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L'éruption minoenne, l'une des plus grandes

catastrophes naturelles de l'histoire


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January 5, 2022

Une incroyable « capsule temporelle » vient d'être mise au jour sur le littoral de la
Turquie, tout droit venue de l'une des catastrophes volcaniques les plus terribles de notre
histoire. À l'intérieur ? De nouvelles preuves de cet événement cataclysmique et peut-être
même les tout premiers restes humains de l'une des dizaines de milliers de victimes.

Dans une étude publiée par la revue Proceedings of the National Academy of Sciences le
27 décembre, une équipe internationale de chercheurs présente les traces d'un tsunami
destructeur survenu dans le sillage de l'éruption de Théra. Également appelée éruption
minoenne, c'est elle qui a donné sa forme actuelle à l'archipel de Santorin, il y a près de
3 600 ans.

Membre de l'équipe de recherche et exploratrice National Geographic, Beverly Goodman-


Tchernov inspecte une couche de cendre sur un site archéologique de l'âge du Bronze à
Çeşme-Bağlararası, en Turquie, 2015.

PHOTOGRAPHIE DE Vasıf Şahoğlu, Université d'Ankara


Avec un indice d'explosivité volcanique de 7 sur une échelle allant généralement jusqu'à
8, l'éruption « méga-colossale » de Théra est considérée comme l'une des plus
dévastatrices de l'histoire de l'humanité, comparée par certains chercheurs à la
détonation de millions de bombes atomiques de type Hiroshima. Pour bon nombre de
spécialistes, le traumatisme collectif lié à cet événement de l'âge du Bronze, survenu vers
1600 avant notre ère, serait visible dans l'allégorie de la cité engloutie d'Atlantide,

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imaginée par Platon mille ans plus tard, et l'impact de l'événement se refléterait
également dans le récit biblique des dix plaies d'Égypte. Aujourd'hui encore, Akrotiri, une
cité minoenne ensevelie par les cendres de Théra, est une attraction touristique populaire
souvent comparée à Pompéi.

Une fresque du palais Minoen de Knossos, en Crète. Les Minoens étaient une puissante
civilisation maritime du monde méditerranéen de l'âge du Bronze et l'éruption de Santorin
a bouleversé leurs routes commerciales et leurs infrastructures.

PHOTOGRAPHIE DE Prismatic Pictures, Bridgeman Images


Malgré l'absence de témoignages directs de l'éruption et du tsunami qui a suivi, les
chercheurs contemporains ont voulu évaluer son étendue ainsi que son impact sur le
monde méditerranéen de l'époque, et plus particulièrement les Minoens, puissance
maritime basée sur l'île voisine de Crète et dont le déclin coïncide avec l'éruption, au
15e siècle avant notre ère.

CHASSE AUX TSUNAMIS


L'article présente les recherches menées sur le site archéologique de Çesme-
Bağlararası, situé à quelques dizaines de mètres du front de mer actuel dans un quartier
résidentiel de Çesme, l'une des stations balnéaires les plus populaires de la façade
égéenne turque, à plus de 160 kilomètres au nord-nord-est de Santorin. Les fouilles ont
débuté à cet endroit en 2002 suite à la découverte de poteries anciennes lors de la
construction d'un immeuble.

Depuis 2009, l'archéologue Vasıf Şahoğlu de l'université d'Ankara, en Turquie, dirigeait


les fouilles de ce qui semblait être un peuplement côtier florissant occupé quasi
continuellement de la moitié du troisième millénaire au 13e siècle avant notre ère.
Cependant, au lieu de s'attarder sur les bâtiments et les routes dans un état de
conservation remarquable découverts plus tôt sur le site, Şahoğlu a concentré ses efforts
sur une parcelle qui a rapidement révélé un passé chaotique : des remparts effondrés,
plusieurs couches de cendres et un méli-mélo de poteries, vestiges osseux et autres
coquillages. Il s'est alors tourné vers des collègues de spécialités variées pour tenter de
donner un sens à cet imbroglio, parmi lesquels Beverly Goodman-Tchernov, professeure
de géologie marine à l'université de Haïfa en Israël et exploratrice National Geographic
spécialiste de l'identification des tsunamis dans la chronique archéologique et
géologique.

Il est souvent difficile d'identifier les signatures de tsunamis passés, car les indices tels
que les bâtiments effondrés ou les incendies peuvent également être le résultat de
séismes, d'inondations ou de tempêtes. Qui plus est, ce type de preuve peut rapidement
être effacé par le temps, surtout dans des environnements arides comme la côte
égéenne. Alors que les impacts de l'éruption de Théra sont clairement visibles à grande
distance de l'île, jusque dans l'inlandsis du Groenland ou les pins Bristlecone de

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Californie, seuls six sites physiques présentant des traces du tsunami qui a déferlé sur le
pourtour de la mer Égée ont été identifiés à ce jour… et aucun d'entre eux ne rivalise de
complexité avec le site de Çesme-Bağlararası.

« Les tsunamis sont avant tout des événements érosifs, et non pas dépositionnels, d'où
notre enthousiasme à chaque nouvelle découverte ! » déclare par e-mail Floyd McCoy,
professeur de géologie et d'océanographie au Windward College de l'université d'Hawaï.
Également explorateur National Geographic et auteur de différentes études sur l'éruption
et le tsunami de Théra, sans être impliqué dans le nouveau projet, McCoy estime que les
récents travaux apportent une « réelle contribution, non seulement à la recherche sur les
dépôts de tsunamis, mais aussi à travers leur interprétation de l'éruption de Théra durant
l'âge du Bronze. »

De nos jours, les chercheurs établissent des « checklists » toujours plus sophistiquées
pour la recherche de paléo-tsunamis, dans lesquelles figurent les signatures physiques et
chimiques de la vie marine déposée sur terre par les vagues successives ainsi que les
motifs particuliers formés par les dépôts de roches et de sédiments. Par exemple, sur le
site de Çeşme-Bağlararası, les murs de bâtiments effondrés étaient tapissés de
mollusques arrachés à l'océan.

« Je me laisse rarement convaincre par l'hypothèse d'un tsunami, surtout en milieu aride,
car il y a généralement peu d'éléments sur lesquels travailler, » indique Jessica Pilarczyk,
maître de conférences en sciences de la Terre et chaire de recherche du Canada en
catastrophes naturelles à l'université Simon Fraser, non impliquée dans l'étude sur le site
de Çesme-Bağlararası. « Cette fois en revanche, il semble que leur travail s'appuie sur
des preuves solides. »

Pour Jan Driessen, archéologue à l'université de Louvain, en Belgique, et directeur du


groupe de recherche Talos qui s'intéresse aux impacts de l'éruption de Santorin, les
récentes découvertes pourraient servir d'étude de cas aux archéologues et autres
scientifiques afin de mieux comprendre les dégâts subis par de nombreux sites égéens
situés plus près du volcan. (Driessen n'a pas participé à la nouvelle étude.) 

ET LES VICTIMES ?
L'un des aspects les plus troublants de l'éruption de Théra est l'apparente absence de
victimes. D'après les estimations, plus de 35 000 personnes auraient trouvé la mort dans
le tsunami déclenché par l'éruption du Krakatoa et un bilan similaire a été proposé pour la
période égéenne.

À ce jour, un seul individu a été identifié comme victime potentielle de l'éruption


minoenne : un homme découvert sous des ruines lors de fouilles dans l'archipel de
Santorin au 19e siècle. Pour les chercheurs de la nouvelle étude, cet homme a pu être
victime d'un séisme ; ils mènent actuellement leurs propres recherches sur la découverte
afin d'en savoir plus sur la date et les circonstances de sa mort, tout en vérifiant s'il est
encore possible d'étudier la dépouille.

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Comprendre : les supervolcans

Les théories concernant l'absence de victimes sont nombreuses : de petites éruptions


antérieures ont pu inciter les habitants à fuir la région avant l'éruption cataclysmique ; les
victimes ont pu être incinérées par les gaz surchauffés, emportées par la mer ou
enterrées dans des fosses communes non découvertes à ce jour.

« Comment l'une des pires catastrophes naturelles de l'histoire a-t-elle pu être si peu
meurtrière ? » interroge Şahoğlu.

Pour Goodman-Tchernov, tout comme les chercheurs étaient incapables de reconnaître


les dépôts charriés par les tsunamis du passé, il est possible qu'ils aient déjà découvert
des victimes sans avoir établi de lien avec la catastrophe de Théra. « Il est tout à fait
probable que des victimes aient déjà été découvertes sans être liées à cet événement
parce qu'elles étaient associées aux effets secondaires ou tertiaires survenus en
périphérie de l'éruption. »

Quoi qu'il en soit, les chercheurs pensent avoir trouvé à Çesme-Bağlararası la toute
première victime de l'événement : le squelette fragmentaire d'un jeune homme en bonne
santé présentant des signes de traumatisme contondant, découvert dans le chaos des
dépôts du tsunami. La dépouille d'un chien a été mise au jour à proximité sous une porte
effondrée. Alors que la datation directe de ces squelettes est attendue pour les prochains
mois, les chercheurs ont bon espoir de les voir correspondre aux dates déjà obtenues
pour les éléments prélevés autour des deux victimes.

VAGUES DE TERREUR
Les chercheurs ont déterminé que quatre vagues de tsunami avaient percuté Çesme-
Bağlararası en l'espace de quelques jours ou semaines. Ce point est particulièrement
intéressant, indique McCoy, qui rappelle que l'éruption de Théra comptait elle aussi
quatre phases ; les chercheurs se demandent depuis longtemps quelle phase de
l'éruption avait bien pu déclencher ce qu'ils pensaient être un unique tsunami.

« La question fait encore l'objet de vifs débats, indique-t-il par e-mail, mais voilà que
deux, trois ou même quatre de ces phases pourraient avoir généré un tsunami, car il
semblerait qu'il y ait eu autant de phases éruptives que de vagues. »

Alors que l'eau reculait entre chaque vague, il semble que des survivants aient saisi
l'opportunité de creuser dans les décombres à la recherche de victimes et de matériaux.
L'un de ces trous a été découvert directement au-dessus du corps du jeune homme, mais
la personne qui creusait s'est arrêtée quelques dizaines de centimètres trop tôt.

Cette volonté apparente de retrouver les corps des victimes laisse entendre que les
survivants souhaitaient enterrer les dépouilles de façon appropriée, probablement dans
des fosses communes afin de réduire le risque de maladie dans le sillage de la

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catastrophe. « L'extrapolation de ce comportement explique l'absence générale de
victimes humaines dans les zones touchées sur le pourtour de la mer Égée, » indique
Driessen.

LE FACTEUR TEMPS
La datation au radiocarbone de neuf nouveaux éléments prélevés dans les dépôts du
tsunami va également relancer un débat de longue date : généralement, l'éruption de
Théra est attribuée à la période du Minoen Récent Ia, associée à la 18e dynastie
égyptienne vers la fin du 16e siècle avant notre ère. Cependant, la datation de bois
prélevé dans les couches de cendre à Akrotiri remonte à la première moitié du 17e siècle
avant notre ère, soit un écart de plus d'un siècle. Cela pose problème aux chercheurs
investis dans la mise en corrélation des chronologies relatives de différentes civilisations
ayant vécu autour de la Méditerranée à la même époque, en ce qui concerne notamment
leurs interactions avant et après la catastrophe.

D'après les chercheurs, l'éruption n'a pas pu se produire plus tôt que la plus ancienne
date obtenue suite à l'analyse des dépôts du tsunami : un grain d'orge découvert à
proximité de la dépouille du jeune homme, daté à 1612 avant notre ère. Des experts
externes à l'étude ont soulevé des questions spécifiques quant à cette méthodologie et le
consensus semble être le suivant : dans l'attente de nouvelles données, le problème de
chronologie ne pourra être résolu par l'état actuel des découvertes sur le site de Çesme-
Bağlararası.

Alors que de nombreuses questions restent en suspens pour les scientifiques qui
s'intéressent à la chronologie de l'éruption de Théra et aux dégâts infligés sur le pourtour
de la Méditerranée à l'âge du Bronze, les chercheurs espèrent que cette étude incitera
les archéologues en mission dans la région à porter un regard nouveau sur leurs fouilles
afin d'identifier les traces discrètes laissées par l'une des catastrophes naturelles les plus
dévastatrices de l'histoire. De son côté, Şahoğlu souhaiterait que cet incroyable site
archéologique au beau milieu d'une station balnéaire prisée devienne lui aussi un jour
une attraction touristique à part entière.

Par ailleurs, cette étude pourrait déclencher une prise de conscience dans la population
générale voire une certaine anticipation, déclare Pilarczyk, qui étudie les catastrophes
côtières du passé, mais également les risques actuels et à venir. « Quand on parle de
tsunami, il y en a si peu et si rarement, parfois des siècles se passent sans événement
majeur. Il n'y a pas vraiment de conscience culturelle transmise d'une année à l'autre et la
population se croit donc à l'abri. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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