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Géosciences

La naissance de la Terre
Les premiers instants de la Terre, c'est-à-dire ses 100
premiers millions d'années, ont déterminé sa structure
interne. Le noyau métallique et le manteau silicaté formés,
une pluie météoritique a parachevé l'apparence de notre
planète, la parant de ses océans et de son atmosphère.

MARC JAVOY | 30 novembre 1999 | POUR LA SCIENCE N° 329 | 17MN

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Le Système solaire est probablement né de l'explosion


d'une supernova. Elle a provoqué l'effondrement sur lui-
même d'un nuage moléculaire dense de quelques
milliards de kilomètres de diamètre. L'effondrement de
ce nuage a conduit à la naissance d'une étoile de 1,4
million de kilomètres de diamètre : le Soleil. Le reste du
nuage, la nébuleuse solaire, s'est progressivement
organisé en un système planétaire. Cette « naissance » du
Système solaire n'a duré que 10 à 15 millions d'années,
pendant lesquelles l'environnement solaire a beaucoup
évolué : les particules composant la nébuleuse solaire se
sont modifiées avant de « s'accréter », c'est-à-dire de
s'agréger pour former des objets plus gros, tels les
planétésimaux (quelques mètres à quelques dizaines de
mètres de diamètre), des petits corps célestes (moins de
500 kilomètres de diamètre) et enfin les planètes. Jupiter,
Saturne et les autres planètes géantes sont apparues au-
delà de 750 millions de kilomètres ; les planètes
telluriques, Mercure, Vénus, la Terre et Mars, sont nées
en deçà de 250 millions de kilomètres ; enfin, les « restes
» de cette aventure se sont rassemblés dans la zone
située entre 350 et 500 millions de kilomètres, la «
ceinture d'astéroïdes », un assemblage disparate de petits
corps célestes stabilisé par les attractions de Jupiter et du
Soleil.

D e cette ceinture d'astéroïdes provient l'essentiel


des météorites, des objets très importants pour
comprendre la formation des planètes. Grâce aux
renseignements apportés par ces météorites et aux
nouvelles techniques d'étude de la Terre, les
géochimistes progressent dans la description des 100
premiers millions d'années de notre planète. Ces «
premiers instants » ont été essentiels pour sa formation,
c'est-à-dire pour l'élaboration du matériau terrestre au
sein de la nébuleuse solaire, son accrétion en
planétésimaux, puis en planète, la formation de la Lune,
puis la différenciation des différentes enveloppes
terrestres, et le dépôt d'un fin « vernis final ». C'est cette
aventure primitive que nous évoquerons ici.

Quand l'aventure commença-t-elle ? L'âge du Système


solaire a été déterminé il y a une cinquantaine d'années
grâce à des radiochronomètres constitués par des
isotopes radioactifs dont on connaît les périodes de
désintégration, et leurs isotopes fils. Ces
radiochronomètres ont permis d'établir que le Système
solaire a 4,566 milliards d'années, tandis que l'âge de la
Terre serait voisin de 4,45 milliards d'années. Ainsi,
notre planète est, depuis au moins quatre milliards
d'années, formée d'un noyau de fer et de nickel, liquide
encore maintenant à 90 pour cent, et conducteur, dont
les mouvements de convection créent un champ
magnétique ; ce noyau est entouré d'un manteau de 2
900 kilomètres d'épaisseur animé de mouvements de
convection beaucoup plus lents (voir la figure 2). À
cause de sa densité, les géophysiciens pensent que le
noyau est constitué d'un alliage de fer et de nickel. Sa
densité, déduite de la sismologie, est néanmoins environ
10 pour cent inférieure à celle de l'alliage fer-nickel pur :
on en conclut que le noyau contient 5 à 15 pour cent
d'éléments plus légers (tels l'oxygène, le silicium, le
soufre, etc.).

Les continents ne forment que 0,4 pour cent de la masse


terrestre, tandis que les océans représentent deux dix
millièmes de la masse totale et l'atmosphère moins d'un
millionième. La Terre est une sorte de centrale
thermique, d'une puissance de 40 millions de mégawatts
(l'équivalent de 40 000 réacteurs nucléaires), dont moins
de la moitié provient de la radioactivité actuelle et l'autre
de la chaleur emmagasinée tout au long de sa formation
et de son évolution. Ceci fait de notre planète ce que les
géochimistes nomment un objet différencié, c'est-à-dire
formé de couches différentes, apparues à l'issue d'un
remaniement profond du matériau constitutif. Cette
différenciation rend difficile l'identification des
matériaux de base de la planète.

Progrès dans la mesure des


temps
Les avancées conjuguées de la radiochronologie, de la
géochimie isotopique, de la cosmochimie (science des
matériaux extraterrestres dont le développement s'est
accéléré avec les programmes spatiaux) ont aidé à la
reconstitution des premiers instants de la Terre. Grâce
aux progrès de l'analyse isotopique, il est désormais
possible d'effectuer la mesure très précise des
proportions d'isotopes de très nombreux éléments, dont
certains sont déterminants pour reconstituer la
formation de la Terre : tungstène 182, chrome 53, mais
aussi oxygène, hydrogène. Les progrès de la géochimie
isotopique ont ainsi rendu possible la mise au point de
nouveaux radio-chronomètres : 182hafnium-182tungstène
(dont la période est égale à 9,7 millions d'années) et
53manganèse-53chrome (de période 3,7 millions
d'années) notamment. La relative brièveté de leurs
périodes permet de mesurer avec précision des
intervalles de temps de l'ordre du million d'années situés
il y a environ 4,5 milliards d'années. Les éléments « pères
» (aluminium 26, hafnium 182, manganèse 53, iode 129,
etc.) ne sont évidemment plus radioactifs après 4,5
milliards d'années, mais leur trace subsiste sous la forme
de leurs isotopes fils (magnésium 26, tungstène 182,
chrome 53, xénon 129, etc.). L'abondance actuelle de ces
isotopes au sein des éléments correspondants
(magnésium, tungstène, etc.) permet la datation (voir
l'encadré page 46). En outre, la diversité de leurs
caractéristiques chimiques nous renseigne sur le
phénomène de différenciation du noyau. Le hafnium
n'entre pas dans le noyau (il est dit lithophile), alors que
le tungstène, avec une très forte affinité pour le fer, est
presque totalement absorbé par le noyau (il est dit
sidérophile). Le manganèse et le chrome ont, pour le fer,
des affinités moyennes et semblables.

Par ailleurs, la réalisation en laboratoire des très hautes


pressions (un à trois millions d'atmosphères) qui règnent
au centre de la Terre ainsi que les progrès de la
minéralogie autorisent la reproduction de minéraux
correspondant à un modèle de composition chimique
donnée, et la comparaison de leurs propriétés avec celles
fournies par la sismologie pour les zones profondes de
la Terre. La modélisation théorique et expérimentale des
mouvements convectifs très lents qui animent le
manteau terrestre laisse imaginer son évolution dans le
temps. De son côté, la cosmochimie fournit une
chronologie et des informations sur les matériaux de
départ. La géophysique et la minéralogie vérifient la
compatibilité des matériaux désignés par la cosmochimie
avec les propriétés du globe terrestre tel qu'il est
aujourd'hui. Ces moyens techniques permettent de
s'attaquer à la période obscure, dite hadéenne, de
l'histoire de la Terre, ces 700 millions d'années séparant
la naissance du Système solaire de l'âge des plus vieilles
roches terrestres connues.

Le matériau terrestre
Une tâche importante consiste à identifier le matériau
d'origine de la Terre tel qu'il existait avant sa
différenciation. La suite d'événements qui créa les
différentes couches terrestres a effacé la composition de
départ en répartissant les éléments chimiques de façon
différente entre le noyau et le manteau. Néanmoins, on
sait que le matériau terrestre initial était dans un état très
réduit, c'est-à-dire que le fer y était à plus de 85 pour
cent sous forme métallique (réduite) et à moins de 15
pour cent sous forme oxydée. Si l'on tient compte du
fait que le silicium contenu dans le noyau devait d'abord
être réduit à partir des silicates, et que le seul réducteur
en quantité suffisante pour réaliser cette réaction était le
fer métallique, on peut conclure que le matériau initial
ne contenait pas du tout de fer oxydé. Les chondrites
dites à enstatite, car elles contiennent 45 pour cent de
pyroxène enstatite (voir la figure 3 à gauche) sont en
effet dans un état très réduit qui résulte d'une
transformation globale du matériau primordial par
adjonction de silice, de fer et d'éléments ayant une forte
affinité pour le fer, tels l'or et le platine et, à un degré
moindre, de sodium, de potassium et d'autres éléments
de la même famille (celle des alcalins). Cet indice réduit
le champ d'investigation aux météorites primitives, les
chondrites. Ces dernières tirent leur nom des chondrules
(petites sphères résultant de phénomènes de fusion
locale) qu'elles contiennent. Ces chondrules ont été les
témoins des phénomènes chaotiques qui ont eu lieu au
tout début de la nébuleuse solaire, ce que confirment les
âges très précoces indiqués par les divers
radiochronomètres. Contrairement à la Terre, elles n'ont
pas subi de différenciation.

Parmi les chondrites, plusieurs classes d'objets ont été


identifiées, en fonction notamment de l'état d'oxydation
du fer. Tous les états sont observés, du fer totalement
réduit, présent seulement à l'état d'alliage métallique fer-
nickel, jusqu'au fer totalement oxydé, comme dans les
météorites carbonées dites CI (pour carbonées de type
Ivuna, une des météorites de cette classe) et dont la
représentante la plus connue est la météorite d'Orgueil,
conservée au Muséum national d'histoire naturelle de
Paris. Les météorites CI sont celles dont la composition
chimique se rapproche le plus de celle du Soleil et donc,
pense-t-on, de la nébuleuse solaire primitive. Cette
parenté indique que le matériau nébulaire était lui-même
initialement très oxydé. Pour pouvoir former des
planètes comme la Terre ou Vénus, il a dû subir une
réduction drastique. Les chondrites à enstatite sont les
seuls objets connus répondant à ces caractéristiques,
précédant l'époque de formation de la Terre et
possédant l'état de réduction compatible avec la
formation de son noyau. D'autres caractéristiques du
manteau terrestre se retrouvent dans les chondrites à
enstatite, telles que les compositions isotopiques
d'éléments aussi variés que l'oxygène, l'hydrogène, le
carbone, l'azote, le chrome, le cuivre, le zinc, l'osmium,
le molybdène, etc., dont la liste s'allonge de jour en jour.

Les autres classes de chondrites montrent des


différences isotopiques parfois très importantes pour ces
éléments par rapport au manteau terrestre. Le
phénomène de réduction qui a donné aux chondrites à
enstatite, et à elles seules, les caractéristiques adéquates
pour former la Terre et son noyau, leur a aussi
communiqué une composition chimique globale très
particulière, qui a des conséquences sur la composition
de la Terre, le manteau inférieur notamment. Il les a
aussi marquées isotopiquement, avec précision, ce qui
permet d'établir la filiation du matériau terrestre car,
contrairement à la composition chimique, la
composition isotopique peut survivre à la
différenciation.

La composition isotopique de l'oxygène, l'élément le


plus abondant dans les chondrites et les planètes
internes (environ la moitié des atomes dans la Terre,
Mars et Vénus), permet de les regrouper en familles et
de détecter des parentés de composition et donc de
filiation.

Les radiochronomètres à longue période (plusieurs


milliards d'années) montrent que les âges de toutes les
chondrites sont très voisins (4,56 ± 0,01 milliards
d'années). Les radiochronomètres « éteints » à période
courte (quelques millions d'années) précisent que la
quasi-totalité des chondrites se sont formées dans un
intervalle de temps très court (5 ± 1 millions d'années
après l'effondrement initial, il y a 4,566 milliards
d'années), de façon presque synchrone. Ils nous
apprennent que les chondrites à enstatite se sont
formées un peu plus tardivement (10 ± 2 millions
d'années après l'effondrement initial), mais nettement
avant la formation de la Terre, et probablement durant
le maximum de la phase dite T Tauri du Soleil. Le
rayonnement T Tauri (un rayonnement d'étoile jeune
observé pour la première fois dans la constellation du
Taureau) est constitué essentiellement d'hydrogène et
d'hélium ; les astrophysiciens ont estimé il y a assez
longtemps la température atteinte dans la nébuleuse
irradiée par ce rayonnement aux alentours de 800 °C, ce
qui est précisément la température de formation des
chondrites à enstatite.

La formation de la Terre
Cet hydrogène chaud a un effet réducteur puissant, et il
transporte avec lui d'autres molécules très réductrices,
certaines familières (monoxyde de carbone), d'autres
moins connues (monoxyde de silicium gazeux). Ainsi,
tant du point de vue de la température que de l'âge de
formation, les chondrites à enstatite apparaissent
comme des objets T Tauri. Pour résumer, les chondrites
à enstatite ont été formées avant la Terre, elles sont les
seuls objets connus qui possèdent un état de réduction
du fer et une composition isotopique de nombreux
éléments compatibles avec la composition de la Terre et
avec son âge.

Le Soleil s'est formé par effondrement vers son centre


du nuage moléculaire primitif. Ce processus,
caractéristique de masses très importantes, est dû à
l'attraction gravitationnelle exercée par le centre du
nuage sur la périphérie, qui devient de plus en plus forte
à mesure que la densité de matière s'accroît au centre.

Les planètes géantes se forment, semble-t-il, un peu de


la même façon. Néanmoins, parce que les masses mises
en jeu sont beaucoup plus petites (1 000 fois inférieures
à celle du Soleil), cet effondrement d'hydrogène et
d'hélium demande probablement la formation préalable
d'un noyau de glace et de silicates. Dans le cas de la
Terre (et des planètes telluriques Mercure,Vénus et
Mars, formées en même temps), les masses (solides)
mises en jeu ne sont plus qu'un millionième de la masse
totale, et le processus est nettement différent. De petits
objets solides (planétésimaux) subissent des successions
de chocs aléatoires. Certaines rencontres conduisent
petit à petit à des corps plus gros, tandis que d'autres
cassent les corps déjà formés. Ce phénomène a été
modélisé en détail depuis une trentaine d'années. Ainsi,
on a montré que la taille des planètes telluriques, de la
Terre en particulier, croît d'abord rapidement : les deux
tiers de la masse finale peuvent être atteints en à peu
près 12 millions d'années. Puis la croissance ralentit et la
planète atteint sa taille finale en environ 50 millions
d'années. Cette croissance peut prendre des aspects
différents suivant qu'un objet principal accrète
régulièrement des objets beaucoup plus petits que lui ou
que les chocs aléatoires aboutissent à la croissance
parallèle de deux (ou de plusieurs) planètes de taille
comparable. On peut, par exemple, imaginer une étape
où un objet a atteint 80 pour cent de la taille de la Terre
et un autre 20 pour cent. Ce processus peut produire
parallèlement la Terre, Vénus (80 pour cent) et Mars
(environ 15 pour cent), ainsi que Mercure, plus petit.
Mais ce processus chaotique, aux trajectoires
nombreuses et aléatoires, peut aussi conduire à la
rencontre de deux très gros morceaux avant la fin du
processus. On a alors un énorme choc, libérant presque
instantanément une énergie monstrueuse.

C'est dans un choc de cette nature que l'on imagine


l'origine du système Terre-Lune (voir la figure 4) : les
modélisateurs ont remarqué que dans le système Terre-
Lune la masse du satellite est anormalement élevée par
rapport à celle de sa planète centrale. De surcroît, le
système a également un moment angulaire très grand
par rapport à celui des autres systèmes planétaires, chez
qui l'on observe que le moment angulaire croît
régulièrement avec la masse totale. Directement lié à
l'énergie cinétique de rotation, le moment angulaire est
d'autant plus grand que les satellites sont plus massifs,
plus rapides et plus éloignés de l'axe de rotation de la
planète. Les modélisateurs en déduisent que, dans le cas
du système Terre-Lune, cette énergie n'a pu être acquise
que lors d'un événement « extérieur », le grand impact :
l'écrasement sur la Terre en voie d'achèvement d'un
objet de la taille de Mars. Arrivant à une vitesse de 10 à
20 kilomètres par seconde, celui-ci aurait communiqué
en une fraction de seconde la moitié de son énergie
gravitationnelle. La Terre s'en est trouvée très largement
fondue et une partie du matériel s'est volatilisée ou a été
projetée, puis, après un temps relativement court, a
participé à la formation de la Lune.

Les couches terrestres


Ainsi, le grand impact a donné naissance à la Lune, mais
il a aussi déterminé en grande partie la différenciation
finale de la Terre, c'est-à-dire son organisation en
plusieurs couches aux caractéristiques particulières. Il est
probable que les deux grands objets entrés en collision
lors du grand impact avaient déjà un noyau, et que le
choc a communiqué à l'ensemble une énergie énorme
qui a fait fondre une grande partie de l'objet résultant.
Ces deux noyaux ont fusionné en un noyau final. De
même, une grande partie des silicates a fondu, donnant
un « océan magmatique » d'au moins 1 000 kilomètres
de profondeur (un quart de la masse terrestre
approximativement). La fusion des silicates a produit un
magma appauvri en silicium par rapport aux solides
résiduels silicatés, qui, plus denses, ont constitué la base
du manteau (manteau inférieur). L'alliage fer-nickel
liquide, encore plus dense, a migré vers le centre de la
planète, et, sur son passage, a réduit une partie des
silicates en silicium élémentaire, qu'il a incorporé en
même temps qu'une certaine quantité d'oxygène. Cela a
diminué sa densité : la densité actuelle du noyau est
effectivement inférieure d'environ dix pour cent à celle
d'un alliage fer-nickel pur.

Cette migration, effectuée en moins d'un million


d'années, a entraîné tous les éléments ayant une forte
affinité pour le fer, tels le platine, l'iridium et l'or, et aussi
le tungstène du couple hafnium-tungstène. Le
radiochronomètre hafnium-tungstène a gardé une trace
très nette de cet événement : le rapport hafnium-
tungstène résiduel du manteau a augmenté, passant de 1
à 20, et la proportion de tungstène 182 issu du hafnium
182 a augmenté de façon notable au sein de la faible
quantité de tungstène total. Le changement du rapport
du hafnium sur le tungstène a résulté de la formation du
noyau final de la Terre. On montre qu'il date de 30 ± 10
millions d'années.

Dans le même temps, la fusion du manteau supérieur a


eu pour conséquence que la quasi-totalité des gaz qu'il
contenait se sont échappés. Ces gaz ont contribué à la
formation de l'atmosphère. La survenue de ce
phénomène a été datée grâce au radiochronomètre 129I–
129
Xe (dont la période est égale à 17 millions d'années).
La comparaison de la composition isotopique du xénon
dans le manteau supérieur et dans l'atmosphère montre
que ce dégazage du manteau supérieur s'est poursuivi
durant quelque 50 millions d'années.

À l'issue de cette différenciation primitive, il y a 4 535


millions d'années, la Terre était donc constituée d'un
noyau liquide d'un rayon de 3 400 kilomètres, d'un
manteau inférieur de 1 900 kilomètres d'épaisseur et
d'un manteau supérieur correspondant à l'océan
magmatique épais d'environ 1 000 kilomètres. Il restait à
former la croûte continentale : la croissance de ce
dernier composant de la Terre a commencé
probablement très tôt (nous y reviendrons). Elle ne
représente qu'une très faible portion de la Terre (0,4
pour cent), mais son importance est considérable,
puisqu'elle porte une partie de la biosphère et contient
entre 30 et 50 pour cent des éléments radioactifs.

Après ce grand bouleversement qu'a constitué la


différenciation primitive, la Terre était presque terminée,
mais il lui manquait une grande partie de son eau et de
ses gaz, c'est-à-dire de ce qui constitue ses océans et son
atmosphère actuels. L'atmosphère primitive contenait
sûrement des gaz rares (néon, argon, krypton, xénon),
l'hélium, étant, comme aujourd'hui, très peu abondant,
car sa faible masse lui permettait de s'échapper dans
l'espace à mesure de son dégazage. Elle contenait
probablement du dioxyde de carbone et une partie de
l'azote.

Mais, surtout, la Terre primitive manquait d'eau. Le


matériau de base ne contenait pas assez d'hydrogène
pour que l'oxydation de cet hydrogène ait formé la
masse des océans actuels. De plus, cet hydrogène n'avait
pas la bonne composition isotopique (il ne contenait
pratiquement pas de deutérium). Enfin le manteau
supérieur avait été vidé de ses éléments très sidérophiles
(platine, or, palladium, tungstène, etc.) par la migration
du fer-nickel vers le noyau. Pourtant il contient
actuellement des quantités faibles, mais mesurables, de
ces éléments.

Redonner au manteau ces éléments manquants, achever


la construction de l'atmosphère, former au moins la
moitié des océans : c'est le rôle de ce que l'on nomme le
« vernis tardif ». Décrivons-en les principales
caractéristiques, c'est-à-dire sa masse, sa période de
dépôt et sa nature.

La masse est la caractéristique la plus facile à déterminer


: toutes les météorites primitives présentent des
concentrations voisines en éléments sidérophiles,
environ 100 fois plus élevées que celles du manteau
supérieur. Par conséquent, la masse de ce vernis tardif
est environ un pour cent de la masse du manteau
supérieur (soit à peu près la masse actuelle de la croûte
continentale). Bien que faible en valeur relative, cette
masse représente néanmoins plusieurs millions d'objets
de la taille de la météorite souvent évoquée pour
expliquer la disparition des dinosaures. Certains de ces
objets étaient probablement 10 ou 100 fois plus gros. Ils
ont donc causé à leur époque des dommages qui
expliquent entre autres l'effacement de la plupart des
événements de la période hadéenne.

Le vernis tardif
Plusieurs scénarios ont été proposés pour préciser la
chronologie du dépôt du vernis tardif. Le
bombardement du vernis a affecté la Lune autant que la
Terre, mais la surface de la Lune, astre mort, a conservé
la plupart des traces de ces impacts sous forme de
cratères, et les roches rapportées par les missions
lunaires ont permis de les dater. On peut en déduire que
l'essentiel du bombardement lunaire s'est produit avant
4,4 milliards d'années, mais que des impacts très forts
ont continué jusqu'à 3,8 milliards d'années. On en déduit
que 95 pour cent environ du vernis s'est déposé dans les
100 premiers millions d'années de l'histoire conjointe de
la Terre et de la Lune. Sur Terre, l'effacement des traces
de la période hadéenne a résulté de la poursuite
d'impacts importants jusqu'il y a 3,8 milliards d'années.
Les impacts de météorites (et de comètes) se sont
poursuivis, bien que très atténués, jusqu'à notre époque
(comète de la Toungouska au début du XXe siècle,
météorites variées recueillies encore aujourd'hui), mais
l'essentiel est tombé dans les premiers 100 millions
d'années.

Différents radiochronomètres aboutissent au même


résultat, comme les chronomètres uranium-thorium-
plomb. Récemment un nouveau radiochronomètre
éteint, 146Sm-142Nd, dont la période, égale à 40 millions
d'années, est bien adaptée à la détermination d'une telle
durée, a permis de dater le début de la formation de la
croûte archéenne à 4,47 milliards d'années (100 millions
d'années après le début du Système solaire). À quoi
correspond cette date ? Avant, tout embryon de croûte
formé était totalement détruit par des impacts incessants
et gigantesques. De 4,47 à 3,8 milliards d'années, la
croûte continentale s'est construite peu à peu, mais les
détails de cette formation ont été détruits par des
impacts moins forts, mais néanmoins violents.

Quant à la nature du vernis, on admet qu'il a dû


apporter au minimum la moitié de l'eau terrestre et,
pour ce faire, un matériau est particulièrement adapté :
celui des chondrites carbonées de type CI. Il contient
dix pour cent d'eau, et c'est le matériau le plus voisin de
la composition solaire. On montre qu'il aurait pu
apporter la masse nécessaire pour la formation des
océans et de l'eau contenue dans le manteau supérieur.
De plus, cette eau a la bonne composition isotopique (la
bonne proportion de deutérium). Malheureusement, des
résultats récents tendent à faire penser qu'un matériau
de type CI ne peut convenir, car l'osmium du manteau
terrestre n'aurait pas la composition isotopique de
l'osmium de ces chondrites, mais celle de l'osmium
trouvé en particulier dans les chondrites à enstatite. Si ce
résultat est confirmé, il faudrait en conclure que le
vernis tardif se compose essentiellement de chondrites à
enstatite : ces derniers débris retardataires, arrivant après
la formation du noyau, auraient redonné au manteau
supérieur les éléments sidérophiles perdus, notamment
l'osmium. En revanche, ils n'ont pas pu apporter l'eau
nécessaire, car ils en étaient dépourvus.

L'eau aurait alors été apportée par des comètes, qui


contiennent environ 50 pour cent d'eau. Elles n'ont
toutefois pas pu apporter plus de la moitié de l'eau
terrestre, car elles contiennent deux fois plus de
deutérium que les océans. Le reste de l'eau aurait alors
été apporté par le dégazage du manteau : entre cette eau
mantélique, qui ne contient pratiquement pas de
deutérium, et les comètes, qui en contiennent deux fois
plus que les océans, un mélange en proportions égales a
pu donner la proportion de deutérium souhaitée. On
s'oriente à l'heure actuelle vers une solution de ce type,
qui ne laisserait plus dans l'ombre que des événements
secondaires de l'histoire précoce de la Terre.

Résumons l'essentiel de ce que nous avons dit : la


construction de la Terre s'est déroulée pour l'essentiel
sur une période très courte représentant moins de deux
pour cent de son histoire, marquée par trois épisodes
cruciaux situés par rapport à la naissance du Système
solaire (il y a 4,566 milliards d'années) : le premier a eu
lieu dix millions d'années après cette naissance, c'est la
phase T Tauri (élaboration du matériau de base, début
du processus d'accrétion). La deuxième étape a eu lieu
30 millions d'années plus tard : c'est le grand impact
(formation de la Lune, différenciation finale des grandes
enveloppes internes de la Terre – le noyau, le manteau
inférieur, le manteau supérieur – et début de formation
de l'atmosphère). Enfin la troisième étape s'est déroulée
entre 30 et 100 millions d'années plus tard : ce fut la
phase du dépôt de l'essentiel du vernis tardif (formation
des océans et achèvement de l'atmosphère).

Ces résultats complémentaires obtenus par des


cosmochimistes, des géochimistes, des minéralogistes et
des géologues permettent d'affirmer que ces 100
millions d'années ont déterminé l'essentiel de l'évolution
de la Terre. À cette époque, la limite entre le manteau
inférieur et le manteau supérieur se situait probablement
vers 1 000 kilomètres (voir la figure 2) de profondeur.
Aujourd'hui encore, les magmas et les gaz qu'ils
contiennent, diffèrent selon qu'ils proviennent de l'un
ou l'autre des manteaux.

Les progrès récents réalisés en imagerie sismique


permettent de voir que les plaques océaniques qui
plongent dans les zones de subduction sur le pourtour
des océans (en particulier du Pacifique) semblent
s'enfoncer plus profondément dans le manteau inférieur,
jusqu'à la frontière du noyau. D'autres au contraire
semblent s'arrêter dans le manteau supérieur, butant sur
une limite située à 650 kilomètres de profondeur. Ceci
indique que la structure initiale, avec sa séparation à 1
000 – 1 100 kilomètres, déjà presque invisible, semble
avoir amorcé son évolution vers un système de
convection unique, ce qui est le destin normal des
systèmes convectifs superposés. L'imagerie sismique, les
modélisations en laboratoire des convections
mantéliques (voir la figure 5), une meilleure
connaissance des propriétés des matériaux à très haute
pression et de la composition chimique de toutes les
enveloppes terrestres nous permettront de décrire
encore plus précisément l'évolution des entrailles du
globe terrestre.

Auteur
Marc Javoy

Marc JAVOY est professeur de géochimie à l'Université Denis


Diderot (Paris 7) et à l'Institut de physique du globe de Paris.

En savoir plus
M. JAVOY,Where do the oceans come from ? C.R. Acad. Sci.
Paris,vol. 337, pp. 139-158, 2005.
Guillaume CARO, Bernard BOURDON, Jean-Louis BIRCK et
Stephen MOORBATH, 146Sm–142Nd evidence from Isua
metamorphosed sediments for early differentiation of the Earth's
mantle, in Nature, vol. 423, pp. 429-431, 2003.
Anne DAVAILLE, Simultaneous generation of hotspots and
superswells by convection in a heterogeneous planetary mantle, in
Nature, vol. 402, pp. 756-760, 1999.
M. JAVOY, Chemical Earth Models, C.R. Acad. Sci., vol. 329, pp.
537-555, Paris, 1999.

Article paru dans


Pour la science N°329 - Mars 2005
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