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LE CHAMEAU EN ASIE CENTRALE: SON NOM –SON ELEVAGE –SA PLACE DANS LA

MYTHOLOGIE
Author(s): JEAN-PAUL ROUX
Source: Central Asiatic Journal, Vol. 5, No. 1 (1959), pp. 35-76
Published by: Harrassowitz Verlag
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41926467 .
Accessed: 16/10/2014 12:50

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LE CHAMEAU EN ASIE CENTRALE

SON NOM - SON ELEVAGE - SA PLACE


DANS LA MYTHOLOGIE

par
JEAN-PAUL ROUX

Paris

Malgré l'état encore rudimentaire de nos connaissancessur la religion


ancienne des peuples altaïques, ce n'est plus aujourd'hui s'avancer
beaucoup de dire que le culte animaliery tientune place importante,
sinon la première.Les rapportsmagico-religieux entrel'espèce animale
et l'espèce humaine sont fortnombreuxen Asie centraleancienne et
contemporaine.On peut les classer sous les rubriques suivantes: 1)
identificationde l'hommeet de l'animal par la magie,par le mimétisme,
par la transformation de l'une en l'autre espèce; 2) ascendanceanimale
de l'individu(roi) ou de la tribu; 3) protectiondu clan par un animal
guide,avertisseur;4) immolationde l'animaldans les sacrifices religieux.
Au cours de l'étude minutieusede ces divers aspects, nous avons
constatéque, dans la trèsrichezoologie sacrée,le chameau tenaitune
place extrêmement ténue.Nous trouvons-nouslà devantune lacune de
nos documents,due au hasard de ce qui nous est parvenuou, au con-
traire,devantun phénomèned'exclusiondontles raisonsnous échappent?
Il est sans doute prématuréde vouloir répondreà ces questions. La
présenteétudese limiteradonc à passeren revueles textesqui nous ont
été accessiblesen essayantde les expliqueret de voirdans quelle mesure
ils peuvent ouvrir une piste pour des recherchesultérieures.Notre
ambitionse limiteà situerun problème.A nous ou à d'autres,demain,de
le résoudre.

ZONE D'EXPANSIONDES CAMÉLIDÉS- LES FOSSILES


La zone d'expansiondu chameaucomprendaujourd'huitoutel'Asie, de
l'Iran aux confinsnord de la Chine. Certainsnaturalistesveulentvoir
dans ces régionsle berceau des camélidés.D'autres, moins audacieux,
se contententd'y signalerleurgrandeancienneté.Celle-ci,pour le moins,

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estcertaine.Les chameauxde l'époque historiquene sontque les restants


d'un groupe désigné souvent sous le nom de tylopodes,groupe qui
jouait un grandrôle à la findu tertiaireet au début du quaternaireen
Asie et dans l'Europe de l'est. Des fossilesontétéretrouvésde Roumanie
(datant du Pléistocène)jusqu'en Chine, en passant par la Russie et la
Sibérie(Pliocène et Pléistocène).L'espèce à l'état sauvage (cf. plus bas)
que l'on rencontreencore entrele Tarim et l'Altïn Dag, seraitvoisine
des fossilesdu camelusknoblochide Russie et du camelusalutensisde
Roumanie. (Une étude sur ces fossilesse trouvedans le livrede F. X.
Lesbre,Recherches anatomiquessurles camélidés , Lyon, 1900,p. 159 sq.).
à
Quant l'espèce domestiquée, c'est celle que nous connaissonsbien par
ses deux bosses,son alluremassive,la petitessede sesjambes et que nous
nommonsgénéralement "bactrienne"(camelusbactrianus).Cependantle
chameau à une bosse du procheOrient,dit "arabe" ou parfois"droma-
daire" - camelusdromedarius 1 - dès une
époque ancienne,ne doit pas
avoir été inconnuassez loin en Asie, si l'on en juge par la différence que
les Turcsmédiévauxfontentreles chameauxauxquelsils sontaccoutumés
( täbä) etceuxqu'ils disent"bossus" (ägritäbä). La présencede ces derniers
dans des régionsoù nous ne les trouvonsplus peuts'expliquerde diverses
manières.L'historienpensequ'ils ontpu avoirété importésoccasionelle-
ment,soitpar caravanes,soitplutôtà la suitedes conquêtesou des razzias.
La science naturelles'est demandé s'ils ne descendaientpas de ceux
d'Asie Centrale.Deux argumentsexistenten faveurde cettethèse: les
deux espèces se croisentfacilemententreelles; on n'a jamais eu con-
naissancede dromadairesà l'étatsauvage.Une raisonpeutla combattre :
les tylopodes ont été extrêmement répandus à traversle monde au
Pliocène (Europe, Asie, Afrique,Amérique) ainsi que l'attestentles
fossileset l'existencedes lamas américains.(On peut se reporterpour
l'anatomiedétailléedu chameauet pour les comparaisonsentreles bêtes
à une bosseet à deuxbossesà F. X. Lesbre,o.e.).2On doitau commandant
Cauvetunemonumentale étudesurles camélidés.Nous y renvoyonspour
tout ce qui n'est pas absolumentde notresujet. Il faudracependantse
1 Dromadaire répondà la racinegrecque = "course".Lesauteurs anciens ne
Spojxoç
connaissaient qu'unseulmot:chameau. Dromedarius nousvientdulatinde la déca-
denceetnes'applique qu'auxanimaux de course.C'estparunabusde langage que
nousavonsgénéralisé le terme.
2 Masûdï,predecesseur de Montesquieu surce point,étudiél influencedu climat
surla constitutionphysique des individus.Il poussesonraisonnement plusloinet
pensequelescaractéristiques duchameau turcdoiventêtreattribuéesau climat sous
lequelil vit.La descriptionqu'ilendonneà ce proposestbonne.Elleprouve entous
cas que les Arabessavaient s'interesser
auxcamélidés de leursvoisins (al Mas'ûdï,
LesPrairiesďOr,I, p. 337dela trad,deBarbier de Meynard etPavetde Courteille).

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méfier,en la consultant,des diversnoms donnéspar cet auteurcomme


étantceux portéspar cet animal en Asie centrale,p. 52 et suivantesdu
vol. I (Cauvet, Le chameau, 2 vols., Paris, 1925-1926).

LE NOM DU CHAMEAUEN TURC ET EN MONGOL


Karl Mengesa déjà donnéune étudefortcomplètedu nomdu chameau
en turc dans le volume XV, année 1936, des UngarischeJahrbücher
(pp. 517-528). Nous ne feronsdonc que rappelerbrièvementdes faits
linguistiques,complétantpeut-êtresur certainspoints cet important
travail,en particulierpar des incursionsdans le mongol (cf. dans le
travailde Menges surtoutle paragrapheintitulé"Die terminifürdas
Kamel und seineHybridenbei den Qazaq", pp. 525 sq.).
L'anciennetégéographiqueque nous venonsd'invoquer,faitnaturelle-
mentapparaîtrele nom du chameaudans les plus ancienstextesturcsque
nous possédons. A vrai dire, nous ne le trouvonspas sur les diverses
inscriptions de l'Iénissei(attribuéesaux Kirghiz,nous en possédonsune
quarantainede diversesépoques; elles sontdifficiles à datermais doivent
toutesapparteniraux Vile et Ville siècles). Cette absence ne doit pas
tropnous surprendre puisque l'on sait que ces textessontgravéssur des
stèlesfunéraires et,de surcroît,peu richesen vocabulaireanimalier.Mais
nous le lisons sur la pierresans doute aussi anciennede Begre(Hüseyin
Namik Orkun,Eski Türk Yazïtlarï, istanbul,1936-1941,III, pp. 69-76)
sous la formeägritäbä (chameaubossu = chameauà une bosse) et dans
l'inscriptionde Ton Yuquq (épitaphe d'un chef d'armée T'ou-kiue =
turque,trouvéeà proximitéde la Tola, affluent de l'Orkhonen Mongolie
et datée de 725; H. N. Orkun,Eski Türk Yazïtlarï, I, p. 116,qui n'a pas
mieuxcomprisque ses devanciersW. Radlov, W. Thomsen,Ramstedt
dont les interprétations sont fortfantaisistes;R. Giraud est,je crois,le
premierà avoirvu qu'il ne s'agissaitpas de ägir-itäbi = nichede chiens
ägir!). Le motägrine peutêtrecomprisautrement que nous ne le faisons;
il est donné par Kâsgarï (Divanü Lûgat-itTürk, Besim Atalay,T.D.K.,
3 vol., + 1 vol. d'index + 1 vol. de facsimilé,Ankara, 1940-1941,I,
p. 127) qui écrityâkrïet ajoute un exemplequi se rapportejustementau
chameau.
Dès lors le mot ne disparaîtplus. Nous le trouvonsdans le manuscrit
d'Irk Bitig(Xème siècle,en caractèrerunique;régionde Touen-houang,
à la lisièredu Turkestanchinois; H. N. Orkun,Eski Türkyazïtlarï , II,
p. 69-93) avec son féminininigänet, à côté,deux autresmots,le premier
buyra (Irk Bitig, § XX) désignanthabituellementun chameau mâle
qualifié ici par notre second mot titir , qui désigne au contraireun

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chameau femelle(Kášgarí, Divanü Lûgat-itTürk, I, p. 136; III, p. 291).


Nous allons revenird'ailleursplus bas sur cetteexpression.Disons tout
de suiteque le texted'Irk Bitigdonnanttroisanecdotesoù le chameau
joue un rôle est une de nos sourcesles plus importantesau sujet de la
mythologiede cet animal. Malheureusementil nous est très difficile
d'attribueravec une granderigueurce manuscrità un milieu culturel
défini.Thomsen a déjà fait remarquer,il y a longtemps,que les in-
nombrablesdétailsrelatifsà la vie des Turcs excluaitqu'il soit traduit
d'une autrelangue(Thomsen,"Dr M. A. Stein'smanuscripts in Turkish
runic scriptfromMiran and Tun-huang",JRAS ,1912, pp. 181-227).
Cependantil vientd'une régionsoumiseaux influences les plus diverses
et a été écritdans un monastèremanichéen.C'est donc, jusqu'à plus
ample information, avec les réservesnécessairesque nous le mettronsau
dossierde la religionprimitive des Altaïques.
En Ouigour,le nom du chameau se trouvesous les formestäwä, täbä
(A. von Gabaiii, Alttürkische Grammatik , Leipzig, 1941,p. 340).
Le passage de B à V est enregistrépar le Dictionnairede Kâsgarl
(Xlème siècle).C'est un phénomènelinguistiquenormal.Normauxaussi
l'alternanceT/Detl'iodisationdu E que cetauteursignale.Nous trouvons
ainsi dans le DivanüLûgat-it-Tûrk les formesDivanü, teve,tevey , tewey,
tevi, tivi,dewey,dewe.Cettedernièreestattribuéepar Kãsgariaux Oguz et
a été conservéepar les Ottomanset le turcmoderne.C'est elle aussi que
nous rencontrons, avec quelques variantes,dans les différentes langues
turquesjusqu'à nos jours.
Nous trouvonsdeve en osmanli3(Barbierde Meynard,Dictionnaire
turc-français, Paris, 1886, I, p. 771), en tatar de Crimée et en azeri
(Radlov, Wörterbuch , St. Petersburg, 1905,III, p. 1692); teveen djaghatai
(Radlov, ibid., III, p. 1127), töve en tchouvache(Vambéry,Etymolo-
gischesWörterbuch derTurko-TatarischenSprache, Leipzig,1878,p. 180)
et en coman (formenotéetöväpar K. Menges,"Die WörterfürKamel",
o.e., p. 518), tebäen koibal,sagaï et katschin(Radlov, III, p. 1188),täbä
en soyon(Radlov, III, p. 1118).Notonscependantdes formesprésentant
uneassezforteusurephonétique,l'uneenkirghiz, tüö(Radlov,III, p. 1528),
notéeaussi tüjöpar Ramstedt{Kalmückisches Wörterbuch , Helsinki,1935,
p. 391), l'autre en altaïen,téléouteet lebed, tö (Radlov, III, p. 1241),
notéeavec une longuetöö par Vambéry{Wörterbuch, p. 180). Cependant
le kirghiza une formebeaucoup plus conservatrice dans laquelle nous
voyonsun empruntrécentau mongol:tebägän(Radlov, III, p. 1118),que
l'on retrouved'ailleursavec YN quiescenten sagai: täbägä(Radlov, idem).
3 Et aussibozdeve , cendré; "il estnu",disentlesTurcs(cf.P. Arcère,1.1,p. 300).

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Le mongol dit en effettämägän/tämägä(Kowalewski, Dictionnaire


mongol-russe-français , Kazan, 1844-1849, III, p. 1726; Gr0nbech et
Krueger, An introduction to classical {literary)mongolian, Wiesbaden,
1955; Bleichsteiner, Heissig, Unkrig,Wörterbuch der heutigenmongoli-
schenSprache, Wien-Peking,1941,p. 93). Ce tämägändoit remonterà
un ancienaltaïquecommuntäbä et peut-être mêmetäbäi,qui expliquerait
les formesavec un I finalque nous trouvons,entreautres,dans KâSgarï.
L'usure phonétiqueest plus marquée en mongol qu'en turc,ainsi que
nous le prouventles formesťimiendu monguor(De Smedtet Mostaert,
Le dialectemonguor parlépar les Mongolsdu Kansou occidental , Illème
partie, Dictionnaire monguor-/ rançais, Pei-p'ing, 1933, p. 420) et en
ťeme{n) de l'ordos (Mostaert,Textesoraux ordos, Pékin, 1937,p. 743)
et du khalkha (Poppe, Khalkha- MongolischeGrammatik , Wiesbaden,
1951,p. 184), temendu kalmuk(Ramstedt,KalmukischesWörterbuch ,
p. 390).
A côté de ce mot, qui est le plus répandu,il en existed'autrespour
désigner,non plusl'espèce,maisle sexeou l'âge. La chamelleestgénérale-
ment dite inigän {ingän). Elle est ainsi nommée dans Irk Bitig V
(H. N. Orkun, o.e., II, p. 74), dans Kâsgarï (Kâsgarï, o.e., I, p. 120
et 289), en ouigour, en djaghataï et en kirghiz(écrit avec un i long
yïngàn)(Radlov, Wörterbuch , I, p. 1445), en turc oriental(Pavet de
Courteille,Dictionnaire , p. 141), en mongol classique (Kowalewski,
Dictionnaire, I, p. 280), en kalmukavec redoublementde la gutturale
et chutedu n final (Ramstedt,p. 209). Le turc de Turquie a perdu
ce termeaujourd'hui. A côté des mots plus particuliersil emploiele
trèsusuel disi = "femelle"{disi deve). A l'autre extrémitéde l'Asie,
par contre,le yakoute la connaît sous l'appellation ancienne (cf. le
dictionnairede Yudahin, traductionturque: Kïrgïz sözlügü, Ankara,
"
1945,qui donne ingen- disi deve"). Le renseignement de Yudahin est
d'autantplus précieuxque le dictionnairede Böhtlingkne donne même
pas le nom génériquequi doit être d'un emploi rare, les Yakoutes
habitantdes régionstropseptentrionales pourl'acclimationdes camélidés
(Böhtlingk,Jakutisch-Deutsches Wörterbuch , St. Petersburg,1851, cf.
cependantH. Anger,Nordasien , A: Sibirien{= Handbuchd. geogr. Wiss.,
V), Potsdam, 1937,p. 195, le chameau comme bête de sommechez les
Yakoutes,essai d'une acclimation).Mais Böhtlingkconnaîtun taba qui
sertà désignerle renneet dans lequel nous sommestentéde voir notre
vieuxmot altaïque täbä, le changementde classe vocalique n'étantpas
raredans ce dialecte.Nous en avons donné un exemplerécemment avec
le mot tängri{tängäri/tängärä) devenuen Yakoute tañara(J. P. Roux,

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"Tängri,Essai surle Ciel-Dieudes peuplesaltaïques",Revuede VHistoire


des Religions , CXLIX, 1956,p. 56).
Quant à titir que nous avons déjà glosé ci dessus "chamelle",c'est un
mot qui demeuralongtempsinconnudes turcologues.Sa plus ancienne
attestationremonteà l'Irk Bitigqui l'emploiesimultanément avec le mot
buyra(cf. plus haut et plus bas). Radlov le rencontra deux fois dans le
KutadguBilig et ne sut pas quoi en faire.Il essaya tout d'abord de le
ramenerà täbä, puis il demeuradans le vague (W. Radlov, Das Kudatku
Bilig, St. Petersburg,1910, p. 206 et 451). Quant à Thomsen,dans sa
traductionanglaisede l'Irk Bitig,il avait cru plus prudentde ne pas le
traduiretout en se référanten note au dictionnairede Houtsma (Th.
Houtsma, Ein türkisch-arabisches Glossar,Leiden, 1894, p. 66) qui le
premier,à notre connaissancel'avait identifiéet compris: "arabische
kameelstuten". Il avait émisl'hypothèsequ'il pouvaits'agird'un hybride
entreun mâle bactrienet une femellearabe (V. Thomsen,"Dr M. A.
Stein'sManuscriptsin turkishRunnicscriptfromMiranand Tun-huang",
Journalof theRoyal AsiaticSociety, 1912,p. 212). Comme ces hybrides
ont la réputationd'avoir une complexionparticulière,comme il était
vraisemblablequ'il y avait un nom pour les nommeret comme,enfin,
dans une des deux citationsdu Kutadgu Bilig,titirest, ainsi que dans
l'Irk Bitig, accolé au mot buyra, l'argumentationde Thomsen avait
quelque valeur.Le sens de ce mot mystérieux est donné laconiquement
par Kâsgarï, une fois sans citation,une autreavec l'appui d'une phrase
qui ne nous apprendrien.Il dit seulement"chameau femelle"(Kâsgarï,
o.e., I, p. 361, III, p. 291).4
Si l'on s'en tient à l'explicationde l'excellentconnaisseurqu'était
Mahmüd Kâsgarï, titirbuyrareprésentent exactement:"chameau-mâle,
chameau-femelle". Il est exclu qu'il s'agisse d'un couple, puisque nous
avons: titirbuyramän = "je suis le?". Nous avons pensé qu'il pouvait
êtrequestiond'un hermaphrodite. Rien cependantne nous permettait de
croireque notreexplicationavait plus de chancesd'êtrevraie que celle
de Thomsenpar exemplelorsquenous avons interrogé les ethnographes.
Dans une étuderécente,Mme Lot-Falckmeten reliefle mode de pensée
androgynedu chamancontemporain:"Seul complet,seul parfait,l'être
biséxuéréunit,réconcilieles principesmasculinset féminins, solutionne
l'éternelconflitet l'expériencepersonnelledu chaman est un effortvers
cettefusion."("A propos d'Ätügän,déesse mongolede la terre",Revue
4 K. Mengesà proposde ce motrenvoie
seulement
à Thomsen,J.R.A.S.,1912et
rappellequ'enturcmodernecetteforme
a disparu.("Die Wörter
für'Kamer",
o.e.,p. 524).

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de VHistoiredes Religions , CXLIX, 1956,p. 194). Elle donne(p. 194-196)


de nombreuxexemplesd'hermaphrodisme ou toutau moinsd'incertitude
quant à la détermination du sexe. Etant donné l'extrêmeconservatisme
de l'Asie Centralenos dernièreshésitationsétaientlevées: il s'agissait
bien pour titirbuyrad'un hermaphrodite.
Le mot maya/mäyä est employéaussi d'une façontrèscourantepour
désigner la chamelle. C'est le persanmâyâ(?) passé en kirghizet de là en
turco-mongolsous les formesmaja, mai, mä (G. J. Ramstedt,Kalm.
Wort ., p. 259). Il se pourraitici encorequ'il soit questiond'un hybride.
Dans une lettrede H. Pognon datée d'Alep (8 janvier 1899) on lit: "le
chameau à deux bosses et la chamelleà une bosse donnentnaissanceà
un. . . hybridenomméen Syriegamaial-mãyah,(chameaude Mãyeh)qui,
en raison de ses qualités est très recherché... Mãyeh est le nom d'un
canton de la régionde Césarée où l'on produitune grande quantité
de ces hybrides:de là leur nom... Le Mãyeh n'a qu'une bosse mais est
plusgrandet plusfort( . . . que le chameauarabe normal)... il ne supporte
pas la chaleur5...le chameau mãyehest absolumentinfécondcommele
mulet"(citédans F. X. Lesbre,Recherches anatomiquessurles camélidés ,
Lyon, 1900,p. 138). Signalons à ce propos que les possibilitésde croise-
mentdes espècescamelinesont passionnéles naturalistesmais qu'ils ne
semblentpas encoreavoir mis parfaitement au clair la question.
Le dictionnaire arabe-français d'A. Barthélemy, Paris,1935-1954,sous
le motdjamal(p. 121)donnedjmëlelmãyecommeunevariétéde chameaux
infécondsde la régiond'Angora (appellés par Yâqût bahtï). Le même
ouvrage(p. 13). Sous la racine7maymontreclairementqu'il y a eu con-
fusionentreelmalï = mantagneaux pommes(turc)et maye(persan)et
entrela premièresyllabedu mot turcet l'articlearabe el.
L'information donnéepar H. Pognon a ses chancesd'êtrejuste. Si, en
effet,nos principauxdictionnairesne rentrent pas dans ces détailset se
contententde donner le mot mäya/mäyä(cf. Pavet de Courteille,
Dictionnaire , p. 497 qui n'indique d'ailleurs pas la prononciation;
W. Radlov, Wort ., IV, p. 2012 et 2085,qui donne,pour le djaghataïet le
Turkmen,et les voyellesantérieures et les voyellespostérieures), Barbier
de Meynard( Dictionnaire , II, 770), répétantle PèreArcère,meten paral-
lèle ce féminin(produitéventuellement hybride-femelle d'un croisement)
avec un masculinbesereklui aussi peut-êtrehybridepuisqu'ily voitavec
raison"le chameauvelu,à poils longset à jambes roides.. . qui porteune
plus grosse charge que les autres" tandis que, I, 300, le même mot
8 Différence physiologique curieuse entre leschameaux bactrienset arabes:les uns
sontréputés nepaspouvoir supporter la chaleuretlesautresle froid.

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vocalisé bisriket écritb.s.rïk, il le glose: "le chameaude coursené d'une


chamelleblancheet d'un chameau à longspoils". Ce derniersens est le
bon, et Radlov l'avait bien vu autantpour l'osmanlibeserïkque pour le
djaghatai biserikquand il traduit:"ein Laufkamel" (IV, p. 1783) de
mêmeque Pavet de Courteille,plus imprécis,"chameau de race métiset
vigoureux"( Dictionnaire , p. 186). C'est encorele persanbïsarâkvocalisé
par Desmaisons {Dictionnairepersan-français , I, Rome 1908, p. 352)
bîsourâket bîserâk,signifiant: 1) un chameaujeune et fort,2) un chameau
de un à deux ans, 3) un chameau provenantd'une mère arabe et d'un
père à deux bosses.
Quant au mot buyraque nous avons signalédans Irk BitigXX, il doit
remonterà un buyuraattestépar le mongol(Kowalewski,II, p. 1166) et
qui rend comptedes diversesformesconservées:bogra dans Kâsgarï
(I, 187, 420, 443, 521, etc ), boyur(Radlov, IV, p. 1651) ou boyry
(Ramstedt,p. 65) en djaghatai,buyuren osmanli(Radlov, IV, p. 1806;
Pavet de Courteille,p. 172,etc ), buwraen Kirghiz(Ramstedt,p. 65),
buraen khalkha(Poppe, p. 169) et en kalmuk(Ramstedt,p. 65). Si l'on
en croitcertainsauteurs,il désigneraitle camelusbactrianus . Radlov le
trouveavec ce sensen djaghatai(IV, p. 1651),et Pavetde Courteilledans
son dictionnaire turcorientaltraduit:"chameauà deux bosses" (p. 172).
Barbier de Meynard (I, 338) doit faire une erreurquand il traduit:
"dromadaire"d'autantplus qu'il cite par ailleurs(I, 771) l'avis contra-
dictoiredu Père Arcère:"le chameauà double bosse dit bouhöürdeve...
a deux bosses sur le dos ce qui lui faitdonneraussi le nom de tchatal
eurguge,bosse fourchue;il està longpoil commeceluiqu'on nommevelu
mais il ne porte pas la charge de même". Cependantle sens le plus
fréquemment donnépar nos lexiquesestceluid'étalon.Kâsgarïl'emploie
pour le mâle de tousles animauxet en particulier pourceluidu chameau.
C'est ce que retientMlle Von Gabain qui dit: "kamel hengst"( Altt.
Gram.,p. 340). A l'époque moderne,Radlov trouvecettemêmeacception
en osmanli (Radlov, IV, p. 1806). C'est celle du mongol classique
(Kowalewski, II, p. 1166), du khalkha (Poppe, 169), et du kalmuk
(Ramstedt,65).
Citons encoredans ce richevocabulaire;botugun/botugan qui désigne
le chamelon,vocaliséen mongolclassiquebotoyan/bodoyan (Kowalewski,
II, 1181), en khalkhabotogon(n), en kalmuk(Poppe, o.e., 168),botoyan/
botxan(Ramstedt,53), devenu,chez Kâsgarï, botu, botuk(I, 120; III,
218) botum , en djaghatai (Pavet de Courteille,162) bota en kirghiz
(Ramstedt,53), etc., et torum(turc commun)attestédans Kâsgarï (I,
396) et que l'on trouvesous les formestor, torai,torm(cf. Ramstedt,402)

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pour désignerégalementle chamelon,ou, mieux,le jeune chameau de 1


à 3 ans selon le P. Arcèrequi vocalise durum
.6

LE PRÉTENDUINTERDIT LINGUISTIQUE

La brève étude à laquelle nous venons de nous livrer,permetde voir


qu'aucun interditlinguistiquen'a pesé surle chameau.Pendantdouze ou
treizesièclesau moins,le nom principal( täbä) et les noms accessoires
, buyura
( inigän , etc.) des camélidésse sont conservés.Or l'ethnographie
nous apprend que l'interditest très puissant chez les peuples d'Asie
centraleet orientale.E. Lot-Falcka beaucoup insistésurcet aspectdans
son ouvrageLes Ritesde Chasse chez les Peuplessibériens(Paris, 1953):
"Les animaux comprennentle langage humain et le nom de l'animal
prononcé par un homme, si éloigné que soit ce dernier,parviendra
jusqu'à lui" (Lot-Falck, 103). Elle donnede nombreuxexemplesd'inter-
dits de langagependantla chasse (cf.,ibid.,109, sq.) et en dehors(1 10-
116). Nous serionspourtantenclinsà penserque ces tabous, dans leur
grandemajorité,sontnéanmoinsétrangersaux peuplesaltaïquesou tout
au moins qu'ils sont chez eux de développement récent.Certeson n'est
pas sans en ignorerquelques exemplesà l'époque ancienne.Nous avons
déjà parléde celui qui frappele nom du loup börichez les Oguz, et qui le
faitdevenirkurt= "ver, vermine",mais nous en avons peut-êtretiré
des conclusionsexcessivesou prématurées (cf.J.P. Roux, "Tängri,Essai
sur le Ciel-Dieu des Peuples altaïques", Rev. Hist. Rei., CL, p. 173).
On pourraitaussi avancer l'exemple apporté par mal qui veut dire
"richesses" et plus particulièrement "bétail". Peut-êtreest-il venu à
prendrece derniersens par emploi d'un mot vague à la place du mot
précisqui servaitprimitivement à désignerl'ensembledu troupeau?7Ces
quelques cas ne sauraientsoutenirune comparaisonavec ceux, innom-
brables,qui attestent la conservationconstantedu vocabulaireanimalier.
à
Citons, l'appui de notre thèse,parmitantd'autres:

"cheval" = at (Orkhon,Käsgarl,ottoman);
"mouton" = kon (Orkhon),koy(Kâsgarî), koyun(osmanli);
"vache" = ingek(Orkhon)(Käsgarl), inek(osmanli);
"ours" = adïg (Irk Bitig),ayïg(Kâsgarî), ayï (osmanli);
"cerf" = kiyik(Irk Bitig),keyik(Kâsgarî),geyik(osmanli);

7 Maisle motmalestarabece quirendla chosepeuprobable.


8 Cf.ce quiditle P. Arcèreau sujetduchameau
danssonDictionnaire
turcmss.de
la B.N. (Paris)feuillets
300à 304.

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JEAN-PAUL

"sanglier" = tonguz (Irk Bitig), tonguz (Kãsgarl), yaban domuz


(osmanli) (le mot domuz, en osmanli,signifiele cochon;
yabandomuz, c'est m. à m. le cochon sauvage);
"tigre" = bars (Irk Bitig, Kâsgarï), pars (osmanli) avec le sens
"panthère");
"faucon" = togan(Irk Bitig),dogan(osmanli):
"serpent" = yïlan(Irk Bitig,Kâsgarï,osmanli),etc

Si un tabouprovisoirea touchéces noms,il n'a jamais étéassezpuissant


ni d'assez longueduréepour les fairetomberdans l'oubli. Remarquons
qu'il s'agit là de bêtes trèscouranteset qui, pour la plupart,sont des
personnagesmythologiquesou sacrés. On ne peut donc rien conclure,
quant au chameauet à son rôle dans la sociététurco-mongole, de ce que
son nom ait traverséles siècleset les contrées.

PLACE DU CHAMEAUDANS L'ÉCONOMIE


DE L'ASIE CENTRALE

Quelle est la place du chameau dans l'économiedes nomades de l'Asie


centrale?On ne peut,pour s'en faireune idée,faireappel aux statistiques
actuelles. Les conditionsde vie ont beaucoup trop changé depuis ces
dernièresdécennieset,plus encoreque le cheval,le chameaua été touché
par les progrèsde la mécanisationde la forcemotrice.L'exemplede la
Turquieest sur ce pointsignificatif. Les grandescaravanesqui se dirige-
aient versl'Asie centraleet l'Iran faisaient,par exemple,d'Erzurumun
des grandscentresde ralliementdes chameliers.Aujourd'hui,elles sont
interrompues et les 108.000têtesdénombréesen 1952par les statistiques
de la Républiquene se trouvent plus que dans la moitiésud de l'Anatolie.
En U.R.S.S. et en Chine,les cheminsde feret les camionsremplacent de
ne
plus en plus les caravanesantiques.D'autre part,nous possédonspas
de recensement du chepteldes steppesdans l'antiquitéet le moyenâge.
Nous sommesdonc forcésde nous en tenirà des approximations obtenues
par diverses sources anciennes.
Deux sortesde documentspeuventtoutd'abord nous servir:ceux qui
détaillentles cadeaux apportésaux coursétrangères parles ambassadeurs,
ou ceux qui fixentle paiementdes amendes:
"Celui qui a tortest puni d'une amendeen boeufsou en moutonsqui
se comptentpar milliersou en chameauxqui se comptentpar centaines",
nous apprendle Pei Lou fongsou (Serruys, Pei Loufongsou, les coutumes
des esclaves septentrionaux , de Siao Ta heng, MonumentaSerica, X,
p. 134).

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LE CHAMEAU
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"A la neuvièmelune de la troisièmeannée t'ien fou, l'ambassadeur


Li Wan Kin [des Ouigours] offritcent chevaux et douze chameaux"
(Hamilton, Les Ouïghoursà Tépoque des Cinq Dynastiesďaprés les
documents chinois, Paris, 1955,p. 82, note). Cette proportionest à peu
prèsla mêmequand le roi des Ouigoursprésenteà Ta shi,roi des Si Liao
"six centschevaux,une centainede chameauxet troismille moutons"
(Bretschneider, "Notices of the mediaeval geographyand historyof
central and westernAsia", J.N.C.B.R.A.S., N.S., X, 1876, p. 100).
D'après des sources plus récentes,quand un chef mongol se rendait
coupable d'hostilitéscontreun autre,il étaitpassible d'une amende de
100 cuirasses,100 chameauxet 1000 chevaux(Dubeux, Tartarie , Paris,
1848,p. 230).
La proportionentrele nombredes chevauxet celuides chameauxreste,
on le voit,à peu prèsconstante.Elle varietoutau plus selonles époques
et les régions,dans les limitesextrêmesde 1/10à Ve- C'est encore un
pourcentagevoisinque nous voyonsdans les recensements agricolesde la
Républiqueturque: de 1943 à 1952,le chiffre total annuel oscille entre
104.000et 110.000;celuides chevauxentre977.000et 1.173.000{Istatistik
yïllïgï,no. 342, cild 20, Ankara, 1952). Les statistiquesétabliesen 1895
par le gouvernement de Semipalatinsk montraient que les Kirghizavaient
549.834 chevaux et seulement61.602 chameaux (cité par Cauvet, Le
Chameau, Paris, 1925-1926,1, p. 768). CependantDubeux nous apprend
que l'égalitéde prixétaitobtenuechez les Mongols pour le marchédes
boeufs,des chevauxet des chameaux(Dubeux, o.e., p. 233).
Cette grande différence entreles troupeauxde chameaux et ceux de
chevaux justifiele silence des géographesarabes relativementà ces
premiers.Nul doute à avoir sur le peu d'importancequ'ils accordentà
un élevagequi ne représente qu'un pourcentageinfimedu cheptelglobal
(si l'on compteles moutons,au moins trentefois plus nombreux- ce
chiffre minimumest celui du textede Bretschneider - et les bovidés).
Ainsi,quand ils énumèrent les richessesdes tribusdu Turan,n'oublient-ils
pas de mentionner les races élevées qui fontnombre,mais passent-ils
sous silencecelle qui nous intéresseici. Quand ils les comparentaux leurs,
les "vaisseaux du désert" asiatiques font mauvaise figure!Pour s'en
rendrecompte,on peut parcourirle Hudüd al-cÃlam (V. Minorsky,
Hudüd al-cÄlam,Gibb Mem. S., N S., XI, London, 1937), ouvrage
anonymedu Xe siècle mais un des plus intéressants de ceux qu'ils ont
produit.Le Hudûdal-'Âlamau § 14 dit,en parlantdes Khïrkhlz:"Leur
richesseconsisteen marchandises khïrkhïz, moutons,vacheset chevaux"
(p. 96); des khalluk (lire "Qarluq"): "Leur richesseest en moutons,

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chevauxet fourruresdiverses"(p. 97); des Čigil: "Leur richesseest en


vaches,moutonset chevaux"(p. 99); des Kimak: "Leurs bienssontdes
zibelineset des moutons"(p. 99); des Ghuzz: "Leur richesseconsisteen
chevaux, vaches, moutons" (p. 100); des Khazare: "D'eux viennent
vaches, moutonset innombrablesesclaves" (p. 161); des Tukhs (reste
des Turgesh): "Leur richesseest en chevaux,moutons et fourrures"
(p. 99) . . . Aucuneincertitude ne peutêtreconservéedevantle silenced'un
hommeaussi avertique l'auteurdu Hudüd al-cÃlam.Il ne fautpas lui
fairedire plus qu'il ne dit: à ses yeux les chameaux n'ont qu'un rôle
secondaire.S'il n'y avaitpas eu ici ou là des représentants de cetteespèce
à laquelle les musulmansattachenttantde prix,lui ou d'autresl'auraient
mentionnépuisque l'on trouvesouventdes notes restrictives, tellesque
cellede Yäqüt au § Čigil,pour les bovidés,dontle rôleest bienmoindre:
"Ils n'élèventpas de vaches; il n'y en a pointdans leurpays" (Ferrand,
Relationsde voyageset textesgéographiquesarabes, persans et turcs
relatifsà VExtrêmeOrientdu Ville au XVIII-èmesiècle, 2 vols., Paris,
1913-1914,I, p. 211). On verrad'ailleursplus loin l'importanceque ce
même Yäqüt, citant Abu Dulaf Mis'ar ben Muhalhil, accorde aux
chameauxélevéspar les Čigil.
Il ne nous semble pas qu'il y ait contradictionentrece rôle assez
modesteselonl'optiquearabe et le prixdes chameauxtel qu'il ressortdes
listesde cadeaux ou d'amendes.Pour les Musulmanset pour l'économie
générale,le chameau en pays altaïque est de valeurmédiocre.Pour les
Turcs et les Mongols au contraire,il a un trèsgrand prix. Ils nous le
montrent parfois.Déjà le trèsvieuxtextede Begre,faisantl'apologied'un
homme,relateseulement:
bäs yägirmiyasïmdatabyačqanya bardïma är ärdäminiičiinalïpanaltun
kiimišigägritäbä eldä kišiqazyandïma . "A quinze ans,je suisallé auprès
du souverainTabyač [= l'empereurde Chine]. Par ma vaillance,j'ai
gagnéde l'or, de l'argent,des chameauxbossus et des esclaves." (Begre,
lignes 9 et 10; H. N. Orkun,III, p. 71-76; reproductiondu texteet
transcription. La traductionturqueest totalementinexacte).
Là, le chameau joue un rôle primordialpuisqu'il est mis sur le même
plan que l'or, l'argentet les esclaves.Il en va de mêmedans l'inscription
de Ton Yuquq où l'on litune énumération comprenant:sarïgaltunörürj
kiimiiškïz kudïzägri täbi. "Or jaune, argentblanc, vierges,chameaux"
(Ton Yuquq, côtésud,ligne48 ; H. N. Orkun,I, p. 116 qui n'a pas davan-
tage comprisici le mot ägri täbä. M. Giraud, le premiercomme nous
l'avons dit supra,a attirél'attentionsurce passage dans une communi-
cation orale faite,à Paris, il y a quelques années).

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Plus tard,au tempsdes Mongols, le Pei Lou fongsou qui, nous le


verrons,souligne l'importancedu rôle du chameau comme bête de
somme,conclut: "De là l'estimedes Esclaves [= termede méprispour
désignerles barbaresdu nord]pour le chameau" (Serruys,o.c., p. 151).
Quelleestdonc en définitive la place de ces mammifères dansl'économie
des peuplesd'Asie centrale?Et d'abord, à quoi peuvent-ilsservir?8
Rappelons-lebrièvement.
1) Bêtede boucherie.Cettequestionestcomplexed'une façongénérale
etpourles Altaïquesen particulier. Nous y reviendrons en détailplus loin.
2) La traitedu lait et la tontedu poil. Le lait de chamelleest apprécié
et Kášgarí le signale(Kâsgarï, o.e., I. p. 389). Le Père Hue, beaucoup
plus tard,nous dit qu'il n'aime pas la viandede cet animalmais que "le
lait... est excellent;on en faitdu beurreet du fromage"(Hue, o.e., I,
p. 336). Le poil est tissé et sertà la confectiondes vêtements.Il serait
intéressantde savoir si le feutredont le rôle social et religieuxest si
considérableen Haute Asie est fabriquépar l'agglutinationdes laines
d'un certainanimal plutôtque d'un autreou si, au contraire,sont em-
ployés courammentmoutons,chèvreset chameaux. La techniquedu
feutreétant plus ancienneque celle du tissage l'indicationaurait une
grandevaleur. (Pour la question du feutre,cf. B. Laufer, "The early
historyof felt",AmericanAnthropologist , 32, 1930, 1-18.)
3) Le transportdes marchandises.Rôle capital des camélidés. Le
chameauest fortet résistant(Kaš. o.e., I, p. 499). C'est l'animalessentiel
des caravaniers:"Par sa force,il est apte à porterdes fardeauxet ils
[les Mongols] s'en serventpour charger leurs bagages de voyages"
(Pei Lou fongsou, Serruys,o.e., p. 151). Ce faitest bien connu; il est
inutiled'y insister.
4) La monture.Le chameaud'Asie n'estpas montéaussi couramment
que le dromadaire.Nous avons pu constaternous-mêmeen Turquieque
les caravanes étaient guidées généralementpar un âne sellé pour le
caravanier.Il en est de même dans la majoritédes pays d'Asie. Les
nomadesasiatiquessontsurtoutcavaliers.Cependantles attestations qui
prouventque le chameausertde monturesontmultiples.Nous lisonsdans
le récitdu Père Hue au momentoù il quittela Chine avec une petite
caravanede chameaux,que le chamelier(que lui et son collèguele Père
Gäbet ontengagé)"gravementplacé surun muletnoirde taillerabougrie
ouvraitla marcheentraînantaprès lui les deux chameaux chargésdes
8 Ontrouvera touslesrenseignements
concernant
la domestication
duchameau dans
les deuxarticles
publiésparR. WalzdansZ.D.M.G., 101(1951),et 104f. (1955).
De même, unevastebibliographie.

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bagages." Nous retrouvonsla coutumeturque.Cependant,si Hue est à


cheval,le Père Gäbet est à chameau (Hue, o.e., I, p. 11).
5) L'agriculture.Contrairement à une opinion fréquemment admise,
le chameau est employépour la plupartdes travauxdes champs. Les
Ouigour devenus un peuple agricole "l'utilisentpour semer et pour
labourer" (Hamilton, o.e., p. 91, citant le Wou tai che ki). Jean
Vilbouchevitcha montréqu'au XIX-ème siècle, les chameaux,dans le
sud de la Russie, exécutaienttous les travauxagricoleset s'attelaientà
des chars ("Emploi du chameau en Russie comme animal agricole",
Revue des Sciences naturellesappliquées , Paris, oct. 1894, p. 1 sq.).
Cauvet a pu direque ces sortesd'activitésétaientbeaucoup moinsrares
qu'on ne le pensait(o.e., I, p. 658-681,et en particulierpour la Russie et
les "Tartares",pp. 668 sq.).
Les Ouigourpaysanssont,en Haute Asie, une sorted'exception.Les
peuplesturcset mongolssontpeu sédentarisés et ne fontpas des travaux
de la terreun de leursmoyensd'existence. est possible(cf. plus bas)
Il
qu'un tabou interdisela consommationde la viande cameline,s'il ne
touchepas le lait et les produitsqui en dérivent.Si le chameaun'estque
rarementmonté, son utilitévitale se limitedonc au chargementdes
marchandiseset des bagages. Il aura un rôle de premierplan dans la
mesureoù les activitéscaravanièresserontles bases de la vie économique.
Au risquede bouleversercertainesde nos idées,il fautbien reconnaître
qu'en aucun cas elles ne tiennentune place aussi grande.On voit bien,
parfois,dans les inscriptions paléo-turquesun souci commercialse faire
jour, ce souci qui a nom pour nous la "route de la soie". Et si l'on sait
que les marchandisesde Chine sontvenuesdans le procheOrientpar le
véhiculedes nomades,il fautbiense rendrecomptequ'une portioninfime
des populationss'adonnaientaux transactions internationales. Beaucoup
plus répandues,parce que beaucoup plus productives,beaucoup plus
faciles,beaucoup plus prochesde leurtempérament d'autresoccupations
retenaient les tribus.La guerrede clan à clan ou ,mieux,les razzias chez
les sédentairesleurs voisinsont faitleur carrière;ils y excellaient.Que
sont devenusles habitantsdes steppesdepuis qu'ils ont perdu la su-
prématiemilitaire?Guerriers,certes,d'abord, et tout de suite après
éleveurset chasseurs! Ainsi nous les présententtous leurs voisins.
(Relire,pour cela, les textesdéjà citésdu Hudûd al-cÄlam:les chevaux,
les moutons,les boeufsfournissent la nourriture et l'habillement;ce sont
les richessesque l'auteur reconnaîtaux Turcs.) Quant à la chasse, et
principalement celledes animauxà fourrure, elle estencoretrèsfructueuse
de nos jours mais l'étaitaussi jadis, ainsi que le signalele mêmeHudûd

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LE CHAMEAU 49

al-'Âlam, chez les Qarluq, les Kimak, les Tukhs (cf. aussi Mascûdï,o.e.
sur les Khazares,III, p. 14 sq. et Strahlenberg,
Descriptionhistorique de
VEmpireRussien, Amsterdam,1757,I, p. 44, 331, etc.).
Concluonsde ces donnéesqu'un trèsgrandnombrede chameauxn'est
pas nécéssaireaux nomades d'Asie centralemais qu'en posséderest un
bienfaitinestimablepour la minoritécommerçanted'abord, pour tous
les autresdès qu'ils veulentse déplaceret emporteravec eux leursdivers
avoirs.
L'ÉLEVAGEDES CAMÉLIDÉS

Une brèvephrasedu Pei Lou fongsou explique trèsclairement et pour


peu qu'on se donnela peinede l'approfondir, toutle problèmede l'élève
des camélidésdans les steppesdes barbaresde l'ouest: "Les chamelles,
dit notretextechinois,ne mettentbas qu'une fois tous les deux ans"
(Serruys,o.e., p. 151). Qu'est-ceà dire?Il fautsavoir,pour comprendre
cetteallusion,que les conditionsde vie en Haute Asie sontfortpénibles
pour les troupeaux.Les razzias et les guerrescontinuellesles déciment
sans cesse, et sans cesse il faut les reconstituer.La reproductiondes
mammifères esten généralaisée et rapide.Celle des camélidésestlenteet
difficile.Les chamelles sont souvent stérileset avortentfacilement
(Cauvet, o.e., I, p. 348); la saillie est peu facile à réaliser(il faut que
l'homme à défaut de l'animal contraignela femelleà se coucher),
plusieurssont généralement nécessaires(Cauvet, id., 352); la saison des
amoursse situeà la finde l'automneet au débutde l'hiver,au "douzième
mois",disentsouventles informateurs anciens(et encorele P. Hue, o.e.,
I, p. 334) faitqui va influersur le rythmedes reproductions. En effet, le
renseignement chinois,apparemment faux si l'on pense seulement au
tempsde gestationqui n'estque d'un an (peut-être treizemoisou quatorze,
disentdes voyageursqui n'ont pas convaincu les naturalistes)est ce-
pendantjuste. La chamellequi a mis bas versoctobreou novembren'est
généralement pas en état d'être présentéeà l'étalon la premièreannée
suivantsa délivrance(allaitementet soins à donner au petit dont les
débutssontdifficiles). VincentMonteil,étudiantla chamelle saharienne,
a constatéun phénomèneidentiqueet rapportequ'elle n'est couverteà
nouveau qu'un an après avoir mis bas, c'est-à-direquand son petitest
sevré (V. Monteil, Essai sur le chameauau Sahara occidental , Etudes
Mauritaniennes, no. 2, St. Louis du Sénégal,1952,p. 69). Cauvet,voyant
les choses d'une manièrebeaucoup plus vaste,dit même que les mères
ne donnentnaissanceque tous les troisans (Cauvet, o.e., I, p. 350).
Les difficultésque présentela saillie,les soins qu'exigela grossesse,les

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risques d'avortement,la fragilitédes nouveaux nés, la nécessité de


châtrerdes mâles ou de stériliser
des femellesindociles,le rythme lentde
la reproductionqui ne seraientpas des obstacles dans des conditions
politiquesstables,le deviennentpour nos gensremuantset tropsouvent
traqués.Ils expliquentla disproportion qui existeentreles troupeauxde
diversesespèces,l'estimeque l'on attacheà celle des tylopodes,l'irrégu-
laritécaravanière,et ils provoquentpeut-êtrela créationd'un tabou de
défensepour une race par elle-mêmesuffisament menacée.Si un interdit
existe,on ne sauraitêtresurprisqu'il soitprovoquépar des contingences
économiqueset non par des considérations socialesou politiques.

LE CHAMEAUSAUVAGE
Nous avons délaissé jusqu'ici un des rôles du chameau dans l'Asie
Centrale,car de moindreimportancequoique fortinattendu.C'est celui
de gibier.
L'existencedes camélidésà l'état sauvage nous est prouvée par de
nombreuxtémoignagesvenus de la Haute Asie. Nous renvoyonspour
cettequestionà l'importantenote d'Elias et Ross dans leur traduction
du Ta'rïkh-iRâshidï (A historyof theMoghulsof CentralAsia, London,
1895,pp. 301-302) qui écrivententreautres: "L'existencedu chameau
sauvage,quoique fortmiseen doutepar les naturalistes, a étésignaléepar
le roi Haiton d'Arménieau XlIIe siècleet par Haidar au XVe. En 1873,
un explorateuranglaisla signalamais se vitcouvrirde railleries.Un peu
plus tard,le russePrajevalskile signaleencoredans la régionde Lob".
Ajoutonsquelques autresattestations:le Pei Lou fongsou, déjà plusieurs
foiscitédans cetteétude,le comptedans la listequ'il donnedes animaux
sauvages de Mongolie (Serruys,p. 151). Marvazï situe des chameaux
sauvagesentreUj et Kašgar (Sharafal-zamãnJãhirMarvazï on China,
theTurksandIndia; Arabietextwithan Englishtranslation and comment-
aryby V. Minorsky,London, 1942, p. 31). Mirzã Haidar écrit: "J'ai
fréquemment entendude Maulänä Khwäja Ahmad que le khan... allait
chasser les chameaux sauvages dans les pays environnantsTurfan,le
Tarim,Lob et Katak" (Ta'rïkh-iRashidï,p. 67). A un autreendroitil
parlede chameauxsauvagesdans la régionde Khotan(ibid.,p. 301) Hue,
sans préciserle lieu, les compteau nombredes habitantsdes désertsde
Mongolie (Hue, Souvenird'un voyagedans la Tartarie,le Thibetet la
Chine, 2 vols., Paris, 1850, I, p. 414). Bretschneiderdonne en note, à
propos du rapport de Haiton sur cettequestion,quelques témoignages
concordantde leur existencedans les désertsouest de Mongolie. Il fait
appel aussi au témoignagede Prjevalskiet de Forsyth(Bretschneider,

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LE CHAMEAU
ENASIECENTRALE 51

"Notices", J.N.C.B., X, p. 299). Toutefois,si, commele disentElias et


Ross, la nouvelleque les chameauxsauvagesexistaienta rencontrébien
des incrédulités, elle ne sembleplus aujourd'huimise en doute. Elle ne
l'étaitdéjà plusbeaucoup à l'époque où ces auteurspubliaientleurlivreet
paraît même entrerdans les connaissancesalors établies,puisque les
Grandes Encyclopédiesbritanniqueset françaisesl'admettentsans dis-
cuter.En 1935,Ramstedt,dans son dictionnaireKalmuk,donnele terme
employépar les indigènesde la régionDzungarie-Tarim pourle désigner,
soit temengöresn(Ramstedt,Wörterbuch , p. 391).
Etudierla mythologiedu chameau,c'est bien plutôt,dans la plupartdes
cas, remarquerson absence. Celle-ci n'est pourtantpas totale (ce qui
auraitpour résultatde réduiresingulièrement la dimensionde ce travail)
et si nous allons surtoutavoir à rendrecomptede résultatsnégatifs,il
existecependantquelques textesqui valentd'êtreexaminés.Disons tout
de suite qu'ils sont trèspeu nombreuxcomparativement à ceux qui se
rapportentaux autresespècesde la faune asiatique.
LE CHAMEAUANIMALDE SACRIFICE
Le sacrifice,manifestation capitale de la vie religieuse,tientun rôle
primordial dans les rites du chamanisme ancien et contemporain.
Il se présentesous deux aspects principaux:l'un est l'offranded'un
animal (ou de victuailles)à une divinité,le ciel (tângrï)et la terreen
particulier;l'autre un égorgementau cours des obsèques. Ces deux
aspects sont bien connus à toutesles époques et chez tous les peuples
altaïquespardesdocumentslittéraires, archéologiquesetethnographiques.
Des dizainesde témoignagesnous donnentla listedes animauxsacrifiés :
ce sont essentiellement le cheval,le boeuf,le mouton.A côté d'eux on
trouvequelques autres animaux,mais dont le nom revientbeaucoup
moins souvent;encore serait-ceune erreurde croireque dans les trois
citéscommeétantessentielson observeune certaineégalité.Sur cent-dix
récitsde sacrificesde diversesépoques que nous avons recueillis,53
concernent le cheval,25 le boeuf(y compris,vache,veau, taureau),14 le
mouton(bélieret brebis),4 le chien,2 le renne,1 l'ours, le porc et le
canard. Un simpleregardsurces chiffres montreclairementqu'ils n'ont
aucun rapportavec le nombrede têtesque composentles troupeaux;il
y a une hierarchiede choix.
Et le chameau? On ne peut affirmer que, seule bête domestiqueim-
portante,il soit exclu de l'honneursacrificiel,l'absence d'attestations
n'étantpas une preuvesuffisante. Mais on peut certifier qu'il n'y tient
pas une grande place. Examinons cependant ce que Marco Polo nous en

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52 ROUX
JEAN-PAUL

raconte,dans un texteassez long qui, on le verra,ne doit peut-êtrepas


êtresuivià la lettre.
"Sachez", nous dit le voyageurvénitien,"qu'une certainecoutumeest
observée: tousles grandsCans et grandsseigneurs Tartaresqui descendent
de la lignéede CinghisCan, quand ils sontmorts,sontportéspour être
ensevelisà une trèsgrandemontagnequi est appelée Altaï. Et quelque
soit le lieu de leurmort,fut-ilà centjournées,car ils ne veulentpas être
ensevelisà un autre lieu. Et je vous dis une autre grande merveille:
lorsqueles corpsde ces grandsCans sontapportésà ces montagnespour
y êtreinhumés,bien qu'elles puissentêtreéloignéesde quarantejournées
ou davantage,tous les gens qu'ils rencontrent sur le cheminsont passés
au filde l'épée par ceux qui conduisentle corps.Et ils disentquand ils le
tuent:allez servirvotreseigneuren l'autremonde. Car, quand meurtle
seigneur,ils occissenttousles meilleurs chevaux, chameauxet mulesque le
" La
seigneur avait (Marco Polo, Descriptiondu monde , ed. L. Hambis,
Paris,1955,p. 81). Remarquonstoutd'abord qu'il s'agitlà d'immolations
funéraires. M. Polo est passé des sacrifices
humainseffectués en cours de
route,aux sacrificesanimaliers,par une explicationqui se rapporteaux
deux: les victimesservirontle mortdans l'au-delà. Si l'auteurn'a pas
commisune erreurà proposdes chameaux,il y a lieu d'observerque l'on
peut faireune différence entreune immolationreligieuseet une autre
purementutilitaire.Un animal peut êtreexclu de la premièrequi ne le
sera pas de la seconde.On sait,par d'autrestextes,que la brève(et assez
médiocre)listedonnéepar le narrateur n'estpas exhaustive.Rubruckdit,
plus vaguementmais avec plus d'intelligence,qu'ils "enterrentdes
trésorsavec leursmorts"(Rubruck,TheJourney of..., ed. and transi,by
W. W. Rockhill,London, 1900,p. 81). Plan Carpin est beaucoup plus
précis: "Quand une personneest morte,si elle est noble,elle est enterrée
secrètement dans la steppeavec sa tente... ils mettentune table devant
elle et un bol plein de viande et une jarre pleinede lait de jument; une
jumentavec son petit,un chevalavec son morset sa sellesontégalement
enterrésavec lui. Ils mangentun autrecheval,emplissentsa peau avec de
la paille et la mettentsur deux ou quatre mats de manièrequ'il puisse
avoirune habitationdans l'autremonde,unejumentpour lui donnerson
lait, un moyend'accroîtreson troupeaude chevauxet des chevauxsur
lesquelsmonter.. . Bien plus,ils enterrent or et argentavec les personnes.
Ils brisentle charsurlequelellesétaientportées,détruisent sonhabitation,
et son nom ne peutplus êtreprononcépendanttroisgénérations"(Plan
Carpin,ch. III, § III, 3, éd., d'Avezac,Relationdes Mongols, Paris, 1838,
p. 232-233). Quant à Ibn Baflûtah,il décritainsiles obsèquesd'un khän:

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LE CHAMEAU
ENASIECENTRALE 53

"L'on amènele kaan mort,ainsi qu'environ100 hommestués parmises


cousins, ses proches,ses favoris.L'on creuse pour le kaan un grand
naous [vauç]qui est une maison souterraineou caveau; on y étend de
superbestapiset l'on y place le kaan avec ses armes.On y metaussi toute
la vaisselled'or et d'argentde son palais, quatrejeunes fillesesclaveset
six mamluksdes plus notablesqui tiennentà la main des vases pleinsde
boisson. Puis l'on mure la porte du caveau" (Ibn Baftütah,Voyages,
publiés par Defrémeryet Sanguinetti,5 vols., Paris, 1853-1858, IV,
p. 301). Ibn Battütahdécritensuiteavec forcedétails le sacrificerituel
des chevaux empalés sur de grandes pièces de bois dresséesprès du
sépulcre.Ce sacrifice du chevalestd'ailleursbienconnuet a étélargement
analysé(cf. W. Radlov, Aus Sibirien , II; P. W. Schmidt,Ursprung der
Gottesidee , IX). L'intérêt particulierde la descriptiondu voyageur
marocain,outreson grandluxede précisions,c'est qu'elle estapproxima-
tivementcontemporaine de celle de Marco Polo. On peutdonc admettre
avec de grandeschancesde certitudeque si le chameau est bien enseveli
avec les autresrichessesil l'est en tantque tel,pour servirdans l'au-delà
sans que cela prenneun caractèrereligieuxcommel'est au contrairedans
cettecivilisationle cheval,dans d'autresle renneou le chien.(Remarquons
que le chienet le renne,animauxde traîneaux,sont les forcesmotrices
de base dans les régionsoù ne pénètrepas le cheval.) De plus - et cela
enlèvebeaucoupà l'information du Vénitien- aucunde ses contemporains
ne mentionnel'ensevelissement du chameauavec le cadavredu souverain.
Les témoignagesde Plan Carpin et d'Ibn Battûtahnous paraissentà ce
point de vue autrementplus richesd'enseignement. On se demandeen
conséquence si Marco Polo, qui n'a pas assistéaux obsèques des grands
khans (et à celles de Mängü en particulier,qu'il cite comme référence)
car elles eurentlieu dans l'Altaï,ne faitpas allusion à une coutumequi
nous estconnuepar le rapportde Ts'ao mu tze (époque des Yuan): "Un
jeune chameau était tué en présencede sa mère sur la tombe du khan
décédé; aprèsquoi, quand le momentdes offrandes usuellessurla tombe
approchait,la mèredu chamelonimmolé étaitmise en libertéetelle venait
crierà la place mêmeoù il avait été abattu (Palladius, "Elucidationsof
Marco Polo travelsin NorthChina", N.C.B . of R.A.S., N.S., X, p. 13).
Cettecoutumeétaitmotivéepar une autre rapportéepar le Yuan Che
et le Ch'ue kenglu, mémoiresdu tempsdes Yuan: "Lors des obsèques,
les plus grandssoins sontprispour que les gensignorentla localisation
de la tombe.Pour cela, quand la tombeestfermée, untroupeaude chevaux
est poussé dessuset,par ce moyen,le sol est sur un grandespace nivelé"
(Palladius,ibid.,p. 12). L'exécutiondu chamelon,ainsique le ditd'ailleurs

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54 ROUX
JEAN-PAUL

le Ts'ao mu tze, n'auraitriende rituelmais seraitseulementun moyen


techniquepour retrouver la localisationde la tombe.
Si cela était,notreseul granddocumenttendantà prouverl'utilisation
du chameaucommeanimalsacrificiel n'auraitplus de valeuret l'on serait
amenéà penserque cet animalétaitexcludes ritesdes obsèquescommeil
semblel'êtreégalementdes autrescérémoniessacrificielles.

LE CHAMEAU,ANIMALGUIDE
Dans la civilisationaltaïque, l'animaljoue commeguide des humains
un grandrôle, qui, par surcroît,nous est assez bien connu.
B) U animal-guide. Dans la civilisationaltaïque,l'animaljoue comme
guide des humains un grandrôle, qui, au surcroît,nous est assez bien
connu.
1) Une tribuou un peupleémigrédans des conditionsparticulièrement
dramatiques; devantlui marcheou vole l'animalqui le dirigeet,parfois,
s'arrêteau lieu qu'il a choisicommedevantêtresa résidence(exemples
connus avec le loup, le taureau,le cheval,etc.), variante:une troupese
rendà la guerreet c'est un fauvequi la conduit(le loup de l'Oguz-name,
cf. Bang et Rahmeti,Oguz kaganDestanï,Istanbul,1936). Nous croyons
que l'étendardporté traditionnellement par les Turcs divisésen tribus
et qui s'orne,à la hampe soit d'une têtede loup soit de crinsde yak ou
de cheval, soit enfind'emblèmespeints,dragon,loup, etc.) concrétise
un thèmerituel.La hampesurmontéedes attributsanimaliersconcrétise
l'animal lui-même.
2) De l'observationdes actes de la faune,le chefou la tributireun
enseignement. Tout se passe comme si la bête agissaitpour avertirles
humains;parfoismêmeelle leurapparaît(exemplescaractéristiques avec
les cigognesd'Attila,la vache blanche de YHistoireSecrète etc cf.
Altheim,Attilaet les Huns, Paris, 1952,qui a fortbien vu l'importance
des animaux comme guides spirituels,p. 170, 188 sq.; R. Grousset,
/'Empiremongol , p. 74, etc ).
Il est d'autantplus curieuxque le chameau n'apparaissepas une fois
encoreici dans les sourcesqui nous ont été accessibles,que ce rôle de
guide et de protecteur, il le joue dans la vie quotidienne,tout au moins
dans le désertde Lew-sha,prolongationoccidentaledu Gobi si l'on en
croitle Theou-shou: "Quelquefoisdans le désertun ventmauvais pour
les hommeset les troupeauxse lève. Dans de telscas, les vieuxchameaux
de la caravaneont un pressentiment de son approche,se couchentsurle
sol etcachentleurtêtedansle sable. A ce signal,les voyageursse couchent
aussi,ferment le nez et la boucheet restentdans cettepositionjusqu'à la

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LB CHAMEAU
ENASIECENTRALE 55

finde la tempête.Si ils ne prennaientpas ces précautions,les hommeset


les bêtes périraientimmanquablement"(Palladius, ox ., p. 4). Un récit
identiquese trouvedans le Pei shih(cf. Schafer,ox ., p. 181). Cettevieille
observationchinoisea été refaitedepuis bien souvent.Elle se double
d'une autre aptitudecameline plus remarquableencore et qui semble
avoir impressionnébeaucoup les extrêmeOrientaux:le chameau perdu
dans le désertsait se guider et trouverles points d'eau. La mission
d'E. Boniny dutsans doutela vie dans l'Alachan à la findu siècledernier
(cf. La Géographie, Bull. de la Sociétéde Géographie , I, 1900,p. 58). On
les
pourraitmultiplier exempleshistoriques de ce cas. Marshinsisteavec
raisonsurl'importance de ce comportement qui a dû influersurla mentalité
des nomades d'Asie centralepuisqu'il tellementfrappéles Chinois
a
(G. P. Marsh,The Camel, his organization , habitsand uses, Boston, 1856,
p. 93-100). Rien ne nous estparvenud'une époque anciennequi montrer-
ait que les Turco-Mongols ont considéré comme surnaturellesou
magiquesles affinités de leursanimauxcaravanierset de l'eau.
Peut-êtrepouvons-nouscependantrattacherau folkloreturco-mongol
une histoireassez singulièreque nous livreune légendealsaciennedes
plus connues.On la trouvedans maintsouvragesdu folkloreancien et
modernedes Vosges et de la plaine rhénane(cf. par exempleEvariste
Thévenin,En vacances: Alsace et Vosges,Paris, 1865,p. 30-31) etjusque
dans les recueilsmis à la portéedes adolescents(cf.E. Hinzelin,Légendes
et Contesd'Alsace, Paris, 1933,p. 63-67).
En voici le résumé: Hugues, comte de Bourgogne,avait reçu de
Charlemagnedes reliquesparmilesquellesse trouvaitune parcellede la
vraie croix. Indécis sur le choix de l'église digne de la contenir,il s'en
remetà la volontéde la Providence.Il faitenchâsserle bois précieuxdans
une grandeCroix de bois, la faitattachersur le dos d'un chameau et
chargecinq chevaliersde suivrel'animal.Partiede Bourgogne,la troupe
arriveà la montagneSainte-Odile.Le chameause dirigeversle monastère
de Niedermünster où il se couche par terre.C'est le sanctuairechoisipar
Dieu.
La légendejustifiela présenced'un animalaussi insoliteque le chameau
en expliquantque c'est lui qui, venu de Constantinople,a apporté la
parcellede la Croix du Christ,argumentraisonnablemais peu convain-
cant.En réalitéau hautmoyenâge le chameauétaitconnuen Francepar
deux sources différentes: il avait pénétréen Espagne avec l'invasion
arabe et la Chanson de Roland le cite; il étaità cettedate répanduen
Allemagneet en Gaule depuis l'époque des grandesinvasions.Quoique
E. Hahn ne croie pas que les Huns et les autrespeuples immigrésen

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56 JEAN-PAUL
ROUX

Occidentavaientamenéavec eux leurstroupeauxde camélidés,nous ne


pouvons partagerson opinion (E. Hahn, Die Haustiereund ihre Be-
ziehungen zur Wirtschaft des Menschen, Leipzig, 1896,p. 229). Les osse-
mentsretrouvésdans les arènesde Lutèceet qui proviennent des cadavres
des bêtestuéesdans les jeux du cirqueprouveraient, s'il étaitnécessaire,
un apport oriental.Concédons que s'ils avaient dû s'y maintenirun
certaintemps,ils avaient dû disparaîtreassez vite toutefois:le climat
pluvieuxne convientpas à cetteespèce et elle ne peut s'y développersi
l'on ne lui donne pas des soins exceptionnelsque les populationseuro-
péennesétaientalors incapablesde concevoir.
Arabes ou Altaïques (ces derniersdirectement ou par l'entremisedes
Germains) sontdonc à l'originede notrerécit.Pour les premiersplaident
que l'anecdote soit rattachéeà Charlemagnedont les expéditionsen
Espagne musulmaneavaientramenéà l'actualitéun représentant de la
fauneexotiquequi n'a jamais été trèsbien connu chez nous; et surtout
le fait que, depuis l'incidentde l'Hégire,qui obligea Mahomet à s'en
remettreà la décisionde sa chamelledans le choix d'une habitationà
Médine,nombrede traditions musulmanesrattachent au discernement de
ses semblablesle choix d'un lieu privilégié.
Pour les seconds les arguments,plus nombreux,sont aussi plus
péremptoires.L'Alsace se trouvesur la route d'immigration des tribus
germaniqueset hunniques.La famillede Sainte Odile, généralement
considéréecommefranque,peutavoirété d'origineHunne. Le pèrede la
sainteportele nom d'Ethelric(ou variantesdu mêmemot). Ethel (var.
d'Attila)peutêtreun nom hunnique.Une de ses cousinesa étécanonisée
commeSainteHunna. Elle avait épousé un certainHunno; ils fondèrent
le villaged'Hunnawhir,etc. Or, l'histoirede SainteOdile est intimement
liée à celledu chameauerrant.Enfant,Odile futélevéeen Bourgogne; un
de ses frèresrépondaitau prénomde Hugues; le chameauvintau village
de St-Nabor,construit au pieddu montSt-Odile; le monastèrequ'il choisit
(Niedermünster) estréputéavoirétéconstruitpar la jeune princesse.Le
double rôlede la Bourgogneen particulier n'estpas indifférent. La civili-
sation burgondeest pétriepar l'aventured'Attila.Pour elle,le "fléaude
Dieu" devientAtli,le bon souverainpaternel.Ses grandesépopées- pa-
rentesdes Niebelungen- se nommentChantdes roisburgondesà la cour
des Huns et Mortd'Attila.On sait,d'autrepart,qu'un cultede l'ours- ce
cultetrèsrépanduchez les Altaïques- s'établitau couventd'Andlau dont
on peutconstaterdes vestigesjusqu'à l'époque de la révolutionde 1789.
Entreces deuxoriginespossiblesnous ne pouvonsopter.Il y a pourtant
de sérieuseschances pour que la légendealsaciennenous permettede

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LE CHAMEAU
ENASIECENTRALE 57

suivrejusque dans les lointainesVosges,les tracesd'un quelconque rôle


religieuxdu chameau chez les peuplesd'Asie centrale.Nous n'avons pu
malheureusement retrouverdans les Chroniquesanciennesl'affirmation
que Cauvet(o.e., II, p. 26) leura empruntée,sans donnerde référence,et
qui veut que les Wisigoths eussenttraînéavec eux des nomades tartares
qui portaientleursdieux sur des chameaux.S'il en futbien ainsi,il n'y
auraitpeut-êtrepas à chercherailleursla sourced'un thèmequi ne serait
qu'une christianisation de traditionspaïennes.

LES PRÉSAGES

Le manuscritd'Irk Bitigqui n'est autre qu'un livrede présagesvaut


à lui seul,pour notresujet,tout autantque l'ensembledes autresdocu-
mentsque nous possédons. Malheureusement, ainsi que nous l'avons
déjà dit plus haut,ce texte,composé au IXème siècledans un monastère
manichéen,quoique paraissantêtre peu influencépar cette religionet
offrirles caractèrestypes de la vie nomade des, "chamanistes", est
difficileà versersans réservesau dossierdu paganismealtaïque. C'est un
petitrecueilde 65 paragraphesque l'on tireau sort par le jet de dés.
Chacun porte une illustration,généralement empruntéeà la vie de la
faune,et se terminepar un pronosticlapidaire: c'est bon (ädgü ol), c'est
mauvais ( yablakol, yabïz ol), c'est très bon (<anyïgädgü ol), c'est très
mauvais(anyïgyablakol).
On trouvedans ces feuillets, les animauxsuivants(par ordredécroissant
de fréquence):
at = "le cheval", § 2, 5, 11,16, 17, 19, 24, 35, 36, 39, 50, 65; keyik=
"le cerf",§ 15, 45, 60, 62, 63; togankuš = "le milan", § 4, 43, 44, 64;
bars = "le tigre",§ 10, 31, 49; kara kuš = "oiseau noir" (aigle?),§ 3,
43, 51; kuzgun= "le corbeau",§ 14,54; koyun= "le mouton",§ 27, 29;
adïg = "l'ours", § 6; torjuz- "le sanglier",§ 6; yïlan = "le serpent",
§ 8; kuš = "oiseau" (sans précision),§ 15; öpgük= "la huppe", § 21;
käkiik= "le coucou", § 23; bori= "le loup", § 27; ingek= "la vache",
§ 41 ; buzagu= "le veau", § 41 ; tatfišyan kuš=
= "le lièvre",§ 44 ; turuyaya
"la grue",§ 61. (Remarquerque si le chevalvientbienen têteavec douze
citations,le cerfvienten deuxièmepositionavec cinq,9que le boeufet le
moutonne sont cités que deux foischacun et que nous n'avons pas du
toutla mêmeproportionque celle obtenupour le sacrificeou l'animal-

9 Notonscependant le "fauve"
maisaussi,seulement,
veutdirele "cerf",
que keyik
(KašgariIII, 168).Ontrouve dansIrkBitigXXXI:barskiyikavecle sensde"tigre".
(H. N. Orkun, II, p. 81).

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58 ROUX
JEAN-PAUL

guide - en particulierpetitrôle tenu par le loup, si importantdans la


mythologieturco-mongole.)
Quant au chameau, il apparaît dans les présages5, 20 et 46. Voici
comment:
§ 5. bäg är yontingaru bârmïsak bisikulunlamïs. Altuntuyuglug adgïrlïk
yaragaytäbäsingärü barmis ürünginigäni botulamïs altïnbudullugbugralïk
yaragay äbinärü kälmis ücünc kuncuyïurilanmisbäglik yaragay ter
mängligbäg är ärmisanyïgädgü oí. "Un beg est allé vers ses chevaux;
sa jumentblanchea pouliné:il servirad'étalonaux sabotsd'or. Il est allé
voirses chameaux;sa chamelleblanchea misbas un chamelon.Il servira
d'étalonau "budul" [hapax]d'or.10Il vintà sa tente;troisièmechose: sa
femmeavaiteu un garçon.Il serviraà la fonctionde beg,dit-il.C'étaitun
begmâle,heureux.C'est terriblement bon." (Nous rendonspar le français
populaire : "terriblement bon" le anig ädgü ol, añig,employéici comme
superlatif, ayant le sensde terrible.) présageestclair: accroissement
Le de
la manade et du troupeaude camélidés,naissanced'un fils- troissignes
distinctifs de prospérité;nulledifficulté à penserqu'il s'agitici d'un milieu
de caravanierset non de chasseursou d'éleveurs- remarquezque les
animaux sont blancs, couleur bénéfiqueet, singulièrement, couleur
nécéssairepour les animauxde sacrifice.Peu d'extraordinairedans ce
présage,si ce n'est les sabots d'or de l'étalon et les "budul" d'or du
chamelon.Ces deuxtraitscependantsuffisent à donnerun accentmagico-
religieux aux animaux en question.(Irk Bitig,V ; H. N. OrkunEski Türk
yazïtlarï, II, p. 74).
§ 20. Titirbugra män ürüngköpükümensacar män üzä täyrikäasra
yärkä kirürter udïgmagudgur(u)yatïglïgturguruyorïyurmän antag
küclügmänanca bilirjlärädgü oh "Je suis le chameau hermaphrodite. Je
répands ma bave blanche.En haut elle atteintle ciel,en bas elle pénétréla
terre,dit-il.Je vais réveillantceux qui dormentet levantceux qui sont
couchés. Telle est ma force.Sachez-le,cela est bon."
Ce présageest plus obscur.Le chameaudontil s'agitn'estplus du tout
naturalisteet ne se distingueplus seulementpar une certainappendiceen
or. Il est sans douteà la foismâle et femelle;sa bave a des effets miracul-
eux. Nous retrouvonslà un thèmeuniversel,la salive remèdeet agentde
résurrection dontles exemplesabondentdans les diversfolkloresetjusque
dans les réligionsles plus élaborées.Nul doute que ce ne soit elle qui
réveilleles dormeurset lèventceux qui sontcouchés,expressionà ne pas
10 Le Prof.J.Denym'écrit quebudul
doitêtrelepersan = talon,
budjul os de
cheville,
la cheville,
osselet
(jeu).Il faudrait
donctraduire:"il servira
d'étalonauxchevilles
d'or".

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LE CHAMEAU
ENASIECENTRALE 59

prendre,sans douteici au senspropremais au sensfiguré(quelque chose


comme: "les malades et les morts").Il importerait au plus hautpointde
savoird'où peut provenirce thème.Mais cettequestionest intimement
liée à celle de l'inspirationde l'Irk Bitig,problèmequi n'est pas encore
résolu.Peut-ilêtreici manichéen?L'extrêmedivulgationdu thèmede la
salive guérisseuserend difficile toute attribution(Irk Bitig,XX; H. N.
Orkun,II, p. 29).
§ 46. täbä titigketiišmišbasinuyimišözin tilkuyimišteranča biliy1er
yablak ol. Un chameau est tombé dans le boue. En piétinantsur place
il en mangea. Mais il futlui-mêmemangé par un renard.Sachez cela.
C'est mauvais."
Thomsenavait traduittitigpar "fosse" avec un pointd'interrogation,
et H. N. Orkunpensa avec raison qu'il s'agissaitde boue. Le textene
nous ditpas ce qu'il mangeaaprèscet accident.Nous avionstoutd'abord
pensé que le verbeyi- devaitêtrepris sans complément,suivantainsi la
leçon de Thomsenet d'Orkun. M. Bazin nous a fait remarquerque le
contexteimpliqueforcément une traductiondifférente: en piétinantsur
place la bête enlisée s'enfoncejusqu'à la gueule,ce qui expliquequ'un
renardla dévore ensuite si facilement.Le sens du présage n'est pas
ambigu quand on le comprendainsi. 11 ne s'agit pas d'une anecdote
empruntéeà la vie quotidienne,encoremoinsd'un symbolisme religieux;
c'estune fable.Un personnagepuissant,par suited'un accident,se trouve
tomberà la mercid'un individuquelconque (Irk Bitig,XLVI; H. N.
Orkun,II, p. 85).
On le voit,l'examende ces troisanecdotesne nous conduitpas loin.
Le genrele veut.Les sibyllessontvolontiersobscures.On a parfoispeine
à les comprendrequand on connaîttous les symbolesdontellesjouent et
les ritesdans lesquelselles agissent.Mais, là, toutnous est inconnu.Les
interprétations que l'on peutdonnerrisquentd'êtrele produitde la seule
imaginationplus tarddémentiepar les faitsà venir.Attendons-les donc.
Ce qui nous intéresseactuellementc'est, sous les réservesapportées
quant à l'inspirationdu manuscrit,de constaterque le chameau,dans le
milieunomade centre-asiatique, n'est pas exemptd'une transfiguration
poético-magiqueet qu'il peutjouer un rôle - qui plus est: un rôle béné-
fique.Sur troisprésages,l'un est "terriblement bon" (le no. 5), l'autre
"bon" (le no. 20); le troisièmeseul est "mauvais" (le no. 46). Le
deuxième(20) en particuliernous importe,car l'animal n'y est pas un
comparsemais un personnageprincipal.(Dans le premier,au contraire,
quatreacteursse partagentles rôles: le beg et sa femme,la jumentet la
chamelle; dans le dernier: le renardetle chameau.)Il estnobleetpuissant.

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60 JEAN-PAUL
ROUX

11use,avec effets, d'une des armesreligieusesles plusconsidérables.Nous


aurons à nous en souvenirquand nous envisageronsqu'un interdita pu
le reléguerdans la zone, sans éclat pour l'époque, de la seule économie
domestique.Cet interdit qui, nous le verrons,estappliquédans beaucoup
de peuples de l'Orientancien,on a tendanceà le considérercommeun
résultatdu méprisde l'homme(sédentaire)contrela bêteélue du nomade.
L'argumentationne vaudraitpas grand' chose si l'on prouvaitque des
nomades eux-mêmesla tabouent. Mais c'est déjà une autre question.
Quoiqu'il en soit de l'estimeou de la mésestime,de l'admirationou de
l'indifférencede l'Altaïque pour le chameau,nous tenonsla preuvequ'il
ne peut êtrequestiond'un tabou de mépris.
Remarquonsencore,à proposdes présagesd'Irk Bitigque nous venons
de voir,qu'ils peuventcontribuer à donnerla clefde l'inspiration
générale
du manuscrit.Pour ce faire,il suffit d'examinerla place des camélidés
dans les pays qui peuventavoir servide modèle au texteturc. Il est
possibled'objecter,il est vrai,que la symboliqueempruntée(?) se cachait
à l'originesous d'autresanimaux qui ont cédé la place à ceux-ci,plus
familiers.

LE CHAMEAUANCÊTRE

Nous n'avons pas jusqu'ici rencontré,pour le chameau, de textes


relatantl'identification magique de l'hommeet de l'animal, il est vrai
surtoutconnue dans les ritesde chasse (on pousse le cri du cerf; on
appellel'oursson oncle,etc.),mais aussi dans biend'autrescirconstances.
(La plus parfaiteillustration en est donnéepar le Leao tcheauquel nous
renvoyons, ainsi qu'aux commentaires, non moinsparfaits,de RolfStein,
Toung Pao en
, XXXV, 1939,p. 1-154, particulier, p. 21 "K'oua-hi est
lui-mêmeun cochon sauvage", p. 23 sq.) Nous ne connaissonspas plus
d'ascendance tribalecamelineprécisealors que nous en avons avec le
loup, le cheval,le boeuf,le sanglier,le mouton,le chien...
Le ProfesseurPritsakattirefortheureusement mon attentionsur un
faitd'importancequi m'avaittoutd'abord,je ne sais pourquoi,échappé
et qui mériteexamen.Il s'agitdu personnageet de la dynastieqarakhanide
de Boghrã-xãn , Vempereur chameau-étalon. Pour M. Pritsak,me semble-t-
il, et pour Grenardqui a donnéune étudedéjà vieilliede la légendede ce
souverain,il serait question d'un nom totémique(cf. Grenard, "La
légendede Satok BoghraKhân et l'histoire",Journ.Asiat.,1900,p. 5-79).
Malgré le rôle considérablede ce Saltùk Boghrä Khän (et peut-êtreà
cause de lui), nous connaissonsassez mal son histoire.Dans les premières

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ENASIECENTRALE
LE CHAMEAU 61

annéesdu Xe Siècle,les Turcs(T'ou-Kiue) se divisaienten troisgroupes


principaux,Yayma, Qarluq et Čigil(ces dernierssurtoutbienconnuspar
les géographesmusulmans).A partirde 943, une dynastieissue des
Yayma les aurait unifiés.Le Mujmal at-tawârïkh(V. V. Barthold,
Turkestan downto theMongolinvasion , London, 1928,1, p. 20) dit que le
roi des Yayma est nomméBoghrã-Khãn.Ce qui est certain,c'est que le
fondatuerou, du moins,l'un des souverainsimportants de cettedynastie
qui allait devenir celle, bien connue, des Qarakhanides musulmans,
portantle nom de Saltük Boghrä Khãn et résidantdans la ville de
Kãsgar s'estconvertià l'Islam et a été suivipar l'ensemblede son peuple,
vers960 (cf. Hamilton,Les Ouigoursà /'époquedes Cinq dynasties , Paris,
1955, pp. 94-95). Evénement singulièrementgros de conséquence
puisqu'ilmarquele débutde la vocationde l'Asie centralepourla religion
musulmane.Auparavant,les religionsse partageaientles populationsde la
Kâchgarie et il nous est impossiblede savoir celle que pratiquaitle
souverain:bouddhisme,manichéisme, christianismenestorien(Grenard,
o.e.yp. 40).
S'il avait été chamaniste,il nous eût été plus facile de rattachersa
naissanceà celle d'un animal.Il demeurecependantpossiblequ'il en soit
ainsi. Si nous interrogeons le tezkirede Boghrã Khãn, dont les diverses
recensionssontlargement à traversles steppes,nous y voyonsun
diffusées
peu plus clair mais ne pouvons acquérirde certitudecar le lécit initial,
dès une époque ancienne,a été trèslourdementchargéd'une coloration
légendaire(Barthold,Histoiredes Turcsd'Asie centrale , Paris,1945,p. 59).
La naissancedu souverainavait étémarquéepar des prodiges.Les devins
ayantconsultéles sortsprédirent qu'il embrasseraitla religionmusulmane
et on voulutle mettreà mort:péniblementsa mèreparvintà le sauver.
Devenu roi,il eut quatrefilset quatrefillesdontla secondereçutla visite
de l'ange Gabriel qui lui distilladans la bouche une gouttede lumière.
Au termede sa grossesse,la viergemit au monde un filsque les sages
direntdescendantd'Alï. Une autreversionracontela naissancemiracul-
euse de cetenfantpar les oeuvresd'un lion. Là encorela piétémusulmane
cherchaà invoquerAlï, le lion de Dieu. Plus tard,cettefillenomméeA'ia
Nour futmariéeà Touk BoghräKhãn et accoucha de troisfilsqui prirent
les nomsde Arslãn(Lion), YüsufArslãnet Kïzïl Arslãn.Plutôt que de
rechercher dans ces conceptionsmiraculeusesune influence chrétienneou,
commeGrenard,celle de l'avestique,on doit y voir,sans doutepossible,
les vieillestraditionsaltaïques adaptées par politique,vanitéet surtout
religionaux thèmesiraniensou, mieux,arabes: tous les écrivainspos-
térieurs à Mas(ùdïfontremonter à Afrâsïyabla dynastiede BoghrãKhãn.

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62 ROUX
JEAN-PAUL

Dans un islam kachgarienencore rudimentaire (du moins il faut le


juger tel), la tradition d'un ou de deux ancêtres animaux se seraitdonc
maintenuependantun certaintemps.Parmi ces princes,nous en con-
naissonsplusieursqui ont portéle nom de Boghräet plus encorequi se
sontparés de celui d'Arslân. (Noter que d'une façongénérale,chez les
Turcsislamisés,le nom Arslãnsera bien plus répondu:chez les Seldjou-
kides, les Ghaznavides,etc.) Quatre pour le moins méritentmention:
1) Saltùk Boghrã Khãn, fondateur,dont nous nous sommes occupés
ci-dessus; 2) Boghrã Khän Hârùn b. Müsä, petit-filsdu précédent;
3) BoghräKhän Muhammadb. Yûsuf,petit-fils du précédent;4) Boghrã
Khãn, prince de Kãsgar auquel fut dédié le KutadguBilig, frèredu
précédent(cf. les articles
de YEncyclopédie Islam). Nous n'hésiterions
de V
pas à parlerd'une ascendancetribalecamelinesi nous n'étionspas telle-
mentengagéedans un milieu: premièrement, trèsinfluencéparlescourants
religieuximportés;deuxièmement, la
par suite, entièrement islamisé.Si,
néanmoins, nous devons le il
faire, importe de ne pas en tirerune con-
clusion généraletantque nous ne savons pas si un des thèmesessentiels
du monde altaïque ancien (filiationanimale),conservéen milieuextra
chamanique,n'a pas été influencépar les Samanidesmusulmanset, en
conséquence,pleind'estimepour le chameau.

JUGEMENTSPORTÉSSUR LES CHAMEAUX

Le granddictionnaire de KãSgarique nous avons interrogé n'est,pour


unefois,pas trèsutileà notresujet.Nous avonsvu que le nomdu chameau
y étaitbien attesté(sous la formedeveet septvariantes).On trouveaussi
titir, ingen,bugra, botu, et plusieursmotsplus particulièrementemployés
alors (et de nos jours encore)se rapportantaux moeurset à la vie de cet
animal(par exempletapraš= "sauter",en parlantdu chameau(KâSgarï,
II, 217), kiikre= kiikremek = s'irriter"que l'auteuremploieaussi pour
le lion: arslankökredi(KâSgarï,III, 282). L'ensemblede ce vocabulaire
estcitéen totalitéune soixantainede fois,ce qui est beaucoupmoinsque
le nom du cheval, at (environ300 fois), à peine moins que celui du
mouton,koyun(75 fois) et plus, par exemple,que celui du loup, böri
(12 fois). Si l'on compare ces chiffres avec ceux que nous avons déjà
mentionnésplusieursfois,il apparaît aussitôtque KâSgarï donne une
grande importanceaux chameaux. Est-ce parce qu'il en parle à des
Arabes,grandsamateurs,ou parcequ'il a subi leurinfluence? On ne sait.
Mais les citationsqu'il faità leurproposmanquentd'intérêt.On trouve
une allusionà la traitédu laitde chamelle(I, 389),deuxou troisproverbes

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LE CHAMEAU
ENASIECENTRALE 63

sans valeurd'enseignement pour notresujet("celui qui monteà chameau


ne se cache pas parmi les moutons"; III, 60), plusieursréférencesau
chargement des marchandiseset à la capacité que les chameaux ont de
porterdes faix (I, 521; III, 309, 67, 314) ou enfindes qualifications
banales telles que tabanlïytewi= "un chameau résistant"(I, 499), ou
bediiktem - "un grandchameau".
Les expressionsrelevées par Barbier de Meynard soulignenttrès
heureusement une singularité.On sait que, tandis que dans les diverses
langueseuropéennes,le mot est prisdans un sens péjoratifquand il est
adressé à un homme = "méchant, sot, maladroit11(cf. le français,
l'allemand),l'arabe au contrairelui donneune valeurlaudative
l'anglais,12
qui reflèteexactementl'estimetrès haute dans laquelle il tient cette
monture.Est-ceinfluenceeuropéenneou tradition?Les Turcs ottomans
n'ontpas du toutsuivisurce pointl'exemplearabe. Le mot deveest pris
avecl'acceptationde "gros, grossier": devegözü = "qui a de grosyeux".13
Devecilik,qui, au sens propre,sertà définirle métierdu chamelier,au
figuréexprimela sottise,la balourdise.C'est cettequalificationque l'on
retrouvedans l'expression"chameau en cage" qui se dit d'un sot qui
estdans les honneurs.14 Parmiles autresexemplesdonnéspar Barbierde
Meynard,citonsencore devesöylemek
: , motà mot: "parleren chameau",
pour "dire des injures,parlergrossièrement", et un proverbe:devegibi
bir dogruyeri yok = "il est comme le chameau, tout chez lui est de
travers!"(B. de M., Diet., I, p. 772).
Ce peu d'estimepour l'esthétiquecaméline n'est pas l'apanage des
Turcs occidentaux.Les Bouriates ont une traditionselon laquelle le
chameau, "cher à aucun" proviendrait d'une sorcièrequi se transforme
elle-mêmepour ennuyerDieu par des actionsétranges(Coxwell,Siberian
and OtherFolk-Tales, London, 1925,p. 159, d'après un récitde N. M.
Kangalov). Les Altaïensracontentd'une manièreplus favorablel'origine
du chameau: le peuplede Tebet-tanat, en conflitavec les Chinois,envoya
contreeux une grandequantitéde maléfices.Les Chinois,l'ayantappris,
en firentautant.Les deux arméesde maléficesse heurtèrent. Mais ceux

11 Le Larousse du XXèmesiècledonnedesinterprétations françaises


populaires qui
nousparaissent assezrares:"Femmede mauvaisevie (se ditcommeinjuretrès
grossièrede toutefemme quel'onveuttraiter avecmépris).Matois,homme ruséet
cupidequi s'arrangetoujoursde façonà avoirla bonneplaceou la bonnepart."
12 M. Hamilton veutbienmedirequelesAméricains l'emploi
ignorent decemotdans
untelsens.
18 Cf.aussilesexpressions "quia unregard
parle P. Arcère:
relevées dechameau",
"quia deslèvresde chameau"etc. . .
14 Ici B.d.M.citede P. Arcère.

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64 ROUX
JEAN-PAUL

des Tebet-tanatse grossirentà la taille d'un chameau et devinrentcet


animal tandisque ceux des Chinoisn'atteignirent que la tailled'un âne.
"Encore aujourd'hui",conclutle conte,"les chameauxprospèrentchez
les Tebet-tanatet les ânes chez les Chinois" (Coxwell,o.c., p. 310-311).
En Turquie,oubliantles raisonspourlesquellesle chamelierconduisait
sa caravane perché sur un âne, nous avons demandé,dans la région
d'Izmir, qu'on nous l'explique. On nous a répondu: "Le chameau est
tropidiot pour se guidertout seul", réflexiond'autantplus surprenante
que l'intelligencedu chameau est hors de doute. A d'autres occasions
nous avons entenduchanterles louangesde cet animal.(Ne pensantpas
alors nous servirde ce trait,nous avons négligéde noteret le nom de
l'informateur et celui,même,de la localitéexacte.)15

LE CHAMEAUDANS LART ANIMALIERDES STEPPES

Tous les spécialistesde l'art animalierse sont entenduspour souligner


l'importancecapitale accordée, parmi les différents motifsde l'art
nommé "des steppes",aux silhouettesd'animaux. Mlle Auboyer (Les
Scytho- Sarmates, les Altaïques, dans VHistoiregénérale des Religions
Paris, 1948,p. 481) trouvedans ces représentations un symbolisme rituel,
qoire religieuxqui nous échappe aujourd'hui.C'est fortprobable.16Et
vuoique,à vrai dire,il soit assez difficile d'attribuerà un peuple ou à un
autreles oeuvrescrééespar ces artistes,le peu de dessinsde chameaux
qui nous sont parvenus,confirmeraient leur exclusionpresquetotaledu
domainemagico-religieux. En effet,passanten revueles diversesespèces
représentées,Mlle Auboyer remarque que, dans l'art des steppes,
dominent"les cervidéspuis le bélier(bouc), le cheval(mulet),les fauves
(panthères,tigres,lions),le boeuf; puis le sanglier,le chien,l'esturgeon,
les oiseaux de proie,le canard,le paon(?),la grue(?),le lièvre,le dauphin,
15 Ne pas attacher tropd'importance à ces textes. Pourl'étudede l'Asiecentrale
ancienne et médievale, nousnousméfions toujours du folklore,
recueilli
tropré-
cemment etquipeutavoirsubitantd'influences! Il estprudentdenel'employer qu'à
titrecomparatif ou complémentaire. La raretédesdocuments anciensconcernant le
chameau, nousa faitunpeuoublier cette
règlequiestnôtre. Apropos del'intelligence
duchameau, ilpeutêtreintéressant derappelercepassageduKitab-i DedeQorqut , où
l'onditd'unhomme : "Il esthautcomme unchameau, maisiln'apasl'intelligence
d'un
chamelon; il estgrandcommeunecolline, maisil n'a pas autantde cervellequ'un
"
grainde millet" (Ettore Rossi,Il Kitab-i DedeQorqut ", CittàdelVaticano,1952,
p. 148).
16 Sil'onencroit lesspécialistes quisemblent biend'accord. Cf.parmitantd'autres
les travaux ď Alföldi, "Die Theriomorphe Weltbetrachtungen derhochasiatischen
Kulturen", Arch. Anzeiger , 1931,pp.393-418 et"Die geistigenGrundlagen derhoch-
asiatischenTierstiles",Forsch . u. Fort VII,p. 278-279.
sehr.,

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LE CHAMEAU
ENASIECENTRALE 65

l'hippocampe".Nous retrouvonsune listeà peu prèssemblableà celle de


notremythologie:le béliery a prisla place du mouton;le loup et l'oursy
manquent,faitssinguliers ; le poissony est représenté par l'esturgeon ! les
oiseaux sont fortnombreux.Et Melle Auboyerajoute: "Le serpentest
rare; le chameaul'est encoredavantage"{ibid,). Est-ceune coïncidence?
M. Lefébure(Le Chameauen Egypte, T. III des Actesdu XlVe congrès
international des orientalistes, Paris, 1907) frappépar l'absence de toute
représentation du chameausurles monumentsa montréqu'elle étaitdue
à la proscription qui frappaitcettebête,considéréecommeimpure(cf.plus
bas). C'est sans doute cettemême raison (sa mauvaiseréputationétant
trèsrépandue),qui l'a faitexclureidentiquement des oeuvresfiguratives
de la préhistoire. Le silencenon moinsétrangedes auteursanciens,pense
le Cdt Cauvet,peuts'expliquerde cettefaçon."Etantproscritcommeune
bête immondepar les religionsde l'antiquité,il étaitnaturelqu'on n'en
parlâtpas et qu'on ne le représentât pas" (Cauvet, o.e., I, p. 30-31).
Les résultatsobtenuspar l'inventairedû aux divershistoriensde l'art
steppique,clairement résumésci-dessusdansla citationque nousavonsfai-
te de l'un des pluséminentsd'entreeux,apparentent les traditionsscytho-
sarmatespuis altaïques à celles,plus générales,des peuplesde l'ère pré-
historique.Un examen des monumentsplus particulièrement turcsou
mongolsapporteraittoutefoisquelques modifications à des résultatsque
l'on pourraitconsidérércomme décisifspour prouverl'existenced'un
tabou,archaïqueet longtempsconservé,visantles camélidés.Si ce tabou
existe,et nous sommes enclinsà le croire,il faudra bien trouverun
moyende justifier l'existencede certainesstèlesqui, contretouteattente,
mettenten reliefla peu gracieuse silhouettequi semblait avoir été
oubliée.Au premierrangde ces piècesmaîtresses,on doit citerla pierre
de Kara yüs,trouvéedans les environsdu villagede Sulek,bien connue
des turcologueset dontl'attribution aux peuplesturcsanciensde l'Ienissei
(Qirqiz?) ne fait pas de discussion,car elle est prouvée par quelques
brèvesinscriptions en caractèresditsruniques,en toutune soixantainede
la
signes(cf. reproduction dans H. N. Orkun,o.e., Ill, p. 195,ou, mieux,
dans Appelgren-Kivalo,H., Alt-Altaische Kunstdenkmäler , Helsingfors,
1931,pl.77),vestiged'untextepluslongmutiléparlesans.Ce rocherd'assez
grandesdimensionspeut avoir été travailléentreles Vllème et IXème
siècles,mais il est impossiblede situerplus exactementsa date. Les
sculpturesmontrent des scènesde chasseet,en plus d'elles,indiscutables,
un grand nombred'animaux - en totalitéune centaine.On peut sans
doute y voir aussi des symbolesdivers,dont, probablement,plusieurs,
sexuels.Dans cettefaune,les bêtesà cornesdominent.On voit quelques

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66 JEAN-PAUL
ROUX

fauves,des chevauxet leurscavaliers,des oiseaux posés au sol. Quoique


certaineszones ne soientpas claires,nous pensonspouvoirdénombrer
sans erreur,douze chameauxà deux bosses,ce qui représenteun pour-
centageassez élevé.Aucund'eux n'estnimonté,nichargé.Tous paraissent
à l'étatsauvage,ce qui apporte,en particulier, une confirmation formelle,
si besoinen était,aux attestations fourniespar nos textesrelativement à
la chasse de ce gibier.Sur les registresles plus élevés et sur le plus bas,
trois groupes de deux chameaux s'affrontent dans une position assez
nettement copiée des combatsviolentsque se livrentces animaux,aux
époques du rut.(Ces luttessontdevenuesde véritablesreprésentations en
Turquie, en Asie au en en
centrale, Caucase, Perse, Tunisie, etc. Paris,à
l'époque où il était encore Lutèce, à dû en voir, dès que les grandes
invasionseurentaménéen Gaule ces lointainsmammifères puisqu'on en
a retrouvédes ossementsdans son cirque. Ce spectacleappréciédans la
moderne Ankara est peut-êtreplusieursfois millénaire.Son histoire
seraità faire.)L'observationde nos paléo-turcsest bonneet ils devaient
êtretrèsaccoutumésà ce combatdes mâles pour l'avoir renduavec tant
de vérité.Le Tung-kuanHan chi nous prouvequ'il avaitdéjà lieu chez les
Hiong-nu: "Le Chan-yu sacrifieannuellementau temple des trois
dragons; ils fontcourirles chevauxet lutterles chameaux,regardantces
exercicescomme des réjouissances"(dans Schafer,The camel in China,
p. 178).L'un des tableautinsque nous avonsici meten scèneunetroisième
bête qui a l'air d'attendrele résultatdu conflit(une chamelle?).Dans le
registre médian,un chameaumêléà quelqueschevauxsuitdocilementun
cavalierarmé.Dans le registre inférieur, un chasseurmontétientau bout
de son lasso un chameau qui raiditses patteset redressela tête pour
résisterà l'étreinte.Deux autres,autourde lui,indiquentsans doutequ'il
s'agit d'un troupeau.Un dernieranimal,plus gros que les précédentset
situéen pleinmilieude l'ensemble,se voitmalheureusement mal, à cause
des cassures(ou des ratures)de la pierre.
La raison d'être de cette sculpturepeut expliquerpourquoi elle re-
présenteune bête que nous sommesportésà considérercommemise à
l'index: il ne s'agitpas ici d'une figuration religieuse.On ne peuten effet
voircommetellela magieimitativequi doit l'inspirer;graverune chasse
fructueuse, c'est s'assurerdes succès cynétiqueset tous les animauxqui
sontici constituent le gibier.
Dès que l'on retrouvesur d'autrespierresde la mêmecivilisationdes
animaux sacrés ou sacrificiels, il n'est plus trace du chameau. On voit
alors des cervidéset un animal que nous avons peine à identifier (peut-
êtreun loup hurlantà la mort)placés au dessuset au dessousd'un sabre

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LE CHAMEAU
ENASIECENTRALE 67

dans une pierrevoisinedu fleuveTuran (H. N. Orkun,o.e., Ill, p. 44)


ou encore les cerfset les sangliers(?)qui accompagnentl'inscription
funéraire d'Uyug Arkhan(H. N. Orkun,o.e., Ill, p. 14).
Y a t-ilun tabousur le chameau!
Mac Cullocha observéqu'un des résultatsdu totémismeétaitle tabou
contrel'absorbtionde la chairde l'animaltotem(Encyclopediaofreligion
and Ethics,New-York, 1913).17
On ne peut certespas parler de totémismeen ce qui concernele
chameau d'Asie centrale.La gravurerupestreconfirmerait bien plutôt
son exclusiondu domaine magico-religieux. Cependant il n'est pas im-
possible qu'un interditalimentaire l'ait frappé. Parmi les différentes
coutumesnotéesen généralassez soigneusement par les voyageurset les
géographes qui ont parlé de l'Asie centrale,on trouve cellesrelativesà la
nourriture de ses populations.C'est de touteévidenceun petitproblème
qui préoccupeau premierchefle "touriste"d'hiercommeceluid'aujourd'-
hui et qu'il estbienplacé pour connaître.Aussi avons nous,souventavec
l'appui d'un commentaireassez naïf, des listes détaillées des mets
communément servissurla table des Turco-Mongolset des Mandchous.
Quoiqu'elles soient fort complètes et mentionnenten particulierles
alimentsqui paraissentétranges,on n'y trouve que très rarementle
chameau.
1) Sa consommationest attestéechez les Mandchous,non commeun
mets ordinaire,mais comme un pis aller: lorsqu'ils n'avaient rien
d'autre,ils mangeaientle chairdes chameauxet des chevauxà demicuite
(De Mailla, Histoiregénéralede la Chine, X, p. 494, note).
2) Le Yuan she nous apprendque Tai tsu,se trouvantunjour avec six
de ses hommesà courtde nourriture, les chargead'attraperun chameau
qu'ils tuèrentet rôtirent"pour que Tai tsu mangeât".E. H. Schaferen
conclutd'une façongénéraleque les Mongols se nourrissaient de la chair
des chameaux (Schafer,o.e., p. 191). Rien ne nous semblemoins sûr.
D'abord, dans le récitdu Yuan she, il s'agit de nourrirun personnage
toutà faiten dehorsde la normale: l'empereur,filsdu Ciel. Peut-êtrele

17 Cf.lesobservations faites eneffetdansplusieurs tribus australiennes (Spenceret


Gillen,TheNorthern Tribes).Maisest-ilbiennécessaire de rappeler combien cette
questiona étédiscutée? Durkheim pensequeletaboualimentaire n'estpasrécent mais
correspond à uneinterdiction jadisplusgénérale{Formes élémentaires, p. 154).Frazer
estimequela coutume demanger l'animaltotema dûêtregénérale à l'origine (Origines
dela Famille, p. 15)maisditpasailleursquele totem estentouré d'unrespect quil'em-
pêched'êtretuéetmangé (Totémisme etexogamie,p. 13).Quantà Murphy ilvajusqu'à
direquechaqueclana dûchoisir comme toteml'animal dontil faisait sa nourriture
favorite
(Origine etHistoire
, pp.95-96).

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68 ROUX
JEAN-PAUL

tabou s'efface-t-il devantlui? Ensuite,loin de nous présenterce repas


commebanal, la Chroniquenous montrela captureet l'exécutiond'un
chameau dans des circonstancesanormales d'un jeûne qui risque de
frapperle souverain.Elle sembles'excuserde relaterce faiten précisant:
on a tué cettebêtepour que Tai-tsumange.
3) D'une portée plus généralesemble au contrairel'attestationque
l'on peutliredans le rapportsur"l'Etat du GrandKhan par l'archevêque
de Sultanyeh"écritaprès 1328,sans doute d'après des documentsplus
anciens,dit M. Jacquet{JournalAsiatique, 1830,p. 57): "Quand ils font
grandefête[les gens du Cathay]tuentcharnelset en fontbeaux metsà
leur guise (ibid., p. 343; ou, mieux, De Backer, V ExtrêmeOrientau
Moyen âge, Paris, 1877, p. 343). Il s'agit évidemmentdes Mongols
gengiskhanides.Notons à ce propos qu'il peut être question ici d'un
repas communielet de l'absorptiond'un animal sacrifié,les festivités
mongoles ayant toujours un caractère religieuxet s'accompagnant
d'offrandes(cela nous apporteraitle témoignagequi nous manque au
sujetde l'immolationrituelleétudiéeci-dessus).Mais rienne nous permet
d'être tant soit peu affirmatif. La date de ce texte,même si l'on doit
remonterde quelques annéespour se trouverà l'époque de ses sources,
est si basse que les moeursse sontalors altérées.Marco Polo nous le dit
déjà quaranteans plutôtet nous le voyonsbien dans le récitd'Odoric de
Pordenone.
Rien de surprenant qu'à Khan Balik, au XlVème siècle,des Mongols
en grandepartiesinisésmangentdu chameaupuisqu'ilestbienconnuque
les Chinois, depuis sans doute la plus haute antiquité,ont consommé
pour le moinsleursbosses. Nous reviendrons surce problèmeplus loin.
(Pour le chameau en Chine, cf. Wolfram Eberhard,"Die Lokalkulturen
des Nordens und Westens",Die Lokalkulturen im AltenChina, Toung
Pao, suppl. vol. XXXVII, 1942.) D'autre part,nous ne sommesplus en
Haute Asie et l'influencechinoisepeut se fairesentir.
La précisionde ces deux documentspeut-elleconcurrencer l'éloquence
silencieusede tous les autres?Dès que les premièresnouvellesarriventen
Occidentsur l'invasiondes Tartares(Mongols et Turcs unis à eux dans
l'arméegengiskhanide) les informations les plus diversessont donnéesà
leursujet,informations que l'historienMatthieuParisa recueilliesdans sa
Chronique. Ainsi peut-onlire dans la lettreadressée à Jean duc de
Brabant par Henri de Thuringeet de Saxe: "Non seulement,ils [les
Tartares]mangentdes hommesmais encoreils les dévorent.Ils mangent
aussi des grenouilles,des serpents..." (M. Paris, Chronicamajora, trad.
Huillard-Breholles,Paris 1840-41, VIII, p. 476); et dans le récit de

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LE CHAMEAU
ENASIECENTRALE 69

l'archevêquePierre,venu de Russie au Concile de Lyon (1245): "Ils


mangentde la chairde cheval,de chienet d'autresanimauximmondes;
au besoinmêmeils mangentde la chairhumaine.Ces chairscependantne
sontpas cruesmais cuites.Ils boiventdu sang,de l'eau et du lait" (ibid.,
VI, p. 5-6). Les envoyésdes princeschrétiensne nous fontpas entendre
un son de clochedifférent. AinsiRubruck:"Ils mangenttousles animaux
mortssans distinction ; . . en été, aussi longtempsque dure leur cosmos
[kumis]... ils ne prennentpoint d'autresnourritures. S'il arrivequ'un
cheval ou un boeuf meure,ils sèchentsa viande... et la gardentpour
l'hiver"(ed. de Rockhill,London, 1900,p. 64-65). Plan Carpin: "Leur
nourriture est chaque chose qu'ils peuventmanger;car ils mangentdes
chiens,des loups, des renardset les chevauxet, quand ils sont poussés
par la nécéssité,la viandehumaine... j'ai vu aussi qu'ils mangeaientdes
poux... j'ai vu aussi qu'ils mangeaientdes rats... ils n'ont ni pain, ni
huile, ni légumesrien que de la viande" (ed. d'Avezac, Paris, 1838,
pp. 242-243).
Cette consommationdes poux est aussi donnée par Ibn Fazlân
(d'Ohsson,Des peuplesdu Caucase, Paris, 1828,p. 129) et celle des rats,
trèsfréquemment, par exemplepar Marco Polo qui écrit:"Ils mangent
toutes sortesde viandes,y comprisles chevaux,les chiens et les rats
Pharaoh" (Marco Polo, ed. Hambis, Paris, 1955, p. 82). U Histoire
Secrète connaît deux sortes de "rats", et Minns (Scythsand Greeks,
Cambridge,1913, p. 6) y voit, avec raison, les très caractéristiques
rongeursdes steppes,voisinsde la gerboiseet regardésabusivementpar
les ancienscommedes rats.
A une époque beaucoup plus prochede nous, Pallas dont le récitdes
voyagescontientd'inépuisablesrenseignements, alors de passage chez
les Kalmuks, nous dresse un menu très complet de cette tribu: "Ils
mangenttous les animauxet oiseaux quelconques,pourvuqu'ils soient
gras. Ils aimentsurtoutle blaireau,la marmoteet la musaraigne[voici
les rongeursnommés"rats"]... Ils fontaussi grandcas du castor... Ils
mangentbeaucoup de chevaux, de chèvres sauvages, de sanglierset
mêmeles oiseaux de proie les plus gros. Ils ont la plus grandeaversion
pour la chair du loup; ils disentqu'elle est amère. Ils mangentavec
répugnancedu renardet d'autrespetitscarnassiers"(Pallas, Voyagesen
différentes provincesde VEmpirede Russie et dans l'Asie septentrionale ,
5 vols., Paris, 1788-1793,1, p. 512).
A lire tous ces textesgastronomiques,on pourraitcroire que l'on
parcourtun pays où le chameaun'existepas. Or, il existebien,quoiqu'il
soit rarechez les Kalmuks,puisque le mêmePallas, quelques pages plus

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loin,juge utilede consacrerplusieurslignesau problèmede son élevage.


On s'expliquemal que Plan Carpinet les autresvoyageursdu moyenâge,
originaires des paysde l'Europe occidentaleoù cetteespècene s'acclimate
pas, n'aientpas noté,avec répugnanceou curiosité,qu'on le mangeait.
Notre étonnement, au reste,n'est pas moindredevantleur silencesi on
ne le mangeaitpas.
Yâqùt nous donnepeut-êtrela solutiondu problème.Parlant,d'après
Abu Dulaf Mis'ar ben Muhalhil,de la tributurquedes Čigil, il relate:
"Ils n'égorgentpas les chameaux" (Ferrand, Relationsde voyageset
textesgéographiques , Paris, 1913-1914,I, p. 211). Bien plus cette ob-
servationcapitale,il la refait,toujourssuivantson mêmeinformateur, à
propos des Kirghiz et avec plus de force: "Ils se nourrissent de toutes
sortesde viandes,à l'exceptionde viandede chameaux"{ibid.,p. 214).
Le récitd'Abu Dulaf Mis'ar, cité par Yâqùt, se trouveaussi dans
Qazwïnî. La versionest identiquepour les Čigil. Mais, pour les Kirghiz,
Wüstenfeld, traducteurde cettepartiedu textede Qazwïnî, a compris:
"Ils se nourrissent de viandede chameaux"(Wüstenfeld, "Des Abu Dulaf
Mis'ar . . ." dans Zeitschrift
für vergleichende Erdkunde , II, Magdebourg,
1842, p. 213). Ferrandqui a remarquéla contradictiondit que le texte
impriméde Qazwïnî est identiqueà celui de Yâqùt. Il y auraitdonc un
contresens du traducteur.La vraisemblanceplaide en faveurde cette
thèse.Un Arabe, grandamateurde la chair du chameau,n'auraitrien
trouvéd'anormalà ce qu'on la mange.
Hue et Gäbet,les deux lazaristesqui dansles années1844-1846allèrent
de Chine au Thibet avec une petite caravane de chameaux, se sont
particulièrement intéressésaux moeurs de ces animaux. Le Père Hue,
qui fut le narrateur du voyage,écrità leursujet: "Leur chairestcoriace,
de mauvaisgoûtetpeu estiméedes Tartares . Ils tirentpourtantassez bon
partides bossesqu'ils coupentpar tranchesetmêlentà leurthéen guisede
beurre.18 On sait qu'Héliogabale faisaitservirdans ses festinsla chairdu
chameau et qu'il estimaitbeaucoup leurs pieds. Nous ne pouvons rien
dire de ce derniermets,que l'empereurromain était glorieuxd'avoir
inventé;mais nous pouvons assurerque la chair du chameau est dé-
testable" (Hue, Souvenirsd'un voyagedans la Tartarie,le Thibetet la
Chine, Paris, 1850,1, p. 336).
Le jugementdu Père Hue relatifà la saveurde la chair du chameau
nous surprendraitsi nous n'étions pas habitués à ses inexactitudes.
Chacun sait qu'elle est au contraireassez agréableà consommer.Cauvet,

18 LesChinois desbossesdechameaux.
d'Asiecentrale
importaient

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ENASIECENTRALE 71

qui chercheà la qualifier,n'hésitepas à dire: "C'est un bon alimentet la


meilleureviande que l'on puisse trouverdans les régionsdésertiques"
{o.e., I, p. 695). Ce qui nous intéressedavantage,c'est l'information selon
laquelle au milieudu XIXe siècle, les "Tartares" n'aimaientpas encore
la manger.En somme,elle correspondtout à faità ce que les Chinois
nous disentdes Mandchous qui, nous l'avons vu, la considèrentcomme
un pis aller.
Or, cette attitudegastronomiquechange dès que nos Altaïques se
convertissent à l'islam. Aujourd'hui,dans tous les pays turcsislamisés
la chairdu chameauesthabituellement mangée.Citons,parmides milliers
d'autrestémoignages, celui de Vilbouchevitchrelatifaux indigènesde la
Russiedu sud (régionde Novo Ouzensket de Nikolaevsk):"Les Tartares
achètentvolontierspour s'en nourrirles vieuxchameauxhorsde service"
(J. Vilbouchevitch,"Emploi du chameau en Russie comme animal
agricole", Revue des SciencesNaturellesappliquées , Paris, 1894,p. 56;
aussi cf. Dubeux, o.e., p. 70, 165 etc.).
Ce goût nouveau s'est répandutrèsviteavec la conversion.
Marco Polo le signale déjà chez les musulmansde Lop (ouest du
Lob-nor) qui, "si [dans le désert]leursprovisionss'épuisent",mangent
ânes et chameaux,mais qui précise"ils préfèrent cependantconserverces
derniers"(LVII, Hambis, p. 65). Ma collègue et amie Mme Mélikoff
Sayar a eu l'obligeancede me communiquerune phrasedu Danishmend
name, ouvragerédigéau milieudu XHIème sièclemais composé autour
de la personnalitéde Malik DanishmendAhmed Ghazi, fondateurà la
findu Xlème de la dynastiedes Danishmendites(cf. M. F. Köprülü,
Encyclopédiede VIslam): "Et il [Malik Danishmend]donna l'ordre de
veilleraux préparatifsdes noces et du festin.Les intendantsvinrent
évaluerles dépenses.On égorgea1.000moutons,500 chèvres,300 boeufs,
200 chameaux,150 chevaux... Melik Danishmendavait en ce tempslà
30.000 hommesd'armes; on fitdes préparatifsen conséquence" (MS.
de la B. N., A. F. Turc317,folio140verso).Quoique un grandnombrede
textesturcsmusulmansarchaïquesomettentle chameau dans la listedes
festins(cf. par exemplele Destan d'Umur Pacha, publiéen transcription
et traduit par I. Mélikoff-Sayar, Paris, 1954, où l'on trouve cités:
agneaux,moutons,oies,canards,kebab, nuql= metssucrésavec du vin),
il n'estpas difficile de trouverd'autrestextes(cf. Rossi, Il " Kitab-iDede
Qorquť' Città del Vaticano, 1952, p. 152 et 214, où l'on voit à deux
reprisestuerou étrangler pourun festin"des chevauxmâles,deschameaux
mâles et des béliers",etc.).
Nous ne pensonspas qu'il faut conclurede ces textesque les Turcs

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islamisésqui mangentle chameau tout en ayantconservé,par ailleurs,


beaucoup de leurs anciennespratiques,se conformentà une habitude
ancienne.Nous avons déjà eu l'occasion de rappelerque le chameau
constituele plat le plus appréciédes Arabescommeil est,en conséquence
peut-être, l'animal sacrificiel du plus haut prix.Or le régimealimentaire
est une des prescriptions les plus apparentesde l'islam(interdictionde la
viandede porc,du vin,nécessitéde fairecoulerle sangdes animaux,etc.)
et avec laquelle il ne sembleguèrepossiblede composer.Se convertir à
l'islam,mêmeen façade,c'est accepterde mangercommeles musulmans.
Quand on sait, de plus, à quel point les Turcs subirentl'influencede
ceux qu'ils avaientconquis on ne peut s'étonnerqu'ils aient renoncéà
leurrépulsionprimitive.
Cauvet, dans sa monumentaleétude, quoiqu'ayant lu le Père Hue,
n'a pas mis en doute,influencéqu'il étaitpar les moeursarabes,que les
Altaïques ont, de tout tempsmangéle chameau. S'appuyantsur ce qui
nous estparvenudu yasakde GengisKhan,il ditque cetempereur mongol,
avait réglementéson abattageet sa consommation(o.e., II, p. 38). Les
lois gengiskhanides pourtantne disentriende tel. Elles se contentent de
fixerle mode d'exécutiondes animaux sans spécifieraucunementqu'il
s'agisse du chameau(cf. Rasianovsky,Fundamental Principlesof Mongol
Law, Tien tsin,1937,p. 83). Cauvet,en partantde ce pointqu'il considère
à prioricomme certain,a établi une théoriebrillantemais sans doute
fausse. Il pense que la chair du chameau a toujoursété appréciéedes
nomades - ce qui est vrai pour les Arabes - et, en contrepartie, parce
qu'elle représentait leurmetsle plus recherchéet symbolisaitleur civili-
sation, qu'elle a toujours été exécréepar les sédentairesleurs voisins
(Cauvet, o.c., I, p. 682, II, p. 53).
Les faitsdu procheOrientanciensédentairelui apportait,semble-t-il,
la confirmation dont il avait besoin. Chez un grandnombrede peuples
un tabou a frappéle chameau. Nous l'avons déjà vu pour l'Egypte
ancienneet, d'une façonassez générale,pour les peuplespré-historiques.
Il en est maintsautres cas (cf. aussi pour l'Egypteancienne,Naquib
George,"The camelin ancientEgypt",in TheBritishVeterinary Journal,
105, 1950,pp. 75-81). Les camélidésqui constituaient une richessedes
Hébreux(à l'époque où ils étaientnomades?)(cf. Job et ses troupeaux,
1-17; XLII-12) sont bientôtconsidéréscomme bêtes impures: "Vous
ne mangerezpas le chameau... vous le considérerezcomme impur"
(Lévitique,XI, 4; cf. aussi Deutéronome,XIV, 7). Aux Indes, les Lois
de Manou affirment que l'hommequi a mangédu chameau sera, dans
l'autremonde,dévorépar un animalde cetteespèce(déjà citépar Cauvet,

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ENASIECENTRALE 73

o.e., II, p. 54 sq., qui donne d'autresexemplesde cet interditaux Indes


et l'étudiédans l'Iran ancien).En Perse,avant la réformezoroastrienne,
les idées devaientêtrevoisines,bien qu'Hérodote nous apprennequ'on
l'y mangeait(I § 133), si l'on pense qu'il ne futjamais considérécomme
bête sacrificiellequ'après et à défautdu cheval,du boeuf,de la vache et
de la brebis.
Les habitudesdu mondede l'extrêmeOrientnous obligeraientdonc à
reconsidérerla chose. Nous l'avons vu, en Chine, les richestables se
garnissaientde bosses de chameauxet, au contraire,les repas nomades
altaïquesles excluaient.La théoriede Cauvetétabliecommeune variante
du typebienconnu: "Le porcanimaldu sédentaireesttenucommeimpur
par le nomade", est donc démentie.Le voyageurOwen Lattimores'en
était aperçu: "Un voyageurchinois", dit-il,"peut mangerla chair du
chameau,acheteret vendresa peau, qui sont tabou pour le caravanier"
(Owen Lattimore,The desertroad to Turkestan , p. 144).
Cetteconstatationimpliquecependantune réserve.Le chameau,peu
répandudans l'empiredu Milieu, sembleavoir été associé dans l'esprit
chinois,aux "barbaresdu nord". On doitdonc chercherchez ces derniers
l'origine des coutumes chinoises à son sujet et singulièrement celle
relativeau surprenantrégime alimentaire.Nous sommes amenés à
conclurequ'il a dû y avoir en Asie centraleune double coutume.L'une,
orientaleet septentrionale (Hiong-nu?),n'auraitpas taboué le chameau
(c'est elle que nous retrouverions chez les Shato, sacrificateursde cet
animal). L'autre, méridionale ou occidentale, se rattacheraità celle
généralede l'Asie ancienne.La deuxièmeauraitdéfinitivement triomphé
dans les steppes,tandisque les Chinois s'en seraienttenusà la première
devenuechez eux une tradition.Cettehypothèsepermettrait d'expliquer
certaineshésitationsdu comportement altaïque à ce sujet.

Le dossierque nous avons réussi à constituerest, on le voit, bien in-


complet.Aussi n'est-celà qu'un travaild'approche.Les sourcesrelatives
aux Altaïques sont trop disperséeset tributairesde trop de spécialités
(iranologie,sinologie,etc.) pour qu'on puisse espérern'en avoir pas
laissé échapper. Si cet articlepeutêtre l'occasion pour des collègues
françaisou étrangersd'apporterdes documentsque nous n'aurionspas
su trouveret qui situeraientle chameau dans un des domainesétudiés
ci-dessuset où nous avons surtoutconstatéson absence,nous aurions
sans doute la récompensede l'avoir écritet de croireà son utilité.

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Jetiensà remercier
MmeMélikoff-Sayar, lesProf.Bazin,Boratav,
Deny,Pritsak qui
ontbienvoulus'intéresser
à cetravailetm'apporter
l'appuideleurhautecompétence.
Jesuisparticulièrement
redevableau Prof.Bazinquia bienvoulurevoiretaméliorer
la traduction
destroisprésagesdel'IrkBitigavantmêmed'avoirétudiéle mss.à son
séminaireetau Prof.Denydontl'intérêtpourcespagesnes'estjamaisdémentietqui
a acceptél'ennuyeuxdevoirde relire
et de corriger
lesépreuves.

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