen, l’allusion à « la partie adverse » renvoie aux chrétiens.
Lettre 21 (377 F) été 358

à Thalassios86

Je n’incrimine en rien les tiens, et je leur suis largement


reconnaissant : car non seulement nous obtenons ce que nous mandions,
mais encore si nous cessons d’ordonner, ils se disent lésés parce qu’ils ne
nous servent en rien. Toi, pourtant, nous t’accusons, les tiens et moi-
même, parce que tu as préféré à la compagnie de tes proches et de tes
amis l’espoir de quelque influence. Certes, on dit que tu ne te conduis pas
en paresseux avec ceux de là-bas87 et que tu ne dépenses pas ton temps en
rire, vie facile, plaisanteries et sommeil, mais que tu peines, que tu es
sobre, énergique, que tu te plais avec les hommes sensés, que tu suis,
enfin, l’exemple de la vie de Spectatos. Je te croyais digne, une fois parti
là-bas, d’agir ainsi, mais il faut tenir pour préférable le séjour chez soi au
départ là-bas. Celui qui a, en effet, une épouse vertueuse et toute nouvelle,
mais pas encore d’enfants, des biens importants et tout ce qui suffit au
bonheur, pourquoi faut-il que, renonçant à veiller sur eux et à se donner
des héritiers de sa semence, il admire autre chose ? Je croyais autrefois88
que ces biens étaient importants pour moi et je le crois encore
maintenant  ; quant à toi, trouve l’issue pour revenir cet été et tu auras
dédaigné les contrats obtenus des Pannoniens.
86. Voir Let. 12* ; Thalassios 2 est à la Cour, peut-être proximus libellorum* de Constance ; il
essaie de se placer auprès des puissants, selon l’exemple de Spectatos, certainement pour
obtenir un poste. Libanios lui conseille de revenir à Antioche.

87. Il s’agit de la Cour, alors à Sirmium, en Pannonie.

88. Allusion à son retour à Antioche pour laquelle il quitta un poste de professeur à


Constantinople, en 354.
Lettre 22 (21 F) été 358

à Aristainétos89

J’admirais auparavant le très puissant Hermogénès dont j’avais ouï


dire qu’il s’intéressait à la philosophie, mais à présent j’aime aussi
l’homme parce qu’il reconnaît ta valeur et ton mérite. On dit qu’il te tient
pour un homme de bien et qu’il fait grand cas de ta compagnie, alors que
ton absence lui pèse. Les autres auront l’idée de se réjouir avec toi, mais
moi avec vous deux : avec toi, parce que tu gagnes une si large influence,
et avec lui, parce qu’en plaçant bien son amitié, il s’illustre par son choix.
Il est donc nécessaire que toi qui es aimé, tu n’hésites pas à l’aider de tes
conseils en tout ce qui est possible  ; et il est possible aujourd’hui, pour
défendre un ami victime d’une injustice90, d’empêcher un ami de se
tromper. En effet, le noble Nikentios que tu nous recommandais dans ta
lettre – et cette lettre a forgé notre amitié – cet homme, grâce à qui la
justice règne, la violence s’éloigne et notre cité est une fête, au lieu du
renom espéré est assiégé par une amende, dont le préjudice le désole (car,
pauvre, Nikentios l’est resté dans ses commandements, aussi nombreux
furent-ils), mais qui a quelque chose de plus amer que le préjudice
financier  : le déshonneur  ; car l’amende est une peine qui a sanctionné
une faute professionnelle. Qu’Hermogénès lance une action contre les
coupables et je serai le premier à louer sa colère  ; mais s’il suspend sa
colère contre de tels individus, je ferai de même pour mes éloges. Mais
dans le cas présent, il y a fraude, qui procède d’une tromperie, non de la
nature d’Hermogénès. Écoute donc  : il existe un relais du nom de
Callinicon près de l’Euphrate91 – en effet, Callinicos ayant été égorgé là, le
lieu a pris le nom du sophiste, comme cela s’est souvent produit sur terre
et sur mer autrefois. Cette place est le siège d’une garnison que nous
devons approvisionner en convoyant les vivres non pas jusque-là, mais en
un autre endroit et, de là, l’usage veut que le gouverneur des régions de
l’Euphrate les achemine jusqu’à Callinicon. Alors qu’il a rempli sa
fonction, Nikentios est châtié pour les disharmonies causées par d’autres,
c’est ce qui s’est passé à Aulis92. Peut-être n’ai-je pas mal exposé l’affaire
moi-même, mais si je me suis laissé quelque peu emporter, Nikentios
t’instruira bien. Quant à toi, viens en aide aux deux gouverneurs en
épargnant un préjudice injuste au plus jeune, et en évitant à l’aîné un
courroux qui n’est pas justifié. Si ce dernier pense qu’il est infantile de
changer d’avis, qu’il considère qu’un changement en pire est mauvais,
mais que celui qui délivre du mal est noble, surtout quand il peut
maintenir l’amende d’un côté et disculper de l’autre. En effet, qu’il exige
l’or, mais qu’il l’exige de ceux qui ont déserté leur poste et, qui plus est,
l’ont complètement trompé, eux qui, dans leur propre intérêt, ont
prétendu ce qui n’était pas. Puisqu’en effet, « la colère gronde au cœur des
descendants de Zeus93 », qu’il n’y ait pas d’impunité pour les fraudeurs, de
sorte que la vérité triomphe et que nul ne soit injustement puni. En
annulant son verdict, il doit songer au roi de Crète, fils de Zeus, qui
s’avançant dans l’antre, tous les neuf ans, n’avait pas honte de changer
parmi les lois qu’il avait édictées celle qu’il valait mieux changer94.
89. Aristainétos 1 (voir Let. 9* ; 11* ; 12*), uicarius * du diocèse de Pietas, nouvellement créé
par Constance. En réalité, le rhéteur se servait de son intermédiaire pour atteindre un
plus haut fonctionnaire et la lettre est « à double détente ». Aristainétos était en tant que
gouverneur soumis à l’autorité du préfet du prétoire* d’Orient, Hermogénès, qui venait
de succéder à Stratégios. Ce païen, qui avait étudié la philosophie et était l’ami
d’Aristainétos, recherchait aussi l’amitié de Libanios.

90. Nikentios 1, consularis* de Syrie, a été puni d’une sévère amende par Hermogénès : dans
ses attributions de gouverneur figurait l’entretien des relais de poste ou garnisons, ce qui
est le cas ici avec Callinicon sur l’Euphrate. Or Nikentios a été accusé d’avoir failli à sa
mission d’approvisionnement du relais ; Libanios montre qu’en réalité, il ne devait veiller
qu’à son bon acheminement jusqu’à une étape intermédiaire où le gouverneur de
l’Euphratensis prenait les marchandises en charge.

91. Place située sur la rive gauche de l’Euphrate, cette fondation d’Alexandre le Grand
s’était d’abord appelée Niképhorion avant de prendre le nom de Callinicon, depuis
Gallien. C’était un important verrou du limes* : la ligne de défense montant de Palmyre
vers le Nord y rejoignait la ligne de fortifications vers l’Euphrate. L’origine du nom est
incertaine, mais l’explication qu’en donne Libanios paraît fantaisiste : Callinicos était un
rhéteur originaire de Palestine qui enseigna la philosophie à Athènes vers la fin du IIIe
siècle. Le changement de nom n’a d’ailleurs pas besoin d’être justifié, car les deux
toponymes sont de sens quasi identique, forgés sur le mot niké, « la victoire ».

92. Allusion à Aulis où eut lieu le sacrifice d’Iphigénie, l’innocente qui paya pour le crime de
son père Agamemnon.

93. Iliade, 2, 196.

94. Libanios en appelle donc à un nouvel examen de l’affaire par Hermogénès et lui montre
que se déjuger pour acquitter un innocent est une action noble. Le roi de Crète, Minos, se
retirait dans une grotte pour soumettre sa constitution à une révision tous les neuf ans :
voir Platon, Lois, 624 a.
Lettre 23 (281 F) fin 358

à Dianios95

Avant même l’arrivée du porteur de la lettre était parvenu le bruit de


l’estime dont tu jouis auprès d’un homme qui mérite toute estime et un
beau renom96 ; du porteur de la lettre on pouvait entendre dire les mêmes
choses, et d’encore plus belles que celles annoncées par les autres. Je
songeai donc qu’aux hommes probes et excellents tels que toi les dieux
offrent assistance et secours, les sauvant avec facilité des situations qui
paraissent désespérées  ; car ton cas ne diffère pas beaucoup de celui du
citharède de Lesbos qui, tombé à la mer, se trouvait plus confortablement
transporté que les passagers restés sur le bateau97. Et alors que nous
compatissons et déplorons entre nous la tempête dans laquelle tu es
tombé, ce séisme et les conséquences du séisme98, un dieu t’a offert le
salut avec un ami qui possède l’ampleur du discernement et l’aptitude à
réussir tout ce qu’il prend à cœur. Je te conseille donc de te saisir de la
chance qui s’offre et de rattacher ta barque au navire d’Alexandros99, que
je crois déjà observer dans un poste plus élevé, puis dans un troisième et
dans un quatrième. Même la vieillesse, je crois, ne l’arrachera pas, pour
son repos, aux efforts qui servent les cités. L’empereur, en effet, connaît
l’homme et ne cessera de l’employer. Juge plus important pour toi que
tout commandement de le suivre et de collaborer à son œuvre, ou plutôt,
progresse toi aussi vers les commandements de cette manière, facilement
et noblement, avec son approbation et suivant son modèle.
95. Dianios est l’ancien élève recommandé dans la Let. 20* dont il était le porteur, comme
pour la Let. 21*. La datation de cette lettre pose problème  : 358 ou 361 selon les
commentateurs  ; cependant, la lettre 282 F qui est associée à celle-ci et est adressée à
Alexandros 4, gouverneur de Bithynie, dit que ce dernier, s’il ne peut pas ressusciter les
morts, redonne «  à des villes détruites forme de villes  »  : c’est une allusion au
tremblement de terre du 24 août 358 qui a touché toute la région de Nicomédie. La date
de fin 358 paraît donc plus vraisemblable pour ces deux missives.

96. Alexandros 4, consularis* de Bithynie, ancien élève de Libanios.

97. Il s’agit d’Arion de Méthymne (Lesbos), poète lyrique qui aurait vécu dans la seconde
moitié du VIIe s. La légende d’Arion sauvé des eaux par un dauphin est rapportée par
Hérodote, I, 24 et Plutarque, Banquet des Sept Sages, 18-20.

98. Allusion au procès de Scythopolis, en 358, dans lequel de nombreux notables et curiales


furent inquiétés (voir Let. 31* n. 146).

99. Alexandros prend Dianios auprès de lui comme avocat.


Lettre 24 (19 F) Hiver 358/359

à Anatolios100

J’ai lu à mes amis ta longue lettre : tel était ton ordre, et je ne pouvais
me dérober à une telle autorité. La lecture suscita donc autant de rires que
tu le voulais – tu en désirais beaucoup, semble-t-il – et quand j’eus fini,
l’un des auditeurs me demanda si j’étais ton ami ou ton ennemi. Comme je
lui disais que j’étais vraiment l’ami du noble Anatolios  : «  Sache bien
pourtant, dit-il, que tu agis comme un ennemi en montrant la lettre qu’il
fallait tenir secrète.  » Et il nomma une telle lettre  : veux-tu savoir
comment  ? Je ne prononcerai pas ce mot qui m’a fâché rien qu’à
l’entendre. Laissons donc cet homme-là101 et examinons les charges  : tu
endureras le châtiment si tu apparais comme un calomniateur, je
l’endurerai si je suis confondu. Tu as dit que Spectatos, grandi par ses
actes, était rabaissé par mes mots, même s’il se réjouissait, lui-même, des
louanges que je lui décernais102. Si son jugement est sensé, c’est le tien qui
est faux. Mais s’il ignore tout de l’éloquence, alors ose parler et je ne serai
qu’un méchant homme. Mais observe ceci, pour paraître conséquent avec
toi-même  : celui que tu accusais de rabaisser la grandeur est celui-là
même dont tu dis qu’il élève la médiocrité par la force de son éloquence ;
aussi, je te conseille de t’attaquer aux complots des barbares, mais pas à
toi-même. Tu as donc raison d’envier ceux qui reçoivent mon hommage103
car aimer l’éloge est signe d’une nature qui n’est pas mauvaise  ;
l’émulation est, en effet, souvent une forte incitation à la pratique de la
vertu. Mais en reprochant, au lieu de manifester ton assentiment, que
certains aient été honorés par mon éloquence, tu agis de manière
équivoque, et point noble. Tu prétends que je fais l’éloge de bien du
monde, et moi que tu critiques tout le monde. Il y a donc manque de
discernement dans les deux cas, mais, au moins, dans le mien y a-t-il
quelque amour des hommes. Ou plus exactement, je n’ai loué personne en
lui ajoutant des qualités qu’il n’avait pas, comme le mythe ‹pare› le geai
des plumes d’autrui ; apprends donc la règle que j’applique aux éloges. Si
quelqu’un ne se soumet pas aux richesses, mais succombe aux plaisirs,
l’éloge soulignera ce trait-là, mais passera sous silence celui-ci. Et si je
faisais l’éloge d’un pays, c’est ainsi que je procéderais  ; par exemple, s’il
me fallait louer Cythère – Cythère est une île qui s’allonge près du
Péloponnèse – en travaillant donc mon discours, j’exposerais comme elle
est riche en pâturages et en vignobles104, bien pourvue de ports et
couronnée de forêts, mais je ne la louerais pas pour son apport en blé. Car
je mentirais, tout comme celui qui ferait l’éloge de l’Attique ne pourrait en
dire autant ; mais rien n’interdit d’être élogieux à partir de ce qui s’offre à
l’éloge. J’admire Achille parce qu’il a combattu les Troyens et j’admire
Palamède pour sa sagesse105. Et celui qui juge bon de critiquer parce que
ces deux qualités n’appartiennent pas à chacun d’eux est injuste. Allons !
Si je faisais un discours pour toi parce qu’en insistant tu m’en aies
persuadé, penses-tu que l’artisan trouverait de tous côtés matière à
éloges ? Tu le crois peut-être, mais tel n’est pas le cas ; je parlerais de ton
dévouement, de ta vigilance, de tes efforts, de ton jugement droit, de ta
prévoyance concernant l’avenir, de ton esprit de justice, de ton
intelligence aiguë, de ton éloquence puissante et de beaucoup d’autres
qualités, mais je ne te dirais ni beau ni grand, car ces traits physiques ne
sont pas tiens. Pour mentionner l’argent, je dirais que le vol t’est des plus
étrangers, mais je ne soutiendrais pas que ton mérite est sans salaire. Tu
reçois, en effet, les dons impériaux et la durée de ton commandement a
fait de tes villas de véritables villes, sans dommage pour personne, mais
tout profit ‹pour toi›. Or tu serais bien meilleur en ne tirant profit de nulle
part, car plus brillante que les colonnes que procure l’empereur est
l’acquisition de la gloire que confère la pauvreté. En outre, il est
également brutal et peu amène de ta part de malmener Sévéros, parce
qu’il réclamait un ceinturon106 alors qu’il aurait dû rester philosophe. Si,
en effet, attaché à la culture107, il s’était démis de son état et se trouvait,
sous le titre de philosophe, ‹simple› marchand108, on lui en voudrait à
juste titre. Mais s’il juge cet état trop ambitieux pour lui et qu’il cherche
quelque échappatoire, où est la fausse note de n’être pas philosophe ? Ou
bien toi-même as-tu tort d’être fonctionnaire plutôt que philosophe  ? Et
puisque tu me presses de tes railleries parce que je t’avais rappelé ma
dignité, sache que tu as tout méconnu. Voici ce qu’il en est : la rhétorique
suffit à ‹me donner› une situation et grâce à elle je n’ai jamais considéré la
mienne comme plus médiocre que la vôtre dont l’illustration est telle que
les flatteurs ne jurent que par elle. Et pour vivre, les petits gains que je tire
de l’éloquence suffisent à de petits besoins. Quel était donc mon intention
en écrivant ? Isocrate conseille de mettre à l’épreuve nos amis alors que la
nécessité ne se présente pas encore, de sorte qu’en cas de malheur on
n’éprouve aucun dommage, et il faut, dit-il, prétendre être dans le besoin
même si l’on ne s’y trouve pas109. Ma démarche était de cette sorte  : j’ai
demandé alors que je n’en avais pas besoin. Voilà donc pourquoi tu ne me
l’as pas accordé  ; moi, j’en ai ri et, nullement lésé, j’ai découvert ton
caractère. Tu n’es assurément pas du tout négligent, mais fort disponible
pour tout membre de ta famille et aucun de tes proches n’est dans la vie
privée110. Ensuite, tu honores le mérite d’autrui et si un homme sans
mérite exerce un commandement tu hurles plus fort que des amputés ! Ta
famille t’est chère au point que tout parent doit avoir une charge et être
intouchable. Tu y trouves une excuse à ta négligence envers tes amis et si
quelqu’un t’en accuse, tu lèves le reproche par cette réponse. Est-ce que je
te parais moi aussi capable de lancer des traits, ou bien seulement bon à
souffrir ? Ou, plus exactement, si tu as blessé, te voici également blessé ; si
ces coups étaient ‹donnés› pour plaisanter, ceux-ci n’étaient pas non plus
sérieux. Il est juste, enfin, si tu as pris plaisir à la lettre, d’en savoir gré au
porteur, ou si tu es froissé, de punir le porteur  : quoique j’aie su garder
mon calme, Ianouarios111 m’y a engagé par tous les moyens de pression,
homme unanimement respecté dans la cité, qui n’a fait aucun tort à qui ne
le méritait pas, ne dispensant que de justes faveurs, correctement vigilant
en ce qui lui a été confié, aidant ceux qui l’en pressent s’ils en sont dignes,
peu bavard, mais capable d’agir, dédaignant de gagner plus que ce qui
s’offre  ; une plus haute situation lui conviendrait, mais il se contente de
celle qu’il a et il conserve sa dignité dans une position qui n’exige pas de
vertu. Je ne crains qu’une chose : que tu méprises cet homme pour tous les
services qu’il m’a rendus.
100. Ce haut fonctionnaire est préfet du prétoire* d’Illyricum depuis l’hiver 356-57. La
lettre de Libanios est pleine d’ironie, voire d’aigreur à l’égard de son ami et cet échange
de correspondance a suscité les commentaires : O. Seeck (Briefe, pp. 9, 22 et 66) a voulu y
voir la rancœur de Libanios déçu de ne pas obtenir du préfet le poste dans
l’administration qu’il lui aurait demandé, alors que « la pluie des nominations mène bien
du monde à la mangeoire impériale  » (Lettre 333 F, 5). Mais on a peine à imaginer
Libanios, si attaché à son métier de professeur, envisageant sérieusement cette carrière
(P. Petit, Fonctionnaires, pp.  35-36). Il vaut mieux lire dans cet échange parfois acerbe la
réaction de susceptibilité du sophiste touché dans l’essence même de son art, celui de
l’éloge que permet et exalte la rhétorique  : Libanios n’aurait pas suffisamment rendu
mérite à Spectatos de retour de son ambassade en Perse (voir Lettre 17*). La moquerie
d’Anatolios sur la manie louangeuse de Libanios déclenche immédiatement le besoin de
se justifier, bien dans le caractère du sophiste, et nous vaut cette «  théorie du
panégyrique » et ce portrait du préfet qui tisse si habilement l’éloge et le reproche : on
n’attaque pas impunément le sophiste !

101. Problème de texte : R. Foerster adopte la lecture ekeino, mais l’édition de Wolf, sur la
leçon des manuscrits, sauf C D, donnait ekeinon, comme le suit Norman.

102. Éloge prononcé lors du passage de Spectatos à Antioche, de retour de l’ambassade.

103. C’est-à-dire par l’éloquence.

104. Homère, Odyssée 15, 406.

105. Palamède était considéré comme l’inventeur de l’alphabet.


106. La zonè* (cingulum) du fonctionnaire.

107. Libanios utilise le terme de philosophia, pris ici au sens général de culture littéraire.
Sévéros 9 était un sophiste ; il chercha à entrer dans l’administration impériale, mais sans
succès, et malgré son statut, fut obligé de remplir ses devoirs curiales à deux reprises
dans les années suivantes.

108. Réminiscence de Platon, Protagoras, 313 e.

109. 9. Conseils à Démonique, 24.

110. C’est-à-dire qu’ils ont tous un poste officiel. Formule ironique de Libanios qui reproche
au puissant Anatolios son népotisme.

111. Fonctionnaire impérial : PLRE, p. 454.


Lettre 25 (35 F) Hiver 358/359

à Julien César*112

Que ta santé se maintienne toujours comme tu me l’annonces, et que


la divinité offre un remède à ta peine  ; ou plutôt, une part de ta peine
réclame un dieu, l’autre part, il est en votre pouvoir d’y mettre fin. Car
relever la cité113 est à votre portée, si vous le voulez ; mais le désespoir sur
les morts attend du ciel quelque soulagement. Je juge pourtant Nicomédie
heureuse malgré ses ruines. Certes, elle devrait être encore debout, mais
elle a, dans sa chute, eu l’honneur de tes larmes et cela n’est pas un
moindre honneur que les lamentations répandues sur Achille, dit la
tradition, par les Muses, ni que la pluie sanglante lâchée par Zeus sur
Sarpédon qui allait mourir, pour honorer son fils le plus cher114. Vous
aurez soin que la cité d’autrefois redevienne une cité ; quant à Elpidios115,
il était déjà auparavant homme de bien, mais maintenant les progrès de
son caractère sont dignes d’admiration. Et n’est pas seulement ‹vérifiée› la
maxime de Sophocle  : La fréquentation des sages fait les rois sages116, mais
aussi : La sagesse d’un roi peut conduire ceux qui le fréquentent à la vertu. Tel est
le profit que tu as valu à cet homme dont tu n’as pas révélé
l’enrichissement matériel plus que moral. En effet, même si tu es plus
jeune qu’Elpidios, tu es devenu le maître d’Elpidios, ton aîné, en ces belles
choses  : la probité, l’empressement à faire du bien aux amis, le plaisir
éprouvé en le faisant, l’aménité dans les rencontres avec les inconnus, et
la conquête de qui l’on rencontre  ; car autant l’ont approché et lui ont
parlé, autant ont admiré l’homme et sitôt après, l’ont aimé, ou plutôt ont
observé, en quelque sorte, ton jugement dans ce qui lui a été confié par
toi. Nous avons, lui et moi, de fréquents entretiens, tous sur toi, le
jugement que tu possèdes et ton attitude face aux situations dans
lesquelles tu te trouves ; et je suivais de si près, dans son récit, ce que tu
fais que je n’étais pas loin de dialoguer avec toi comme si tu étais présent.
Mais ce que j’ai entendu de plus beau est que tu harcèles les Barbares, que
tu mets par écrit tes victoires117, et que le même homme est
véritablement orateur et général. Achille réclamait un Homère,
Alexandre, de nombreux Titans, mais tes trophées seront commémorés
par la voix même de qui les a dressés. Tu as à ce point distancé les
sophistes que tu ne leur as pas seulement proposé de travailler sur tes
exploits, mais aussi de rivaliser avec les discours que tu as écrits sur tes
exploits. Ajoute encore à tes trophées la restauration de Pompéianos118
dans ses droits et considère que cela même n’est pas un médiocre
engagement. Cet homme est celui que tu as eu jadis plaisir à voir, en
Bithynie, comme ambassadeur de notre cité ; et ayant appris ce dont il a
été dépouillé, tu as donné fondement à ses espoirs de recouvrer
finalement ses biens. Garde-moi en mémoire ces promesses-là, ô roi.
112. Julien est en Gaule (voir Let. 16*).

113. Tremblement de terre de Nicomédie, le 24 août 358. Julien avait adressé à Libanios une
lettre qui exprimait sa peine.

114. Sarpédon, chef des Lyciens, dans l’expédition contre Troie, vit son fils périr sous les
coups de Patrocle ; Zeus répandit alors sur le sol une averse de sang (Iliade, 16, 459-61) ; la
première allusion évoque la mort d’Achille que pleurèrent, en « un thrène », « les neuf
Muses ensemble » (Odyssée, 24, 60-62).

115. Elpidios 6, originaire d’Antioche, était chrétien sous Constance et avait un poste à la


Cour ; il se convertit au paganisme sous l’influence de Julien qui en fait son comes rerum
priuatarum* en Gaule. Cette lettre nous apprend que sa conversion date de l’époque où il
accompagna Julien en Gaule. Il est revenu à Antioche entre deux séjours en Gaule et a
rapporté ces nouvelles à Libanios. À travers le portrait d’Elpidios se dégage l’éloge de
Julien qui lui a servi de modèle.

116. Sophocle, Frag. 14 Radt.


117. Julien a relaté lui-même la bataille d’Argentoratum (Strasbourg), remportée
brillamment contre 30000 Alamans.

118. Pompéianos 3 d’Antioche, ami de Libanios, fut ambassadeur de sa cité en 348 et 355. La


perte évoquée est celle de sa propriété familiale.
Lettre 26 (388 F) fin 358

à Stratégios119

Alors que je n’étais pas encore complètement débarrassé de mon mal


de tête, un autre mal plus grave m’a saisi120 qui a rempli mon âme de
ténèbres et a obligé bien des amis à rester bien longtemps assis à mes
côtés en s’efforçant, par tous les charmes possibles, de sauver ma raison.
Car quel homme suis-je devenu, selon toi, à la nouvelle que la cité très
chère était tombée sur des hommes très chers ? J’ai négligé la nourriture,
j’ai rejeté les études, j’ai chassé le sommeil, j’étais la plupart du temps
étendu en silence, et les larmes que je versais sur ceux-là se mêlaient aux
larmes de mes familiers sur moi, jusqu’à ce que quelqu’un me conseillât
d’exprimer par l’éloquence mon deuil de la cité et de celui qui ne méritait
pas, ô Zeus, une telle fin121. Je l’ai écouté, et maintenant que j’ai déchargé
une part de ma douleur sur l’écritoire, je vis raisonnablement mon
chagrin. Si je n’avais pas pensé que tu avais toi aussi la pensée boule
versée par la perte d’un ami qui a prouvé ce titre par ses actes, j’aurais
réclamé de ta part une consolation assidue, mais puisque le coup nous est
commun, il ne me reste qu’à gémir et c’est précisément ce que je fais.
119. Stratégios, surnommé Mousonianos par référence aux Muses (Mousai), ce qui atteste sa
culture, était l’un des plus importants personnages de l’Empire : il fut préfet du prétoire*
d’Orient du milieu de 354 jusqu’au milieu de 358.

120. Le tremblement de terre de Nicomédie (24 août 358) dans lequel de nombreuses
connaissances de Libanios trouvèrent la mort, en particulier son ami Aristainétos 1.

121. Libanios composa, en effet, une monodie sur Nicomédie  : le Discours 61, et une autre
sur Aristainétos, mais qu’il se contenta de faire connaître dans un cercle très restreint, ce
qui explique qu’on ne l’ait pas conservée.
Lettre 27 (49 F) été 359

à Modestos122

J’apprends que les craintes ont atteint leur paroxysme, que des ponts
ont été jetés par le Perse et que la traversée123 est à sa portée. Que cela
augmente ta prévoyance, mais que cette prévoyance soit exempte de
trouble  : cela même rendra possible de prévoir, car dans le trouble le
raisonnement est nécessairement aveuglé. Sois rassuré d’abord par le fait
que cette attaque n’est pas la première qu’a osée l’ennemi, mais que c’est
toujours lui, depuis qu’il mène la guerre, qui a tenté de traverser, et qui,
échouant toujours, s’est reproché son espoir  ; ensuite, par le fait que la
victoire n’accompagne pas partout les plus nombreux, mais que, le plus
souvent, le nombre se trouve vaincu par l’intelligence. Si la supériorité
numérique était décisive, l’ancêtre de celui-ci124 aurait dû, je suppose,
s’emparer de la Grèce ; en réalité, tu sais comme il a fait campagne dans le
désir de la posséder, mais comme, en fuyant de là-bas, c’est son salut qu’il
désirait ! Les mêmes ne pouvaient pas, en effet, percer des montagnes125
et triompher de la valeur des hommes. Et le roi, aujourd’hui, fera aussi
l’expérience de la stratégie des généraux : ils lui apprendront qu’il serait
finalement plus noble de combattre des cerfs  ; en effet, s’il traverse le
Tigre, il cédera devant les murailles ‹des villes› et il ne pourra ni ravager
ni piller le territoire (car il a été brûlé), et les villes sur l’Euphrate, il
continuera à vouloir les prendre, mais on ne le verra pas les prendre, car
c’est la Fortune de l’Empereur qui les fortifie126. Voilà ce qu’il faut
s’attendre à ‹voir› se produire  ; tes affaires, qui réclamaient la lettre
d’Hermogénès127, je ne les ai pas négligées, mais nous, les souris, nous
essayons davantage de vous aider, les lions, que vous, les lions, ne nous
aidez.
122. Il est alors comes orientis*  ; c’est le début de la campagne de 359 contre les Perses  :
même si le comes orientis, comme les uicarii*, a essentiellement des fonctions
administratives et judiciaires, cette allusion prouve qu’il peut avoir aussi des attributions
militaires.

123. Du Tigre.

124. Le roi Sapor (Shapur), ennemi des Romains, est présenté comme le descendant des
souverains achéménides, d’origine perse, qui entrèrent en guerre contre les Grecs des
cités du Ve siècle av. J.-C. (Guerres Médiques). Mais la Perse est, depuis 226, aux mains de
la dynastie des Sassanides qui avait conservé les institutions des anciens Parthes.

125. Allusion au percement d’un canal à travers la péninsule de l’Athos, en Chalcidique de


Thrace, par l’armée de Xerxès, lors de la seconde Guerre Médique (Hérodote, 7, 22-23).
L’entreprise trahissait, pour les Grecs, la démesure du Barbare.

126. Croyance très répandue par le monde romain  : chaque ville était protégée par sa
Fortune. S’y ajoute ici la propre Fortune de l’Empereur.

127. Préfet du prétoire* d’Orient.


Lettre 28 (85 F) seconde moitié de 359

à Florentios128

Tant que ta bienveillance envers nous admettra un prolongement, se


prolongera pour nous aussi la nécessité de t’écrire au sujet de nos amis.
Makédonios129 que voici obtient depuis longtemps, pour sa probité, pour
sa sagesse, et pour la loyauté de son caractère, l’admiration chez nous,
mais il y a une seule chose que je lui reproche, c’est qu’ayant bondi dans le
jardin des Muses, il s’en est détourné pour la vie qu’il mène aujourd’hui.
S’il est possible, en effet, à partir de celle-ci de s’enrichir, c’est l’autre130
du moins qui procure la gloire. Il a des espoirs de richesses – il n’est pas
encore riche – et il le deviendra, si tu le veux. Il n’est pas juste de mépriser
l’homme, ni parce qu’il est tombé de la tribune131, ni pour ce qui lui a fait
dédaigner la tribune.
128. Florentios 3, magister officiorum*.

129. Makédonios 3. Le personnage est par ailleurs inconnu. D’après la lettre, il est de


formation littéraire, et s’est engagé dans une carrière administrative.

130. C’est-à-dire une vie au service de l’éloquence.

131. La tribune des orateurs, qu’il a abandonnée pour une carrière plus lucrative, comme le
souligne non sans ironie Libanios.
Lettre 29 (86 F) début de l’automne 359

à Thémistios132

Tu ne remplis donc pas seulement avec zèle le sénat de sénateurs,


mais c’est désormais «  la cage même pour celui qui dort  »133. En effet,
Kelsos, le meilleur de nos concitoyens, et qui mérite, après toi, de
l’entendre ‹dire› de ceux de là-bas134, rejoint de lui-même un conseil
d’hommes de bien, lui l’homme de bien. Nous avons pourtant remué ciel
et terre pour que l’homme soit à la tête des affaires de notre cité. Mais lui
a prétendu qu’il recherchait une région que vantait Thémistios, et le
sophisme ne m’échappe pas. En effet, si tous les autres courent là-bas,
attirés par le Bosphore poissonneux135, lui ne s’intéresse pas au
commandement, mais pense que, s’il devient votre concitoyen, il vivra à
tes côtés : cela veut dire vivre dans la philosophie, dont il ne s’est pas peu
mêlé à Sicyone et dont il espère surtout se mêler auprès de toi. Mais ma
vie va empirer du fait de l’absence à mes côtés de son soutien, lui auprès
de qui je me déchargeais de mes peines et devenais d’humeur plus facile ;
je vais être malheureux de ne plus l’avoir près de moi  ; mais que Kelsos
soit heureux et pour moi advienne que pourra : de toutes façons, son sort
me consolera du mien. Pour l’instant donc, sa mère, moi et bien d’autres le
retenons, parce qu’il lui est possible, avant l’hiver, et de nous faire plaisir
et de partir vers vous136. La tablette qui le concerne l’a précédé, à la suite
de quoi tu feras les démarches habituelles en veillant à ce que la dépense
soit raisonnable137. Nous trouvions, en effet, plus gratifiant pour lui d’aller
là-bas citoyen accompli plutôt qu’en passe de l’être.
132. Le sénat de Constantinople, héritier de l’ancienne Boulé de Byzance, connaissait alors
une évolution  : déjà Constantin l’avait transformé en un sénat de type romain et, sous
Constance, il trouva son véritable statut institutionnel. Dans le cadre de sa campagne de
recrutement de sénateurs, Thémistios cherche à attirer les notables les plus riches et les
plus influents des cités : ceux qui l’acceptent trahissent, aux yeux de Libanios, l’héritage
hellénique en choisissant la loi des maîtres au mépris de l’idéal civique transmis par les
ancêtres.

133. Expression proverbiale pour désigner un succès obtenu sans effort ; elle est employée
par Platon, Lois, 8, 829 e.

134. Constantinople.

135. Expression homérique que l’on retrouve, par exemple, dans l’Anthologie Palatine 6, 341,
1.

136. La famille et les amis avaient, en effet, cherché à le retenir à Antioche pendant
l’automne pour qu’il parte juste avant le mare clausum, c’est-à-dire l’interdiction de
naviguer de novembre à mars.

137. La dépense désigne en réalité la préture* par laquelle il faut passer pour devenir
« citoyen », condition sine qua non de l’accès au sénat  ; or la préture impose de lourdes
charges financières, ce qui revient à payer une sorte de droit de citoyenneté  ; ici,
Thémistios peut faire pression sur les censuales pour que l’impôt ne soit pas trop élevé. La
tablette de nomination (deltos) est sans doute le codicille de clarissimat (titre des
sénateurs).
Lettre 30 (80 F) automne 359

à Anatolios138

Dénigrer les sophistes est chez toi une habitude, et ancienne ; la Pythie
aurait dû aussi subir cela pour que soit fait ce qui convient à ta nouvelle
situation. Les sophistes comme la Pythie parlent donc pour toi : « Ne cesse
pas de dénigrer qui vaut d’être honoré ! » Quant à moi, confiant dans ton
amitié, j’écrivais et te disais de bien te porter, sans demander rien qui
outrepasse ton pouvoir, mais des choses telles que tu en dispensais
largement chaque jour à ceux qui en étaient dignes comme à ceux qui ne
l’étaient pas. Mais puisque, au lieu de m’aider, tu m’as envoyé une lettre
pleine d’enfantillages, je pensais que le temps était venu pour moi de
n’écrire ni pour une faveur ni pour autre chose. Et je ne me réjouissais pas
moins que toi, qui en étais délivré, que tu sois délivré de la maladie139 ; il
était possible, je suppose, de se réjouir même sans écrire  : ce n’est pas
parce que l’on n’écrit pas que l’on ne se réjouit pas, et, de même que,
parmi ceux qui ont écrit qu’ils se réjouissaient, il était possible, peut-être,
d’en trouver un qui ne se réjouissait pas, de même il était possible de se
réjouir même en silence. Mais toi, tu avais besoin d’un flatteur, pas de
quelqu’un qui se réjouirait par amitié. Et en disant ignorer pourquoi j’ai
cessé d’écrire, tu dépasses la première injure par une seconde : alors, en
ne me jugeant pas digne de sollicitude, et maintenant en ne sachant pas
que tu m’as négligé. Et tu as agi d’une manière qui n’est pas étrangère à
ton pouvoir140  : en effet, vous, dans votre fortune brillante, vous ne
pensez même pas léser ceux que vous lésez, pensant qu’il vous convient à
vous d’outrepasser la mesure, à eux de partout se prosterner. Est-ce que
tu vois qu’il vaudrait mieux pour toi ne pas remuer la fange141 ? Mais, en
réalité, désirant que je rompe le silence sur toi-même, tu l’as rompu en
toute conscience de ce qui était fait, cela, parce que loin d’être sot, tu ne le
cèdes même pas à Ulysse142 en ruses. En envoyant de l’or à Optatos143, tu
reçois nos éloges, mais comme, espérant par l’or le rendre éloquent, tu as
envoyé cent statères144 alors qu’il était possible d’en envoyer mille, tu
n’obtiens pas d’éloges. Si, en effet, ceux que tu as envoyés n’ont pas peu de
valeur, tu serais plus utile en envoyant davantage, mais même ce peu est
important chez nous, et la dépense est en proportion de la somme.
138. Après une lettre de reproche du préfet qui critiquait la manie louangeuse de Libanios,
celui-ci s’est justifié par une très longue lettre (Let. 24*). Depuis, les relations sont
tendues et le préfet semble froissé.

139. Anatolios a reproché à Libanios de ne pas lui avoir envoyé de mot d’encouragement


pendant sa maladie. Libanios lui rétorque en fustigeant son goût du pouvoir et des
flatteries  : le ton et la franchise que s’autorise Libanios avec ce très haut personnage
prouvent la familiarité de leur relation, mais aussi les réticences de Libanios.

140. Le terme grec d’exousia désigne le pouvoir d’agir, qui peut aller jusqu’à la licence  :
Libanios stigmatise là les mœurs des puissants et des hauts fonctionnaires.

141. L’image qu’emploie Libanios est celle d’une plante nauséabonde, l’anagyre (anagyris
fœtida).

142. Iliade, 17, 32.

143. Un étudiant dont Anatolios paye les études dans l’école du sophiste.

144. Libanios désigne ainsi des solidi, monnaies d’or de 4,55 g.


Lettre 31 (37 F) début de l’hiver 359/360

à Modestos145

Peu s’en est fallu que je ne brise le lien que sont les étudiants, mon
métier et les maux de l’enseignement et que je ne sois venu avec ces
excellentes gens qui ont été traînées en justice, tant la peur nous a
secoués, la cité et moi146. Car c’est la fleur de la cité que la famille de ces
gens-là. Mais en réfléchissant à qui les convoquait et auprès de qui ils
viendraient, nous pouvions nous persuader qu’ils toucheraient un port,
non un écueil ; aussi avons-nous respiré, nous disant les uns aux autres :
«  Que pourrait-il venir de mal du noble Modestos  ?  » Que tu sois noble,
l’ensemble de tes actes nous en a persuadés, mais surtout ceux-là mêmes
dont participent les circonstances présentes. En effet, tu as hérité d’une
affaire qui, tombée entre les mains d’un gouverneur trouvant quelque
plaisir à faire du mal, aurait allumé un vaste incendie, et tu as fait paraître
le calme quand on attendait la tempête, accordant aux uns d’être
ajournés, aux autres d’être totalement libérés, et tu n’as pas non plus
laissé la rapacité faire une orgie des orphelins. Toi aussi tu as pleuré à
l’arrestation de la sœur de ces hommes que tu détiens aujourd’hui, et tu
faisais le vœu qu’elle nous soit sauvée et peut-être ne seras-tu pas déçu.
Deviens donc pour eux encore une nouvelle Hermioné147 et ce jugement
que tu avais formé tiens-le pour règle. Nous instruisons les autres par des
exemples extérieurs, mais si toi tu suivais les tiens propres, tout irait bien
pour nous. Pour bien des raisons, je tiens à ces hommes et il n’y en aura
aucune de ne pas tout faire pour eux. Nous avons, en effet, hérité l’amitié
de nos pères et ses droits sont allés en augmentant  : moi qui étais
autrefois le condisciple d’Antiokhos148, je forme aujourd’hui son fils
unique dans mon école. J’étais aussi condisciple – quoique plus âgé –
d’Arsénios jeune et, maintenant qu’il est devenu adulte, le mérite de son
caractère me l’a rendu très proche : aujourd’hui ce que je tais aux autres,
je ne le tais pas à lui. Et du troisième, que pourrais-je dire de plus probant
sinon qu’il ne déshonore pas de tels frères, possédant peu, mais ne
s’affligeant pas que ce ne soit pas beaucoup, honorant la tranquillité et
pratiquant la loyauté envers les amis ? Ces hommes-là, ô nourrisson149 de
la Justice, renvoie-les nous indemnes et vite, les gardant, entre autres,
d’être livrés aux chiens1507.
145. Comes orientis *  ; en tant que juge d’appel, au-dessus des iudices ordinarii (juges
ordinaires), il présidait le procès de Scythopolis, en Palestine, dans lequel furent
impliqués de nombreux notables d’Alexandrie et d’Antioche.

146. Ce procès porta sur des accusations de haute trahison et de magie ; il y avait à Abydos,
en Égypte, un sanctuaire oraculaire d’Osiris-Sarapis et de Bès que les Grecs fréquentaient
et qui fonctionnait selon le procédé de la question écrite. Ce fut-là la source des tracas
pour les consultants et surtout pour ceux qui appartenaient aux cercles du pouvoir, car
certains de ces textes furent rapportés à l’empereur. Constance, très soupçonneux, voire
obsédé par d’éventuels complots contre lui, dépêcha le notarius Paulos, dit « la Chaîne »,
pour mener l’enquête et préféra confier la présidence du procès à Modestos, juriste de
formation, plutôt qu’au préfet du prétoire* Hermogénès, jugé trop indulgent. Bien des
accusés risquaient la peine de mort et furent soumis à la torture  ; la divination et la
magie étaient en effet interdites par les constitutions impériales de Constance et l’une
d’elles, en particulier (Code Théod. IX, 16, 6, de 358), autorisait la torture même contre
« les personnes investies de charges officielles », si elles pratiquaient la divination ou la
magie ou approchaient ceux qui les pratiquent. Car cela revenait à «  porter quasiment
atteinte à la majesté impériale elle-même ». On comprend donc les alarmes de Libanios et
ses efforts pour porter secours à ses amis.

147. Le sanctuaire de Déméter et Coré à Hermioné, en Argolide, était lieu d’asile.

148. Antiokhos II appartenait à une grande famille liée à celle de Libanios. Père d’Arsénios
3, frère d’Arsénios 2, il avait été le condisciple de Libanios ; notable de la cité, il participa
à l’organisation des Olympia* de 356 et fut ambassadeur avec Pompeianos 3. Libanios
défendait là des personnes qui lui étaient très proches, par leur éducation commune et
l’amitié familiale ; on peut se demander cependant pourquoi toute la famille d’Antiokhos
était impliquée : était-ce par crainte de complots « familiaux » ou pour mieux éradiquer
la foi païenne que ces vieilles gené défendaient ?

149. Le mot thrèmma est emprunté au vocabulaire de la tragédie : par exemple, Sophocle,
Œdipe roi, 1143.

150. Allusion à la confiscation des biens ; entre 356 et 364, on sait que les biens de tous les
condamnés à mort allaient au fisc : Code Théod., IX, 42, 26. C’est en outre une citation de
Sophocle, Ajax, 830.
Lettre 32 (112 F) début 360

à Thémistios151

Notre Dorothéos152 m’a pressé d’écrire à de nombreux


correspondants, pensant que de nombreuses personnes lui vaudraient de
nombreux avantages  : l’un, en effet, se montrerait peut-être amène,
l’autre empressé, un troisième courageux, un autre encore influent, et il
obtiendrait ainsi de belle façon le miel de ses désirs153. Je lui dis, moi, qu’il
n’avait pas besoin d’écrire à de nombreuses personnes, mais à un seul, qui
possédait tout cela. Qu’est-il en effet de plus aimable que Thémistios ? Qui
honore à ce point les Tyndarides154 par son zèle envers les étrangers  ?
Chez qui ‹trouve-t-on› autant de dévouement  ? Que n’a-t-il mené à son
terme de ce qu’il a entrepris ? Et lui, quand il a entendu ce nom, exultant
et souriant, a dit que tel était son désir, mais qu’il jugeait que l’affaire le
dépassait, ce pourquoi il n’avait pas fait la demande. Sache bien, pourtant,
que Dorothéos est digne de cela et d’encore plus important : or une seule
chose, je crois, pèse plus que ton influence  : celle des dieux155 Et il s’est
naturellement ménagé leur bienveillance par son mérite envers ses amis.
Cet homme, en effet, nous a sauvé la maison d’Argyrios156, que tu aimes et
qui t’admire, en étant soumis à toutes les contraintes157, mais triomphant
par sa fermeté de la cruauté de Phalaris158 et préférant mourir, s’il l’avait
fallu, plutôt que de causer du tort à son compagnon. Il vit, grâce à la
Fortune, mais quand les grêles de coups s’abattaient sur lui et
maltraitaient ses épaules, lui et ceux qui y assistaient avaient pour ‹seul›
espoir qu’il dût mourir sur l’heure. Ayant gardé à l’esprit (il est en effet de
ceux qui ont reçu la paideia) quelle gloire, pour prix de quels dangers
courus en faveur de leurs amis, certains des plus lointains Anciens ont
acquise159, il ne perdit pas son compagnon d’un mot mensonger, mais par
sa juste dénégation il l’arracha aux coups des épées et il y offrit son propre
corps par amitié. Désormais, quand tu te réjouis de voir Obodianos,
associe-lui Dorothéos dans la pensée que tu tiens celui-là de celui-ci, qui a
montré les qualités des philosophes alors qu’il mène un autre type de vie.
Quel homme se serait-il montré s’il avait été philosophe  ? Aussi est-il
célébré comme évergète de la cité  ; et désormais tout ce qu’il obtient
grâce à toi, c’est la cité qui l’a obtenu. J’aurais des milliers d’autres choses
à dire, parmi lesquelles le plaisir extrême qu’il prend à écouter les
discours et sa non moindre aptitude à en juger. Mais je ne voudrais pas
dire de petites choses sur de plus grandes, surtout quand tu vas m’écrire à
ce sujet.
151. Toujours dans le cadre du procès de Scythopolis, petite ville de Palestine, procès
intenté à tous ceux qui avaient contrevenu aux lois de Constance sur l’interdiction de la
magie et de la divination  : voir Let. 31* et 33*. De nombreux amis et connaissances de
Libanios furent inquiétés, voire mis à mort. Il plaide ici pour Dorothéos qui n’a pas trahi,
sous la torture, le curiale* Obodianos, suspecté.

152. Dorothéos n’est pas connu par ailleurs.

153. Le miel est l’image de quelque chose d’agréable : voir Let. 20*.

154. Les jumeaux Castor et Pollux, déjà présentés comme «  hospitaliers  » dans Pindare,
Olympiques 3, 1.

155. C’est-à-dire l’influence décisive dont pèsent les dieux sur les destins des hommes.

156. Argyrios était le père d’Obodianos, curiale* influent très dévoué à sa patrie comme
ambassadeur et organisateur des Olympia *, à plusieurs reprises.

157. Dorothéos n’est dans le cadre du procès qu’un témoin ; or l’emploi de la torture était
autorisé même pour les témoins, en particulier dans les cas de lèse-majesté et de magie.

158. Le tyran d’Agrigente réputé pour sa cruauté.

159. Platon, République, 10, 600 e.


Lettre 33 (114 F) début 360

à Datianos

Cette cité est plus grande que notre cité et de beaucoup plus grande160,
et encore plus belle qu’elle n’est plus grande  ; elle l’emporte non
seulement sur la nôtre, mais même sur toutes les cités par les dons qu’elle
reçoit de la mer : cela est indéniable, mais ce qui nous arrive, je ne te le
cacherai pas. On pensait, chez nous, que ce dieu, rapide sur ses ailes et
puissant par ses flèches161, t’avait porté vers celle-ci plutôt que vers celle-
là. Il agit de même sur les corps des hommes  : souvent, l’un néglige un
corps blanc et un nez aquilin pour se donner à un corps noir et à un nez
camus, l’Amour trouvant, je crois, sa volupté dans l’étrangeté. Et celle-ci
est à notre avis, quoi que tu en dises, celle que tu aimes, mais celle-là,
l’aquiline162 et l’impériale, sans être négligée, n’est pas l’objet d’une telle
flamme. Cette opinion n’est pas absurde, apprends-le. Si, entre deux
femmes, un homme accordait davantage ses faveurs à l’une et moins à
l’autre, à laquelle dirais-tu qu’il s’est le plus attaché  ? N’est-ce pas à
l’évidence celle à qui va la dépense la plus grande et le plus grand regret ?
«  Certes, moi, dit la ville, tu m’as parée de nombreuses maisons comme
autant de colliers, et de nombreux bains, les uns à l’intérieur des murs, les
autres juste devant les portes, tu as planté des jardins et tu as construit
des salles de banquet, remèdes pour le plaisir ; et voici des servantes qui
m’entourent de tous côtés : les demeures champêtres, elles aussi pleines
de beauté  ; mais toi, après tant de dépenses, tu t’es tourné d’un autre
côté163 ? » Et si notre cité dit cela, si notre ambassadeur le dit – et il le dira,
car notre cité l’a mandaté – que répondras-tu ? Tu ne seras peut-être pas
en difficulté pour parler, bien pourvu que tu es de facilités dans les
situations difficiles, mais notre affaire n’est pas d’entendre un discours,
quel que soit celui que tu tiennes, c’est de voir ce dont nous avons besoin.
Pense que l’ambassade a cette double mission  : d’abord nous rendre le
sauveur qui a grandi chez nous164 et ensuite le Nestor de l’Empereur165 Ne
démens donc pas les brillantes promesses d’Obodianos qui est parti en
ambassade en disant qu’il te convaincrait complètement. Or, chaque fois
que tu feras son éloge auprès des gens de là-bas, tu glorifieras aussi toute
la curie par l’intelligence de cet homme, car c’est l’âme qui fait
véritablement la beauté d’un homme plus que son apparence ; quant à toi,
apporte ce couronnement à tes nombreux bienfaits en lui permettant de
nous donner la nouvelle  : «  Comme je l’ai dit, comme j’en ai convaincu,
l’homme est proche. » En accueillant celui qui a le nom de Calliopé166 – en
effet, l’oiseau de Zeus ne saurait rester loin de Zeus – nous serons amicaux
parce qu’il t’a préféré à sa patrie, mais, parce qu’il ne vous a pas, lui et toi,
depuis longtemps ramenés vers elle malgré une telle éloquence, nous
récriminerons. Pourtant l’amende, si tu l’ordonnes, nous la remettrons167.
160. Constantinople. Cette lettre adressée au puissant Datianos, conseiller de Constance,
offre une comparaison entre la Grande cité et Antioche. Elle prend tout son sens dans ces
années du milieu du IVe siècle où, si la métropole syrienne ne peut plus prétendre au
titre de capitale de l’Empire d’Orient, elle est à plusieurs reprises résidence impériale et,
par sa position privilégiée, le centre d’événements importants et le point de départ des
expéditions contre les Perses.

161. Éros, le dieu de l’amour.

162. Allusion à la courbure de Constantinople, c’est-à-dire à la Corne d’Or : l’auteur joue sur


l’adjectif gruptos, courbe, aquilin.

163. P. Petit, VM, p. 172, pensait que Datianos jouait le rôle de « patron » d’Antioche, même
si rien n’atteste qu’il en ait porté le titre. Il a manifesté son évergétisme par plusieurs
constructions ou programmes urbanistiques dont Libanios loue la beauté et l’ampleur.

164. Constance.

165. Une ambassade se rend, en effet, à Constantinople pour demander à Constance de


venir honorer Antioche de sa présence à l’occasion des Jeux de 360. Elle est conduite par
Obodianos, l’un des plus prestigieux curiales* (voir Let. 32*), dont le fils Argyrios est
agonothète* en titre. Libanios invite également Datianos à revenir à Antioche, sa patrie,
et assortit sa demande d’un compliment précieux  : Datianos est à l’Empereur ce que
Nestor fut à Agamemnon, un conseiller plein de sagesse et d’éloquence.

166. Calliopios 2 avait suivi Datianos, comme l’aigle suit Zeus, et abandonné sa patrie ; son
nom évoque Calliopé, la Muse tutélaire de la cité d’Antioche, qui patronnait les activités
rhétoriques, d’où l’allusion aux dons oratoires inutiles de Calliopios  ; la fin de la lettre
cache sous le ton plaisant et l’aimable flatterie une réelle amertume.

167. Métaphore du procès et de la peine infligée à l’ingrat.


Lettre 34 (150 F) 360 ?

à Andronicos168

«  La mesure est la meilleure des choses  », dit-on, et la formule est


attribuée au Pythien169. Parce que tu rends, entre autres par le nombre
des curiales, les cités plus puissantes, tu agis bien. Mais si quelqu’un est
appelé au grand sénat170 et devient, au lieu de Phénicien, autre chose de
plus prestigieux, ne prive pas ce dernier de sa chance et ne pousse pas
l’amour de tes administrés au point de haïr ta propre cité171. Que
Fraternos aussi soit donc dispensé des liturgies172, car il aura bien vite des
dépenses dans la Grande cité. Je n’ai pas encore vu cet homme, mais je le
considère comme un ami, et il va avoir pour parent mon ami et élève
Apprigios173, qui m’a frappé, pendant l’année de ses études, par sa probité
et son goût pour l’éloquence, et notre cité aussi par l’éclat ‹donné› à sa
chorégie. Je serais tout à fait injuste de ne pas aider ce jeune homme, et je
le trahirai s’il ne paraît à Fraternos digne de rien ; or il paraîtra médiocre
si, alors que tu as le commandement et moi le pouvoir de te convaincre,
l’homme qui doit lui donner sa fille subit une injustice ; Apprigios croira,
en effet, à mon mépris  : car tu ne me refuserais jamais un service. Alors
rends-le, mon plus cher compagnon – tu prends, en effet, plaisir à
entendre ce nom plutôt que le titre de ton commandement – et, en une
seule action, honore la justice, sers ta cité et évite le déshonneur à cet
homme.
168. Consularis* de Phénicie en 360, Andronicos 3 a pour charge de recruter des curiales* et
de prévenir les désertions de la curie*. Libanios est ici, comme à plusieurs reprises, mis
en pleine contradiction avec son idéal civique – qui l’invite à défendre le rôle et les
responsabilités des curiales* – par son souci d’aider ses amis ou élèves à échapper à ces
lourdes charges.

169. Apollon Pythien, le dieu de Delphes.

170. Celui de Constantinople : voir Let. 29*.

171. Andronicos était originaire de Constantinople, la «  Grande cité  », comme la désigne


toujours Libanios.

172. C’est-à-dire les charges curiales.

173. Originaire de Constantinople, il doit épouser la fille de Fraternos, appelé comme


sénateur.
Lettre 35 (154 F) 360

à Modestos174

Voici mes poulains, que je t’ai confiés en les menant hors des prairies
des Muses : les uns appelés par toi, les autres qui ne l’ont pas été ; je juge
heureux les uns de l’honneur que tu leur fais, les autres d’aspirer à être
dans ton cercle  : car ils montrent, eux qui courent de leur propre
mouvement, qu’ils auraient mérité d’être de ceux que tu as appelés. De
tous, prends donc soin : des riches, pour qu’ils acquièrent la gloire, et des
pauvres, afin qu’ils aient aussi les richesses. Mais tu dois être plus attentif
à ceux que tu n’as pas cru dignes de cet honneur, songeant que pour les
uns, il est sans grande importance de rester silencieux175, mais que les
autres n’ont qu’un seul moyen de se consoler : gagner leur vie en parlant.
174. Voir Let. 11*, 27* et 31*. Comme P. Petit en fait le commentaire, Les Étudiants de
Libanius, p. 159 : « Modestos puisait régulièrement parmi les promotions de Libanios ses
jeunes avocats, mais il avait tendance à offrir les places aux riches seulement et Libanios
s’attache surtout à l’avenir des plus dépourvus. »

175. Parler, c’est plaider, seule ressource pour les plus pauvres.


Lettre 36 (163 F) début 360

à Modestos

Ce sont de belles récompenses qui attendent les gouverneurs s’ils


doivent être malheureux et léser leurs propres intérêts en s’occupant des
intérêts communs, pour subir, en échange, violence, condamnation,
disgrâce et dangers176 ! Voilà ce qui a récemment cerné un homme à qui
tu n’a nullement dénié ton estime et qui a vécu parmi nous,
Tryphonianos177. Il était, en effet, prêt à partir vers Chalcis pour obliger
les paysans de là-bas à remplir leurs obligations178 et, alors qu’il se tenait
sur le départ, une nuée l’a enveloppé, suscitée par Oursoulos. Lui sont
tombés dessus des hommes venus de sa part qui, entrant impudemment
dans sa chambre, recherchaient de l’or et criaient de payer ‹une somme›
d’or que tu ne peux imaginer. Le maître n’apparaissant nulle part, le
tumulte était considérable, sa femme fut frappée de frayeur et peu s’en
fallut que le bébé ‹qu’elle portait› en son ventre ne vînt avant terme. Tout
ce qui est en notre pouvoir nous le faisons, en compatissant avec notre
ami, mais toi qui as plus de moyens, tout en partageant notre peine, porte-
lui secours seul, en te montrant obligeant et en usant de ton influence.
Que le premier signe de cette faveur soit de ne pas prendre avec colère
son retard, ou plutôt de détourner ta colère sur ceux qui ne l’ont pas laissé
partir ; et le second de lever l’amende qui lui a été infligée. Ce que nous
demandons n’est pas pour des irrésolus, mais ce que tu fais chaque jour
n’est pas non plus à la portée d’irrésolus, ni même d’aucune volonté, sinon
la tienne. Ne t’étonne donc pas si, toi qui nous montrais autrefois ta force
jusque dans les situations les plus impraticables, tu es, par ceux qui l’ont
constatée, sollicité pour d’autres ‹occasions› semblables à celles-là. Mais
ayant considéré d’où vient la condamnation, agis en dénonçant l’affaire
ainsi que l’importance de l’amende, pour me faire honneur et aider un
gouverneur qui est malmené, ce qui t’apportera à toi la gloire, à moi le
réconfort et aux siens le salut.
176. Allusion aux pressions financières qui s’exercent sur les gouverneurs de la part du
Trésor.

177. Tryphonianos 2, ami de Libanios, consularis* de Syrie en 359-60 ; comme il était accusé


d’avoir commis quelque faute dans l’exercice financier de sa charge, Oursoulos 1, comes
sacrarum largitionum*, fit perquisitionner chez lui et lui infligea une lourde amende.

178. C’est-à-dire à payer leur dû.


Lettre 37 (283 F) 360 ou 361 ?

à Démétrios179

J’ai publié deux discours, et les deux discours sont complets  : le


dernier de polémique, le plus ancien d’éloge180. Tu pensais que, par
crainte du vacarme de quelque geai181, j’avais préféré me taire et que
j’étais devenu ingrat à l’égard de mon oncle. Ce n’est pas le cas  : au
contraire, ce qu’il n’y avait pas de danger à exposer au public a été dit en
public. Mais la troisième partie du discours exigeait des amis sûrs182, à qui
je n’ai offert que quelques sièges, toutes portes fermées, et faisais la
lecture, en leur demandant, si quelque chose leur semblait beau,
d’admirer en silence et de ne pas attirer la foule par leurs cris. Et jusqu’à
présent, je salue Adraste183, aucune crainte n’a surgi. Qu’y a-t-il à
craindre, désires-tu savoir  ? Phasganios a arraché la cité à celui qui
régnait alors, tu sais avec quelle bouillante nature184  ; or il n’était pas
possible de montrer l’ampleur du secours fourni par celui-ci sans montrer
l’ampleur de la cruauté de celui-là ; cela a donc été montré et le discours a
reçu l’accueil attendu. Mais la crainte est que, si cette partie s’accorde
bien au discours, ce bien n’engendre un mal pour son auteur. Car même
mort, cet homme185 a de l’influence à travers celui qui vit186. Aussi
quiconque ne désire pas le barathre187 choisira de cacher le discours
plutôt que de trembler en le livrant. Que la livraison de ce discours-ci soit
donc différée  ; l’autre, tu le recevras d’un excellent de nos compatriotes
que personne ne devançait dans le désir de prendre ‹la lettre›. Et voici
pour toi les éléments par lesquels j’ai disputé d’un point de l’œuvre de
Démosthène et deux introductions, l’une que tu réclames et l’autre qui,
peut-être, ne te déplaira pas188.
179. Démétrios 2 possédait une culture littéraire et échangeait ses œuvres avec Libanios ; il
fut consularis* de Phénicie sans doute avant 358. Cette lettre pose un problème de
datation : A. F. Norman, Libanius, Selected Letters, vol. 2, p. 45, la situe en 360, peu après la
mort de l’oncle Phasganios (automne 360) et O. Seeck, Briefe, p. 377, en 361.

180. Éloge de son oncle Phasganios, mort quelques mois auparavant. Le discours


comprenait plusieurs sections : la première était le panégyrique, qu’il pouvait divulguer,
la suite était un discours critique contre ses adversaires et en particulier le César* Gallus ;
cette dernière partie ne pouvait être lue qu’en privé à un petit nombre d’amis sûrs.

181. Image du bavard impudent.

182. C’est une pratique habituelle chez les sophistes du temps que la réunion en auditorium
strictement privé : Autobiographie, 101.

183. Expression proverbiale, citée par Platon, République, 5, 451a, et qui est l’équivalent de
notre « Je touche du bois ».

184. Sur les excès du « règne » du César* Gallus, voir Ammien Marcellin, 14, 7, 2. Phasganios
et le préfet du prétoire* Thalassios 1, qui abhorrait le César, avaient rallié autour d’eux la
curie* contre Gallus.

185. Gallus, mort en 359.

186. Julien, cousin de Gallus.

187. Lieu d’exécution des condamnés à mort à Athènes.

188. Frag., 14, 15, 16 (t. XI, éd. R. Foerster).


Lettre 38 (196 F) été 360

à Modestos

Ce portique, large, long, élevé, cher à Dionysos, puisses-tu le mener à


son terme comme tu l’as prévu, puisse-t-il rester fermement debout aussi
longtemps que la race humaine et préserver le nom de celui qui l’a
érigé189. Pourtant, ô bienheureux, ne veillons pas seulement à ceci  :
accomplir de grandes choses, mais aussi à n’affliger personne dans ce que
nous accomplissons. Car, aujourd’hui, il en est qui se plaignent, je les ai
moi-même entendus, et je ne te le cacherai pas afin que, si je parais dire
quelque chose ‹de sensé›, tu mettes un terme à ce qui est en train de se
passer. Les colonnes de Séleucie, tu as ordonné aux uns de les transporter,
aux autres tu l’as demandé comme une faveur190. Or qui a parlé ainsi
laissait maître de l’alternative celui qu’il sollicitait. La curie remplit son
office en silence, mais parmi ceux qui ont été en poste191 les uns font la
même chose que ceux-là192 et assurent le transport, mais il en est qui
trouvent la tâche redoutable, eux qui ont la dignité requise, mais pas les
moyens. Ils appellent le portique « le mur du Préfet » et il est fortement à
craindre que ce qu’on appelle aujourd’hui faveur ne tourne en nécessité
lorsque les gens à venir invoqueront le précédent, et on finira par le
reprocher à son initiateur193. Alors, si tu le veux bien, procédons ainsi  :
lance un appel aux volontaires, tu trouveras en effet des gens qui le
veulent, parce qu’ils le peuvent, et tu ne mécontenteras pas ceux qui ne
peuvent pas. Ainsi personne ne maudira l’entreprise. Puisses-tu construire
de petites choses à la satisfaction de tous plutôt que de les accabler avec
les murailles de Babylone194.
189. Dans la tradition d’évergétisme du monde gréco-romain, tous les hauts personnages se
devaient d’honorer leur patrie par des bienfaits qui prenaient souvent la forme tangible
de monuments ou d’aménagements d’utilité publique. Ils attachaient ainsi leur nom à des
édifices de prestige, selon un jeu subtil de contrainte et d’initiative dans lequel les
notables se laissaient faire violence par ambition et goût de la gloire (voir P. Veyne, Le
Pain et le cirque, Paris, 1976). Mais le système s’était perverti, en ce milieu du IVe siècle,
car au lieu de financer eux-mêmes leur généreuse initiative, les gouverneurs ou hauts
fonctionnaires la faisaient souvent reposer sur leurs administrés, devenus littéralement
« corvéables ». Ainsi le puissant comes orientis* Modestos impose-t-il des corvées illégales
à des honorati* et à la curie*. Le portique «  cher à Dionysos  » devait se dresser dans le
voisinage du sanctuaire de Dionysos, lui-même proche, peut-être, du théâtre de Dionysos,
situé au bas des pentes du mont Silpios, non loin de la grande rue à portiques (voir plan
d’Antioche).

190. Le transport des colonnes se faisait par l’Oronte, pendant la saison navigable, le
printemps, l’été ; les bateaux remontaient leur charge depuis Séleucie de Piérie, le port
d’Antioche (20 km). Le transport des colonnes comme d’autres matériaux faisait partie
des « services extraordinaires » (munera* extraordinaria).

191. C’est-à-dire les anciens fonctionnaires, qui sont honorati*.

192. Les curiales*.

193. On devine, à travers les remontrances de Libanios, certaines facettes du personnage de


Modestos : le sophiste n’ignore sans doute rien de la brutalité, de l’absence de scrupules
ni de l’ambition égoïste du personnage, comme le suggère son plaidoyer pour l’idéal
civique qui passe par le consensus social.

194. Les murailles de Babylone sont le symbole de la construction gigantesque (Hérodote, I,


178) ; l’archéologie a montré que la réalité était à peine inférieure à la légende.
Lettre 39 (217 F) été 360

à Andronicos195

Mon cousin est au terme de sa liturgie et la coutume veut que les


dernières manifestations soient aussi les plus belles dans une telle
liturgie196. Et lui, dans le beau souci du toujours mieux, veillera à le
manifester dans chacune des réalisations, non seulement en offrant des
prix plus importants qu’auparavant ou en faisant mettre à mort plus de
bêtes sauvages, mais encore en faisant venir de partout ceux qui les
combattront : car c’est y apporter le couronnement absolu. Or le toujours
mieux en matière de chasseurs est pour l’essentiel en ton pouvoir, car la
Phénicie enfante des experts en cet art : ce sont eux, si tu le veux bien, que
nous emploierons ; si tu ne le veux pas, nous serons boiteux en cela et on
portera le blâme non pas sur nous qui n’avons pas réussi, mais sur celui
qui oublie ses amis. Car nul n’aura ignoré que nous recrutions des
hommes là-bas ni auprès de qui nous sollicitions la faveur ; si rien ne nous
vient, on saura à cause de qui cela ne vient pas et ce ne sera pas à ton
avantage. Tu aimes la Phénicie ; je le sais moi aussi, et avec moi le savent
la terre et la mer. Mais c’est encore aimer la Phénicie que de nous
permettre de servir une cité si importante197. Et si ‹les chasseurs›
produisent quelque effet admirable en triomphant par l’intelligence de la
nature des bêtes198, le spectateur, dans le plaisir de la performance, louera
la Phénicie ! Ne va donc ni nous déshonorer, ni lui faire de tort à elle, ne
saisis pas non plus pour prétexte la lettre de Modestos199 pour ne pas nous
accorder cette faveur, car elle a été envoyée selon quelque ancienne
procédure ; nous ne nous fions pas à elle, mais au fait que tu veuilles que
notre famille paraisse tenir son rang200. Et maintenant, s’ils sont envoyés
de ta part, personne ne paraîtra avoir accordé cette faveur avant celui qui
les a envoyés. Il aurait fallu que mon oncle soit encore vivant et t’écrive
aujourd’hui avec moi ou du moins t’écrive seul : car cela aurait suffi et il
n’est rien qu’alors tu n’aurais fait201. Mais puisqu’il a disparu, songe en ton
for intérieur que s’il n’est pas possible à un mort d’écrire, il lui est possible
de se réjouir même après sa mort. Car tu sais l’opinion des poètes sur de
tels sujets. Envoie donc les hommes et tiens quelque compte des filles de
Dionysos et de Coronis202. Donner ce qu’il n’est pas digne de donner est
condamnable, mais repousser totalement les Grâces n’est pas grec.
195. Andronicos 3, consularis* de Phénicie auprès de qui Libanios appuie la demande de son
cousin, peut-être le fils de l’oncle maternel Panolbios. Cependant, le gouverneur
demeurait soumis à l’autorité de son supérieur, le cornes orientis*, Modestos.

196. Il s’agit de la syriarchie, munus* confié aux principales* de la curie (Code Théod., XII, 1,
103) et qui consiste pour l’essentiel en l’organisation des concours olympiques que le
syriarque* préside. C’est une liturgie* particulièrement prestigieuse. Les chasses
(uenationes), intégrées tardivement aux concours olympiques, en étaient la dernière
épreuve et le «  clou  » du spectacle. Des doutes subsistent sur cette uenatio de 360  : se
déroulait-elle effectivement dans un contexte olympique  ? En fait, l’épreuve n’eut pas
lieu, finalement interdite par décision impériale, le castrensis sacri palatii*, Eusébios 15,
ayant interdit de tuer les fauves réservés pour les uenationes personnelles de l’Empereur.

197. Antioche.

198. Le goût des foules d’Antioche pour les chasses est souvent signalé par Libanios, qui
n’est pas lui-même un fervent adepte de ces spectacles violents. Il reconnaît qu’on peut
néanmoins y trouver une valeur morale, l’esprit l’emportant sur la « nature des bêtes ».

199. Modestos avait déjà émis un avis défavorable sur le recrutement de chasseurs


phéniciens ; Libanios, cependant, croit pouvoir passer outre l’avis du haut fonctionnaire,
maître des affaires de l’Orient ; il incite Andronicos à fournir malgré tout les chasseurs de
Phénicie et lui fait miroiter la gloire qu’il retirerait d’une telle initiative.

200. Les grandes familles d’Antioche peuvent, en effet, manifester leur philotimia*, et la


gloire qu’elles tirent de l’organisation des concours est à la mesure de la passion des
foules.

201. Phasganios, l’oncle maternel de Libanios, avait assumé lui aussi l’organisation des
Olympia* en 336.
202. Allusion à une version moins connue de la légende des Grâces qui en fait les filles de
Dionysos et de Coronis, sa nourrice devenue son amante. Le sophiste joue en tout cas sur
les sens du mot grâce (charis), le sens mythologique et le sens moral.
Lettre 40 (252 F) fin 360

à Thémistios

Si tu veux tenir Olympios203 pour le meilleur des hommes, tu auras


raison ; mais si tu le mets au rang des riches, tu ne jugeras pas la réalité ;
ayant constaté cela, les Romains l’ont admis parmi eux, mais l’ont
exempté d’impôt. Et je ne dis pas cela pour que, chez vous aussi,
l’exemption lui soit accordée (en effet, votre cité n’a pas encore été
instruite de telles choses204  : il le faudrait pourtant dans cette cité où tu
vis et participes aux affaires publiques205), mais parce qu’il est juste que
celui qui ne paye rien là-bas ne contribue pas chez vous plus qu’il ne peut.
Et celui-ci, ce n’est pas seulement une contribution excessive, mais celle
dont un autre est redevable qu’il est contraint d’assumer, parce qu’il
s’appelle Olympios comme l’autre, à cause de qui il est mis en pièces. La
crainte de Mantithéos206 n’était donc pas vaine et il n’a pas dépensé un
discours pour une médiocre cause si notre homme, alors qu’il n’est pas du
même père, connaît des ennuis parce qu’il a le même nom. On dit
qu’Olympios207 avait été désigné comme chorège ‹du spectacle› aux plus
grosses dépenses, mais le nôtre ne pourrait assumer cette dépense-là, ni
celle que vous considérez comme la seconde, et j’ajouterais, pas même la
troisième sans peine, et cela, si on l’y invitait selon la loi208. Mais ce sera
pour plus tard  : en effet, ceux que vous avez récemment retirés à leur
mère (c’est ainsi que vous appelez Rome, à bon droit), l’Empereur leur a
accordé un report. Ne rends pas acceptable que l’on en prive Olympios : tu
ne dirais pas non plus que tu ne l’aimes pas et il est naturel à celui qui
aime de porter secours209.
203. Olympios 3, d’une grande famille curiale d’Antioche  ; alors qu’il était consularis* de
Macédoine, il avait été inscrit de nom au sénat romain (sans obligation de résidence) et
avait bénéficié d’une exemption de l’impôt sénatorial en raison de son peu de fortune. À
l’occasion de son transfert au sénat de Constantinople, il cherche à obtenir les mêmes
avantages, dont la non-obligation de résidence. Or, il se trouve astreint aux charges
curiales à cause d’une confusion avec un homonyme, plus riche.

204. Nous sommes dans une période transitoire où toutes les dispositions législatives
n’étaient pas encore prises pour faire de l’ancienne Boulê de Constantinople un sénat de
type romain (voir Let. 29*).

205. Comme sénateur.

206. Allusion à un plaidoyer de Démosthène, Contre Boiotos, dans une affaire d’usurpation de


nom entre demi-frères, Mantithéos étant le fils légitime lésé.

207. L’homonyme.

208. Il s’agit des trois prétures* (voir Let. 29, fin), étapes nécessaires pour accéder au sénat :
dignités assorties de lourdes obligations financières, dont l’organisation des concours,
que Libanios appelle «  chorégie  » (la première préture est la flavialis, la seconde, la
constantiniana et la troisième, la triumphalis).

209. Cette fin de lettre pose un problème de texte  : d’après la leçon des manuscrits
Vaticanus gr. 85 et Vossianus gr. 77, on peut lire philounta, celui qui aime (sujet) et se passer
du pronom auton restitué par R. Foerster.
Lettre 41 (293 F) 361

à Modestos210

Mes compagnons, tes avocats, que je t’ai confiés, qui ont ton estime et
sont ceux qui justement portent cette lettre, voilà que des hommes, que
j’ai souvent soustraits à ta légitime colère, tentent par décrets211 de les
arracher de tes portes  ; en plus, ils ont enlevé Eusébios et traînent déjà
l’autre de force vers une liturgie qui exige un corps bien portant212. Or
Agroikios est en si bonne santé qu’il a laissé aux médecins le plus d’argent
du monde, ayant toujours besoin des mains d’un médecin. En outre, les
deux frères ont cinq sœurs qui restent à la maison et dont l’âge réclame de
jeunes époux, mais à qui la pauvreté l’interdit. Car la bonne naissance est
de nos jours peu de chose. Songeant que ce serait pour moi une honte si je
ne pouvais porter secours à mes amis, et qu’il n’est pas noble à toi qu’une
ancienne loi portant secours aux rhéteurs soit abolie sous ton
commandement, persuade les plus impudents de ceux qui gouvernent la
cité que tout ne leur sera pas permis.
210. Libanios lui recommande deux curiales* d’Arménie, ce qui révèle que le pouvoir du
comes orientis* s’étendait jusqu’à la curie* d’une petite cité d’Arménie. Il demande pour
eux l’exemption des charges curiales.

211. De la curie.

212. Voir Let. 638 F, à Agroikios et Eusébios.


Lettre 42 (632 F) automne 361

à Gérontios213

C’est bien de nous aimer et de nous regretter, nous et notre cité, mais
ne décrie pas l’Égypte et ne cherche pas non plus à quitter ton
commandement. Car si nous disons bienheureux ceux à qui il a été donné,
comme particuliers, de voir le Nil et les choses du Nil, l’Égypte et les
choses de l’Égypte, comment considérer celui qui commande à de telles
régions et qui peut parcourir, en même temps qu’il y porte de grands
soins, la terre et les cités, les ports, le fleuve, les canaux et les
embouchures, et fixer partout des preuves de son mérite et de sa
prévoyance ? Assurément le peuple des Alexandrins, même avec à sa tête
un bon gouverneur, le rendrait fou, mais toi, tu es de telle valeur, parvenu
que tu es au plus haut degré de pensée, d’éloquence, de science juridique
et de désir du bien, que je compte que tous les bienfaits accordés avant toi
paraîtront peu de chose en comparaison de ceux que les Égyptiens
recevront de toi. Si tu t’affliges de ne pas nous voir, songe que nous en
sommes au même point, et console-toi avec un plus bel ami d’être privé de
nous. Plus bel ami, Eudaemon, le poète, ne sait pas moins l’être qu’il ne
sait la beauté des poèmes. Celui-ci fixera aussi pour l’éternité les exploits
de ton commandement.
213. Arménien, de culture littéraire, qui vécut à Antioche auprès de Libanios ; il avait été
nommé préfet d’Égypte (préfet augustal), après avoir beaucoup espéré un poste, mais il
semblait désormais le regretter.
Lettre 43 (636 F) été 361

à Anatolios214

Une telle impudence ne s’est pas manifestée au bord de l’Istre215, près


des Scythes, ni au fin fond de la Libye216, mais en Phénicie, la région la
plus civilisée de toutes, sous des lois établies, des fonctionnaires préposés
aux affaires et un empereur qui vit en armes pour que toute violence soit
proscrite217. Un certain Loukianos, homme de petite situation, qui
extorque de l’argent à quelques paysans, s’est comporté comme Denys, le
tyran de Sicile, ou le fameux Gélon218 à l’immense puissance, et a saccagé
le mariage de notre Eustathios219, pauvre et qui a épousé une femme
pauvre, mais dont la vertu le consolait ; il l’a épousée alors que sa cité était
détruite (il est de Nicomédie), mais sa femme lui a apporté son caractère
en dot. Or cet homme partit, sur l’ordre d’Elpidios220, conduire des
hommes qui devaient rendre des comptes, et Loukianos, ayant porté des
regards illégitimes sur celle qui habitait à côté, n’osa pas lui envoyer
quelqu’un ni faire mention de son amour – il savait en effet qu’il ne la
convaincrait pas – mais il enjoignit à sa fille de fréquenter cette femme.
Les voilà étroitement liées et souvent la fille de cet homme venait chez
elle, sachant bien la raison de ce qui se faisait : ainsi élevait-il sa fille. Un
jour, celle-ci invite aussi ‹l’autre› chez elle, réclamant la pareille, mais la
femme n’était pas capable de soupçonner ce qu’elle était si éloignée de
faire : elle obéit et se trouva derrière les portes, ou plutôt dans le filet. Cet
insolent l’ayant enfermée dans sa chambre et lui ayant dit qu’elle devait
saluer la Fortune si, elle qui faisait sa vie de ses propres mains, couchait
avec un homme qui pouvait la lui offrir, quand il la trouva toute armée de
vertu et qu’il ne put la convaincre par ses promesses ni l’impressionner
par ses menaces, il en vint aux mains et à la force. Mais elle le repoussait
loin d’elle et son caractère lui faisait transcender sa nature. Alors
Loukianos, ô dieux, dégaina une épée ; mais, elle, ne se louait que de ceci :
pouvoir mourir avant d’être déshonorée. Quand il remarqua qu’elle
perdait aussi ses esprits, il appela des serviteurs et leur ordonna
d’apporter des cordes ; elle était attachée sur le lit et, au milieu de ses cris,
il abusa de son corps. Si donc, après avoir commis ce forfait, il avait jeté sa
victime dans un puits, comme, à Leuctres, les Spartiates pour celles qu’ils
avaient violentées221, son adultère le rendrait scélérat, mais en s’efforçant
d’effacer ce qu’il a fait, il paraîtrait craindre les lois ; en réalité, comme s’il
montrait ostensiblement qu’il n’avait aucune crainte, même si toi, même
si Modestos, même si Elpidios, même si tout le monde était au courant du
méfait, il renvoie la femme en se moquant. Celle-ci ayant avoué le tout à
son mari – car par chance il venait de revenir – lui demanda de la tuer, car
après une telle disgrâce, elle ne pouvait vivre honorablement. Mais lui la
confia à des gens qui la surveilleraient pour qu’elle ne se tranchât point la
gorge et venu ici, sachant que j’aimais Nicomédie quand elle existait et
que je la pleure morte, il me demanda d’informer Modestos et de l’inciter
vivement par écrit à poursuivre, là-bas, l’adultère en justice. Or moi, je
l’envoie auprès de toi dans la pensée que la première démarche exige
beaucoup de peine, mais que l’autre aura la même exactitude, sans la
peine222. Mais, ô le plus sage et le plus juste ‹des hommes›, qui as une
épouse et élèves des enfants légitimes, montre qu’il est quelqu’un pour
empêcher une telle impudence.
214. Anatolios 4 est alors consularis* de Phénicie. Libanios s’adresse à lui plutôt qu’à
Modestos le cornes orientis* qui doit être surchargé de travail. L’affaire relève d’ailleurs du
gouverneur en première instance. Cette lettre est présentée par J.W.H.G. Liebeschuetz,
Antioch, 1972, p. 19, comme une courte ecphrasis, c’est-à-dire une description. Il est très
rare, chez Libanios, qu’une lettre soit le support d’un récit aussi circonstancié et «  pris
sur le vif ».
Le Danube  ; les Scythes sont, dans la vision manichéenne des Grecs qui opposent le
215. 
monde civilisé au monde barbare, l’archétype même des Barbares.

216. Considérée comme l’extrémité du monde habité.

217. Constance a mené campagne trois années de suite, à partir d’Antioche, pour tenter
d’enrayer la menace perse.

218. Denys l’Ancien, tyran de Syracuse (430-367) et ami de Platon, célèbre pour sa politique
autoritaire et expansionniste. Gélon fut un autre tyran de Sicile, mais au VIe s. Il régna
sur Géla, puis sur Syracuse et domina une bonne partie de la Sicile.

219. Le porteur.

220. Eustathios était au service du préfet du prétoire, Elpidios 4.

221. Allusion à l’enlèvement des filles de Skedasos de Leuctres par deux Spartiates  :


Plutarque, Questions morales, 773 d.

222. À l’intercession de Modestos, qui risque d’être laborieuse, s’oppose celle d’Anatolios.
Lettre 44 (647 F) 361 ?

à Basile223

Et comment pourrais-je oublier ces jours, ces discours et ces


applaudissements ? Car cette courte période est gravée en moi : elle vaut
bien des années et m’est plus agréable que toute fête  ; mais bien des
choses pourraient, je crois, ébranler un homme dans son zèle224, surtout
dans une si grande ville et dans la grande agitation qui peut aussi nous
submerger. Tu dois donc te réjouir si tu reçois une lettre, mais s’il
t’arrivait de ne pas en recevoir, imagine tout plutôt que mon indifférence
envers toi. Quant aux étudiants, pour lesquels tu es venu à nous, aime-les
non seulement par souci d’eux, mais pour l’amour de moi.
223. Le problème de l’identité de ce Basileios a été longuement débattu et est lié à celui de
l’authenticité de la correspondance du futur saint Basile avec Libanios ; on peut admettre
avec P. Petit, Étudiants, p.  125-126, qu’il s’agit bien d’une lettre authentique à Basile le
Grand qui a vraisemblablement enseigné aussi à Nicomédie dans les années 350 et aurait
envoyé, ensuite, des étudiants à Libanios.

224. Envers ses amis : Basile a dû lui reprocher d’être oublieux de ses amis d’autrefois.
Lettre 45 (661 F) 361

à Fortounatianos225

« Au nom de la Terre, du Vaste Ciel au-dessus de nous226 » et j’ajoute


aussi, si tu veux bien, du Styx et des autres dieux, je jure que cette lettre227
a été reçue en temps voulu et qu’il n’y a eu aucun artifice. Quant à toi, tu
n’as peut-être pas raison de ménager tes serviteurs au détriment de tes
amis et, pour disculper ceux-là d’une façon blâmable, de couvrir ceux-ci
d’accusations228. Mais pour la défense de ces derniers nous ferons valoir le
droit un peu plus tard229, une fois que Kelsos230 aura donné son verdict ;
quant à la fête de Bacchos231, sache qu’elle est amputée de l’essentiel par
ton absence. Il n’est, en effet, personne à qui nous puissions parler à cœur
ouvert, mais il faut se taire ou bien se repentir d’avoir parlé et en vouloir à
sa langue parce qu’elle a laissé échapper ce qu’il valait mieux ne pas
dire232. Je pense que toi aussi tu es passé par le même ‹dilemme›  : le
silence ou la peur. Pour que nous profitions donc de toi, toi de nous, et les
uns et les autres de liberté réciproque, ouvre les portes des bouches en te
montrant en personne.
225. Ancien condisciple de Libanios, originaire de Cappadoce, et païen convaincu.

226. Iliade, 15, 36.

227. Kelsos 3, arrivant à Antioche, a apporté une lettre de Fortounatianos.

228. Allusion à la transmission de la lettre précédente évoquée dans la lettre 650 F, sans


doute mal assurée par des serviteurs.

229. Citation de Platon, Banquet, 175 e.

230. Voir Let. 29* : Kelsos 3 est sénateur de Constantinople. Allusion au climat de suspicion
et de terreur de la fin du règne de Constance.
231. Dionysos (Bacchus pour les Romains).

232. Odyssée, 14, 466.


Lettre 46 (664 F) fin 361

à Thémistios233

Apprenant que tu affermis les lois dans les procès, que tu uses de
douceur envers les gens bien, mais de colère envers ceux qui sont
passibles de justice, que tu contribues au bonheur des peuples par les
agréments des théâtres, je me réjouis que ce qui est difficile à la nature te
soit facile à toi : bien gouverner. Considère que le salut apporté à la famille
de l’excellent Sévéros234 n’est pas pour toi un moindre honneur que ceux
que j’ai mis à ton compte. En effet, ce ne sont pas les riches seuls qui
rendent les cités brillantes, mais aussi tous ceux qui ont accepté de se
dépenser pour l’éducation  : il est l’un d’eux, lui qui bénéficie de tes
bienfaits ; je dirais même que sont plus importants pour la gloire des cités
ceux qui détiennent ce bien-là235 que ceux qui possèdent les autres. Que
les citoyens ne considèrent donc pas même Sévéros, fils de Sévéros,
comme moins utile que s’il pouvait assumer une liturgie et, quand tu les
empêches d’aboyer, qu’ils ne prennent pas pour un châtiment ce profit,
qui honore ton jugement et qui est un bien pour eux tous.
233. Thémistios 2, nommé tout jeune praeses* de Lycie. Ancien élève de Libanios qui lui
recommande déjà Sévéros dans la lettre 309 F où il écrit qu’« il serait scandaleux que la
puissance de ses anciens élèves ne soit pas utile à ses amis  »  ! Sur le gouvernement de
Thémistios en Lycie qu’il restaura, voir Discours 62, 55.

234. Sévéros était originaire de Lycie et avait été condisciple de Libanios à Athènes ; il se


consacrait à la rhétorique et à la philosophie  ; il aspirait à un poste pour lequel son
ancien compagnon intercéda pour lui. Le plaidoyer de Libanios sur le rôle primordial de
l’éducation dans la vie des cités est à la fois conventionnel et profondément sincère.

235. La paideia* opposée aux richesses.


Lettre 47 (694 F) 362

à Maxime236

Ce que j’aurais fait pour Socrate, si j’avais vécu au temps de Socrate,


quand les bêtes fauves, ces trois sycophantes, l’attaquaient, cela, je
pensais devoir le faire encore aujourd’hui pour un émule de Socrate237.
J’aurais accompli et fait l’un et l’autre, non dans la crainte qu’un sort
terrible n’attende les accusés – car il n’est nullement terrible pour les
philosophes d’être délivrés du corps, c’est au contraire le plus grand bien
– mais en sachant l’immense profit qu’est pour les hommes un philosophe,
à peine moindre que le commerce des dieux avec les humains, quand ils
délibèrent et agissent avec eux, comme nous l’entendons dire aux poètes.
Voilà précisément pourquoi je hais le cercle d’Anytos  ; mais pour ta
défense, j’invoquais les dieux : telle était l’alliance que je te proposais et,
par cette sollicitude, je n’offrais pas une faveur, j’y répondais. Je pense que
tous les hommes aussi te doivent une faveur. Car tu es le bienfaiteur
universel de la terre et de la mer, partout où elles ne sont pas barbares, toi
qui as formé et modelé un empereur en tout point éminent, de sorte que
ceux qui tenaient auparavant les morts pour bienheureux voudraient
désormais atteindre la vieillesse d’Arganthonios238, et souhaitent pour lui
d’abord cette vieillesse-là. Je crois que tu es maintenant à ses côtés pour
ton plaisir, non pour ta peine : tu n’as rien, en effet, à corriger de ce qu’il
fait, mais tu te réjouis de chaque acte accompli selon toute vertu. En
disant que tu viendras chez nous et en le promettant, tu as mis notre cité
en émoi dans la pensée qu’elle pourrait voir le spectacle de Phénix suivant
Achille239. Mais mon image ne paraît pas juste. Comment, en effet, cette
paire peut-elle égaler celle-là  ? Je vais donc chercher à loisir une image
adaptée ; quant à vous, arrivez, et montrez-vous à ceux qui désirent vous
voir, puisque déjà votre précurseur, le bon Pythiodoros240, a obtenu une
large estime de la part des cités. Il a, en effet, amené le culte des dieux à
son zénith, en arrosant de sang chaque autel et en montrant qu’il faut
sacrifier avec confiance. Et ceux qui jusqu’alors hésitaient le suivent avec
enthousiasme. Que celui-ci se rende donc partout pour poursuivre son
action241  ; pour ma part, je pouvais faire passer ma réponse par de
nombreux ‹porteurs›, mais il m’a paru préférable de te l’envoyer par un
homme proche de celui qui a apporté les nouvelles de là-bas, pour qu’en
cela je t’imite. Et je pense ne pas déroger en inscrivant Fortounatianos242
dans le chœur des philosophes. Rien peut-être ne le lui interdira, ni la
chlamyde, ni le visage rasé243.
236. Maxime d’Éphèse, philosophe néoplatonicien et théurge, qui jouait auprès de Julien le
rôle d’«  éminence grise  » et que Libanios soupçonne de l’avoir desservi auprès de
l’Empereur, entraînant ainsi le refroidissement de ses relations avec Julien au début de
362.

237. Comparaison entre la charge d’impiété qui porta sur Socrate et les risques encourus
par des philosophes néo-platoniciens comme Maxime dans les dernières années du règne
de Constance. Les trois accusateurs de Socrate étaient Anytos, Lycon et Mélétos. Libanios
composait, la même année, une Apologie de Socrate.

238. Souverain du royaume mythique de Tartessos, en Espagne, qui aurait vécu cent vingt
ans et régné quatre-vingts : cf Hérodote, 1, 163.

239. Homère, Iliade 9, 485. Phénix était le précepteur d’Achille, ce qui appelle la


comparaison avec Maxime et Julien.

240. Il a apporté la nouvelle de la nouvelle orientation politique et de ses répercussions


religieuses (restauration du paganisme) dans la capitale.

241. Après être venu à Antioche, Pythiodoros, le bien nommé (« don du Pythien », c’est-à-
dire d’Apollon), se rend à Alexandrie.

242. Voir Let. 45*.

243. Allusion à la tunique longue et à la barbe traditionnelle du philosophe que


Fortounatianos ne porte pas.
Lettre 48 (701 F) début 362

à Ioulianos244

Si ‹chacun› avait son dû, tu serais depuis longtemps à la tête de ce


commandement, et aujourd’hui dans une situation plus importante que
celle-ci, mais la Fortune se plaît, je crois, à négliger les meilleurs et à
gratifier les plus médiocres, et passe son temps à faire comme si elle
craignait que nous n’ayons oublié sa puissance. Tu n’ignores pas que j’ai
autant de plaisir à parler qu’à te retrouver dans mon auditoire (car tu sais
exulter à mes discours), mais la foule de mes affaires ne m’a pas autorisé
une foule de lettres. Nombreux sont, en effet, ceux qu’il faut aider et qui,
sautant par-dessus l’influence de bien des gens, se réfugient auprès de ma
faiblesse, dans une démarche insensée qui leur fait chercher un secours de
bois de figuier245 au lieu d’Hermioné246. Mais c’est une nécessité pour moi
de me mettre à disposition ‹d’autrui› : que peut-on faire d’autre ? Alors, je
suis quelque peu utile à ceux qui me sollicitent, mais j’y consacre du
temps et vous n’avez pas autant de lettres que vous le souhaitez.
244. Oncle de Julien, tout récemment nommé comes orientis*.

245. C’est-à-dire de bois léger.

246. Le sanctuaire de Coré et de Déméter à Hermioné, lieu d’asile pour les suppliants, était
devenu le symbole proverbial du refuge sûr. Libanios fait allusion à sa santé, mauvaise en
cet été 362.
Lettre 49 (710 F) printemps 362

à Bacchios247

Ceux qui ont vu les manifestations de ta générosité envers Artémis


sont plus heureux, mais ces nouvelles nous ont, à nous aussi, donné de la
joie, et si cette joie n’égalait pas la leur, elle était à peine moindre  ; le
porteur de ta lettre m’a rapporté ce qui s’est passé : d’où tu as ramené la
déesse248, en quelle apparence et en quelle parure, tout cet appareil à tes
frais. Et il a rappelé les offrandes, le sanglier d’argent et la biche, il a décrit
le bel ordre de la procession, la foule des banqueteurs, le nombre de jours
passés à boire et le plus beau : le noble Démétrios, dit-il, y a ajouté le festin
de son éloquence249. Si bien que je sautais de joie et me félicitais avec toi
des soins rendus à Artémis. Quant à toi, puisses-tu transmettre cette
prêtrise à tes fils et puissent terre et mer jouir pour toujours de ce retour
des sacrifices.
247. Bacchios de Tarse est un vieil ami de Libanios et du rhéteur Démétrios, son concitoyen.
Suivant la volonté de Julien, il a œuvré pour la restauration des cultes en organisant, en
grande pompe, les fêtes d’Artémis à Tarse. Il assurait la prêtrise du culte, mais il dut
prendre lui-même en charge une partie des dépenses, comme le souligne Libanios  : la
piété envers les dieux était désormais une démarche individuelle et non plus civique.

248. Bacchios avait en effet dissimulé la statue de la déesse pendant les persécutions de


Constance : voir Let. 712 F : « À toi seul, tu as pu dissimuler la statue. »

249. La fête en l’honneur d’Artémis était inaugurée par un panégyrique d’Artémis que
prononça Démétrios.
Lettre 50 (723 F) 362

à Kelsos250

La loi exige des médecins une seule liturgie, celle de leur art  ; mais
Philon est traîné vers la curie par les Rhodiens, alors qu’il a, autrefois,
relevé beaucoup d’entre eux de leurs maladies251. S’ils ignorent donc que
Philon est médecin, qu’ils l’apprennent et cessent  ; mais s’ils le forcent
sciemment, Philon est peut-être sans forces, mais puissante est la loi252.
250. Praeses* de Cilicie en 362.

251. Comme Libanios en appelle à l’autorité de Kelsos 3, gouverneur de Cilicie, cela


implique que Rhodes faisait partie, administrativement, de la Cilicie.

252. La loi est, en effet, depuis l’époque des Antonins, et cela a été confirmé par Dioclétien
et Constantin, que les armateurs, les médecins et les professeurs jouissent de l’atélie,
exemption des charges curiales* et des magistratures (en latin  : excusatio*). Cela
n’empêchait pas cependant de siéger à la curie*  ; on peut citer l’exemple de Iulius
Ausonius, père du poète mosellan Ausone, qui était médecin et appartenait à deux curies,
à Bazas et à Bordeaux, tout en étant dispensé des charges (Ausone, 11,2, 5-6).
Lettre 51 (724 F) 362

à Hésykhios253

Que je ne désire pas moins que vous, les prêtres, voir les temples
recouvrer leur beauté, tu le sais, je pense, mieux que d’autres ; cependant
je ne voudrais pas que se fasse au prix de la destruction de maisons ce qui
pourrait se faire aussi en les laissant en place, de sorte que ce qui existe
reste debout, ce qui est en ruine soit relevé, et que nous n’embellissions
pas les cités d’un côté pour les mutiler de l’autre254. Or il est facile de s’en
prendre à la maison de Théodoulos, mais elle mérite d’être épargnée, car
belle et grande comme elle est, elle rend notre ville plus belle que
d’autres, surtout que Théodoulos n’a pas mis en pièces le sanctuaire sous
le coup de la violence ou de l’ivresse, mais qu’il l’a acheté à des vendeurs
en payant le prix, réalisant une affaire qui était accessible à tous ceux qui
avaient les moyens d’acheter. Ceux qui savent tout de Théodoulos disent
qu’il a souvent effectué de tels achats, et ils pensaient qu’il fallait recourir
au tribunal ; mais moi, vous connaissant, je ne les ai pas laissé chercher de
meilleurs juges que vous, sachant que votre décision sera une décision qui
montre que vous vous souciez de la divinité et que vous ne négligez pas la
cité. S’il se trouve donc une solution mesurée, faites-nous le savoir pour
que nous vous en louions.
253. Cette lettre se place dans le cadre de la restauration du paganisme et de la restitution
des biens aux temples païens voulues par l’Empereur, car, depuis Constantin et en
particulier sous Constance, les sanctuaires avaient subi bien des dégradations, des
spoliations et même des démantèlements au profit des édifices privés. Hésykhios était un
prêtre qui a dû faire partie «  d’une sorte de commission chargée de trancher les cas
litigieux » (P. Petit).
Julien ordonna la restitution des pierres et des colonnes qui avaient été vendues.
254. L’exécution de ces mesures fut d’autant plus délicate que bien des éléments
architecturaux étaient intégrés à de nouvelles constructions. Libanios est bien conscient
que pour servir les cultes des dieux on risque d’outrager la ville et il est partisan, avec
beaucoup de bon sens, d’une application mesurée et respectueuse des équilibres
urbanistiques.
Lettre 52 (731 F) 362

à Hyperékhios255

Je me suis réjoui avec toi et avec ton père : avec lui de sa générosité
envers toi, avec toi de la satisfaction que tu lui apportes, si bien que de son
vivant il t’institue maître de tous ses biens, mais, sur le second point, si je
peux te décerner les mêmes éloges, ce n’est plus le cas pour lui. Car si tu
gardes en mémoire notre culture littéraire et analyses l’affaire
correctement, tu es à même de servir256 ta patrie, ce qui te vaudrait gloire
et puissance et, avant celles-là, de remplir tes devoirs envers ta famille.
Mais lui t’envoie jeter ton bien à la mer ! Car si tu ne dois pas, là-bas257,
trouver un avantage important qui compense ta dépense et si tu dois
perdre chez toi ton influence, pour avoir dépensé d’un autre côté, en quoi
tes richesses ne sont-elles pas perdues par la décision de celui qui les a
données ? Persuade-le donc de ne pas imiter la vache du proverbe et de ne
pas répandre d’un coup de pied le lait tiré258 ; car, outre le dommage fait à
ta fortune, tu te feras aussi du tort vis-à-vis de ta cité. Si, au contraire, tu
participais, comme curiale, aux luttes quotidiennes auprès des
gouverneurs, tu serais meilleur et ce flot ‹d’éloquence› que l’on admire
aujourd’hui, tu le travaillerais plus. Mais si tu fais ce qu’il croit, tu te
priveras d’une partie non négligeable de ton bien et tu vivras dans la
paresse et le sommeil le reste de ta vie, voyant que les biens de tes voisins
augmentent, mais que tu n’as rien obtenu qu’un titre vide. Tente toute
démarche, toute demande auprès de ton père et ne le laisse pas remporter
une victoire cadméenne259. Que ta mère aussi soit de ton côté – j’entends
dire qu’elle est sensée – et qu’on dise que la décision de celui-ci ne me
plaît pas non plus  ; car, peut-être qu’averti, il abandonnera une opinion
malavisée, qu’il me semble avoir forgée récemment d’après son propre
désœuvrement. Étant donné qu’il passe le plus clair de son temps dans les
montagnes, à la chasse, il a en horreur les sueurs qu’imposent les luttes
sur l’agora. Qu’il les fuie, lui, mais qu’il te laisse combattre  ! Je crois, en
effet, que désormais ce n’est pas Maximos, l’ami de la campagne, qui doit
participer aux affaires, mais Hyperékhios, le fils de Maximos, qui sait en
supporter le vacarme. Tel est mon conseil et j’affirme qu’il vous sera utile ;
si jamais j’ai l’air de dire aujourd’hui des bêtises, plus tard, du moins, vous
louerez cet avis qui fera honneur au conseiller, mais qui ne sera plus utile
à celui qui le loue260.
255. Élève de Libanios, d’une famille curiale d’Ancyre. Le sophiste déploya bien des efforts
pour lui, l’incitant d’abord à rester curiale*, puis cherchant un peu plus tard à lui obtenir
un poste de fonctionnaire avec l’appui de nombreuses lettres de recommandation, mais
toujours sans succès  ; sans doute s’illusionnait-il sur la valeur de son «  poulain  » ou
chercha-t-il désespérément à conjurer le sort.

256. Assurer les liturgies* que sont les charges curiales.

257. À Constantinople où son père souhaite le voir devenir sénateur.

258. Allusion à un proverbe qui nous est inconnu, mais l’image est parlante et celle du lait
répandu est célèbre.

259. Expression proverbiale pour désigner une victoire aussi désastreuse pour les
vainqueurs que pour les vaincus.

260. Problème de texte  : la traduction ne tient pas compte de la négation insérée par R.


Foerster devant epainounta (« celui qui le loue ») d’après le Vaticanus gr. 83, mais qui ne
figure pas dans les autres manuscrits.
Lettre 53 (736 F) mi-362

à Kelsos261

L’empereur t’avait à peine quitté qu’il me rencontra et peu s’en fallut


qu’il ne passât près de moi sans un mot, le temps et la maladie ayant altéré
mon visage262. Mais son oncle et homonyme263 lui ayant dit qui j’étais, il
eut un mouvement admirable, sur son cheval, et m’ayant saisi la main, il
ne me lâchait plus, m’inondait de plaisanteries plus charmantes et
agréables que des roses, et moi-même je n’arrêtais pas de plaisanter. Mais
lui était admirable à la fois par ‹les plaisanteries› qu’il disait et par celles
qu’il acceptait. Puis, s’étant reposé un peu et ayant réjoui la ville par des
courses de chevaux, il m’enjoignit de parler ; et je parlai parce qu’il m’en
priait, non sur mon insistance  : il en fut charmé, confirmant mon
préambule. Je disais, en effet, dans ce préambule, que son amitié lui ferait
tenir toutes mes paroles pour belles et c’est ce qui est arrivé. Mais, toi
aussi, tu es de ceux qui font des discours264 et qui en ont reçu le verdict,
alors que les dieux étaient auprès de toi et t’assistaient depuis leurs autels,
te procurant du courage pour t’échauffer  ; mais tu as été si éloigné de
m’envoyer le discours que tu ne ‹m’› as pas même écrit que tu l’avais
prononcé, et c’est à Olympios que tu as dit, en feignant l’ignorance, que tu
l’avais délivré, mais à nous pas même cela.
261. Kelsos 3, praeses* de Cilicie où il accueillit Julien en juin 362 et lui offrit un discours ; il
avait accompagné l’Empereur jusqu’à la frontière de sa province avec la Syrie où une
délégation envoyée par Antioche, capitale de la province, et dont faisait partie Libanios,
attendait le prince (18 juillet 362).

262. Julien n’avait pas vu Libanios depuis le séjour du sophiste à Nicomédie où ils se sont
rencontrés et sans doute fréquentés, vers 349 (Julien se serait trouvé dans la ville de 349 à
351) et Libanios rapporte plus tard (Disc. 18, 13-15) que Julien aurait alors trouvé un
« passeur » pour lui faire parvenir la copie des cours du sophiste.

263. Comes orientis* ; voir Let. 48*.

264. Allusion au discours prononcé à l’arrivée de Julien en Cilicie.


Lettre 54 (763 F) mi-362

à Belaios265

Orion266 est devenu mon ami dans les années antérieures, ma mère
nous réunissant ; je crois qu’il est honnête homme et n’imite pas plus qu’il
ne blâme ceux qui usent mal de leur influence. J’entendais dire aussi des
habitants de Bostra267 qu’il n’est pas l’ennemi des sanctuaires, qu’il ne
pourchasse pas non plus les prêtres et qu’il a délivré bien des gens de
leurs malheurs, en établissant son commandement de la manière la plus
douce. Mais celui-ci, je l’ai vu aujourd’hui les yeux baissés et tout abattu.
Laissant couler des larmes avant de parler  : «  J’ai échappé difficilement,
disait-il, aux mains de ceux qui ont été bien traités sous ‹mon
commandement›, alors que je n’ai fait, tant qu’il était en mon pouvoir,
aucune peine à personne : or peu s’en faut que je n’ai été mis en pièces. »
Et il ajoutait l’exil de son frère, l’errance de toute sa famille, la terre à
l’abandon et le pillage des équipements. Je sais que l’Empereur ne veut
rien de cela, mais dit  : «  Si quelqu’un détient des biens sacrés, qu’il les
restitue », « s’il ne le fait pas, qu’il ne subisse ni déshonneur ni sévices. »
Mais c’est le fait, je crois, de ceux qui n’ont rien à incriminer que
d’expulser des terres, puisque ceux à qui il appartenait d’accuser, auraient
plutôt rappelé des exilés que fait en sorte de déplacer268. Et il n’est pas
mystérieux que ceux-là convoitent les biens d’autrui, en feignant de servir
les dieux. Au contraire, il est bien que le gouverneur – et surtout toi –
fasse revenir les uns par un édit et ordonne aux autres de ne pas faire de
qui ils veulent des «  proies de Mysiens269  », mais de rendre ce qu’ils
possèdent illégitimement, et de respecter à l’avenir les lois. Si tu faisais
cela, ô excellent, tu rendrais raison aux uns et tu contraindrais les autres,
en restituant à ceux-là leur bien et en rendant ceux-ci meilleurs. Et, alors
qu’Eucladios est revenu d’exil, Orion reviendra, et son bien dispersé
reviendra aussi  ; quant à moi, je semblerai ne pas avoir négligé un ami
frappé par le sort, et toi avoir obéi au conseil d’un ami.
265. Ancien professeur d’éloquence, praeses* d’Arabie, et païen convaincu auprès duquel
Libanios plaide le cas d’un chrétien de Bostra injustement traité.

266. Ancien gouverneur d’Arabie.

267. Voir la Let. 114 de Julien aux Bostréniens qui expose les idées modérées de l’Empereur :
«  Gardez-vous d’endommager ou de piller les maisons des gens qui se fourvoient par
ignorance plus que par conviction. » (Trad. J. Bidez). Libanios la cite en substance un peu
plus loin.

268. Opposition entre les profiteurs qui guettent les biens et les terres de leurs voisins sous
prétexte qu’ils sont chrétiens, et ceux qui ont respecté les consignes de Julien et
n’auraient pas poursuivi ni chassé autrui, même s’il y avait eu atteinte aux biens sacrés.

269. Voir Let. 5* : image qui désigne une proie facile.


Lettre 55 (797 F) 363

à Antipater270

Tu sembles désirer la lettre d’un méchant homme, soit que le temps


écoulé m’ait fait oublier un ami, soit qu’un quelconque succès m’ait affecté
de la même façon, et je m’étonne du moins que tu ne trouves pas
avantageux d’être débarrassé d’un homme qui souffre de telles maladies.
Je prends ma part du bonheur commun, gouverné par le meilleur
empereur ‹qui soit›, mais pour mes intérêts privés je n’ai surpassé aucun
de mes voisins ; en effet, je ne fais pas construire somptueusement271, je
n’achète pas un important domaine, je ne suis pas accompagné de
porteurs de baguettes qui frappent et terrorisent, je ne promets pas non
plus de grandes choses et je ne me suis pas vengé d’un ennemi. Quelle
arrogance me fais-tu l’injure de constater  ? Quel informateur ou quel
oracle t’a révélé une telle arrogance  ? J’entre chez l’Empereur si j’y suis
invité, nullement autrement, et ce n’est pas tout le temps. Une fois entré,
je l’écoute parler, car il est sirène et, quoi qu’il dise, cela ne le cède pas à
un discours composé. Je le quitte la pensée enrichie, et l’éloquence de
l’Empereur m’incite à l’éloquence. Tels sont les fruits de sa fréquentation,
mais le  : «  Mets un terme, Empereur, au commandement d’un tel, qu’un
tel obtienne un commandement, qu’un tel soit honoré, mais un tel privé
de ses biens  », toutes ces pratiques qui sont chez l’Adonis de Praxilla272
ont disparu ; désormais le nom de maître du pouvoir est vraiment devenu
une réalité. Assurément, même s’il y avait licence de telles ‹conduites›,
j’aurais été de ceux qui fuient l’arrogance comme un fardeau
insupportable273. Et tu me ferais confiance, en toute justice, si ce dont tu
m’accuses tu n’en étais atteint et n’avais oublié mon caractère. Et, certes,
voici qui est absurde  : souhaiter vivre dans les mêmes conditions, mais
avoir une conduite nouvelle que l’on n’a jamais eue auparavant. Rappelle-
moi, en effet, quelle lettre de toi nous est venue, en Syrie, avant celle-ci :
tu ne saurais le faire ! C’est donc que tu es devenu autre et, alors que tu
demandes aux dieux d’être le même, tu ouvres de toi-même une autre
route, plus agréable pour moi, mais contraire à tes prières. Ne cesse pas de
suivre cette dernière et de m’écrire, mais je souhaiterais que tu cherches
une accusation plus justifiée à mon sujet, et si tu n’as pas reçu de lettre,
que tu accuses tes serviteurs d’avoir été négligents plutôt que de croire
aussitôt que ton ami t’a trahi, lui qui voulait que tu obtiennes la prêtrise274
, mais qui a été vaincu par celui qui l’a devancé et dont le seul droit était
d’être passé le premier.
270. On ne sait rien de ce correspondant de Libanios sinon par cette lettre  : il n’aurait
interrompu un long silence que pour reprocher à Libanios de profiter égoïstement de sa
faveur auprès de Julien et d’en être gonflé d’orgueil. Libanios s’en justifie avec
indignation, et à plusieurs reprises, dans ses œuvres, il proteste de son désintéressement
sous Julien.

271. Sur la manie de construction des hauts fonctionnaires, avides de prestige, voir Let. 38*.

272. Poétesse de Sicyone qui décrivit Adonis aux Enfers regrettant, du séjour terrestre, le
soleil, la lune, les concombres, les pommes et les pois  ! L’anecdote passée en proverbe
désignait la parfaite stupidité.

273. Les protestations indignées de Libanios suggèrent en tout cas que de telles conduites
étaient répandues et que les intrigues ne manquaient pas autour du pouvoir.

274. Antipater était donc païen : on comprend son aigreur envers Libanios s’il estime ne pas
avoir obtenu de sa part le soutien nécessaire auprès de l’empereur.
Lettre 56 (802 F) mars 363

à l’Empereur275 Julien

Les reproches que j’ai adressés à la route – en effet, elle était difficile –
je m’en suis adressé autant et plus encore d’être revenu si vite, de ne pas
être allé jusqu’à l’étape même et de ne pas m’être donné de voir, le
lendemain encore, le soleil en même temps que ta divine personne276. Car
la cité, dans son malheur, ne pouvait pas non plus me consoler. Et quand
je parle de malheur, je ne veux pas dire la pénurie des marchés, mais le
fait que la ville ait été jugée méchante, détestable et ingrate et qu’elle
donne cette image à celui qui possède un si grand pouvoir et une
intelligence encore plus grande. Aussi longtemps donc qu’Alkimos277 fut à
mes côtés, j’avais quelqu’un pour recueillir mes propos, reproches faits à
moi-même et description des honneurs que j’ai reçus de toi. Mais quand
celui-ci est parti, c’est mon plafond que je prenais pour ami. Levant les
yeux vers lui, étendu sur mon lit  : «  Maintenant, disais-je, l’Empereur
m’appelait, maintenant j’entrais et je m’asseyais, car il me l’accordait,
maintenant je prenais la défense de la cité, car il m’était permis de
défendre auprès de sa personne ceux qui avaient indisposé l’Empereur.
Lui l’emportait par le bien-fondé de ses accusations et l’habileté de son
éloquence, et moi, qui aimais rivaliser, je n’étais ni pris en grippe ni
chassé.  » Telles étaient les pensées dont je me délectais, et je demande
d’abord aux dieux de te faire triompher de tes ennemis, ensuite de te
montrer à nous, ici, comme auparavant278. Il y a encore un troisième objet
à mes prières que ceux-ci ont entendu, mais que je ne te dirai pas  ; il
n’aurait donc même pas fallu dire cela : que je ne te le dirai pas, car tu es
capable de deviner ce troisième objet à ce que moi qui prie je cache l’objet
de ma prière279  ; et je crains justement que tu ne me demandes le
contraire. Mais, maintenant, traverse les fleuves, et plus redoutable que le
fleuve, fonds sur ces archers et, ensuite, délibère sur les affaires sur
lesquelles tu dis que tu délibéreras. Ne te fatigue pas à me faire plaisir par
tous les moyens possibles alors que je suis loin ; car, moi, je t’écrirai pour
faire venir tes lettres, écrites en plein combat, certain que cela serait bien
de ta nature à la fois de commander l’armée, d’infliger un désastre et
d’envoyer une lettre. Je suis tellement brimé par mon corps que je vais
écouter ce que je devrais voir. Mais Séleucos280, l’heureux homme, le
verra, lui qui a fait noblement passer avant sa vertueuse épouse et sa fille
adorée l’honneur de servir un tel empereur.
275. Littéralement autocrator, c’est-à-dire «  qui détient les pleins pouvoirs  », «  monarque
absolu », autre façon de désigner l’Empereur.

276. L’Empereur vient de quitter Antioche pour aller combattre les Perses (5 mars 363)  ;
Libanios essaye une fois encore de plaider la cause de ses concitoyens.

277. Voir Let. 2* : professeur de Nicomédie qu’une vieille amitié liait aux deux autres.

278. Allusion à la menace qu’avait proférée Julien de faire de Tarse la résidence impériale


au lieu d’Antioche.

279. Que l’Empereur se remarie et puisse avoir des fils qui poursuivraient son œuvre.

280. Séleucos 1 devait composer une histoire de l’expédition.


Lettre 57 (811 F) printemps 363

à l’empereur Julien

J’ai d’abord désapprouvé qu’Alexandros281 ait le commandement, je le


reconnais et je tenais pour un abus le fait que les moins estimés chez nous
aient en charge ces affaires qui, par le passé, n’étaient pas des choses bien
vues282, et non pour la tâche d’un gouverneur  ; mais je pensais que le
dommage envers les finances, même s’il était répété, rendrait notre cité
plus faible, et rien de plus. Or maintenant sa rudesse283 a produit ses fruits
et je chante une palinodie. En effet, ceux qui, avant midi, sont lavés et
endormis, les voici devenus en quelque sorte Spartiates, en leurs mœurs,
et endurants et, outre la journée, ils travaillent une bonne partie de la
nuit, comme s’ils étaient postés aux portes d’Alexandros. À ses cris depuis
l’intérieur voilà tout ébranlé, de sorte qu’il n’avait, je crois, pas même
besoin du fer284, ses menaces suffisant à rendre actifs et réservés des
paresseux et des impudents. Calliopé285 a été honorée aussi dignement
que tu le voulais, non seulement par des courses de chevaux, mais aussi
par les plaisirs de la scène ; on a sacrifié à la déesse dans le théâtre et, à
nos côtés, une part non négligeable ‹de la cité› y a participé, si bien que la
clameur est splendide et que les dieux sont invoqués dans cette clameur.
Et le gouverneur, en montrant sa joie d’une telle clameur, en appelle une
plus forte encore d’une foule plus nombreuse. Tel est, ô Empereur, le
pouvoir de cette divination qui enseignera aux hommes ce que chacun
doit faire pour administrer au mieux sa maison, sa cité, sa province ou son
Empire.
281. Alexandros 5, qui vient d’être nommé consularis* de Syrie, lors du départ de Julien pour
la campagne contre les Perses. Ce païen fanatique appliquait avec brutalité les mesures
religieuses voulues par Julien et Libanios ne se reconnaît pas dans ces méthodes.

282. Allusion aux tâches de police et au fait qu’Alexandros pressure les administrés ?

283. Celle d’Alexandros.

284. C’est-à-dire des armes.

285. Divinité tutélaire d’Antioche : voir Let. 33*.


Lettre 58 (1367 F) entre mars et juin 363

à Modestos

Tu vois quelles grandes choses produisent les mérites ? Vous êtes les
mêmes hommes qui commandiez auparavant et restez aujourd’hui
investis de confiance et, après le précédent règne, vous n’avez pas cessé
d’être comptés toujours parmi les responsables publics  ; la raison en est
que vous n’étiez pas de ceux qui ont acheté alors leurs charges ni de ceux
qui ont, au contraire, utilisé leur charge comme moyen d’échange, et ce,
alors que c’était possible et que ceux qui voulaient être justes étaient
tournés en dérision. C’est informé de cela, je crois, que cet homme divin et
haï des Perses286 t’a donné comme récompense d’une pauvreté consentie
ce qu’il y a de plus grand après le pouvoir impérial287 et à Ioulianos une
tâche exigeant la justice de Rhadamante288. Le but de ses préoccupations,
c’est la Bithynie, mais son affection le porte vers vous  : quand un si bel
ami était à proximité, il n’était pas homme à ne pas le rencontrer. Il jouira
donc de la plus agréable compagnie ; quant à nous, l’agent de mission289
nous a délivrés de grandes craintes, dans lesquelles les bruits mensongers
qui nous sont d’abord parvenus nous avaient plongés, par exemple que la
cité aurait subi de terribles choses et en aurait fait de terribles290. Il
m’annonça que certains sans-abri, des gens abjects, commettaient des
folies, mais que la plus grande et meilleure partie ‹de la cité› restait
mesurée  ; que tu n’as commis aucune erreur, que tu as laissé passer le
souffle et as mené rapidement les réconciliations  ; que ton retour a été
splendide et remarqué comme regorgeant de monde et d’éloges, et que
ton attelage était caché sous la foule qui l’encerclait avec des vivats. Voilà
donc ce que m’a dit l’agent de mission et moi je l’ai annoncé, un rapport
en chassant un autre et la vérité, son contraire. Mais ta lettre a traversé
l’Euphrate et il n’y a rien d’étonnant si elle tarde à arriver entre les mains
de l’Empereur. Il avance en submergeant l’empire des Perses291, et où il se
trouve maintenant, il l’apprendrait bien lui-même. Mais ce qu’il
accomplit, il en est instruit par les prisonniers de guerre dont on peut
apprendre que lui court et que des villes tombent. Mais nous, nous
sommes dans l’embarras en recevant des prisonniers de guerre  ; j’ai dit
tout cela et pour excuser l’agent et pour te permettre de te réjouir tout en
me faisant moi-même plaisir.
286. Julien.

287. Modestos (voir Let. 11*, 27*, 31*, 35*, 38*, 41*) a été nommé préfet de Constantinople
peu après l’arrivée de Julien à Antioche : l’apostasie de Modestos, qui était chrétien sous
Constance, a dû, en effet, décider l’Empereur à renommer ce haut fonctionnaire, un
moment écarté.

288. Rhadamante était l’un des trois juges des Enfers. Ioulianos 14 a été chargé de la
péréquation du cens* dans le diocèse du Pont (Bithynie), charge réclamant justice et
honnêteté, mais ingrate.

289. Un agens in rebus*.

290. Allusion aux troubles fomentés par les moines à Constantinople.

291. Julien a engagé la campagne contre les Perses au début du printemps  : il quitte


Antioche le 5 mars avec une armée de 65 000 hommes  ; début avril, il pénètre sur le
territoire perse et le 6 avril, passe en vue de Doura-Europos  ; puis l’armée descend
l’Euphrate en pillant réserves et greniers, mais à partir de mai, la situation devient plus
difficile, l’armée ayant atteint entre les deux fleuves une zone coupée de canaux et se
trouvant harcelée par la cavalerie ennemie. Mais les nouvelles parvenues à Libanios sont
sans doute antérieures au début de ces difficultés.
Lettre 59 (1379 F) entre mars et juin 363

à Roufinos292

Tu as souvent sauvé notre cité dans ce que tu lui as écrit et ce salut


même a vite gagné les autres cités à partir de chez nous ; en effet, chaque
fois que tu écris que l’Empereur domine ‹la situation›, que les généraux se
sont portés au-delà du fleuve contre les barbares et autres nouvelles
semblables, elles qui sont tremblantes et en alerte, tu les mets en fête et
en joie. Puisse donc celui-ci ne pas cesser d’être victorieux ni toi
d’envoyer de telles nouvelles et nous de les apprendre. Tu as osé prendre
ces mesures au sujet du blé et celles-ci sont dignes de Rome, mais nous
estimons préférable, pour cette cité, de laisser le marché libre293. Il vaut
mieux, en effet, souffrir un peu plutôt que de s’exposer, après cela, à des
reproches et de chercher à se défendre des accusations. Certes, cela n’a
pas miné la faveur dont tu jouis ; au contraire, celle-ci s’inscrira dans nos
pensées et suivra le cours du temps : participer à la gloire de son salut a
été fait294.
292. Roufinos 11, comes orientis*, en campagne avec Julien en Perse.

293. Libanios reproche ici à Roufinos ses tendances dirigistes en matière économique : il les
attribue aux habitudes romaines de réglementation  ; mais, comme le fait remarquer P.
Petit, Fonctionnaires, p.  222, le comes appliquait la politique définie par Julien. Antioche
connaît, entre l’automne 362 et le printemps 363, une crise économique et frumentaire
due à la fois à la limitation autoritaire du prix du blé par Julien en octobre-novembre 362
et à la sécheresse de 363. Les curiales*, comme toutes les classes possédantes, étaient
particulièrement attachés à la liberté économique. (P. Petit, VM, p. 117).

294. Pointe finale : même si Roufinos s’est déjà ménagé la gloire d’avoir « sauvé » la cité et
peut s’estimer quitte, il serait bien qu’il la sauve encore dans les circonstances présentes.
Lettre 60 (1392 F) 363

à Alexandros295

Tu as trouvé, arrivé à Apamée, ma lettre en faveur de la cité ou, si tu


veux, en ta faveur. Car la même lettre disait son salut à elle et ta gloire à
toi. Les hommes ont, en effet, l’habitude, à l’arrivée d’un gouverneur, soit
de fuir au sommet des montagnes, soit de supporter coups, chaînes, tout
plutôt que de payer leur dû, mais tu es apparu et tu as amendé la cité : les
uns apportaient leur contribution, les autres chantaient, les autres
dansaient, mais personne ne fuyait, n’était battu ni enchaîné. Avec de tels
sortilèges, cette ‹cité› sauvage, difficile, qui a subi et commis de terribles
choses, tu l’as montrée civilisée, docile et facile à gouverner. Et voici la
nouveauté  : un gouverneur a quitté Apamée l’aimant et aimé d’elle, lui
décernant et en recevant des éloges. Tu as aussi trouvé maintenant, dans
la cité sur la mer296, ‹une lettre› qui n’a aucune recommandation à faire au
sujet de la cité  ; en effet, ils n’ont pas beaucoup de terre, les mœurs ne
sont pas austères et il suffirait d’un signe de tête pour que tout soit
accompli, et en outre, la panégyrie et le dieu297 valent plus que mes lettres
pour faire cesser la colère si elle explose quelque part. En faveur de la cité,
le Pythien298 te parlera donc, mais sur mon amitié avec Auxentios, ‹même›
si tu la connais, écoute encore ceci. Cet homme triomphe à ce point des
richesses qu’avec un petit bien il est passé de liturgie en liturgie, et encore
par les plus lourdes, deux fois. Dépensant toujours, il croyait recevoir,
jugeant la bonne réputation plus belle que l’or  ; et il sait aimer au point
que tu le prendrais pour un disciple de Thésée299. Moi qui ai observé ces
qualités, je considérerais comme un gain qu’il soit dans le chœur des
serviteurs de l’État et je ferai tout ce que je peux pour réaliser ce bienfait.
Or, j’ai pu apprendre aux gouverneurs qui il est : le voyant de mérite, ils
l’ont honoré et manifestent cet honneur en paroles et en actes. Il est
maintenant illustre parmi ses concitoyens300. Si tu le décides, laissons-le
humble et négligeons totalement son avenir. Mais il faut qu’il soit grand et
c’est ce que je veux. Or il y a pour moi un bon artisan de cette grandeur,
Alexandros, qui ressemble aux dieux pour élever rapidement vers les
hauteurs celui qui lui en paraît digne. Sois donc l’auteur de cette
ascension en ne faisant pas d’Auxentios301 un syndic, en te souvenant des
larmes à Daphné302, en apportant tes soins, grâce à lui, à la restauration
des sanctuaires ou de quelque œuvre du même genre  : là, tu trouveras
l’homme produisant des choses compensant largement la dépense303.
295. Alexandros 5, nommé consularis* de Syrie lors du départ de Julien pour la Perse (voir
Let. 57*) : la lettre de Libanios évoque ses voyages d’inspection, à Apamée, à Tarse, pour
lesquels il remplaçait le comes orientis*, Roufinos 11, également parti en campagne.

296. Tarse, en Cilicie.

297. Allusion au dieu Asclépios, honoré à Aigai en Cilicie, et divinité tutélaire de la cité de


Tarse.

298. Apollon, père d’Asclépios.

299. Allusion à l’amitié de Thésée et de Pirithoüs, roi des Lapithes.

300. C’est-à-dire honoratus*, suggère A. Chastagnol en note à P. Petit, Fonctionnaires, p. 52.

301. Auxentios 5, curiale principalis* de Tarse.

302. Allusion à l’incendie du temple d’Apollon à Daphné, en octobre 362.

303. Allusion aux capacités d’architecte d’Auxentios à qui l’on attribue plusieurs


réalisations, dont le pont couvert d’Adana et, à Rome, le pont dit « de Théodose », en 384-
85.
Lettre 61 (1400 F) entre avril et juin 363

à Doulkitios304

Nous savons bien que, comme avec les Phéniciens, les Thraces et
maintenant les Ioniens, tu recevras, avec une plus haute position, la
charge de nous sauver ; toute voie a du moins été ouverte à la divination
et il est terrible de ne rien connaître de l’avenir. Ce jour-là, par des
agrandissements et des embellissements, tu rendras plus grande et plus
belle notre cité ; mais ‹dès› maintenant il t’est permis, si éloigné sois-tu,
d’illustrer l’un de ceux qui administrent notre cité305 et de réjouir les yeux
du peuple ou plutôt d’autant de peuples que nous avons l’habitude d’en
inviter au spectacle, qu’il dépend de toi de rendre le plus réjouissant. Et
apprends de quelle manière  : parmi ceux qui assument chez nous des
liturgies figure le syriarque306, à qui l’importance de la dépense vaut
l’honneur d’un beau nom  ; le Pactole307, en effet, serait peu pour lui,
comme les richesses de Kinyras308 et de Gygès. Cet homme n’a nul
commandement, mais il doit lui-même mettre ses propres biens tantôt à
disposition des conducteurs de chars, tantôt de ceux qui se produisent sur
la scène du théâtre, et il doit rassembler d’agiles chasseurs et des bêtes
sauvages triomphant de toute technique. Celui qui assume la dépense est,
en effet, couvert d’éloges si les uns viennent bien entraînés et que les
autres309 l’emportent malgré cela ; au contraire, une ourse dominée et une
panthère vaincue sont des griefs contre le chorège. Cette victoire, nous
avons l’espoir qu’elle nous viendra de vos montagnes ; en effet, les bêtes
nourries par cette forêt sont grandes, pleines de courage et on ne saurait y
parer. Polycarpos310 en achètera donc, mais, qu’il en achète de terribles,
qu’il ne cède pas à ceux qui l’en empêcheront et qu’il puisse ‹faire› tout ce
que nous voulons, cela dépendrait de toi, de ta générosité et de ton amitié,
si rien ne l’a déliée – je crois pourtant que rien n’est plus fort que ces
liens-là. Songe que ce que je te dis, tu l’entends d’abord de toute la cité,
ensuite du noble Saloutios311, et enfin du bon Roufinos312  ; car ceux-ci
pourraient écrire dans le même sens, si l’un ne poursuivait les Perses et si
Roufinos n’était aux côtés de ceux qui le font. Cependant, ils te sauront
gré comme si eux-mêmes t’avaient écrit cela. Et il est bien de ne pas nous
manquer d’honneur, nous dont l’activité tourne autour d’Hermès313, pour
que nous demeurions en cette activité et n’aspirions pas au
commandement, dans la pensée qu’il n’est pas possible d’obtenir un
résultat autrement314.
304. Proconsul d’Asie  ; il avait été consularis* de Phénicie et vicarius* de Thrace. Ce haut
fonctionnaire, sénateur de Constantinople, était d’humble origine et avait une formation
de sténographe : il avait été notarius*.

305. Hoi politeuomenoi, c’est-à-dire les curiales* : Libanios conserve le vocabulaire politique


qui s’applique, traditionnellement, à la cité grecque indépendante.

306. Le syriarque* prenait en charge les Jeux : c’est, en 364, Kelsos 3.

307. Fleuve d’Asie Mineure qui roulait des sables aurifères, source de la richesse des rois de
Lydie, en particulier de Gygès, le fondateur de la dynastie des Mermnades, et du plus
connu d’entre eux, Crésus.

308. Roi-prêtre de Paphos (Chypre), réputé pour sa très grande richesse : voir Platon, Lois,
2, 660 e.

309. C’est-à-dire les fauves.

310. C’est un agent de Kelsos 3, par ailleurs inconnu.

311. Saloutios Mousonianos, le préfet du prétoire* d’Orient.

312. Roufinos 11, le comes orientis*, est auprès de ceux qui se battent en Perse.

313. Patron de l’éloquence.

314. C’est-à-dire autrement que par une carrière au service de l’État.


Lettre 62 (1402 F) printemps 363

à Aristophanès315

Je pense que la Renommée, aujourd’hui encore, a fait ce qu’elle a fait


autrefois, et a instruit les Grecs des revers des Barbares : tu sais, en effet,
que dans le passé elle a réalisé la même chose quand elle a annoncé la
victoire de l’armée qui avait vaincu à celle qui allait combattre et a affermi
son courage316. Si donc le rapport n’en est pas encore venu jusqu’à vous,
que les Grecs sachent au moins que les descendants de Darius et de Xerxès
sont châtiés en voyant leurs villes détruites par le feu, eux qui un ou deux
ans auparavant, avaient saccagé de fond en comble les nôtres317. Car,
lorsque l’Empereur attaqua, tôt en saison, là où ils ne le pensaient pas, les
Assyriens furent aussitôt pris : beaucoup de villages, mais peu de cités, car
elles n’étaient pas nombreuses318  ; alors, tiré de son sommeil, le Perse
frappé de terreur s’enfuit, et l’Empereur le poursuivait, s’emparant de
tout sans combattre, ou plutôt de la plus grande part sans combat ; il tua
aussi six mille Perses venus en reconnaissance et, en même temps, en
renfort si nécessaire. Ces nouvelles viennent de ceux qui vivent sur des
chameaux ailés – que leur rapidité leur vaille, en effet, l’honneur d’être
appelés ailés –, et nous avons espoir que l’Empereur reviendra, amenant
avec lui l’actuel souverain, après avoir remis le pouvoir à l’exilé319. Alors,
nous parviendront aussi des lettres de toi, tous se pressant vers nous de
tous les horizons ; mais si elles pouvaient venir dès maintenant, n’hésite
pas, car j’aimerais savoir dans quelle contrée tu es allé et ce que tu fais, si
quelque chose de ce qui était dissimulé est dévoilé320, quelles sont nos
relations avec les populations et, le plus important : si la Fortune est avec
nous. C’est ce que tu vas m’écrire ; quant au porteur de ma lettre, allège-
lui toute chose et aide-le dans ce pour quoi il est venu : il est venu pour
ramener chez elle l’une de nos concitoyennes, mariée en Macédoine321. Ce
jeune homme que tu as auprès de toi et qui applique son éloquence au
droit, qu’il soit pris en considération et ne souffre pas d’avoir fait voile
sans lettre de moi. Lui m’en a réclamé, mais j’étais malade, le pilote
l’appelait à bord et il aurait fallu vaincre le vent.
315. Les événements que la lettre évoque sont connus par les sources historiques sur
l’expédition persique de Julien, notamment Ammien Marcellin. Libanios a défendu
Aristophanès de Corinthe auprès de Julien dans un plaidoyer (Disc. 14) qui semble avoir
atteint son objectif, puisque le Corinthien reçut effectivement un poste dont on a bien du
mal à préciser la nature  : il fut «  chargé peut-être de contrôler la restauration du
paganisme en Asie et dans la péninsule balkanique  », suggère P. Petit, (Libanios,
Autobiographie, C.U.F., note au chap. 125, p. 242).

316. Allusion à un épisode des Guerres Médiques  : lors de l’attaque menée par les Grecs
contre la flotte perse au cap Mycale, une rumeur avait couru annonçant la victoire de
Platées ; Hérodote, 9, 100, reconnaît l’intervention divine dans « la nouvelle de leur (les
Perses) première défaite parvenue aux Grecs en ce lieu pour donner à l’armée plus de
confiance encore, et plus d’ardeur à braver tous les périls ».

317. Il s’agit des villes d’Amida, de Singara et de Bezabdé prises par les Perses : cf. Ammien,
19, 8 ; 20, 6.

318. Sur la surprise des Perses, Ammien, 23, 3  ; la différence irréductible entre Grecs et
Barbares se traduit souvent chez Libanios par l’opposition entre le savoir-vivre en cités et
la vie en villages dispersés.

319. Sur ces épisodes de la guerre, voir Ammien, 23, 3 ; le roi est Sapor et l’exilé Hormisdas,
transfuge dans l’Empire romain depuis 324, et que Julien espère restaurer sur le trône de
Perse.

320. Cette mise au jour de choses dissimulées est-elle une allusion aux pratiques païennes à
nouveau permises ?

321. La fin de la lettre offre un aperçu sur les voyages dans l’Antiquité avec cet exemple
d’une noble dame escortée jusqu’en Macédoine, son nouveau séjour. Le bateau qui va
faire voile vers la Grèce attend les vents favorables, si importants pour la navigation en
Méditerranée et le pilote ne peut se permettre de manquer le départ.
Lettre 63 (1424 F) automne 363

à Entrékhios322

Tu as écrit d’un cœur heureux, non encore frappé par la nouvelle323.


Ce n’est certes plus dans les mêmes dispositions que tu recevras cette
lettre, car je pense qu’est déjà parvenu chez vous le bruit du malheur,
vous qui n’avez gagné que d’être informés plus tard. J’aurais moi-même
été étonné si tu avais pu encore envoyer des lettres si longues et si belles
et si tu n’avais pas souffert ce que je souffre. Quant à mon état, je suis,
depuis ce jour, pour ainsi dire sans voix et j’ai cessé d’écrire  : «  Un seul
jour m’a ravi toute joie324.  » Mais des citations de tragédie j’en ferai de
nombreuses, et toi de nombreuses, et de nombreuses chaque homme
sensé, quand un tel être nous a quittés. Mais ce pour quoi je t’appréciais le
plus, c’est ceci  : alors que les autres ont l’éloquence émoussée par les
affaires du commandement, au point que même certains sophistes
parvenus à cette position en ont perdu la force, toi seul tu as rendu ton
éloquence meilleure, en même temps que les villes, et tu soignes celles-ci
comme si tu avais délaissé l’éloquence, mais tu parles comme si c’était ta
seule activité. La raison en est, je crois, l’Empereur qui n’est plus là  ; tu
trouvais, en effet, insensé que, si lui, au milieu des soucis qu’il avait de
toute la terre, conservait les livres, toi qui l’admirais-tu ne traduises pas
en actes cette estime. Que des livres, mon bon, te soient toujours dans les
mains, ‹des livres› nobles cependant, sages et de bons maîtres. Or toi, tu te
portes sur des œuvres médiocres et sans beauté, les miennes, et tu n’as
pas craint, à les recevoir, de te corrompre. Mais pour celles-là, tu jugeras
au mieux ; pour ce qui est de ton dévouement et de ton zèle envers notre
compagnon, quel salaire te préparerons-nous  ? Des richesses  ? Mais tu
n’admires pas les richesses, toi qui admires Périclès. Des éloges alors  ?
Mais ils te viennent de toute bouche, unanimement. Car tous ceux que tu
as gouvernés dans ta jeunesse ont à cœur de demander comment vont
maintenant les Pisidiens. Puis apprenant que les lois sont affermies par la
volonté du gouverneur, que ce qui est à terre est relevé, ils chantent les
communes louanges de toi et de celui qui t’a donné le commandement. Il
reste à demander aux dieux que tu ailles de commandement en
commandement jusqu’à la vieillesse, en conservant le mérite que ta
jeunesse a d’abord révélé.
322. Consularis* de Pisidie, depuis septembre 362, nommé par Julien dont il était l’ami et le
disciple. Cet homme de culture conserva comme gouverneur le goût de la paideia*, ce qui
était suffisamment rare pour que Libanios en fît un éloge appuyé.

323. Celle de la mort de Julien, survenue le 26 juin 363.

324. Citation d’Euripide, Hécube, 285.


Lettre 64 (1429 F) octobre-novembre 363

à Saloutios325

Une seule question de nous tous à tous ceux qui viennent de là-bas :
comment se porte ton corps  ? Et eux annoncent ce qu’il est possible au
premier venu ‹d’annoncer› : que tu serais près d’être trop bien portant. Ils
s’en réjouissent fort, mais il s’y mêle quelque découragement quand ils
disent que tu aspires à la tranquillité, car c’est de façon évidente trahir
ainsi les cités et les priver du père auprès duquel, si elles avaient
jusqu’alors quelque peine, elles se réfugiaient, comme au port les navires
sortis des vagues. Songe qu’apparaîtrait comme le plus important des
nombreux bienfaits qu’elles ont reçus de ‹l’empereur› disparu326 que ce
commandement qu’il est permis d’admirer le plus soit conduit par ta
douceur ; et aujourd’hui ce n’est pas un faible honneur pour l’Empereur327
que ton intelligence soit conservée aux mêmes peuples. Si donc ce dernier
nous accordait, entre autres bienfaits, celui-ci mais que toi tu fuies les
efforts, au rang desquels est la sauvegarde des cités, veille à ne pas
changer des hommes qui t’aiment en accusateurs. Et l’ami lésé devient
plus acerbe qu’un autre accusateur. Pour que nous conservions cette
bonne opinion de toi et de tes actes, conserve toi aussi cette prééminence,
et sur deux consolations ne nous prive pas de l’une ; deux choses, en effet,
nous soulagent  : un bon empereur en place d’un bon et le même préfet
qu’auparavant. Que les deux soient préservés et qu’après le plus
important existe l’autre. Ces propos, si l’on nous a trompés, n’auront pas
porté tort d’avoir été écrits ; mais si les nouvelles annoncées sont vraies,
peut-être auront-ils porté profit. L’excellent Diodotos dira plus que ma
lettre : car je lui en ai raconté plus long que je n’en ai écrit.
325. Saloutios Satouminos Secoundos, l’un des plus importants personnages de l’époque. Ce
païen, de grande culture littéraire, fut un haut fonctionnaire dont tous louent la justice,
la modération, la philanthropie. Il ne doit pas être confondu avec l’auteur de l’opuscule
Sur Les Dieux. : voir Robert Étienne, « Flavius Sallustius et Secundus Salutius », R.E.A., 65,
1963, p. 104-113. Il est alors préfet du prétoire* d’Orient, nommé par Julien et maintenu
par Jovien ; le bruit court qu’il veut quitter ce poste pour raison de santé ; Libanios lui
adresse compliments et encouragements pour qu’il demeure en poste. Saloutios resta
effectivement jusqu’au milieu de 365, puis, malgré son âge avancé, fut rappelé à la
préfecture du prétoire de novembre 365 à l’été 367.

326. Julien, qui vient de mourir (juin 363).

327. Jovien.
Lettre 65 (1430 F) novembre 363

à Thémistios

J’ai reçu ton discours328, noble discours sur un être noble et tu


conviendras de la noblesse de celui qu’honore ce discours  ; car s’il est
mort, la Vérité vit du moins, plus forte que bien des voix mensongères329.
Quand je l’ai reçu et ai choisi de m’associer Kelsos pour en juger330, je l’ai
lu alors que l’objet de l’éloge était encore vivant et je sautais de joie à
chaque passage ; Kelsos avait les mêmes réactions que nous et, observant
ton art sur chaque détail, l’originalité de la conception331, « le char au bel
et triple attelage de divinités »332 et les nécessités par lesquelles elles ont
été liées, les façons d’introduire l’éloge et la grâce du style, j’étais prêt à
composer un livre sur le livre. Tant d’émotions me submergeaient, alors
que ma lecture s’avançait, que nous étions déjà partis, et surtout que la
nuit était là ! Car il ne me laissait pas dormir, ce discours qui hantait mon
âme. Mais comme j’allais m’attacher à écrire, la nouvelle du désastre
s’abattit sur la ville et tout s’est effondré  ; je ne savais qu’une chose  :
pleurer. Cléarkhos333 m’ayant trouvé encore en cette attitude me le
reprocha, mais il ne la fit pas cesser, pas plus que moi la joie des autres334.
Ne t’étonne pas de mon silence ; ni écrire ni parler ne convient au deuil, et
si le temps doit délivrer du chagrin, la divinité le sait. Pourtant, si toi tu
venais comme ambassadeur, tu suffirais peut-être par ta sagesse à soigner
mon âme, mais je crois que tu as fui un homme malheureux. De Cléarkhos
tu dis qu’il m’aime et tu prétends que je passe avant l’ambassade, mais toi,
tu n’es jamais venu ni au nom de l’amitié donnée ni au nom de l’amitié
reçue. Et pourtant le sénat n’a pas les moyens d’ignorer ta force de
persuasion, grâce à laquelle il cultive davantage de terre et devient plus
important335 ; mais tu as, je pense, décliné la charge sous serment336, car il
fallait que j’échoue aussi dans cette entreprise !
328. Il s’agit d’un discours perdu de Thémistios  : un panégyrique adressé à l’empereur
Julien, probablement le 1er janvier 363.

329. Allusion à la foi païenne et aux traditions que Julien cherchait à relever. Les
mensonges proférés selon Libanios sont ceux des chrétiens. S’il est vrai que la « réaction
païenne » a été revivifiée par le règne et les mesures prises par Julien, il ne faut pourtant
pas en exagérer l’importance et la vie municipale, dans son ensemble, semble
relativement peu affectée par les luttes religieuses.

330. Kelsos 3 est un Antiochéen, ami de Libanios, il a été consularis* de Syrie en 364.

331. Le terme heuresis est ici un terme technique de rhétorique qui désigne la capacité à
trouver et à formuler les arguments qui étayent le sujet proposé.

332. Citation d’Euripide, Andromaque, 277, mais dont on voit mal la signification. L’image
figurait-elle dans le discours écrit par Thémistios ? G. Dagron, Thémistios, p. 225, pense à
la dignité, la clarté et la grâce, « trois vertus maîtresses de la rhétorique », qui seraient ici
célébrées.

333. Cléarkhos 1, meilleur ami de Thémistios, était un personnage puissant de


Constantinople et avait rempli plusieurs charges importantes.

334. Ceux pour qui la mort de Julien signifie la fin de la politique de la restauration


païennes.

335. Sur le rôle de Thémistios dans le recrutement du sénat de Constantinople, voir Let. 29*.
Les terres augmentent avec le nombre des sénateurs, propriétaires fonciers.

336. Thémistios n’a pas voulu faire partie de l’ambassade qui, en 363, devait rejoindre
Jovien à Antioche. Libanios connaît l’obstination de son ami et lui reproche de tenir si
peu compte de leur amitié. C’est Cléarkhos qui part à la place de Thémistios avec cette
ambassade. Thémistios avait refusé sa participation sous serment, comme Démosthène
avait lui-même refusé la sienne à l’ambassade des Athéniens vers Philippe, en 346
(Démosthène, Sur Les Forfaitures de l’ambassade, 121). L’exomôsia est un terme technique
désignant la prestation de serment prononcé pour refuser une délégation officielle.
Lettre 66 (1431 F) automne 363

à Skylakios337

Je pense que tu as été frappé dans l’âme comme moi, car nous
éprouvions le même amour et nous avons subi la même perte, d’un
compagnon et d’un ami. Si j’appelle l’empereur un compagnon, il n’y a
rien de terrible338, car lui-même nous a ainsi nommés le premier et nous
avons entériné l’usage qu’il avait fait de ce titre. De tout ce qui comptait
alors comme plaisir, le plus grand fut ton amitié qui, sitôt conçue,
atteignit son paroxysme alors que, je ne sais pourquoi, elle n’avait pas
voulu naître auparavant, à moins que tu ne me dises que cette année-là
devait m’apporter un surcroît de bonheur. Rappelle-toi, en effet, tout ce
que, sur le mode sérieux ou sur le mode plaisant339, nous avons dit,
simplement pour confondre ceux qui se croient quelque chose, et comme
nous nous languissions d’être au soir et courions à cette réunion où je
parlais peu, mais écoutais beaucoup ; et de ta bouche coulaient ces paroles
qui ne le cédaient pas à celles de Nestor et quiconque les avait reçues
partait l’esprit enrichi. C’est justement pour tout cela que, comme ce
Pylien lui-même, je regrette la fleur de ces années : Mais jamais tout n’est à
la fois  ! Si j’étais heureux alors, me voici aujourd’hui touché par la vieillesse340,
œuvre du chagrin plutôt que du nombre des années. Je trouverai donc ma
consolation dans les lettres que je t’adresse et dans celles qui me
viendront de toi  ; et si la première je l’envoie à un Hellène par un
Hellène341, peut-être n’ai-je pas tort, car il se trouve qu’il est non
seulement hellène, mais aussi de valeur. On le dira aussi heureux s’il
obtient ta bienveillance, et il l’obtiendra autant à cause de son caractère,
de sa naissance, de sa culture que pour la raison qui l’amène  ; en effet,
cette connaissance des lois qu’il a acquise en Phénicie, il veut l’importer
en Grèce, comme havre pour les victimes d’injustice.
337. Cette belle lettre évoque les liens étroits, intellectuels et affectifs, noués entre les
membres de l’entourage de Julien. Skylakios 2 était grec, mais vivait en Phénicie et
enseignait peut-être le droit à Berytos (Beyrouth). Cette lettre pose des problèmes de
datation, et certains commentateurs, arguant du ton nostalgique de Libanios, la situent
beaucoup plus tard dans le temps. On peut opposer que la rhétorique, empruntant ici des
accents lyriques, veut souligner le contraste entre les années lumineuses d’autrefois et la
triste réalité actuelle : or la distance que crée entre passé et présent cette perte brutale
est infiniment plus sensible que le simple espace temporel.

338. Julien avait conservé, parvenu au pouvoir, la familiarité qu’il avait avec ses proches et
ses amis et son naturel contrastait avec la majesté attendue d’un empereur. L’empereur
philosophe voulait rester simple et ne supportait pas que l’on multipliât les
intermédiaires et les manifestations de respect pour isoler le prince dans une
inaccessibilité quasi divine. Fidèle à lui-même, cet être impulsif avait parfois du mal à
contrôler ses élans, que ce soit dans la colère ou dans l’enthousiasme.

339. Référence à Platon, Gorgias, 481 b.

340. Homère, Iliade, 4, 320-21  : le rapprochement est voulu par la comparaison entre


l’éloquence de Skylakios et celle, proverbiale, de Nestor, roi de Pylos.

341. Le porteur n’est pas connu, mais il apparaît comme une référence puisque non
seulement son origine, mais son caractère et sa culture le signalent à l’attention de l’ami
de Libanios ; selon ces trois critères, il est pleinement grec, surtout par sa culture, étant
ami des logoi* et des dieux (car Hellène signifie aussi païen).
Lettre 67 (1446 F) nov.-déc. 363

à Datianos342

Nous n’étions pas des Endymion343 cette nuit où tu partis dans la suite
de notre noble empereur  ; aurions-nous même été auparavant des
Endymion, nous nous serions alors abstenus de dormir ; mais apprends le
mauvais tour de la Fortune, ou si tu veux, sa machination. Le soir, nous
étant mutuellement engagés à tout faire pour t’escorter, nous nous
sommes séparés au sortir des thermes. Aussitôt les mules attelées,
l’esclave qui avait été chargé de surveiller l’opération arrive en courant,
me secoue et me tire du sommeil. À mon tour, je l’envoie chez Olympios344
pour qu’il fasse de même, et je fais asseoir un autre esclave devant ma
porte avec ordre d’appeler quand tu passerais : je pensais, en effet, que ce
serait cette voie à colonnades que vous emprunteriez, ton équipage et toi.
L’aube vint et je m’étonnai que personne ne m’appelle : descendu, je me
mis à frapper mon serviteur pour avoir trahi mon zèle. Lui me dit n’avoir
rien fait de mal, mais il ne put me convaincre. J’étais furieux, alors que toi,
tu avais emprunté l’autre voie par le pont dit du Taurus345  : c’est ce que
j’ai appris plus tard, mais avant de le savoir j’étais odieux avec quiconque
se présentait ; et je supportais mal qu’Olympios ait réalisé le projet grâce à
moi, alors que j’en avais été empêché. Dans une telle colère, j’étais étendu
sur mon lit quand Olympios monta et me félicita sans rien savoir de ce qui
m’arrivait, et je le félicitai aussi ne sachant pas moi-même ce qu’il en était
pour lui ; il croyait que je t’avais escorté et demanda « Jusqu’où ? » ; moi,
je pensais la même chose de lui et je posais la même question. Je dis que je
l’avais averti et j’accusais mon serviteur. Mais lui leva l’accusation ‹en
signalant› le pont dont j’ai parlé, et c’est ‹alors› son propre serviteur qu’il
menaçait d’étouffer, lui qui l’avait proprement laissé tomber. Car son
cheval poussé mollement s’était libéré de la main de l’écuyer et s’était
porté à travers les rues étroites346 en profitant du clair de lune : c’est ainsi
que, d’un côté, l’écuyer s’était lancé à la poursuite du cheval, et que lui,
bredouille, était rentré bien déçu. «  Ainsi s’achève l’histoire  », dit la
tragédie ; mais toi, ris-en et pardonne-nous : considère notre intention et
peut-être ne nous jugeras-tu pas mal.
342. Après la mort de Julien, le puissant Datianos, chrétien et ancien conseiller de
Constance, retrouve auprès de Jovien l’audience qu’il avait perdue. Libanios flatte à
nouveau ce personnage (voir Lettre 33*).

343. Héros de la mythologie à qui Zeus avait accordé un sommeil sans fin en échange d’une
éternelle jeunesse.

344. Olympios 3 est un vieil ami de Libanios : il lui laissa le soin de régler sa succession, car
il mourut sans enfants et la curie réclama la dévolution de ses biens.

345. Pont de la porte du Taurus sur l’Oronte, au sud-ouest des murailles ; c’était le principal
croisement des axes nord-sud et est-ouest qui desservaient la ville (voir plan d’Antioche :
« bridge gate »).

346. C’est-à-dire les transversales, celles qui coupent les voies à portiques.


Lettre 68 (1220 F) fin 363

à Skylakios347

Je n’avais pas encore cessé de pleurer que tu me plongeais dans une


plus profonde lamentation par ta lettre  : tu décrivais si exactement les
bonheurs dont nous avons joui autrefois et ce qui serait arrivé si un dieu
nous avait rendu celui qui a remporté les victoires. Le voici donc plus
acclamé par ceux qu’il a frappés que par ceux pour lesquels il s’est battu.
Et parmi ces derniers, ont même dansé de joie deux cités dont l’une me
fait honte348. Qu’il leur soit pardonné  ; en effet, celui qui veut être
méchant tient pour son ennemi celui qui ne le laisse pas être méchant et
s’il arrive que meure le modérateur, celui qui ne sait pas se modérer se
réjouit parce que désormais il lui est loisible d’être à nouveau méchant.
Telle est la foule avec laquelle nous vivons, ennemie des dieux et de celui
que tu as bien imaginé en l’inscrivant dans le chœur des dieux. J’ai moi
aussi supposé cela et, en même temps, je pleure en songeant à ce qui était
espéré et à ce qui est arrivé. Car si celui-ci est auprès des meilleurs, mon
sort est au pire : c’est ainsi qu’il faut parler de mon sort. Il était possible
que celui-ci revienne de chez les Mèdes et toi de Phénicie, lui conduisant
des prisonniers de guerre, toi pour voir les fruits de tes efforts, et que je
dise moi quelque chose des exploits accomplis, de petites choses sur des
grandes, et que lui relate sa propre histoire. Et une nuée de geais serait
venue, objet de risée pour toi et moi, parce qu’ils ne savent pas parler,
mais se mettent à frapper les autres pour compenser leur propre
stupidité. Telle est la fête que la divinité nous a enlevée ; j’ai aussi subi de
nombreuses agressions armées, et je devrais être abattu au point de ne
plus jamais recouvrer force, si ne m’en avait arraché celui qui a aussi
délivré Arès enchaîné349. Et maintenant, quelqu’un m’a lancé un trait en
se cachant : j’ai été accusé de faire des choses terribles, mais, à nouveau,
un dieu a émoussé le trait et je reste en place en espérant que je ne serai
pas tiré en arrière350. Il pourrait bien plaire à de tels archers de lâcher un
jour leurs cordes. Mais la terre des Perses a été violemment ravagée. Et
j’avais demandé un récit des actions accomplies aux amis qui sont revenus
et qui n’ont vraisemblablement pas négligé d’écrire sur de telles matières,
mais quoique chacun prétende qu’il le peut et qu’il fournira ‹un écrit›,
personne ne l’a fourni et n’a pas même donné de renseignement oral ; en
effet, celui qui a disparu est négligé et chacun ne se dévoue qu’à ses
propres affaires. Or, certains soldats qui ne me connaissaient pas
auparavant m’ont donné une liste de certaines dates, des distances de
marche et des noms de lieux : en aucune façon, un récit des événements
qui puisse tout faire connaître, mais des choses obscures et vagues et ne
convenant pas à la bouche d’un historien351. Si tu désires aussi ces
informations, fais-le moi savoir et je t’enverrai les récits des soldats ; en
effet, ceux-ci les ont même mis par écrit et nous espérons ‹cela› d’autres.
347. Voir Let. 66*.

348. Allusion à Antioche dont les habitants ont, dans l’ensemble, mal supporté le séjour de
Julien et se sont montrés indociles, voire insolents et frondeurs.

349. Hermès : cf. Iliade, 5, 389 sq.

350. Allusion aux attaques de certains puissants, qui accusent Libanios auprès du nouvel
empereur Jovien de pleurer excessivement Julien. Dans l’Autobiographie, 138, il fait
allusion à un « barbare » qui doit être le germain Arintheus (P. Petit, Autob., C.U.F., note
au chap. 138, p. 247).

351. Libanios est alors en train de rédiger le Discours 17, Monodie sur Julien, et rassemble la
documentation pour le Discours 18, Épitaphe de Julien.
Lettre 69 (1180 F) 364

à Élpidios352

Nous avions d’autres espoirs pour les concours Olympiques  : qu’ils


soient les plus brillants qui aient jamais eu lieu et qu’ils s’offrent à tes
yeux et aux yeux grands, nobles et imposants dont je dirais que la
disparition353 est une punition pour le soleil. Nous remplissons cependant
nos ‹devoirs› envers le dieu354 autant que faire se peut. Mais toi, tu as été
désigné pour servir de toute façon la panégyrie. En effet, la divinité t’a
porté et établi en une situation telle que sur toi repose l’essentiel de la
fête. Car l’Ionie, entre autres beautés, est aussi féconde en artistes de
qualité que l’organisateur des concours envoie chercher, ajoutant aussi, à
la gloire que procure la couronne, des richesses. Mais la plus grande
‹récompense› serait qu’ils sachent que tu as toi-même envie qu’ils se
distinguent des autres. Il est évident, en effet, qu’ils croiront profitable à
leurs parents et aux autres habitants de faire ce qui te sera plus agréable.
Accueille donc celui qui vient de chez nous comme tu en as coutume, avec
aménité, et ne te contente pas de faire ce qu’il demande, mais même ce
qu’il pourrait ignorer, cela aussi signale-le lui et fais-le.
352. Consularis* d’Asie. Il doit aider Kelsos 3, le syriarque*, pour l’organisation des Olympia*.

353. Julien aurait dû assister à ces concours.

354. Zeus Olympien.
Lettre 70 (1186 F) avril 364

à Thémistios355

Fournis aux ambassadeurs toute l’aide requise, à cause de la cité qui t’a
souvent admiré et à cause de la couronne qu’ils apportent356 ; et si je suis
encore quelque chose auprès de toi (et je suis persuadé que je le suis),
voilà une troisième raison pour que tu assistes l’ambassade. Car ce n’est
pas une mince affaire, non plus que tout ce qui relève de l’avis du très
puissant Saloutios357 dont j’imagine que tu l’as rallié à elle, parce que les
portes du palais te sont toujours ouvertes – à juste titre. C’est ce que je
conjecture d’après ton mérite et d’après celui de l’Empereur, car il
l’emporte sur tous les hommes et toi sur les philosophes358. Aussi, ne te
ménage pas pour nos concitoyens et évite-leur d’être importuns à bien
des portes359. Si tu sens notre très cher Datianos360 mal disposé et gardant
en mémoire certaines conduites trop grossières, apaise complètement sa
colère ou modère-la autant que faire se peut.
355. Cette lettre a été remise à Thémistios, le philosophe, par les membres d’une
ambassade envoyée par Antioche au nouvel empereur, Valentinien (Valens fut associé au
pouvoir le 28 mars 364 et la nouvelle n’en est pas encore parvenue à Antioche au moment
où l’ambassade se met en route).

356. Il s’agit de l’offrande de l’or coronaire que les cités adressaient à l’empereur à
l’occasion de son avènement, d’un anniversaire de son avènement ou d’un jubilé  ; l’or
coronaire était une forme de tribut imposé aux cités puisqu’il était « obligatoire en son
principe », mais il conservait l’apparence d’une « offrande » dans la mesure où le poids
d’or était laissé à la libre appréciation des cités. Cet impôt consenti suscitait l’émulation
des cités et la remise de la « couronne » d’or s’accompagnait de toute une solennité dont
la lettre de Libanios nous donne un aperçu. Elle était aussi l’occasion de solliciter quelque
faveur et c’est justement ce que recherchait l’ambassade antiochéenne de 364.
Saloutios Satourninos Secoundos (voir Let. 64*), ami de l’empereur Julien, a joué un rôle
357. décisif dans le choix du successeur de Jovien, Valentinien. En tant que préfet du
prétoire* d’Orient, il devait recevoir les ambassadeurs. Ce passage est rendu
particulièrement ardu par un problème de texte : l’interprétation ne tient pas compte des
ajouts de l’édition de R. Foerster.

358. Le « mérite » ici rappelé est un thème traditionnel de la prose officielle. Dans le cas de
l’empereur, ce mérite désigne, au sens générique, les vertus cardinales du princeps, car la
nouvelle définition du pouvoir impérial (qui est à la fois sacré, providentiel et militaire) a
conservé certains éléments de l’idéologie du principat : G. Dagron, Thémistios, p. 121 et sq.

359. En frappant à la porte des puissants pour obtenir quelque aide.

360. Sur Datianos, voir Let. 33*. Ce très puissant personnage a vu ses biens pillés par le
peuple d’Antioche, après la mort de Jovien. Il s’agit donc d’apaiser son ressentiment  :
mission délicate pour laquelle Libanios a bien besoin d’assister, par écrit, ses
compatriotes.
Lettre 71 (1187 F) 364

à Alkimos361

Ne sois pas étonné si, en homme qui passe la plupart de son temps
dans le silence, je ne t’ai pas écrit. C’est le silence du désespoir que m’a
tout d’abord infligé la ruine de votre cité  ; car une ville qui m’est chère
s’est abattue sur des hommes qui me sont chers362. Un oncle qui s’en est
allé, ainsi qu’une mère, ont encore augmenté mon chagrin : souviens-toi
justement des déplorations que j’ai écrites sur eux363 ; mais le paroxysme,
ce fut une lance, du sang, la mort364. D’où ils vinrent, ceux qui savent
toutes choses365 le savent, mais tu sais, toi aussi, comme nous redoutions
que ce qui s’est produit se produise. Celui qu’une crainte imprécise avait
frappé, dans quel état d’âme penses-tu qu’il fut quand elle est apparue
réalité  ? Croirais-tu que ma maisonnée a succombé sous mes
lamentations, qui accusaient dieux, terre, air, ciel et le monde entier, le
jour s’achevant et la nuit commençant, et de nouveau la nuit s’achevant et
le jour commençant  ? Car il n’est pas d’espoir qui puisse alléger la
douleur  : la perte est extrême et la ruine complète. Il n’est rien pour
t’attirer ici ou pour m’attirer chez vous  ; mais, effectivement encore en
vie, nous sommes morts. Je te le disais donc, ne t’étonne pas de mon
silence – car c’est le temps du silence – mais étonne-toi plutôt que je
puisse t’écrire quelque chose, même court.
361. Sophiste de Nicomédie et ami de Libanios.

362. Le tremblement de terre qui a ravagé Nicomédie le 24 août 358 : voir Let. 26*.

363. Libanios composa une monodie, aujourd’hui perdue, sur son oncle.


364. Mort de Julien le 26 juin 363, près de Ctésiphon ; une lance de cavalier « partie d’on ne
sait quel côté » avait mortellement atteint l’Empereur.

365. Les dieux.
Lettre 72 (1224 F) avril 364

à Saloutios366

Je me souviens de ce service que tu as rendu autrefois quand Olympios


tremblait que son frère ne fasse partie des curiales  ; je t’ai révélé sa
crainte et aussitôt elle a été dissipée367, celui qui s’attendait aux rêts de la
curie étant appelé à un commandement. Nous avons donc commencé à
t’admirer au moment même de te connaître et l’amitié a suivi
l’admiration  ; ce secours et le fait de ne pas avoir cédé à ceux qui ‹le›368
tiraient de force ne donnent pas même à nos parents plus de prix, chez
nous, que ta personne. Maintenant donc que des honneurs mérités te
viennent des deux empereurs369 et que toute parole n’a qu’un objet  :
admirer ta conduite, le plaisir que nous en éprouvons nous met au-dessus
de tous les hommes. Mais entre autres beautés en toi – en effet, ce qui
vient d’un esprit cultivé ne peut pas ne pas participer de la beauté – le
plus beau est ce que tu as su ‹faire› au sujet de ceux qui défendent les
victimes de l’injustice, ayant placé aux trônes de gouverneurs ceux avec
lesquels, sur ton propre trône, tu partageais bien des sueurs. Et, alors que
l’accession à cette position de deux ou trois ‹rhéteurs› paraissait une
grande chose et que l’on célébrait les préfets qui avaient pu ou voulu cela,
toi, amenant à chaque peuple un rhéteur, tu l’as mis à leur tête, sauvant
les cités par l’expérience de ceux qui les ont en charge, donnant aux uns la
récompense de longues peines et conduisant ceux qui enseignent370 au
bonheur par d’autres activités. Car déjà, en relevant de leur fonction ceux
qui affûtent leur main pour l’écriture rapide371 et qui sont, au contraire,
rabaissés chez nous, tu as fait honneur au patrimoine de l’éloquence par
ceux qui ont reçu les commandements, et tu as rempli pour nous les
écoles de jeunes gens en leur inspirant l’amour de l’éloquence par l’espoir
de semblables honneurs. Ne crois donc pas ceux-là372 plus gratifiés que
nous qui vivons sous ‹le patronage› des Muses, ne crois pas non plus que
ceux qui ont offert aux villes de grands portiques en ont retiré autant de
gloire que t’en a rapporté ton action en faveur des gouverneurs et de
l’éloquence. Les unes sont, en effet, grandeurs sans âme, les autres font
fleurir la vertu des âmes et rendent plus nombreux ceux qui veulent s’y
appliquer. Mais ce qui est venu faire difficulté à ceux qui ont un jugement
sensé, je vais te le dire sans dissimulation. Comme je regardais ceux qui
recevaient les nominations officielles et que j’entendais parler d’eux, mais
qu’Arsénios était exclu, je leur demandais d’où il venait qu’il en fût ainsi et
voici ce qu’ils m’ont exposé : « N’est-il pas un homme bien né ? N’était-il
pas un enfant sage  ? N’est-il pas un homme juste  ? N’est-il pas habile à
parler ? N’a-t-il pas approché la vieillesse par les voies de la justice ? N’est-
il pas pur des accusations qui visent souvent ceux qui ont passé leur vie au
tribunal  ? Il est normal que l’homme qui triomphait alors des mauvais
profits et qui estime le bien avant le gain soit honoré.  » Après de tels
propos échangés entre eux, ils s’en prenaient à moi, ‹disant› que j’étais
pourtant responsable de cela, ayant prescrit ce qu’il ne fallait pas et que
lui était lésé pour avoir obéi à un ami. De quel cœur penses-tu que
j’entends de telles choses, ou de quel cœur je me retrouve chez moi et
quelles nuits je passe  ? En effet, si Arsénios ne m’accuse en rien, il a, en
revanche, beaucoup de gens qui le font pour sa défense. Mais que moi, qui
ai paru secourir de nombreux amis, je paraisse avoir privé un ami de
l’honneur qui lui serait échu de toutes façons, comment est-ce
raisonnable, ou comment est-ce supportable ? Viens donc à mon secours,
par Zeus, moi qui suis en danger pour ma réputation et débarrasse-moi de
reproches avec lesquels je ne saurais vivre. Si je suis victime de calomnies
de la part de gens qui ont eu ces soupçons, fais cesser la calomnie. Et si
réellement il y a eu quelque audace, applique sur moi le châtiment, mais
montre celui-ci parmi les gens qu’on estime heureux.
366. Préfet du prétoire* d’Orient, nommé par Julien, maintenu sous Jovien, puis Valens (Let.
64*). Homme de culture, il procède à une politique de recrutement de littéraires dans
l’administration.

367. Pour échapper à la curie*, Évagrios 6 obtint en octobre 363 un premier poste, sans
doute d’assesseur, grâce à Saloutios, et sur la demande de Libanios et d’Olympios 3, son
frère.

368. Évagrios.

369. Valentinien et Valens : on sait donc à Antioche l’avènement de Valens.

370. Cette politique de Saloutios ne peut que combler Libanios : le préfet l’applique à la fois
par goût personnel et par obéissance aux consignes de Julien.

371. Il s’agit de ceux qui pratiquent la tachygraphie («  écriture rapide  »), c’est-à-dire la
sténographie, méthode proprement administrative, et que méprisent les hommes de
lettres et les rhéteurs.

372. Les autres, c’est-à-dire les fonctionnaires qui ne sont pas de formation littéraire, mais,
par exemple, technique ou juridique. Le paradoxe est qu’ensuite Libanios recommande à
Saloutios un homme qui a fait carrière comme avocat.
Lettre 73 (1189 F) été 364

à Cléarkhos373

Si c’était en pleine mer que devait se lancer Alexandros374, il


invoquerait lui-même les Dioscures, et nous aussi, pour lui375  ; les
Tyndarides ont, en effet, reçu de Zeus le don de sauver des périls ceux qui
naviguent. Mais puisqu’il ne va pas aujourd’hui au gré de la mer Égée et de
la mer Ionienne, mais au gré d’une liturgie bien plus redoutable que le
détroit de Sicile376, c’est auprès de toi que nous implorons son salut, toi
qui es seul maître d’empêcher les flots de le submerger. Je crois
qu’Alexandros paye pour Alexandre, le nôtre pour l’autre, le fils de
Philippe, qui a jeté les fondements de la cité377. En effet, il nous a fuis et
méprisés alors que nous l’aimons : il n’a rien trouvé de plus doux que la
Pamphylie et marié là-bas, il y a vu ses enfants et a fait construire une
maison qu’il chérit plus qu’un nouvel enfant. Celle-ci est, en effet, belle et
grande et le dîneur peut regarder vers la mer et les navires courant sous le
vent, il peut entendre les marins chanter leurs refrains habituels. Tels
sont les sortilèges qui l’ont arraché à sa patrie. Il s’est mis hors d’atteinte
en rejoignant lui-même le grand sénat, mais, soutenant son fils, il s’est
lancé dans une liturgie378, soignant le mal par le bien (car cela vaudrait
mieux que de dire le mal par le mal). Qu’il va fuir, il le sait, mais où il
parviendra, il n’y a pas songé. Et maintenant il est bouleversé, voit le
gouffre  : l’importance de ce qu’il faut et la faiblesse de son avoir, et il
craint pour sa chère maison. Allège ces difficultés et montre qu’il n’a pas
été mal conseillé. C’est une grande chose pour les chorèges que la
bienveillance du gouverneur, mais plus grande encore qu’elle vienne d’un
homme si important. Et quand, en plus de son influence, celui qui détient
la puissance, a la sagesse de secourir, le chorège acquiert la gloire sans
grandes dépenses. Protège donc notre concitoyen, car même à son corps
défendant nous l’appelons ainsi.
373. Vicarius* d’Asie.

374. C’est un appel à l’aide pour un citoyen d’Antioche, Alexandros 6, principalis*, fils de


Gorgonios 2. Alexandros avait quitté sa patrie, Antioche, pour la Pamphylie où il semblait
mener, au bord de la mer, une vie de rêve que Libanios décrit avec des accents qui sont
trop lyriques pour ne pas contenir une discrète ironie. En effet, Alexandros faisait partie
de ceux qui avaient rejoint le sénat de Constantinople, car, à partir de 355, cela
représentait encore une opportunité pour échapper aux charges curiales*. Mais, en 364,
le sénat avait atteint l’effectif prévu et l’on interdit désormais cette «  évasion  » de
curiales vers la capitale (Code Théod., XII, 1, 48). Il fallait à nouveau avoir accompli toutes
ses charges curiales et laisser au moins un fils dans la curie locale. Aussi, tombant sous le
coup de la nouvelle législation, Alexandros dut, en été 364, assumer, au nom de son jeune
fils, la liturgie des Olympia*, ce qui lui imposait des charges financières imprévues. Pris
ainsi de court, il dut aller jusqu’à demander une avance sur la succession de son père.

375. Les Dioscures ou Tyndarides (« descendants de Tyndare ») étaient considérés comme


les protecteurs des navigateurs.

376. Le détroit de Sicile, ou de Messine, était depuis Homère considéré comme


particulièrement redoutable, gardé par les deux monstres Charybde et Scylla.

377. Libanios se fait l’écho d’une tradition évidemment locale qui rattachait la fondation
d’Antioche au passage d’Alexandre le Grand, séduit par la douceur d’une source qu’il
baptisa Olympias.

378. Les Olympia* (ici de 364) étaient à la charge de trois personnages : le syriarque*, Kelsos
3, chargé de la uenatio, l’alytarque*, Candidos, qui fournit les athlètes, et enfin
Alexandros.
Lettre 74 (1253 F) été 364

à Priskianos379

Ces hommes qui adressent un culte au soleil380 sans ‹sacrifice›


sanglant et en honorant le dieu à l’aide d’un deuxième titre381, qui
imposent à leur estomac des restrictions et tiennent pour un gain le jour
de leur mort, se trouvent en de nombreux lieux sur terre, mais partout où
ils sont, en petit nombre382. Or ils ne font de tort à personne, et ils sont
persécutés par quelques-uns. Je voudrais que ceux d’entre eux qui vivent
en Palestine trouvent dans ta vertu un refuge, qu’ils jouissent de la
sécurité et qu’il ne soit permis à quiconque en aurait envie de leur faire
violence.
379. Consularis de Palestine en 364.

380. Il s’agit des Manichéens, dont la religion était tolérée, mais que menaçait une
persécution latente des membres les plus zélés de l’église chrétienne. Titus, évêque de
Bostra, dont on a conservé un traité qui les combattait, voyait, par exemple, dans la secte
une hérésie. Libanios défend la liberté de culte de ces païens pacifiques, comme il a pu
défendre des chrétiens victimes d’injustices sous Julien, ou comme il défend les Juifs, et
cette attitude illustre sa tolérance en matière religieuse ainsi que son horreur du
fanatisme et de l’injustice. On aperçoit aussi la diversité de ses relations (B. Schouler,
Tradition, p. 683).

381. Allusion au second degré de la hiérarchie de la secte : les auditores, avant les electi.

382. Les Manichéens attendaient, en effet, la fin du monde  ; ils recommandaient la


continence et refusaient de servir l’État. Leur Église rayonnait partout dans le monde
romain depuis l’Orient jusqu’à l’Espagne.
Lettre 75 (1264 F) milieu ou fin 364

à Aristophanès383

Tu t’es mis à écrire comme de petites vieilles  ; en effet, ta lettre est


longue et de toute sa longueur n’est qu’un reproche : celui de n’avoir pas
écrit depuis un temps déjà bien long ; mais voilà quelque chose qui arrive
souvent, en tous lieux, pour bien des gens. Je pensais pour ma part que toi
qui venais du cœur de la Grèce, tu écrirais quelque chose qui différât du
vulgaire  ; mais tu sembles négliger l’éloquence, tout en écrivant pour
réclamer des discours, car tu n’en as pas envoyé, et car tu ne l’as pas
voulu. Je m’étonnais que tu accuses quelqu’un de se taire après le meurtre
de ce grand empereur384. Car ce n’est pas ceci qui est terrible, qu’un de ses
amis garde le silence, mais plutôt qu’il apparaisse en train de parler,
d’écrire et d’envoyer ‹des lettres›. Qu’aurais-je pu donc t’écrire  ? Qu’il
était mort ? Mais cela même l’Océan le savait. Alors, que je le supporte ? Le
malheur est trop lourd à supporter. Que je ne le supporte pas ? N’était-ce
pas évident pour toi ? Fallait-il donc, pour le poste que tu détiens, donner
quelques conseils et y ajouter des espoirs pour un second ? Mais je savais
que tu devais sortir du premier et pour le second il revient à d’autres d’en
parler. Tu me sembles, mon cher Aristophanès, avoir bien vite oublié cette
personne sacrée : sinon tu n’aurais pas fait de telles demandes ni de tels
reproches. Quant aux lettres que nous avons échangées, lui et moi, je t’en
envoie certaines, pas les autres385 Il faudra juger dans chacun des deux
cas : car s’il n’y a rien de redoutable à publier les unes, ‹c’est vrai› pour les
autres peut-être… Et celui qui pense qu’avec mon discours386 j’ai tiré
vengeance de ceux qui blasphèment sa mémoire et qui désire en avoir
lecture, parce qu’il hait ceux qui haïssent ce grand homme, a bien raison.
Mais qu’il ne croit pas que je suis un Mélitidès387 au point d’ignorer qu’il
n’est pas sans danger de tirer de pareilles vengeances  ; car ce sont les
mêmes qui blasphèment et qui sont puissants. Il lui suffira donc que tous,
à quelques exceptions près, le388 regrettent ; et je te loue de désirer agir et
de ne pas vouloir dormir quand tu le pourrais. Il est aussi digne d’éloge de
tourner ses regards vers l’excellent Olympios, esprit sans malice, qui a le
goût de la gloire et assez de puissance389.
383. Ce Grec de Corinthe (Let. 62*) était d’une grande famille curiale  ; il entra dans
l’administration comme agens in rebus*, puis tomba sous le coup d’une accusation qui lui
valut le bannissement et la ruine. Libanios rédigea pour lui une défense adressée à Julien
(Discours 14) : il obtint alors un poste (proconsul d’Achaie ou uicarius * de Macédoine ?).
Cette lettre est la première qu’envoya le sophiste à son ami après la mort de Julien : ils
s’accusent mutuellement d’avoir oublié l’Empereur.

384. Julien, mort en juin 363 dans un combat contre les Perses  ; mais la rumeur de
l’assassinat perpétré à la faveur de la bataille avait couru.

385. On est au début du règne de Valens dont l’attitude envers la mémoire de l’empereur
païen et sa politique religieuse incitait effectivement à la prudence  : les alarmes de
Libanios sont bien justifiées.

386. La Monodie sur Julien (Discours 17) qu’il n’a pas publiée.

387. Type de l’idiot à Athènes : voir Aristophane, Grenouilles, 991, ou encore Lucien, Amours,
53.

388. Julien.

389. Olympios 9, le porteur, fut peut-être censitor Syriae en 363 et proconsul d’Achaïe en 364
(voir A. Chastagnol in P. Petit, Fonctionnaires, p. 181).
Lettre 76 (1467 F) début 365

à Saloutios390

Tu as été encore aujourd’hui fidèle à toi-même, noble ‹Saloutios›, et du


début à la fin tu es resté le même envers Évagrios391 : de ta part ‹vint› le
premier honneur392, de ta part les seconds, les plus importants. Tu as
rétabli la situation de l’accusé, tu n’as pas pressuré l’homme qui avait été
frappé  ; et encore, le couronnement, c’est que tu as toi-même levé
l’amende. Considère que je ne suis pas seul à l’écrire, mais que c’est un
chant commun à la cité, entonné ici et gagnant l’Égypte (en effet, la
famille d’Euagrios est établie jusqu’au Nil) : autant de cités qui mêlent leur
joie et leur peine. Car aujourd’hui, elles sont passées du chagrin à la
confiance. Telles sont, en effet, tes interventions : faire cesser les larmes,
donner des occasions à la fête. En échange, nous demandons aux dieux de
vous conserver, toi et ton enfant, aux peuples qui par tes soins sont
sauvegardés aux empereurs. De la part des dieux voilà ce que nous
espérons pour vous ; mais à toi, nous demandons encore de renvoyer chez
lui Euagrios, qui est en retard, en un équipage qui honore celui qu’il
transporte393. À ceux qui ont été en difficulté il est beau, je crois
d’apporter de tels secours, qui peuvent quelque peu effacer la honte
survenue.
390. Voir Let. 64*, 70*, 72*.

391. Éuagrios 6, qui appartient à une grande famille d’Antioche, gouverneur d’une province
depuis l’automne 364, est accusé, limogé et condamné à une amende, au début de l’hiver
364-65 et Libanios multiplie les lettres pour appuyer son avocat, Évanthios. Il est
finalement sauvé grâce à celui-ci et à Saloutios. Évagrios devient plus tard chrétien et
évêque d’Antioche.
392. C’est-à-dire le poste de gouverneur.

393. La poste impériale (cursus publicus*).


Lettre 77 (1508 F) printemps 365

à Séleucos394

J’ai pleuré sur ta lettre et j’ai dit aux dieux  : «  Pourquoi ceci, ô
dieux  ?  » Ayant donné la lettre à lire à ceux qui parmi les autres
m’inspirent le plus confiance, je vis qu’eux aussi réagissaient comme moi à
la lettre. Car chacun comparait ce que tu méritais d’obtenir et les
conditions dans lesquelles tu as été contraint de vivre. Mais je vais redire
les mots de consolation que je leur ai adressés et que je me suis adressés à
moi-même : car je pense que cela te suffira. L’exemple d’Ulysse m’est venu
à l’esprit, lui qui, après avoir renversé Troie, fut ballotté, comme tu le sais,
par la mer ; mais nous n’avons pas besoin de rameaux pour couvrir notre
sexe – puissions-nous ne jamais en avoir besoin  ! – nous ne sommes pas
non plus maltraités par nos serviteurs et ta maison est pure de tout
débordement d’ivresse. Si tu es chassé des villes et de leurs bains, songe
combien ‹de gens›, alors qu’il leur est possible de vivre en ville, préfèrent
vivre à la campagne, jugeant ses charmes plus agréables que les tumultes
d’ici. Si tu étais Achille, et il aurait fallu que tu vives avec le Centaure au
Pélion395, qu’aurais-tu fait  ? Tu te serais enfui pour aller vers les villes,
tenant la montagne pour un fléau ? Non, par Zeus, Séleucos, ne te torture
pas et n’oublie pas ces généraux qui, ayant à peine dressé des trophées, se
trouvèrent l’un enchaîné, les autres en fuite396. Car ce n’est pas pour
souffrir que nous avons été instruits de ces exemples, mais pour que nos
chaînes nous paraissent légères. Tu as une occasion d’exercice littéraire et
tu manques de courage  ! Tu n’as pas craint les Perses et tu redoutes les
arbres ! Tu as supporté le soleil du côté du Tigre, et alors que tu jouis de
l’ombre des feuillages dans le Pont, tu désires les agoras des villes et
prétends être seul, ce qui est la dernière chose qui puisse arriver à un ami
des lettres  ! Comment en effet Platon pourrait-il t’abandonner, et
Démosthène et tout ce chœur, qui est nécessairement partout où tu le
veux ? Dialogue donc avec eux et écris l’histoire de la guerre397 comme tu
l’as promis, et les circonstances présentes ne t’affecteront pas si tu as en
vue un si grand enjeu. C’est ce qui a rendu à Thucydide même l’exil
léger398, et je t’aurais raconté toute l’histoire, si tu ne la connaissais déjà
bien. Sois persuadé que par ton écrit tu réjouiras tous les hommes. Tu as
vu les faits comme d’autres, mais toi seul de ceux qui les ont vus possèdes
une éloquence à la hauteur des faits.
394. Séleucos 1 est un Cilicien qui obtint une charge à la Cour sous Julien ; il collabora en
Cilicie à la restauration des cultes et, sans doute, reçut-il une charge sacerdotale ; mais
après la mort de Julien, il paya le zèle qu’il avait déployé, fut limogé et condamné à une
amende. Libanios plaida la cause de son ami auprès de tous les puissants susceptibles de
le réhabiliter  ; mais ce fut sans succès et Séleucos, en avril 365, fut assigné à résidence
dans un domaine du Pont, avec interdiction de rejoindre une ville. Libanios le console en
lui vantant les charmes de la campagne  ! L’épisode est significatif de ce qu’on peut
appeler, sous le règne de Jovien, puis de Valens, une «  répression  » visant les anciens
partisans de Julien.

395. Achille a été élevé sur le mont Pélion, en Thessalie, par le centaure Chiron. Ce dernier
lui aurait inculqué l’art de la médecine.

396. Allusion aux vainqueurs des Guerres Médiques qui connurent bien des vicissitudes  :
Miltiade, le vainqueur de Marathon, fut, en 489, accusé de trahison et condamné à une
amende ; Thémistocle fut ostracisé en 471, puis, accusé de trahison, condamné à mort par
contumace ; le général Spartiate Pausanias, vainqueur de Platées, fut, lui aussi, accusé de
complicité avec le roi perse et chassé de sa patrie.

397. L’expédition de Julien en Perse.

398. L’historien Thucydide, accusé de trahison après son échec comme stratège devant
Amphipolis de Thrace, en 424 av. J.-C., partit en exil et se consacra à l’écriture.
Lettre 78 (1517 F) 365

à la Curie d’Ancyre399

Je pense ne rien faire d’audacieux en vous envoyant une lettre


commune, à moins que cela ne soit audacieux de vous aimer tous  ! Et si
cela l’était le moins du monde, quelle raison y aurait-il à cela  ? Ce que
j’aurais fait envers ma propre curie, si j’avais été absent : écrire en toute
confiance, je le fais avec la vôtre dont je pensais être moi-même l’un des
membres depuis toujours. Si donc je devais vous inviter à quelque chose
qui n’est pas dans vos habitudes, même ainsi je pourrais vous persuader
raisonnablement  : si le nouveau est quelque chose de beau, qu’est-il de
beau pourtant qui ne soit pas dans vos habitudes ? Et en réalité, ce dont
vous vous êtes préoccupé depuis longtemps et que vous avez témoigné
tout au long du temps, je voudrais encore aujourd’hui vous le montrer.
Vous avez l’amour de toute forme d’éloquence, vous-mêmes possédez
cette éloquence, vous écoutez avec plaisir les gens cultivés, vous ne fuyez
pas quand ils se présentent, mais vous vous pressez et vous précipitez,
vous vous réjouissez avant qu’ils ne parlent, vous exultez à leurs discours
et ce que les spectacles ‹du théâtre› sont pour les autres, les joutes
oratoires le sont pour vous ; il y a des applaudissements pour ceux qui en
réclament, et pour ceux qui réclament des richesses, il y a les deux  :
richesses et applaudissements. Voilà pourquoi vous êtes célébrés par la
bouche de nombreux orateurs, de nombreux poètes ; la plupart des cités
que nous connaissons ont chanté les louanges de la vôtre et celles-ci
seront chantées tant que vous serez amis des Muses. Mais vous serez tels
tant qu’existera la cité. C’est cette réputation qui vous a aussi amené
Dorothéos, le poète, mortel qui ne chante pas sans les Muses, qui a vu
beaucoup de terre et de mer, et a montré partout sa folie, car il célébrait
ceux qui donnaient, mais ne blâmait pas ceux qui ne donnaient pas. Il faut
que vous soyiez de ceux qu’il célèbre pour que votre gloire atteigne son
acmé et que vous, les fils, ne le cédiez pas aux pères. Portez vos regards
sur cette inscription dans laquelle les lèvres d’un noble poète sont
honorées avec de l’or400 et tenez-la pour une invitation : il faut se servir
des poètes. Dorothéos va vous émouvoir en parlant, je le sais  ; mais son
caractère aussi le rend digne d’honneur. Il est, en effet, simple, honnête,
tout son cœur rappelle ceux de Zeus et de Mnémosyne et il n’a laissé place
en lui à aucune fourberie.
399. Lettre originale, car adressée à l’ensemble de la curie* de la cité d’Ancyre en
Cappadoce ; elle a dû être lue devant tout le conseil.

400. Parce que comparées à de l’or. On pense au surnom de Jean Chrysostome, «  Bouche


d’or ».
Lettre 79 (840 F) seconde moitié de 388

à Tatianos401

Alors que ta première lettre nous était venue dès le début de ton
commandement, puis qu’aucune autre ne venait, il était permis à mes
amis de s’étonner et de chercher pour quelle raison il pouvait bien en être
ainsi. Je ne les laissais pas s’interroger, ni croire à un changement de ta
part – car ce n’est pas ton caractère – mais c’est à l’accusation que j’avais
encourue d’être devenu déloyal envers les maîtres du pouvoir402 que
j’attribuais ton silence, disant que la loi interdit à des gens d’une telle
position d’écrire à des gens tels que moi  : «  Quand l’accusation sera
réfutée, assurais-je, vous verrez ses lettres. » C’est ce que je disais, c’est ce
que j’attendais, c’est ce qui arriva, le même jour ayant apporté une lettre
de toi et ‹celles› de quelques autres où l’on pouvait apprendre que nous
étions acquittés et libres. Et je n’ignorais pas que celui qui avait lutté avec
moi pour mes affaires s’est appliqué aussi à ce qui en a résulté. En effet, si
tu ne le dis pas, tu as porté secours ; il ne te conviendrait pas de dire cela,
mais il me convient à moi de le faire, car celui qui reçoit un bienfait, s’il
n’est pas un méchant homme, agira ainsi. Quant à moi, je pouvais
t’apprécier, même si tu étais absent, en la personne de ton fils, et quand
j’appliquais mes lèvres sur celles de Proclos403, je croyais vous embrasser
tous deux  ; et je me réjouissais avec la cité qu’en vous rendant vos
bienfaits elle passe tout ce qu’elle a jamais fait pour les gouverneurs, et
c’est tout naturel, car vous aussi, par vos bienfaits, vous avez passé ceux
que les autres lui ont accordés404.
401. Tatianos 5 est alors préfet du prétoire* d’Orient et joue un rôle essentiel dans l’État,
d’autant plus que son fils Proclos 6 vient d’être nommé préfet de Constantinople.
Tatianos, de formation juridique, mais ayant aussi des prétentions littéraires, fut un
grand administrateur. Libanios est heureux de reprendre contact avec lui après ses
ennuis.

402. Libanios vit alors des jours sombres, dans un contexte politique très troublé.
L’empereur Théodose était impopulaire, comme l’avait prouvé la révolte dite «  des
statues  » qui avait secoué Antioche, début 387, révolte au cours de laquelle la foule
excédée par l’annonce de nouveaux impôts avait jeté à terre les statues impériales et
incendié des maisons ; le pouvoir de l’Empereur était aussi menacé, comme le prouvait
l’usurpation de Maxime, alors maître reconnu de l’Italie. Libanios se trouva lui-même en
position délicate : Thrasydéos aurait rapporté aux milieux de la Cour que Libanios était
un partisan de Maxime (Discours 32, 27) : c’est à ce soupçon que fait ici allusion Libanios.
Ces accusations furent reprises par un vieillard inconnu qui poursuivit Libanios de ses
délations (Autobiographie, 263-5)  ; enfin, des accusations de pratique illégale de
consultations oraculaires auraient pesé sur lui.

403. Proclos 6, de culture juridique comme son père Tatianos, est quelqu’un que Libanios
flatte par opportunisme, peut-être aussi par crainte, car le contraste est très frappant
entre les débordements d’amitié que portent les lettres et les attaques très virulentes que
s’autorisent les discours (brutalité, avidité, recrutement de partisans sans aveu, manie
édificatrice). Il est le porteur de la lettre adressée à son père  : il quitte donc Antioche
pour prendre son nouveau poste  ; la lettre 885 F montre que Libanios le fréquenta
beaucoup à Antioche et l’accompagna à son départ.

404. Tatianos semble avoir eu, du moins au jugement de Libanios, plus d’envergure que son
fils  : le sophiste loue son souci de restaurer les curies, la façon dont il recrute les
fonctionnaires et ses embellissements d’Antioche.
Lettre 80 (846 F) seconde moitié de 388

à Eusébios405

Émèse envoie encore des ambassadeurs406 et des couronnes407 aux


empereurs, consciente de sa pauvreté, mais honteuse cependant d’être
bannie du nombre des cités, les circonstances l’en ayant pourtant depuis
longtemps rejetée. C’est, en effet, l’œil de la Phénicie, le séjour des dieux,
l’atelier de l’éloquence, la source des bonheurs et des réjouissances et l’on
ne saurait dénombrer la foule de ses avantages. Or cette ‹cité› multiple et
belle, en a perdu la plupart, et on le voit dans les quelques familles qui
vont subir le même sort que les autres ont subi, si tu n’apportes quelque
secours. En effet, quelle situation que la leur ! L’un était pris à la gorge par
les dettes et l’argent n’était plus à celui qui avait vendu, mais l’acheteur
qui s’en emparait, ayant pris tout ce qu’il voulait, allait l’employer ailleurs.
Ce qui leur reste est bien peu de chose : le souvenir du bonheur passé, les
larmes sur le présent. Et l’étranger qui se rend là-bas s’en va bien vite en
évitant de tout voir, dans la pensée qu’il y a partout des raisons de se
lamenter. Cette cité qui n’est plus – car une cité qui passe de si haut à si
bas, il faut considérer qu’elle n’est plus – que notre divin Arcadius408 en
fasse à nouveau une cité. Il lui siérait, en effet, d’accorder ce bienfait au
monde et de rendre ceux qui veulent le louer mieux armés. Pour ce qui est
en ton pouvoir, les ambassadeurs n’échoueront en rien, je le sais bien ; car
tu te réjouis de faire le bien et, moi qui ai écrit, tu croiras que je suis là et
que je partage ton zèle envers les ambassadeurs.
405. Eusébios 16, magister officiorum* en 388-390 : il reçoit et introduit les ambassades ; leur
succès dépend donc largement de lui. Comme il a une culture littéraire et de bons
rapports avec Antioche dont il accueille très favorablement les ambassadeurs, la
démarche de Libanios paraît fort opportune.

406. Libanios recommande ici les ambassadeurs d’Émèse, cité de Coelé-Syrie sur l’Oronte, et
plaide en faveur d’une ville que la fuite des curiales* et l’appauvrissement ont rendue
exsangue.

407. L’or coronaire : voir Let. 70*.

408. Arcadius, le fils aîné de Théodose, Auguste* depuis 383, est empereur à Constantinople
pendant l’absence de Théodose, parti en Occident pour purger les séquelles de la révolte
de Maxime.
Lettre 81 (852 F) automne 388

à Proclos409

Alors que les ambassadeurs avaient déjà été désignés, un étranger


demanda à un citoyen combien ils étaient  ; celui-ci répondit  : «  Trois  »,
mais moi qui me trouvais là par hasard, je dis qu’il n’y avait pas trois
ambassadeurs, mais quatre. « Comment, dit-il, quatre ? » ; « oui, parce que
bien avant ces trois-là, Proklos a été désigné par tout ce qu’il a accompli
dans la cité, voies et portiques, bains et places publics.  »410 Car on aime
forcément son propre ouvrage et c’est une bonne chose que celui qui se
veut notre bienfaiteur ait aussi le pouvoir de l’être411 ; or il le peut et son
pouvoir est double, car il a hérité aussi de la puissance de son père et c’est
de ces doubles moyens qu’il usera en notre faveur pour restaurer l’ancien
pouvoir de la curie ; ainsi, ce ne sera pas seulement, sous le portique que
tu as fait élever, la joie du peuple qui s’exprimera chaque soir par des
chants412, mais aussi celle de la curie par le moyen d’expression qui
convient à une curie.
409. Cette lettre a été apportée à Proclos, dans l’automne 388, par les membres d’une
ambassade antiochéenne, au nombre de trois  ; ils se rendaient à Constantinople pour
féliciter l’Empereur de sa victoire définitive sur Maxime (sur les problèmes liés à ces
ambassades de 388, voir P. Petit, VM, App. V, p. 418-420). Proclos était un très important
personnage, parvenu très jeune dans les cercles du pouvoir. Il était le fils de Tatianos (cf
Lettres 79* et 89*) qui avait déjà accompli une brillante carrière, couronnée par la charge
de praefectus praetorio per Orientem (388-392 ?). Proclos devint dès l’âge de vingt ans, grâce
à l’influence paternelle, gouverneur de province, et bientôt comes orientis* (383-384). En
388, alors que son père succédait à Kynégios, au plus haut poste de l’administration
d’Orient, Proclos devenait préfet de Constantinople (cf. H. Grégoire, «  Le préfet du
prétoire Fl. Eutolmius Tatianus », Anat. Stud., in honour of W. Ramsay, 1923, p. 151-154 ; A.
Piganiol, Emp. Chr., p.  286). Les relations de Libanios avec Proclos furent ambiguës. Il
n’aimait pas du tout ce personnage ambitieux et avide, brutal et violent (cf. Autob., 221 :
« Proclos qui avait ouvertement fait de sa charge une tyrannie », et 223 : « Pendant toute
la durée de ce commandement, je fus en butte aux intrigues de ses amis, dont je n’étais
point, et certains me trouvaient téméraire de ne pas redouter ses foudres » ; Libanios fut
d’ailleurs tenu pour un homme de mérite en refusant de fréquenter Proclos, § 224). Sur la
réhabilitation du personnage, dont la légende noire est due pour l’essentiel à la partialité
de Libanios, qui ne juge l’homme qu’à travers le prisme de ses propres critères et intérêts
civiques, voir P. Petit, VM, p. 277. Mais, en 388, Libanios demandait au haut fonctionnaire
d’accueillir l’ambassade des Antiochéens et surtout de remédier aux problèmes de la
curie d’Antioche en restaurant son crédit et en recrutant de nouveaux curiales. Il devait
donc le flatter.

410. Libanios fait allusion à la politique de construction en faveur d’Antioche à laquelle


s’attachèrent nombre de hauts fonctionnaires d’Orient (P. Petit, VM, p. 315-16, en donne
la liste pour le IVe s. ; J. H. W. G. Liebeschuetz, « The Finances of Antioch in the Fourth
Century A. D.  », Byzantinische Zeitschrift 52, 1959, p.  354). Mais dans le Discours 42, 41,
Libanios reproche à Proclos d’avoir démoli et bâti à tort et à travers (P. Petit, VM, p. 277,
n. 10) et d’avoir voulu agrandir le Plèthre (Discours 10 et P. Petit, VM, p. 143). Malgré ces
critiques, les embellissements d’Antioche sous l’impulsion du comes furent réels et le
sophiste ne peut les nier.

411. On devine l’ironie de Libanios à travers ces balancements rhétoriques sur aimer /
pouvoir : « puisque tu aimes tant cette ville, prouve-le ! », et le recours au dialogue avec
un tiers qui permet de dire sous couvert de conseils généraux ce qu’on n’ose proposer ou
reprocher directement à l’intéressé.

412. Très intéressante et fort suggestive est cette allusion à la vie sociale d’Antioche  : le
soir, et même la nuit grâce à l’éclairage public, les habitants avaient l’habitude de se
retrouver sous les portiques pour se promener, se rencontrer, deviser, voire se distraire
par des chants, moments privilégiés d’une communauté qui, libérée des obligations
diverses, pouvait dans la fraîcheur retrouvée du soir se livrer au plaisir d’être ensemble
(voir Discours 11, Antioch., 267  ; Discours 45, 26). Cela nous permet aussi de deviner les
loisirs simples et la vie de relation si riche d’une société antiochéenne « que l’on a trop
tendance à figer soit dans la raideur hiératique des tenants d’un passé révolu, soit dans
les voluptés d’une société décadente ». (B. Schouler, Pallas XXXII, 1985, p. 137).
Lettre 82 (871 F) seconde moitié de 388

à Tatianos413

Tout ce que tu fais est beau et grand, tout ce que tu dis et tout ce que
tu écris, tout ce que tu accomplis, tout ce que tu as accompli et tout ce que
tu accompliras, parce que cela apporte le salut aux cités, le salut aux
campagnes. Et à celles-là je pourrais ajouter encore les marchands qui
font du commerce maritime et ceux qui pratiquent d’autres types
d’activités. Partout règne la modération et personne ne cherche, d’aucune
manière, à avoir plus qu’il n’est légal, les uns persuadés de cela, les autres
contraints, mais qui, pour mécontents qu’ils aient été la première fois,
félicitent plus tard ceux qui les avaient contrariés. Faisant le bien des
hommes en exerçant le plus haut commandement, tu fais à nouveau le
bien par les gouverneurs que tu envoies aux peuples. Car si c’est à
l’Empereur qu’il appartient de donner la nomination, c’est toi qui lui
apprends celui qui est digne de la recevoir. Vous venez de donner à
l’Égypte et au Nil un tel homme, qui sait par quel moyen il faut bel et bien
aider les cités, don certes naturel, mais en outre fruit de l’éloquence et des
lois414. C’est ainsi qu’il s’est montré envers ceux qui ont déjà reçu ses
soins, de sorte que tu jouis aussi là-bas415 de la bonne réputation d’avoir
pourvu les commandements d’hommes sachant commander.
413. Tatianos 5 (voir Let. 79*), nommé préfet du prétoire* d’Orient en mars 388, joua un rôle
essentiel dans l’État et opéra un large recrutement de fonctionnaires, des païens bien sûr,
et des juristes qu’il sut bien choisir, souligne Libanios.

414. Alexandros 5, nommé praeses* de Thébaïde, en Égypte, dont Libanios vante la double


culture.
415. Allusion aux difficultés pour faire régner l’ordre en Égypte et en particulier à
Alexandrie ?
Lettre 83 (898 F) 388

à Élébicos416

Il est important pour nous que l’excellent Annianos ait été à nouveau
couronné par la Thrace à cause de ce qu’il a fait pour la Thrace ; mais il est
beaucoup plus important qu’il soit venu en personne avec ta lettre : tu ne
devais donc pas seulement nous honorer présents, mais même absents  ;
des éloges nous sont décernés dans toutes les conversations chez toi, tu
apprécies les autres qui font notre éloge et celui qui critique – il y a, en
effet, des gens pour le faire – s’en va chagriné. Nous honorant par le
plaisir que tu prends aux lettres qui viennent de nous, tu nous honores à
nouveau par celle qui vient de toi. Mais je te demande, et la cité le
demande avec moi, de te souvenir de ce que tu as annoncé quand tu nous
as quittés : tu annonçais qu’après avoir profité de la Grande cité417, tu te
donnerais de nouveau à la cité qui cède le pas à celle-là418, quoique
largement plus grande, et j’ajouterais plus belle. En effet, tu nous as donné
aussi quelque chose à dire de sa beauté, en offrant une si belle maison et,
en plus de celle-ci, un bain qui est situé au milieu de la cité et qui draine le
monde vers lui depuis chacune des portes, la neuve et l’ancienne419.
416. Magister militum per Orientem depuis 383 : pendant son séjour à Antioche, il a noué une
amitié avec Libanios et lui a demandé de rédiger son panégyrique en 385 (Autobiographie,
232). Il joua un rôle important lors de la révolte « des statues » et semble avoir fait preuve
alors de clémence, de modération et de tact.

417. Constantinople.

418. C’est-à-dire à Antioche. La supériorité d’Antioche sur Constantinople, défendue avec


chauvinisme par Libanios, est un thème récurrent dans l’œuvre du sophiste : Let. 33*.
419. Pour le remercier de sa clémence dans l’affaire des «  statues  », le peuple d’Antioche
éleva à Élébicos des statues et Libanios fit un autre discours en son honneur (Discours 22) :
ce serait par gratitude pour tous les honneurs reçus que le haut fonctionnaire aurait fait
bâtir une splendide demeure et un bain.
Lettre 84 (907 F) 388

à Abourgios420

Il ne m’a pas échappé que tu entretiens scrupuleusement notre vieille


amitié ni que tu te réjouis de voir le grand Tatianos se réjouir de nos
travaux421 : voilà ce que nous ont appris les uns à leur arrivée et les autres
par lettres. Je ne croyais donc pas être importun si je demandais une
faveur dont je ne pouvais décemment faire mention auprès de lui, mais au
sujet de laquelle je t’écrivais en toute convenance. Il s’agit du devoir que
tu dois remplir envers les dieux de l’éloquence422. L’un de mes disciples,
Eusébios423, sollicité par décrets de la curie d’imiter son ancêtre et
homonyme et de former des orateurs, y a obéi et comme il s’est donné de
telles peines et qu’il est hautement méritant, il se trouve à nouveau
honoré par des décrets qui sollicitent pour lui des honneurs de la part de
l’Empereur : l’un est illustré par ce qu’il a reçu, la seconde par ce qu’elle a
demandé et le dernier par ce qu’il a accordé. D’autre part, ils424 ont choisi
le sophiste comme ambassadeur, non pas au titre de curiale, mais de
‹citoyen› ne perdant pas le statut qu’il avait  ; l’ambassade fut servie par
son éloquence et, quoique l’annonçant eux-mêmes, devenus après cela des
Euripe425, ils sont allés en sens opposé et ont prétendu que le sophiste
devait assumer ce dont il était dispensé contre les lois. Il serait donc
terrible ou bien qu’aucun sophiste ne soit exempté à l’avenir et que
l’éloquence soit ainsi traitée, ou que lui seul ne le soit pas, et que «  seul
entre les Argiens  », comme dit Homère quelque part, «  il soit sans
butin  »426, alors qu’il ne le cède à personne, pour ne pas dire plus.
Assurément, au sujet des honneurs dont il a été privé, c’est à lui de
montrer qu’ils demeureront pour lui seul et il a les lettres à portée de
main. Dévoue-toi donc comme allié ‹pour lui› si tu dois te dévouer au parti
de la justice.
420. Personnage influent à Constantinople et ami du préfet du prétoire* Tatianos.

421. Les travaux des sophistes, c’est-à-dire tout ce qu’imposent la pratique et


l’enseignement de la rhétorique.

422. Les dieux de l’éloquence constituent une référence constante dans les derniers écrits
de Libanios, et elle prend le pas sur le culte de la Fortune jusqu’alors prégnant dans son
œuvre.

423. L’Antiochéen Eusébios 22 est sophiste, mais soumis aux charges curiales*, alors que les
professions de l’éloquence en sont normalement dispensées : à travers lui, Libanios plaide
pour l’immunité réservée aux sophistes et pour l’intégrité de leur statut.

424. Les membres de la curie*.

425. Expression proverbiale pour désigner une personne instable et versatile, par allusion
aux courants alternatifs de 1’Euripe, le bras de mer qui sépare l’île d’Eubée de la côte de
Béotie.

426. Iliade, I, 118, à propos d’Agamemnon qui ne veut pas, s’il rend la captive Chryséis, être
« seul sans butin ».
Lettre 85 (914 F) 388

au Patriarche427

Des nouvelles contenues dans ta lettre, j’en savais une part depuis
longtemps, le reste je viens de l’apprendre ; et mon chagrin s’est amplifié
avec l’ajout fait à ta lettre  : qui ne serait pas affligé qu’un tel peuple
souffre depuis si longtemps428  ? En faveur de ceux qui vous persécutent
personne n’est intervenu par lettre, et même si beaucoup l’avaient fait, je
n’aurais rien entrepris, ni ne me serais fait du tort en vous faisant du tort.
Quant à celui dont tu crois qu’il commandera notre cité et qu’il est
quelque part près de nous429, un bruit qui n’est pas fondé vous a trompés
ainsi que nous  ; mais nous sommes détrompés  : vous devez l’être aussi
maintenant, si ce n’était déjà fait.
427. Le patriarche juif de Tibériade, Gamaliel 6, dont le fils fut élève de Libanios et qui était
très féru de lettres grecques, était un personnage au pouvoir immense qui pouvait faire
pression sur les autorités romaines au point de faire disgracier, voire exécuter un
gouverneur.

428. Le judaïsme avait dans l’empire le statut de religio licita, mais les excès et attaques d’un
certain nombre de ses sectateurs provoquaient des réactions violentes de répression de
la part de certains fonctionnaires, même sans ordre officiel.

429. Allusion au bruit du retour du gouverneur de Syrie disgracié, Loukianos 6, à qui


Libanios reproche ses violences, son orgueil et son intransigeance envers les curiales* et
les honorati*. Il avait été dénoncé au préfet du prétoire* Tatianos, convoqué à
Constantinople, puis destitué de son commandement et renvoyé à Antioche pour être
soumis à une enquête.
Lettre 86 (926 F) 390

à Eusébios430

Tu connais, je suppose, Thalassios431 qui possède, selon moi, les plus


grandes qualités. Car qu’est-il d’égal pour moi à une vie consacrée à
l’éloquence  ? Son existence, si l’on examine bien la situation, est
irréprochable, mais elle a suscité l’envie de quelques-uns du fait même
qu’il est incapable de souffrir des mêmes maladies qu’eux. De tels
personnages qui ont obtenu par la flatterie la confiance des gouverneurs,
ont, dans les dîners, déversé des calomnies sur autrui et tout
particulièrement sur celui-ci, qui est homme de bien432, et eux433 ont été
entraînés et l’ont menacé. Quelqu’un conseille alors à Thalassios de
devenir membre de l’auguste sénat  : il ne serait pas facile, alors, de le
menacer. Celui qui l’a dit m’a paru avoir raison et je m’y conforme. Mais
quand l’affaire a été introduite, l’un des membres influents du sénat434,
qui n’a jamais subi de tort de notre part, mais à qui une tromperie l’a fait
croire – et ils sont nombreux à agir ainsi – fit opposition en disant ce
qu’on peut attendre de qui croit devoir faire justice de nous, et il l’a
emporté par ses cris. Comme nous étions blessés par ces gens-là et
déterminés à ne plus déranger, des lettres sont venues de là-bas et ont mis
un terme à notre peine en annonçant que ceux qui étaient alors du parti
de nos adversaires nous soutien draient dans cette quête. Et comme c’était
des amis qui avaient envoyé les lettres, on ne pouvait pas ne pas avoir
confiance  ; dans tous les cas, tu es d’un grand poids pour redresser les
choses.
430. Eusébios 26, magister officiorum*  ; il peut avoir une influence au sénat de
Constantinople.

431. Thalassios 4 était le secrétaire de Libanios, homme de culture qui s’est occupé de sa


bibliothèque et lui a rendu les plus grands services ; comme il avait voulu, en vain, entrer
au sénat pour échapper à la curie*, Libanios déploya tous les efforts et multiplia les
lettres de recommandation aux sénateurs ou puissants qu’il jugeait susceptibles de
pouvoir intervenir alors qu’il espérait encore un revirement du sénat. Les sénateurs
avaient, en effet, refusé de le coopter, sous le prétexte d’une origine trop humble, mais
surtout parce qu’il était requis par la curie. Or, l’on était à une époque où l’accès au sénat
était presque interdit aux curiales* : voir P. Petit, VM, p. 344 et « Sénateurs », p. 361-366.

432. Il avait cependant une activité peu prisée : il possédait, en effet, un atelier de couteaux
et d’armes, même s’il n’y travaillait pas lui-même. Le rapprochement avec le père de
Démosthène, qui possédait un atelier du même type, n’échappa évidemment pas à
Libanios.

433. Les gouverneurs.

434. Optatos 1 que, dans le Discours 42, 20, Libanios montre s’écriant, les bras au ciel  :
«  Quoi  ? Thalassios dans notre sénat  ?  » Dans la lettre, le rhéteur est obligé,
diplomatiquement, de reconnaître l’influence d’Optatos sur ses collègues et d’excuser sa
prise de position contre Thalassios.
Lettre 87 (947 F) 390

à Priscos435

Le bénéfice qu’en venant dans notre ville le noble Hilarios lui a


apporté est à la mesure du mal ‹qu’il cause› en courant vers la Grèce – qui
est supérieure436 à notre cité, ou plutôt qui la surpasse en toutes choses.
Chez ceux à qui l’on ôte ce qu’ils désiraient le plus garder, rien n’ôte ce
chagrin et surtout pour des gens, comme moi, très avancés en âge. Quand
on est jeune ou vieux – mais certes pas si vieux que moi – existe l’espoir de
faire la même traversée que la première et d’être à nouveau là et de
fréquenter des gens à l’esprit plus délié, en accueillant ceux qui viennent
vers vous et en leur rendant la pareille, tantôt parlant, tantôt écoutant,
tantôt décernant l’éloge, tantôt le recevant. Mais tout cela leur appartient.
Quant à moi, j’ai atteint l’âge de soixante-six ans et je n’ai plus beaucoup à
vivre. Il reviendra437 avec un beau récit, beau est, en effet, ce qui touche à
la Grèce, mais tout en en réjouissant d’autres il me cherchera. De cela
notre cité profitera plus tard. Et j’en viens à dire Hilarios heureux, lui qui
va voir les plus belles choses qui soient sous le soleil, les belles et
nombreuses cités du Péloponnèse, de Phocide et de Béotie, la cité qui l’a
vu naître, l’astre de la Grèce, la cité d’Athènes et cet autre astre, Priscos,
qui connaît parfaitement Platon, et parfaitement l’élève de celui-ci438, et
renvoie ceux qui l’ont fréquenté dotés de plus de sagesse, ce que je sais
moi-même pour en avoir souvent tiré profit. Et il dirait les mêmes choses
de lui, ce grand homme dont un dieu a rempli l’esprit de philosophie et à
qui il a donné de commander les Romains439, de repousser les barbares,
puisque même quand il trouva cette mort en repoussant le Perse, il faisait
grand cas de savoir si, pour Priscos, il aurait agi comme il convient. Rends
donc aussi Hilarios meilleur et accorde-nous qu’il en rende compte par
écrit ; car c’est un homme honnête et il ne dissimulera pas.
435. Philosophe néoplatonicien, compagnon de Julien que Libanios tient en haute estime et
affection (PLRE, P.  5, 730). La lettre donne au sophiste l’occasion de quelques
réminiscences platoniciennes que le lecteur cultivé peut apprécier. L’évocation de la
Grèce est embaumée par les souvenirs et la tradition classique : la réalité est sans doute
bien différente de cette Grèce mythique, prospère et peuplée de cités, avec pour
épicentre Athènes, capitale de la culture.

436. On peut se demander quel est le critère qui préside à cette hiérarchie  : l’antériorité
historique qui fait d’elle la matrice de la Grèce d’Orient, la tradition culturelle et
philosophique, la langue dont elle est le berceau, et en particulier le pur idiome attique ?
Sans doute tout cela à la fois, en un mot l’hellénisme en quoi se reconnaissent tous les
hommes de culture et de tradition de l’empire d’Orient, quelle que soit leur origine
ethnique.

437. Hilarios.

438. Aristote.

439. Julien.
Lettre 88 (951 F) 390

à Thalassios440

Dis à Calliopios441 de ne pas médire du printemps sous prétexte qu’il


mène à Rome, par la mer, certains de nos étudiants. Ce n’est pas moi qui
cause ce mal dont il parle ni qui fais injure à la langue grecque en
honorant celle des Italiens  ; aucun père ne pourrait dire que je lui ai
donné un tel conseil. Mais cela est le fait de la stupidité qui prend pour
espoirs ce qu’elle veut par-dessus tout. S’ils442 avaient quelque bon sens,
ils prendraient avis des faits, et cet avis est d’examiner ceux qu’elle443
rend à leurs nombreuses patries : ils ne diffèrent pas beaucoup de bestiaux
à l’engrais.
440. Thalassios 4 qui se trouve à Constantinople, peut-être toujours occupé à se faire
admettre au sénat (voir Let. 88*).

441. Calliopios 3, ancien condisciple de Libanios, l’a assisté, dans son école, comme
grammatiste ; il est désormais à Constantinople magister epistularum des empereurs ; très
féru de culture hellénique, il va jusqu’à accuser Libanios de laisser partir ses étudiants à
Rome. Dès l’ouverture de la saison de la navigation, nombre d’étudiants s’en allaient, en
effet, étudier le latin, langue administrative, et le droit, ce qu’évidemment dénonce
âprement Libanios (Autobiographie, 214  : «  On fuyait la langue des Hellènes et on
s’embarquait pour l’Italie  »  ; ou 234  : «  la considération et le pouvoir vont à ceux qui
connaissent la langue de l’Italie », trad. P. Petit).

442. Les étudiants qui veulent partir.

443. Rome.
Lettre 89 (959 F) mi-390

à Tatianos444

Sur l’objet de ma présente lettre j’aurais peut-être dû t’écrire depuis


longtemps, mais une hésitation m’a retenu ; l’affaire devenant pressante,
il n’est plus possible, même si je le voulais vraiment, de ne pas parler. Car
tu aurais mal pris, en l’apprenant plus tard, de ne pas l’avoir appris
auparavant. Qu’ai-je donc à demander et à obtenir d’un homme qui est
heureux d’accorder de belles faveurs  ? J’ai eu un enfant d’une femme
vertueuse et de tel mérite que son caractère m’a fait tenir pour peu de
chose les filles de pères à grandes fortunes445. Mon fils étant né, comme je
voulais qu’il devienne rhéteur, puisqu’il savait parler, je l’ai inscrit parmi
les syndics446 et, s’il n’a pas réuni nombre de richesses, sa langue lui a valu
nombre d’éloges, même des collègues de la partie adverse. Ayant su toute
l’affaire, celui qui a reçu la royauté de Zeus lui-même447 nous offre le
secours qui convient à sa nature. Et surmontant les oppositions, il a
autorisé que soit transmis à celui-ci mon maigre patrimoine, et il a été
transmis. En échange de cet honneur, puisse notre empereur jouir
toujours de la meilleure fortune. Comme, parmi nos amis, il y a ceux qui
poussent ‹mon fils› vers le sénat, et ceux qui le retiennent dans la
situation où il était et que ces derniers paraissent avoir raison, il s’en est
tenu à plaider, mais craignant les navires, le blé, la mer448, et les coups
‹que réserve› la charge de curiale – ce qu’il n’a jamais souffert pour
l’éloquence – il ne trouve qu’un seul moyen de fuir  : le ceinturon et le
commandement. Et c’est dans les larmes qu’il me demande d’oser
t’adresser une lettre pour obtenir cela ; de toutes façons, il aimera tout ce
qu’on lui donnera, car tout apportera semblable sécurité et, également,
définitive, même s’il ne s’agit que d’un mois, comme on peut le voir dans
de nombreux exemples. Délivre de la crainte, ô noble ‹Tatianos›, et le
jeune homme et le vieil homme  ; si, en effet, ces choses terribles lui
arrivaient alors que je suis déjà mort, au dire des sages, la joie et le chagrin
existent même sous terre.
444. Cette lettre au préfet du prétoire* d’Orient est un plaidoyer en faveur de Kimon, fils de
Libanios. Il demande pour lui un poste de fonctionnaire afin de lui éviter les charges
curiales*.

445. Libanios a eu pour compagne une femme d’origine servile, mère de son fils, et qui
vient juste de mourir (Autobiographie, 278).

446. C’est-à-dire les avocats. Kimon fut attaché comme avocat auprès du tribunal du
consularis* de Syrie, Eustathios 6, en 384, et y resta jusqu’en 388-389.

447. Jeu de mots sur le nom de Théodose, « don du dieu », mais sans aucune arrière-pensée
religieuse tant ces références font partie du fonds culturel commun.

448. Allusion à la sitègia, transport du blé pour l’approvisionnement de la cité, incluse dans


les charges curiales*.
Lettre 90 (972 F) 390

à Richomérès449

Si je fais le compte des bienfaits que les dieux m’ont accordés, le plus
important que je trouve est ton amitié, et j’honore le jour qui m’a offert
ceci : quand, nous voyant pour la première fois, nous nous sommes plu à
être ensemble et avons fait ce que feraient ceux qui se fréquentent depuis
longtemps et en sont venus à une grande familiarité. Et quand il a fallu
que je reste et que tu partes, cela s’est fait dans les larmes. La rumeur t’a
donc apporté quelques nouvelles de nous  : nous parlons et écrivons, et
nous sommes assis au milieu d’étudiants qui s’instruisent de notre art soit
par conviction soit par contrainte  ; de ton côté, des choses brillantes,
respectables et grandes, des commandements militaires, des combats et
des victoires, le tyran anéanti et l’homme libre qui n’est plus asservi, car
l’Empereur et toi s’empressent pour toute chose noble et l’obtiennent
tantôt par la sagesse, tantôt par la force450. Ces actions ont donc été
saluées par des discours, le sont par d’autres et le seront encore par
d’autres ; et la récompense de ceux qui ont redressé la situation ressemble
à celle qu’Homère a réservée aux compagnons d’Agamemnon pour leurs
exploits. Nous prions les dieux et vous-mêmes que vous veniez vers nous,
que vous combliez notre désir, et rendiez Daphné451 plus belle de la
beauté de l’Empereur. En effet, si nous ne sommes pas Rome, ni sa mère ni
sa fille452, elle n’est pas indigne d’un tel don la cité qui se réjouit des belles
actions de son maître et s’afflige de n’avoir jamais vu celui qui ressemble
aux dieux.
449. L’un des généraux de Théodose, païen et amateur de lettres grecques ; son amitié avec
Libanios remonte à 383, alors que le militaire était en poste à Antioche comme magister
militum. Il quitta la ville une fois devenu consul, en 384.

450. Allusion à la campagne victorieuse contre l’usurpateur Maxime, en Italie. La défaite de


Maxime date de 388.

451. Célèbre faubourg d’Antioche, réputé pour son sanctuaire d’Apollon, et pour l’agrément
de son site qui en faisait un lieu de villégiature et de plaisirs.

452. Constantinople.
Lettre 91 (994 F) 391

à Kyros453

Je n’ai pas honte de me soucier de tous les curiales, de les regarder


tous comme mes concitoyens, et de me réjouir des honneurs comme de
m’affliger des brimades qui leur sont faits  ; je trouve, en effet, que cela
gratifie aussi ceux qui les honorent ; car je trouve que de tels gouverneurs
se font une belle réputation. Voulant que tu sois de ceux-ci plutôt que des
autres, en apprenant que le frère d’Apollonidès454 a été frappé, j’ai été
frappé au cœur dans ma bienveillance pour celui-ci et pour toi. Car,
comment ne pas trouver terrible que Kyros, élevé dans la paideia, paraisse
être devenu un fléau pour les curiales en les exhortant, par des coups, à
tourner leurs regards d’un autre côté et à se chercher un refuge après
avoir fui la curie  ? S’il était possible d’annuler ce qui a été fait, voilà ce
qu’il nous faudrait faire ; mais puisque cela n’est pas possible, puisses-tu
pour le temps qui te reste manifester plus de douceur et puissions-nous
offrir de meilleurs titres à la renommée.
453. Kyros 1, gouverneur d’une province, mais on ignore laquelle.

454. Vraisemblablement un principalis* dans sa cité, son frère étant également un membre


important de la curie*. Le règne de Théodose vit l’affirmation d’une politique anti-
curiale  : les notables de la cité étaient soumis à des brimades, qu’entérina une
constitution impériale de 392  : désormais, seuls les principales* étaient à l’abri de la
torture et des sévices auxquels on pouvait soumettre les décurions*. (Code Théod.
12.1.126). Ces brimades constantes expliquent évidemment la désertion des curies que
déplore Libanios, mais qu’il excuse.
Lettre 92 (1004 F) automne ? 391

à Symmaque455

Ayant joui d’une bonne nuit à la faveur de bons rêves, et ayant


retrouvé, le jour venu, mes amis, je leur parlais de cette nuit et prédisais
aussi que quelque chose de bien allait se produire qui ferait se réaliser ma
vision. Comme le jour s’avançait vers la troisième heure et que nous étions
en plein travail, l’excellent Codratos456, le bienheureux (comment, en
effet, ne serait-il pas bienheureux, lui qui a vécu près de toi), m’ayant
abordé, me met dans la main la lettre en se contentant de dire qu’elle est
de toi. Aussitôt tout mon chagrin s’enfuit – nombreux étaient ces maux
qui, depuis longtemps déjà, me pressaient et m’éprouvaient – et m’envahit
un plaisir encore plus grand que celui qu’éprouvent des gens avides
d’argent à l’arrivée fortuite de richesses. C’était avant la lecture  ; mais,
une fois le traducteur obtenu, je trouvais terrible de ne pas remplir la cité
du don de la Fortune, et confiant à trois de mes amis la lettre, je leur dis
d’aller par toute la cité la montrer à ceux qui ont de la bienveillance pour
moi et à ceux qui n’en ont pas, pour que les uns se réjouissent et que les
autres s’étouffent  ! Ces derniers observaient donc le silence des gens
chagrins, les autres étaient en fête, cette fête que tu leur avais procurée, et
ils nous jugeaient tous deux heureux, moi d’avoir reçu cet honneur, toi de
l’avoir donné. Car tu as, en cela, gratifié les dieux de l’éloquence457,
éveillant les jeunes gens à l’éloquence dans le temps même où tu comblais
de bienfaits la cité qui gouverne458 en exhortant les gouvernés à remplir
leurs devoirs459. Avec ta lettre, comme tu le disais toi-même, tu m’as
devancé, mais j’ai triomphé en aimant le premier  : je t’aime, en effet,
depuis cette époque qui nous a amené ici ton père460, les dieux qui ont
soin de nous nous accordant ceci  : qu’il nous soit donné de contempler
l’excellent Symmaque. Il était l’un des quatre461, mais seul, il attira à lui la
cité en se montrant meilleur que les bons, entre autres dans l’appréciation
de l’éloquence, ce qui me persuada de courir vers lui chaque jour. Et nous
étions toujours à parler des auteurs anciens dont la production est l’école
des autres ‹hommes›. Voyant que je n’étais pas tout à fait des gens à
rejeter, m’ayant beaucoup parlé de ton caractère, il demandait aux dieux
qu’une occasion propice se présente de te faire prendre part à mes
travaux. J’y joignais la même prière et cela m’avait disposé de telle
manière que le jugement que j’aurais eu sur toi si les choses avaient été
réalisées, je le portais alors que les choses n’étaient encore qu’à l’état de
souhait. Voilà pourquoi je me réjouissais quand tu naviguais sous des
vents favorables, pourquoi je craignais quand la mer était démontée, et
pourquoi j’étais à nouveau heureux, le calme revenu462. Aussi, en me
demandant d’être ton ami, tu le demandes à qui l’est déjà, et en m’invitant
à t’écrire en retour, de faire ce que j’aurais fait sans même qu’on m’y
invite. Mais en réclamant une lettre semblable, tu demandes l’impossible :
elle pourrait, en effet, ressembler ‹à la tienne› par la longueur et ne pas
être pire dans la forme, mais elle est plus médiocre par son rédacteur
même  ; car il faut d’abord que je devienne Symmaque, si mes lettres ne
doivent pas le céder aux tiennes.
455. Seule lettre, conservée du moins, à Symmaque, qui est un peu le Libanios latin, païen
convaincu, orateur et épistolier célèbre. Il a écrit à Libanios (lettre perdue) et le sophiste
est hautement sensible à cet honneur. Cette correspondance prouve les relations qui, au-
delà des différences radicales de langue, de choix de carrière et de situation
géographique, peuvent se nouer entre représentants de l’élite culturelle et païenne de
l’Empire et qui sont l’une des raisons de son unité. Symmaque, à la différence de Libanios
– mais la tradition civique grecque n’a pour le Romain pas de sens – a choisi une carrière
au service de l’État : il a été préfet de la Ville en 384-385 et vient d’être élu consul en 391.

456. Quadratus, en latin. Le personnage est inconnu.


457. Voir Let. 84* n. 422.

458. Rome.

459. Symmaque est célèbre pour son éloquence.

460. L. Aurelius Avianius Symmachus Phosphorius, préfet de Rome en 364-365. Il a séjourné


à Antioche à l’occasion de son voyage en Orient (voir note suivante).

461. Allusion à l’ambassade envoyée en 361 à Constance dont le père de Symmaque fit


partie et qui était composée de quatre personnages.

462. Allusion aux vicissitudes de la carrière de Symmaque  : il avait, en effet, publié un


panégyrique de Maxime, l’usurpateur, ce qui lui avait valu, à la chute de ce dernier, d’être
poursuivi pour trahison. Les charges contre lui furent finalement levées ; il écrivit alors
un panégyrique de Théodose et recouvra sa faveur, comme le prouve sa présente
situation.
Lettre 93 (1023 F) 391

à Anatolios463

Quoique déjà instruits, nous avons su cependant par le noble


Priskianos464 comment tu t’es comporté envers mon fils en dehors du
sénat, comment tu t’es comporté au sénat même, comment tu t’es
comporté avant que la cause ne soit débattue, puis dans le débat et à sa
conclusion, de la manière dont elle s’est conclue. Nous te remercions donc
pour tout cela et te louons d’une conduite qui me paraît être louée des
dieux eux-mêmes, tout comme l’est celle de tes deux frères envers lui. Si
ces derniers n’avaient pas agi alors, s’ils n’avaient pas consenti soins,
médecins, veilles et dépenses, celui-ci serait mort ou vivrait sans sa
jambe465. Sache que ce qui a été dit et fait demeure impérissable en mon
souvenir  ; je sais gré aussi à Priskianos du chagrin qu’il a éprouvé pour
nous et du plaisir qu’il a pris à raconter vos interventions : car il n’a pas
seulement raconté, il l’a fait en se félicitant que nous ayons reçu vos
bienfaits et que vous en tiriez bonne réputation. Cependant, ajoute encore
ce ‹service› : persuade le grand sénat que cela n’a été audace ni de ma part
ni de celle du voyageur, mais de ceux qui l’ont muni d’ailes466, non parce
que la haine leur a inspiré de tels ‹actes›, mais parce qu’ils n’ont pas su
bien juger l’affaire. Que personne ne me reproche donc d’avoir méconnu
les miennes et que mon fils soit pardonné.
463. Anatolios 9, sénateur de Constantinople en 390-393 ; il fut l’un de ceux qui intervinrent
pour Kimon, le fils de Libanios, candidat malheureux au sénat.

464. Le porteur : Priskianos 4 est un ancien élève de Libanios, devenu avocat.


465. Kimon, sur la route du retour, a eu un accident (une chute de voiture) ; il a été recueilli
par les frères d’Anatolios en Cilicie  ; il mourut très peu de temps après son retour à
Antioche.

466. Pour l’envoyer à Constantinople solliciter un siège de sénateur.


Lettre 94 (1036 F) 392

à Postumianus467

Les dieux qui voient tout et ont coutume de porter secours aux
mortels frappés ‹par le sort›, ayant vu que j’étais abattu et prostré sous
l’effet de mon malheur présent, et que la foule des mots que l’on dit pour
consoler n’avaient eu aucun pouvoir, ont trouvé ce puissant remède  : ta
lettre. Sa délivrance fut aussi un profit, puisqu’elle était assurée par le
noble Hilarios, et plus encore son interprétation – cette opération fut la
tâche de ceux qui font passer votre langue dans la nôtre – et celui qui
réussissait le mieux à saisir un passage était couronné. Cet honneur me
faisait paraître ‹d’humeur› plus facile, l’un de mes familiers me vit sourire
et l’on ne voyait plus les mêmes nuages sur mon âme ni sur mon visage. Il
n’y a rien d’étonnant à ce qu’un tel honneur, procuré par la lettre du
premier des Romains – et dire cela, c’est dire « de tous les hommes » – ait
le pouvoir d’alléger mon chagrin et d’y mêler de la sérénité. Mais tu me
parais, en cherchant à être juste, faire comme l’Éaque d’Égine468, la seule
chose qui n’est pas juste, en évitant dans tes écrits la langue des Grecs.
Cette langue, tu l’as ajoutée à ta langue maternelle en y mettant beaucoup
de passion et beaucoup d’efforts, que ce soit de jour comme de nuit : grâce
à eux, tu t’es empli l’âme d’Homère, d’Hésiode et des autres poètes, de
Démosthène, de Lysias et des autres orateurs. Hérodote, Thucydide et tout
leur chœur pourraient aussi dire qu’il y a place pour eux dans ta pensée et
j’en veux pour témoins les discours que tu as composés, qui sont
nombreux et beaux. Et cela n’est pas d’une maîtrise récente, jusqu’alors
inconnue, mais même avant tes déclamations, comme pendant et après
elles, on ne tenait pas peu compte de tes enfants, les discours. Et cela est
propre à toute famille qui a des dieux pour ancêtres469, mais,
éminemment, à votre lignée. Possédant donc cette culture en plus de
l’autre, au point de pouvoir être convaincant si tu te disais Athénien, sers-
toi vis-à-vis de nous des biens dont tu disposes, et les lettres à venir – car
il est évident qu’après avoir commencé tu ne t’arrêteras pas – ne les
destine pas à nouveau à la bouche des traducteurs. De cela donc, tu es
maître, mais c’est aux dieux que je demande de me donner à voir ta
personne au poste de gouverneur, comme j’ai connu autrefois ton oncle
dont tu as élevé le fils homonyme dans la ville qu’un concours a conquise
à sa déesse470. Voilà donc la juste prétention que je formule à votre
endroit  ; mais il y a encore autre chose que je dois t’apprendre. L’année
même, en effet, où votre grand-père avait le pouvoir sur la terre et la mer
avec le titre et la fonction de consul, alors, sorti du ventre de ma mère,
j’apparaissais au soleil471.
467. Cette lettre est une réponse à la lettre de condoléances que Postumianus, sénateur de
haut rang à Rome, lui a adressée après la mort de Kimon.

468. Fils de Zeus et d’Égine, l’un des trois juges des Enfers avec Minos et Rhadamante. On ne
sait à quoi fait allusion Libanios à propos de la seule chose juste qu’il n’ait pas faite.

469. Libanios adhère aux croyances qu’affichaient les familles patriciennes de Rome qui
prétendaient descendre des dieux  : ces généalogies héroïques ou divines étaient
hautement revendiquées et n’avaient pour les Anciens rien de « mythique ».

470. Athènes : le combat mythique entre Athéna et Poséidon pour la possession de l’Attique


est un topos à la fois littéraire et artistique. L’oncle de Postumianus n’est pas identifié, pas
plus que le neveu qu’élève celui-ci.

471. Le grand-père de Postumianus, Caius Ceionius Rufius Volusianus, a été consul en 314,
année où naquit Libanios.
Lettre 95 (1048 F) 392

à Firminos472

Même si tu m’avais donné tout ton bien et, outre celui-ci, tous ceux de
tes parents et de tes amis, tu ne m’aurais pas donné plus grand que ce que
tu m’as donné. Car qu’est-il, pour moi, de plus grand ou d’équivalent au
don présent  ? Firminos ayant déposé ‹l’habit› de fonctionnaire a revêtu
celui de sophiste. Et il a la chaire qui lui convient, les bancs, les livres, les
jeunes gens que l’on instruit, qui rédigent des discours et les récitent,
provoquant l’émotion du public cultivé  : tel est, en effet, celui des
Cappadociens. Même si ‹vient› tardivement ce à quoi, tu le sais, je t’ai
engagé, c’est un profit même aujourd’hui, ô cher Alcibiade473, pour toi
comme pour moi. Aussi, quand le premier messager m’a apporté ces
nouvelles, ai-je embrassé sa tête, embrassé ses yeux, et l’ayant fait asseoir
à côté de moi, je lui demandais bien des choses sur toi, j’en entendais
autant, toutes bonnes, et je le regardais comme mon bienfaiteur, après toi
qui lui a permis d’annoncer de telles nouvelles. Je me suis réjoui à
nouveau en recevant ta lettre et encore une fois réjoui en recevant cette
deuxième lettre – elles étaient deux, en effet – même si l’on peut dire qu’il
y a de très nombreuses lettres dans ta lettre. Et je me réjouissais aussi des
propos tenus sur toi par le noble Kynégios, qui a fait honneur à son grand-
père et homonyme, dont je fus le condisciple474 et que j’aimais
particulièrement ainsi que son frère, mais moins ce dernier que cet
«  homme irréprochable475  ». Comment donc, ainsi affecté par ton
changement de carrière, pouvais-je «  dédaigner  », prenons ton propre
mot, celui qui m’a causé un tel plaisir, au point de ne pas écrire ? Il t’aurait
fallu chercher quelque autre raison ou plutôt il ne fallait même pas la
chercher, cette raison si évidente. Qui, en effet, n’a pas su la mort de
Kimon ? Lui que tu connaissais personnellement, que tu as écouté parler
et dont tu as souvent fait l’éloge. Pleurant la mort de celui-ci, je restais
prostré, touchant à la nourriture sous la pression de mes amis qui me
disaient qu’il ne fallait pas être attiré par la mort ni périr avant l’heure ; et
je ne recevais pas sans larmes les lettres qui venaient ici, mais en envoyer,
j’en aurais été tout à fait incapable. Or, je pensais que Firminos, mon
légitime disciple, parlerait parmi ses concitoyens, sinon longuement, du
moins en peu de mots, de la courte vie de Kimon, et ferait ce que certains
de ceux qui m’ont fréquenté476 avaient fait. Examine donc si tu n’as
manqué aucun devoir envers nous, et si tu as trouvé, alors accuse un autre
d’être injuste.
472. Ancien élève de Libanios, et de famille curiale, qui, après avoir été longtemps
fonctionnaire, a fini par quitter l’administration pour devenir sophiste en Cappadoce, sa
patrie. Basile l’encouragea à échapper au fonctionnariat qui ne lui convenait pas (Basile,
Lettre 116).

473. L’apostrophe est une citation de Platon, Banquet, 218 d.

474. À Athènes sans doute. Kynégios le Jeune, qui porte la lettre, doit être un élève de
Firminos.

475. Expression homérique.

476. Par exemple Priskion, qui composa un discours en hommage au fils de son maître.
Lettre 96 (1063 F) 392

à Marcellin477

Je t’envie d’avoir Rome et ‹j’envie› celle-ci de t’avoir ; tu possèdes, en


effet, ce dont rien n’approche dans le monde et, elle, un homme qui ne le
cède pas à ses propres citoyens, dont les ancêtres sont des dieux. Car si
c’était une grande chose pour toi de vivre, silencieux, dans une telle ville
et de recueillir les discours prononcés par d’autres – Rome forme, en effet,
beaucoup d’orateurs qui suivent les traces de leurs ancêtres – aujourd’hui,
comme on peut l’apprendre de ceux qui arrivent de là-bas, tu as pris part
à des déclamations478, tu y prendras encore part, car ton histoire est
divisée en de nombreux ‹chapitres› et la partie dévoilée a reçu des éloges
qui en appellent une autre. J’apprends que Rome elle-même couronne ton
effort : son verdict est que tu as vaincu les uns et égalé les autres. Et cela
n’honore pas seulement l’historien, mais nous aussi ‹les Antiochéens›
auxquels appartient l’historien. Ne cesse pas de composer de telles œuvres
et de les faire passer de ton cercle privé aux réunions publiques ; ne sois
pas non plus fâché d’être admiré, mais fais ta propre célébrité et accorde-
nous ce don. Car tel est le citoyen de haute réputation  : par ses actes, il
illustre sa cité. Tu devrais donc être de ceux-là. Quant à nous, nous
sommes prostrés dans le chagrin et si un dieu ne nous en protégeait, nous
ne pourrions le supporter. En effet, celui qui était mon seul enfant, pas
mauvais garçon, né d’une mère vertueuse, même si elle n’était pas de
condition libre, a disparu et est enterré, détruit par le chagrin, qui était le
fait d’un outrage479. Quels sont ceux qui l’ont outragé, apprends-le par
d’autres, car nous les avons respectés même dans notre souffrance. Et
alors que le mal était encore vivace, Calliopios a été arraché du milieu de
ses livres et de ses travaux  : c’est une blessure sur une blessure et mon
enseignement en a souffert. Tu pourrais aussi apprendre cela de ceux qui
ont partagé sa vie. Pour moi, les événements qui ont précédé cette mort,
la mort elle-même, et ce qui l’a suivie sont des occasions de lamentations
et de pleurs, dont la plupart coule sur mes lignes.
477. Ammien Marcellin, l’historien. Cette lettre est le seul témoignage direct de son origine
antiochéenne. Elle nous apprend qu’en 392, il avait rédigé une partie de son Histoire et en
faisait lecture au fur et à mesure. Elle nous renseigne encore sur les relations que pouvait
entretenir Libanios avec l’élite intellectuelle de Rome (voir Let. 92* à Symmaque et 94* à
Postumianus) à laquelle il communiquait des nouvelles aussi personnelles que la mort de
son fils ou de son ami Calliopios 3, il est vrai lui aussi lettré.

478. C’est-à-dire des lectures publiques de ce qu’il a écrit.

479. Sur la candidature malheureuse de Kimon au sénat de Constantinople, voir Let. 94*.


Lettre 97 (1106 F) été 393

‹à Rufin›480

Cette joie481 qui fleurissait alors en tous, nous la voyons encore


aujourd’hui chez les hommes dans la force de l’âge, chez les vieillards, les
enfants, les femmes, les hommes libres et les esclaves – car l’esclave
imitait son maître. Et nous apparaissent aussi les roses qui volaient,
venues d’un côté, de l’autre, d’en haut, dont certaines se posaient sur tes
genoux et qu’un mouvement élégant de tes doigts sous la chlamyde482
rejetait à terre. Et un seul sujet occupait une si grande cité : Rufin et ce qui
le concerne, ce qu’il a fait, ce qu’il a dit, soit aux curies venues le supplier,
soit à leurs membres en réunions privées, soit à ceux qui occupent le siège
de l’enseignant483. Et les femmes, qui n’ont essuyé ni dédain ni négligence
ni manque de considération, mais ont reçu des paroles empreintes de
douceur et de civilité, les femmes donc prient que te soit sauvegardée la
bienveillance de notre noble empereur, que soient sauvegardés à
l’Empereur les efforts que tu déploies pour lui, et que revienne vers nous
le médecin des cités484, qu’il monte à nouveau vers Daphné485, la seconde
fois avec plus d’attention, car, dernièrement, tu étais pour nous un faucon
dont tu imitais la vitesse de vol et, par ton désir de saisir toute la ville en
raccourci, tu t’es privé de la voir tout entière. Elles souhaitent donc que ce
qui t’a échappé s’offre à tes yeux et ne le cède pas à ce qui a été vu. Et si
‹tu viens› avec nos nobles empereurs486, pour lesquels notre cité a
beaucoup d’amour – et il n’y a rien d’étonnant à ce que la cité qui a été
sauvée aime ses sauveurs487 – qui comptera autant de bonne fortune que
nous  ? Mais si quelque plus importante raison persuadait encore ces
divines personnes de rester, à toi de venir avec la même hâte et de me
montrer bon devin. Tu sais, en effet, ce que j’ai annoncé  : que celui qui
était parti si vite devait aussi, à mon avis, revenir vite vers nous ! Que ta
venue nous vaudra les mêmes profits, nul besoin des devins pour le savoir,
les actes passés révélant les actes à venir. En effet, tu tireras ton siège de
ta main et tu voudras t’asseoir à mes côtés ; tu te réjouiras de voir de près
mes cheveux blancs et tu aiguiseras mon esprit par tes pensées et moi, je
te poursuivrai à mon tour, puisque tu possèdes notre langue, quoique tu
prétendes le contraire. Et ce que je t’ai souvent demandé dans la cité, que
j’ai demandé quand le fleuve était haut en hiver, aujourd’hui qu’il est bas,
cela, je te demande encore aujourd’hui de me l’accorder  : quels sont tes
parents et quel fut ton cheminement dans les travaux scolaires ? Car s’il y
a de nombreux échos et si mon ami Théophilos488 est susceptible de m’en
apprendre beaucoup, personne ne saurait m’instruire comme toi sur ce
qui te concerne. Pour ma part, la vieillesse m’a éloigné des lieux de
réunion489, mais elle ne m’a pas privé de l’usage de ma main. Ne juge pas
que j’ai tort de dire du bien de toi, car tu te feras par cela bien des
admirateurs futurs.
480. C’est l’une des dernières lettres de Libanios (on situe sa mort la même année). Rufin
(Rufinus 18) était en effet, en 393, préfet du prétoire* d’Orient, poste où il avait succédé à
Tatianos dont il avait précipité la chute. Il fut, en tant que conseiller de Théodose, la
personnalité politique la plus influente des dernières années du règne. Dans le cadre de
sa fonction, il vint à Antioche, début 393 (les roses étaient en fleur), pour « régler le cas »
du consularis* de Syrie, Loukianos, ce qu’il fit d’une manière particulièrement tragique et
injuste  ; le préfet en profita pour rencontrer les curiales* et pour faire commencer les
travaux d’un portique. Rufin était d’origine gauloise (c’est un « semi barbare », dit de lui
saint Jérôme, Lettre 126), ce qui explique qu’il connaissait mal le grec  ; mais il le
comprenait mieux depuis son séjour en Orient. Il était empressé auprès de Libanios, sans
doute sensible au prestige du rhéteur et soucieux de se ménager une telle autorité
intellectuelle. Pourtant, ce chrétien fanatique et dur, arriviste sans scrupules qui fit
précipiter les mesures signant la mort du paganisme (édits de 391-392), ne pouvait être
apprécié par Libanios qui montre ici un empressement plus affecté que sincère. Le
sophiste reste néanmoins fidèle à son rôle de défenseur de sa cité et c’est ce qui motive
son attitude exagérément flatteuse : il avait même le projet, comme on le voit dans la fin
de sa lettre, de rédiger un panégyrique de Rufin.

481. Il est possible que le début de la lettre manque, car, dans le manuscrit, la lettre 1105 F
est suivie d’une lacune importante dont l’adresse de la lettre suivante – et donc peut-être
le début. La joie qui salue le passage de Rufin paraît quelque peu suspecte, surtout dans la
description idéalisée qu’en donne Libanios. La foule d’Antioche qui a assisté au massacre
de Loukianos n’était peut-être pas d’humeur aussi joyeuse et Rufin dut, pour apaiser les
Antiochéens, promettre l’édification d’un portique (voir Zosime, Histoire nouvelle, 5, 2, 4).

482. La chlamyde est un manteau court que les hommes drapaient autour des épaules. La
position de la main, glissée sous le manteau, annonce les poses hiératiques des dignitaires
byzantins, tels qu’ils apparaissent, par exemple, autour de Justinien sur une mosaïque de
Saint-Vital à Ravenne.

483. La cathèdre.

484. Le rôle de «  médecin des cités  » ou de «  sauveur des cités  » est souvent assigné par
Libanios à l’Empereur et à ses délégués, les hauts fonctionnaires.

485. Faubourg d’Antioche : voir Let. 90* n. 451.

486. Théodose et Arcadius, Auguste* depuis 383.

487. Théodose «  sauveur  » de la cité  : allusion à la sédition de 387, réaction contre une


imposition trop lourde qui dégénéra en émeute populaire.

488. Théophilos 5, originaire de Palestine, fut l’un des plus proches amis de Libanios, en
391, au moment de la mort de son fils, Kimon.

489. Les réunions littéraires : là où l’on entendait les lectures publiques.


Lettre 98 (1110 F) 393

à Aristainétos490

Qu’il soit permis de plaisanter au préfet de tous les préfets491, qui


règne sur toutes choses et qu, selon ses propres mots, me place avant les
sources de Daphné492, me place avant ses arbres beaux et grands, me place
avant la beauté de ses auberges ! Mais qu’il me chante, fasse mon éloge et
me gratifie d’une couronne de mots, moi, je me réjouis de recevoir ces
marques d’honneur, mais je ne m’y reconnaîtrai certes pas moi-même, ni
ne m’enflerai ou ne m’exalterai d’orgueil ; je sais, au contraire, que je suis
un homme épris d’éloquence et épris de travail, mais en aucune manière
autant que dit que je le suis le compagnon de la Justice493, Rufin, qui a été
nourri dans les domaines et des mains de celle-ci, d’où lui vient aussi le
pouvoir de sauver toute famille, toute cité, tout peuple, toute terre et
toute mer. Et je crois que celui-ci ne me décerne pas ces louanges sans les
dieux qui connaissent les malheurs par lesquels je suis pourchassé depuis
déjà longtemps, et qui veulent qu’il y ait aussi quelque chose pour me
persuader de supporter de tels maux494. Ils ont donc vu que je
n’admettrais que cette seule consolation  : si un homme, certes inférieur
aux dieux, mais meilleur que les hommes déposait sur moi un tel verdict.
Je me réjouis d’apprendre qu’il fréquente celui qui sait régner et je
souhaite voir à mon tour de semblables compagnies et en profiter. Certes,
il est difficile de vaincre autant de maladies, dont même une partie d’entre
elles m’emporterait facilement, ce qui a même interrompu la fréquence de
mes lettres. Il t’aurait été, en effet, des plus agréables que j’écrive chaque
jour, mais les médecins protestaient que, même en passant ma vie dans le
silence, je rendrais mes maux plus nombreux et plus abondants.
490. Aristainétos 2, fils de Bassianos, le cousin de Libanios. Il a été préfet de Constantinople
en 392. Cette lettre est l’avant-dernière lettre conservée du sophiste.

491. Rufin (Rufinus 18), préfet du prétoire d’Orient (voir Let. 97*). Cette lettre est le pendant
de la précédente et illustre les honneurs et les flatteries que le préfet réserve au sophiste,
trop respectable et influent pour ne pas être ménagé.

492. Voir Let. 90, n. 451.

493. Libanios insiste ici sur sa formation de juriste : Rufin est un haut fonctionnaire qui n’a
rien d’un lettré, mais le sophiste tourne en compliments cette formation qui le
prédispose au commandement. Comme l’écrit R Petit, Fonctionnaires, p.  224, «  ces
dernières lettres qui nous montrent le vieux païen libéral aux pieds du ministre tout
puissant, chrétien et à demi-inculte, sont attristantes ».

494. Rufin était un chrétien fanatique, mais Libanios feint de le présenter comme un allié
des dieux et comme un homme qui leur est de peu inférieur.
Éléments de bibliographie

Éditions de Libanios

1. Édition FOERSTER (R.), Bibliotheca Teubneriana, Leipzig, 1903-1922 :


Vol. I – IX, Orationes-Declamationes.
Vol. X, Epistulae 1-839.
Vol. XI, Epistulae 840-1544.
2. Discours :
Discours 1, Autobiographie, éd. MARTIN (J.), trad. et notes par PETIT
(R.), C.U.F., Paris, 1979.
Discours 2 -10, éd. et trad. par MARTIN (J.), C.U.F., Paris, 1988.
Discours 11, Antiokhicos : DOWNEY (Gl.), « Oration in praise of Antioch,
Translation with introduction and commentary  », PAPHS, 103,
1959, p. 652-686.
Discours moraux (6, De l’insatisfaction ; 7, La richesse mal acquise ; 8,
De la pauvreté ou des amis ; 25, De l’esclavage), éd. et trad. par
SCHOULER (B.), Paris, 1973.
Selected Orations, 2 vol., éd. NORMAN (A. F.), Loeb Classical Library,
n°451-452, Londres, 1969-1971.
3. Lettres :
WOLF (J.-C.), Libanii epistulae cum versione Zambecarinii et notis Wolfii,
Leipzig, 1738.
LIBANIOS , Briefe, Griechisch-deutsche Studien-aus-gabe, éd. et trad. par
FATOUROS (G.) et KRISCHER (T.), Munich, 1980.
LIBANIOS, Autobiography and Selected Letters, 2 vol., éd. et trad.
NORMAN (A. F.), Loeb Classical Library, Londres, 1992.

Autres sources littéraires

AMMIEN MARCELLIN, Histoire, tomes I, II, III, IV, V (livres 14-19 et 23-28) et
VI (livres 29-31), éd. et trad. par GALLETIER (E.), FONTAINE (J.), SABBAH
(G.), MARIÉ (M. A.) et ANGLIVIEL DE LA BAUMELLE (L.), C.U.F., Paris, 1968-
1999.
Pour les livres encore manquants dans cette édition, voir éd. SEYFARTH
(F.), Loeb Classical Library, Londres, 1963-1964.
Anthologie Palatine, éd. WALTZ (P.), AUBRETON (R.) et BUFFIÈRE (F.), C.U.F.,
Paris, 1928-1972.
BASILE DE CÉSARÉE , Lettres, éd. COURTONNE (Y.), C.U.F., Paris, 1957-1966.
Code Théodosien, éd. MOMMSEN (Th.), Berlin, 1905, réimpr. 1963.
Corpus Paroemiographorum Graecorum, éd. LEUTSCH (E. L. von) et
SCHNEIDEWIN (F. G.), 1818-1839, réimpr., Amsterdam, 1965.
Epistolographi Graeci, éd. HERCHER (R.), 1873, réimpr. Amsterdam, 1965.
EUNAPE DE SARDES , Fragments, dans MÜLLER (C. et Th.), Fragmenta
Historicorum Graecorum, t. IV, Didot, Paris, 1868, p. 7-56.
EUNAPE DE SARDES , Vie des sophistes, éd. WRIGHT (W. C.), Loeb Classical
Library, Londres, 1922.
JULIEN :
– Lettres, éd. BIDEZ (J.), 2 vol, C.U.F., Paris, 1932-1960.
– Discours de Julien César, éd. ROCHEFORT (G.), C.U.F., Paris, 1963.
– Discours de Julien Auguste, éd. LACOMBRADE (C.), C.U.F., Paris, 1964.
Notitia Dignitatum, éd. SEECK (O.), Berlin, 1876, réimpr. Berlin.
SYMMAQUE :
– Œuvres, éd. SEECK (O.), Monumenta Germaniae Historica, Auctores
Antiquissimi, t. VI, 1, Berlin, 1888.
– Lettres, éd. CALLU (J.-P.) pour les livres 1-4, C.U.F., Paris, 1972-1982.
THÉMISTIOS :
– Discours, éd. de DINDORF (W.), Leipzig, 1832.
– Orationes, éd. SCHENKL (H.), DOWNEY (Gl.) et NORMAN (A.F.), 3 vol.,
Leipzig, 1965-1971.
– Discorsi, éd. MAISANO (R.), Turin, 1995.
ZOSIME, Histoires, éd. PASCHOUD (F.), 3 vol., C.U.F., Paris, 1970-1989.

Histoire générale

ALLARD (J.), Julien l’Apostat, 3 vol., Paris, 1906-1910.


BIDEZ (J.), La vie de l’empereur Julien, Paris, 1930.
Cambridge Ancient History, t. XIII, The Late Empire A. D. 337-425, éd.
CAMERON (A.) et GARNSEY (P.), Cambridge, 1998.
CHASTAGNOL (A.), L’évolution politique, sociale et économique du monde romain.
284-363, 2e éd., Paris, 1985.
DAGRON (G.), Naissance d’une capitale : Constantinople et ses institutions de 350
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JONES (A. H. M.), The Cities of the Eastem Roman Empire, 2e éd., Oxford, 1971.
JONES (A. H. M.), MARTINDALE (J. R.) et J. MORRIS (J.), The Prosopography of
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JONES (A. H. M.), The Later Roman Empire, 3 vol., Cambridge, 1964, trad.
partielle en français : Le déclin du monde antique, (Histoire de l’Europe, t.
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PETIT (R.), Le Bas Empire (284-395), dans Histoire générale de l’Empire romain,
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PIGANIOL (A.), L’empire chrétien (325-395), 2e éd., Paris, 1972.
RÉMONDON (R.), La crise de l’Empire romain de Marc Aurèle à Anastase, rééd.,
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Contexte culturel
BOUFFARTIGUE (J.), L’empereur Julien et la culture de son temps, Paris, 1992.
DAGRON, Thémistios = DAGRON (G.), L’empire romain d’Orient au IVe siècle et les
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DIHLE (A.), Greek and Roman Literature of the Roman Empire, trad. anglaise,
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NORMAN (A. F.), «  The Library of Libanius  », Rheinisches Museum für
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PETIT , Étudiants = PETIT (P.), Les étudiants de Libanius. Un professeur de
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SALZMANN (E.), Sprichwörter und sprichwörtliche Redensarten bei Libanios,
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Histoire locale

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HADDAD (G.), Aspects of Social Life in Antioch in the Hellenistic-Roman Period,
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PACK (R. A.), Studies in Libanius and Antiochene Society under Theodosius,
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PETIT, VM = Petit (P), Libanios et la vie municipale à Antioche au IVe siècle après
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PETIT , « Sénateurs » = PETIT (P.), « Les sénateurs de Constantinople dans
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PETIT, Fonctionnaires = PETIT (P.), Les Fonctionnaires dans l’œuvre de Libanios.
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SEECK (O.), Die Briefe des Libanius zeitlich geordnet, 1906, réimpr.
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SIEVERS (G. R.), Das Leben des Libanius, 1868, réimpr. Amsterdam, 1969.
Glossaire

Adlectio. Procédure par laquelle l’Empereur intègre de nouveaux


membres au sénat à rang déterminé (parmi les anciens questeurs, les
anciens préteurs, les anciens consuls), mais sans qu’ils soient passés
par les magistratures.
Aerarium. Trésor impérial géré par le comes sacrarum largitionum* et le
comes rerum priuatarum*.
Agens in rebus. Chargé de mission ; les agentes in rebus, commissaires
enquêteurs itinérants, ont essentiellement des fonctions de police et
de prise de renseignements, (d’où leur surnom de curiosi), institution
caractéristique du pouvoir centralisé de cette époque. Ils surveillent
de près l’administration de chaque gouverneur de province, suivent
l’application des ordonnances impériales et rendent compte de leur
mission au magister officiorum*.
Agonothète. Organisateur des jeux dans le cadre des fêtes
religieuses.
Alytarque. Autre organisateur des jeux. À Antioche, son rôle
religieux et civique apparaît important : il devient le prêtre spécial de
la cité, le représentant de Zeus.
Annone. Approvisionnement en blé des greniers publics ; c’est aussi,
versé en nature, le salaire des fonctionnaires et des soldats.
Auguste. Désigne, étymologiquement, celui qui est porteur
d’auctoritas. Titre qui s’applique à l’Empereur désigné, seul ou associé
à son prédécesseur.
Basileus. Roi, en grec  ; dans l’Empire romain hellénophone, désigne
l’Empereur.

Castrensis sacri palatii. Chef du service de la Table, l’une des deux


divisions, avec la Chambre, de la Maison Civile de l’Empereur.
Cens. Census, évaluation de la fortune des citoyens romains (tous les
cinq ans) et donc dénombrement des citoyens  ; le cens est, avec la
naissance (origo), ce qui définit le citoyen.
César. Titre réservé à l’héritier présomptif du trône impérial
(Constance II nomma Gallus César, en 351, et Julien en 355). Il figure
aussi en tête de la titulature impériale, en tant que praenomen
impérial.
Chorège. Dans le monde grec classique, citoyen qui prend en charge
le recrutement, l’entretien et la préparation des chœurs, tragique et
comique, en vue des représentations théâtrales organisées sous
forme de concours, à l’occasion de fêtes religieuses. Libanios emploie
le terme pour désigner plus généralement l’organisateur des jeux, qui
assume une très lourde charge, comprenant location et entretien des
fauves, des chasseurs, des athlètes, des chars et des cochers, des
artistes et des mimes. Le plus souvent, plusieurs personnages se
répartissent ces charges (agonothète*, alytarque*, syriarque*).
Cité. C’est une réalité administrative et sociale, bien plus qu’une
agglomération urbaine. La cité antique comprend, avec la ville
proprement dite, le territoire rural qui dépend d’elle ; elle est gérée
par les autorités de la ville qui forment la curie*, composée des
notables qui règlent tous les aspects de la vie municipale. Le
territoire d’une province est composé de la somme des territoires des
cités qui la constituent.
Clarissime. Degré de dignité pour les sénateurs et les hauts
fonctionnaires (voir illustris*).
Codicille. Lettre de nomination à une dignité.
Comes. « Comte », en réalité « compagnon », celui qui fait partie de
l’entourage privilégié du prince.
Comes Orientis. « Comte d’Orient » ; remplace le vicarius* du diocèse*
d’Orient, en 334. Il réside à Antioche.
Comes rerum privatarum. « Comte des choses privées », l’un des deux
ministres des finances  ; il est à la tête du fisc et est de rang
perfectissime*.
Comes sacrarum largitionum. « Comte des largesses sacrées », l’autre
ministre des finances  ; il est chargé de la gestion de l’ensemble des
biens impériaux.
Consistoire. Désigne à la fois le Conseil impérial et le lieu où il se
réunit.
Consularis. Titre honorifique qui n’implique nullement d’avoir été
consul et qui s’applique au gouverneur d’une province de rang dit
consulaire.
Curiale. Membre de la curie*, c’est-à-dire du conseil de la cité auquel
Libanios donne le nom grec de Boulé  ; les charges curiales
s’apparentaient à des liturgies*.
Curie. Corps constitué qui administre la cité et ses biens  ; la curie
assume toutes les responsabilités de la vie municipale et répartit
entre ses membres – dont le recrutement est automatique (d’après la
naissance et la fortune), parfois forcé – les liturgies et les services de
l’État (munera*).
Cursus publicus. Service de « course » (voitures, chevaux et animaux
de bât) officiel qui permettait le transport des hommes, des biens et
des dépêches à travers tout l’Empire.

Décurion. Autre nom pour curiale.


Ducénaire. Grade militaire inférieur au perfectissimat*.
Ecphrasis. Description détaillée de personnages, de choses,
d’événements avec toutes les explications qui s’y rapportent  : c’est
l’un des exercices de la rhétorique.
Évergète. Bienfaiteur public.
Excusatio. Équivalent de l’atélie, en grec  : exemption des charges
curiales ou des magistratures pour certaines catégories
professionnelles.

Follis. À l’origine une monnaie qui a fini par désigner un impôt : c’est
en folles que sont tarifées les sommes à dépenser par les préteurs
(voir préture*) et qui dépendent de la fortune des magistrats.

Genos (pl. genè). La famille au sens strict, mais aussi le groupe


familial, et même la lignée.
Gouverneur. Ho archôn, chez Libanios, c’est-à-dire « celui qui exerce
un pouvoir ». Il existe toute une hiérarchie de gouverneurs qui sont à
la tête de l’administration des provinces. Leurs attributions sont
étendues, ils contrôlent l’administration municipale des cités,
assurent les travaux publics de l’État si le financement est assuré par
le fisc, l’entretien des relais de la poste, veillent à ce que la
perception des impôts s’effectue régulièrement. Mais ils ont surtout
des tâches judiciaires très importantes (d’où souvent le titre de
judices, juges, qui suffit à les désigner), car ils exercent la juridiction
civile quand le défendeur est domicilié dans leur province, et la
juridiction pénale quand le crime ou délit a été commis dans leur
ressort.

Honoratus. Dignité des notables provinciaux répartis dans les cités de


l’Empire.

Illustris. «  illustre  »  : degré de dignité créé vers 372 et s’appliquant


aux charges officielles les plus élevées. Les sénateurs sont désormais
classés en trois rangs qui sont, par ordre décroissant : les illustres (les
« illustres »), les spectabiles (les « remarquables ») et les clarissimi (les
« très brillants »), ancien titre des sénateurs.

Limes. Frontière de l’Empire  : il s’agit tantôt d’une large bande qui


sert de zone-tampon, tantôt d’une défense fortifiée, en particulier
dans les régions menacées par les Barbares.
Liturgie. Prestation de service par laquelle les membres fortunés de
la cité consacrent leur temps, leur personne et/ou leur fortune au
bien public, dans une opération d’utilité générale (construction
publique, transport du blé pour la cité, chauffage des bains publics et
surtout, organisation des jeux ou chorégie). Les liturges sont
considérés comme des évergètes.
Logoi. L’éloquence, mais aussi plus généralement, la culture littéraire,
c’est-à-dire les lettres ou les « belles lettres » ; finalement, au sens le
plus large, les activités de caractère intellectuel, les œuvres de
l’esprit.

Magister libellorum. «  Chef du bureau des libelles  ». (Voir proximus


libellorum).
Magister officiorum. « Maître des Offices  »  ; c’est le chef de toute la
chancellerie centrale. Il dirige en particulier le corps (schola*) des
notarii.
Munus (pl munera). Charge imposée par le service de l’État ou de la
cité. Dans ce dernier cas, les munera sont des liturgies.

Notarius. « Notaire » ou membre d’une schola* liée au gouvernement


central et dirigée par le primicier des notaires. Ils forment surtout les
secrétaires du Consistoire* instruits de toutes les nominations de
fonctionnaires. Les notaires pouvaient être, en outre, envoyés en
mission, comme les agentes in rebus*.
Notitia dignitatum. Annuaire administratif qui consigne la
nomenclature minutieuse de la bureaucratie impériale, répartie en
scrinia, bureaux, et scholae, corps. Celle que nous avons conservée
date du Ve siècle.

Officialis. Membre d’un officium*.


Officium. Ensemble des employés officiales au service d’un dignitaire
exerçant une responsabilité administrative ou militaire.
Olympia. Concours qui se déroulent à Antioche et à Daphné tous les
quatre ans en l’honneur de Zeus Olympien.

Paideia. Culture grecque telle qu’elle est transmise par l’éducation  ;


celle-ci est dispensée dans les écoles de rhétorique.
Panégyrie. Rassemblement de peuple à l’occasion d’une fête
religieuse ; désigne plus généralement la fête elle-même.
Perfectissimus. Titre octroyé aux fonctionnaires supérieurs aux
ducénaires*, mais inférieurs aux clarissimi*.
Philotimia. Amour de la gloire, des honneurs, qui entretient
l’émulation. C’est le mobile essentiel de l’évergétisme.
Praepositus sacri cubiculi. Grand chambellan qui est à la tête du
service de la Chambre et des petits appartements privés, le Cubiculum.
Praeses. Gouverneur de province de rang équestre. Il porte, en
général, le titre de perfectissimus.
Préfet du prétoire. Le plus haut dignitaire de l’Empire, après le
Basileus*. Il est, depuis Constantin, un administrateur préposé à une
région (par exemple, en Orient ou en Illyricum) où il est le supérieur
des gouverneurs et des vicarii. Il y joue le rôle d’un vice-empereur
dans la vaste région qui est de son ressort et il contrôle toute
l’administration civile.
Prétoire. Siège suprême du gouvernement et quartier général du
prince pour les affaires civiles et militaires  ; il est dirigé par les
préfets du prétoire.
Préture. Magistrature, aux attributions essentiellement judiciaires,
qui entre dans la carrière sénatoriale  : plus importante que la
questure, elle donne accès au sénat. Les préteurs (3, à Rome comme à
Constantinople) devaient aussi financer des jeux, faire au peuple des
distributions de pièces, médaillons et objets divers, en vue desquelles
ils devaient fournir une provision en or ou en argent.
Principalis ou primatus. Principal membre d’un bureau ou d’un corps.
Proximus libellorum. Sous-chef (le chef étant le magister) du scrinium a
libellis, c’est-à-dire du « bureau des libelles », qui reçoit les requêtes et
placets adressés par des particuliers.

Quaestor sacri palatii. « Questeur du palais sacré » : porte-parole de


l’Empereur, qui rédige ses discours et prépare le texte des
propositions de loi à discuter. Il y en avait un auprès du César Gallus à
Antioche, puis auprès de Julien en Gaule.

Res privata. Biens « privés » de l’Empereur, de la Couronne et du fisc.

Solidus. Monnaie d’or de 4,55 g, soit le 72e de la livre.


Syndic. Avocat qui assiste les gouverneurs dans les procès.
Syriarque. Magistrat chargé de l’organisation et de la présidence des
Olympia*  : il est avant tout un agonothète* chargé de la plus lourde
des liturgies et il invite aux cérémonies les dix-sept villes de la
province. Il porte une couronne et un vêtement spécial et son activité
est exactement celle de l’archiereus (grand-prêtre) provincial avec
lequel il se confond.

Venatio. Chasse organisée pour les Jeux offerts par les empereurs ou
les cités et où s’affrontent des bêtes fauves et des chasseurs.
Vicarius. Gouverneur d’une circonscription qui regroupe plusieurs
provinces, le diocèse. Les « vicaires » sont de hauts fonctionnaires de
rang équestre qui obéissent directement aux ordres des préfets du
prétoire régionaux.
Vicennalia. Fêtes qui célèbrent les vingt années d’un règne.

Zôné. Ceinturon (cingulum en latin) : baudrier que portent les soldats


et les fonctionnaires militarisés et qui est devenu le symbole de leur
fonction.
Index des noms propres

Abourgios : 180
Abydos : 84
Acakios : 12
Achaïe : 38, 164, 166
Achille : 70, 73-75, 114, 168
Adana : 136
Adonis : 126
Adraste : 97
Agamemnon : 65, 91, 182, 190
Agrigente : 88
Agroikios : 105
Aigai : 135
Alamans : 50, 54, 75
Alcibiade : 199
Alexandre (le Grand) : 64, 75, 162
Alexandrie : 84, 114, 179
Alexandrins : 106
Alexandros 4 : 66, 67
Alexandros 5 : 129, 130, 134, 136, 178
Alexandros 6 : 161, 162
Alkimos : 30, 127, 156
Amalthée : 45
Amida : 54, 139
Ammien Marcellin : 43, 51, 54, 55, 97, 139, 140, 201
Amphiaraos : 53
Amphipolis : 169
Anatolios 3 : 21, 31, 35, 36, 38, 39, 41, 43, 46, 57-59, 67, 68, 72, 82, 83
Anatolios 4 : 106, 109
Anatolios 9 : 195, 196
Ancyre : 21, 119, 170
Andronicos 3 : 23, 92, 100, 101
Annianos : 179
Antioche : 10-14, 16, 23, 29, 30, 33, 34, 36, 10, 41, 43, 46, 54, 60, 62, 69,
74, 81, 84, 8991, 98, 99, 101, 102, 105, 107, 110, 114, 121, 127, 128,
130-133, 147, 150, 152, 155, 156, 158, 161, 162, 166, 172174, 176,
177, 179, 180, 183, 190, 191, 194, 196, 203-205, 216, 218, 222, 224
Antiokhos II : 86
Antipater : 124, 126
Antonins : 117
Anytos : 113
Apamée : 41, 134
Apellio : 30
Aphrodite : 35
Apollon : 92, 114, 135, 136, 191
Apollonidès : 191
Apostat (voir Julien) : 9
Apprigios : 93
Aquila : 33, 34
Arabie : 57, 123
Arcadius : 175, 205
Arès : 152
Arganthonios : 113
Argentoratum (Strasbourg) : 50, 75
Argiens : 181
Argolide : 85
Argyrios : 88, 91
Arintheus : 153
Arion de Méthymne : 66
Aristainétos 1 : 13, 39, 42, 43, 59, 60, 63, 76
Aristainétos 2 : 206
Aristide (Aelius) : 16
Aristophane : 166
Aristophanès : 139, 164, 165
Aristote : 186
Arménie : 33, 34, 45, 54, 55, 104
Arsénios : 160
Arsénios 2 : 86
Arsénios 3 : 86
Artémis : 23, 116, 117
Asclépios : 47, 135
Asie : 41, 136, 137, 139, 154, 161
Assyriens : 140
Athéna : 198
Athènes : 11, 16, 33, 57, 64, 97, 112, 185, 186, 198
Athos : 78
Attique : 70, 198
Aulis : 65
Ausone : 117
Auxentios 5 : 135, 136

Babylone : 99
Bacchios : 116
Bacchos (Bacchus) : 111
Basile : 12, 109, 110, 199
Bassianos : 206
Bazas : 117
Bélaios : 123
Béotie : 181, 186
Bérytos : 57, 147
Bès : 84
Bezabdé : 139
Bithynie : 30, 33, 60, 66, 75, 131
Boétos : 103
Bordeaux : 117
Bosphore : 80
Bostra : 123, 163
Byzance : 80

Caïus Ceionius Rufius Volusianus : 199


Callinicon : 63-65
Callinicos : 64
Calliopé : 91, 130
Calliopios 2 : 91
Calliopios 3 : 187, 201, 202
Canapeus : 53
Candidos : 162
Cappadoce : 110, 170, 199
Cappadociens : 199
Castor : 87
Césarée : 12
Chalcidique : 78
Chalcis : 95
Charybde : 162
Chiron : 168
Chryséis : 182
Chrysostome (Jean) : 171
Chypre : 137
Cilicie : 41, 117, 121, 122, 134, 135, 167, 196
Cimon : 51
Cléarkhos 1 : 146, 161
Clématios 2 : 32, 39, 56
Codratos : 193
Coélé-Syrie : 174
Cologne : 50
Constance Chlore : 51
Constance II : 13, 22, 32, 33, 36-38, 42, 43, 49, 50, 52, 54, 55, 61, 63, 74,
80, 84, 87, 89, 91, 107, 111, 116, 118, 131, 149, 194, 216
Constantin Ier : 52, 80, 117, 118, 223
Constantinople : 11, 12, 22, 32, 41, 45, 49, 62, 80, 89-93, 102, 103, 111,
120, 131, 136, 146, 161, 172, 175, 176, 180, 183, 187, 191, 195, 196,
202, 206, 223
Coré : 85, 115
Corinthe : 139, 164
Coronis : 102
Crésus : 137
Crète : 65, 66
Ctésiphon : 157
Cyrrhus : 40
Cythère : 70

Danube : 106
Daphné : 136, 191, 205, 206
Darius : 139
Datianos : 89-91, 149, 156
Delphes : 92
Déméter : 85, 115
Démétrios : 18
Démétrios 2 : 96, 116, 117
Démonique : 72
Démosthène : 49, 97, 103, 147, 169, 184, 197
Denys : 107
Dianios : 60, 61, 66, 67
Dioclétien : 11, 117
Diodotos : 144
Dionysos : 34, 98, 102, 111
Dioscures : 161
Domitios : voir Modestos.
Dorothéos : 87, 88, 171
Doulkitios : 136
Doura Europos : 132

Éaque d’Égine : 197


Édoniens : 34
Égée : 162
Égine : 197
Égypte : 48, 105, 167, 178, 179
Égyptiens : 30, 106
Élébicos : 179, 180
Élpidios 4 : 107, 108
Élpidios 6 : 74, 154
Émèse : 174
Endymion : 149
Entrékhios : 141
Éros : 35, 89
Espagne : 113, 164
Eubée : 181
Eucladios : 124
Eudaemon : 106
Euphrate : 63-65, 78, 132
Euphratensis : 40, 63
Euripe : 181
Euripide : 35, 142, 145
Eusébios 15 : 100
Eusébios 16 : 174
Eusébios 22 : 181
Eusébios 26 : 183
Eusébios (Arménien) : 104, 105
Eustathios 6 : 188
Eustathios : 21, 107
Eustathios (philosophe) : 54
Euthérios 2 : 45
Évagrios 6 : 158, 166, 167
Évanthios : 166

Firminos : 199, 200


Florentios 3 : 79
Fortounatianos : 22, 110,115
Fortune : 44, 78, 88, 108, 115, 140, 149, 181, 193
Fraternos : 92, 93

Galatie : 41
Gallien : 64
Gallus : 29, 43, 96, 97, 216, 224
Gamaliel 6 : 182
Gaule : 50, 73, 74, 224
Géla : 107
Gélon : 107
Gérontios : 105
Gorgonios 2 : 161
Gorgonios 3 : 29
Gorgonios 4 : 33
Grâces : 102
Grèce : 38, 41, 78, 141, 149, 164, 185, 186
Gygès : 137

Harpocration : 48
Hellènes : 149, 187
Héraclès : 55
Hermès : 138, 152
Hermioné : 85, 115
Hermogénès : 63-65, 78, 84
Hérodote : 66, 78, 99, 113, 139, 197
Hésiode : 197
Hésykhios : 118
Hilarios : 185, 186
Hilarios 8 : 197
Himérios 2 (le sophiste) : 33
Himérios 3 : 41
Homère : 34, 49, 70, 74, 114, 148, 162, 182, 190, 197, 200
Hormisdas : 140
Hyperékhios : 119, 121

Iamblikhos 2 : 41
Illyricum : 39,41, 58, 67, 223
Illyriens : 41
Ianouarios : 72
Ionie : 154
Ioniens : 136
Ioulianos 12 : 115
Ioulianos 14 : 131
Iphigénie : 65
Isocrate : 71
Istre : 106
Italie : 40, 41, 172, 187, 190
Iulius Ausonius : 117

Jamblique (le philosophe) : 41


Jérôme (saint) : 203
Jovien : 13, 143, 144, 147, 149, 153, 155, 156, 158
Jules Constance : 51, 52
Julien dit l’Apostat : 9, 13, 14, 21, 23, 33, 41, 50-53, 73, 74, 97, 112-114,
116, 118, 121-124, 127-129, 131-134, 139-141, 143-145, 147, 149,
152-154, 157-159, 163-166, 169, 185, 186, 216, 224
Justinien : 204

Kelsos 3 : 80, 81, 110, 111, 117, 121, 137, 138, 145, 154, 162
Kimon : 13,188,195-197,200, 202, 206
Kinyras : 137
Kynégios (le Jeune) : 200
Kynégios (le préfet) : 175
Kyros : 191, 192

Lapithes : 135
Lesbos : 66
Létoios : 38
Leuctres : 108
Libye : 107
Loukianos 3 : 107, 108
Loukianos 6 : 183, 203, 204
Lucien : 166
Lucius Aurelius Avianus Symmachus Phosphorius : 194
Lycie : 111, 112
Lycien : 74
Lycon : 113
Lycurgue (roi des Édoniens) : 34
Lydie : 137
Lysias : 197

Macédoine : 102, 141, 164


Makédonios 3 : 79
Manichéens : 163, 164
Mantithéos : 103
Marathon : 169
Marcellin (voir Ammien) : 201
Markellos 2 : 46, 47
Maxime (l’usurpateur) : 172, 175, 190, 194
Maxime d’Éphèse : 112-114
Maximien : 52
Maximos : 121
Mayence : 50
Mèdes : 152
Méditerranée : 141
Mélétos : 113
Mélitidès : 166
Mermnades : 137
Mésopotamie : 54, 55
Messine : 162
Méthymne : 66
Miltiade : 51, 169
Minos : 66, 197
Mnémosyne : 171
Modestos 2 : 42, 43, 77, 84, 85, 93, 94, 98-101, 106, 108, 109, 130, 131
Mousonianos (voir Stratégios) : 76
Mousonios 1 : 37, 47
Muses : 34, 73, 74, 76, 79, 159,171
Mycale (Cap) : 139
Mygdonios : 37
Mysiens : 34, 124

Némée : 55
Nestor : 91, 148
Nicée : 11, 12, 40
Nicomédie : 11-13, 30, 39, 66, 73, 76, 107, 109, 121, 127, 156
Nikentios 1 : 63-65
Niképhorion : 64
Nil : 105, 167, 178

Obodianos : 87, 88, 91


Océan : 165
Olympia : 11, 13, 86, 88, 154, 161, 162, 224
Olympias : 162
Olympien : 222
Olympios 3 : 102-104, 150, 158
Olympios 4 : 36
Olympios 9 : 166
Optatos 1 : 22, 83, 184
Orient : 13, 31, 32, 34, 41, 43, 48, 60, 76, 78, 89, 101, 155, 158, 164, 172,
176, 178, 185, 188, 194, 203, 206, 218, 223
Orion : 123, 124
Oronte : 99, 150, 174
Osiris : 84
Oursoulos 1 : 94, 95
Pactole : 137
Palamède : 70
Palestine : 39, 56, 64, 84, 87, 163, 164, 206
Palmyre : 64
Pamphylie : 161, 162
Pannonie : 43, 62
Pannoniens : 57, 62
Panolbios : 11, 100
Paphos : 137
Partîtes : 78
Patrocle : 74
Paulos Catena : 84
Pausanias : 169
Pélagios : 40
Pélion : 168
Péloponnèse : 70, 186
Périclès : 51, 142
Perse : 21, 54-56, 68, 78, 133, 134, 138, 140, 169
Perses : 54, 77, 89, 127, 129, 131, 132, 138-140, 153, 165, 169, 186
Phalaris : 88
Phasganios : 11-13, 38, 96, 97
Phénicie : 92, 96, 100, 101, 106, 107, 136,147, 149, 152, 174
Phénicien : 92,136
Phénix : 114
Philagrios III : 45
Philippe (II de Macédoine) : 147, 162
Philon : 117
Phocide : 186
Pietas (diocèse) : 59, 63
Pindare : 87
Pirithoüs : 135
Pisidie : 141
Pisidiens : 143
Platées : 139, 169
Platon : 66, 71, 80, 88, 97, 107, 111, 137, 148, 169, 186, 199
Plutarque : 66, 108
Pollux : 87
Polycarpos : 138
Pompéianos 3 : 75, 86
Pont (Bithynie) : 131, 169
Poséidon : 198
Postumianus : 196-199, 201
Praxilla : 126
Priskianos 1 : 163
Priskianos 4 : 195, 196
Priskion : 201
Priscos : 185, 186
Proclos 6 : 22, 172, 173, 175, 176
Prosper : 54
Pylien : 148
Pylos : 148
Pythie : 82
Pythien (Apollon) : 92, 114, 135
Pythiodoros : 114

Ravenne : 204
Rhadamante : 131, 197
Rhin : 50
Rhodes : 117
Rhodien : 117
Richomérès : 190
Rome : 10, 31, 36-38, 40, 49, 50, 104, 133, 136, 187, 191, 193, 194, 197,
198, 201, 223
Roufinos 11 : 23, 133, 134, 138
Rufin (le Préfet) : 15, 23, 203, 204, 206, 207

Sabinos 5 : 57
Saint-Vital : 204
Saloutios : 138, 143, 155, 158, 159, 166
Sapor : 54, 75, 140
Sarapis : 84
Sarpédon : 73, 74
Sassanides : 78
Satouminos (voir Saloutios)
Scylla : 162
Scythes : 106
Scythopolis : 67, 84, 87
Séleucie de Piérie : 99
Séleucos 1 : 129, 167, 169
Sévéros 9 : 71, 111, 112
Sicile : 107, 162
Sicyone : 81, 126
Silpios : 98
Singara : 139
Sirmium : 38, 40, 62
Skédasos : 108
Skylakios 2 : 147, 148, 151
Skyros : 33
Socrate : 112, 113
Sopater 1 : 41
Sopater 2 : 41
Sophocle : 74, 86
Spartiates : 108, 130
Spectatos 1 : 21, 37-39, 54, 55, 62, 68, 69
Statégios Mousonianos : 22, 32, 60, 63, 76
Strasbourg : 44, 48, 50,75
Strymon : 54
Styx : 110
Suse : 54
Symmaque : 192-195, 201
Syracuse : 107
Syrie : 10,41,57,63,94,121, 126, 129, 134, 183, 188,203
Syrien : 40

Tarse : 23,116,128,134,136
Tartessos : 113
Tatianos 5 : 22, 172, 173, 175, 176, 178, 180, 183,188, 189, 203
Taurus : 150
Thalassios 1 : 29, 43, 97
Thalassios 2 : 43, 61
Thalassios 4 : 183, 184, 187
Thébaïde (Égypte) : 178
Thèbes : 53
Thémistios 1 : 32, 33, 48, 49, 80, 81, 87, 145-147, 155
Thémistios 2 : 111
Thémistocle : 169
Théodora : 52
Théodoros 11 : 21, 57-59
Théodose Ier : 14, 136, 172, 175, 188, 190, 191, 195, 203, 205
Théodoulos : 118, 119
Théophilos 5 : 206
Thésée : 135
Thessalie : 168
Thrace : 49, 78, 136, 169, 179
Thrasydéos : 172
Thucydide : 169, 197
Tibériade : 182
Tigre : 77, 78, 169
Titans : 75
Titus : 163
Troie : 16, 74, 168
Troyens : 70
Tryphonianos : 94
Tyndarides : 87, 161

Ulysse : 83, 168


Ursulus (voir Oursoulos 1).

Valens : 14, 17, 42, 155, 158, 165


Valentinien : 14, 155, 158
Vicennalia : 38, 49, 225

Xerxès : 78, 139

Zeus  : 48, 53, 73, 74, 76, 91, 92, 149, 154, 160, 161, 169, 171, 188, 197,
216, 222
Zosime : 204
CARTE

Carte administrative de l’Empire vers 395 (d’après la Notitia Dignitatum) Cf.


Le Monde romain, sous la direction de M. Kaplan, Paris, 1995. © Édition
Bréal.
Les villes et l’économie au IVe siècle, d’après R. Rémondor La Crise de
l’Empire romain, Paris, 1980. © P.U.F.
Plan restauré d’Antioche
d’après les textes littéraires et les fouilles,
d’après G. Downey, A History of Antioch in Syria, 1961.
La Syrie à l’époque romaine
Cette édition électronique du livre
Lettres aux hommes de son temps de Libanios
a été réalisée le 13 septembre 2019
Flexedo
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN 978-2-251-33938-2).

https://www.lesbelleslettres.com/collections/13-la-roue-a-livres

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