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L'intelligence tactique

Chapter · March 2014

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Alain Lemoine
Association des Chercheurs Francophone en Football
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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football :


Un exemple en Football

L’intitulé de l’ouvrage « Savoirs collectif et intelligence tactique » renvoie à un


questionnement qui nourrit de nombreuses réflexions, parfois passionnées depuis des années
aussi bien chez les enseignants et chercheurs en Education Physique et Sportive que chez les
entraineurs du secteur fédéral. Cette question d’un « savoir partagé par les joueurs au moment
de l’action et de la décision » est finalement la question centrale des sports collectifs et du
football en particulier. Comment font les joueurs de football pour jouer ensemble ? Comment
font ils pour coordonner des déplacements sur une aire de jeu aussi importante tout en tenant
compte des mouvements de l’adversaire qui s’opposent à eux parfois même physiquement ?
Les notions de schémas ou de circuits préétablis des joueurs et du ballon comme au
Basket ou au Hand-ball ne tient pas en football car l’incertitude liée à la nature du jeu et à la
permanente réversibilité de la possession du ballon empêche de se projeter dans des stratégies
à court et moyen termes. Il faut donc que les joueurs agissent dans le très court terme : dans
l’instant et ensemble. Cette difficulté est mise en exergue à chaque rencontre quand on
constate le nombre de fois où chaque équipe perd le ballon. C’est à dire quand elle ne réussit
pas à coordonner ses actions. Si la possession était simple et facile toutes les actions
offensives comme au Hand-ball et Basket se solderaient par un tir. Ce n’est pas le cas et l’on
sait que seul 1% des ballons partis de la zone défensive se terminent par un but. Cette
difficulté qui fait la dramaturgie du football nous interroge sur les mécanismes et les savoirs
qui sont mobilisés par les joueurs quand ils sont impliqués dans des actions offensives.
Pour Menaut (1998, p. 13), dans ces situations collectives, le joueur essaie de créer de l’ordre
dans le jeu en faisant appel à « une activité cognitive capable de situer les cas réels parmi la
totalité des combinaisons et des permutations possibles ». Il confronte ce qu’il sait déjà à ce
qu’il voit et perçoit, il estime ce « qui va le plus probablement se passer ». Même si cette
approche individuelle est très riche, elle n’est pas suffisante pour expliquer la dimension
collective que l’auteur définit comme la coopération. Il faut alors que tous les joueurs de
l’équipe maitrisent un code qui « permet l’échange et la compréhension des messages, donc la
connaissance des projets du partenaire » (ibid., p. 15).
Elle est encore insuffisante pour explorer le partage dans l’action et il faut inviter les notions
d’énaction (Varela, 1989) et du cours d’action pour envisager la reconstruction « de ce qui est

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

partagé dans les activités des acteurs sur la base de la comparaison des significations
construites par chacun d’eux au cours de leurs interactions en situation » (Bourbousson &
Sève, 2010).
Si la littérature est riche d’études concernant le débutant ou l’expert (Seners, 2004,
Gréhaigne, 2011), les travaux explorant des niveaux intermédiaires sont moins fréquents et
nous nous attacherons à décrire une expérience menée avec des élèves de collège de niveau
3ème au cours d’un cycle d’enseignement. Notre travail se placera dans le cadre des
programmes de la discipline et nous utiliserons la logique d’écriture des compétences
attendues de niveau 2 pour les élèves1. Nous mettrons l’accent essentiellement sur les
connaissances et les capacités, les attitudes n’étant qu’abordées.
Percevoir, identifier et comprendre la communication du partenaire à travers sa
motricité pour arriver à « un partage dans l’action » a été abordé par les travaux sur la
« cognition collective » qui définissent la notion de référentiel commun comme «l'ensemble
des contenus cognitifs partagés par les membres d'une équipe » (Mouchet, 2003; Mouchet et
Bouthier, 2006). Si cette approche nous renseigne bien sur les moments d’avant et d’après
match et la possible construction « de connaissances similaires facilitant la construction
d’attentes similaires et la production d’enchaînements d’actions individuelles coordonnées »
(Bourbousson & Sève, 2010), nous savons peu de choses sur les savoirs partagés dans
l’action. Nous en identifierons deux grandes catégories. D’abord ceux qui sont à l’origine du
déclenchement de l’action et ensuite ceux qui permettent aux joueurs de développer et
maintenir leur combinaison. Le projet est alors de formaliser ses connaissances afin de les
traduire ensuite en contenus d’enseignement que les élèves devront acquérir pour construire
les compétences nécessaires au bon déroulement des actions.
D’un point de vue didactique nous envisagerons différentes propositions destinées à
aider l’élève à construire ses savoirs collectifs partagés au moment de combinaisons
offensives. Notre démarche aura cette particularité de ne proposer que des situations de jeu
afin de répondre à un questionnement récurrent chez les enseignants et les éducateurs de
football lié à la construction chez le joueur d’un langage stratégique.
Peut être alors pourrons nous avancer quelques propositions concernant la notion
d’intelligence tactique trop souvent présentée comme un don (FFF, 1994) ce qui réduit trop
souvent l’action de l’enseignant à un constat et non à des apprentissages.

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Gréhaigne & Caty: Pour une approche détaillée des contenus du programme se référer à l’article 13 de cet
ouvrage

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

I) L’élève de 3ème
Parce que cette tranche d’âge a été peu abordée, il nous semble intéressant de nous y
attarder et de relater une expérience mise en place dans un établissement scolaire de la
banlieue parisienne.
L’observation des élèves qui pratiquent le football dans le cadre des cours d’EPS en
classe de 3ème met en évidence divers constats qui ont trait à la difficulté à « jouer ensemble »
pour être efficace et gagner la rencontre. La disparité des niveaux de pratique est un premier
paramètre à prendre en compte. Entre les élèves qui sont joueurs de club, ceux qui aimeraient
l’être, ceux qui l’ont été et ceux qui ne pratiquent pas mais qui sont abreuvés des images de la
télévision. Organiser le jeu collectif de l’équipe sera l’obstacle prioritaire que ces élèves
auront à franchir. L’enseignement du football devient alors « une mission difficile » tant il va
falloir se confronter aux représentations disparates de nos élèves.
- L’état initial.
Une des explications souvent abordée est celle qui a trait aux caractéristiques affectives
des adolescents qui refusent le jeu collectif pour abuser du jeu individuel qu’ils pensent
maitriser. Ici, le duel n’a pas la fonction de bascule du rapport de forces mais il correspond à
une volonté égocentrique de « faire la différence » tout seul pour étaler un savoir faire
narcissique. Falco & Lorca (2006, p. 70) traduisent fort bien ce stade : « bien jouer, c’est
savoir dribbler ». Le jeu apparaît alors comme une suite d’actions individuelles permettant
aux joueurs les plus débrouillés de « profiter du ballon » pour essayer de dépasser un réseau
défensif non organisé mais constitué des joueurs les plus faibles. Avec ces groupes d’élèves,
si le professeur n’intervient pas, la composition des équipes se résume à placer les joueurs les
moins compétents en défense (gardien y compris) et ceux qui s’estiment les meilleurs devant.
Dans ces conditions la récupération du ballon est rarement satisfaisante et la mise en place des
phases de conservation et de progression vers la cible adverse sont impossibles. Le jeu se
résume à des raids solitaires se terminant soit par un but ou pas une perte de balle causée non
pas par la qualité des défenseurs mais par l’aveuglement du porteur de balle à vouloir passer
par l’axe du terrain. Ici, la passe est faite par défaut quand il n’y a plus d’autres solutions. Le
partenaire est un « échappatoire » qui permet au moins de ne pas perdre la balle. Cette
situation a pour conséquence dans un délai de temps assez court à produire des heurts au sein
des équipes et à rendre impossible toute organisation productive en rapport avec
l’organisation du jeu. Vient se greffer à se constat le faible potentiel énergétique des joueurs
qui a pour conséquence un rapide épuisement des forces en présence.

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

L’intervention du professeur est alors indispensable pour équilibrée les équipes en leur sein et
donner une aide pour structurer les équipes en deux ou trois lignes. Ce premier stade qui
semble à priori très négatif apparaît dans le cycle comme un préambule, il permet une prise de
conscience des résultats obtenus si les joueurs ne se mettent pas en projet de transformation.
Cette démonstration par l’absurde a le mérite d’être concrète pour les élèves qui finalement
attendent de l’enseignant des contenus et des solutions.

- Ce que les élèves savent faire


Dans le cadre des cycles d’enseignement et en référence aux programmes de la
discipline nous placerons les élèves dans une configuration de football à effectif réduit (7
contre 7 ou 8 contre 8) sur un demi-terrain de football à 11, avec prise en compte du hors-jeu
dans la zone des 13m. Ce dispositif nous semble adapté car il leur permet d’être placés dans
des conditions similaires à celui du football à 11, avec les contraintes physiologiques en
moins. La réduction de l’aire de jeu a pour effet de les confronter plus souvent aux problèmes
posés par le jeu et donc de s’y confronter. Ce jeu réduit autorise déjà une organisation dans la
longueur du terrain : 2 ou 3 lignes de joueurs et sur la largeur avec l’apparition des 2 couloirs
latéraux et du couloir central. Ainsi posé, que savent faire les élèves de 3ème ?
Au niveau collectif, le jeu à 2 est possible car les élèves connaissent la notion de
démarquage abordée précédemment dans d’autres cycles de football ou de sports collectifs.
Malgré tout la majorité des actions reste individuelle. On assiste à une « transmission
successive du ballon » et non à « une circulation du ballon ». Le Non Porteur de Balle (NPB)
est le plus souvent statique même quand il est démarqué et il ne permet pas l’enchainement
des passes. Le jeu reste souvent bloqué sur un côté du terrain car les élèves n’ont pas une
vision générale du jeu allant vers un déséquilibre collectif de la défense. L’arrivée en Zone de
Marque (ZM) qui correspond à la zone des 13m est assez fréquente et peut aller parfois
jusqu’à 50% des actions offensives initiées par les équipes. Le nombre de buts marqués reste
malgré tout faible 1 à 2 maximum par équipe pour une période de 15min.
La défense est volontaire et elle cherche à reprendre le ballon dans des actions
défensives verticales. Le tacle (même réglementaire) est très peu utilisé. La relance est assez
aléatoire et ne permet pas toujours une progression du ballon qui démarre de sa propre zone
défensive. Les ballons sont « expulsés » de l’arrière, ce qui donne lieu à nouveau à des duels
en zone médiane pour la maîtrise du ballon. Ici encore la circulation du ballon est rendue
difficile par la densité des joueurs autour du ballon.

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

La passe n’étant pas l’élément fondamental du jeu à ce stade. Il faudra la « re-


construire » en lui donnant un sens tactique plus important pour les élèves. Elle doit devenir
l’élément de dialogue et d’échange entre les joueurs. On se parle en se passant la balle et nous
dirons à ce moment que le langage est bien un indicateur de l’intelligence du joueur dans le
jeu. Dugrand (1989, p. 50) lui la caractérise comme « un élément fondamental du jeu, par sa
fréquence supérieure à celle de tous les gestes techniques, et par la fonction de cohésion
qu’elle joue au sein d’un groupe ».
Techniquement, les élèves sont capables de maitriser le ballon, mais les contrôles en
mouvement sont assez rares. La conduite de balle sur des distances courtes sans adversaire à
proximité est possible mais la prise d’information sur le ballon est toujours prédominante et
empêche une vision plus importante des partenaires et des adversaires. Les élèves voient à
T+1 passe, c’est à dire l’instant où ils ont la balle et la passe à suivre. Ils ne perçoivent que le
jeu dans l’instant : le partenaire à qui ils peuvent donner le ballon, mais ils n’anticipent pas les
déplacements ultérieurs : les leurs et ceux de leurs partenaires, qu’ils pourraient proposer pour
assurer la continuité du jeu. A ce moment du cycle, la projection du joueur à T+2 passes voire
à T+3 passes est entièrement à construire.
La passe longue de 20 à 30 m apparaît pour certains élèves. Elle ne correspond pas
forcement à une recherche d’un joueur en appui qui aurait pour objectif de fournir un point de
fixation du jeu dans la zone offensive adverse. Le jeu est encore essentiellement court et au
sol avec des passes ou des actions individuelles qui n’obéissent pas à des combinaisons
volontaires et coordonnées entre les joueurs. La récupération du ballon même si elle apparaît
plus spontanée qu’organisée autorise des contre-attaques individuelles qui débouche sur des 1
contre 1 face au gardien de but.
La position de tir est malgré tout souvent atteinte suite à une action individuelle qui ne
rencontre pas de réseau défensif efficace. Des élèves sont présents mais statiques et sans
maitriser les techniques défensives. Les frappes sont à proximité du gardien de but qui est le
plus souvent livré à lui-même. Dans le cadre scolaire c’est un poste difficile que peu d’élèves
adoptent et c’est le plus souvent un sujet de discorde au sein des équipes et un choix par
défaut que la désignation du portier. Cet aspect du jeu, qui peut paraître anecdotique devient
vite un problème que l’enseignant devra anticiper. La faible valeur des gardiens de but
entraine parfois des déséquilibres dans le jeu amenant des scores fleuves pour certaines
équipes et une démotivation de l’équipe perdante.

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

A ce stade nous pouvons avancer que les connaissances mobilisées par les élèves
répondent à un modèle implicite minimal qui repose sur « un ensemble de savoirs ancrés dans
la pratique (par rapport à la perception) entrainant la reconnaissance ou non » des actions avec
un seul et unique partenaire (J.F Gréhaigne & al, 2009, p. 153). La connaissance théorique
fondamentale « si je ne peux pas avancer avec la balle alors je transmets » est connue. Mais la
lecture des signes qui permet ce jeu minimal n’est pas systématique, la recherche du
partenaire démarqué pour assurer la continuité du jeu se fait le plus souvent dans la zone
défensive sans pression adverse. A proximité de la cible où dans des configurations à forte
densité, le PB et le NPB sont de nouveau submergés par le traitement important des
informations et la difficulté à se projeter dans le futur immédiat. Les élèves n’arrivent pas à
prélever des informations pertinentes sur la configuration du jeu et la représentation commune
qu’ils peuvent avoir à un moment T de la situation ne repose pas sur un référentiel antérieur
commun. La passe s’effectue le plus souvent par obligation que par nécessitée. Le partenaire
est une échappatoire et non une solution de continuité du jeu. Comment passer à une mise en
commun des prises de décision dans des situations impliquant plusieurs joueurs de la même
équipe ? Comment construire ces savoirs collectifs qui vont permettre une auto-organisation
des joueurs impliqués dans l’action à un moment donné.
Nous aborderons les savoirs collectifs que les élèves possèdent et ceux que nous
pouvons leur faire acquérir. Nous nous centrerons sur les « savoirs partagés en action » ceux
qui permettent aux élèves d’élaborer leur jeu collectif. Mais de quel jeu collectif parlons-
nous ?
- Notre proposition
Passer d’un jeu individuel ou d’un jeu à 2 épisodique, à un jeu à 2 ou à 3 joueurs voulu
et organisé qui nécessitera des relations spatiales et temporelles nécessaires à la conservation
et au dépassement de l’adversaire. De manière résumée et pour que cela soit plus parlant pour
les élèves : « Vous allez essayer de jouer ensemble pour prendre de l’avance sur l’autre
équipe ».
• ce qu’il y a à construire :
Nous ferons ici référence aux programmes de la discipline. Nous définirons les connaissances
à acquérir pour les élèves :
- Pour le Non Porteur de Balle : identifier des emplacements sur le terrain dans les
espaces laissés libres par l’adversaire où je peux me situer à un sommet d’un triangle
comprenant le PB, moi-même et un autre partenaire.

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

- Si je suis une solution « très probable de passe à T+1 », envisager le mouvement du 3ème
joueur « le plus probable » pour lui transmettre ensuite le ballon.
- Si je ne suis pas une solution « très probable à T+1 », me positionner pour devenir une
solution « très probable à T+2 ».
- Identifier le placement défensif adverse : alignement, couverture, distance
d’intervention.
- Pour le Porteur de Balle : prendre des informations sur « la probabilité de réussite de
mon action ». Avant de m’engager dans une action individuelle, je repère les partenaires
potentiels à T+1.
Nous limiterons volontairement le nombre des connaissances à acquérir exprimées ici sous
formes de probabilités de réussite et nous nous focaliserons sur celles-ci afin que les élèves ne
se dispersent pas dans leurs apprentissages. En termes de capacités il faudra que l’élève :
- Porteur de Balle : alterne la prise d’information sur le ballon et le jeu / les joueurs.
- Qu’il effectue des calculs probabilistes pour organiser son jeu
- Pour le Non Porteur de Balle : qu’il s’écarte du PB entre 3 et 10m pour permettre la
continuité du jeu
- Qu’il s’oriente sur le terrain et que sa posture et son orientation indiquent à ses
partenaires qu’il est une solution de continuité du jeu.
En termes d’attitude, il semble important que les élèves arrivent le plus souvent possible à
privilégier la solution collective par rapport à la solution individuelle. Il faut alors construire :
- une disponibilité permettant de s’inscrire dans une combinaison collective
- le sentiment d’appartenance et de participation à une combinaison collective.

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

II) La proposition didactique :

Elle se place dans une approche globale où l’élève va apprendre dans le jeu et par le jeu.
Nous utiliserons le système du « double score » qui permet à la fois de tenir compte de la
réalité de l’activité : gagner le match et de proposer des contenus qui permettront aux élèves
d’acquérir des savoirs collectifs nécessaire au gain du match. Bourbousson & al (2008, p. 23)
définit quatre déterminants d’un match de sport collectifs qui interfèrent sur « le processus de
coordination interpersonnelle entre les partenaires d’une même équipe » en vue d’une
« activité collective collaborative dans une situation dynamique et incertaine ».
Le premier justifie notre choix de placer les élèves en situation de match, là où ils vont
être confrontés au caractère indéterminé du jeu, à l’évolution permanente des configurations
de jeu, au rapport de force et à l’écart au score entre les équipes. L’imprévisibilité des actions
des adversaires étant un élément de complexité supplémentaire à prendre en compte par les
élèves dans leur lecture des situations.
Le second déterminant insiste sur la richesse des coordinations possibles due au nombre
de joueurs sur le terrain qui dans notre situation est de 7 ou 8.
Par contre nous ne retrouverons pas en match des « routines de jeu » vues à
l’entrainement. Notre observation porte sur des réponses « libres » élaborées et proposées par
les élèves dans un cadre contraint par le thème imposé. La tâche est une situation
d’apprentissage « déguisée » ayant du sens pour les élèves : gagner le match tout en
respectant la consigne imposée par l’enseignant.
La proposition didactique est constituée de situations graduées de la plus simple à la plus
difficile en poursuivant toujours la construction de savoirs collectifs.
Nous proposons à nos élèves de s’affronter pendant une période de 15 minutes tout en
respectant un thème particulier qui leur impose de mettre en œuvre des compétences
spécifiques s’appuyant sur des « savoirs collectifs » en acte. La réussite dans l’exercice se
traduit par un nombre de points attribués à l’équipe en fonction du résultat du match. Même si
l’équipe perd le match elle marque des points synonymes de réussite dans la tâche proposée.
- L’artéfact matériel comme aide à l’apprentissage
Nous utilisons ici le concept d’artéfact matériel (Eloi, 2011) qui va permettre « aux sujets de
disposer des moyens d’orienter et de réaliser l’activité ». Il permet de formaliser
concrètement pour les élèves et l’enseignant observateur un problème posé par le jeu.
L’aménagement matériel du terrain isole un fait de jeu parfois difficile à faire comprendre aux

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

élèves en situation de confrontation habituelle. L’artéfact matériel pose des repères visibles et
physiques aux élèves. « L’organisation de la situation implique une conceptualisation des
modes de réalisation en lien avec la modélisation de l’activité » (Eloi, ibid.). Il va circonscrire
l’action ou séquence de jeu dans le temps : un début- une fin sans avoir les contraintes d’arrêt
et de mise en place d’exercices technico-tactiques. L’espace d’évolution de la combinaison
sera lui aussi plus clairement identifié par les élèves en fonction des thèmes proposés. Le jeu
permet une succession de tentatives de la part des élèves qui peut s’apparenter à des essais
dans une tâche formalisée. Si l’on reprend la classification de Famose (1990), chaque
proposition identifie un but clairement défini. Par contre, les moyens techniques et tactiques
mis en œuvre pour atteindre le but de la tâche peuvent être assimilés aux les « savoirs
collectifs partagés » mobilisés par les élèves. L’artéfact matériel organise la tâche et donne
des repères aux élèves pour synchroniser et développer leurs combinaisons collectives.
L’organisation de nos propositions didactiques s’articulera autour d’une définition toujours
très précise du but à atteindre mais en proposant un artéfact matériel de moins en moins
« voyant ».

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

- Exemple de la situation N°1


Dans le jeu N°12, le but de la tâche est de « passer seul balle au pied entre des portes »
disposées de manière aléatoire sur le terrain. La largeur de la porte est suffisamment petite
pour qu’un défenseur seul puisse en interdire l’accès (Schéma 1). Pour ne pas dénaturer le jeu,
la marque est libre, mais le nombre de portes franchies bonifie le nombre de buts marqués.
Il s’agit ici d’aller plus vite que l’adversaire et de trouver une porte libre, correspondant à un
espace utilisable ceci dans un intervalle de temps assez bref.
Schéma 1 : Situation 1

- Quels savoirs collectifs ?

- 1) Identifier le début de la combinaison.


Quand au cours d’une phase de jeu, l’équipe attaquante ne peut pas franchir une porte bloquée par un dé

Légende : Les portes au nombre de 6 sont disposées de manière aléatoire sur le terrain. Les joueurs ne peuvent
les franchir balle au pied que dans le sens de leur offensive.

- Quels savoirs collectifs ?


- 1) Identifier le début de la combinaison.
Quand au cours d’une phase de jeu, l’équipe attaquante ne peut pas franchir une porte
bloquée par un défenseur adverse. Il y a là une impossibilité de jouer en respectant la
consigne. Ce constat doit donc provoquer chez les élèves un questionnement. La connaissance
commune à construire est l’identification par les joueurs à proximité du PB de l’impossibilité
de jouer dans cette porte et donc l’obligation d’initier une combinaison pour aller vers une
autre porte.
Dans un jeu « réel » la notion d’espace bloqué n’apparaît pas toujours clairement aux joueurs.
Ici, les portes permettent une identification facile et la constitution d’un repère commun de
début de combinaison collective. L’enseignant peut lui aussi verbalement souligner le

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Voir la totalité des propositions en Annexe

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

moment où l’espace est bloqué de manière à faire prendre conscience aux élèves de la
configuration à mémoriser.
- Savoir N°1 : Repérer le début de la combinaison et activer l’algorithme « si la porte est
bloquée alors je dois m’inscrire dans une combinaison permettant d’aller jouer vite ailleurs ».

- 2) Intégrer une combinaison collective offensive.


Les élèves ayant identifié le stater de l’action, il leur faut maintenant atteindre le but de la
tâche : passer balle au pied dans une porte laissée libre par l’adversaire. A nouveau l’artéfact
matériel permet aux joueurs d’identifier plus facilement les cibles favorables que nous
pourrions assimiler à des espaces libres dans le jeu réel. C’est un moment difficile pour les
élèves. Vers quelle(s) cible(s) se diriger ? Comment se forme le groupe de joueurs qui va
essayer d’atteindre le but de la tâche ? C’est le centre de notre proposition didactique. La
porte A n’étant pas accessible, la B apparaît la solution la plus viable (Schéma 2).
Schéma 2 : Déclenchement de la combinaison

Porte&A&

Porte&B&

Sens de l'Attaque de l'équipe

Légende : La porte A est bloquée. La porte B est libre pour l’instant. Il faut donc essayer pour les attaquants
d’aller au plus vite à cette porte.

A ce moment grâce au dispositif, nous pensons que les mouvements et déplacements des
élèves seront à la fois plus faciles à produire et à identifier pour eux et pour l’enseignant.
A partir d’une identification de signes communs à tous, les élèves animés par la logique du
jeu qui est d’aller vers la cible vont se retrouver dans une situation de cognition partagée.

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

L’identification des signes passe par une clarté des messages émis par tous les participants.
Cela nécessite d’abord une bonne discrimination entre partenaires et adversaires. Cette
différenciation basique ne l’est pas pour tous les élèves de 3ème quand ils sont confrontés à la
situation de matchs riches en informations à traiter. Au delà de l’importance de la
reconnaissance physique grâce aux couleurs différentes pour chaque équipe (Gréhaigne, 2011,
P. 245), il faut que les élèves repèrent les signes favorables à la réalisation de la tâche. Dans
cette situation les élèves partagent ce qu’ils savent déjà : le démarquage simple à T+1 mais la
situation les invitent à construire d’autres savoirs collectifs dont on peut supposer qu’ils
seront acquis à des degrés différents selon les individus. En terme de « savoir collectif
partagé » nous y voyons l’identification simultanée par plusieurs joueurs d’une posture
signifiante de démarquage chez un autre partenaire : orientation des appuis, des épaules, du
bassin vers la porte choisie. Attitude d’attente de la balle et avec ces élèves de 3ème des appels
de la voix pour demander la balle.
- Savoir N°2 : je suis NPB le plus proche du PB (T+1) et je me place dans le champ
visuel de mon partenaire, orienté pour assurer le continuité du jeu, à distance de 8 à 10m pour
recevoir la balle. (Schéma 3)
Savoir N°3 : je suis NPB plus éloigné (T+2). Je me place dans un espace laissé libre par
l’adversaire pour permettre à mon ou mes partenaires T+1 de pouvoir enchainer la passe à la
réception du ballon. (Schéma 3)
Schéma 3 : Mise en œuvre des savoirs par les joueurs.

Porte&A&

T+1$

T+2$
Porte&B&

T+3$
Sens de l'Attaque de l'équipe

Légende : Les attaquants s’inscrivent dans la combinaison et produisent des actions en cohérence avec le signes
perçus. La perception est rendue plus facile grâce à l’artéfact matériel.

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

C’est l’équipe et de manière plus macroscopique l’activité des joueurs impliqués dans la
combinaison collective qui va permettre à un des joueurs de se retrouver dans la situation
espérée par l’enseignant. L’artéfact matériel a l’avantage de mettre en évidence ce qu’il y a à
faire et donc de rendre concrètes pour l’élève les actions à mettre en œuvre. Cet aménagement
du milieu permet aussi à l’enseignant de déchiffrer les manœuvres, déplacements et autres
mouvements initiés par les élèves et qui sont la partie visible des savoirs collectifs mobilisés.
L’observation des élèves au moment de la tentative pour passer une porte nous renseigne sur
le « comment ils font ». C’est ce moment précis qui nous permet d’envisager les savoirs
collectifs partagés utilisés par les élèves de 3ème.
Dans le cadre du programme de la discipline, la capacité à développer est :
- PB : alterner la prise d’information entre le contrôle visuel du ballon et la
perception des signes issus du champ de jeu.
- NPB : distinguer les attitudes favorables à la poursuite de la combinaison.

- 3) Poursuite de la combinaison
La situation N°1 va proposer sur un terrain de football à 7, des distances réduites entre les
différentes portes. La notion de continuité de la combinaison existe mais les séquences sont
de courte durée dans le temps, les élèves de 3ème ne pouvant pas produire des séquences de
conservation du ballon très longue. Cette situation n’est pas un problème, au contraire elle
place les élèves dans des moments de concentration courts et plus en rapport avec leurs
ressources attentionnelles du moment. Malgré tout nous pouvons assister à des combinaisons
composées de 2 à 3 passes maximum (Schéma 3). Les savoirs collectifs partagés sont ici de
l’ordre du maintien de la circulation du ballon destinée à prendre de l’avance sur l’adversaire
afin de placer un partenaire seul en mesure de passer la porte B balle au pied. La prise
d’avance en football se fait en accélérant la circulation de la balle et en diminuant de nombre
de touche balle par joueur. Dugrand (1989), Lemoine & al (2007) ont montré que le jeu en
une touche de balle ou en déviation était la solution la plus efficace pour dépasser
l’adversaire. Pour nos élèves de 3ème c’est une réelle difficulté car pour eux ne pas toucher
souvent le ballon va à l’encontre de leurs représentations et limite leur engagement dans la
combinaison collective où ils pensent avoir du mal à se mettre en valeur. Nous essayons de
contourner ce fait en utilisant le système du double score prend toute son importance dans la
mesure où les points attribués à l’équipe se traduiront en note pour l’élève. Ce qui reste pour
la majorité une source réelle de motivation.

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

- Les savoirs collectifs partagés.


Cette phase de déroulement de la combinaison de jeu est la plus délicate pour les élèves car si
les savoirs N°1 et N°2 sont évidemment toujours sollicités, il leur faut aussi mettre en œuvre
d’autres principes qui vont concourir au maintien de l’avance temporelle prise sur l’adversaire
au moment du déclenchement de l’attaque. Il faut alors « Jouer vite sans perdre la balle ».
Cela nécessite pour eux une lecture commune et immédiate des signes venus principalement
du mouvement des adversaires associé à un choix de transmission rapide et sans risque pour
aller vers la porte. C’est une réelle difficulté dans la mesure où en 3ème la prise d’information
sur l’adversaire est encore assez réduite. Dans tous les cas elle n’a pas de fonction
anticipatrice et les signes prélevés le sont souvent au dernier moment quand le défenseur
exerce déjà une pression importante sur le PB. Nous pensons alors que notre proposition
didactique aide les élèves à prélever, dans une séquence identifiée comme « je suis impliqué
dans le réussite », les signes venant de l’adversaire.
- Savoir N°4 : Occuper les espaces libres du jeu avant les défenseurs. En fonction de la
position des défenseurs par rapport aux portes disponibles, je me déplace dans un espace
favorable au maintien de la combinaison AVANT qu’il ne soit occupé par l’adversaire
(Schéma 3).
- Savoir N°5 : Utiliser principalement des courses orientées vers la porte. (Schéma 3).
Pour aller rapidement vers la porte il faut que je propose des solutions qui rapprochent
l’équipe de la cible à atteindre quand cela est possible.
- Savoir N°6 : Chaque transmission (en 1 ou 2 touches de balle maximum) se fait dans
une direction différente et/ou contradictoire par rapport à la précédente.

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

Schéma 4 : Le jeu contradictoire

Porte&A&

T+1$
T+2$
Def1

Def 2
Porte&B&

T+3$
Sens de l'Attaque de l'équipe

Légende : les joueurs élaborent une circulation du ballon contradictoire de manière à créer de l’incertitude chez
l’adversaire. Sur l’exemple, les Défenseurs 1 et 2 se sont rapprochés des attaquants, mais l’avance initiale est
maintenue grâce à une circulation rapide du ballon.

Cette notion issue de nos travaux portant sur l’étude du jeu en déviation montre que
l’alternance systématique des directions de passes provoque une grande incertitude chez
l’adversaire et permet aux attaquants de conserver leur avance spatiale et temporelle. Pour nos
élèves de 3ème nous les inciterons sans les obliger à diminuer le nombre de touches de balle.
L’utilisation de la déviation pouvant pour certains être une limite technique importante. Pour
les élèves « La certitude créée entre les attaquants leur permet d’anticiper leurs actions et de
prendre de l’avance sur la défense» (Lemoine, 2011).

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

III) L’évolution de la proposition didactique

Au cours du cycle football, nous proposons ensuite aux élèves d’autres situations qui
seront construites sur le même principe mais qui varieront en modifiant la nature de l’artéfact
matériel. Dans l’exemple de la situation N°1, la matérialisation des espaces libres étaient
importantes. Dans le temps, nous chercherons à ce que les élèves réutilisent les savoirs
abordés précédemment. Dans la situation N°2, il s’agira de passer la ligne des 13m balle au
pied (en conduite de balle). Ce n’est pas un renforcement du jeu individuel des élèves mais la
mise en évidence au moment de l’approche du but d’un gain de temps et d’espace. Cette
situation apparaît en continuité avec la proposition N°1. Il n’y a pas d’artéfact matériel mais
un repère qui valide la réussite de l’action.
Si cette action aboutit, elle est l’indicateur pour tous de la réussite d’une combinaison
collective. L’évolution par rapport à la situation N°1 se situe au niveau des conditions de
démarrage de l’action. Ici, l’impossibilité de progresser n’est plus indiquée par une porte mais
les joueurs doivent traiter l’information donnée par le jeu et l’adversaire pour déclencher la
combinaison collective amenant à mettre un partenaire en situation favorable.

- Les savoirs collectifs partagés.


1) Le déclenchement de l’action.
C’est l’aspect primordial de la situation N°2. Elle nécessite chez les élèves l’utilisation
du Savoir N°1 : Repérer le début de la combinaison et activer l’algorithme « si la porte est
bloquée alors je dois m’inscrire dans une combinaison permettant d’aller jouer vite ailleurs »,
mais ici dans d’autres conditions. Nous sommes maintenant dans une situation d’opposition
sans aménagement matériel et les attaquants doivent estimer les pourcentages de chance qu’ils
ont de dépasser l’adversaire à un moment T de l’attaque. Est-ce que les élèves de 3ème sont
capables d’évaluer un rapport de forces dans le cours du jeu ? C’est l’enjeu de cette
proposition dont l’objet final est différent de la situation N°1 afin de se rapprocher du jeu
« réel ».
- Savoir N°7 : Si le jeu est bloqué à un endroit du terrain alors je dois m’inscrire dans une
combinaison permettant d’aller jouer vite ailleurs dans un espace laissé libre par l’adversaire.

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

Nous pensons que ce savoir N°7 va se construire à partir d’une reconnaissance de la situation
antérieure (porte bloquée). Les signes à percevoir sont plus fugaces et parfois cachés dans le
jeu. Malgré tout le jeu à 7 contre 7 dans les conditions pratiquées par les élèves de 3ème
produit des situations où la densité de joueurs n’est pas trop importante et où des sous-
systèmes attaque/défense peuvent se dessiner à 3 contre 3. Il apparaît donc plus facile pour les
joueurs de voir et déclencher une manœuvre de contournement pour ensuite mettre un
partenaire en situation favorable.
Schéma 5 : Situation N°2

Jeu bloqué

Passage de la ligne Balle au pied

Sens de l'Attaque de l'équipe

Légende : Le jeu est boqué par 2 défenseurs. Les élèves cherchent alors une solution pour passer la ligne des
13m balle au pied pour ensuite : tirer ou passer. Dans tous les cas, ils doivent conserver leur avance initiale.

- 2) Poursuite de la combinaison
Cette situation permet aux élèves de réinvestir les savoirs N°4, 5 et 6. Les conditions du
maintien du déroulement de la combinaison étant identiques à celles de la situation 1. Ici,
l’action de l’enseignant peut être déterminante au début dans la mesure où il exerce alors une
« supervision » du jeu et qu’il est capable de donner aux élèves des renseignements
supplémentaires sur les indices à prélever pour analyser la situation de jeu qui reste fugace et
éphémère. Par ailleurs, il encouragera les communications verbales entre les élèves afin qu’ils
verbalisent à voix haute et en direct leurs intentions de jeu. Ce moment est très intéressant car
il permet de juger du niveau de « mise en commun » des savoirs. Nous pourrons alors
entendre des phrases de ce type : « avec moi, je suis seul » ; « c’est bloqué ici, on change » ;

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

« non, je suis pris » ; « X, écarte toi (de l’adversaire) » ; « plus vite » ; « tu peux, c’est libre ».
Dans le cadre des programmes nous chercherons alors à développer la capacité « S’informer
avant d’agir » mais qui deviendra ici « S’informer, informer les autres et produire des signes
lisibles par mes partenaires ». En ce qui concerne les attitudes, nous construirons :
« S’engager dans la construction et la réalisation un projet collectif » et « Prendre ses
responsabilités et adapter ses choix en fonction du score ».

IV) Les situations didactiques proposées.


Le tableau 1 est une synthèse des propositions faites au cours de l’article. Il formalise
l’évolution des situations /jeux proposés ainsi que les savoirs afférents. Ils explorent un thème
principal au travers de propositions didactiques différentes.
Tableau 1 : Jeu 1 à 5
Jeu Intitulé Savoirs
Thème
Recherche de l’Espace libre, Gain de temps et d’espace, limitation du nombre de touches de balle

Jeu 1 Savoir N°1 : Repérer le début de la combinaison et activer


l’algorithme « si la porte est bloquée alors je dois m’inscrire dans
une combinaison permettant d’aller jouer vite ailleurs ».
Savoir N°2 : je suis NPB le plus proche du PB (T+1) et je me
place dans le champ visuel de mon partenaire, orienté pour
assurer le continuité du jeu, à distance de 8 à 10m pour recevoir
la balle.
Savoir N°3 : je suis NPB plus éloigné (T+2). Je me place dans un
espace laissé libre par l’adversaire pour permettre à mon ou mes
Passer les portes balle au partenaires T+1 de pouvoir enchainer la passe à la réception du
pied ballon.
Savoir N°4 : Occuper les espaces libres du jeu avant les
défenseurs. En fonction de la position des défenseurs par rapport
aux portes disponibles, je me déplace dans un espace favorable
au maintien de la combinaison AVANT qu’il ne soit occupé par
l’adversaire (Schéma 3).
Savoir N°5 : Utiliser principalement des courses orientées vers la
cible/but.
Savoir N°6 : Chaque transmission (en 1 ou 2 touches de balle
maximum) se fait dans une direction différente et/ou
contradictoire par rapport à la précédente.

Jeu 2 Passer la ligne des 13m balle Savoirs 1 à 6


au pied Savoir N°7 : Si le jeu est bloqué à un endroit du terrain alors je
dois m’inscrire dans une combinaison permettant d’aller jouer
vite ailleurs dans un espace laissé libre par l’adversaire.

Jeu 3 Arrêter la balle derrière la Savoirs 1 à 7.


illigne des 13m (stop-balle)
Jeu 4 Marquer dans 2 buts latéraux Savoirs 1 à 7

Jeu 5 Marquer de l’extérieur des Savoirs 1 à 7


13m

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

Les tableaux 2 et 3 sont des propositions en cours de construction et qui demandent une
validation avec des élèves. La situation N°10, par exemple, reste encore pour nous une
proposition difficile à mettre en place vue la difficulté technique et le peu d’attirance qu’ont
les élèves à se dessaisir du ballon.
Tableau 2 : Jeu 6 à 7
Jeu Intitulé Savoirs
Thème
Recherche du jeu vers l’avant et de la profondeur, Organisation de la contre-attaque
Jeu 6 Jeu avec un appui haut dans Savoir 8 : NPB : je me situe dans un espace laissé libre par
le terrain l’adversaire à proximité de la zone de marque. Je m’oriente pour
recevoir la balle, tirer ou transmettre
Savoir N°9 : quand je récupère le ballon, je cherche un partenaire
démarqué à proximité de la zone de marque
Jeu 7 But marqué en 3 passes et Savoirs 2, 3, 4, 5
moins Savoir 10 : Je repère le placement des adversaires pour évaluer la
pertinence du déclenchement d’une Contre-Attaque

Tableau 3 : Jeu 8 à 9.
Jeu Intitulé Savoirs
Thème
Recherche de la circulation ininterrompue du ballon
Jeu 8 Jeu en 2 touches de balle Savoirs 2, 3, 4
Savoir 11 : je prends des informations sur le jeu avant de recevoir
la balle.
Savoir 12 : J’élabore un cheminement du ballon à T+2 ou T+3
Jeu 9 Jeu en 1 touche de balle Idem
(dans une zone limitée du
terrain)
Jeu 10 Jeu en 1 touche de balle sur Idem
tout le terrain

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

Conclusion
L’ensemble de ces propositions didactiques organise des contenus destinés à faire
construire par l’élève des compétences en football en liaison avec le programme de la
discipline. Elles ont aussi vocation à explorer le champ toujours difficile des savoirs collectifs
partagés et de l’intelligence tactique du joueur. Plus modestement elles pourront aussi
apparaître comme un début de réponse aux quatre questions laissées en suspend par A.
Fernandez (2011, p. 203).
Il apparaît en effet que les élèves de 3ème sont capables dans nos situations de football à
7 non compétitives en milieu scolaire de réutiliser des « savoirs implicites » construits en
amont dans les classes antérieures. Le démarquage dans des conditions simples est connu et
reconnu par un groupe de niveau homogène.
La difficulté se situe ailleurs et est pour nous dans la prise d’information et la volonté de
s’inscrire dans une combinaison collective. Pour nos élèves le football est prioritairement un
jeu collectif dans lequel je joue à côté des autres et parfois avec les autres. Pour arriver à une
mise en commun des savoirs, l’utilisation de l’artéfact matériel nous apparaît comme une
étape dans la prise de conscience collective de ce qu’il y a à faire ensemble à certains
moments. Ce passage déclenche chez le joueur une « conscientatisation » des actions à
entreprendre et nous pouvons penser qu’à ce moment « parce qu’il y a référentiel commun
d’interprétation, il y a du même coup référentiel commun de décision, et référentiel commun
d’exécution » (Deleplace, 1979, p.18). L’aide apportée aux élèves dans la perception de la
situation pourrait permettre de dépasser la compréhension de l’organisation dyadique qui ne
prend généralement « en compte plus d’un partenaire pour agir… » (Bourbousson, 2008, p.
32) et permettre d’identifier une mise en commun fugace et rapide de savoirs partagés sur
l’action et dans l’action. A ce titre notre demande de verbalisation dans l’action semble riche
pour avancer dans ce domaine.
A la troisième question nous pensons avoir proposé des réponses quant à un système d’aide
que représente la didactique. En identifiant les savoirs et en les transformant en contenus
d’enseignement liés au programme de la discipline il semble possible de sortir du débat
inné/acquis au sujet de l’intelligence tactique. A ce propos, il est toujours fait référence à cette
notion au sujet des « grands joueurs » ou de ceux dont on estime qu’ils ont une influence
réelle et importante dans la bascule du rapport de forces. A notre échelle et avec des élèves
par forcement spécialistes, l’intelligence tactique revient à comprendre ce que l’on a à faire et
comment je le fais pour pouvoir participer efficacement à une combinaison de jeu. Il faut
donc identifier les signes et les partager avec mes partenaires. La hiérarchisation des

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

situations didactiques nous apparaît comme une possibilité de graduer les apprentissages, de
réutiliser des savoirs afin de favoriser la stabilisation. En nous appuyant sur des séquences de
jeu et en utilisant le double score, l’élève est confronté à des classes de problèmes qu’il peut
identifier et partager avec ses partenaires (Tableaux : 1, 2, 3).
Pour ce qui est de la dernière interrogation qui portait sur l’élaboration d’un langage
stratégique, nous ne suivrons pas l’auteur dans la mesure où le vocabulaire stratégique et
tactique existent. Pour nos élèves, la connaissance, la reconnaissance et leur utilisation sont
déjà des acquis importants. Malgré tout, en nous référant à M. Dugrand et à sa volonté de voir
se développer une circulation du ballon ininterrompue grâce au jeu en déviation, force est de
constater que le meilleur jeu actuel au monde est espagnol3 et qu’il est basé sur une circulation
permanente et rapide du ballon. Dans nos propositions de jeu 9 et 10, nous aimerions
proposer à nos élèves cette option de jeu qui si elle est mise en place demande de la part des
joueurs une lecture anticipée des signes et une utilisation de l’ensemble des savoirs collectifs
partagés abordés en amont du cycle.
A ce stade de notre réflexion nous restons persuadés que le problème fondamental du football
et des sports collectifs en général reste la prise d’avance sur l’adversaire. Jouer dans le futur
doit être l’objectif du joueur.

3
L’équipe nationale Espagnole est double championne d’Europe et championne du Monde en titre.

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Savoirs collectifs et intelligence tactique en Football: un exemple au Collège (2012) A. Lemoine

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