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2022 05:16
L'Actualité économique
Éditeur(s)
HEC Montréal
ISSN
0001-771X (imprimé)
1710-3991 (numérique)
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Tous droits réservés © HEC Montréal, 1972 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
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1) Position du problème
Sil'on considèrelapériodedesquinzeou vingtdernièresannées,
la performance du Canada en matière de contrôle de l'inflation a
incontestablement été l'une des meilleures de tous les pays à écono-
mie libérale. En effet, depuis 1953, les prix à la consommation au
Canada n'ont augmenté, en moyenne, que de 2 p.c. par année. En
tenant comptedu fait que lesstatistiques officielles sur lesprix ten-
dent généralement à surestimer le degré réel d'inflation (question
sur laquelle nous reviendrons plusloin), on peut dire que l'inflation
a été contrôlée avec une efficacité remarquable au Canada pour
l'ensemble de la période s'étendant de 1953 à 1971.Toutefois, cette
brillante performance anti-inflationniste a coûté énormément cher
au pays. En effet, la performance du Canada en matière de con-
trôle du chômage a été l'une des plus faibles de tous les pays à
économie libérale au cours de cette période des quinze ou vingt
dernières années. Depuis 1953, le taux de chômage au Canada a
été, en moyenne, de 5 p.c.par année. Ce taux de chômage, tiré des
statistiques officielles, sous-estimevraisemblablement l'ampleur réelle
du chômage au Canada durant cette période et ce, à cause de fac-
teurs dont nous avons déjà discuté ailleurs \
Cette performance du Canada en matière d'inflation et de chô-
magedepuis une vingtained'années découledu fait queles autorités
fédérales ont nettement opté en faveur du contrôle de l'inflation
i. Raymond Depatie, «Essai d'évaluation de l'ampleur réelle du chômage au
Québec», L'Actualité Économique, octobre-décembre 1971.
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L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE
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LES CONSÉQUENCES DE L'INFLATION
3. Selon une opinion assez répandue, l'économie canadienne est tellement inté-
grée à l'économie américaine que c'est principalement la- politique économique des
États-Unis qui détermine la situation économique au Canada. Le corollaire de cette
proposition est évidemment que la politique économique du gouvernement canadien
comme telle a plus ou moins d'influence sur l'économie canadienne. Comme preuve
de cette relative impuissance des autorités canadiennes, on mentionne le fait que, au
moins depuis la Seconde Guerre mondiale, la situation économique est toujours à peu
près la même au Canada et aux États-Unis. Selon nous, cette argumentation n'est
pas valide puisque, et ceci est très important, la politique économique canadienne a
toujours été, dans le temps, à peu près la même que celle des États-Unis. Si, et seule-
ment si, la politique économique canadienne avait été réellement expansionniste depuis
le milieu des années cinquante et que les résultats obtenus avaient été à peu près
les mêmes que ceux effectivement observés, alors pourrions-nous dire que les autorités
canadiennes sont relativement impuissantes en face de la situation économique na-
tionale. Quant à l'opinion, également très répandue, selon laquelle le Canada ne
peut se permettre d'adopter une politique économique différente de celle des États-
Unis, personne, à notre connaissance, ne l'a encore justifiée scientifiquement.
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L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE
Graphique 1
Augmentation des prix à la consommation
et des salaires hebdomadaires moyens dans les grands secteurs
de l'économie canadienne, de décembre 1965 à décembre 1970
Forestage
Construction
Commerce de gros
Commerce de détail
Services commerciaux
Transport, communications et
services d'utilitfi publique
O 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 %
SOURCE : S.C., Prices and Price Indexes (62*002) ; Employment and Average Wee\ly
Wages (72'ooa).
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LES CONSÉQUENCES DE L'INFLATION
Graphique 2
Augmentation dans les principales composantes
de l'indice des prix à la consommation entre 1961 et 1970
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LES CONSÉQUENCES DE L'INFLATION
est plus élevée chez les économiquement faibles que dans l'ensem-
ble de la population. De plus, les économiquement faibles consa-
crent au logement une proportion beaucoup plus forte de leurs res-
sources que l'ensemble de la population ; dans l'indice des prix à la
consommation (qui est construit à partir des patterns de dé-
pense de la famille «moyenne»), le logement représente 18 p.c. de
la dépense totale alors qu'une enquête menée en 1967 révèle queles
familles dont le revenu annuel était inférieur à 4,000 dollars con-
sacrent, en moyenne, plus de 28 p.c.de leur dépense totale au loge-
ment4. Ainsi, on voit que les économiquement faibles dépensent
proportionnellement beaucoup plus que l'ensemble de la population
pour un important service (lelogement) dont le prix, dansleur cas,
a augmenté beaucoup moins rapidement que dans le cas de l'ensem-
ble de la population (qui comprend une plus faible proportion de
locataires). Il s'agit là d'un fait qui, ajouté à ce que révèle le gra-
phique 2 comme tel, permet d'en conclure que le coût de la vie
augmentevraisemblablement moinsrapidement pour leséconomique-
ment faibles que pour l'ensemble de la population. De plus, il ne
faut pas oublier que les statistiques officielles sur les prix à la con-
sommation tendent à surestimer la hausse réelle du coût de la vie;
ceci, ajouté à ce qui précède, implique vraisemblablement que le
coût de la vie augmente plutôt faiblement pour les économiquement
faibles. Il paraît donc clairement qu'on ne peut absolument pas in-
voquer la situation défavorable des économiquement faibles pour
justifier l'adoption de politiques économiques génératrices de chô-
mage (ce qui, incidemment, équivaut à gonfler encore plus le nom-
bre deséconomiquement faibles).
7) L'argument de la concurrence étrangère
Le Canada est un pays pour lequel le commerce international
revêt une importance considérable. Dès lors, si les prix des produits
fabriqués au pays augmentent plusrapidement que les prix despro-
duits fabriqués à l'étranger, il se produira éventuellement une dimi-
nution de nos exportations vers lesautres pays et une augmentation
de nos importations de biens produits à l'étranger, du fait que nos
propres produits deviendront de moins en moins concurrentiels ;
or, une diminution de nosexportations parallèlement àune augmen-
4. Statistique Canada, Urban Family Expenditure, 1967 (62-530).
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L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE
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L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE
Tableau 1
Valeur de l'endettement total et des actifsfinanciers
à revenu fixe des familles et personnes seules,
selon la classe de revenu, Canada, 1963
(en dollars)
Moins de 1,000 0 0
1,000—1,999 0 110
2,000—2,999 132 102
3,000—3,999 235 180
4,000— 4,999 519 225
5,000-.5,999 1,032 369
6,000—6,999 1,619 507
7,000—9,999 2,641 867
10,000 et plus 5,192 2,438
Comprend la dette hypothécaire.
•* Comprend les dépôts d'épargne, les dépôts à terme, les obligations de tous
types (et non les actions) ainsi que les prêts consentis à des individus.
SOURCB; Incomes. Assets and Indebtedness of N.on-Fdrm Families in Canada, 1963
(13-525), Statistique Canada.
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LES CONSÉQUENCES DE L'INFLATION
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LES CONSÉQUENCES DE L'INFLATION
8. Il existe une opinion assez répandue selon laquelle les institutions financières
se protègent toujours contre les effets de l'inflation en augmentant le taux d'intérêt
sur les sommes prêtées proportionnellement au degré d'inflation. En fait, cette opinion
constitue une vision beaucoup trop simpliste de la réalité. En effet, ce ne sont pas
les institutions financières comme telles qui déterminent, ultimement, le niveau des
taux d'intérêt mais plutôt la Banque du Canada par sa politique monétaire. C'est
parce que celle-ci devient alors généralement très restrictive que les taux d'intérêt
augmentent fortement au cours des périodes de poussée inflationniste et non parce
que les prêteurs veulent se protéger. Le contrôle de la Banque du Canada sur.le niveau
des taux d'intérêt peut être illustré par les deux faits suivants. De 1947 à 1951, les
prix à la consommation ont augmenté de 40 p.c. au Canada et pourtant, les taux
d'intérêt étaient extrêmement faibles au cours de cette période ; en 1971, les prix
ont subi leur plus fort accroissement en vingt ans et pourtant, les taux d'intérêt
étaient en baisse au pays. Ainsi, le fait que les taux d'intérêt peuvent fluctuer con-
sidérablement dans le temps implique que, très souvent, les institutions financières
sont amenées à prêter à des taux d'intérêt qui ne les protègent nullement contre
l'inflation qui se manifeste ultérieurement. Ainsi, les milliards de dollars de prêts
consentis au début des années soixante, alors que les taux d'intérêt étaient relativement
faibles, impliqueront nécessairement de lourdes pertes pour les prêteurs si l'inflation
se maintient à son rythme des cinq ou six dernières années.
—293 —
. L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE
Tableau 2
Valeurs moyennes et médianes des actifsfinanciers
à revenu fixe des familles et personnes seules,
selon la classe de revenu, Canada, 1963
(en dollars)
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LES CONSÉQUENCES DE L'INFLATION
10) Conclusion
Afin de combattre l'inflation, les autorités fédérales restreignent
sans cessela croissance de la production nationale depuis une ving-
taine d'années. La conséquence en est la persistance d'un niveau
très élevé de chômage au pays. Or, nous avons démontré que seule
une infime minorité de la population totale, minorité plutôt favo-
risée, est nettement désavantagée par l'inflation. Donc, la protection
de la richesse de cette minorité constitue le seul résultat concret
d'une politique économique qui prive constamment de travail une
proportion importante de tous les travailleurs. Si l'on compare le
coût social de l'inflation, c'est'à'dire les pertes financières subies
par une minorité d'économiquement favorisés, au coût social du
chômage (sur lequel il est inutile de s'étendre), il faut en conclure
que la politique économique fédérale a été et est encore nettement
antisociale.
Raymond DEPATIE,
Conseil de Développement social
du Montréal métropolitain.
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