Vous êtes sur la page 1sur 20

Document généré le 31 oct.

2022 05:16

L'Actualité économique

Les conséquences de l’inflation : mythes et réalités


Raymond Dépatie

Volume 48, numéro 2, juillet–septembre 1972


URI : https://id.erudit.org/iderudit/1003708ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1003708ar

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)
HEC Montréal

ISSN
0001-771X (imprimé)
1710-3991 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet article


Dépatie, R. (1972). Les conséquences de l’inflation : mythes et réalités.
L'Actualité économique, 48(2), 277–295. https://doi.org/10.7202/1003708ar

Tous droits réservés © HEC Montréal, 1972 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique
d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.
https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.


Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de
l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à
Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.
https://www.erudit.org/fr/
Les conséquences de l'inflation:
mythes et réalités

1) Position du problème
Sil'on considèrelapériodedesquinzeou vingtdernièresannées,
la performance du Canada en matière de contrôle de l'inflation a
incontestablement été l'une des meilleures de tous les pays à écono-
mie libérale. En effet, depuis 1953, les prix à la consommation au
Canada n'ont augmenté, en moyenne, que de 2 p.c. par année. En
tenant comptedu fait que lesstatistiques officielles sur lesprix ten-
dent généralement à surestimer le degré réel d'inflation (question
sur laquelle nous reviendrons plusloin), on peut dire que l'inflation
a été contrôlée avec une efficacité remarquable au Canada pour
l'ensemble de la période s'étendant de 1953 à 1971.Toutefois, cette
brillante performance anti-inflationniste a coûté énormément cher
au pays. En effet, la performance du Canada en matière de con-
trôle du chômage a été l'une des plus faibles de tous les pays à
économie libérale au cours de cette période des quinze ou vingt
dernières années. Depuis 1953, le taux de chômage au Canada a
été, en moyenne, de 5 p.c.par année. Ce taux de chômage, tiré des
statistiques officielles, sous-estimevraisemblablement l'ampleur réelle
du chômage au Canada durant cette période et ce, à cause de fac-
teurs dont nous avons déjà discuté ailleurs \
Cette performance du Canada en matière d'inflation et de chô-
magedepuis une vingtained'années découledu fait queles autorités
fédérales ont nettement opté en faveur du contrôle de l'inflation
i. Raymond Depatie, «Essai d'évaluation de l'ampleur réelle du chômage au
Québec», L'Actualité Économique, octobre-décembre 1971.

— 277 —
L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

par opposition au contrôle du chômage.Mais iln'enapas toujours


été ainsi, comme le démontre le tableau qui suit :
Inflation et chômage, Canada, 1946-71

Taux annuel moyen Taux de chômage


Période considérée d'augmentation des prix annuel moyen
à la consommation

' 1946-53 5.6% 2.3%


1954-71 . 2.2% ' 5.2%

On constate quedelafindela seconde guerre mondiale à 1953,


le pays a connu le plein emploi parallèlement àun taux d'inflation
relativement élevé ;à partir de 1954, la situation est complètement
renversée alors que le chômage fait partie, sans interruption, de
l'environnement économique et que l'inflation, par contre, nese
manifeste sérieusement qu'en quelques occasions seulement. Cette
différence de situation entre les deux périodes est attribuable essen-
tiellement à une différence de priorité au niveau de la pohtique
économique du gouvernement central. Alors quede 1946à 1953,
à cause surtout des mauvais souvenirs laissés parla dépression des
années trente, les autorités fédérales avaient donné la priorité abso-
lue au plein emploi, c'est la stabilité des prix qui reçut la priorité
absolue à partir du milieu des années cinquante. Depuis lors, la
politique de stabilisation économique du gouvernement fédéral a
étépresque sans cesserestrictive, de sorte que la croissance à moyen
et long terme de l'économie canadienne a été insuffisamment élevée
pour absorber la main-d'œuvre disponible mais suffisamment faible
pour maintenir la croissance des prix àun faible taux. Le caractère
restrictif de la politique monétaire de la Banque du Canada est
illustrépar l'élévation tendancielle de la structure des taux d'intérêt
qui se manifeste depuis une vingtaine d'années..Pour cequiest de
la pohtiquefiscale (ou budgétaire), il suffit de savoir quele budget
fédéral s'est généralement trouvé en position de« surplus de plein
emploi» 2 au cours de cette période pour en saisir le caractère res-
trictif ;le fait que le budget fédéral ait souvent été déficitaire n'im-
2. Le budget de l'État est dans cette position lorsque le niveau des dépenses
et/ou des taux de taxation est tel que la politique fiscale freinerait automatiquement
la croissance de la production.nationale avant même que le chômage ne soit entière-
ment résorbé.

— 278 —
LES CONSÉQUENCES DE L'INFLATION

plique absolument pas que la politiquefiscaleétait alors expansion-


niste puisque les déficits provenaient exclusivement de la faiblesse
des rentrées fiscales (découlant elle-même de la faiblesse générale
de l'économie). Aux politiquesfiscaleset monétaires comme telles,
on peut ajouter la politique detaux dechange desannéescinquante.
En effet, afin d'empêcher que les fortes entrées de capitaux améri-
cains n'exercent des pressions inflationnistes sur les ressources du
pays, les autorités fédérales laissèrent flotter le dollar canadien à un
niveau tel que notre devise était surévaluée par rapport aux autres
monnaies, ce qui, bien entendu, tendait à favoriser les importations
et à nuire aux exportations (avec le résultat que le chômage s'en
trouvait d'autant accru).
Ainsi, la politique économique du gouvernement fédéral depuis
une vingtaine d'années a été assez restrictive pour maintenir une
stabilité relative des prix vraiment remarquable (surtout d'après les
standards internationaux) mais cela a eu pour effet de maintenir la
croissancedelaproduction nationale àun taux insuffisant pour qu'il
8
se crée assez; d'emplois pour la main-d'œuvre disponible . Et la
situation n'a certes pas changé au cours des récentes années. En
1968, le gouvernement actuel s'embarquait dans un programme de
lutte à l'inflation dont la conséquence en fut un accroissement con-
sidérable du chômage ; même à l'heure actuelle, alors que le chô-
mage au pays atteint son plus.haut niveau depuis une dizaine
d'années, la lutte àl'inflation constitue encorela priorité absoluedes
autorités fédérales et, par conséquent, toute politique économique
vraiment expansionniste est hors de question.

3. Selon une opinion assez répandue, l'économie canadienne est tellement inté-
grée à l'économie américaine que c'est principalement la- politique économique des
États-Unis qui détermine la situation économique au Canada. Le corollaire de cette
proposition est évidemment que la politique économique du gouvernement canadien
comme telle a plus ou moins d'influence sur l'économie canadienne. Comme preuve
de cette relative impuissance des autorités canadiennes, on mentionne le fait que, au
moins depuis la Seconde Guerre mondiale, la situation économique est toujours à peu
près la même au Canada et aux États-Unis. Selon nous, cette argumentation n'est
pas valide puisque, et ceci est très important, la politique économique canadienne a
toujours été, dans le temps, à peu près la même que celle des États-Unis. Si, et seule-
ment si, la politique économique canadienne avait été réellement expansionniste depuis
le milieu des années cinquante et que les résultats obtenus avaient été à peu près
les mêmes que ceux effectivement observés, alors pourrions-nous dire que les autorités
canadiennes sont relativement impuissantes en face de la situation économique na-
tionale. Quant à l'opinion, également très répandue, selon laquelle le Canada ne
peut se permettre d'adopter une politique économique différente de celle des États-
Unis, personne, à notre connaissance, ne l'a encore justifiée scientifiquement.

—779—
L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

2) Le coût de la lutte à l'inflation


Avant de discuter de la question du bien-fondé ou, si l'on veut,
desjustifications de la lutte à l'inflation (ce qui constituera la partie
essentielle de cetexte), il importe de parler brièvement des coûts de
cette option fondamentale de politique économique. Le coût écono-
mique du chômage se mesure évidemment en termes des milliards
de dollars de biens et services qu'auraient produits les centaines de
milliers de chômeurs s'ils avaient pu travailler. Toutefois, dans une
société comme la nôtre, ce sont probablement les coûts sociaux du
chômagequi importent leplus. Ici, ilest inutile de s'étendre longue-
ment sur la relation étroite existant entre le chômage et la pauvreté
ou encore, et cemêmedans le cas particulier du chômage de courte
durée, entre celui-ci et les difficultés considérables qu'il entraîne la
plupart du temps pour les familles et individus impliqués. À cela
il faut ajouter le fait que ce sont très souvent les plus faibles, c'est-
à-dire ceux qui sont déjà aux prises avec une rémunération plus ou
moins adéquate lorsqu'ils travaillent, qui sont le plus exposés au
chômage.

On justifie parfois politiquement l'option en faveur de la lutte


à l'inflation en disant que le chômage ne touche qu'une petite par-
tie de la population alors que l'inflation touche l'ensemble de la
population. Or, il est complètement faux de prétendre que le chô-
magene touche qu'une petite partie dela population car il concerne
l'ensemble des contribuables du pays. En effet, plus il y a de chô-
meurs, plus ceux qui travaillent doivent supporter financièrement
une partie importante de la population totale du pays par le biais
deleursimpôts.Ainsi,l'existence mêmedu chômage impliquenéces-
sairement que les rentrées fiscales de l'État pourraient être supé-
rieures à ce qu'elles sont effectivement. Il s'ensuit donc que, par
rapport à une situation de plein emploi, l'obtention d'un niveau
donnédeconsommation collectivedebienset servicesexigeun effort
fiscal supérieur dela part de ceux qui travaillent et/ou quele main-
tien à un niveau donné de l'effort fiscal exigé de la part de ceux
qui travaillent implique un niveau inférieur de consommation col-
lective de bienset services. On voit donc que le chômage ne touche
pas seulement ceux qui sont privés d'un emploi.
— 280 —
LES CONSÉQUENCES DE L'INFLATION

En fait, l'option résolue des autorités fédérales en faveur de la


lutte à l'inflation a eu pour effet de créer une situation véritable-
ment paradoxale au cours des quinze ou vingt dernières années. En
effet, contrairement aux postulats fondamentaux de la théorie éco-
nomique, cene sont pas lesbienset services qui sont rares (à cause
de la rareté des ressources productives) dans la réalité mais plutôt
les occasions d'utiliser les ressources productives, c'est-à-dire les
emplois. Cette rareté persistante desemplois déclenche une trèsvive
concurrence sur le marché du travail pour l'obtention des emplois
disponibles (concurrence qui s'étend aujourd'hui à presque toutes
les classes de travailleurs), avec le résultat que les individus qui,
à cause d'une scolarité ou de qualifications inférieures, sont les
moins «concurrentiels» se retrouvent généralement perdants, d'où
le chômage chronique ou quasi chronique d'une partie non négli-
geable de tous les travailleurs. Au cours des récentes années, parai'
lèlement au maintien de politiques fiscales et monétaires restrictives,
le gouvernement fédéral a institué une politique de subventions àla
création d'emplois pourlesentreprisesdesrégionsdites«désignées».
Or, il est intéressant d'établir un parallèle entre cette pohtique de
subventions et la politique de rationnement de la Seconde Guerre
mondiale. À cette époque, certains biens de consommation étaient
tellement rares qu'il fallait les rationner pour en obtenir une plus
juste répartition entre les individus ; aujourd'hui les emplois sont
tellement rares qu'il faut également les rationner (par le biais de
subventions) pour en obtenir une plus juste répartition entre les
régions du pays.

3) Les statistiques officielles sur l'inflation


Il est impossible, dans le cadre de cette discussion sur l'infla-
tion, de ne pas s'arrêter brièvement sur les méthodes utilisées par
les autorités gouvernementales pour mesurer les changements de
prix à la consommation. Cette démarché est importante puisque la
très grande majorité des experts en la matière (y compris probable-
ment ceux qui produisent les statistiques officielles sur les change-
ments de prix) estiment que ces statistiques surestiment le degré
réel d'inflation dans l'économie. En effet, l'indice des prix à la con-
sommation produit chaque mois par Statistique Canada est carac-
—281 —
L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE *

térisé par quatre « défauts de construction » qui le biaisent néces-


sairement à la hausse en tant que mesure des changements réels qui
se produisent dans les prix à la consommation.
Tout d'abord, l'indice ne tient pas compte entièrement, loin de
là, des améliorations qui se produisent inévitablement dans la qua-
lité d'un grand nombre de biens et services. Par exemple, il arrive
souvent que l'indice considère comme telle une hausse de prix attri-
buable entièrement à une amélioration dans la qualité réelle d'un
bien ou service (alors qu'en réalité il ne s'agit pas vraiment d'une
hausse deprix). Ensuite,ilnetient comptequ'avec un retard appré-
ciable des nouveaux biens et services qui arrivent sans cesse sur le
marché. Or, il arrive que le prix d'une majorité de ces nouveaux
produits diminue pendant assez longtemps après leur arrivée sur le
marché (parce que leur coût de production diminue à mesure que
leur consommation serépand dans le pubhc). Comme cesnouveaux
produits ne sont généralement introduits dans l'indice qu'avec un
retard de plusieurs années, leur effet anti-inflationniste sur l'indice
ne se fait pas sentir durant toutes ces années. De plus, l'indice
accuse toujours un certain retard à tenir compte de la propension
des consommateurs à substituer progressivement des biens et ser-
vices dont le prix est relativement faible pour des biens et services
dont le prix est devenu relativement élevé. Enfin, il accuse égale-
ment un certain retard à tenir compte de l'importance sans cessé
accrue des nouvelles méthodes de distribution au détail (par exem-
ple les «magasins à prix escomptés») dont là principale caractéris-
tique est une structure de prix plus ou moins inférieure à celle des
méthodes plus traditionnelles de distribution.
Aux États-Unis, où la situation est à peu près la même qu'au
Canada en ce qui concerne l'indice des prix à la consommation, la
plupart des experts en la matière estiment que l'indice surestime
systématiquement les changements réels dans l'ensemble des prix à
laconsommation de 1à 2p.c.par année. Ce qui impliquerait qu'une
augmentation de 1à 2 p.c. par année de l'indice des prix à la con-
sommation signifierait, selon le cas, une complète stabilité des prix
en réalité. Bien plus, certains experts estiment même que la suresti-
mation du degré réel d'inflation par. l'indice est plutôt de l'ordre de
2 à 4 p.c. par année. Quoi qu'il en soit, si le biais à la hausse avait
—282—
LES CONSÉQUENCES' DE L'INFLATION

effectivement étéd'environ 2 p.c. par année, on pourrait alors dire


que les prix à la consommation sont, en réalité, demeurés parfaite-
ment stables, dans leur ensemble, entre 1953 et 1971 (puisque
l'indice n'a augmenté, en moyenne, que de 2 p.c. par année durant
cette période). La conclusion qu'il faut tirer de cette discussion est
que le degré réel d'inflation qui prévaut au pays est constamment
surestimé par les statistiques officielles, de sorte que les autorités
fédérales ont souvent été amenées à accroître le degré de restriction
qu'ils incorporent à leur politique économique alors même que la
hausse des prix était minime en réalité.

4) Le choix entre le plein emploi et la stabilité des prix


Tel que mentionné antérieurement, les faits démontrent ample-
ment que le gouvernement central a sans cesse accordé la priorité
absolue à la stabilité des prix depuis une vingtaine d'années, bien
entendu aux dépens du plein emploi. Or, il importe ici de s'arrêter
sur les implications logiques de ce choix entre, à toutes fins prati-
ques, le chômage et l'inflation. Logiquement, on choisit la stabilité
des prix lorsque les coûts globaux (au point de vue économique et
social) de l'inflation sont supérieurs aux coûts globaux du chômage.
Ou encore, on peut très bien choisir la stabilité des prix lorsque les
coûts globaux du chômageet ceuxdel'inflation sont àpeu prèséqui-
valents.Ainsi, puisque les autorités fédérales ont toujours opté sans
la moindre équivoque pour la stabilité des prix, il faut nécessaire-
ment en déduire qu'elles en ont conclu (et qu'elles en concluent
toujours) que les coûts de l'inflation sont nettement supérieurs à
ceux du chômage. Donc, il convient d'examiner un à un tous les
arguments sur lesquels une telle conclusion repose afin de voir si,
effectivement, les coûts de l'inflation surpassent ceux du chômage
(ces derniers étant, de toute évidence, énormes, de quelque façon
qu'on les envisage). C'est ce que nous allons faire maintenant.

5) L'argument de la diminution du niveau de vie des travailleurs


Il s'agit de l'argument à la fois le plus simpliste et le moins va-
lide qui puisse être avancé en faveur de la lutte à l'inflation. En
effet, dans l'immense majorité des cas, la rémunération des travail-
leurs salariés augmente plus rapidement que les prix à la consom-
— 283 —
L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

mation (considérés dans leur ensemble). Le graphique 1 établit la


comparaison entre l'augmentation procentuelle de l'indice des prix
à la consommation et celle du salaire hebdomadaire moyen dans les
dix grands secteurs de l'économie canadienne pour la plus récente
période d'inflation qu'ait connu lepays.On constate que mêmedans
lessecteurs où lesalaire moyen s'est accru lemoins rapidement (par

Graphique 1
Augmentation des prix à la consommation
et des salaires hebdomadaires moyens dans les grands secteurs
de l'économie canadienne, de décembre 1965 à décembre 1970

Indicedes prix Ala consommation

Forestage

Fabrication de biens non durables

Fabrication de biens durables

Construction

Finance, assurance et icneuble

Commerce de gros

Commerce de détail

Services commerciaux

Transport, communications et
services d'utilitfi publique

O 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 %

SOURCE : S.C., Prices and Price Indexes (62*002) ; Employment and Average Wee\ly
Wages (72'ooa).

— 284 —
LES CONSÉQUENCES DE L'INFLATION

exemple le commerce de gros et le commerce de détail), son taux


d'accroissement est quand même très supérieur à celui de l'indice
des prix à la consommation. De plus, dans ces secteurs, même s'il
s'agit du salaire moyen, il existe entre son taux d'augmentation et
celui de l'indice des prix à la consommation, une différence telle
qu'il est extrêmement probable, pour ne pas dire certain, que la très
grande majorité des salaires individuels se sont accrus plus rapide-
ment que l'indice des prix à la consommation. Aussi, les travail-
leurs dont le salaire s'accroît moins rapidement que les prix sont-ils
relativement rares. On ne peut donc pas invoquer la diminution du
niveau devie réel des travailleurs pour justifier le fait que la lutte à
l'inflation reçoit la priorité absolue en matière de politique écono-
mique.

6) L'argument de l'impuissance des économiquement faibles


L'essence de cet -argument est tout simplement que, contraire-
ment aux travailleurs salariés, aux capitalistes et à ceux qui opèrent
à leur propre compte, les personnes dont le revenu est fixe (pen-
sionnés, assistés sociaux, etc.) n'ont aucun moyen de défense con-
tre la hausse du coût de la vie. Dès lors, toute augmentation de
l'indice des prix à la consommation implique nécessairement une
diminution du niveau de vie réel de ces personnes (dont le revenu
est généralement insuffisant, au départ). Un tel argument ne saurait
être invoqué sérieusement pour justifier la lutte à l'inflation et ce,
pour les deux raisons suivantes.
Tout d'abord, il est extrêmement moins coûteux pour la société
d'empêcher leniveau devie des personnes àrevenufixede diminuer
en indexant pensions de vieillesse, allocations sociales, etc., sur
l'indice desprix àla consommation au lieu de créer du chômage par
des politiquesfiscaleet monétaire restrictives. C'est la solution qui
a été retenue depuis longtemps dans certains pays européens. Au
Canada, l'idée de l'indexation des prestations de sécurité sociale se
répand de plus en plus, de sorte que dans quelques années cet argu-
ment ne sera même plus invoqué par les tenants de la lutte anti-
inflationniste.
Ensuite, certains faits semblent indiquer que le coût de la vie
augmente moins rapidement pour les économiquement faibles que
—283 —
L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

pour l'ensemble de la population. Le graphique 2 donne l'accroisse-


ment procentuel des principales composantes de l'indice des prix à
la consommation de 1961 à 1970.On constate que les composantes
quiont augmentéleplusrapidement concernent desbienset services
pour lesquelsla population à faible revenu dépense relativement très
peu (sauf peut-être dans le cas de certains types de soins de santé).
La différence la plus marquée concerne lescoûts du logement : alors
que les coûts afférents à la possession d'une maison ont augmenté
de 61.3 p.c, les coûts de location d'un logement ont augmenté de
20.3 p.c. seulement. Or, on sait que la proportion de locataires

Graphique 2
Augmentation dans les principales composantes
de l'indice des prix à la consommation entre 1961 et 1970

Cotlt» afférents I la possession


d'ano tsaison 1
Bepas aa restaurant 1
Soins personnels et do aante
1
Loisirs «t lactam
1
Itadlos des prix i la eonsom-
nation, total .
Hourritora prisa I la saison 1
Tttenenta
1
Tabac at alcool
1
fnaasport #' *
1.
location d'un logeaant a»
i • •
1 .

Biens et serviras afoaga» •*• 1 .


1 1 1 1 J • • 1 1 A
24 30 SG ; 42 48 84 60 %

* Comprend les coûts afférents'à la possession d'une automobile ainsi que le


prix des transports publics de. tous types.
** Comprend t a i e locative.
*** Comprend combustible, électricité, services téléphonique et postal, appareils
ménagers, meubles, tapis et carpettes, draperies et couvre-lits, vaisselle et
ustensiles, aides domestiques, assurance sur biens ménagers ainsi que four-
nitures diverses (i.e. nettoyeurs, détersifs, ampoules, électriques, peinture,
etc.)
SOURCE : S.C., Price» and Price Indexes (62-002).

— 286-
LES CONSÉQUENCES DE L'INFLATION

est plus élevée chez les économiquement faibles que dans l'ensem-
ble de la population. De plus, les économiquement faibles consa-
crent au logement une proportion beaucoup plus forte de leurs res-
sources que l'ensemble de la population ; dans l'indice des prix à la
consommation (qui est construit à partir des patterns de dé-
pense de la famille «moyenne»), le logement représente 18 p.c. de
la dépense totale alors qu'une enquête menée en 1967 révèle queles
familles dont le revenu annuel était inférieur à 4,000 dollars con-
sacrent, en moyenne, plus de 28 p.c.de leur dépense totale au loge-
ment4. Ainsi, on voit que les économiquement faibles dépensent
proportionnellement beaucoup plus que l'ensemble de la population
pour un important service (lelogement) dont le prix, dansleur cas,
a augmenté beaucoup moins rapidement que dans le cas de l'ensem-
ble de la population (qui comprend une plus faible proportion de
locataires). Il s'agit là d'un fait qui, ajouté à ce que révèle le gra-
phique 2 comme tel, permet d'en conclure que le coût de la vie
augmentevraisemblablement moinsrapidement pour leséconomique-
ment faibles que pour l'ensemble de la population. De plus, il ne
faut pas oublier que les statistiques officielles sur les prix à la con-
sommation tendent à surestimer la hausse réelle du coût de la vie;
ceci, ajouté à ce qui précède, implique vraisemblablement que le
coût de la vie augmente plutôt faiblement pour les économiquement
faibles. Il paraît donc clairement qu'on ne peut absolument pas in-
voquer la situation défavorable des économiquement faibles pour
justifier l'adoption de politiques économiques génératrices de chô-
mage (ce qui, incidemment, équivaut à gonfler encore plus le nom-
bre deséconomiquement faibles).
7) L'argument de la concurrence étrangère
Le Canada est un pays pour lequel le commerce international
revêt une importance considérable. Dès lors, si les prix des produits
fabriqués au pays augmentent plusrapidement que les prix despro-
duits fabriqués à l'étranger, il se produira éventuellement une dimi-
nution de nos exportations vers lesautres pays et une augmentation
de nos importations de biens produits à l'étranger, du fait que nos
propres produits deviendront de moins en moins concurrentiels ;
or, une diminution de nosexportations parallèlement àune augmen-
4. Statistique Canada, Urban Family Expenditure, 1967 (62-530).

—287 —
L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

tation de nos importations impliquent évidemment un accroisse-


ment substantiel du chômage au pays. Tel est l'essentiel de l'argu-
mentation de ceux qui défendent lespolitiques restrictives anti-infla-
tionnistes en soutenant qu'il* vaut mieux subir un certain niveau de
chômage maintenant plutôt que subir un chômage beaucoup plus
important dans le futur.
Tout comme les précédents, cet argument ne résiste pas à un
examen rigoureux des faits. Tout d'abord, si les prix au pays aug-
mentent plus rapidement que chez;nos principaux partenaires com-
merciaux, absolument rien ne s'oppose à ce que le dollar canadien
soit éventuellement dévalué par rapport aux autres monnaies. Il
s'agit alors, non pas d'une opération visant à assurer aux produits
canadiens des avantages indus par rapport à la concurrence étran-
gère (ce que la communauté internationale réprouve), mais bien
d'un simple rétablissement de la situation qui prévalait avant que
l'évolution des prix canadiens et celle des prix étrangers ne se met-
tent à diverger trop fortement. De toute façon, il est extrêmement
moins coûteux pour le pays de simplement modifier la valeur de
notre devise par rapport aux autres monnaies que d'adopter des
politiques qui créent un niveau de chômage considérable à la seule
fin d'empêcher que notre position concurrentielle sur les marchés
mondiaux ne sedétériore à la suite d'une poussée inflationniste dans
l'économie. De plus, en régime de taux de change flottant, régime
que le pays a connu durant toutes les années cinquante et à nou-
veau depuis le milieu de 1970, l'argument de la concurrence étran-
gère commejustification delalutte àl'inflation netient pluspuisque
le taux de change varie automatiquement de façon à corriger toute
détérioration dans notre force concurrentielle sur les marchés mon-
diaux (pourvu, bien entendu, que la pohtique monétaire de la
Banque du Canada n'entrave pas, par le biais des mouvements de
capitaux, ce processus automatique de correction.
On peut mêmesedemander jusqu'à quelpoint ceuxqui appuient
l'adoption de politiques anti-inflationnistes créatrices de chômage
sont réellement convaincus delavalidité del'argument dela concur-
rence étrangère. Ainsi, après avoir adopté de 1968 à 1970 des
politiquesfiscaleet monétaire restrictives (qui ont considérablement
gonflé leniveau du chômage) afin d'enrayer l'inflation et d'empêcher
par le fait même que notre position concurrentielle sur les marchés
— 288 —
LES CONSÉQUENCES DE L'INFLATION

mondiaux ne se détériore, les autorités fédérales ont laissé le dollar


canadien se réévaluer en quelques semaines d'environ 8 p.c. par
rapport aux autres monnaies au milieu de 1970, ce qui équivalait
justement à laisser notre position concurrentielle sur les marchés
mondiaux sedétériorer substantiellement tout d'un coup\ On aurait
pu parvenir au même résultat par le biais d'un taux d'inflation plus
élevé, sans toutefois subir un fort accroissement du chômage. Dans
la seconde moitié des années cinquante, le même souci officiel d'évi-
ter que l'inflation n'entraîne la détérioration de notre position con-
currentielle sur les marchés mondiaux amena les autorités fédérales
à adopter des politiques restrictives dont les conséquences furent
justement, outre un chômage considérable, le maintien des produc-
teurs canadiens dans une position concurrentielle défavorable par
rapport aux producteurs étrangers 8. En définitive, pas plus que les
précédents, l'argument de la concurrence étrangère ne saurait justi-
fierl'énorme coût du chômage qu'implique la lutte à l'inflation.

8) L'argument de la spoliation des petits épargnants


La plupart de ceux que l'on appelle les «petits épargnants»
conservent le fruit de leur épargne, accumulée le plus souvent au
prix de privations assez;vivement ressenties, soit sous forme liquide
(dépôts bancaires), soit sousforme de titresfinanciersà revenufixe
(certificats de dépôt à terme ou obligations). Or, il est évident que
l'inflation constitue une véritable spoliation des épargnants car la

5. Les autorités fédérales prétendirent alors (et prétendent toujours) qu'elles


n'avaient d'autre choix que de laisser flotter le dollar canadien, à cause de l'énorme
surplus dans sa balance des paiements qu'enregistrait le pays. Or, ceci n'est pas exact.
Ce surplus était attribuable en bonne partie aux politiques fiscale et monétaire restric-
tives menées par le gouvernement. D'une part, à cause de la récession que traversait
l'économie, les importations étaient en baisse. D'autre part, à cause du niveau élevé
des taux d'intérêt (conséquence de la politique monétaire restrictive de la Banque
du Canada), les capitaux étrangers entraient massivement au pays. Tout cela signifie
que les autorités fédérales auraient pu maintenir le dollar canadien au même niveau en
stimulant fortement l'économie par des politiques fiscale et monétaire très expansion-
nistes. Les importations se seraient alors mises à augmenter et la faiblesse des taux
d'intérêt aurait fait refluer hors du pays les capitaux étrangers, ce qui aurait fait
disparaître le surplus de la balance des paiements et, par conséquent, les pressions à
la hausse sur le dollar canadien. Toutefois, cela n'a pas été fait par crainte de l'infla-
tion (c'est-à-dire par crainte que l'inflation n'entraîne la détérioration de notre
position concurrentielle vis-à-vis l'étranger). Ce qui revient à dire qu'on a laissé
cette position concurrentielle se détériorer afin qu'elle ne se détériore pas.
6. Ici, nous faisons allusion à la sur-évaluation du dollar canadien à l'époque.
Celle-ci résultait de la conjonction d'un taux de change flottant et d'une politique
monétaire restrictive qui entraînait des entrées massives de capitaux au pays.

— 289 —
L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

hausse du coût de la vie implique que la valeur réelle des sommes


épargnées (en termes de pouvoir d'achat) diminue et ce, dans la
mêmeproportion que l'augmentation desprix. Il s'agit là d'un autre
argument invoqué pour justifier la lutte à l'inflation, argument qui
prend d'autant plus de poidslorsque l'on songe aux «petites gens»
qui sesont privées longtemps afin de s'assurer une vieillesse un peu
plus confortable ou tout simplement dans le but de réaliser certains
projets à long terme. Cependant, nous démontrerons que cet argu-
ment est encore moinsvalide que les précédents.
S'il est vrai que l'inflation fait diminuer la valeur réelle des
sommes d'argent liquide et des titres financiers à revenu fixe qui
constituent le plus souvent le résultat de l'épargne accumulée par
les individus, il ne faut pas oublier que l'inflation fait également
diminuer la valeur réelle des dettes contractées par les individus.
Ainsi, la hausse des prix réduit la valeur réelle de l'épargne qu'un
individu possèdedansun comptebancaire maiselleréduit également
lavaleur réelle despaiements qu'effectue chaque moiscemêmeindi-

Tableau 1
Valeur de l'endettement total et des actifsfinanciers
à revenu fixe des familles et personnes seules,
selon la classe de revenu, Canada, 1963
(en dollars)

Valeur médiane pour chaque classe de revenu


Classes de revenu
Endettement total* Actifs financiers
à revenufixe**

Moins de 1,000 0 0
1,000—1,999 0 110
2,000—2,999 132 102
3,000—3,999 235 180
4,000— 4,999 519 225
5,000-.5,999 1,032 369
6,000—6,999 1,619 507
7,000—9,999 2,641 867
10,000 et plus 5,192 2,438
Comprend la dette hypothécaire.
•* Comprend les dépôts d'épargne, les dépôts à terme, les obligations de tous
types (et non les actions) ainsi que les prêts consentis à des individus.
SOURCB; Incomes. Assets and Indebtedness of N.on-Fdrm Families in Canada, 1963
(13-525), Statistique Canada.

—290-
LES CONSÉQUENCES DE L'INFLATION

vidu pour rembourser un emprunt bancaire. De plus, si le montant


total de l'épargne de cet individu n'est pastellementélevé alors que
le montant de son endettement est assez;considérable, celui-ci béné-
ficie alors de l'inflation car la diminution de la valeur réelle de son
endettement fait plusquecompenser pour ladiminution delavaleur
réelle de ses épargnes. Par contre, si le montant des épargnes de
l'individu en question est considérable alors que le montant de son
endettement est assez;faible, c'est le contraire qui seproduit :celui-
ciest appauvri par l'inflation. On peut donc en tirer leprincipe sui-
vant : ceux dont le montant de l'endettement est supérieur à celui
des actifs financiers à revenu fixe (dépôts bancaires et obligations)
bénéficient de l'inflation alors que ceux dont le montant des actifs
financiersà revenu fixe est supérieur à celui de l'endettement sont
appauvris par l'inflation. Dans le cadre de cette discussion sur les
effets globaux de l'inflation, il reste donc à déterminer dans laquelle
de ces deux situations se trouve la majorité de la population.
Le tableau 1 indique que la grande majorité de la population
bénéficie de l'inflation, tout simplement parce que son endettement
surpasse de beaucoup les actifs financiers à revenu fixe qu'elle pos-
sède. Les données de ce tableau proviennent d'une enquête menée
en 1963 par Statistique Canada, sur le revenu et les finances des
familles et personnes non comprises dans les familles n'habitant pas
sur une ferme au Canada. Nous ne disposons pas de données plus
récentes sur cette question maisiln'y a aucune raison de croire que
la situation n'est pas, grosso modo, la même aujourd'hui ; il est à
peu près certain que seul le niveau absolu des chiffres a changé de-
puis 1963. En examinant le tableau 1, on constate que, pour la
grande majorité des familles et personnes seules,le montant de l'en-
dettement total est supérieur à celui des actifs financiers à revenu
fixe(sauf danslecasd'une classede revenu où lemontant en cause
est cependant minime). Il s'ensuit donc que lorsqu'il y a de l'infla-
tion au Canada, la majorité des familles et personnes seules voient
leur situation financière s'améliorer par le fait que la diminution de
la valeur réelle de leur endettement surpasse la diminution de la
valeur réelledeleursactifsfinanciersàrevenufixe.Sil'on considère
le fait que l'immense majorité des travailleurs ne subissent aucune
diminution de leur revenu réel lorsqu'il y a de l'inflation (voir gra-
phique 1), on doit nécessairement en conclure que la grande majo'
—291 —
L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

rite de la population bénéficie de l'inflation. C'est peut-être là une


conclusion très étonnante mais elle repose sur des faits, ainsi que
nousvenons dele voir T.
Le phénomène de l'endettement de la majorité de la population
n'est pas le seul facteur qui fait en sorte que celle-ci bénéficie de
l'inflation. En effet, il faut considérer le fait que divers gouverne-
ments, au niveau fédéral, provincial et municipal, de même que les
divers corps publics et parapublics sont également endettés. Or,
lorsqu'il y a de l'inflation, la valeur réelle de la dette collective
diminue et comme le nombre de ceux qui détiennent (directement
ou indirectement) une part significative des titres de créance sur
cette dette collective constituent une très petite fraction de la popu-
lation totale, la majorité de la population en bénéficie. Autrement
dit, la plupart des individus bénéficient doublement de l'inflation du
fait qu'ils sont endettés à la fois individuellement et collectivement.
Ainsi, on peut en conclure que l'argument de la spoliation des
« petits épargnants» ne saurait, pas plus que les précédents, être
invoqué pour justifier l'adoption de politiques économiques créatri-
cesde chômage. Ceci, parce que les«petits épargnants» sontégale-
ment de «gros endettés», individuellement et collectivement.

9) Qui bénéficie réellement de la lutte à l'inflation ?


On avu que l'inflation n'entraîne pasune diminution du revenu
réel pour la plupart des travailleurs, qu'elle n'implique pas nécessai-
rement une détérioration du niveau devie réel des économiquement
faibles et qu'elle n'aboutit pas nécessairement à la création de chô-
mage (par le biais de la concurrence extérieure). Donc, il est im-
pensable que le caractère traditionnellement restrictif des politiques
économiques fédérales (avec son coût énorme en termes de chô-
mage) puisse s'expliquer par le désir des autorités de protéger les
travailleurs et les économiquement faibles ainsi que d'empêcher la
création éventuelle de chômage, c'est-à-dire par des arguments qui
7. On mentionne souvent que les détenteurs de polices d'assurance sont parti-
culièrement spoliés par l'inflation. En réalité, il n'en est rien. En effet, l'assurance est
un service que l'on achète et consomme à chaque période de temps et non de l'épargne
comme telle (si l'on; se place du point de vue des individus). Aussi, à mesure
que le coût de la vie augmente, la valeur réelle du montant d'assurance payable au
bénéficiaire diminue mais il ne faut pas oublier que la valeur réelle du montant des
primes à payer diminue dans la même proportion.

—292 —
LES CONSÉQUENCES DE L'INFLATION

n'ont aucune validité réelle. Par contre, on vient de montrer que


l'inflation tend mêmeàêtre avantageusepour lamajorité des familles
et personnes seules ainsi que pour le trésor public (donc pour l'en-
semble des citoyens) à cause de la diminution de la valeur réelle de
l'endettement. Or, il est évident que si l'inflation est avantageuse
pour les débiteurs elle est nécessairement désavantageuse pour les
créanciers, dont la valeur réelle du capital prêté diminue avec la
hausse des prix. On en arrive ainsi à la conclusion que ceux qui
perdent réellement par l'inflation sont les créanciers, c'est-à-dire
ceux qui prêtent l'argent. Par conséquent, ce sont lescréanciers que
protègent les politiques économiques restrictives du gouvernement
fédéral. Il est impossible d'en arriver à une autre conclusion que
celle-ci puisque les créanciers sont les seuls vrais perdants lorsqu'il
y a de l'inflation dans l'économie. Ces créanciers sont évidemment
tous ceux qui détiennent la «dette globale» au pays : la dette des
individus (hypothécaire et non hypothécaire), la dette des entre-
priseset la dette pubhque. La majeure partie de cette dette estdéte-
nue par ce qu'on appelle les «institutionsfinancières» : banques,
compagnies d'assurance, compagnies de finance, etc. Pour le reste,
elle est détenue par les individus comme tels.
Pour ce qui est des institutionsfinancières,ce sont bien enten-
du leurs propriétaires qui, ultimement, sont désavantagés par l'infla-
tion 8.Or, il est inutile de s'étendre longuement sur le fait que ceux
qui détiennent une part non négligeable des titres de propriété des

8. Il existe une opinion assez répandue selon laquelle les institutions financières
se protègent toujours contre les effets de l'inflation en augmentant le taux d'intérêt
sur les sommes prêtées proportionnellement au degré d'inflation. En fait, cette opinion
constitue une vision beaucoup trop simpliste de la réalité. En effet, ce ne sont pas
les institutions financières comme telles qui déterminent, ultimement, le niveau des
taux d'intérêt mais plutôt la Banque du Canada par sa politique monétaire. C'est
parce que celle-ci devient alors généralement très restrictive que les taux d'intérêt
augmentent fortement au cours des périodes de poussée inflationniste et non parce
que les prêteurs veulent se protéger. Le contrôle de la Banque du Canada sur.le niveau
des taux d'intérêt peut être illustré par les deux faits suivants. De 1947 à 1951, les
prix à la consommation ont augmenté de 40 p.c. au Canada et pourtant, les taux
d'intérêt étaient extrêmement faibles au cours de cette période ; en 1971, les prix
ont subi leur plus fort accroissement en vingt ans et pourtant, les taux d'intérêt
étaient en baisse au pays. Ainsi, le fait que les taux d'intérêt peuvent fluctuer con-
sidérablement dans le temps implique que, très souvent, les institutions financières
sont amenées à prêter à des taux d'intérêt qui ne les protègent nullement contre
l'inflation qui se manifeste ultérieurement. Ainsi, les milliards de dollars de prêts
consentis au début des années soixante, alors que les taux d'intérêt étaient relativement
faibles, impliqueront nécessairement de lourdes pertes pour les prêteurs si l'inflation
se maintient à son rythme des cinq ou six dernières années.

—293 —
. L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

institutions financières constituent une partie extrêmement minime


de la population totale du pays. De même, le nombre des individus
qui, en tant que tels, détiennent une part non négligeable de la
dette nationale (privée et publique) est minime par rapport à l'en-
semble de la population du pays. Le tableau 2 est assez; révélateur
à ce sujet. On constate la différence considérable qui apparaît entre
la valeur médiane et la valeur moyenne dans chaque classe de
revenu. Une telle différence entre la médiane et la moyenne signifie
que la distribution des actifs dans chaque classe de revenu est très
inégale, c'est-à-dire que les familles et personnes seules qui possè-
dent un montant appréciable d'actifs financiers à revenu fixe (i.e.
capital prêté) ne constituent qu'une minorité dans chaque classe
de revenu. De plus, il faut considérer le fait que la plupart de ces
personnes se situent généralement dans les strates supérieures de la
distribution des revenus. Donc, si l'inflation n'affecte défavorable-
ment qu'une infime minorité de la population totale, minorité qui,
desurcroît, estleplus souvent très àl'aise au point devue financier,

Tableau 2
Valeurs moyennes et médianes des actifsfinanciers
à revenu fixe des familles et personnes seules,
selon la classe de revenu, Canada, 1963
(en dollars)

Val *:ur des actifs financiers à revenu fixe *


Classe de revenu
Moyenne arithmétique Médiane de la
de la classe de revenu classe de revenu

Moins de 1,000 1,828 •' 0


1,000—1,999 2,388 110
2,000— 2,999 1,938 102
3,000— 3,999 1,748 180
4,000— 4,999 2,013 225
5,000— 5,999 1,766 369
6,000— 6,999 2,100 507
7,000— 9,999 2,875 867
10,000 et.plus 7,320 2,438

* Comprend.les dépôts d'épargne, les dépôts à terme, les obligations de tous


types (et non les actions) ainsi que les prêts consentis à des individus.
SOURCE : Incomes, Assets and Indebtedness of Non-Farm Families in Canada, 1963
( I 3'5 2 5)i Statistique Canada.

— 294-^
LES CONSÉQUENCES DE L'INFLATION

peut-on sérieusement prétendre quelecoût globaldel'inflation pour


le pays est supérieur au coût global du chômage que génèrent les
politiques anti-inflationnistes du gouvernement fédéral, surtout lors-
que l'on considère que le chômage touche, directement ou indirecte-
ment, l'ensemble dela population?

10) Conclusion
Afin de combattre l'inflation, les autorités fédérales restreignent
sans cessela croissance de la production nationale depuis une ving-
taine d'années. La conséquence en est la persistance d'un niveau
très élevé de chômage au pays. Or, nous avons démontré que seule
une infime minorité de la population totale, minorité plutôt favo-
risée, est nettement désavantagée par l'inflation. Donc, la protection
de la richesse de cette minorité constitue le seul résultat concret
d'une politique économique qui prive constamment de travail une
proportion importante de tous les travailleurs. Si l'on compare le
coût social de l'inflation, c'est'à'dire les pertes financières subies
par une minorité d'économiquement favorisés, au coût social du
chômage (sur lequel il est inutile de s'étendre), il faut en conclure
que la politique économique fédérale a été et est encore nettement
antisociale.
Raymond DEPATIE,
Conseil de Développement social
du Montréal métropolitain.

—293-

Vous aimerez peut-être aussi