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Tempus et Tempestas

Pierre-Sylvain Filliozat et Michel zink éd.

ACADéMiE DES inSCriPTiOnS ET BELLES-LETTrES

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FRQFUHWGHODQDWXUHHWGHODYLHGHVKRPPHVDIÀHXUHWRXMRXUVGDQVOHVUHSUpVHQWDWLRQV

WLPHLQWKHPDMRUFLYLOL]DWLRQVRI$VLDIURP0HVRSRWDPLDWR-DSDQLQDVSDQRI

ACTES DE COLLOQUE
Tempus et Tempestas
Pierre-Sylvain Filliozat et Michel zink éd.

Actes du colloque international organisé par l’Académie des


Inscriptions et Belles-Lettres, la Société asiatique et l’Institut national
des Langues et Civilisations orientales (InALCo),

à l’Institut national des Langues et Civilisations orientales (InALCo),


et à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
les 30 et 31 janvier 2014

Académie des Inscriptions et Belles-Lettres


Paris 2016
Q
Salomon tempeStaire et leS démonS
embouteilléS : maîtriSe magique deS ventS
et Stratégie eSchatologique

Dans cet essai il sera plus souvent question du Salomon des traditions
légendaires et du folklore que de celui des Saintes Écritures. D’Orient en
Occident j’essaierai d’esquisser quelques-unes des composantes typolo-
JLTXHVHWTXHOTXHVDVSHFWVGXGHYHQLUPpGLpYDOHWPRGHUQHGHFHWWH¿JXUH
du « Roi ésotérique », dont P. Torijano a récemment retracé la genèse aux
alentours du commencement de l’ère chrétienne1. Le sujet est certes très
vaste, même si on ne l’envisage que du strict point de vue de l’histoire de
l’imaginaire2 : on se contentera ici d’aborder les interconnexions entre les
rapports du Salomon de la légende avec le Temps (qui passe) et ceux qu’il
entretient avec le temps (qu’il fait)3. Essai, donc, de chronologie et de mé-
téorologie comparées.

I. DémonologIe et météorologIe
Une fois arrivé à son terme le processus de transformation de Salomon
en prototype de souverain cosmocratique capable de dominer les démons
HWGHOHVXWLOLVHUjGHV¿QVELHQSOXVODUJHVTXHFHOOHGXVLPSOHH[RUFLVPH4,

1. P. A. Torijano, Solomon the Esoteric King. From King to Magus, development of a


tradition, Leyde-Boston-Cologne, Brill, 2002.
2. Voir entre autres l’utile compilation de récits de J. D. Seymour, Tales of King
Solomon, Londres, Oxford University Press, 1924. Parmi les ouvrages plus ou moins récents
on retiendra surtout le beau recueil d’études rassemblées par J.-L. Bacqué-Grammont et
J.-M. Durand, L’image de Salomon. Sources et postérités (Actes du Colloque organisé par
le Collège de France et la Société Asiatique, Paris, Mars 2004), Paris-Louvain-Dudley,
Peeters, 2007.
 3RXU VLPSOL¿HU HW SRXU pYLWHU OHV pTXLYRTXHV MH GLVWLQJXHUDL SDU XQ 7 PDMXVFXOH
l’acception chronologique du mot.
4. Voir P. A. Torijano, op. cit. (n. 1), chap. III à IX, où sont analysées les différentes
facettes du personnage et les diverses étapes de la progressive construction de sa typologie
de roi magicien (le roi hellénistique, l’exorciste, le sage hermétique, le cavalier sauroctone,
l’astrologue).
66 François DELPECH

cette image nouvelle devait nécessairement s’associer, notamment dans les


PLOLHX[LQÀXHQFpVSDUODFXOWXUHKHOOpQLVWLTXHDYHFODFRQFHSWLRQGHYHQXH
courante selon laquelle les démons, par leur nature intime et leur sphère
d’activité, relèvent de l’élément aérien5. En tant qu’ « esprits élémentaires »
les démons sont certes susceptibles de participer à toutes les composantes
cosmiques et, selon le système hermétique des sympathies et des corres-
pondances, il est possible par leur intermédiaire de capter et faire jouer les
LQÀXHQFHVDVWUDOHVHWVXEVWDQWLHOOHVOHVSOXVGLYHUVHVPR\HQQDQWGHVULWXHOV
appropriés. C’est toutefois avec les ventsTX¶LOVRQWOHSOXVG¶DI¿QLWpVOD
QDWXUHLPPDWpULHOOHGHVVRXIÀHVHVWHQHIIHWHQKDUPRQLHDYHFOH©FRUSVVXEWLOª
que les théories néoplatoniciennes puis chrétiennes prêtent aux anges et aux
démons (que les traditions énochiennes et leur mythe de la chute tendent par
DLOOHXUVjLGHQWL¿HU 6, alors même que les traditions tributaires des vieilles
démonologies proche-orientales, iraniennes et sémitiques, tendent à inter-
préter les ouragans et autres tempêtes comme des manifestations nuisibles
d’entités diaboliques ennemies de l’homme7. Personnage complexe et cultu-
rellement syncrétique, le Salomon cosmocrator et magicien qui s’impose au
tournant de l’ère apparaît donc prioritairement comme le maître des vents.
La démonologie salomonienne est inséparable d’une météorologie...
Je ne reviendrai ici sur le couple agonistique Salomon-Asmodée, abordé
ailleurs8, que pour rappeler par exemple que ce singulier et complexe démon
doit comporter dans son code génétique les traces de quelque divinité plus
ancienne liée aux fureurs venteuses tourbillonnantes. S’il est bien, comme j’ai

5. Sur ce complexe de représentations et ses prolongements byzantins, voir J. Daniélou,


« Les démons de l’air dans la Vie d’Antoine », in Antonius Magnus eremita 356-1956,
B. Steidle éd., Rome, Herder (Studia Anselmiana, 38), 1956, p. 136-147, et P. Boulhol,
« Hagiographie antique et démonologie. Notes sur quelques Passions grecques (BHG
[Bibliotheca hagiographica graeca] 962 z, 964 et 1165-66) », Turnhout, Brepols (Analecta
Bollandiana, 112), 1994, p. 255-303 (p. 288 sq. : « Démons aériens »), où l’on trouvera
d’utiles compléments bibliographiques.
6. Voir É. Langton, La démonologie. Étude de la doctrine juive et chrétienne. Son
origine et son développement, trad. fr., Paris, Payot, 1951, p. 106-110 (sur les pythagoriciens,
Plutarque et l’école platonicienne), et p. 195-198 (« L’empire de l’air et les esprits malfaisants
des régions célestes »).
7. Ibid., p. 151 sq. Voir M. Leibovici, « Génies et démons en Babylonie », in Génies,
anges et démons, Paris, Seuil (« Sources orientales »), 1971, p. 85-112 (p. 96, à propos
de Pazuzu). Pour la bibliographie de l’Ishma iranien, probable prototype d’Asmodée, voir
F. Delpech, « D’Asmodée au Diable boiteux. Racines orientales et fonctions magiques d’un
type folklorique », in Magie et divination dans les cultures de l’Orient, J.-M. Durand et
A. Jacquet éd., Paris, Maisonneuve (Cahiers de l’Institut du Proche-Orient ancien du Collège
de France, III), 2010, p. 163-184 (en particulier p. 181-183).
8. F. Delpech, loc. cit. (n. 7), p. 171 sq. (et n. 31) et p. 180 (et n. 65).
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 67

tenté de le montrer, le prototype du « Diable boiteux », il est probablement


à inclure dans le vaste dossier eurasiatique et américain (donc certaine-
ment préhistorique) des divinités asymétriques, unipèdes ou claudicantes,
qui sont généralement liées à la représentation mythique de l’ouragan. Ce
mot que nous devons aux amérindiens des Antilles précolombiennes et
TXLVLJQL¿H©XQHVHXOHMDPEHªVHUWHQWUHDXWUHVjGpVLJQHUOHGLHXFRV-
mogonique et civilisateur du Popol Vuh, qui est aussi celui des tempêtes
et des cyclones, ce qui a permis aux colonisateurs chrétiens d’en faire un
démon9. Ambivalence que l’on retrouve dans le personnage paradoxal et
redoutable d’Asmodée, probablement hérité par les Juifs de la culture ira-
QLHQQHHWUpLQWHUSUpWpHQIRQFWLRQGHOHXURUWKRGR[LHVSpFL¿TXHODTXHOOH
n’est cependant pas parvenue à complètement le diaboliser, puisqu’il
continue à jouer, du Testament de Salomon au Talmud et au folklore rabbi-
QLTXHOHU{OHVDSLHQWLHOHWSRVLWLITXHO¶RQVDLWGDQVO¶pGL¿FDWLRQVSLULWXHOOH
de Salomon et dans la construction du Temple. On retiendra également
qu’au-delà de sa latente hétérodoxie antiorthopédique Asmodée manifeste
XQHDXWUHDI¿QLWpDYHFODP\WKRORJLHGHVYHQWVGDQVODPHVXUHRGHSXLV
le Talmud jusqu’aux contes folkloriques juifs et arabes qui en dérivent, il
DMRXpXQU{OHGpWHUPLQDQWGDQVOD¿[DWLRQGXPRWLILPDJLQDLUHGX©GpPRQ
embouteillé » (où l’incarcération est le plus souvent imputée à Salomon) :
on sait précisément que ce motif est dans les anciennes cultures méditer-
ranéennes et au-delà l’un des principaux supports des croyances éoliennes
et des rituels météorologiques visant à dompter les vents et à retenir où
déchaîner les tempêtes10.

9. Voir le livre, méthodologiquement « dépassé » sur certains points mais toujours


globalement fondamental et très intuitif, de F. Ortiz, El Huracán. Su mitología y sus símbolos,
2e éd., Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1984 (1re éd. 1947), en particulier chap. II
(p. 65-106), chap. VIII (p. 383-438) et passim. Voir également, pour les traditions romanes,
G. L. Beccaria, I nomi del mondo. Santi, demoni, folletti e le parole perdute, Turin, Einaudi,
1995, p. 150-172 (« I signori del tempo »), en particulier p. 150-153 et p. 165-172 en ce qui
concerne les démons des trombes et tourbillons.
10. Voir I. Levi, « Le conte du Diable dupé dans le folklore juif », Revue des Études
juives 85, 1928, p. 137-163 et F. Delpech, loc. cit. (n. 7), p. 167 sq., et p. 173-176. Sur la
magie météorologique et les légendes et rituels de « mise en bouteille » des vents, voir infra
n. 98, et P. Sébillot, Le folk-lore de France, 2e éd., Paris, Maisonneuve et Larose, 1968, t. I,
p. 76 sq., p. 79. On sait que c’est sous la forme d’une fumée que les démons enfermés dans
des jarres s’échappent de ces dernières lorsqu’elles sont inopinément ouvertes (voir dans
les 1001 Nuits le conte du pêcheur et du génie) : ce détail évoque irrésistiblement la magie
météorologique amérindienne du tabac et les mythes (et représentations iconographiques)
des dieux qui fument, c’est-à-dire rendent visibles les circonvolutions des tourbillons
atmosphériques qu’ils provoquent : voir F. Ortiz, op. cit. (n. 9), p. 554-560.
68 François DELPECH

Si la dimension pneumatologique d’Asmodée reste le plus souvent


implicite et ne peut être entrevue qu’en recourant au comparatisme, tel n’est pas
le cas pour le démon Éphippas que met en scène, entre autres entités malé-
¿TXHVOHTestament de Salomon11 : dans ce cas le roi des Juifs apparaît bien
comme une sorte de tempestaire puisque le démon arabe, qu’il fait enfermer
et sceller dans une outre de cuir par un de ses délégués, est explicitement
LGHQWL¿pjXQYHQWPDXYDLVFRQWUHOHVPpIDLWVGXTXHOOHURLG¶$UDELH$UGDNHV
a sollicité son aide. Muni de l’outre et de l’anneau que lui a donné Salomon,
et selon ses instructions, l’envoyé de ce dernier place le récipient de peau
face au vent, le sceau étant posé sur le goulot, et quand l’air l’a rempli, il le
referme en invoquant le nom de Dieu. Voici donc l’outre animée de l’inté-
rieur : mise en présence de Salomon, elle va se déplacer en marchant puis se
prosterner comme si un être anthropomorphe l’habitait. Celui-ci va parler,
répondre aux questions du roi, décliner son identité (comme le font, sous la
contrainte, tous les démons évoqués dans le Testament), proclamer sa force
HWO¶pWHQGXHGHVHVSRXYRLUVHQIDLUHHQ¿QODGpPRQVWUDWLRQLPPpGLDWHHQ
soulevant et mettant en place l’énorme pierre d’angle qui manquait pour
terminer le Temple et dont le poids embarrassait son constructeur.
De plus Éphippas, avec l’aide du démon de la mer Rouge, apportera
à Jérusalem l’immense colonne d’air qui préside à cette région, qui n’est
vraisemblablement autre que la colonne de nuée de l’Exode dans laquelle
PDUFKDLW<DKYpSRXUJXLGHUOHSHXSOHMXLI௘12 : par précaution, au moyen de
son sceau, Salomon condamnera les deux démons à soutenir perpétuelle-
ment cette colonne en l’air au-dessus du Temple. Cet article merveilleux
d’architecture aérienne immatérielle ressemble à ce que pourraient être la
captation et l’immobilisation permanente et surplombante d’un typhon :
l’invention de cet épisode me semble supposer une interprétation a poste-
riori du texte obscur de l’Exode XIV, 19-29 (relatif à l’ouverture de la mer
5RXJHSDUOHYHQWG¶HVWHWjVRQUHÀX[VXUO¶DUPpHpJ\SWLHQQH VHORQODTXHOOH
c’est en actionnant de l’intérieur cette colonne de nuée et de feu comme une
pompe aspirante et refoulante que Dieu aurait réalisé ce double miracle13.
Les auteurs du Testament, apparemment nourris de culture grecque et

11. D. C. Duling, « Testament of Solomon ¿UVWWRWKLUGFHQWXU\$' $QHZWUDQVODWLRQ


and introduction », in The Old Testament Pseudepigrapha-+&KDUOHVZRUWKpGW,*DUGHQ
&LW\1HZ<RUN'RXEOHGD\S HQSDUWLFXOLHUSFKDS 
12. Exode XIII, 21-22 (la nuit, la colonne de nuée devient colonne de feu).
13. C’est ce que semble suggérer le démon de la mer Rouge (D. C. Duling, op. cit.
[n. 11], S ORUVTX¶LOH[SOLTXHj6DORPRQTX¶LODYDLWpWpHQJORXWLSDUOHVÀRWVDYHFO¶DUPpH
de Pharaon et qu’il avait été maintenu de force au fond par la pression du pilier d’air jusqu’à
ce que Éphippas vienne le délivrer et transporter avec lui le pilier à Jérusalem.
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 69

égyptienne, n’ont-ils pas ici relu l’aventure biblique, qui est censée se
dérouler près de Baal-Cephôn (Exode XIV, 9), à la lumière du mythe local
syncrétique de Seth-Typhon et de l’interprétation météorologique grecque
de ce personnage14 ?
Un autre démon du vent est convoqué dans le Testament, Lix Tetrax,
que Salomon met aussi au service de la construction du Temple15. Celui-là
est explicitement lié aux tourbillons aériens et agit comme une tornade : il
soulève de terre des nuages de poussière, les projette vers le ciel et tente
même de bousculer le roi, qui, après l’avoir dompté, utilisera ce pouvoir
aspirant ascensionnel pour lui faire ramasser les blocs de pierre et les lancer
aux ouvriers qui travaillent au sommet du Temple. Son allure est bien celle,
verticale, d’un cyclone puisque sa tête est haute dans le ciel tandis que la
partie inférieure de son corps traîne sur le sol comme un escargot.
&¶HVWVDQVGRXWHDX[WUDGLWLRQVTXHUHÀqWHOHTestament que l’Islam doit
son image récurrente de Salomon comme maître des vents : mentionnée à
plusieurs reprises dans le Coran, elle y est en effet associée à la construction
du Temple (XXXIV, 11-12) et au pouvoir du roi sur les génies (ibid.), mais
RQUHPDUTXHTXHFHVYHQWVQHVRQWSDVLGHQWL¿pVjGHVGpPRQV OHVTXHOVQH
sont pas individualisés) et que Salomon ne les utilise pas dans son travail
GH EkWLVVHXU PDLV VH FRQWHQWH GH OHV IDLUH VRXIÀHU R HW TXDQG LO O¶HVWLPH
nécessaire (XXI, 81 et XXXVIII, 35).
On sait par ailleurs quel rôle est réservé à Asmodée dans les légendes
musulmanes (le plus souvent sous le nom de Sakhr)16, lesquelles insistent
VXUOHEDQQLVVHPHQWHWODUpFOXVLRQ¿QDOHGXGpPRQDSUqVOD¿QGHODSpULRGH
GHSpQLWHQFHLQÀLJpHj6DORPRQOHIDLWTX¶LOVRLWDORUVPLVDX[IHUVLPPR-
ELOLVpHQWUHGHX[EORFVGHSLHUUHVFHOOpVHWMHWpGDQVXQODFO¶LGHQWL¿HDX[
génies enfermés dans des amphores immergées du conte des 1001 Nuits17.

14. Voir J. W. Van Henten, « Typhon », in Dictionary of deities and demons in the
Bible, .9DQGHU7RUQ%%HFNLQJHW3:9DQGHU+RUVWpG/H\GH1HZ<RUN&RORJQH
Brill, 1995, col. 1657-1662, C. Bonnet, « Typhon et Baal Saphon », in Phoenicia and the
East Mediterranean in the First Millenium B. C. – Proceedings of the conference held in
Leuven from the 14th to the 16th of November 1985, E. Lipinsky éd., Louvain, Peeters
(Orientalia Lovaniensia Analecta, 22), 1987, p. 101-143, et F. Vian, « Le mythe de Typhée
et le problème de ses origines orientales », in Éléments orientaux dans la religion grecque
ancienne. Colloque de Strasbourg (22-24 Mai 1958), Paris, 1960, p. 17-37.
15. D. C. Duling, op. cit. (n. 11), p. 969.
16. Voir la traduction partielle des Biblische Legenden der Muselmänner de G. Weil
(Francfort, 1845) dans le Dictionnaire des Apocryphes, t. II (Encyclopédie théologique
Migne, Paris, 1858, c. 847-871, en particulier c. 854 sq. et 868 sq.), J. D. Seymour, op. cit.
(n. 2), passim (voir Index), et F. Delpech, loc. cit. (n. 7), p. 173 sq.
17. Voir J. Lassner, Demonizing the queen of Sheba, Chicago, University of Chicago
Press, 1993, p. 214 (trad. d’après les Histoires des Prophètes d’al-Kisâ’i) et J. D. Seymour, op.
70 François DELPECH

Ce scénario rappelle le sort imparti à certains démons dans le Testament18


et procède probablement du folklore rabbinique : on en retrouve les traces
dans la tradition orale juive du Yémen, où la nature venteuse du démon est
plus explicite puisqu’on le voit recourir à un oiseau de proie pour arracher
Salomon à son trône, l’enlever dans les airs et le transporter en plein désert,
puis, quand il sera démasqué, user inconsidérément de son pouvoir de
dilatation et d’auto-constriction pour se donner la taille d’un grain d’orge
HWUHOHYHULPSUXGHPPHQWOHUXVpGp¿TXHOXLDODQFp6DORPRQTXLDXVVLW{W
l’enferme dans un récipient, le scelle de son anneau et le jette à la mer19.
C’est toutefois en Iran que le mythe de Salomon maître des vents apparaît
avec le plus de netteté, probablement parce que sur lui a été reporté le
souvenir, désormais légendaire, des pouvoirs tempestaires attribués aux
anciens rois achéménides, dont on sait qu’ils pratiquaient effectivement des
rites météorologiques20. J’ai essayé ailleurs de montrer que ces souvenirs
sont peut-être à l’origine des tentatives imputées à Chosroès d’accréditer,
PR\HQQDQW GHV GLVSRVLWLIV DUWL¿FLHX[ O¶LGpH TX¶LO HVW XQ cosmocrator
capable de faire à volonté la pluie et le beau temps, tradition que les auteurs
médiévaux, tant byzantins qu’occidentaux, ont propagée à partir des
campagnes victorieuses d’Héraclius21.
En ce qui concerne Salomon on retiendra surtout la croyance locale,
documentée par Mas’ûdî dans ses 3UDLULHVG¶2U࣠22, selon laquelle les ruines
de Persépolis (Istakhr) seraient celles d’une « mosquée de Salomon »,
pGL¿FH j O¶LQWpULHXU GXTXHO FH GHUQLHU WHQDLW OHV YHQWV HQIHUPpV  GDQV FH
sanctuaire supposé, dont Mas’ûdî croit que c’était un ancien « temple consacré
aux idoles » qui aurait ensuite été transformé en pyrée, « le vent qui y est

cit. (n. 2), p. 67-69. Une tradition analogue est rapportée par al-Tabarî. Sur le conte du pêcheur
et du génie, voir D. Pinault, Story-telling techniques in the Arabian Nights, Leyde, Brill, 1992,
p. 31-81 (p. 35-41). Un autre génie rebelle enfermé par Salomon dans un récipient (un cylindre
de fer) joue un rôle essentiel dans le roman arabe Sayf ibn dhi Yazan puisque, libéré par Sayf,
il met à son service sa force colossale pour libérer les eaux du Nil et lui permettre d’irriguer
l’Égypte (voir J. Chelhod, « La geste du roi Sayf », Revue de l’Histoire des Religions 171,
1967, p. 181-205, en particulier p. 192-194).
18. D. C. Duling, op. cit. (n. 11), p. 976 (le démon Kunopegos) ; voir ibid., p. 950, n. 93.
19. J. Lassner, op. cit. (n. 17), p. 181-185 (en particulier p. 183 et 184 sq.).
20. P. Briant, Histoire de l’empire perse de Cyrus à Alexandre, Paris, Fayard, 1996,
p. 251 sq. et p. 941.
 ) 'HOSHFK © 6RXYHUDLQHWp FRVPRFUDWLTXH ¿FWLRQ PpWpRURORJLTXH HW LPSRVWXUH
royale. Notes sur la légende médiévale du trône de Chosroès », Journal Asiatique 300/2,
2012, p. 709-760 (p. 734-741).
22. Mas’ûdî, Les Prairies d’Or, trad. Barbier de Meynard et Pavet de Courteille,
2e éd., Paris, Société asiatique, 1965, t. II, p. 541 (§ 1403). Voir F. Delpech, « Souveraineté
cosmocratique », p. 735-737.
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 71

retenu nuit et jour fait entendre un bruit de tonnerre ; c’est ce qui fait dire
aux Musulmans de l’endroit que les vents ont été emprisonnés en ce lieu
SDU6DORPRQª/¶DXWHXUQHSUpFLVHSDVjTXHOOH¿QPDLVLQGLUHFWHPHQWOD
tradition locale complémentaire qu’il mentionne ensuite permet de l’entre-
voir : Salomon prenait, dit-on, son petit-déjeuner le matin « à Baalbek en
Syrie et son repas du soir dans cette mosquée ; il s’arrêtait à moitié chemin
dans la ville de Palmyre (Tadmur) [...] au milieu du désert, entre l’Irak,
Damas et Émèse, en Syrie, à cinq ou six journées de marche de cette der-
nière contrée ». Ce parcours quotidien ne pouvait en effet être effectué qu’au
moyen d’un véhicule extraordinairement rapide. Celui-ci, compte tenu des
remarques précédentes sur la maîtrise des vents et des légendes islamiques
relatives au tapis volant et aux chevaux merveilleux de Salomon23, était
nécessairement tributaire d’une propulsion pneumatique, ce qui revient à
dire qu’il était vent lui-même, ou manifestation matérialisée accessoire de
son pouvoir transvecteur24. D’autres textes font état de ces tournées quoti-
diennes en variant les lieux où le roi était censé faire étape et en précisant
parfois que le but de l’opération était de passer en revue les djinns. Le point
de départ matinal semble y être Persépolis plutôt que Baalbek25.
Ce complexe légendaire ancré au cœur de l’Iran, dont Mas’ûdî nous
restitue les deux indissociables composantes (la « mosquée » de Salomon et
ses circumambulations journalières), restitue manifestement, en la reversant
sur le compte du roi juif, une partie essentielle de la symbolique spatiale et
de l’imagerie cosmocratique de la monarchie persane telles que les laissent
entrevoir les textes et l’iconographie depuis la période achéménide jusqu’à
OD¿QGHODG\QDVWLHVDVVDQLGH/¶LQDXJXUDWLRQUR\DOHHWOHUHQRXYHOOHPHQW
rituel de l’appropriation de l’Empire par le souverain se font en direction
de tous les orients cardinaux qui structurent ce microcosme et supposent,
selon une idéologie royale au moins indo-iranienne bien enracinée dans
l’imaginaire collectif, une sorte de mouvement itinérant perpétuel propre
à réassocier sans cesse les composantes du territoire et de l’univers26.

23. Voir J. D. Seymour, op. cit. (n. 2), chap. VI, p. 80-94 (« Solomon’s magic carpet »),
R. Basset, « Solaiman dans les légendes musulmanes, VI. Les objets merveilleux », chap. 4
(« Le tapis »), Revue des Traditions Populaires 6, 1891, p. 610-612 et, du même auteur, ibid.,
chap. 3, p. 145 sq. (« Les chevaux »).
24. Le tapis est propulsé et supporté par le vent Rukhâ (J. D. Seymour, op. cit. [n. 2], p. 80).
25. R. Basset, op. cit. (n. 23), « Les chevaux », p. 145 n. Voir aussi, du même, « Salomon
et les génies », Revue des Traditions populaires 3, 1888, p. 354 sq. Plusieurs textes précisent
que Salomon faisait ces excursions à cheval et que le trajet incluait une étape en Israël
(Jérusalem ou Tibériade).
26. Sur le « roi nomade » achéménide, voir P. Briant, op. cit. (n. 20), p. 199-204.
72 François DELPECH

Le vent transvecteur et ses substituts visibles (le tapis, les chevaux) sont
GRQFOHVLQVWUXPHQWVGXSRXYRLUUR\DO6LOHVVRXIÀHVVRQWHPPDJDVLQpVj
Persépolis, si c’est à ce sanctuaire que Salomon retourne tous les soirs, c’est
bien que là résident le principe et le centre de la Souveraineté. C’est, d’après
plusieurs auteurs musulmans, dans les fondations de cette « mosquée » qu’a
été découverte la légendaire coupe panoptique de Jemshid (c’est-à-dire du
roi mythique Yima), symbole et instrument du pouvoir royal cosmocratique
dont Salomon est implicitement présenté comme le nouveau dépositaire27.
Les multiples récits qui évoquent un Salomon volant procèdent probable-
ment, quel que soit son moyen de locomotion, de cette LGHQWL¿FDWLRQ GH
Salomon à Yima, dont on sait que l’un des plus spectaculaires exploits
consiste à s’élever dans les cieux sur le trône merveilleux que sa gloire
royale lui a permis de construire : cette ascension, propulsée par les démons
domptés, est liée à la célébration de la fête iranienne du Nouvel An (Naurôz)
et consacre l’accès du roi à la souveraineté cosmique28.
Aussi trouve-t-on, aussi bien dans des traditions musulmanes que
chrétiennes, une association récurrente de Salomon à la fête de l’An Nou-
veau, dont un texte cité par Albiruni fait coïncider la fondation avec la
¿QGHOD©SpQLWHQFHªGXURL ORUVTXHOHGpPRQTXLV¶HVWVXEVWLWXpjOXL
est démasqué) : c’est à cette occasion que Salomon ordonne au vent de le
porter ; alors même qu’une légende géorgienne lie pareillement le Nouvel
An à une aventure royale de « Saint Salomon » qui implique elle aussi une
substitution inattendue29.
C’est probablement par l’intermédiaire des lettres byzantines que s’est
répandu en Europe centrale et orientale le type de conte ATU 920 A* (The
inquisitive King)30, dans lequel Salomon est maudit par sa mère, à laquelle
LODLQÀLJpXQHKXPLOLDQWHpSUHXYHGHFKDVWHWpHWQHSHXWFRQVpFXWLYHPHQW
mourir tant qu’il n’a pas encore mesuré la hauteur du ciel et la profondeur
de la mer : c’est sur le dos d’un oiseau (ou dans une nacelle volante) qu’il

27. Voir R. Basset, « Solaiman dans les légendes musulmanes, VI. Les objets
merveilleux » (cf. n. 23), « La coupe », Revue des Traditions populaires 7, 1892, p. 105, et
A. Christensen, Les types du Premier Homme et du Premier Roi dans l’histoire légendaire
des Iraniens, t. II (Archives d’Études orientales, 14-2), Leyde, 1934, p. 125 sq. et p. 128-137
(p. 132). Sur l’assimilation de Jemshid et de Salomon chez les auteurs islamiques, voir ibid.,
p. 31, 83 sq., 93-96, 119, 122 sq., 131 sq.
28. Ibid., p. 94, 99 sq., 103, 114, 185 sq. Voir F. Delpech, « Souveraineté
cosmocratique... », art. cité (n. 21), p. 723 sqq.
29. Sur les deux traditions en question, voir G. Dumézil, Le problème des Centaures.
Étude de mythologie comparée indo-européenne, Paris, Geuthner, 1929, p. 272 sq.
30. H.-J. Uther, 7KH7\SHVRI,QWHUQDWLRQDO)RONWDOHV$FODVVL¿FDWLRQDQGELEOLRJUDSK\,
3 vol., Helsinki, Acad. Sc. Fennica, FFC 284-286, 2004, t. I, p. 543.
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 73

s’élance donc vers le soleil, pour retomber bientôt ou se faire arrêter dans
son ascension par saint Pierre qui lui révèle l’inanité et les dangers de son
équipée aéronautique. Cette aventure, dont on connaît notamment des
versions ukrainiennes et russes31, est manifestement une transposition de
deux épisodes célèbres du Roman d’Alexandre, mais la contamination
littéraire et l’application à Salomon d’une histoire de ce genre reconduisent
très probablement, d’une manière indirecte, aux traditions iraniennes iden-
WL¿DQW6DORPRQj<LPDHWO¶DVVRFLDQWDX[ULWHVHWP\WKHVG¶LQDXJXUDWLRQGH
la Nouvelle Année, donc à l’imagerie de l’ascension royale qui leur est
associée. La tradition locale à laquelle se réfère Mas’ûdî à propos des
tournées quotidiennes de Salomon depuis la « mosquée des vents » me
semble donc transposer sur le plan d’une météorologie légendaire un
système de représentation liant l’ascension et la transvection aéroportées
du souverain à une réactualisation calendaire du commencement du Temps,
elle-même indissociable de la symbolique de l’investiture royale.

II. Voyages sapIentIaux


D’autres traditions salomoniennes qui réinterprètent le même type de
scénario dans un sens sapientiel pourraient conforter cette hypothèse.
On remarque par exemple que la quête du savoir occulte, détenu par des
JpQLHVVSpFL¿TXHVUpVLGDQWGDQVXQHvOHORLQWDLQHSUHQGSRXU6DORPRQGDQV
le Kitâb Âdâb al-Falâsifa attribué à Humayn ibn Ishâq (Ixe s.), la forme d’un
voyage aérien, le roi se faisant transporter par le zéphyr jusqu’à la demeure
insulaire de ces sages et énigmatiques docteurs32.
C’est toutefois dans le Zohar que l’on trouve les textes qui me semblent
faire le plus précisément écho à la tradition mentionnée dans les Prairies
d’OrHWUpYpOHUVXUXQSODQ¿FWLRQQHONDEEDOLVWLTXHO¶DSSURSULDWLRQUDEEL-
nique et ésotérique dont la mythologie royale qui sous-tend cette tradition
a pu faire l’objet dans la culture juive. La ville, à la fois réelle (Palmyre)
et symbolique, de Tadmur et le thème de l’aéronautique sapientielle se
retrouvent en effet dans deux péricopes du Zohar relatives au voyage de
Salomon vers une Tadmur qui n’est pas celle qu’il est censé avoir fondée,

31. Voir E. Hins, « Les légendes chrétiennes de l’Oukraine », Revue des Traditions
populaires 2, 1887, p. 513, et A. Rambaud, La Russie Épique. Étude sur les chansons
héroïques de la Russie, Paris, Maisonneuve, 1876, p. 399. Sur l’épisode alexandrin, voir
F. de Polignac, « Alexandre entre ciel et terre : initiation et investiture », Studia Íslamica 84,
1996, p. 135-144.
32. Voir M. Abumalham, « Salomón y los genios », Anaquel de Estudios Árabes 3,
1992, p. 37-46 (ici p. 42).
74 François DELPECH

selon le Livre des Rois, dans le pays d’Israël, mais une cité homonyme située
dans les montagnes ténébreuses et peuplée par les esprits malfaisants33.
Ces textes remplacent la tournée quotidienne de Salomon reliant Baalbeck,
Tadmur et Persépolis mentionnée par Mas’ûdî par un rituel, également
quotidien, accompli chaque matin par le roi et consistant à se tourner
contemplativement et successivement vers l’orient puis vers le midi, et
HQ¿Q YHUV OH QRUG FHWWH GHUQLqUH GLUHFWLRQ pWDQW SUpFLVpPHQW FHOOH GH
Tadmur. C’est alors qu’un aigle géant, dont les ailes sont supportées par une
colonne de feu et une autre de nuée (les mêmes que celles du franchissement
de la mer Rouge ?), vient se poser sur le toit du palais, pour reprendre son
vol, transportant Salomon sur son aile droite, jusqu’aux montagnes téné-
breuses et septentrionales de Tadmur où le roi va chaque jour apprendre les
sciences occultes en suivant les leçons des anges déchus et enchaînés Aza
et Azaël, qu’il contraint par la force de son sceau à répondre aux questions
qu’il leur pose34. Au même titre que le tapis et le cheval, cet aigle est sans
doute la forme visible d’un vent, probablement notre « aquilon » latin. Il
provient en tout cas de ce septentrion que symbolise Tadmur, qui est, dans
la démonologie et la cosmologie rabbiniques, le lieu de la Géhenne, des
démons et de la tempête35.
L’idée que les vents, tourbillons et tempêtes viennent du Nord et sont
liés aux démons qui y résident semble avoir traversé, après les Talmuds et
la littérature midrashique, toute la tradition rabbinique médiévale, dont la
cosmologie et la météorologie sont fortement tributaires de la croyance,
notamment exprimée dans le livre de Raziel, selon laquelle le coin sep-
tentrional du monde est resté inachevé lors de la Création, comme le sont

33. Voir N. Séd, « Le voyage du roi Salomon à Tadmor-Tamar selon le Zohar », in


Voyages et voyageurs au Proche-Orient Ancien, Louvain, Peeters (Cahiers du CEPOA, 6),
1994, p. 199-203.
34. Sur ce mythe sapientiel, voir également L. Ginzberg, Les légendes des Juifs, G. Sed
5DMQDWUDGW93DULV&HUISHWSQ&IOHVDLJOHVG¶RUTXL¿JXUHQWVXU
les six marches du trône de Salomon. Ils jouent également un rôle essentiel dans l’ascension
du roi, en l’occurrence celle qu’il doit entreprendre pour arriver au sommet du trône, escalade
qu’ils rendent possible en le faisant passer d’une marche à l’autre du dispositif : lorsqu’il est
arrivé au sommet ils l’accueillent et l’installent sur le siège ; c’est alors qu’un grand aigle le
ceint de sa couronne (ibid., p. 113-115 et p. 244 sq., n. 69).
35. Voir le texte du Midrash Konen mentionné par N. Séd, op. cit. (n. 33), p. 201 sq.,
n. 3. Sur les démons rebelles enfermés par Salomon dans les fondations de Tadmur (en
l’occurrence celle qu’il a fait construire en Israël), voir J. D. Seymour, op. cit. (n. 2), p. 68.
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 75

d’ailleurs les démons eux-mêmes, créatures en soi imparfaites ou déchues


de leur perfection originaire36.
On remarque que les textes du Zohar que je viens de mentionner, de
même que la croyance évoquée par Mas’ûdî, ne font allusion qu’à trois
points cardinaux quotidiennement visités (en esprit ou corporellement) par
Salomon dans ses rituels itinérants cosmocratiques et sapientiels. On note
FHSHQGDQWTXHOHVWRFNDJHGHVVRXIÀHVj3HUVpSROLVGDQVOD©PRVTXpHGH
Salomon », est à distinguer de la concentration des tempêtes à Tadmur, qui
QH FRQFHUQH SUREDEOHPHQW TXH OHV YHQWV GX QRUG HW OHV VRXIÀHV GpYDVWD-
WHXUVTXLGRLYHQWrWUHGHFHX[TXH6DORPRQHQIHUPHGp¿QLWLYHPHQWGDQV
des outres ou des vases, laissant par contre en liberté surveillée ceux qu’il
utilise dans ses voyages aéroportés. Nous avons donc affaire à des concep-
tions apparentées mais non identiques, ce qui laisse entrevoir, au moins au
niveau des légendes mobilisées, une polyvalence et une relative élasticité
des représentations météorologiques.
Cette élasticité se manifeste lorsqu’il s’agit de faire coïncider le
système des vents avec celui des quatre points cardinaux, comme l’impose
dans l’Occident antique et médiéval la combinaison de l’imaginaire de la
URVDFHGHVYHQWV VRXYHQW¿JXUpVSDUGHVVRXIÀHXUVMRXIÀXV DYHFOHVFKpPD
cosmographique quadrangulaire37, et des aménagements sont nécessaires
lorsqu’on se voit obligé de concilier la FODVVL¿FDWLRQTXDGUXSOH des vents,
qu’impose ce schéma, avec le mythème traditionnel, plus archaïque, de leur

36. Voir J. Trachtenberg, Jewish Magic and Superstition. A study in folk religion,
1HZ<RUN$WKHQHXP  S  HW S  Q 9RLU pJDOHPHQW + 6FKZDUW] Tree
of Souls. The Mythology of Judaism 1HZ <RUN 2[IRUG 8QLYHUVLW\ 3UHVV  S 
no ©7KHXQ¿QLVKHGFRUQHURI&UHDWLRQª RO¶RQWURXYHUDODELEOLRJUDSKLHGXWKqPH
(sont notamment cités les Pirkei de Rabbi Eliezer, le Midrash Konen et le Zohar). Dans les
WH[WHV TXL SULYLOpJLHQW XQH FODVVL¿FDWLRQ YHUWLFDOH GHV VHFWHXUV GH OD &UpDWLRQ OHV YHQWV HW
tempêtes sont situés dans le sixième ciel, avant-dernier de la hiérarchie ascendante des sept
cieux : ibid., p. 184 sq. Sur ce système septuple, courant dans la cosmologie juive à l’époque
hellénistique, voir le Sepher ha Razim (M. A. Morgan trad., Chico, Scholars Press, 1983) :
sur cet ouvrage du IVe siècle, où le personnage de Salomon apparaît, dans l’introduction, en
tant que magicien, voir P. A. Torijano, op. cit. (n. 1), p. 198-208.
37. Sur les quatre extrémités du monde dans le Midrash Konen, voir N. Séd, op. cit.
(n. 33), p. 201 sq.Q6XUOHVFODVVL¿FDWLRQVTXDGUXSOHVGHVYHQWVHWOHXUOLHQDXV\VWqPH
des quatre points cardinaux dans le monde syro-mésopotamien et dans les traditions indo-
européennes (notamment à partir de la Théogonie d’Hésiode), voir P. et A. Sauzeau, La
Quatrième Fonction. Altérité et marginalité dans l’idéologie des Indo-européens, Paris,
Les Belles Lettres, 2012, p. 63-71. Sur les réinterprétations médiévales de ces systèmes de
représentation, voir B. Obrist, « Wind diagrams and Medieval cosmology », Speculum 72,
1997, p. 33-84 (en particulier p. 35-45).
76 François DELPECH

focalisation en un lieu unique, que ce soit celui de leur origine ou de leur


réclusion.
&¶HVWOHWpOHVFRSDJHGHFHVGHX[FRQ¿JXUDWLRQVLPDJLQDLUHVTXHUHÀqWH
me semble-t-il, la curieuse légende rabbinique de la « caverne des quatre
vents », attestée par quelques textes et passée dans la tradition orale. Il y est
supposé que dans le jardin d’Éden les vents, qui sont au nombre de quatre,
sont retenus dans une grotte dont l’entrée est fermée par un rideau porteur
d’inscriptions kabbalistiques : si l’on soulève un coin de ce voile une énorme
tempête éclate ; si l’on écarte tout le rideau le monde retournera au chaos38.
Le thème s’inscrit en l’occurrence dans le cadre d’un récit de voyage
merveilleux couronné par une visite au Paradis, où se trouve la caverne en
TXHVWLRQ2QUHPDUTXHODUHODWLYHDQDORJLHGHFHWWH¿FWLRQDYHFODOpJHQGH
des voyages magico-initiatiques de Cyprien le Mage WHOOH TX¶HOOH ¿JXUH
dans la version copte de la « Confession de Cyprien », dont le Père
Festugière a souligné les connotations hermétiques : l’apprenti magicien
visite l’Olympe, où il apprend, en même temps que la succession chro-
nologique des saisons et les « différents jours marqués par les puissances
du Diable », un savoir à la fois astrologique et météorologique puisqu’il
y découvre « les quatre étoiles dans lesquelles se trouvent les vents chan-
geants »39. Géhenne, Paradis ou séjour des dieux, ces légendes s’efforcent
donc de combiner l’idée des quatre vents avec celle d’une résidence unique.
La tradition magique salomonienne hellénisée ne pourra cependant
éviter d’accorder ses théories démonologiques et météorologiques avec
l’image désormais dominante de la répartition quadrangulaire des quatre
points cardinaux, auxquels vont correspondre respectivement des vents et
GHVGpPRQVVSpFL¿TXHVV\VWqPHGRQWVHUDWULEXWDLUHWRXWHODFXOWXUHRFFL-
dentale, à commencer par les grimoires apocryphes salomoniens, dont la
vogue a traversé les siècles et les frontières.
On remarque en effet que, dans les deux traités de magie et d’as-
trologie les plus notables et les plus anciens – le Sepher ha-Razim et
l’Hygromanteia de Salomon – où Salomon apparaît tour à tour comme le

 +6FKZDUW]op. cit. (n. 36), p. 405 sq., et, du même, Miriam’s tambourine. Jewish
folktales from around the world1HZ<RUN)UHH3UHVVS ©7KHSULQFHRI
Coucy »). Voir également M. Gaster, The Exempla of the Rabbis 1HZ<RUN .WDY 
p. 140-142, no 374 (d’après un manuscrit hispano-oriental du xVIIIe s.) : le récit semble
supposer que le Paradis terrestre se trouve dans la région du pôle Nord...
39. Voir A. J. Festugière, La révélation d’Hermès Trismégiste, t. I, L’astrologie et les
sciences occultes, Paris, Gabalda, 1944, p. 39 et p. 375. Pour la comparaison des savoirs
acquis par Cyprien avec l’image de celui qui caractérise Salomon dans la Sagesse de
Salomon, voir P. A. Torijano, op. cit. (n. 1), p. 90-95 (p. 95 n.).
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 77

récepteur puis comme le transmetteur d’un savoir d’origine surnaturelle


(qui, dans le premier de ces deux ouvrages, est dit avoir été d’abord inscrit
dans un livre merveilleux donné à Noé par l’ange Raziel), la connaissance
des quatre vents et la domination des démons qui leur correspondent sont
présentées comme une base essentielle de la science ésotérique.
Le traité juif (IVe s.) insiste sur la connaissance météorologique, donnée
comme une expertise indissociable de la science divinatoire du Temps, au
même titre que le savoir astrologique : grâce au livre de Raziel, Noé a appris
à scruter les quatre vents du monde, à interpréter le langage des coups de
tonnerre et les messages des éclairs, en même temps que lui a été octroyé le
don de prévoir ce qu’apporteront les mois et les années40.
Dans l’Hygromanteia6DORPRQH[SOLTXHjVRQ¿OV5HKRERDPFRPPHQW
dominer rituellement les démons et commence sa démonstration en
LQYRTXDQWFHX[GHVTXDWUHSRLQWVFDUGLQDX[TXLVRQWLGHQWL¿pVSDUOHVQRPV
des quatre vents41.
Ces représentations se retrouvent dans les grimoires salomoniens médié-
vaux, comme le De quatuor annullis où est fournie la recette pour fabriquer
OHGLVSRVLWLI¿JXUDOGHO¶idea Salomonis (grâce auquel on peut dominer les
mauvais esprits), qui consiste en une peau de chèvre sur laquelle sont peints
les visages des quatre rois des démons qui règnent sur les quatre points car-
dinaux42 : leurs noms sont parfois donnés à tel ou tel vent, notamment celui
d’Amaymon43.

40. P. A. Torijano, op. cit. (n. 1), p. 202.


41. Ibid., p. 204 et 214 ; l’auteur insiste à ce propos sur la convergence entre le traité
juif et l’ouvrage grec, tous deux également tributaires des théories hermétiques. Le fait que
dans certaines amulettes magiques et textes de rituels Salomon apparaisse associé tour à tour
jTXDWUHDQWDJRQLVWHVPDOp¿TXHVTX¶LOHVWFHQVpGRPLQHUHWOLHUHWjXQTXDWXRUG¶DQJHVTXL
l’assistent dans ses combats est probablement reconductible au même système de pensée :
voir ibid., p. 132 et 136 sq. À chaque vent sont en effet implicitement assignés un démon qui
le manipule et un ange qui commande à ce démon. On sait par ailleurs que, dans les légendes
musulmanes, les quatre composants du sceau de Salomon lui sont remis par quatre anges :
voir J. D. Seymour, op. cit. (n. 2), p. 62 sq. (ces anges symbolisent les quatre éléments, mais
ils sont introduits devant Salomon immédiatement après son dialogue avec les « anges des
huit vents » : ibid., p. 61).
42. Voir J.-P. Boudet, Entre science et « nigromance ». Astrologie, divination et magie
dans l’Occident médiéval (xiie-xve siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2006, p. 145-
149. De même, le grimoire intitulé Almandal (= le mandala) préconise la fabrication d’un
outil mobile quadrangulaire où est inscrit dans chaque coin le signum Salomonis (en fait le
Magen David à six branches) : l’engin est un véritable piège à démons : ibid., p. 149-152 et
J. Véronèse, L’Almandal et l’Almadel latins au Moyen Âge, introd. et éd. critique, Florence,
Sismel-Ed. del Galluzzo, 2012.
43. Oriens, Paymon (Ouest), Amaymon (Sud) et Egyn (Nord). Voir J.-P. Boudet, op. cit.
(n. 42), p. 399 sq. Egyn doit probablement son nom à la septentrionale Géhenne (cf. supra).
78 François DELPECH

Dans les légendes arabes, Salomon a lui-même fourni, en grandeur


QDWXUHOHPRGqOHDUFKLWHFWXUDOGHFHV¿JXUHVFRQMXUDWRLUHVF¶HVWVXUVRQ
ordre, comme l’indique ibn al-Faqîh al-Hamadânî (xe s.), que les génies ont
construit pour la reine de Saba le palais à sept étages de Gumdân, dont les
quatre angles sont ornés de statues de lions creuses, qui rugissent quand
les vents pénètrent en elles par derrière, tandis que les salles aux parois
d’albâtre transparent, illuminées de l’intérieur par des lampes, produisent
ce que les passants croient être des éclairs, si bien que, vu en pleine nuit de
O¶H[WpULHXUO¶pGL¿FHGRQQHO¶LOOXVLRQG¶XQHWHPSrWH44.
D’une analogue esthétique du trompe-l’œil et du faire-croire météorolo-
gique relève, dans les traditions rabbiniques, le trône légendaire de Salomon,
dont les rideaux historiés, agités par le vent, font apparaître comme un arc-
en-ciel45,OHQYDGHPrPHSRXUO¶pGL¿FHDpULHQFRPSRVpGHVHSW©FLHX[ª
superposés, construit par Hiram, qui l’a truffé de dispositifs sonores et lumi-
neux qui imitent le tonnerre et les éclairs46%LHQTXHFHV¿FWLRQVDLHQWVDQV
doute transposé le souvenir d’anciennes formes de magie météorologique
par imitation (similia similibus), ces récits soulignent plutôt l’aspect esthé-
tique et ludique, voire peccamineusement trompeur et mégalomaniaque, de
ces architectures fabuleuses, le plus souvent imputées à des imposteurs et à
des tyrans idolâtres par les religions du Livre47.
Le pouvoir météorologique des constructions de Salomon ne relève pas
seulement, quant à lui, de l’illusion : en accord avec le divin, il a une fonc-
WLRQ UpJXODWULFH FRPPH O¶DWWHVWH OD FUR\DQFH VHORQ ODTXHOOH GqV OD ¿Q GH
O¶pGL¿FDWLRQGX7HPSOHOHVSOXLHVWRUUHQWLHOOHVTXLjGDWHV¿[HVGHSXLVOH
Déluge, s’abattaient sur Israël pendant quarante jours tous les ans dispa-
UXUHQWGp¿QLWLYHPHQW48.
6L HQ O¶RFFXUUHQFH 6DORPRQ IDLW SOXV ¿JXUH GH PRGpUDWHXU FOLPDWROR-
gique que de sorcier tempestaire, son pouvoir semble bien impliquer par
ailleurs une maîtrise des foudres. C’est ce que me paraissent attester les
traditions qui signalent l’utilisation qu’il fait d’objets qui détiennent,

Cf. en Sardaigne le béntu maimoni et la momonissa (vent tourbillonnant) : G. L. Beccaria,


op. cit. (n. 9), p. 165.
44. M. J. Rubiera, La arquitectura en la literatura árabe, Madrid, Ed. Nacional, 1981,
p. 30 sq.
45. E. Romero, La Ley en la Leyenda. Relatos de tema bíblico en las fuentes hebreas,
0DGULG&௘6௘,௘&S
46. Ibid., p. 476-479. Voir aussi M. Gaster, op. cit. (n. 38), p. 52 (no 4) et p. 186 (no 4),
pour la bibliographie rabbinique de cette légende.
47. Voir F. Delpech, « Souveraineté cosmocratique... », art. cité (n. 21).
48. L. Ginzberg, op. cit. (n. 34), t. V, p. 113.
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 79

réellement ou symboliquement, une force ignée, voire fulgurante, capable


d’anéantir toute résistance. C’est ce qui arrive dans le cas du shamir, cette
mystérieuse substance (qui, selon les versions, est de nature végétale,
animale ou minérale)49 grâce à laquelle il parvient, après l’avoir obtenue
par l’entremise d’Asmodée, à découper et tailler sans utiliser d’instruments
métalliques et sans effort les blocs de pierre nécessaires à la construction
du Temple ; ce shamir étant d’ailleurs involontairement fourni au roi par un
volatile qui l’utilise, en véritable oiseau-foudre50, pour perforer et fendre les
rocs des montagnes et y enfoncer des graines. Au même complexe mythique
reconduit certainement le rapport privilégié, supposé par les légendes
arabes, qu’entretient Salomon avec un autre oiseau, la huppe, dont on sait
qu’elle partage avec le pivert la fonction météorologique de conjoncteur du
feu et de l’eau : Salomon l’utilise dans ses voyages aériens pour détecter les
sources souterraines et elle joue le rôle de trait d’union entre lui et la reine
de Saba51.
Ces connexions ornithologiques de Salomon et la nature pyrophore du
VKDPLUVRQWHQFRUHFRQ¿UPpHVDXxIVe VLqFOHSDUDO1XZD\Uv GDQVVRQHQF\-
clopédie arabe Nihâyat al-‘arab TXLO¶LGHQWL¿HDXGLDPDQWHWDMRXWHTX¶LO

49. Voir ibid., p. 120-122 et J. D. Seymour, op. cit. (n. 2), p. 114-120, et p. 149 sq.
(tradition chrétienne d’Égypte et d’Éthiopie qui transfère les vertus du shamir au Bois de la
Croix).
50. Les versions les plus caractéristiques sont celles où cet oiseau est un pivert, alter
ego ornithologique de Zeus et symbole manifeste du pouvoir perforateur de la foudre. Voir
J. Rendel Harris, Pícus who is also Zeus, Cambridge, Cambridge University Press, 1916, et
J.-L. Le Quellec, « Le picata, le feu et la pluie, l’oiseau-hache, le tonnerre et la foudre », in
0\WKRORJLH HQ 1RUG$FWHV GX ,9࣠e Congrès International de Mythologie, Lille, août 1989,
Beauvais, Société de Mythologie française, p. 135-164.
51. Voir J. D. Seymour, op. cit. (n. 2), p. 98 sq., p. 137-141, et J. Lassner, op. cit.,
passim (voir index V࣠Y « hoopoe »). Dans une légende copte (d’inspiration éthiopienne ?)
c’est l’oiseau Rokh qui fait parvenir à Salomon un morceau de bois issu du Paradis, qui lui
permettra par son pouvoir incisif et perforateur de tailler les pierres pour le Temple, et qui
jouera ultérieurement un rôle lors de la rencontre du roi juif avec la reine de Saba : ce récit
procède manifestement d’une contamination entre la tradition relative au shamir (la même
ruse est mise en œuvre pour obtenir les deux objets) et la légende éthiopienne du Bois de la
Croix : voir J. D. Seymour, op. cit. (n. 2), p. 149 sq., L. Ginzberg, op. cit. (n. 34), t. V, p. 247,
n. 85, et l’introduction à La Gloire des Rois ou l’Histoire de Salomon et la reine de Saba,
R. Beylot trad., Turnhout, Brepols, 2008, p. 57 sq. Dans une version de la légende éthiopienne
(recueillie dans le Tarika Nagast) cette pièce de bois, qui deviendra le Bois de la Croix,
a été arrachée au Paradis par le cheval-aigle, monture volante enfourchée par Alexandre
pour y parvenir (ibid., p. 58-59, et A. Caquot, « La reine de Saba et le Bois de la Croix
selon une tradition éthiopienne », Annales d’Éthiopie I, 1955, p. 137-147). Ce récit se situe à
l’intersection des légendes d’ascension de Salomon et d’Alexandre et de celles qui font jouer
à un aigle un rôle capital dans la geste salomonienne : voir supra n. 30-34, et infra n. 53 et 86.
80 François DELPECH

brille comme un miroir et brûle comme le feu52. Que le feu en question soit
celui du ciel c’est ce que semble bien attester le fait que, dans cette version,
l’oiseau qui détient et utilise l’objet magique est un aigle : on commence
donc à soupçonner que la récurrence des interventions de ce rapace dans la
geste salomonienne a quelque chose à voir avec ses connotations fulgura-
toires et joue par conséquent un rôle dans l’élaboration du portrait mythique
d’un Salomon « tempestaire »53.
L’expertise pneumatique du roi magicien, auquel sont d’ailleurs en
SULQFLSH VRXPLV WRXV OHV pOpPHQWV HVW VSpFL¿TXHPHQW FRPSOpWpH SDU XQH
domination royale du feu, qu’atteste par ailleurs, notamment en Afrique du
Nord, son association aux sources chaudes et autres centres de thermalisme,
chauffés par les démons (ou les soldats de Pharaon ayant survécu au désastre
de la mer Rouge) dans les cavités souterraines où Salomon les a enfermés54.
Il me semble également que c’est encore, sous une forme symbolique
et imagée, le pouvoir fulgurant du roi juif que représente le type icono-
graphique de Salomon en cavalier transperçant de sa lance une sorte de
diablesse partiellement ophiomorphe, reproduit sur plusieurs amulettes
magiques égyptiennes et proche-orientales de l’Antiquité tardive55. Ce genre
G¶HI¿JLHMXGpRKHOOpQLVWLTXHUDSSHOOHO¶LPDJHGXFRPEDWGH+RUXVFRQWUHOH
FURFRGLOH 6HWK HWSUp¿JXUHFHOOHGHVVDLQWVFDYDOLHUVVDXURFWRQHVGXFKULV-
tianisme. On remarque sur ces intailles la verticalité de la lance, ainsi que
le fort contraste entre la position élevée du roi cavalier et l’aspect prostré
de son adversaire transpercé, étendu sur le sol entre les pattes du cheval,
comme si l’on avait voulu mettre en scène l’action agonistique d’une force
venue du ciel fondant sur les zones aquatiques ou chtoniennes du monde
d’en bas. La lance du roi est sans doute apparentée aux armes magiques (au
QRPEUHGHVTXHOOHVXQHpSpHÀDPER\DQWH TXHSOXVLHXUVDXWHXUVPXVXOPDQV
QRWDPPHQW LUDQLHQV DWWULEXHQW j 6ROHwPDQ ¿OV GH 'DRXG FRPPH DX[

52. M. J. Rubiera, op. cit. (n. 44), p. 48. Sur l’origine et la nature du shamir, voir
L. Ginzberg, op. cit. (n. 34), t. I, 1997, p. 29 sq. et p. 179, n. 161-165.
53. Cf. supra, n. 50-51.
54. J. D. Seymour, op. cit. (n. 2), p. 186, J. E. Hanauer, The Holy Land. Myths and
legends, rééd., Londres, Senate, 1996, p. 76. Voir Z. Khenchélaoui, « Les Bains-de-Salomon
(Algérie), haut lieu de l’hydrothérapie sacrée », in L’image de Salomon..., op. cit. (n. 2),
p. 233-267.
55. E. R. Goodenough, Jewish symbols in the Greco-Roman periodW,,1HZ<RUN
Bollingen Foundation, 1953, p. 227-235, P. Perdrizet, Negotium perambulans in tenebris :
Études de démonologie gréco-orientale 6WUDVERXUJ3DULV/RQGUHV1HZ<RUN 3XEOLFDWLRQV
de la Faculté des Lettres de l’Université de Strasbourg, 1922, p. 5-38. Voir aussi P. A. Torijano,
op. cit. (n. 1), chap. VII, « Solomon the horseman », p. 129-141.
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 81

Salomons préadamites pourfendeurs de démons56. Armes dans lesquelles il


HVWGLI¿FLOHGHQHSDVYRLUGHV©thunderweapons » : la lance et l’épée seront,
dans toute la tradition folklorique occidentale, les instruments magiques
privilégiés des tempestaires, escrimés pour susciter ou disperser les orages57.
Par ailleurs dans la tradition médiévale et moderne des grimoires salomo-
niens il est fréquemment fait allusion à la « baguette foudroyante », dont
le Grand Grimoire assure que le secret de sa composition a été découvert
par Salomon dans le monde des esprits, et qu’elle permet aussi bien de
commander aux tempêtes que de fustiger les démons et les forcer, après
usage, à regagner les abysses58.
Quant à l’allure sirénienne ou ophidienne de la démone que transperce la
lance du cavalier Salomon de la glyptique judéo-hellénistique, ne reconduit-
HOOHSDVGpMjjXQHLPDJHULHPpWpRURORJLTXHTXLÀHXULUDQRWDPPHQWDX
Moyen Âge, selon laquelle – entre croyance populaire et allégorie ecclésias-
tique – les tempêtes sont suscitées (ou symboliquement représentées) par
des dragons59"2QLGHQWL¿HJpQpUDOHPHQWO¶DQWDJRQLVWHIpPLQLQHGH6DORPRQ
¿JXUpHVXUOHVDPXOHWWHVPDJLTXHVDXW\SHVpPLWLTXHGHODGpPRQHGHVWUXF-
trice des nourrissons, dont relève notamment la Lilith du judaïsme, proche
parente d’Asmodée : on notera cependant qu’au moins dans le cas de cette
GHUQLqUHVDVSpFLDOLWpPDOp¿TXHLQIDQWLFLGHQ¶HVWTX¶XQDVSHFWG¶XQHSHUVRQ-

56. Voir R. Basset, « Solaiman dans les légendes musulmanes, VI. Les objets
merveilleux » (cf. n. 23), « Les armes », Revue des Traditions populaires 7, 1892,
p. 57, et, sur la fabrication de l’épée magique dans l’Hygromanteia de Salomon,
P. A. Torijano, op. cit. (n. 1), p. 215-217 (cf. ibid., p. 98 n.).
57. G. L. Beccaria, op. cit. (n. 9), p. 169 sq., P. Sébillot, op. cit. (n. 10), t. I, p. 105
et p. 113-118 (utilisation d’objets métalliques pointus ou tranchants pour « couper » les
météores). Sur la « lance venteuse » du tempestaire légendaire Éric (d’après Olaus Magnus),
voir C. Lecouteux, « Les maîtres du temps : tempestaires, obligateurs, défenseurs et autres »,
in Le temps qu’il fait au Moyen Âge. Phénomènes atmosphériques dans la littérature, la
SHQVpHVFLHQWL¿TXHHWUHOLJLHXVH, J. Ducos et C. Thomasset éd., Presses de l’Université de
Paris-Sorbonne, 1998, p. 151-169 (p. 152).
58. Voir E. M. Butler, Ritual Magic, Cambridge, Cambridge University Press, 1949,
p. 80-89 (en particulier p. 81-84). La « vara fulminante » est mentionnée dans les Ciprianillos
ibériques.
59. G. L. Beccaria, op. cit. (n. 9), p. 168 sq., P. Sébillot, op. cit. (n. 10), t. I, p. 82,
113, G. L. Kittredge, Witchcraft in Old and New England, Cambridge, 1928, p. 153 sq.,
0$OLQHL©*HRJUD¿DVHPDQWLFDFRQWLQXDWRULGL³draco” in Italia e in Francia », in Espaces
romans (Mélanges G. Tuaillon), Grenoble, ELLUG-Université Stendhal Grenoble 3, 1989,
t. II, p. 459-487, M. Leopold Wagner, « Romanische und baskische Benennungen des
:LUEHOZLQGHVXQGGHU:LQGKRVHQDFK*HLVWHUQªArchivum Romanicum 17, 1933, p. 353-360.
82 François DELPECH

QDOLWpGpPRQLDTXHQRFWXUQHTXLFRPSRUWHDXVVLGDQVVHVJqQHVXQHDI¿QLWp
météorologique avec les vents et les tempêtes60.
/HVDPXOHWWHVTXHMHYLHQVG¶pYRTXHUSRUWHQWVRXYHQWHQSOXVGHO¶HI¿-
gie de Salomon en cavalier, une inscription désignant son support comme
« Sceau de Dieu », mais parfois aussi « Sceau de Salomon », ce qui tend à
O¶LGHQWL¿HUjFHOXLTXLHVWPHQWLRQQpGDQVOHTestament de Salomon, où il
joue le rôle que l’on sait61&HWDOLVPDQELHQSOXVWDUGLYHPHQWLGHQWL¿pjXQH
sorte d’étoile à cinq ou six branches et, partant, souvent confondu avec le
0DJHQ'DYLG࣠62, a fait, au xVIIIe siècle, chez certains exégètes juifs et notam-
ment dans la littérature alchimique, l’objet d’une interprétation symbolique
pOpPHQWDLUHVHVWULDQJOHVFURLVpVpWDQWUHVSHFWLYHPHQWLGHQWL¿pVDXfeu et à
l’eau, ce qui ferait de l’ensemble une allégorie de l’harmonie des éléments63.
On peut se demander si, contrairement à l’interprétation la plus courante de
ce Sceau, ce n’est pas le feu qui est censé être représenté par le triangle dont
la pointe est orientée vers le bas, ce qui impliquerait que c’est du feu du ciel
(fondant sur l’eau inférieure) qu’il s’agit, comme dans la légende orientale
d’inspiration iranienne (rapportée par Marco Polo) du feu descendu du ciel
TXLHQÀDPPHO¶HDXGDQVODTXHOOHOHV0DJHVRQWMHWpODSLHUUHTXLOHXUDpWp
donnée par le Christ. D’où une relative continuité avec la symbolique de la
verticalité, descendante et fulgurante, de l’image agonistique des gemmes
magiques (gnostiques ?) au Salomon cavalier transperçant d’en haut la
démone amphibie issue des abysses.
Si l’« eau ignée ª GHV DOFKLPLVWHV ¿JXUpH SDU OH 6FHDX GH 6DORPRQ
symbolise la synthèse élémentaire qu’ils s’efforcent de réaliser, moyennant
la mise en œuvre d’un télescopage entre le monde supérieur et celui d’en

60. Sur Lilith transpercée à la lance par un ange dans les inscriptions de certains bols
magiques judéo-babyloniens, voir P. A. Torijano, op. cit. (n. 1), p. 139 sq. Sur Lilith et les
vents tempétueux, voir J. Trachtenberg, op. cit. (n. 36), p. 36 sq. et p. 277 sq., M. Hutter,
« Lilith », in Dictionary of deities and demons..., op. cit. (n. 14), c. 973-976, A. M. Killen,
© /D OpJHQGH GH /LOLWK HW TXHOTXHV LQWHUSUpWDWLRQV PRGHUQHV GH FHWWH ¿JXUH OpJHQGDLUH ª
Revue de Littérature comparée 12, 1932, p. 277-311 (p. 284 sq.). Sur Lilith comme mère des
Lilîn (liés aux tempêtes de poussière) et des Rouchîn (dont le nom est étymologiquement lié
à celui du vent), voir E. Langton, op. cit. (n. 6), p. 25, 27 et 57.
61. P. A. Torijano, op. cit. (n. 1), p. 130-133.
62. Voir J. Leite de Vasconcellos, 6LJQXP6DORPRQLV(VWXGRGHHWQRJUD¿DFRPSDUDWLYD,
Lisbonne, A. M. Teixeira éd., 1918. Voir également G. Scholem, La stella di David. Storia
di un simbolo, trad. ital., Florence, Giuntina, 2013, et E. R. Goodenough, op cit. (n. 55), t. I,
p. 181-192.
63. G. Scholem, op. cit. (n. 62), p. 105 sq.
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 83

bas64, on peut se demander s’il n’y a pas eu ici surimpression de l’imagerie


juive avec le concept mythique indo-européen du « feu dans l’eau »,
si abondamment glosé par G. Dumézil et plusieurs de ses continuateurs,
qui ont notamment souligné la force explosive, foudroyante, de ce clash
élémentaire, qui semble bien être le ressort principal de la magie tempestaire
des traditions occidentales65.

III. traDItIons occIDentales


Un écho lointain du système de croyances qui sous-tend cette imagerie
savante me semble en effet perceptible dans les traditions folkloriques
italiennes de l’époque moderne, où l’on voit se perpétuer conjointement la
¿JXUHW\SHDJRQLVWLTXHGXWHPSHVWDLUHDUPpHWODQDWXUHDPELYDOHQWHGXVFHDX
de Salomon, lui-même porteur de la charge explosive qu’il sert à conjurer.
Dans la province des Marches on brandit en effet, en cas d’orage, une faux
pour couper le « nodo di Salomone », c’est-à-dire le tourbillon aérien. De
même les pêcheurs des Abruzzes menacés par la tempête gravent au couteau
le « segno di Salomone », en l’occurrence une étoile à cinq branches, sur le
ERLVGHODEDUTXHSXLVSODQWHQWOHFRXWHDXDXPLOLHXGHFHWWH¿JXUHVFKpPDWL-
quement anthropomorphe, laquelle représente le typhon qu’il s’agit de neu-
traliser (en transperçant, et par là-même en libérant, l’être humain mythique
dont la tornade est censée être la métamorphose météorologique)66.
C’est également avec un couteau que les « Solomonar » roumains,
d’ailleurs munis d’une baguette, « coupent » les dragons volants qui
produisent les orages. Ces tempestaires de type chamanique le sont de
naissance (en tant que nés coiffés), ou sont devenus tels en étudiant les
sciences occultes dans une école souterraine (comme l’« escolar das
nuvens » ibérique) où ils ont appris à chevaucher dans les airs le dragon

64. Ibid., p. 106. Voir R. Patai, The Jewish alchemists. A history and source-book,
Princeton, Princeton University Press, 1994, p. 28 sq.
65. Voir G. Dumézil, Mythe et Épopée III, Histoires romaines, 2e éd., Paris, Gallimard,
1978, p. 21-89. Pour un autre cas de croisement entre cette mythologie indo-européenne et
XQHOpJHQGHVpPLWLTXHYRLU)'HOSHFK©/DVpSXOWXUHVXEÀXYLDOHGH'DQLHOHWOHP\VWqUH
LQGRHXURSpHQGX³IHXGDQVO¶HDX´ªLQVoix des mythes, science des civilisations (Mélanges
Philippe Walter), F. Vigneron et K. Watanabe éd., Berne, Peter Lang, 2012, p. 3-16.
66. G. L. Beccaria, op. cit. (n. 9), p. 170 sq. On a vu le rôle de lieur du vent assumé par
Salomon dans le Testament : le « nœud de Salomon » est ici à la fois l’image de la tempête
et l’instrument qui sert à la dompter, ce qui le met sur le même plan que les nœuds que,
VHORQ%DUWKHOHP\O¶$QJODLVOHVWHPSHVWDLUHVGX9LQODQGIRQWVXUGHVSHORWHVGH¿ODXPR\HQ
desquelles, en les dénouant en plus ou moins grand nombre, ils modèrent ad libitum la force
des vents (voir C. Lecouteux, loc. cit. [n. 57], p. 154, P. Sébillot, op. cit. [n. 10], t. I, p. 102,
et G. L. Kittredge, op. cit. [n. 59], p. 159).
84 François DELPECH

Balaur, ce qui leur permet d’orienter le cours des nuages, et de lier ou délier
la grêle et la pluie67.
Il n’est donc pas étonnant que, dans les traditions populaires occiden-
tales, Salomon ait été occasionnellement happé par le vaste cycle légen-
daire de la « Chasse sauvage », dont les hurlantes et aériennes apparitions
volantes, souvent évoquées dans la littérature médiévale et notamment
omniprésentes dans les traditions germaniques, accompagnent les rafales et
tempêtes nocturnes68. C’est au Pays Basque que Salomon rejoint ce genre
de cohorte : présenté comme un roi chrétien du temps jadis, passionné de
chasse, il assiste à une messe accompagné de ses chiens, lesquels se préci-
pitent hors de l’église, et lui à leur suite, au moment de la Consécration car
ils ont vu un lièvre qui s’est introduit dans le sanctuaire et a pris aussitôt
la fuite ; poursuivi et poursuivants s’envolent alors dans les airs (le lièvre
n’était autre que le diable). Depuis lors on les voit de nuit dans le ciel, conti-
QXDQWVDQVFHVVHOHXUFRXUVHIROOHKXUODQWHWVLIÀDQW69.
Cette tradition me semble résulter du croisement de l’image, peu à peu
pODERUpHDX¿OGHVVLqFOHVG¶XQ6DORPRQ©WHPSHVWDLUHªPDvWUHGHVYHQWV
volant lui-même dans les airs à dos d’aigle ou porté par son tapis magique, et
d’une tradition eschatologique médiévale, étudiée naguère par Marc Bloch
à partir de deux textes (respectivement du xIIIe et du xVe s.) plutôt atypiques
évoquant la destinée post mortem de Salomon70. Le roi juif, contrairement

67. Voir L. Kretzenbacher, Teufelsbündner und Faustgestalten im Abendlands,


Klagenfurt, 1968, p. 102-142, et C. Lecouteux, loc. cit. (n. 57), p. 168. En Hongrie les
« écoliers errants » (« Garaboncziás diák ») et le « Taltós » partagent la même spécialité
météorologique : voir A. Bihari, A catalogue of Hungarian belief legends, Budapest, 1980,
p. 195-198. Sur l’« escolar das nuvens », voir Z. Consiglieri Pedroso, Tradiçôes Portuguezas,
XV, O secular das nuvens, Porto, Tip. Elzeviriana, 1883, p. 3-14, et F. Adolpho Coelho, « De
algumas tradições de Hispania e Portugal, VI », Revue hispanique 7, 1900, p. 419-428.
68. Voir Le mythe de la Chasse sauvage dans l’Europe médiévale, Ph. Walter éd., Paris,
H. Champion, 1997, et P. Sébillot, op. cit. (n. 10), t. I, p. 165-178 et 273-280. D’autres
rois orientaux, célèbres pour leurs transgressions, comme David ou Hérode, font également
¿JXUHGDQVQRVWUDGLWLRQVSRSXODLUHVGHleaders de la Chasse sauvage : voir ibid., p. 166 sq.,
169 sq., 173, 178.
69. Signalée dès le siècle avant-dernier, cette tradition est encore relatée en 1941 à
Zugarramurdi, haut lieu de la sorcellerie basque auriséculaire : voir L. de Barandiarán Irizar,
Antología de fábulas, cuentos y leyendas del País Vasco (6e éd.), Saint-Sébastien, Txertoa,
1992, p. 136 sq., « El rey Salomón ». Le reste de la légende est une version du cycle folklorique
sur « le chat et la chandelle » et procède manifestement (par quels intermédiaires ?) du
dialogue médiéval de Salomon et Marcolphe, où cependant le thème de la Chasse sauvage
n’apparaît pas. Voir infra, n. 82. J’y reviendrai ailleurs.
70. M. Bloch, « La vie d’outre-tombe du roi Salomon », Revue belge de Philologie et
d’Histoire 4, 1925, p. 349-377. Le premier de ces textes se trouve dans une vie latine de saint
Édouard le Confesseur, l’autre dans l’Histoire de Charles VI de Jean Jouvenel des Ursins.
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 85

aux versions plus connues qui le mettent tantôt au Paradis, tantôt en Enfer,
ainsi qu’à celles qui ne se prononcent pas, est décrit par ces textes comme
résidant seul après sa mort dans un château ruiné et désert, situé quelque
part entre ce bas monde et l’au-delà bienheureux. Il est dit y subir jusqu’au
Jugement Dernier le châtiment de ses fautes, qui consiste seulement, dans le
texte le plus ancien, en une attente solitaire dans la privation de la béatitude
paradisiaque, tandis que la version plus récente lui fait subir quotidienne-
ment, couché dans un cercueil, le supplice prométhéen du déchirement de
ses entrailles par une bande de corbeaux voraces.
Ces textes proposent donc, en la projetant dans un espace intermédiaire
GLVWLQFW GX 3XUJDWRLUH  HW GDQV OH 7HPSV LQGp¿QL GH O¶DWWHQWH LQFHUWDLQH
d’une rédemption, une version eschatologique de l’épisode de la pénitence
de Salomon, que les traditions orientales lui faisaient endurer de son vivant
en imaginant sa provisoire expulsion du trône et l’interrègne assumé, en
guise de substitut royal, par Asmodée71. La légende basque de Salomon en
chasseur sauvage lui fait de même expier son péché impie en le condamnant
jKDQWHUMXVTX¶jOD¿QGHV7HPSVXQQRQOLHXVROLWDLUHHWDpULHQVpSDUpGX
monde des vivants sans être pour autant intégré à un quelconque au-delà,
céleste ou infernal.
Ces cavalcades tempétueuses et nocturnes se distinguent certes, par leur
PRELOLWpGHODUpVLGHQFH¿[HDVVLJQpHj6DORPRQSDUOHVGHX[WH[WHVPpGLp-
vaux : elles rappellent plutôt, en leur conférant une portée pénitentielle, les
excursions aéronautiques du Salomon des légendes orientales72. Elles en
précisent et explicitent surtout la portée implicitement météorologique en
LGHQWL¿DQWSOXVFODLUHPHQWTXHMDPDLVVHVWRXUQpHVYRODQWHVDX[YR\DJHV
aériens que nos traditions folkloriques attribuent aux tempestaires, que de
nombreux témoins prétendent avoir vu chevaucher les nuages pendant les

71. Sur le devenir de cette histoire dans l’Occident médiéval, voir F. Delpech, « Un
souverain, un ange et quelques folies : avatars d’un exemplum médiéval », in Visages de
la Folie (1500-1650), A. Redondo et A. Rochon éd., Paris, Publications de la Sorbonne-
Paris III, 1981, p. 55-65.
72. Voir supra n. 30 à 34. L’idée que le vent, quoique soumis à Salomon, puisse
manifester à son égard une sorte d’indépendance et puisse même lui donner une leçon
l’incitant à se repentir de sa présomption (comme le fait par ailleurs indirectement Asmodée
GDQV OH UpFLW GH OD SpQLWHQFH LQÀLJpH j 6DORPRQ  WUDQVSDUDvW GpMj GDQV FHUWDLQHV OpJHQGHV
orientales : voir le texte de Mirkhond, résumé par J. D. Seymour, op. cit. (n. 2), p. 80 sq.,
selon lequel le vent Rukhâ, qui supporte et fait voler le tapis de Salomon, punit un jour un
accès d’orgueil de ce dernier en secouant le tapis, faisant choir et s’écraser au sol une partie
de l’armée et de la suite du roi qui participaient au voyage aérien.
86 François DELPECH

orages73/¶LPDJHG¶XQ6DORPRQSURSXOVpGDQVOHVFLHX[V¶HVWGRQFLQ¿OWUpH
dans le folklore de l’Europe occidentale, par des voies peut-être distinctes
de celles (probablement byzantines) qui ont assuré sa présence en Ukraine
et en Russie.
On a vu notamment son émergence dans le Zohar, ce qui permet
GH VRXSoRQQHU O¶LQÀXHQFH GH PLOLHX[ KpEUDwTXHV SpQLQVXODLUHV HW GH OD
kabbale. Il est en effet curieux de constater qu’à l’association qu’évoque
le texte kabbalistique entre Salomon et un aigle géant qui le transporte à Tadmur
pourrait faire écho une page énigmatique de l’étrange dialogue médiéval en
vieil-anglais (Ixe s.) de Salomon et Saturne, dont a pu supposer qu’il pro-
cède, au même titre que plusieurs autres dialogues salomoniens du même
genre, d’une Contradictio Salomonis (aujourd’hui perdue) condamnée au
ve siècle par le décret du pape Gélase74. À l’une des questions posées par
le mage chaldéen itinérant Saturne, Salomon répond en racontant l’histoire
du mystérieux Vasa Mortis, un oiseau monstrueux (quatre têtes humaines,
corps de baleine, plumes de vautour, pieds de griffon) qu’il a lui-même
découvert, avant d’ordonner aux Philistins de l’enchaîner au-delà des mers.
Il est toujours là-bas, encerclé par une montagne et une muraille d’or, gardé
par les sages des Philistins et soustrait à d’éventuels ravisseurs par des
sentinelles disposées aux quatre points cardinaux. Il ne cesse de battre des
ailes, de secouer ses chaînes et de se lamenter d’être ainsi contraint jusqu’à
« la clameur du jugement dernier »75.
Les connotations apocalyptiques de cette évocation sont aussi évidentes
que son enracinement dans la tradition de la démonologie salomonienne
issue du Testament de Salomon, et on ne peut manquer de souligner l’ana-
logie entre Vasa Mortis et Asmodée (qui est généralement ailé)76, lequel
DpWpOXLDXVVLFDSWXUpHWHQFKDvQpVXUO¶RUGUHGXURLHW¿QDOHPHQWFRQ¿Qp
dans une région lointaine77. Le rapport antagonique entre Salomon et cette
créature monstrueuse semble donc s’inscrire dans une chaîne imaginaire qui
UHOLHODJHVWHDVPRGpHQQHHWOD¿FWLRQGHMRXWHVDSLHQWLDOHTXLVHUWGHFDGUH

73. Sur les tempestaires volants, notion qui suppose une superposition de l’image du
sorcier (qui lie ou délie les tempêtes depuis le sol par des rituels appropriés) et de celle de
l’être surnaturel qui chevauche dans le ciel les nuages et les vents, voir P. Sébillot, op. cit.
(n. 10), t. I, p. 99, 110 sq., 113, 126-132, 165-178.
74. Voir Salomon et Saturne, intro. et trad. R. Faerber, Turnhout, Brepols, 1995, p. 20 sq.
75. Ibid., p. 40-42 (Poème II, v. 71-105) ; voir commentaires p. 66-68.
76. J. D. Seymour, op. cit. (n. 2), p. 172.
77. R. J. Menner, « The Vasa Mortis passage in the old english Solomon and Saturn »,
in Studies in English Philology (Mélanges F. Klaeber), Minneapolis, 1929, p. 240-253.
Voir également, sur l’ensemble des textes, The poetical Dialogues of Solomon and Saturn,
5-0HQQHUpG1HZ<RUN0RGHUQ/DQJXDJH$VVRFLDWLRQ
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 87

aux dialogues de Salomon et Saturne, laquelle prend la forme, plus ou moins


explicite selon les textes que comporte ce cycle (constitué de deux poèmes
et de deux dialogues en prose) d’un débat entre sagesse chrétienne, repré-
sentée par Salomon, et magie païenne, incarnée par le chaldéen Saturne. Le
chaînon manquant pourrait être un midrash perdu ou la mystérieuse Contra-
dictio Salomonis du décret gélasien. On ne peut, faute de mieux, que subo-
dorer, à partir de ténus indices, une souterraine continuité entre la légende
RULHQWDOHHWOHF\FOHPpGLpYDODQJORVD[RQ SXLVJHUPDQLTXHHW¿QDOHPHQW
latin et roman puisque, au bas Moyen Âge, un autre protagoniste, Morolf
ou Marcolfus, prend le relais de Saturne comme interlocuteur, voire contra-
dicteur, de Salomon) : comme Asmodée, lié à la construction du Temple,
6DWXUQH HVW DVVRFLp j O¶pGL¿FDWLRQ G¶XQ JUDQGLRVH PRQXPHQW OD 7RXU GH
Babel)78SHXWrWUHSDUWDJHWLOELHQTXHOHWH[WHQHOHSUpFLVHSDVO¶LQ¿UPLWp
podologique du « diable boiteux », avatar manifeste du vieux démon juif,
comme invite à le croire la fréquente représentation, au Moyen Âge et à la
Renaissance, du dieu Saturne comme un vieillard mutilé, éventuellement
unijambiste79.
Les imperceptibles transitions qui ont permis le passage du couple
polémique Salomon-Asmodée au duo dialectique Salomon-Saturne (lui-
même redoublé par le binôme agonistique Salomon-Vasa Mortis) ont dû être
facilitées par la continuité d’une tradition de concours d’énigmes entre le
roi sage et un autre personnage (Hiram, reine de Saba, etc.)80, ainsi que par
la récurrente et contradictoire relation qui unit le peuple juif avec le dieu, le
jour, la planète, dont Saturne est le nom, pour le meilleur (le saint Sabbat)
et pour le pire (le sabbat des sorciers et autres mages éminemment « satur-
niens »)81. Le dialogue anglais transpose donc, en les dédoublant, l’image
et la geste d’Asmodée, dont les composantes sont projetées à la fois sur
le monstrueux oiseau Vasa MortisHWVXUOHSHUVRQQDJHGH6DWXUQH¿JXUHV

78. Salomon et Saturne, p. 38 sq. et, pour le commentaire, p. 60-62.


79. Voir F. Delpech, « D’Asmodée au diable boiteux... », art. cité (n. 7), p. 180 sq.,
D. N. Talbott, The Saturn myth1HZ<RUN'RXEOHGD\S ©7KHVLQJOHOHJª 
*%U\DQW©0RQWDLJQHHWOHVERLWHX[³jSURSRVRXKRUVGHSURSRV´"ªLQSymboles de
la Renaissance, t. II, Paris, ENS, 1982, p. 125-130 (p. 128 sq.). Par ailleurs, le Saturne du
GLDORJXHDQJODLVPDQLIHVWHXQHDI¿QLWpPDUTXpHDYHFO¶RLVHDX©DVPRGpHQªVasa Mortis au
sujet duquel il interroge Salomon car, dit-il, il « hante ma curiosité depuis cinquante hivers »
(trad. citée [n. 74], p. 40, v. 71-72).
80. R. J. Menner, « The Vasa Mortis... », art. cité (n. 77), p. 242 sq.
81. Voir M. Idel, Gli ebrei di Saturno. Shabbat, sabba et sabbatianesimo, trad. ital.,
)ORUHQFH*LXQWLQDHW(=DIUDQ©6DWXUQDQGWKH-HZVªJournal of the Warburg and
Courtauld Institutes 42, 1979, p. 16-27.
88 François DELPECH

complémentaires – l’un n’étant peut-être que l’alter ego de l’autre – d’une


même sphère démoniaque que Salomon doit affronter.
(Q TXRL FHWWH pWUDQJH ¿FWLRQ GRQW RQ D YX TX¶HOOH UDSSHOOH GDQV XQH
certaine mesure le mythe aquilonien des voyages de Salomon à Tadmur,
peut-elle se rattacher au dossier de notre Salomon « tempestaire » ? On
remarque que la légende orale basque qui intègre Salomon dans le cycle
de la Chasse sauvage procède en partie, notamment par son introduction,
du cycle médiéval des dialogues entre Salomon et Marcolfus (auquel elle
emprunte l’anecdote du chat et de la chandelle et le thème du concours de
¿QHVVHHQWUHOHURLHWXQLQWHUORFXWHXUPDOLQ 82, textes étroitement apparentés
aux dialogues de Salomon et Saturne83.
Cette curieuse continuité permet-elle de supposer que le motif de la
chasse aérienne de Salomon peut lui aussi procéder du corpus traditionnel –
que nous ne connaissons, semble-t-il, que fragmentairement – dont relève
tout cet ensemble de textes relatifs aux altercationes salomoniennes84 ?
Bien que dans le dialogue anglais il ne soit pas fait allusion à une
équipée aérienne de Salomon, l’analogie notée plus haut entre l’oiseau
monstrueux qu’il évoque et l’aigle géant transvecteur de la légende du
Zohar relative aux visites de Salomon à Tadmur, pays des tempêtes, induit
à supposer que le Vasa Mortis pourrait bien lui aussi être lié à ce genre de
phénomène atmosphérique.
Ce monstre me semble en effet résulter, comme plusieurs autres
éléments du dialogue anglo-saxon85, d’un syncrétisme de traditions
apocryphes d’origine juive et de réminiscences mythiques germanico-
scandinaves (elles-mêmes partiellement tributaires de sources orientales) :
au-delà de son apparentement asmodéen, le Vasa Mortis ressemble fort à un
avatar apocalyptique du Hrœsvelgr (dévoreur de cadavres) eddique, dont on
sait qu’il est un aigle géant, habitant de l’extrémité nord des cieux, et qu’il

82. Dans la légende basque, c’est entre Salomon et sa sœur que se déroule le dialogue
DJRQLVWLTXH  O¶pSLVRGH ¿QDO GH OD VRUWLH SUpFLSLWpH GH O¶pJOLVH HW GH OD FKDVVH DpULHQQH GH
Salomon apparaît comme l’accomplissement d’une prophétie énoncée par la sœur du roi, qui
prédit le châtiment eschatologique que lui vaudra son iniquité (« /RVGLDEORVGHOLQ¿HUQRVH
llevarán a mi hermano »). Sur le cycle de Salomon et Marcolfus, voir Solomon and Marcolf,
-0=LRONRZVNLpG&DPEULGJH/RQGUHV+DUYDUG8QLYHUVLW\3UHVV
 9RLU-GH&DOXZp'RU©4XLHVW+HQG\QJ"4XLHVW0DUFROI"ªLQSociété des
Anglicistes de l’Enseignement supérieur. Actes du Congrès d’Amiens, 1982, Paris, Didier,
1987, p. 17-26.
84. Jacob Grimm remarquait qu’au Danemark le leader de la Chasse sauvage est connu
sous le nom de « Markolfus le volant » (Teutonic Mythology, trad. angl., rééd., Gloucester
[Mass.], Peter Smith, 1976, 4 vol., t. III, p. 944).
85. Salomon et Saturne, trad. citée (n. 74), p. 58 sq., p. 62-64.
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 89

produit les vents et les tempêtes de la planète en battant des ailes86. On peut
se demander pourquoi l’oiseau du poème anglais porte comme nom propre
et au singulier le curieux pluriel latin Vasa Mortis, qui est emprunté à la
traduction d’un psaume (VII, 14) : ne serait-ce pas parce que ces « engins
GHPRUWªVRQWGLUHFWHPHQWDVVRFLpVGDQVOHSRqPHELEOLTXHjGHV©ÀqFKHV
transformées en brandons » (« VDJJHWDV VXDV DUGHQWLEXV HI¿FLW »), ce qui
pourrait avoir été interprété comme une image des éclairs et du pouvoir
incendiaire de la foudre87. On aurait affaire, dans cette hypothèse, à une sorte
de monstre météorologique, que Salomon a pour mission de contrôler.
Il est en tout cas très probable que le choix de cette étrange onomastique
a été surdéterminé par le mythe persistant de l’enfermement par Salomon
des démons rebelles dans des récipients (outres, vases, jarres ou cuves
métalliques) et par l’idée apocalyptique qui lui est fréquemment associée,
selon laquelle cette réclusion n’aura qu’un temps vu que, malgré la précau-
WLRQGXVRXYHUDLQOHVPDX[¿QLURQWWRXMRXUVSDUVHOLEpUHUHWVHUpSDQGUH
de par le monde. Enraciné dans un très vieux folklore juif relatif à l’inuti-
lité, voire la nocivité, des tentatives de neutralisation de la mort, lesquelles
s’avèrent toujours provisoires, car la mort est un indispensable régulateur
de la succession des générations, donc de la vie collective des hommes88,
ce mythe de l’expulsion du Mal, exploit emblématique de tout héros civili-
sateur, et prérogative de tout souverain cosmocratique, s’est enrichi, selon
les cas, de représentations liées aux pratiques magiques de GH¿[LR (par liage
et incarcération), et s’est chargé de connotations eschatologiques millénaristes
relatives au déchaînement temporaire et programmé des puissances néga-
WLYHVDYDQWOHXUUpVROXWLRQGp¿QLWLYHjOD¿QGHV7HPSV

86. J. Grimm, op. cit. (n. 84), t. II, p. 631-634. Sur cet oiseau mythique, voir R. Boyer,
« Hraesvelgr », in Foi, Raison, Verbe (Mélanges J. Ries), Luxembourg, Centre univ. du
/X[HPERXUJ  S  HW - +QH¿OO$GDOVWHLQVVRQ A piece of horse liver: myth,
ritual and folklore in Old Icelandic sources, Reykjavik, Iceland University Press 1998, p. 13-32
(« Hraesvelgr, the Wind-Giant, reinterpreted »). Cet oiseau mythique est mentionné dans
l’Edda poétique (Discours de Vajthrudnir, strophe 37) et dans l’Edda en prose (Gylfaginning,
chap. 18 : voir Snorri Sturluson, L’Edda. Récits de mythologie nordique, trad. F. X. Dillmann,
Paris, Gallimard, 1991, p. 51). On a vu que le Vasa Mortis HVW OXL DXVVL FRQ¿Qp GDQV XQH
région lointaine (v. 79 sq. et 100), qu’il bat des ailes (v. 91), que sa plainte « retentit jour et
QXLWjWUDYHUVWRXWO¶XQLYHUVª Y HWTX¶LOWHUUL¿HOHVJHQV Y F¶HVWFHUWDLQHPHQW
jFDXVHGHVRQpQRUPHSRXYRLUTX¶RQOHJDUGHVRLJQHXVHPHQWD¿QG¶HPSrFKHUTX¶LOQHWRPEH
entre les mains d’un peuple étranger (v. 81-86).
87. Salomon et Saturne, trad. citée (n. 74), p. 67 sq.
88. Voir I. Levi, op. cit. (n. 10), en particulier p. 142-145 et 157-163, et H. J. Uther,
op. cit. (n. 30), t. I, p. 219-224 (en particulier types ATU 330, « The Smith and the Devil »,
ATU 331, « The Spirit in the Bottle »).
90 François DELPECH

On sait que le cycle des démons embouteillés se déploie principalement


à partir du Testament de Salomon, des reportages des pèlerins occidentaux
à Jérusalem89 et des textes gnostiques égyptiens de Nag Hammadi90, puis
traverse tout le Moyen Âge des trois religions, pour se retrouver jusqu’à
l’époque moderne dans toute une série de textes littéraires, dans la tradi-
tion hagiographique (légende de sainte Marguerite), dans les grimoires
magiques salomoniens et dans les récits folkloriques91. Ce mythe n’est pas
particulièrement lié, dans ses origines et son principe, à une problématique
météorologique : ce sont toutes les forces mauvaises, considérées en général
ou prises individuellement, qui sont susceptibles d’être liées et/ou
enfermées dans un réduit et empêchées de nuire92. Cette réclusion se veut
Gp¿QLWLYH HW XQLYHUVHOOH  GDQV OD OLWWpUDWXUH DSRFDO\SWLTXH HOOH SUHQG OD
forme du verrouillage des abysses93, et lorsque, par accident ou suivant une
téléologie programmée94HOOHSUHQG¿QODOLEpUDWLRQPLOOpQDULVWHGHVIRUFHV

89. Voir B. Bagatti, « I Giudeo-Cristiani e l’anello di Salomone », Recherches de


Science religieuse 60, 1972, p. 151-160.
90. Voir Le Témoignage véritable (NH, IX, 3), in Bibliothèque copte de Nag
Hammadi 23, A. et J.-P. Mahé éd., Québec-Louvain-Paris, Presses de l’Université Laval et
Peeters, 1996, § 70, p. 141-143 (voir aussi commentaires p. 210-212).
91. F. Delpech, « D’Asmodée au Diable boiteux... », art. cité (n. 7), p. 167 sq. et
p. 173-176, P. Boulhol, loc. cit. Q S-:RRGURZ+DVVHOO-U©'HV3pULHU¶V
nouvelle XIII and the legend of St. Margaret », Renaissance Papers 1955, p. 1931. Voir
également F. Delpech, « Vélez de Guevara, El Diablo conjuelo et le conte folklorique », in El
cuento folclórico en la literatura y en la tradición oral, R. Beltrán et M. Haro éd., Universitat
de València, 2006, p. 111-150 (en particulier p. 121-125), et id., « En torno al Diablo cojuelo :
demonología y folklore », in El Diablo en la Edad moderna, M. Tausiet et J. Amelang éd.,
Madrid, M. Pons, 2004, p. 99-131 (en particulier p. 118 sq. et p. 126 sqq.).
92. Cf. la septième vision de Zacharie (Zacharie, V, 5-11) où l’esprit féminin de la
Malice est enfermé par l’ange dans un boisseau bouché avec un disque de plomb ; de même,
dans le Talmud de Babylone le chien de feu qui représente l’idolâtrie est reclus par les
juifs dans un vase de plomb : voir I. Levi, op. cit. (n. 10) et F. Poljakov, « The Jar and the
8QGHUZRUOGªUgarit-Forschungen 14, 1982, p. 309 sq.
93. Voir D. Sperber, « On sealing the Abysses », in Magic and Folklore in Rabbinic
Literature, Ramat Gan, Bar-Ilan University Press (Bar-Ilan Studies in Near-Eastern
Languages and culture), 1994, p. 47-54. Dans une rivâjat parsie du xVIe siècle, le principal
exploit de Jim (= Yima) consiste à verrouiller l’enfer et à y maintenir (provisoirement) enfermé
Ahriman : pendant la durée de cet enfermement personne ne meurt : voir A. Christensen,
op. cit. (n. 27), p. 65-71.
94. L’histoire de la libération des démons enfermés dans les sept jarres du Temple
par Salomon lors de la conquête par les Romains (qui ôtent les couvercles des jarres), telle
qu’elle est évoquée dans le Témoignage véritable de Nag Hammadi (voir supra, n. 90),
réinterprète dans un sens gnostique le mythe de la boîte de Pandore, dont l’un des recyclages
légendaires les plus répandus est le scénario topique de la diffusion d’une épidémie suite à
l’ouverture inopinée, souvent par un soldat (lors d’une invasion assortie de profanations de
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 91

mauvaises apparaît comme un provisoire retour au chaos, épisode néces-


VDLUHHWWHPSRUDLUHG¶XQVFpQDULRHVFKDWRORJLTXHGH¿QGHVWHPSV95.

IV. pour un salomon éolIen


Toutefois, à l’époque hellénistique et lors des premiers siècles de l’ère
chrétienne, période où s’est construite progressivement l’image de Salomon
comme roi magicien maître des démons, cet héritage sémitique a été
fortement contaminé par la typologie hermétique et néoplatonicienne,
principalement gréco-égyptienne, du sage charismatique, personnage
semi-légendaire et presque divin sur le compte duquel ont été reversées
d’anciennes fables migratoires, plus ou moins « chamaniques », où la
compétence pneumatologique et météorologique faisait souvent partie de la
panoplie des attributs magico-sapientiels.
Le sac dans lequel Salomon fait enfermer le démon du vent Éphippas
et les vases dans lesquels il incarcère les esprits mauvais ne sont en
effet guère éloignés des outres d’Éole, des sacs de peau d’âne avec lesquels
Empédocle capturait les vents (ce qui lui valut les surnoms d’Alexanémas
et de Kolysanémas)96, ou des deux jarres de pierre noire qu’Apollonios de
Tyane dit avoir vues en Inde, au moyen desquelles, en les ouvrant et en les
refermant selon les cas, les Indiens relâchent et/ou refoulent respectivement
le vent et la pluie en fonction de leurs besoins97. De semblables exploits
météorologiques ont été prêtés à Épiménide, Abaris, Pythagore, Sopatros
d’Apamée, etc., et les tempestaires des traditions folkloriques occidentales
sont parfois censés recourir au même genre de procédé98.

sanctuaires), du réceptacle talismanique (déposé dans un temple) où ont été magiquement


enfermés les germes de la maladie : voir C. A. Faraone, Talismans and Trojan Horses.
Guardian Statues in Ancient Greek Myth and Ritual, Oxford, Oxford University Press, 1992,
p. 63, et C. Bonner, « The Sibyl and Bottle imps », in Quantulacumque (Mélanges K. Lake),
Londres, 1956, p. 1-8. L’ouverture du récipient est souvent motivée par le soupçon qu’il
contient un trésor, ou par la simple et impérieuse curiosité. Voir M. Guarducci, « Il mito di
Pandora », Studi e Materiali di Storia delle Religioni 3, 1927, p. 14-30, E. Penglase, Greek
myths and Mesopotamia/RQGUHV1HZ<RUN5RXWOHGJHSHW&$)DUDRQH
op. cit. (n. 94), p. 101 sq. (cf. p. 87, n. 6).
95. Voir Apocalypse IX, 1-11 et XX, 1-3.
96. Diogène Laërce, Vies des philosophes illustres, VIII, 60.
97. Philostrate, Vie d’Appolonios de Tyane, III, 14.
98. Voir A. B. Cook, Zeus. A study in Ancient Religion, t. III-1, Cambridge, Cambridge
University Press, 1940, p. 103-112, D. Page, Folktales in Homer’s Odyssey, Cambridge
(Mass.), 1973, p. 73-78, A. Ballabriga, « Le mythe d’Éole et la météorologie des Lipari », in
La météorologie dans l’Antiquité entre science et croyance, Ch. Cusset éd., Saint-Étienne,
Université de Saint-Étienne, 2003, p. 151-158, C. A. Faraone, op. cit. (n. 94), p. 74 et p. 86
92 François DELPECH

Certes le projet eschatologique de Salomon – contenir la totalité des


PDX[HWLQVWDXUHUVXUODWHUUHXQkJHGp¿QLWLYHPHQWH[HPSWGHWULEXODWLRQV
assimilable à une Fin de l’Histoire – est différent de celui, plus pragma-
tique, des sages pneumatologues qui, en liant et déliant alternativement les
VRXIÀHVHQFKRLVLVVDQWFHOXLGHVYHQWVTX¶LOFRQYLHQWG¶XWLOLVHUjO¶H[FOXVLRQ
des autres, jouent sur un éventail de possibilités pratiques qui se mettent en
œuvre dans une temporalité évolutive et dialectique.
Les deux modèles tendent cependant à se croiser et occasionnellement
se confondent.
D’abord parce que, comme le prédisent à Salomon (dans le Testament)
les démons Asmodée et Enepsigo, la soumission des mauvais esprits au roi
n’est que temporaire : un jour viendra où le royaume sera divisé et où ils se
répandront parmi les hommes qui les adoreront comme des dieux ; le Temple
HW-pUXVDOHPVHURQWGpWUXLWVHWOHVYDVHVRLOVVRQWFRQ¿QpVVHURQWEULVpV99.
'¶DXWUHSDUWFHFRQ¿QHPHQWHVWLQFRPSOHWFHUWDLQVGpPRQV\pFKDSSHQW
comme Iblis et Sakhr dans les légendes musulmanes, statutairement pour le
premier, temporairement pour le second100. Si bien que s’instaure une diffé-
renciation entre les djinns qui ont fait une fois pour toutes leur soumission,
et qui n’ont donc pas besoin d’être incarcérés, et les démons rebelles qu’il
faut neutraliser, les premiers étant d’ailleurs mobilisés pour réaliser cette
salutaire opération101.
2QDpJDOHPHQWSXUHQGUHFRPSWHGHO¶pFKHF¿QDOGHODWHQWDWLYHVDORPR-
nienne d’imposer avant terme un totalitaire règne du Bien en imaginant par
exemple qu’au moment de l’enfermement global de tous les démons, l’un
d’entre eux n’était pas présent à l’appel et avait été oublié, ce qui lui permit
ensuite de libérer tous ses collègues. Ce schéma narratif du « Tous sauf
un » semble avoir été traditionnel puisqu’on le retrouve aussi bien dans un
apocryphe médiéval hispano-latin (la Virgilii Cordubensis Philosophia)102,

QHW56WU|PEHUJ©7KH$HROXVHSLVRGHDQG*UHHNZLQGPDJLFªActa Universitatis
Gotoburgensis 56, 1950, p. 71-84. Pour les « survivances » de ces pratiques et de ces légendes
dans les folklores modernes, voir supra, n. 10.
99. D. C. Duling, op. cit. (n. 11), p. 966 (Asmodée) et p. 975 (Enepsigo). Enepsigo ajoute
allusivement que les démons resteront libres jusqu’à l’avènement du Christ (interpolation
chrétienne ?).
100. J. D. Seymour, op. cit. (n. 2), p. 67, 133, 180. Voir Tabari, De Salomon à la chute
des Sassanides, rééd. de la trad. H. Zotenberg (t. II de Les prophètes et les rois), Paris,
Sindbad, 1980, p. 27.
101. C’est ce qu’explique Sakhr au pêcheur qui vient de le libérer en débouchant son
récipient dans le conte du pêcheur et du génie (voir supra, n. 17).
102. J’y reviens dans « Virgilio, Aristóteles, Salomón y otros sabios del montón.
Nigromancia y Arte notoria en la Filosofía de Virgilio Cordobés », in Cien años de Julio Caro
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 93

où c’est un diable boiteux DQRQ\PH TXH VRQ LQ¿UPLWp D HPSrFKp GH VH
présenter à temps à la convocation) qui extirpe les démons de la phiola
vitrea où les a enfermés Salomon, que dans le récit de Bonaventure
Des Périers qui reprend le mythe des vases salomoniens du Témoignage
Véritable de Nag Hammadi en l’associant à celui de Salomon alchimiste
(détenteur de la pierre philosophale, le roi juif enferme les démons dans
une cuve de cuivre qu’il fait enterrer, mais un diablotin, qui en se cachant
sous une motte de terre a échappé à cette réclusion, inspire à un roi le projet
de bâtir une ville à l’endroit où est ensevelie la cuve, laquelle est bientôt
découverte, puis ouverte...)103, ou encore dans un conte folklorique allemand
recueilli par les frères Grimm, où un soldat licencié à qui saint Pierre a
GRQQpXQVDFPDJLTXH\IDLWHQWUHUGHIRUFHQHXIGpPRQVTX¶LOFRQ¿HjXQ
forgeron pour marteler sur l’enclume le sac et son contenu jusqu’à ce que
mort s’ensuive, massacre auquel échappe toutefois l’un des neuf diables,
qui a réussi à se cacher dans un pli du sac, ce qui lui permet ensuite de
s’évader104.
Tous ces récits relèvent l’échec à terme de la stratégie eschatologique
salomonienne et constituent en quelque sorte le mythe de fondation d’une
magie opératoire plus modeste et ponctuelle prenant pragmatiquement
HQFRPSWHO¶LPSRVVLELOLWpG¶HQ¿QLUXQHIRLVSRXUWRXWHVDYHFOH0DOXQH
magie relativiste fondée sur des rituels répétitifs, étalés dans le temps,
TXL UHQRQFH j XQ EDQQLVVHPHQW Gp¿QLWLI GHV GpPRQV HW SUHQG OH SDUWL GH
les utiliser (tout en les tenant en respect) aux moments déterminés où, par

Baroja (Anejos de la Revista de Historiografía, no1), J. I. Ruiz Rodriguez et F. J. González éd.,


Madrid, Instituto de Historiografía Julio Caro Baroja, Univ. Carlos III, 2014, p. 99-137.
103. Voir supra, n. 90 et 94. Sur Salomon alchimiste, voir R. Patai, op. cit. (n. 64)
et Marcelin Berthelot, La chimie au Moyen-Âge, t. II, L’alchimie syriaque, Paris, 1893,
p. 264-266 (traité attribué à Zosime, livre XII, sur l’électrum), où est repris le mythe gnostique
des sept vases évoqué dans le Témoignage VéritableTXLVRQWLFLLGHQWL¿pVjVHSWERXWHLOOHV
talismaniques d’électrum fabriquées par Salomon sur l’ordre d’un ange en « suivant le
nombre des sept planètes, en se conformant aux prescriptions divines sur le travail de la
pierre (philosophale) ». Le récit de B. Des Périers constitue la treizième nouvelle de
ses Nouvelles récréations et joyeux devis (1558) : voir Conteurs français du ;9,࣠e siècle,
P. Jourda éd., Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1965, p. 397-401 (« Du Roy
6DORPRQTXL¿WODSLHUUHSKLORVRSKDOHHWODFDXVHSRXUTXR\OHVDOTXHPLVWHVQHYLHQQHQW
au-dessus de leurs intentions »).
104. Type ATU 330, « The Smith and the Devil », J. et W. Grimm, Les contes,
A. Guerne trad., Paris, Flammarion, 1967, p. 459-473 (no 81, « Frère Loustic »), p. 471. Voir
les remarques comparatives de W. A. Clouston, 3RSXODU WDOHV DQG ¿FWLRQV, t. I, Londres-
eGLPERXUJS ©7KHGHPRQHQFORVHGLQDERWWOHFRQWUDFWVZLWKWKH(YLO2QH
etc. »).
94 François DELPECH

des opérations conjuratoires appropriées et toujours provisoires, le jeu des


LQÀXHQFHVDVWUDOHVSHUPHWSRXUXQWHPSVOLPLWpG¶DYRLUHPSLUHVXUHX[HW
GH OHV IRUFHU j H[HUFHU OHXUV SRXYRLUV VSpFL¿TXHV DX VHUYLFH GX FRQMXUD-
teur. Après quoi il faut leur rendre leur liberté, pour pouvoir à nouveau
OHV FRQWUDLQGUH VL EHVRLQ HVW TXDQG UHYLHQGUD OD FRQ¿JXUDWLRQ FRVPLTXH
favorable pour ce faire.
La domination des esprits par la magie rituelle, moyennant formules,
incantations, pentacles et autres mises en scène, est donc toujours à recom-
mencer, comme les manipulations pneumatologiques des tempestaires qui
alternativement lient et délient, dévient et orientent les ouragans, mais ne
VDXUDLHQW EORTXHU OD SHUPDQHQWH FLUFXODWLRQ GHV VRXIÀHV TXL GX FLHO DX[
cavités du sous-sol, constitue la respiration même de la Terre105. Les rituels
magiques des grimoires salomoniens, comme on le voit notamment dans
l’Hygromanteia, déplacent et refondent, en l’alignant de même sur les va-
et-vient alternatifs des cycles de la vie cosmique, la maîtrise du Temps que
supposait l’utopique projet d’en arrêter le cours : l’hégémonie du magicien
QHSDVVHSOXVSDUO¶LPPRELOLVDWLRQGHVÀX[PDLVSDUO¶DGDSWDWLRQFRQVWDP-
ment réajustée de son action au système mobile des sympathies, des corres-
SRQGDQFHVHWGHVLQÀXHQFHVDXVHLQGXTXHOHOOHHVWDPHQpHjV¶H[HUFHUFH
TXLVXSSRVHXQVDYRLUVSpFL¿TXHHWXQHDWWHQWLRQDXPRLVDXMRXUjO¶KHXUH
à la conjonction planétaire qui lui permettront d’atteindre son but. Aussi les
grimoires salomoniens, donnés comme dépositaires de ce savoir, sont-ils
souvent farcis de très précises indications chronologiques concernant l’exé-
FXWLRQHI¿FDFHGHVULWXHOV106, alors même que, parallèlement, il leur arrive de
UDSSHOHUO¶pFKHFGHODWHQWDWLYHGXURLPDJLFLHQORUVTX¶LOYRXOXWFRQ¿QHUj
jamais les démons dans une cuve et les immerger dans un lac babylonien107.

105. Sur ce système de représentation, prédominant dans l’Antiquité, voir E. Guidoboni


et J.-P. Poirier, Quand la Terre tremblait, Paris, O. Jacob, 2004, p. 57-75.
106. Voir P. A. Torijano, op. cit. (n. 1), p. 92 sq. (à propos de La sagesse de Salomon),
166 sq. et 169 (Hygromanteia), 187-189 (Selenodromion), 202 sqq. (Sepher ha-Razim et
Hygromanteia) et p. 231-243 (traduction de la partie chronologique de l’Hygromanteia).
On remarque que, notamment dans le Sepher ha-Razim, la recherche du « bon moment »
pour réaliser telle ou telle opération en manœuvrant le démon qui lui correspond est liée à
une divination qui comporte une observation des phénomènes météorologiques (les « quatre
vents », les coups de tonnerre, les éclairs, etc.) : ibid., p. 202.
107. C’est le récit conclusif du répertoire des 72 démons (reproduit dans plusieurs
grimoires) racontant la récupération et l’ouverture de la cuve de bronze (où Salomon les
a enfermés) par les plongeurs babyloniens qui, croyant qu’il s’agissait d’un trésor, l’ont
ramenée à la surface : voir The Goetia. The Lesser Key of Solomon the King (Lemegeton,
book I, Clavicula Salomonis Regis), S. Liddell MacGregor Mathers trad., 2e éd., York Beach,
1997, p. 66, et Reginald Scot, The Discoverie of Witchcraft06XPPHUVpG1HZ<RUN
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 95

Une autre conséquence de cette récupération par la littérature ritualiste


salomonienne de l’imagerie apocalyptique des vases et des démons reclus
et de son recadrage pragmatique dans les grimoires se fait sentir dans le
tour particulier imprimé parfois à cette imagerie au moment de rendre
compte d’un changement de cycle historique. Ces mutations répétitives sont
souvent pensées en termes eschatologiques, chaque nouvel âge successif
apparaissant, au moment de son inauguration, comme la création d’un
nouveau monde, mais aussi comme le résultat de la libération de forces
ODWHQWHVTXLDYDLHQWpWpUpSULPpHVHWFRQ¿QpHVjO¶kJHSUpFpGHQW&¶HVWDLQVL
que plusieurs textes arabes et aljamiados font commencer la conquête
musulmane de l’Espagne par un épisode légendaire où le chef de l’armée
d’invasion, Mûsà ibn Nusayr, découvre inopinément dans l’Occident
extrême les pots immergés (dans la mer ou dans un lac) où Salomon a
fait enfermer les démons rebelles, dont certains s’échappent quand on les
débouche108. Les mêmes textes relatent la découverte, dans les mêmes
circonstances et dans la même zone, de la « Table de Salomon » et de la
fameuse « Ville d’airain », parfois dite fondée par Salomon. Parallèlement,
une chronique médiévale ibérique, probablement à partir d’une source arabe,
UDFRQWHTXHOHURLZLVLJRWKG¶(VSDJQHDpWpYDLQFXFDULODYDLWIRUFpj7ROqGH
l’entrée d’un palais interdit et ouvert les trois bouteilles talismaniques qui
s’y trouvaient, libérant ainsi les calamités qu’on y tenait magiquement
enfermées sous la forme d’objets symboliques, lesquelles ne tardèrent pas à
se concrétiser en donnant lieu à l’invasion musulmane109.

Dover, p. 220 sq. OLYUH;9FKDS RXYUDJHpGLWpHQ8QUpFLWDQDORJXH¿JXUHUDLW


dans le Vinculum spirituum (non vidi), selon W. Clouston, op. cit. (n. 104), p. 396. Ces
KLVWRLUHV VHPEOHQW FDOTXpHV VXU OH VFKpPD QDUUDWLI GH OD GpFRXYHUWH ¿QDOH GHV PDQXVFULWV
magiques cachés par Salomon sous son trône et par Roboam dans la tombe de son père (où
les inventeurs sont également des babyloniens). Sur les développements médiévaux de la
tradition des grimoires salomoniens, voir J. Véronèse, « La transmission groupée des textes
GHPDJLH³VDORPRQLHQQH´GHO¶$QWLTXLWpDX0R\HQÆJH%LODQKLVWRULRJUDSKLTXHLQFRQQXHV
et pistes de recherche », in L’Antiquité tardive dans les collections médiévales. Textes et
représentations, 9,࣠e-;,9࣠e siècle, S. Gioanni et B. Grévin éd., Rome, École française de Rome
(Coll. de l’École française de Rome, 405), 2008, p. 193-223.
108. Voir J. Hernández Juberías, La Península Imaginaria. Mitos y leyendas sobre
Al-Andalus, Madrid, C.S.I.C., 1996, p. 27, 29, 33-35, 39, 50, 43, 57. Cf. la légende qui
IDLWSUpFpGHUOD¿QGHV7HPSVSDUO¶RXYHUWXUHGHODEDUULqUHFRQVWUXLWHSDU$OH[DQGUHSRXU
contenir les peuples barbares de Gog et Magog.
 9RLU ) 'HOSHFK ©7DOLVPDQHV HQ7ROHGR  OD OH\HQGD PiJLFD GH OD ³3pUGLGD GH
España” », La Corónica 36/1, 2007, p. 97-128, et id. « Bouteilles magiques et talismans
territoriaux. Le Palais Enchanté de Tolède et l’imaginaire de la Conquête », in Contesti magici-
Contextos mágicos, M. Piranomonte et F. Marco Simón éd., Rome, De Luca-Soprintendenza
96 François DELPECH

/¶pFKHF GX SURMHW VDORPRQLHQ GH IRUFOXVLRQ Gp¿QLWLYH GHV IRUFHV


mauvaises et d’inauguration d’un éternel Temps sans Mal ouvre donc la
voie à une succession dialectique de phases temporelles alternatives, consti-
tutives d’une Histoire cyclique qui relativise en la démultipliant la séquence
HVFKDWRORJLTXH FRVPRJRQLH FRPPHQFHPHQW G¶XQH qUH ¿Q GHV 7HPSV
(période de mutation historique) et aligne les schémas apocalyptiques sur
les aléas et les va-et-vient de la vie des hommes et des sociétés.
La différence entre le roi-magicien, cosmocrator et démonologue, et le
WHPSHVWDLUH SQHXPDWRORJXH Q¶HVW GRQF ¿QDOHPHQW SDV DXVVL JUDQGH TX¶RQ
aurait pu le penser. L’alternance des ères historiques, accompagnée et sym-
bolisée par celle des stades d’incarcération et de libération des démons, fait
pFKRjODVXFFHVVLRQFRQWUDVWpHGHVSKDVHVPpWpRURORJLTXHVDSUqVOD¿QG’une
ère en commence une autre, de même que la pluie est remplacée par le beau
temps... D’où les échanges thématiques repérables entre les imaginaires
respectifs de ces deux formes de magie : le quotidien du tempestaire peut
se parer de couleurs apocalyptiques lorsqu’on se plait à rêver qu’un déchaî-
nement imprudent et excessif des vents pourrait faire revenir le monde au
Chaos originel110 ; symétriquement c’est par l’observation des quatre vents
et l’apprentissage du langage des foudres que l’on acquiert la domination
sur les démons et l’aptitude à contrôler le Temps, en obtenant de ces derniers
la connaissance de l’avenir111.
8QH[HPSOHSULYLOpJLpGHFHVJOLVVHPHQWVHQWUHOD¿JXUHGXURLPDJLFLHQ
démonologue et celle du tempestaire pneumatologue nous est fourni par le
faisceau d’analogies qu’on peut détecter entre le cas de Salomon et celui
d’Éole112. On a vu que dans l’histoire d’Éphippas les vases de Salomon sont
remplacés par une outre, et que le démon-vent qui y est enfermé, quoique
GDQJHUHX[SHXWrWUHXWLOLVpjGHV¿QVSUDJPDWLTXHV
Mais il est surtout remarquable que le motif caractéristique du « Tous
sauf un », dont on a observé la récurrence dans la geste démonologique
salomonienne113, est également central dans la fable éolienne de l’Odyssée
puisque, comme on sait, tous les vents ont été enfermés par Éole dans l’outre
qu’il remet à Ulysse, sauf celui qui, zéphyréen, peut le faire parvenir sans

per i Beni Archeologici di Roma, 2012, p. 335-347. Je reviendrai ailleurs sur la « Table de
Salomon » et la « Ville d’airain ».
110. Voir supra, n. 38.
111. Voir supra, n. 106.
112. Voir supra, n. 98.
113. Voir supra, n. 102-104.
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 97

danger à Ithaque114. De même donc que Salomon emprisonne les démons


rebelles et laisse en liberté ceux qui peuvent lui être utiles (notamment pour
FRQVWUXLUHOH7HPSOH eROHOLHHWGpOLHOHVVRXIÀHVHQIRQFWLRQGHVEHVRLQV,O
imite en cela Athéna qui endort tous les vents mais excite le seul Borée pour
sauver le naufragé Ulysse et le conduire jusqu’au rivage des Phéaciens115.
C’est le même prétexte, la croyance à l’existence d’un trésor, qui amène
les compagnons d’Ulysse à ouvrir l’outre éolienne, et les Romains (ou
les Babyloniens) à déboucher le récipient dans lequel Salomon a enfermé
les démons. On sait aussi que la combinaison de ce motif avec celui du
« Tous sauf un » se trouve également dans le mythe de Pandore, où la curiosité
remplace néanmoins la cupidité, alors même que s’y inversent à la fois
le principe d’exception (puisque, contrairement aux récits salomoniens
mentionnés plus haut, ce sont tous les maux – ou, selon les versions, tous les
biens – qui s’échappent de la boîte imprudemment ouverte, où seule l’espé-
rance reste recluse) et la disposition chronologique des évènements, vu que
ce n’est qu’après cette ouverture fatale que s’instaure cette opposition entre
destin collectif et exception individuelle116.
Des analogies secondaires entre cycle éolien et cycle salomonien sont
également perceptibles.
&¶HVWHQSUR¿WDQWGXsommeil d’Ulysse que ses compagnons ouvrent
l’outre et libèrent inopinément les vents qui vont l’éloigner d’Ithaque et le
UDPHQHUjVRQSRLQWGHGpSDUW&¶HVWpJDOHPHQWXQVRPPHLODUWL¿FLHOOHPHQW
prolongé (par une ruse de son épouse égyptienne idolâtre qui a tendu au-
GHVVXVGHVRQOLWXQHWDSLVVHULH¿JXUDQWODQXLWpWRLOpH 117 qui fait manquer
j6DORPRQO¶KHXUHGXVDFUL¿FHSUHPLqUHpWDSHGXSURFHVVXVGHGpFDGHQFH
spirituelle qui l’amènera à perdre temporairement son emprise sur les
démons.
2. Le nom d’« Hippotades » accolé par Homère à celui d’Éole suggère
XQHDI¿QLWpGHFHGHUQLHUDYHFOHVchevaux, voire avec Poséidon Hippios, ce
qui n’a rien de surprenant vu la fréquente association de ces animaux avec

114. Odyssée X, 12-55.


115. Odyssée V, 383 sq.
116. Sur les possibles racines mésopotamiennes du mythe de Pandora (qui, comme
Ishtar ou Inanna, est celle par qui les forces démoniaques du sous-sol peuvent accéder à
la surface et envahir l’espace des hommes), voir C. Penglase, op cit. (n. 94), p. 211, et C.
A. Faraone, op. cit. (n. 94), p. 100-102 et p. 111, n. 55. Voir supra n. 94.
117. Voir L. Ginzberg, op. cit. (n. 34), p. 93, E. Romero, op. cit. (n. 45), p. 421. On sait
que le sommeil est également fatal à Gilgamesh, à qui il fait perdre la plante d’immortalité.
On remarque que dans le cas de Salomon c’est le sens du Temps qui est ici altéré. Voir type
ATU 1337 C, « The Long Night », in H. J. Uther, op. cit. (n. 30), t. II, p. 138.
98 François DELPECH

les vents118. Quant à Salomon, on a vu que l’épisode le plus explicitement


« tempestaire » de sa geste le met aux prises, dans le Testament, avec le
démon Éphippas, qu’il fait enfermer dans un sac, et l’on sait par ailleurs
qu’il a, notamment dans sa légende arabe, une passion toute particulière
pour les chevaux et possède une écurie grandiose119.
3. Le royaume insulaire d’Éole est entouré par un mur de bronze et
VHPEOHSRXYRLUrWUHLGHQWL¿pjXQHVRUWHG¶DXGHOjXQH©vOHGHVkPHVª120.
Dans plusieurs textes arabes relatifs à la Conquête de l’Espagne la « Ville
d’airain » découverte par Mûsà, qui semble n’être peuplée que d’esprits, est
présentée comme une fondation de Salomon121.
4. Quant au double patronage des îles Lipari par Éole et Héphaïstos122,
qui traduit en termes mythiques la vieille croyance locale en une intime
corrélation entre le régime des vents et l’activité souterraine des volcans
(théorie à laquelle se réfère notamment Aristote)123, il fait curieusement
écho au duo Salomon-Asmodée : s’il est vrai que ce dernier est le pro-
totype du « diable boiteux », comme j’ai tenté de le démontrer ailleurs,
il est certainement à rapprocher, comme cela a été fait maintes fois pour
FHOXLFL G¶+pSKDwVWRV GRQW RQ VDLW TX¶LO HVW DIIHFWp GH OD PrPH LQ¿UPLWp
Asmodée partage en outre avec le dieu grec la double fonction de métallurge
et de constructeur puisque c’est par lui qu’est obtenu le fameux shamir qui,
remplaçant les outils de métal, permet, en tant que vecteur d’une irrésistible
et foudroyante force ignée, le découpage des pierres qui servent à construire

118. Voir A. B. Cook, op. cit. (n. 98), p. 109 sq. et 110, n. 2. Cf. le mythe lusitanien des
cavales engrossées par le vent. Pour une interprétation plus « historiciste », voir A. Ballabriga,
/HV¿FWLRQVG¶+RPqUH/¶LQYHQWLRQP\WKRORJLTXHHWFRVPRJUDSKLTXHGDQVO¶2G\VVpH, Paris,
P.U.F., 1998, p. 93-99.
119. R. Basset, op. cit. (n. 23), « Les chevaux ». Voir également Tabari, trad. citée
(n. 100), p. 32 : c’est son excessive passion pour les chevaux qui fait manquer à Salomon
O¶KHXUHGHODSULqUHFHTXLOHFRQGXLWHQJXLVHGHUHSHQWDQFHjOHVVDFUL¿HU2QUHPDUTXH
le parallélisme de cette légende avec celle de la « nuit prolongée » (cf. supra, n. 117). Sur
Salomon comme organisateur de courses hippiques (de type byzantin), voir L. Ginzberg, op.
cit. (n. 34), t. V, p. 116 sq.
120. A. B. Cook, op. cit. (n. 98), p. 109.
121. M. J. Rubiera, op. cit. (n. 44), p. 63, J. Hernández Juberías, op. cit. (n. 108),
p. 57 sq., J.-Ch. Ducène (trad.), De Grenade à Bagdad. La relation de voyage d’Abû Hâmid
al-Garnâtî (1080-1168), Paris, L’Harmattan, 2006, p. 43-45.
122. Voir M. Delcourt, Héphaïstos ou la légende du Magicien, Paris, Les Belles Lettres,
1982, p. 40 et p. 190 (une tradition locale place une forge d’Héphaïstos dans le volcan de l’île
de Hiéra [Volcano], où le dieu forgeron avait un temple).
123. Voir A. Ballabriga, « Le mythe d’Éole... », art. cité (n. 98), p. 154-156, et I. E. Buttitta,
« I venti del mito », Nuove Effemeridi 30, 1995, p. 25-38.
Salomon tempeStaire et leS démonS embouteilléS 99

le Temple124. Spécialiste actif et passif du fascinum, puisqu’il est à la fois


(notamment dans le livre de Tobie) un artiste de la possession démoniaque,
et lui-même, consécutivement, un démon lié, voire embouteillé, Asmodée
est donc apparenté au dieu forgeron (et dans une certaine mesure à Éole) que
caractérise précisément le pouvoir de lier et délier125.
Aussi n’est-il peut-être pas fortuit que, dans plusieurs des contes
folkloriques occidentaux qui font intervenir le personnage de Salomon,
ce dernier soit associé au métier de forgeron, qu’il exerce lui-même en
enfer aux dépens des démons126RXTX¶LODDSSULVGHVRQSqUHDGRSWLI௘127.
Affaires à suivre128...

François Delpech

124. Voir supra, n. 49-53. Sur Héphaïstos comme constructeur, voir M. Delcourt, op.
cit. (n. 122), p. 56 sq. Sur les forgerons boiteux dans les traditions mythiques et folkloriques
indo-européennes : ibidS ©/DPDJLFLHQLQ¿UPHª 
125. Ibid., p. 15-28 (« Le pouvoir des liens »).
126. ATU 803 (« The Devil in Chains », ou « Solomon binds the Devil in Chains in
Hell ») : H. J. Uther, op. cit. (n. 30), t. I, p. 447. Ce type se trouve en Europe septentrionale
et centre-orientale.
127. ATU 920 (« The Son of the King and the Son of the Smith ») : ibid., t. I, p. 540 sq.
128. Il y aurait lieu notamment de prolonger les observations que j’ai ébauchées
ailleurs (« Velez de Guevara... », art. cité [n. 91], p. 136 sq.) au sujet de la parenté – voire
de l’identité – d’Asmodée et du démon « Ben Thymélion » de la légende talmudique, lequel
n’est autre qu’une transformation rabbinique de saint Barthélemy (voir I. Lévi, « La légende
chrétienne de Bartholomée dans le Talmud », Revue des Études juives 8, 1884, p. 200-202),
en s’interrogeant sur les raisons qui ont amené ce saint à devenir le patron des îles Lipari,
donc à y devenir en quelque sorte le « successeur » chrétien d’Éole et d’Héphaïstos : voir
M. M. Maffei, « Il terremoto domato. San Bartolomeo a Lipari », Nuove Effemeridi 30, 1995,
p. 155-162 (on remarque que, comme les démons salomoniens, Barthélemy a été, dans les
versions orientales de son martyre, jeté à la mer enfermé dans un sac de cuir…).
Table des maTières

Avant-propos, par Pierre-Sylvain Filliozat ....................................... p. 7

Allocution d’accueil, par Michel zink ............................................. p. 17

Dominique Charpin et Nele Ziegler, « Les rois paléo-babyloniens,


maîtres du temps ? » ................................................................... p. 19

Victor Gysembergh, « Le temps chez Eudoxe de Cnide entre Grèce


et Mésopotamie » ........................................................................ p. 39

Jean-Marie DuranD, « Tempestas au Proche-Orient et les démons


des tempêtes » ............................................................................... p. 51

François Delpech, « Salomon tempestaire et les démons embou-


teillés : maîtrise magique des vents et stratégie eschatolo-
gique ».................................................................. ............... p. 65

Jean-Pierre mahé, « Les tapis à dragons et le mythe arménien de


l’orage » ...................................................................................... p. 101

Jean-Charles Ducène, « La météorologie chez les Arabes : entre


Aristote et les étoiles » ................................................................ p. 117

Jean-Louis Bacqué-grammont, « Bézoards, pierres à pluie et


météorologie dans quelques récits turcs » .................................. p. 131

Anna PonDopoulo, « Le temps dans les récits des pasteurs fulbé du


Sénégal » ..................................................................................... p. 149

Jean hauDry, « Les origines de la conception indienne des âges du


monde » ...................................................................................... p. 183

Pierre-Sylvain Filliozat, « Le temps des brâhmanes » ....................... p. 197

Vasundhara Kavali-Filliozat, « Les proverbes météorologiques en


NDQQDঌDª .................................................................................... p. 209
Manonmani restiF-Filliozat, « Le temps de la navigation des
Compagnies françaises des Indes orientales » ........................... p. 219

Dominic gooDall, « Des saisons dans la poésie sanskrite du


Cambodge » ................................................................................ p. 247

Gilles Delouche, « Espaces et temps utopiques dans le Samut-


thrakhot Kham Chan »................................................................ p. 261

Véronique alexanDre Journeau, « La Cinquième saison » .............. p. 277

Zhitang Drocourt et liao Min, « Le temps coule comme un long


ÀHXYH... Les valeurs temporelles des lexèmes spatiaux en chinois
ancien et moderne » .................................................................... p. 299

Yi zhai, « L’eau au printemps, la montagne en automne : quelques


motifs zoomorphes venus de la Chine du xe au xive siècle »..... p. 325

Jacques legranD, « Quand les cornes des vaches gèlent : les neuf
neuvaines de l’hiver mongol » .................................................... p. 351

Marie parmentier, « La rationalisation des phénomènes naturels


selon le confucéen japonais Nishikawa Joken (1648-1724) » ..... p. 367

Conclusions générales, par Pierre-Sylvain Filliozat .......................... p. 417

Liste des auteurs................................................................................. p. 421

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