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Deuxième partie : urgences métaboliques

Acidocétose diabétique de l’enfant


Ketoacidosis in children
N. Tubiana-Rufi*

Définition Diagnostic ✓ La natrémie est variable. Glycémie


et natrémie permettent de calculer et
Clinique de suivre la natrémie corrigée :
L’acidocétose est la conséquence Nac = Na+ [gly (mmol/l) – 5]
d’une carence insulinique profonde. La conscience est normale ou laisse 3
Elle se définit par l’association : place à une obnubilation, plus sou- ✓ La kaliémie normale ou élevée
✓ d’une hyperglycémie (> 2,5 g/l) ; vent qu’au coma. Il convient de coexiste avec une déplétion potas-
✓ d’une cétonémie positive ou noter le score de Glasgow et de le sique et ne reflète pas la kalicytie.
d’une cétonurie supérieure à ++ ; suivre. S’associent des signes cli- La réalisation d’un ECG doit être
✓ d’un pH sanguin artériel inférieur niques de déshydratation d’intensité systématique.
à 7,3 ou de bicarbonates plasma- variable et qui sont à évaluer. Il Ce bilan permet d’évaluer les indi-
tiques inférieurs à 15 mEq/l. existe une polypnée et une odeur cateurs de sévérité. Ils rassemblent
acétonique de l’haleine. Des signes sur le plan clinique :
digestifs sont fréquemment pré- ✓ le jeune âge (< 5 ans) : nourrisson
sents. Ils comportent douleurs abdo- et jeune enfant ;
Cadre de survenue minales violentes et vomissements, ✓ une déshydratation sévère ;
et miment parfois un tableau ✓ un coma (score de Glasgow < 12
L’acidocétose peut être révélatrice pseudochirurgical. à l’admission) ;
du diabète insulinoprive de type I. ✓ des troubles hémodynamiques.
L’interrogatoire retrouve un syn-
drome polyuro-polydipsique ou une La biologie Sur le plan biologique, ces indica-
énurésie, une asthénie et un amai- teurs sont les suivants :
grissement, depuis 1 à 3 mois, d’ag- Elle permet un diagnostic immédiat : ✓ une hyperglycémie majeure, qui
gravation récente. ✓ la glycémie capillaire est supé- est responsable d’une hyperosmo-
À l’inverse, le diabète peut être rieure à 2 g/l ; larité ;
connu et traité. L’acidocétose est ✓ elle s’associe à une glycosurie ✓ une acidose sévère (pH < 7) ;
alors la conséquence : massive ; ✓ une hypocapnie PCO2 ≤ 15 mmHg) ;
✓ d’un arrêt ou d’un sous-dosage du ✓ et à une cétonurie objectivée à la ✓ et une urée élevée ≥ 11 mmol/l
traitement par insuline, situation bandelette urinaire (Ketodiabur test (4, 6).
observée chez certaines adoles- 5000®). Ces situations doivent faire discuter
centes en difficulté psychologique l’hospitalisation en soins intensifs.
et/ou sociale ; Une fois le diagnostic posé, il
✓ d’un défaut d’éducation du patient convient de prévenir le laboratoire
qui n’adapte pas sa thérapeutique en pour obtenir le résultat du pH et de
s’abstenant d’injecter de l’insuline l’ionogramme sanguin en urgence. Mesures thérapeutiques
rapide devant une hyperglycémie ✓ Le pH est < 7,35 et/ou la réserve urgentes dans
avec glycosurie et cétonurie au alcaline < 18 meq/l.
cours d’une infection aiguë, par les 24 premières heures
exemple.
Score de Glasgow
Score permettant d’évaluer la pro-
En présence de signes
fondeur d’un coma. Il repose sur de gravité
l’addition de chiffres appréciant
l’ouverture des yeux, la réponse ✓ En cas de collapsus perfusion
* Service d’endocrinologie et diabétologie, motrice et la réponse verbale. d’un volume de 10 à 20 ml/kg de
hôpital Robert-Debré, Paris. plasmion en 20 mn.

Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 5, septembre/octobre 2005 171


Urgences en endocrinologie, diabétologie
et maladies métaboliques

✓ L’intérêt de l’administration de ✓ une insulinothérapie i.v. continue l’enfant a reçu de l’insuline dans les
bicarbonates dans l’acidose sévère par insuline humaine d’action rapide 8 heures qui précèdent son admission.
est discuté. La littérature (4) et un concentrée à 100 U/ml (type Actrapid
consensus international récent (5) HMgeU100®). ✓ Arrêt total des boissons et de l’ali-
indiquent qu’il n’y a pas de preuve ● La préparation consiste à diluer mentation.
claire de la nécessité ou de l’effi- 0,5 ml (soit 50 unités) d’Actrapid®
cacité d’une administration de U100 dans 49,5 ml de sérum physio- ✓ Adaptation des débits d’insuline
bicarbonates au cours de l’acido- logique. La solution obtenue contient en fonction des résultats des glycé-
cétose. une unité d’insuline par ml. En pra- mies capillaires mesurées au doigt
tique, il convient de prélever 49 ml toutes les 30 minutes pendant cette
de sérum physiologique dans une période initiale. La glycémie ne doit
Dans tous les cas seringue de 50 ml d’une part, de pas diminuer de plus de 1 g/h. La
prélever l’insuline à l’aide d’une perfusion d’insuline ne doit jamais
De H0 à H2, après la pose d’une seringue à insuline de 0,5 ml = 50 U, être arrêtée.
voie d’abord et d’une deuxième puis de diluer les 0,5 ml d’insuline
voie de prélèvement, il faut débuter (soit 50 U) dans les 49 ml de sérum De H2 à H24
simultanément en Y sur la voie physiologique et, enfin, de compléter ✓ Perfusion i.v. sur la base de 3 l/m2/24 h
d’abord : le mélange avec 0,5 ml de sérum de soluté glucosé B27, puis B45,
✓ une perfusion i.v. de NaCl à physiologique. dès que la glycémie est ≤ 14 mmol/l,
9 ‰ + KCl 1,5 g/l (après réalisa- ● La tubulure de perfusion doit être supplémentés en KCl 1,5 g/l + NaCl
tion d’un ECG et une première purgée avec la solution d’insuline 2 g/l (annexe 1).
miction) dont les volumes seront ainsi préparée (adsorption de l’insu-
adaptés à la natrémie corrigée ini- line sur les parois de la tubulure). ✓ Poursuite de l’insulinothérapie i.v.
tiale (Nac) : ● La solution d’insuline préparée continue en adaptant si besoin les
● 8 ml/kg/h si Nac < 138 mmol/l et avec le sérum physiologique doit débits (variations de 20 % environ
chez le jeune enfant (âge ≤ 5ans) ; être changée toutes les 8 heures par heure) en fonction de la surveil-
● 10 ml/kg/h dans les autres cas, pour éviter une perte de stabilité de lance horaire des glycémies capil-
sans dépasser 500 ml/h. cette solution. laires. L’objectif est de maintenir des
La perfusion de sérum salé ne doit ● L’administration d’insuline est glycémies entre 1,60 et 2 g/l (8,8 à
pas dépasser 2 heures en raison du débutée à la dose de 0,1 unité/kg/h 11 mmol/l) pendant cette période.
risque de chute de la glycémie et si le pH < 7,25. Les doses initiales
consécutivement de l’osmolarité seront plus faibles (0,05 unité/kg/h) ✓ Arrêt total des boissons et de l’ali-
plasmatique, source d’œdème céré- si le pH est ≥ 7,25 et < 7,35 ou chez mentation pendant toute la durée de
bral (lire Complications). le jeune enfant (≤ 5 ans) ou, enfin, si la perfusion i.v.

Annexe 1.

• Surface corporelle en m 2 = REMARQUES IMPORTANTES


(4 P + 7)/(P + 90)
• Ce protocole ne convient pas aux situations d’hyperglycémie avec cétose
• Composition des solutés (g/l) sans acidose (pH ≥ 7,35).
B27 B45 • Chez l’enfant dont le diabète est connu, il est important de préciser l’heure de
Glucose 50 g 100 g la dernière injection d’insuline et de connaître le type d’insuline injectée, afin
NaCl 2g 2g d’en tenir compte dans le calcul de la dose initiale à administrer en i.v. Si l’in-
KCl 1,5 g 1,5 g formation est manquante ou non fiable, il est préférable de commencer la per-
Gluconate Ca 1g 1g fusion d’insuline en diminuant la dose de 50 % par rapport au protocole (soit
MgCl2 0,5 g 0,5 g 0,05 U/kg/h).
• L’objectif du traitement d’urgence est de mettre en œuvre une insulinothéra-
• Natrémie corrigée : pie efficace en continu, tout en corrigeant lentement les troubles hydro-élec-
Nac = Na+ [gly (mmol/l) – 5]
trolytiques. Dans les 2 premières heures (H0 à H2), la glycémie ne doit pas
3 chuter de plus de 5 mmol (1 g) par heure ; de H2 à H24 : la glycémie doit être
• Le soluté de bicarbonates à 14 ‰ maintenue entre 8,8 à 11 mmol/l (1,60 à 2 g/l).
apporte 167 mmol de Na+ par litre. • L’acidose se corrigera progressivement en 10-12 heures sous l’effet de l’in-
• Le soluté de NaCl à 9 ‰ apporte sulinothérapie i.v.
153 mmol de Na+ par litre. • Les complications du traitement doivent être prévenues et détectées
P = poids en kg
(annexe 2 et tableau II).

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Deuxième partie : urgences métaboliques

Surveillance au cours Surveillance biologique troubles de l’hémodynamique (état


de choc).
des 24 premières heures ✓ pH et ionogramme urinaire sur la Les complications dues au traite-
du traitement première miction ; ment doivent être prévenues : hypo-
✓ glycémie veineuse ; glycémie, par utilisation de l’infu-
Surveillance clinique ✓ pH veineux ; sion i.v. continue d’insuline à doses
✓ ionogramme sanguin et urinaire ; adaptées au résultat de la sur-
✓ Conscience (score de Glasgow), ✓ créatininémie ; veillance étroite des glycémies
céphalées, examen neurologique ; ✓ calcémie et phosphorémie. capillaires, et hypokaliémie par
✓ fréquence cardiaque, pression Ce bilan biologique sera réalisé aux adjonction de KCl dans les perfu-
artérielle ; temps suivants : H0, H2, H4, H6, sions dès le début de l’insulino-
✓ fréquence respiratoire ; H8, H12 et H24. thérapie.
✓ état d’hydratation, diurèse (jamais L’œdème cérébral aigu (OCA) est
de sondage), température, poids ; une complication exceptionnelle,
✓ ECG à l’admission ; mais redoutable. Elle est respon-
✓ glycémie capillaire (avec lecteur)
Complications sable de complications neurolo-
toutes les 30 minutes pendant les giques graves ou de décès. L’appa-
2 premières heures de l’insulinothé- Elles peuvent être liées à la sévérité rition de tout trouble neurologique
rapie i.v., puis toutes les heures ; de l’acidose et de la déshydratation. dans les heures qui suivent le début
✓ glycosurie et cétonurie sur chaque Ce sont respectivement des troubles du traitement de l’acidocétose, l’ag-
miction. de conscience (coma), et des gravation ou l’apparition de troubles
de conscience, parfois précédés de
signes d’alerte (tableau I) alors que
la biologie est rassurante, doivent
Tableau I. Signes d’alerte de l’œdème cérébral aigu.
faire évoquer l’OCA. Celui-ci
L’œdème cérébral aigu survient dans les premières 24 heures du traitement de l’aci- impose un traitement d’extrême
docétose. Il peut être présent dès l’admission, avant tout traitement. Il apparaît le urgence (tableau II). Les facteurs de
plus souvent dans les 12 premières heures de la prise en charge. risque sont : le jeune âge (< 5 ans),
La recherche des signes d’alerte et d’anomalies neurologiques doit être faite à l’ad- un volume de perfusion trop élevé
mission et répétée toutes les 2 heures au moins. (> 4 l/m2/24 h), une chute trop
Les signes d’apparition secondaires qui doivent alerter médecins et infirmières sont : rapide de l’osmolarité plasmatique
✓ des céphalées
✓ une agitation inattendue, une désorientation, des hallucinations
✓ une diminution de la vigilance Annexe 2.
✓ un ralentissement de plus de 20 bpm de la fréquence cardiaque, sans explication CE QU’IL NE FAUT PAS FAIRE
hémodynamique, même si ce ralentissement n’est pas une bradycardie et ne s’ac-
1- Dépasser 4 l/m2 de perfusion
compagne pas d’hypertension artérielle
dans les 24 premières heures ;
✓ un vomissement
2- Vouloir normaliser trop vite
✓ une incontinence chez un enfant habituellement propre
la glycémie ;
✓ une augmentation inexpliquée de la fréquence respiratoire.
3- Administrer “une dose
de charge” d’insuline i.v., i.m.
ou par voie sous-cutanée ;
Tableau II. Traitement de l’œdème cérébral aigu (6). 4- Arrêter l’insuline en cas
de normalisation de la glycémie ;
Un flacon de mannitol à 20 % prêt à l’emploi doit être disponible dans la chambre du 5- Oublier d’apporter du K+
patient pendant les 24 premières heures de traitement de l’acidocétose. ou arrêter cet apport devant
Il est beaucoup plus dangereux d’attendre l’apparition de signes cliniques indubi- une hyperkaliémie non vérifiée
tables d’œdème cérébral ou de chercher à en faire la preuve radiologique, que d’ad- (ionogramme et ECG) ;
ministrer du mannitol sans certitude absolue. 6- Apporter des bicarbonates ;
Ainsi, la constatation des signes d’alerte, comme celle d’un engagement, doivent faire : 7- Ne pas réexaminer l’enfant dans
✓ administrer immédiatement du mannitol, sans réaliser d’imagerie préalable, à la les douze premières heures
dose de 0,5 g/kg (soit 2,5 ml/kg de mannitol à 20 %) par voie i.v. en 20 minutes ; (examen neurologique ++),
✓ réduire de 50 % les débits d’insuline et des perfusions ; mais se contenter de suivre
✓ surélever la tête de 30° et supprimer les obstacles au retour veineux cérébral la biologie ;
comme une rotation latérale de la tête, une compression du cou, du thorax ou de 8- Alimenter ou faire boire
l’abdomen ; de l’eau à l’enfant pendant toute
✓ prendre contact avec un réanimateur pédiatrique une fois ces mesures prises. la durée du traitement i.v.

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Urgences en endocrinologie, diabétologie
et maladies métaboliques

et une PCO2 basse ou une urée éle- glycémie et corriger l’acidité du réalité d’une affection chronique
vée. Ce risque justifie que la glycé- sang. Un traitement par insuline demande un long entretien des
mie et la natrémie corrigée doivent s’impose donc immédiatement. deux parents, au calme, avec un
être rigoureusement suivies et les médecin “senior”. Il faut préparer
débits d’insuline adaptés en fonc- cet entretien (prévoir la présence
tion de l’évolution des glycémies Que fait-on à mon enfant ? des deux parents), et les informer
capillaires, et qu’il ne faut pas donner pourquoi le pique-t-on qu’il aura lieu dès que l’enfant
à boire à l’enfant pendant la durée souvent au doigt ? sera transféré des soins intensifs
de la perfusion. Enfin, un flacon de en hospitalisation “classique”, afin
mannitol à 20 % prêt à l’emploi doit Les soins, le traitement et la sur- de répondre à toutes leurs ques-
toujours être disponible dans la veillance seront expliqués aux tions. Il faut prévoir une hospitali-
chambre du patient pendant les parents. C’est le taux de sucre san- sation d’une dizaine de jours.
24 premières heures de traitement guin (glycémie) qui est mesuré fré-
de l’acidocétose (tableau II). quemment au bout du doigt sur une
goutte de sang afin d’adapter le Références
débit de perfusion d’insuline.
1. Tubiana-Rufi N, Habita C, Czernichow P. Étude
Questions des parents critique de l’acidocétose diabétique de l’enfant.
Combien de temps va durer Description initiale et évolution au cours des
24 premières heures. Arch Fr Ped 1992;49:175-80.
Est-ce grave ? l’hospitalisation ? Quelle sera
la durée du traitement ? 2. Tubiana-Rufi N, Thizon de Gaulle I, Czerni-
chow P. Hypothalamo-hypophyseal deficiency and
Le plus souvent, l’enfant est precocious puberty following cerebral edema in
conscient à son admission et il est Se pose le problème de l’annonce diabetic ketoacidosis. Horm Res 1992;3:60-3.
rare que le risque vital soit évoqué d’une maladie chronique dans une 3. Blanc N, Polak M, Czernichow P, Tubiana-
par les parents. Il faut néanmoins les situation d’urgence. S’il est Rufi N. Diabète de l’enfant révélé par une acido-
informer que la situation aiguë dure important que le mot “diabète” cétose sévère. 4 observations pour alerter les
environ 24 heures (ou 48 h en cas de soit prononcé, que la situation médecins. Arch Pediatr 1997;4:550-4.
coma ou d’acidose très sévère) et aiguë et les soins immédiats d’ur- 4. Glaser N, Barnett P, McCaslin I et al. Risk fac-
qu’il s’agit de soins intensifs incluant gence soient expliqués et que les tors for cerebral edema in children with diabetic
ketoacidosis. N Engl J Med 2001;344:264-9.
un traitement par perfusions intravei- informations sur l’évolution médi-
neuses. Il est important d’informer cale soient régulièrement données, 5. ESPE/LWPES consensus statement on diabetic
ketoacidosis in children and adolescents. Pedia-
l’enfant et les parents qu’il ne doit ni il est nécessaire aussi de ne pas trics 2004;113:133-40.
boire ni manger pendant cette aller trop loin dans l’urgence. Les
6. Tubiana-Rufi N, Hartmann JF. Œdème cérébral
période. Il faut préciser que lorsque mots prononcés à l’annonce d’une aigu au cours de l’acidocétose diabétique de l’en-
le taux de sucre sanguin est trop maladie chronique ne seront fant. Progrès en pédiatrie. Réanimation pédia-
élevé (diabète), il faut faire baisser la jamais oubliés. L’annonce de la trique. Doin Ed Paris, 2003. pp 161-71.

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