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LE METRE LINEAIRE
Je m’étonne toujours que « mètre linéaire » soit le mot-clé le plus utilisé par les
internautes qui consultent mon blog www.marieannechabin.fr, même si j’ai
évoqué le sujet plusieurs fois. Ce constat m’a inspiré le billet Rigolo mais
j’avais gardé l’idée de creuser le sujet dans un cadre plus archivistique. Ce que
je fais aujourd’hui.
J’aborderai successivement la définition du mètre linéaire d’archives et son
usage, sa valeur archivistique limitée, les métrages de référence, l’équivalence
avec les archives numériques et les autres indicateurs de mesure.
Pour du stockage plus massif, on peut estimer les volumes en mètres cubes, avec
une équivalence de 10 à 12 mètres linéaires par mètre cube.
Le mètre linéaire est l’unité de base pour calculer les coûts de stockage des
archives par les prestataires spécialisés, avec des variations de tarifs dues à la
localisation géographique (coût du m²), à la nature et la qualité des équipements
(solidité, sécurité, fonctionnalités), à la granularité du conditionnement des
documents et aux modalités de gestion. Le stockage d’un mètre linéaire coûte de
3 à 15 € en fonction des options retenues.
Unité de mesure des volumes, le mètre linéaire est également utilisé pour décrire
les opérations de traitement des archives, rapporté à l’unité de temps qu’est la
journée. Le ratio pour un relevé sommaire du contenu de boîtes d’archives est
ainsi de 20 mètres linéaires par jour ou de 10, l’inventaire plus détaillé allant de
5 ml par jour à moins d’un mètre, la différence venant de la nature des
documents, de leur état de classement, du détail de la description ou du
traitement matériel, et de l’habileté de l’archiviste. Les coûts de traitement étant
liés au nombre de jours, on obtient ainsi des ratios allant de 20 à 150 € HT le
mètre linéaire inventorié.
Le mètre linéaire est encore la façon de mesurer la taille d’un gros dossier,
indépendamment de son rangement. Ainsi, Cour européenne des droits de
l’homme mentionne-t-elle que son dossier judiciaire le plus volumineux est
l’affaire Irlande c. Royaume-Uni (1978) avec 791 mètres linéaires. De quoi
poser sa candidature au livre des records (au sens français du terme of course).
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Élasticité du mètre linéaire d’archives
Le mètre linéaire n’est donc pas très parlant pour décrire les archives, a
fortiori pour le grand public qui n’est pas coutumier de ces évaluations. C’est
pourquoi les journalistes utilisent plus volontiers d’autres termes. Lors du procès
AZF en 2008-2009, plusieurs journaux on évoqué l’épaisseur du dossier
d’instruction : « 105 tomes de documents dont 7 mille procès verbaux et 9 mille
pièces » (Mediapart) , « un dossier d’instruction qui compte pas moins de
53.820 pages »( Les Echos)
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ce qu’on peut traduire par 16000 documents de 3 ou 4 pages de moyenne, soit
environ 8 mètres linéaires (à vérifier) mais l’expression journalistique signifie
surtout « volumineux » pour un public profane en la matière, un peu comme au
Moyen âge, on parlait d’une armée ennemie de 666 guerriers…
Or, si on conserve les archives, c’est bien pour cette valeur unique et non pour
leur volume. De sorte que parler de mètres linéaires d’archives sans les qualifier
n’a pas grand intérêt.
Ce point est d’autant plus important à souligner que a) les volumes d’archives
(ou supposées telles) sont aujourd’hui faramineux et que cela est coûteux ; b)
l’échelle de valeurs et des risques associés est assez large.
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L’information sur la valeur est partielle si on ne connaît pas les dates
correspondant à la production de ces archives, intéressantes ou banales, afin de
comparer les volumes produits pendant telle période à la production de la
période précédente ou suivante, comparaison particulièrement instructive pour
quiconque veut véritablement gérer les fonds d’archives dont il a la charge. Par
exemple, un service d’archives écrit dans son rapport annuel 2010 qu’il a reçu
en 2009 50 ml de boîtes d’archives de la direction de l’Agriculture. Fort bien
mais :
N’existerait-il pas des métrages de référence, des standards, pour guider les
archivistes dans l’évaluation des opérations de versement et dans les prévisions
de collecte?
Jean Favier, directeur général des Archives de France (du temps révolu où les
Archives de France étaient une direction de ministère) avait coutume de dire,
lors de ses brillants discours d’inauguration de bâtiments d’archives
départementales – et ils furent nombreux dans les années 1980 – Jean Favier
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avait coutume de dire qu’un agent de l’administration produisait en moyenne un
mètre linéaire d’archives par an.
Un mètre linéaire par an et par agent. La formule est simple et efficace. Il est
évident qu’il s’agit plus d’un slogan inspiré que d’un constat de terrain mais il y
avait besoin d’énoncer cette équivalence, ce repère, tant pour les archivistes que
pour les décideurs. Sur ce point, Jean Favier n’a pas été officiellement démenti.
À noter que cette équivalence est aujourd’hui introuvable sur Internet et on
serait tenté de croire qu’elle n’a jamais existé mais j’en ai été à plusieurs
reprises le témoin oculaire et je peux donc la rapporter.
Je dois avouer que j’ai souvent repensé à cette formule au cours des missions de
conseil de mon cabinet Archive 17 [lien], quinze à vingt ans plus tard, quand j’ai
été amenée à calculer ce type de ratio. Le chiffre moyen calculé récemment pour
une administration regroupant plus de 100 000 agents est de 3,5 mètres linéaires
par an et par agent, ce qui est beaucoup mais cette moyenne n’est pas pertinente
car elle fusionne deux chiffres distincts : 4,2 mètres linéaires par agent et par an
pour les services qui gèrent de nombreuses pièces justificatives ; 1,8 mètre
linéaire par agent pour les autres services. Au regard de la moyenne Favier, il y
aurait donc inflation (de 1 à 1,8 ml), ce qui n’est pas surprenant, les dernières
décennies ayant connu une inflation notable de la paperasse et la fameuse
« dématérialisation », axée sur le support, n’ayant pas ou pas encore produit des
résultats significatifs sur les volumes papier.
Les chiffres ci-dessus concernent le volume de documents archivés par une
administration pour assurer ses besoins de mémoire et la gestion des risques
contentieux. Peut-on en déduire un ratio de production pour les archives
historiques ? À partir du moment où les archives historiques représentent un
pourcentage des documents archivés dans un premier temps pour les intérêts du
producteur (1% ? 5% ?), on peut en déduire mathématiquement un ratio mètre
linéaire / agent administratif. Mais l’opération de sélection de ce qui présente un
intérêt pour la mémoire collective ou la recherche éloigne les archives des
acteurs individuels et il est plus logique d’évoquer un ratio institution/mètre
linéaire, a posteriori forcément.
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Il n’existe pas de référence officielle là-dessus mais on peut en extraire de la
publication des inventaires, notamment des archives nationales ou
départementales.
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Cette disparité entre des fonds d’archives a priori comparable n’est pas récente.
Dans mon livre Je pense, donc j’archive (L’Harmattan, 1999, chapitre 3), je
revenais sur les volumes de la série X des Archives départementales qui
regroupe, pour chaque département, les archives relatives à prévoyance sociale
et d’administration hospitalière pour la période 1800-1940. Les métrages de
série X, cités dans une très intéressante enquête réalisée par Isabelle
Delabruyère-Neuschwander et présentée lors d’une journée d’étude organisée en
1994 par l’Association des archivistes français sur les archives de la santé, sont
étonnamment hétérogènes : 13 mètres linéaires pour les Pyrénées-Orientales,
350 mètres pour la Côte-d’Or, 725 mètres pour l’Eure. Les chiffres ne sont
proportionnés ni au nombre de communes ni à la population et leur explication,
à étudier de plus près, relève sans doute de critères multiples. Quoi qu’il en soit,
il est bien difficile d’établir un lien fiable entre les volumes d’archives et leurs
producteurs.
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Les équivalences proposées entre papier et numérique au début des années 2000
sont largement périmées par l’évolution des technologies et les options de
format et de définition :
Or, comme le dit, fort bien, la loi du 3 janvier 1979, le support n’est pas
discriminant dans la définition des archives. On devrait donc logiquement
pouvoir disposer pour l’archivage et la gestion des archives d’unités de mesure
proprement archivistiques, c’est-à-dire qui transcendent le support. Dans un
deuxième temps, pour tels ou tels documents, on pourra s’interroger sur leur
support d’archivage ou leur volume et sur les possibilités d’amélioration en
termes de pertinence et de coûts de gestion de l’ensemble.
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