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eJRIEPS

Ejournal de la recherche sur l’intervention en éducation


physique et sport
7 | 2005
Varia

Les concepts de matrice offensive et défensive


envisagés sous l’angle de la didactique des sports
collectifs
Jean-Francis Gréhaigne, Didier Caty, Michel Billard et Lise Chateau

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/ejrieps/8771
ISSN : 2105-0821

Éditeur
ELLIADD

Édition imprimée
Pagination : 20-43

Référence électronique
Jean-Francis Gréhaigne, Didier Caty, Michel Billard et Lise Chateau, « Les concepts de matrice
offensive et défensive envisagés sous l’angle de la didactique des sports collectifs », eJRIEPS [En
ligne], 7 | 2005, mis en ligne le 01 janvier 2005, consulté le 08 septembre 2023. URL : http://
journals.openedition.org/ejrieps/8771

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https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/
Les concepts de matrice offensive et défensive envisagés sous l’angle de la d... 1

Les concepts de matrice offensive et


défensive envisagés sous l’angle de
la didactique des sports collectifs
Jean-Francis Gréhaigne, Didier Caty, Michel Billard et Lise Chateau

1 Un certain nombre de confusions, le besoin de faire le point sur notre démarche (cf.
Groupe Sports Collectifs de L’Académie de Dijon, 1994), et des écrits professionnels de
qualité inégale, nous ont amené à proposer ce texte. Situé à la croisée de
l’épistémologie génétique, des savoirs produits en didactique de l’EPS et des concepts
qu’elle véhicule, cet article se veut surtout un témoignage de nos contributions et de
notre cheminement réflexif au cours de ces dernières années.
2 Dans une approche moderne des sports collectifs, l’hypothèse courante postule qu’une
rencontre de football est comparable à un système dynamique, car composé d’un
ensemble d’éléments en interaction finalisée. La finalité qui oriente l’organisation en
fonction d’un but est le gain du match. L’étude de l’interaction entre les joueurs,
partenaires et/ou adversaires, constitue l’élément pertinent déterminant toute analyse
de ce système (Gréhaigne & Godbout, 1995). Comprendre l’organisation du jeu et sa
logique d’affrontement constitue alors l’objectif premier de toute étude. La notion
d’« organisation » impose, en particulier dans l’étude du jeu, la description de niveaux
hiérarchisés et structurés de façon complexe, et pouvant fournir en soi un objet
d’étude.
3 Une première approche macroscopique des conceptions dominantes employées par les
enseignants intervenant dans les sports collectifs laisse apparaître quelques traits
caractéristiques (figure 1) que l’on peut organiser selon un double axe « simplicité /
complexité » et « particulier / général ». En fonction de telle ou telle composante
dominante de l’acte éducatif, l’intervenant peut avoir recours à des approches variées
car croisées qui sont respectivement les approches « analytique, générale, ou
systémique.

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Figure 1 : modélisation de l’analyse des jeux sportifs collectifs (Gréhaigne, 1997, p. 91)

4 Ce modèle (comparable à une analyse factorielle) est donc organisé autour de deux axes
qui déterminent quatre quadrants. Ces axes déterminent quatre modalités
d’apprentissage présentant les caractéristiques particulières suivantes.
5 1) Simple / Particulier : (approche associationniste)
6 C’est l’approche classique des sports collectifs avec des leçons centrées sur
l’apprentissage de compétences motrices en vue d’une matrice gestuelle. L’enseignant
met en place tout un travail centré sur la technique au sein de l’apprentissage des jeux
et utilise des progressions techniques basées sur un découpage en unités élémentaires
des gestes du joueur.
7 2) Simple / Général (approche basée sur le transfert)
8 Cette approche correspond à l’emploi des jeux traditionnels comme support
d’enseignement des sports collectifs. Les jeux traditionnels sont utilisés pour renforcer
des compétences motrices larges comme, courir avec un ballon, lancer long, lancer
court, tirer comme des »invariants« de la motricité sportive.
9 3) Particulier / Complexe (approche constructiviste)
10 L’utilisation des jeux réduits est l’élément central de ce quadrant. Les élèves sont
confrontés à des jeux à effectif et espace réduits, mais ils conservent les règles
fondamentales de l’activité pour préserver les sens et la signification du jeu.
11 4) Général / Complexe (approche écologique)
12 Ce quadrant renvoie à l’utilisation de la pratique sociale de référence : la version
complète du jeu de l’adulte avec ou sans aménagement des règles.
13 Cette modélisation n’a pas de valeur normative en elle-même, car en fonction de telles
ou telles composantes de l’acte éducatif, on peut ou on doit varier les approches. Elle a
avant tout une fonction heuristique. Nous avons choisi d’étudier plus spécialement

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l’axe « particulier / général » sur le versant de la complexité. Cela nous a amené tout
naturellement à envisager une approche systémique des sports collectifs (Gréhaigne,
1989).

1. Une analyse systémique des sports collectifs


14 L’enjeu fondamental des sports collectifs pourrait être ainsi énoncé : « dans un rapport
d’opposition, il s’agit de coordonner les actions collectives afin de récupérer, conserver, faire
progresser le ballon dans le but d’amener celui-ci dans la zone de marque et de marquer. A cet
effet, le plus souvent il faut prendre de l’avance sur le replacement défensif, conserver cette
avance et réussir la réalisation. »
15 Exceptées pour les approches techniques fermées, toutes les didactiques des sports
collectifs s’accordent plus ou moins sur le caractère continu et fondamentalement
réversible du jeu. Les joueurs sont tour à tour défenseurs / attaquants, porteurs de
balle ou partenaires… en fonction des configurations du jeu et de l’alternance de la
possession du ballon.
16 Teodorescu (1965) a défini le jeu sportif comme une lutte permanente entre l’attaque
(l’offensive) et la défense. L’avantage de la phase d’attaque est la possibilité de prendre
l’initiative du jeu et des décisions, autrement dit d’en orienter l’action en cours. Cette
initiative se traduit par la possession (la détention) du ballon, condition sine qua non
pour la marque d’un point (but). Le désavantage relatif de cette phase d’attaque est
multiple. La maîtrise technique du ballon est compliquée en raison des manipulations
spécifiques du ballon, auxquelles s’ajoute la nécessité de sa protection et du maintien
de sa possession envers et contre les actions des défenseurs. Ceux-ci mènent une
double action visant à protéger le but tout en essayant de reconquérir le ballon. La
défense est avantagée par le fait que la circulation des joueurs sans ballon n’est pas trop
contraignante, et que le nombre relativement réduit de dispositifs collectifs de
récupération facilite l’appropriation.
17 Le processus informationnel qui sous-tend la compréhension du système attaque /
défense peut être précisé en détaillant cinq types d’activités qui interviennent de façon
cyclique dans son fonctionnement [cf. l’analyse de l’acte tactique en jeu de Malho (1974,
p 34)] :
• l’activité d’information consiste à traduire sous forme conceptuelle les phénomènes réels
observés (perception) ;
• l’activité prospective consiste à construire des schémas du futur, probables, possibles ou
souhaitables (planification) ;
• l’activité de décision consiste à traduire des intentions et aspirations en actes sur le réel
(programmation et gestion) ;
• l’activité d’exécution consiste à transformer le système par des actions volontaires et
coordonn ées (exécution) ;
• l’activité de contrôle consiste à recueillir des informations sur le résultat des actions afin de
continuer ou de transformer l’action en cours et /ou à venir (régulation).
18 Sans que toutes les étapes soient toujours parcourues, cet ensemble d’activités permet
d’établir, pendant le jeu, des équilibres précaires, relatifs et alternatifs entre l’attaque
et la défense. Il peut donner lieu à une approche classique de l’organisation collective
dans laquelle l’apprentissage technique demeure souvent un élément décisif et

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préalable au jeu (figure 2). Ces thèmes classiques sont encore fortement utilisés dans
l’enseignement des sports collectifs au collège et au lycée sans vraiment savoir s’ils
correspondent à de réels besoins (cf. Bouthier, 1986). Toutefois, selon les sports
collectifs, et en fonction des possibilités réglementaires d’intervention du défenseur,
l’accent est davantage mis sur l’organisation de la défense comme si, ne pas perdre
était plus important que gagner.

Figure 2 : exemple de thèmes dans l’apprentissage classique des sports collectifs

19 Avec une réelle centration sur les rapports d’opposition en situation complexe, il
semble au contraire qu’il faille partir de la phase offensive pour mieux l’organiser,
autrement dit, partir des problèmes posés par l’attaque du camp adverse. Nous
justifions ce choix à partir des éléments suivants :
• le fonctionnement des sports collectifs à l’école est spécifique par rapport à la pratique
sociale de référence (avec recherche de rendement immédiat dans un championnat) où l’on
organise d’abord la défense du but puis… ;
• l’équipe dominante est celle qui attaque activement (bien différencier la possession du
ballon de la notion de dominant / dominé) ; on peut ainsi »attaquer l’attaque« .
20 En conséquence, à partir d’une défense spontanée, (ce qui ne veut pas dire inorganisée
ou anarchique) et tant que l’attaque ne marque pas systématiquement, pourquoi
bloquer tout de suite la libre expression des élèves ? Enfin, c’est surtout, une valeur de
la culture scolaire puisqu’il faut dans la plupart des cas dégager rapidement un
vainqueur.

Figure 3 : principes généraux des sports collectifs (Gréhaigne, Billard & Laroche,1999)

21 Ce schéma des principes généraux illustre l’immédiateté du passage du rôle d’attaquant


à celui de défenseur, et met en évidence la notion de situation à double effet (Deleplace,
1979). La réversibilité des situations représente un aspect fondamental des sports
collectifs en rapport avec le fait que les équipes attaquent et défendent tour à tour, et

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qu’il y a toujours une part de défense dans l’attaque et une part d’attaque dans la
défense. On peut ainsi parler d’une véritable »co-construction « du système attaque /
défense, ce système se faisant et se défaisant au gré de l’action.
22 De plus, cette réversibilité est à considérer dans un double rapport dialectique
continuité / rupture :
• soit une circulation rapide du ballon et des joueurs pour mettre en place une configuration
opportune ;
• soit une rupture momentanée de l’état d’équilibre du système attaque / défense qui amène
une occasion de but si l’exécution est rapide ;
• soit, en cas d’échec de l’action vers le but, un enchaînement vers une autre forme d’attaque
avec conservation du ballon pour attendre une autre opportunité ;
• soit une rupture définitive du jeu par perte de la balle, les défenseurs devenant ainsi
attaquants.
23 La réversibilité concerne également les comportements des joueurs quand le rapport de
forces est trop déséquilibré. Il les fait basculer, alors, dans un rapport de dominé… avec
ses conséquences sur les modélisations du jeu. Par exemple, la possession de la balle en
attaque peut se réduire à sa simple mais problématique conservation : la défense
submergée peut se résoudre à défendre de façon placée le but immédiat.
24 Enfin, la réversibilité des comportements existe aussi sous l’effet de la fatigue ou du
stress mais surtout quand l’adversaire est trop largement supérieur et que le principe
de »l’égalité des chances à l’inégalité du résultat « ne peut plus être respecté. On peut
ainsi mettre en avant une condition essentielle dans la mise en place des situations
didactiques d’apprentissage de tactiques de jeu : la nécessaire condition d’un rapport
équilibré dans la composition des équipes allant s’affronter.
25 Resituons maintenant l’analyse traditionnelle des techniques gestuelles employées
dans le contexte du »rapport d’opposition« . C’est ce rapport des forces antagonistes
en présence, traduit de loin en loin par l’évolution du score, qui caractérise l’activité en
sports collectifs. L’analyse vise donc en premier lieu à (1) identifier les différents états
possibles de ce rapport d’opposition et les indices pertinents qui peuvent les
caractériser. Elle consiste, en second lieu, à (2) dégager les principes de transformation
de ces états et ce pour les différentes phases de jeu qui donnent lieu à des modalités de
confrontations spécifiques. C’est à cette condition qu’il sera alors possible d’accéder à la
logique interne de l’activité sportive étudiée. Cette logique interne est alors le produit
de l’interaction continue, au cours du développement historique du jeu, entre les
principales conventions du règlement et (3) l’évolution des solutions pratiques
apportées par les joueurs.
26 Une bonne analyse de la logique des différentes formes d’action de jeu et du choix de la
forme d’évolution de la configuration de jeu momentanée constitue ce qu’il est convenu
d’appeler »l’intelligence tactique en jeu ». Ce processus engagé par le joueur en action
renvoie à l’appréciation pertinente :

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Tableau I : appréciation pertinente du joueur en action

27 Cette intelligence tactique en jeu, véritable « ramassement synthétique des


découvertes » (Deleplace, 1995) faites en jeu, se constitue à partir de la compréhension
des matrices offensives et défensives. Ces matrices servent de base indispensable à la
compréhension du jeu par le joueur, l’entraîneur ou le professeur. Pour avancer sur ce
concept fondamental, nous allons davantage nous centrer sur le « joueur-élève » dans
l’enseignement secondaire, car c’est en effet le joueur qui, en premier lieu, est concerné
par cette lecture de la matrice du jeu.

2. Le système des matrices au sens génétique du


terme
28 Le « système des matrices » est défini originellement par Deleplace (1979) « comme un
système cohérent de représentation mentale de la totalité de la logique interne du jeu » (p. 21).
Véritable systématique des décisions tactiques en jeu, la matrice d’action serait donc
une image déployée de l’action actualisée au fil du temps avec les configurations du jeu
s’enchaînant et servant de source à ces décisions.
29 Concernant les points clé de la gestion de l’organisation du jeu, un sujet expert est à
même d’appréhender rapidement une quantité d’informations « utiles » à la résolution
des problèmes posés par le jeu nettement plus importante que le débutant. Néanmoins
cette compétence reste relativement restreinte à des informations signifiantes et
prélevées comme telles. L’explicitation de la logique interne d’une activité physique
permet de proposer à la vigilance des joueurs, des axes de modélisation précis formant
un tout cohérent et opératoire. Ainsi, le joueur dispose, sous contrainte temporelle,
d’une « image mentale d’action » élaborée, au lieu d’être encombré par une masse de
données inutiles à la solution du problème. Cette image mentale d’action lui permet
aussi de ne sélectionner que les informations les plus adaptées au contexte, voire même
de vérifier dans le jeu les informations pertinentes qu’il attendait pour poursuivre son
action. Cette lecture du jeu serait donc anticipatrice des signes attendus, et des paris de
sens sur le décours de l’action.

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Figure 4 : système de matrice d’action en sport collectif

30 La difficulté est donc de parvenir à enserrer la complexité entière du jeu dans un


système formé du plus petit nombre possible d’axes fondamentaux, mais articulés entre
eux dans une unité logique fonctionnelle forte. Ce système permet de redéployer la
complexité à la demande et au besoin du jeu, en pleine action dans n’importe laquelle
de ses dimensions. C’est constituer-là, une véritable « matrice d’actions » que le sujet
développe ainsi avec l’expérience une véritable « matrice d’action ». Tout en travaillant
avec l’aide de cette image, l’élève va faire évoluer et modifier cette matrice d’actions
dans le sens de sa singularité personnelle. Chez un joueur, à partir de cet ensemble de
données (figure 5), on peut parler de modèle personnel de jeu véritable »matrice
tactique de la technique« (Deleplace, 1966 ; 1994). C’est l’utilisation la plus consciente
possible de la part d’un joueur pendant certaines phases d’attaque ou de défense des
techniques les plus indiquées, avec pour objectif de réaliser le mieux possible une tâche
partielle du jeu en fonction des apprentissages réalisés, des routines existantes et des
ressources physiques disponibles. La tâche de l’enseignant expert consiste alors à aider
les joueurs à construire une matrice d’action juste parce qu’adaptée en fonction des
ressources personnelles et collectives du moment.

Figure 5 : modèle illustrant les liens entre divers aspects du jeu

31 Transposée à l’école, cette analyse consiste à proposer aux élèves des situations
problèmes qui visent à gérer des positions, des trajets et des trajectoires non uniformes de la
balle et des joueurs dans des conditions d’urgence décisionnelle en vue d’amener la balle dans la
zone de marque et marquer.
32 Dans ce contexte, la matrice défensive est l’organisation collective de la défense à la
fois la plus simple et la plus générale. Elle permet d’enrayer le mouvement offensif

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tenté par l’adversaire momentanément en possession de la balle, et ce quels que


puissent être sa forme, son déploiement, ses rebondissements successifs. La
distribution des défenseurs entre les différentes lignes de force reste un élément
fondamental de l’analyse que l’on peut ramener à deux grands prototypes : la défense
en barrage ou la défense à la poursuite. Une défense en barrage est positionnée entre le
ballon et la cible ; une défense à la poursuite est une défense momentanément hors de
position qui cherche à se repositionner entre le ballon et la cible. La matrice offensive,
à l’inverse de la matrice défensive qui est d’abord une organisation face aux
éventualités offensives, est en premier lieu le choix affirmé d’une manière de pénétrer
dans le système défensif adverse en fonction de la configuration momentanée de celui-
ci. Selon les configurations défensives, le premier choix repose souvent sur l’alternative
»pénétrer ou contourner« le système défensif.
33 Le système des matrices étant défini, nous allons en revenir comme annoncé figure 4, à
la circulation du ballon et des joueurs dans les jeux à l’école. Celle-ci repose sur
quelques ensembles simples que nous avons commencés à exposer, en identifiant des
étapes pour interpréter la pratique des élèves dans Gréhaigne, Billard & Laroche (1999).
Le choix de l’attaque, comme axe stratégique d’apprentissage, nous a fait privilégier la
matrice offensive dans un premier temps.

3. Quelques circulations typiques de balle


34 Chez les débutants (Gréhaigne, Caty & Marle, 2004), l’espace de jeu effectif (Mérand,
1977 ; 1984) résumé ici par les deux axes d’inertie du nuage de points formé par les
joueurs sont très réduits et concentrés (cf. »la grappe« , »l’essaim« , »la comète« , etc.
termes bien connus dans la littérature concernant les débutants en sport collectif). Il
est à noter que le ballon circule le plus souvent à l’extérieur de l’espace de jeu effectif à
la suite de frappes successives dans la balle destinées à la faire avancer.

Figure 6 : illustration de l’EJE avec les axes principaux d’inertie chez les tout débutants

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35 Ensuite, le travail à l’école peut être organisé grâce aux règles d’actions relevant de
deux »principes d’action« en attaque : jouer en mouvement et récupérer la balle. On peut
y ajouter une modalité particulière qui est »faire circuler la balle rapidement« .
36 Avec cet ensemble théorique utilisé en arrière-plan, il devient possible d’identifier des
»configurations du jeu prometteuses« . Elles représentent des »prototypes« de jeu
relativement constants et susceptibles d’amener une tentative de réalisation. La
transition dans la situation à double effet est souvent un moment clé, en particulier lors
de la récupération du ballon. Dans cette phase, la défense devient attaque, et l’ancienne
attaque devenue défense est un peu »hors de position« .
37 Ces configurations prometteuses apparaissent dans les jeux réduits jusqu’au 5 contre 5
pour les jeux interpénétrés et de signes contraires (Jeu, 1977).

Tableau II : Légende utilisée pour les configurations du jeu

Figure 7 : Jeu avec un lancer long et un joueur qui s’extrait de l’EJE vers l’avant

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Figure 8 : jeu avec récupération de la balle à l’arrière de l’EJE puis conduite de balle et tir

Figure 9 : jeu avec une circulation rapide du ballon avec un jeu à une touche de balle, typique du jeu
de transition ou de la contre-attaque

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Figure 10 : jeu sur une attaque placée : la balle recule et circule devant la défense. On joue sur un
espace stabilisé avec une circulation de la balle dans la zone de marque

38 Sur une attaque placée avec une défense en barrage, ce genre de circulation du ballon
est très propice à une interception des défenseurs (figure 10) et donc une récupération
de la balle. A un certain niveau de jeu, on a intérêt temporairement à (1) laisser la balle
à l’adversaire pour attaquer et dans un deuxième temps de jeu (2) tenter de récupérer
le ballon avec un grand espace libre devant soi.
39 Pour résumer, nous pouvons distinguer plusieurs phases dans la mise en jeu du rapport
de force :
40 1. Analyse topologique des configurations de jeu.
41 La circulation de la balle organise la circulation des joueurs. Les éléments clés de la
première étape (figures 7 et 8) sont constitués par la construction du lancer long en jeu
et la prise en compte des informations qui permettent la gestion et l’exécution de
l’échange de balle au travers de la permutation de statut entre passeur et
réceptionneur.
42 2. Analyse dynamique du champ de jeu.
43 Les éléments clés de la deuxième étape (figure 9) sont constitués par la construction de
l’espace vide où va se trouver le partenaire dans un instant très proche. Cela suppose la
perception, la gestion de la distance porteur de balle / adversaire direct, pour échanger
la balle avec un partenaire (échange de statut entre passeur et réceptionneur). La mise
en place des éléments qui permettent la gestion, l’exécution et l’anticipation de la
récupération de la balle suivie d’échanges de balle rapides et peu nombreux pour
marquer constitue aussi une modalité très courante du jeu.
44 3. Analyse anticipatrice des actions de jeu.
45 Les éléments clés de l’étape 3 (figure 10) sont constitués par la lecture des
configurations du jeu, la construction du mouvement avec une balle, qui parfois
»recule« , et la possibilité d’attaquer une défense bien en place. Une circulation rapide
du ballon avec un jeu à une touche de balle constitue également une modalité usuelle

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de cette étape. Ces phases sont organisées de façon relativement hiérarchique, mais des
joueurs expérimentés peuvent revenir à la phase 1 lorsqu’un rapport d’opposition pose
à nouveau problème à un niveau de complexité plus élevé.

4. Complexification de la matrice offensive / défensive


46 Depuis le début de cet article, nous avons discuté essentiellement des sports collectifs.
Avec la dynamique de complexification de la matrice, nous allons revenir aux
différentes pratiques sociales de référence. Notre propos va être maintenant illustré à
l’aide du football. Comme nous l’avons déjà vu, nous n’attachons pas un avantage
automatique au fait qu’une équipe soit en possession du ballon. Une équipe peut avoir
la balle et être renvoyée systématiquement à un jeu à la périphérie ou à une circulation
de la balle à l’arrière de l’espace de jeu effectif. En conséquence, la possibilité
automatique d’initiative du possesseur de balle ne va pas de soi. L’organisation générale
du jeu suppose un déroulement rationnel des actions et une coordination de celles-ci ; il
a donc été nécessaire de trouver des principes, des règles, des formes pour assurer le
succès tant en attaque qu’en défense. Gréhaigne (1989, p. 248) définit l’organisation du
jeu d’une équipe comme le résultat de l’interaction de plusieurs facteurs.
• L’ordre général, c’est-à-dire la forme d’ordre extérieur qui résulte des choix stratégiques généraux de
l’équipe (composition de l’équipe).
• Les positions à occuper en fonction des consignes particulières reçues par chaque joueur à
l’entraînement (place assignée).
• Les positions produites par l’influence de l’adversaire (place effective).
• L’adaptation de l’équipe et des joueurs aux conditions de l’affrontement (flexibilité).
47 Pour conclure provisoirement concernant un match de football, les deux équipes
semblent présenter le plus souvent deux sous-systèmes non uniformes en interaction
(Gréhaigne, 1989). Toute analyse de l’organisation du jeu, tant en attaque qu’en
défense, possède comme point de départ l’affrontement continu issu des trajets et des
trajectoires du ballon ainsi que du déplacement des joueurs (cf. Gréhaigne., Godbout, &
Bouthier, 1999 ; 2001). La complexification croissante de la matrice provient de
l’adoption d’un point de vue dynamique dans l’analyse du jeu. En football, deux
logiques sont possibles : soit l’affrontement se conçoit et s’appuie sur une ligne fixe, »la
ligne de but« (cf. le »verrou suisse« ou le »catenaccio« ) ; soit il est organisé à partir
d’une ligne constamment mouvante au front du ballon. Ici le concept de »matrice du
jeu« (au sens de lieu de genèse de la dynamique d’affrontement) prend tout son sens et
vise à mettre l’accent sur deux éléments :
• dès l’origine, la première forme d’organisation de l’action collective possède un caractère de
totalité et d’unité essentielle, même dans sa forme la plus rudimentaire comme dans les jeux
réduits ;
• cette forme d’organisation dans un rapport de force donné engendre, par sa propre logique
interne, une complexification croissante de l’organisation par filiation, ou enchaînement de
différentes configurations du jeu.

4.1. Matrice défensive

48 L’équilibre défensif

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49 Cet équilibre est considéré comme réalisé, si à un instant donné, la distribution des
défenseurs par rapport à l’adversaire, au ballon et au terrain, est telle qu’elle est en
mesure de répondre immédiatement et efficacement à chacune des éventualités que la
transformation des configurations de jeu initié par les attaquants pourrait faire
apparaître. Dans l’auto poïèse du jeu (ou recréation continuelle du jeu), soit un instant
d’équilibre défensif succède à un autre moment d’équilibre, soit un déséquilibre
survient et vice-versa. Ce déséquilibre peut survenir (1) à la suite d’une mauvaise
distribution de balle antérieure à l’action en cours ou (2) à une mauvaise utilisation de
la bonne distribution. En football, le déséquilibre est souvent très bref, et peut être
récupéré quelques instants plus tard (3 à 4 secondes en général).
50 Les rideaux
51 L’aspect statique est constitué par la distribution des joueurs entre les rideaux
défensifs. L’aspect dynamique est plus compliqué dans le football moderne. En effet,
dans la pratique sociale de référence, l’étude de la phase-mère du jeu montre un rideau
défensif au front du ballon protégé par un rideau en couverture avec un gardien de but
comme rideau transversal profond. Ce dispositif est étagé sur le terrain, soit en
fonction du plan de jeu choisi, soit en conséquence d’un rapport de force subi. Cela
constitue l’organisation défensive la plus courante. Mais, on peut se retrouver avec un
seul rideau de défenseurs adossé à sa ligne de but. A l’opposé, on retrouve une forme
particulière de la défense de zone, »la défense en ligne« avec toute une zone libérée
dans le demi-terrain défensif du fait de la règle du hors-jeu. La couverture défensive
axiale (principalement dans les jeux à cible verticale) et la ré-alimentation des rideaux
constituent également des éléments de la complexification de la matrice défensive.
52 Nous présentons figure 11, à l’aide des concepts »en avance« et »en retard« ainsi que
»en barrage et/ou à la poursuite« une illustration des principales actions et
configurations de la matrice défensive.

Figure 11 : matrice défensive : illustrations des actions de jeu à l’aide des concepts »en avance« et
»en retard« ainsi que »en barrage et/ou à la poursuite«

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4.2. A l’interface de la « situation à double effet »

53 Récupérer ou perdre la balle.


54 Par son application, la défense cherche à priver l’attaque d’initiatives. La mise en
œuvre de ce choix tactique suppose du dynamisme, de l’agressivité et de la résolution.
Par conséquent, la défense ne doit pas se borner simplement à des répliques données
aux actions des adversaires, mais à des ripostes qui obligeront en permanence l’attaque
adverse à se centrer sur la conservation du ballon et à ne pas agir en priorité pour la
réalisation d’un point. Si la tactique défensive réussit, l’attaque perd la balle.
55 Choisir la récupération en football.
56 On privilégie souvent la récupération haute (autant que possible dans le demi-terrain
adverse) ce qui permet d’enchaîner rapidement une contre-attaque. Cela implique
l’organisation du placement des joueurs pour jouer vite, avec les risques inhérents de
mauvaise exécution. Une circulation de la balle à l’arrière de l’espace de jeu effectif de
l’attaque est un signal fort pour la défense et permet d’envisager une récupération de la
balle.
57 La réserve axiale.
58 La rapidité d’évolution des situations oblige à disposer à chaque instant d’une réserve,
afin que des joueurs puissent toujours intervenir dans l’action en cours avec le
minimum de chemin à faire. Cela suppose de :
• se tenir à distance d’échange de balle et dans le champ visuel du porteur de balle pour
constituer un joueur ressource par rapport au mouvement d’attaque en cours ;
• se porter rapidement vers un espace actuellement menacé pour alimenter les rideaux
défensifs.
59 Dans les sports collectifs interpénétrés, de signes contraires et à cible verticale, il est
possible d’identifier les éléments topologiques suivants. La surface de la cible comme au
football ou au handball est maximale quand l’origine du tir est dans le couloir central.
D’où l’importance primordiale de défendre cet axe »but attaqué / but défendu« , ainsi
que l’espace de jeu direct. Le premier lieu d’implantation de la réserve est l’axe but
attaqué / but défendu.

Figure 12 : un couloir central qui permet de répertorier des actions de jeu dans l’axe but attaqué /
but défendu et d’autres dans les couloirs périphériques

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Les concepts de matrice offensive et défensive envisagés sous l’angle de la d... 15

Figure 13 : l’espace de jeu direct avec des cibles verticales et illustrations des zones de plus en plus
dangereuses en football. Du fait de la verticalité de la cible, la surface apparente varie avec »l’angle
de tir«

60 En football, il faut donc combiner, comme nous l’avons déjà vu, des rideaux étagés dans
la profondeur tout en tenant la largeur. La réserve défensive répond au »principe de
suppléance continue« du fait de la mise hors de position éventuelle des défenseurs au
cours du déroulement de l’attaque. Cette véritable couverture axiale est primordiale
car elle empêche le plus souvent les stratégies visant à pénétrer le système défensif
dans le couloir central. Elle tend à renvoyer l’attaque à la périphérie, l’obligeant ainsi à
se contenter d’une tentative de réalisation différée. Enfin, le gardien de but est toujours
en réserve dans l’axe profond.
61 La réserve offensive, le plus souvent constituée par les partenaires en soutien, est très
utile dans la mesure où les partenaires dans la profondeur (en appui) ou à hauteur sont
fréquemment dans le triangle d’interception des défenseurs, donc inatteignables. Avec
un jeu à la périphérie, qui a toutes les chances de se terminer par un centre en retrait,
le »rentré décalé« des partenaires du porteur de balle devient décisif pour une bonne
exploitation de cet enchaînement de jeu. Une réserve préventive en cas de perte de
balle peut aussi être mise en place.
62 Aussi bien pour l’attaque que pour la défense, tout »joueur consommé« (joueur en
retard par rapport au déroulement du jeu) doit faire l’effort de se replacer et venir
alimenter à nouveau la réserve axiale.

4.3. Matrice offensive

63 En premier lieu, elle fonctionne, en football, à partir de différentes alternatives :


»conduire la balle, s’échanger la balle ou poursuivre un ballon libre« . Cela revient
souvent à enchaîner les temps de jeu avec la nécessité de se replacer (notion de
réserve) et à sortir de l’axe »but attaqué - but défendu« avec par exemple les centres
en retrait.
64 La contre-attaque.
65 La contre-attaque est caractérisée par une grande vitesse, un nombre réduit de passes
et la supériorité numérique ou, au moins, par un avantage positionnel. L’inscription
d’un point par la contre-attaque détermine le renoncement aux autres phases de
l’attaque que sont (1) le passage lent en zone d’attaque et (2) l’attaque de position sur
une défense en barrage. A l’école, chez les joueurs débrouillés, le jeu de transition d’une
cible à l’autre est souvent constitué d’une succession de contre-attaques.

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Les concepts de matrice offensive et défensive envisagés sous l’angle de la d... 16

66 Circulation de la balle et circulation des joueurs.


67 Jusqu’à maintenant, nous nous sommes principalement centré sur la circulation du
ballon. En football, le fait de ne pas »tenir le ballon« a pour conséquence une
centration plus importante sur ce type de jeu en raison des difficultés à conserver la
balle. Dans les sports collectifs où l’on manie la balle facilement, le problème est un peu
différent. En effet, les progrès effectués permettent assez rapidement de passer d’un
jeu de transition d’un but à l’autre à un jeu sur espace stabilisé. Ce progrès pose des
problèmes dont la résolution passe en partie par une circulation des joueurs connue et
identifiée par l’équipe. Ainsi est mise en place une suite d’actions individuelles et/ou
collectives et des combinaisons tactiques effectuées suivant un certain plan
d’organisation. Le ballon et les joueurs circulent successivement vers des endroits du
terrain dont les grandes lignes sont établies à l’avance. Cette véritable circulation
tactique est élastique et suppose la détermination non seulement de certains principes
de déplacement de circulation du ballon et des joueurs, mais aussi du sens et du rythme
de ces différents mouvements. Enfin, Téodorescu (1965) ajoute que la circulation des
joueurs doit être liée de manière organique à la circulation du ballon.
68 Attaquer la dimension momentanément faible
69 Quand l’attaque a rompu l’équilibre à son avantage, un mouvement d’attaque présente
les caractéristiques suivantes : (1) des joueurs bien étalés dans la largeur (2) un ballon à
la périphérie en avant de l’espace de jeu effectif ou (3) un ballon qui passe très vite de
l’arrière de l’E.J.E. vers l’avant. En cas d’équilibre, l’attaque cherche à créer le désordre
dans l’équipe adverse, soit en tentant de modifier la dimension forte de la défense sans
perturber la sienne, soit en changeant d’orientation afin de jouer dans la dimension
faible de l’adversaire. Enfin, lorsque les profils de l’attaque et de la défense évoluent
tous les deux, on trouve comme constante, au moment de la rupture, le passage du
ballon vers l’avant. C’est un moment clef qui permet souvent à l’attaque de prendre de
l’avance sur le replacement défensif.
70 Enchaîner les temps de jeu
71 Face à une défense bien en place ou qui s’adapte bien aux offensives menées par
l’attaque, l’attaque va augmenter les temps de jeu en tentant de désorganiser le barrage
mis en place par la défense. Nous sommes bien dans une »attaque de position« (Wrzos,
1984). Les trajets des joueurs et les trajectoires du ballon à l’attaque consistent alors en
des échanges de balle en jeu indirect en relation avec un jeu sans ballon. Cela se
concrétise par des démarquages successifs et/ou simultanées des partenaires. La
capacité à faire durer les attaques relève néanmoins d’un bon niveau de jeu. Du point
de vue de la réversibilité des comportements, il est à noter que dans un rapport de
forces défavorable à l’attaque, le fait de faire tourner le ballon à la périphérie de l’EJE
peut illustrer l’incapacité de celle-ci à pénétrer le système défensif adverse.
72 En conclusion de cette partie, nous illustrons dans la figure 14, à l’aide des concepts
»en avance« et »en retard « ainsi que »pénétrer« et »contourner« , les principales
actions et configurations proposées par la matrice offensive.

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Les concepts de matrice offensive et défensive envisagés sous l’angle de la d... 17

Figure 14 : matrice offensive : illustrations d’actions de jeu à l’aide des concepts »en avance et « en
retard » ainsi que « pénétrer et/ou contourner »

73 En conclusion de la matrice défensive, il ne faut jamais oublier qu’une défense trop bien
organisée en barrage et en avance constitue souvent une difficulté infranchissable pour
les élèves.

5. Quelques éléments clés de la didactique des sports


collectifs
74 Nous allons envisager dans ce paragraphe quelques éléments d’analyse qui permettent
de mieux appréhender l’utilisation du système des matrices à l’école et, ainsi, mieux
concevoir et fonder les choix didactiques et pédagogiques à effectuer.

5.1. La vitesse du jeu

75 Les rapports d’opposition (dans le mouvement général ou dans la trame dynamique de


transformation que cela constitue) évoluent et les séquences de jeu s’engendrent les
unes dans les autres. La reconnaissance et l’exploitation de ces configurations, dont
certaines peuvent être prometteuses, sont à effectuer dans des rapports d’opposition de
plus en plus complexes (mais non « compliqués », qui correspondent bien souvent à
une conception additive de l’apprentissage du 3x3 au 4x4 par exemple). La complexité
repose ici sur le temps et la vitesse à disposition pour décider et faire. Temps et vitesse
deviennent ici des éléments cruciaux de la réussite et le nécessaire cadre de référence à
toutes évaluations formatives. Autour de ces notions en rapport au temps, nous
pouvons identifier différents concepts : « avance », « retard », « jouer au temps juste »,
« vitesse de transmission du ballon », etc. En définitive, rien ne peut être
fondamentalement compris en football si l’on ne quitte pas un référentiel spatial pour
un référentiel temporel permettant de traiter de façon plus pertinente les informations
à disposition. En sport collectif, l’espace n’est qu’un indicateur, certes privilégié, d’un
rapport d’opposition, mais le temps dont dispose un joueur ou un groupe de joueurs

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pour agir est à notre sens l’élément fondamental majeur pour comprendre l’évolution
de ce rapport de forces.

5.2. Phase mère du jeu

76 Dans la pratique sociale de référence « football », le jeu en mouvement au milieu du


terrain recèle la logique d’exploitation des situations de déséquilibre, qu’elle tend à
faire s’enchaîner « en culbute » (Deleplace, 1994). Une telle filiation semble bien
pouvoir être dégagée si - au lieu de rester prisonnier de l’ordre chronologique
d’apparition des phases dans la séquence de jeu - on part du fait que la logique
d’organisation de l’action se retrouve dans toutes les autres, qui ne sont alors que des
cas particuliers. La première constitue la phase-mère des autres.

Tableau III : phase-mère

5.3. Les situations d’apprentissage : des situations problèmes (SP)

77 Enfin, les différentes situations d’apprentissage qui conduisent à gérer ce type de


configuration dans un sport collectif donné sont caractérisées :
• par une aire de jeu avec un espace orienté ;
• un lancement de jeu précis ;
• un équilibre ou un déséquilibre numérique entre les adversaires engagés dans la situation ;
• la réversibilité du jeu doit pouvoir s’exercer à tout moment, elle est constitutive de la
situation ;
• une évaluation formative simple proposée aux élèves.
78 De plus, l’organisation d’un débat d’idées autour de la situation proposée peut donner
lieu à un projet de jeu sous forme d’une « feuille de route » qui précise les éléments sur
lesquels les élèves entendent porter leur attention dans les rencontres à venir.

6. Conclusion
79 Le but de cet article était de tenter de mieux fonder une didactique des sports collectifs
à l’école. En effet, le désarroi produit par les ambitions démesurées du programme
d’EPS au lycée n’a pas permis des avancées sur l’enseignement des sports collectifs.
Même s’ils constituent une réflexion toujours intéressante, les programmes n’ont pas
permis de rénover les approches des sports collectifs. De plus, le référentiel du cycle
terminal, trop ambitieux pour être adapté aux effectifs importants, ne semble pas avoir
intégré les différents travaux de recherches menés depuis plusieurs années. Les
référentiels d’évaluation du bac en sports collectifs traduisent par exemple, une
conception où l’enjeu est davantage mis sur le jeu que sur l’enjeu (le gain ne faisant pas

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Les concepts de matrice offensive et défensive envisagés sous l’angle de la d... 19

partie des indicateurs retenus pour valider les compétences enseignées). Il est donc
important que les experts mettent tout en œuvre pour que les résultats et conclusions
de leurs investigations pénètrent le milieu scolaire.
80 Comme énoncé par Godbout (2001), nous pensons, donc, que dans les années à venir, un
de nos défis en tant que chercheurs en didactique et en technologie des sports collectifs
est de développer l’impact et la diffusion des produits de la recherche. Cela suppose une
meilleure compréhension des connaissances du contenu pédagogique et de sa source
première la connaissance de la matière enseignée. Nous ne devons pas oublier non plus
que trois questions essentielles demeurent d’actualité et, somme toute, résument bien
le problème des contenus en éducation physique et sportive.
• Qu’enseignent réellement les enseignants ?
• Qu’apprennent les pratiquants en faisant des activités physiques et sportives ?
• Quelles étapes jalonnent le développement du pratiquant ?
81 Dans cet ensemble, on peut quand même noter la réticence fortuite ou volontaire de
beaucoup d’auteurs à s’engager dans le véritable problème que constitue(nt) le ou les
chemins, la ou les étapes qui jalonnent les processus d’apprentissage. Les connaissances
qui permettent de passer, à l’école, du débutant au débrouillé, du débutant à l’expert
dans les pratiques sociales de références sont encore largement à explorer. De ce point
de vue, dans les écrits professionnels, il ne faudrait pas constamment réinventer « l’eau
chaude » de façon à proposer une démarche cohérente et progressiste des
apprentissages en éducation physique.
82 Les auteurs remercient Paul Godbout, Nathalie Wallian et un expert qui a voulu resté anonyme
pour leur lecture attentive d’une première version de cet article.

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RÉSUMÉS
Cet article se veut un hommage au travail de René Deleplace en rugby, Robert Mérand en basket-
ball et quelques autres qui ont été à la source d’un pan important de la réflexion sur la didactique
et la pédagogie des sports collectifs en France. Il s’agit de questionner à nouveau certains
concepts utiles pour mieux fonder la didactique des sports collectifs à l’école. En effet, le désarroi
produit par les ambitions démesurées du programme d’EPS au lycée n’a pas permis d’avancées
significatives sur l’enseignement de ceux-ci. Comme énoncé par Godbout (2001), nous pensons
que dans les années à venir, un de nos défis en tant que chercheurs en didactique et en
technologie des sports collectifs sera de développer l’impact et la diffusion des recherches
fondatrices des pratiques enseignantes en répondant aux trois questions majeures suivantes :
Qu’enseignent réellement les enseignants ?

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Les concepts de matrice offensive et défensive envisagés sous l’angle de la d... 21

Qu’apprennent les élèves en pratiquant des activités physiques et sportives ?


Quelles étapes jalonnent le développement du pratiquant ?
Les connaissances qui permettent, à l’école, de passer du débutant au débrouillé, du débutant à
l’expert au moyen des pratiques sociales de références sont à explorer. Cet article tente
d’apporter un état des lieux des connaissances face à ce véritable défi dont l’enjeu est la présence
même, au sein du système scolaire, des sports collectifs, et par extension de l’EPS (cf. Rapport
Thélot 2004).

AUTEURS
JEAN-FRANCIS GRÉHAIGNE
GRIAPS. IUFM et Université de Franche-Comté

DIDIER CATY
GRIAPS. IUFM et Université de Franche-Comté

MICHEL BILLARD
GRIAPS. IUFM et Université de Franche-Comté

LISE CHATEAU
GRIAPS. IUFM et Université de Franche-Comté

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