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Bulletin de psychologie

Les destins de l’analogie


Alain Laflaquière, Alain Ducousso-Lacaze

Résumé
Partant du constat d’une réhabilitation de la notion d’analogie et d’un renouveau des recherches à son sujet, les auteurs
proposent une réflexion en trois temps. En un premier temps, une étude des usages récents de la notion permet de mettre en
évidence comment ceux-ci témoignent à la fois d’une inflexion de nos conceptions du psychisme et d’une résurgence de
problématiques anciennes. En un deuxième temps, une exploration des domaines de recherche (raisonnement analogique,
représentations analogiques, messages analogiques) soutient des considérations épistémologiques sur les possibles
rencontres entre la psychologie clinique freudienne, la psychologie cognitive et la sémiologie. Enfin les auteurs définissent un
cadre théorique et méthodologique indispensable à la détermination de recherches cliniques sur le fonctionnement mental
analogique. Une réflexion sur les rapports entre les processus analogiques et l’imaginaire parcourt l’ensemble du travail.

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Laflaquière Alain, Ducousso-Lacaze Alain. Les destins de l’analogie. In: Bulletin de psychologie, tome 57 n°473, 2004.
L'analogie. pp. 487-502;

https://www.persee.fr/doc/bupsy_0007-4403_2004_num_57_473_15376

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bullETÎN de psychologie / tome 57 (5) / 473 / septembre-octobre 2004

Les destins de l’analogie


Alain LAFLAQUIÈRE *
Alain DUCOUSSO-LACAZE *

les origines grecques d’une de ses conceptions, est


porteuse d’un sens transgressif ou d’un désir sur le
pouvoir de transgression du sens : elle pose la ques¬
tion des limites, des bornes des champs d’idées, des
« idéologies », donc, aussi des limites, en tant que
nécessaires à la réduction de l’équivoque dans le
procès sémiotique et, pour ce qu’elles ouvrent comme
nouveaux espaces, par la pensée de l’en deçà et de
l’au-delà de ces limites mêmes, des contraintes du
code, du message. L’analogie, comme liberté et
comme création... Ou comment revenir sur la ques¬
tion majeure de la métaphore (Richard, 1993), dans
la mesure où cette figure serait une des formes du
transport analogique (Ricoeur, 1975). Derrière la
trivialité scientifique des problèmes posés par les
formes analogiques de la pensée, se tiendrait en
permanence l’urgence d’une conception sur les
origines de la pensée, comme d’une représentation a
minima des bénéfices et de la pensée par l’analogie
et de la pensée sur l’analogie. Question épistémolo¬
gique et, donc, morale. Ce ne serait pas céder aux
démons de l’analogie, mais répondre aux impératifs
qu’elle rappelle sui generis : peut-on évoquer le
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», fond (le sens), sans évoquer la forme (en l’occurrence
l’espace) et, donc, le lien « de forme » entre les
éléments. Le structuralisme, en privilégiant logi¬
quement le temps, aurait, en quelque sorte, trahi,
pour sa « cause », l’évidence architecturale de la
structure, sa sémantique spatiale, c’est-à-dire sa
forme visuelle (même réduite à la barre, dont la
teneur spatiale est comme négligée au profit d’un
logicisme pur, y compris dans les jeux intellectuels
sur les topiques abstraites).
DE QUELQUES USAGES RÉCENTS
DE LA NOTION D’ANALOGIE
Evoquons, d’abord, trois exemples démonstratifs
des nouveaux succès de la notion. Nous y rencon¬
trerons des indices sur les changements du discours
psychologique actuel et des redites, soit qu’elles
témoignent de constantes lexicales, soit qu’elles
rendent compte de la vitalité nouvelle d’hypothèses
anciennes.

1. Équipe « Psychologie de la construction du sujet »,


Université Victor-Segalen, Bordeaux 2.
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Les enveloppes pré-narratives (EPN) et leurs Nous insisterons, d’abord, sur la nécessité devant
représentations analogiques selon Stern laquelle l’auteur s’est trouvé d’user du terme
Stern (1993) propose deux nouveaux concepts, « analogie » selon une perspective devenue courante.
pour décrire l’expérience des événements des nour¬ Cette notion, dans son montage théorique, désigne la
rissons et la mise en place, qui en découle, de référence obligée à une étape et à un niveau inter¬
constructions mentales analogiques (invariants) : la médiaires entre ce que le sujet ressent de son rapport
notion d’«enveloppe pré-narrative » et celle de (affectif et cognitif) au monde et la mise en forme
« représentation analogique intermédiaire ». Ses abstraite et conceptuelle de celui-ci. L’analogique n’a
propositions cherchent à établir des ponts entre pas la complexité de l’expérience pure ni la pureté de
certaines conceptions cognitivo-développementales l’expérience de la pensée dite abstraite ; l’analo¬
et les conceptions psychanalytiques sur la naissance gique est une catégorie, dans ce contexte, qui permet
de la pensée. Notons l’usage de la notion d’«enve¬ au chercheur de formaliser un groupe de faits partiel¬
loppe », elle-même fortement analogique, et la réfé¬ lement observés, en tout cas nécessaires à la logique
rence au « pré-narratif », c’est-à-dire au pré-verbal, du modèle idéal. Stem dit bien que cette représen¬
donc, à une étape du développement, pour laquelle tation analogique est « intermédiaire ». Pour autant,
les modèles, inspirés du structuralisme linguistique, selon une logique développementaliste bien connue,
sont, a priori, inopérants. Stem cherche à élaborer un elle ne disparaît pas avec l’avènement du linguistique,
modèle dynamique du traitement de l’expérience mais des formes majeures de la vie mentale restent
complexe par le nourrisson et de l’émergence d’unités les expressions « virtualisées » de l’expérience origi¬
constantes et générales, à partir de cette expérience : naire, en particulier la vie fantasmatique et deux de
« cela revient à dire que les différents événements et ses formes essentielles, selon Freud lui-même, le
émotions sont réunis, comme autant d’éléments jeu et la créativité (Freud, 1908).
nécessaires, à un événement unique et unifié, qui Stern est plus original lorsqu’il estime que ces
adopte une forme de structure proche de la narration. représentations présentent des avantages. Les rudes
L’enveloppe pré-narrative est justement une telle débats entre cognitivistes modernes tournent souvent
propriété émergente de la pensée, qui accomplit cette autour de cette question « banalement cratylienne » :
intégration de l’expérience » ( op . cit., p. 19), à partir l’économie informative des états et processus analo¬
du « chaos mental ». Soulignons seulement que ces giques. Par exemple, certains sont convaincus de
EPN présentent dix caractéristiques intégrant des l’utilité des images mentales, d’autres non. Stem
facteurs économiques (désir), sémantiques (proto¬ retrouve, ici, les hypothèses de Kosslyn (1980),
intrigue), structurels (sous-unités hiérarchisées), etc. appuyées sur des faits expérimentaux, controversés
Du « temps réel » de ces EPN, vont émerger des mais reproductibles. Pour ce dernier, l’économie et
représentations constituant « des expériences imagi¬ la fonctionnalité psychique des images mentales
naires se déroulant dans un temps virtuel » : souve¬ relèvent de « principes analogiques », proches de
nirs, fantasmes, narrations ultérieures... « Il se pour¬ ceux décrits par Stem, à propos des « avantages » de
rait alors que les représentations précoces des ces représentations : une image mentale reproduit, au
enveloppes pré-narratives [...] ne constituent ni une plan psychique « virtuel », mais selon une autre
expérience vécue ayant une durée réelle ni une échelle temporelle et spatiale (Rey, 1947, 1948,
abstraction complète sans durée vécue, mais plutôt 1953 ; Piaget et Inhelder, 1966), la motricité des
quelque chose entre les deux. Je propose d’appeler cet actes perceptifs, ayant permis la constitution du
entre-deux une représentation analogique » {op. cit., « modèle interne » de l’objet. Stern ajoute une
p. 43). Nous ne pouvons que renvoyer au texte de l’au¬ conception plus « clinicienne » dans ses origines, que
teur pour le détail des étapes de construction. Rete¬ Pinol-Douriez (1984), par exemple, s’efforce de
nons, toutefois, que de telles représentations présen¬ fonder, la dimension affective des représentations
tent des avantages : elles s’accompagnent d’un analogiques ; représentations complexes encore,
éprouvé, de qualités subjectives, mais selon une durée mais sur la voie de l’abstraction, qui sont à la char¬
« courte », permettant des opérations mentales. nière de la complexité du rapport au monde et de sa
Stern estime que son hypothèse permet de schématisation mentale. En quelque sorte, « origi¬
comprendre l’origine des fantasmes, car ces derniers nairement », le fonctionnement mental porte les
« peuvent être édifiés à partir de la représentation traces de significations globales, non sécables, corpo¬
analogique ». Ils constituent « un groupe de variations relles, etc. ; mais les processus d’analogisation
- de refigurations possibles - d’expériences vécues (segmentation, pertinisation, etc.), du fait même des
représentées [...] Cette possibilité de refigurations capacités inter-modales de l’enfant, établissent des
multiples laisse la porte ouverte à la créativité et au liens entre des modalités différentes (aspect inté¬
jeu » {op. cit. p. 46), aussi bien qu’à des représenta¬ grateur ?) et dégagent des invariances (aspect diffé¬
tions de réalités locales ou ontogénétiques. Ce mode renciateur ?) nécessaires à la stabilité mentale de
de pensée ne nécessite pas le recours à la mécanique l’expérience. L’usage du terme « analogie » chez
linguistique. Stem rejoint, en fait, des questionnements connus et
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s’inscrit dans des hypothèses nouvelles en apparence nisme fondateur du psychisme, des correspondances
seulement - mais en référence aux faits plus fiables fortes entre les fonctions de la peau, du moi et de la
de la psychologie cognitive du nourrisson. Par ailleurs, pensée et une conception topique univoque de ce
comment ne pas retrouver derrière son idée de « refi¬ même psychisme. Pour Anzieu, le terme « analogie »
gurations multiples », en particulier dans la vie fantas¬ désigne bien des mécanismes « nobles », élaboratifs,
matique, les hypothèses freudiennes sur la « figura- de liaison, et non de vagues ou « fades » méca¬
bilité » dans le rêve, qui ont une portée bien plus nismes, strictement primaires ou primitifs, aux effets
générale, puisqu’elles posent la question de la « mise néfastes et soumis à une logique archaïque ou molle.
en scène spatiale » d’une idée, d’une signification, Ces mécanismes permettent l’émergence psychique
abstraite ou non, c’est-à-dire la question de l’éco¬ par des processus analogiques ou d’analogisation
nomie psychique, cognitive ou autre, de processus dits (voir plus loin), construisant des états eux-mêmes
« analogiques » ? Notons aussi que les essais de analogiques : de la simple mise en correspondance
théorisations d’auteurs comme Stem interrogent les hypothétique à la construction d’une identité logique
conceptions sur les processus primaire et secondaire, forte. Cette référence aux principes analogiques vise,
sur les représentants-représentations, etc. selon lui, à reprendre « l’énoncé fondamental de la
Stern s’intéresse peut-être moins à l’analogie, philosophie empiriste (il n’y a rien dans l’esprit qui
définie opérationnellement comme mécanisme ne soit passé par les sens, si ce n’est l’esprit lui-
archaïque d’abstraction, comme étape partiellement même) » (1994, p. 13).
dépassable, donc, qu’à l’analogie définissant un Nous sommes loin des positions de Barthes, qui
indépassable de l’expérience première du rapport écrivait que « sa bête noire, c’est l’analogie [...]
au monde, au corps et à soi-même, une limite au rêve Lorsque je résiste à l’analogie, c’est en fait à l’ima¬
d’un langage sans équivoque du sens, qui serait ginaire que je résiste, à savoir : la coalescence du
débarrassé d’une de ses sources, les pesanteurs des signe, la similitude du signifiant et du signifié, l’ ho¬
sens. Rêve scientifique d’un langage réduit à une méomorphisme des images, le Miroir, le leurre capti¬
langue automatique, donc, à une institution pure vant. Toutes les explications scientifiques qui ont
sans le relais corporel et pulsionnel, vecteur de la recours à l’analogie - et elles sont légion - partici¬
parole. pent du leurre, elles forment l’imaginaire de la
Science » (1975, p, 48-49). La référence au « Miroir »
Du modèle topique au modèle analogique du (avec une majuscule) supposé lacanien et à sa signi¬
psychisme selon Anzieu fication emblématique théorique, dit bien ce qu’elle
Anzieu (1993, 1994) a proposé une systématisation veut dire : le jugement sur l’analogie est assimilé au
de ses théorisations, qui accordent une place essen¬ jugement structuraliste sur l’imaginaire, condamné
tielle aux notions d’analogie et d’analogon, poussant sans appel et sans nuance au tribunal de la structure,
à son terme implicite l’idée de topique dans le du binarisme, de l’abstraction et de la subjectivation.
contexte psychanalytique, mais aussi dans tout L’analogique possède le vague du « n’importe
contexte, où les principes « topologiques » sont une quisme » imaginaire et, en cela, est condamnable.
expression métaphorique de la pensée, de même que Cette référence barthienne convient à une théorisa¬
la forme originaire de la pensée. Cette « analogisa- tion, qui assimile les formes de l’imaginaire à une
tion saturante » de la pensée s’oppose à certains des défectologie, sinon à une défaite - celle du Symbo¬
modes dominants de modélisation du fonctionne¬ lique. Anzieu souligne, lui, que n’est pas vague l’ana¬
ment mental, mais permet des points de rencontre. logique, mais que le sont certaines de ses défini¬
A nous en tenir à certains principes essentiels de la tions et la valeur oppositionnelle qu’on peut leur
réflexion d’ Anzieu, insistons sur son attitude vis-à- faire jouer, avec la conceptualisation des rigidités
structuralistes.
vis de ce que recouvre, de manière générale, la notion
d’analogie. Il écrit, par exemple : « Le concept est un Pourtant, jusqu’à quel point développer ou filer
analogique du corps, mais un analogique caché, nié cette métaphorisation spatiale du fonctionnement
[. . .] Le concept, réalité dynamique, travaille, tantôt psychique ? Ne risque-t-on pas passer des excès dus
à se dégager de ses origines corporelles (par la méto¬ à la négligence de l’empirisme et du développe¬
nymie), tantôt à les retrouver (par la métaphore). Le mental aux excès inverses, dus à l’usage immodéré
terme d’analogie tend malheureusement à perdre son d’images spatiales « contenantes », faisant du
sens premier, précis et opératif (un appareil est l’ana¬ « mimologique » et, donc, du répétitif, de la repro¬
logique d’un autre si ses parties correspondent terme duction, du même, de l’indifférencié, la source et la
à terme aux parties de l’autre) et à prendre un sens forme du fonctionnement psychique ? Une enve¬
général, approximativement figuratif (toute vague loppe, certes, « contient », mais structure-t-elle ?
ressemblance devient une analogie) » (1993, p. 4). Questions, effectivement, sur l’imaginaire de la
Tout en souhaitant opérationnaliser la notion, en la Science... et des scientifiques.
dégageant d’usages confus, Anzieu la généralise à Anzieu se situe dans un des prolongements
l’extrême. En effet, elle désigne, à la fois, un méca¬ possibles de la théorie freudienne : celui qui, sans
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négliger la fonction des systèmes et de la parole, du sujet épistémique, par nécessité logique intra-
met l’accent sur le sens de la pensée topique et son systémique, mais encore, par nécessité dans chaque
enracinement corporel - voir le débat violent, qui expérience. Par ses fondements spatiaux ou topolo¬
opposa, dans le contexte psychanalytique, les tenants giques, par ce qu’elle apporte de figuration, mieux
de la représentation ou du signifiant, aux tenants de
l’affect. que d’autres mécanismes, l’analogie réalise le lien
originel, et l’exprime, entre le « fond de cognition
Sans refaire, dans le détail, le parcours freudien de sensorielle » et la pensée.
l’institution du point de vue topique, rappelons ce qui Une hypothèse apparaît, présente chez Secrétan
nous semble relever d’un fondement nécessaire. Le (1984) ou Laflaquière (1983) : l’analogie se décrit
réalisme spatial des topiques est une fiction théorique, comme un processus obéissant à deux parcours
mais qui exprime aussi les contraintes et les limites opposés - les auteurs cités, retrouvant peut-être,
inhérentes à la pensée sur la pensée. Pour Freud, du dans les termes triviaux de la psychologie, les thèses
fait de sa formation d’anatomiste, « comprendre de Plotin sur l’analogie, privilégient une conception
c’est d’abord localiser » (Assoun, 1990, p. 2613). S’il de l’«analogie ascendante » ou participant de l’as¬
convient de résister à la tentation réaliste de prendre cendance psychique (analogie par le bas), née de
le lieu, même métaphorique, à la lettre, la pensée ne mises en correspondances perceptives simples ou
saurait se passer de cette nécessité figurative de complexes, en tout cas inscrites dans des mimologies
poser le sens en fonction de coordonnées fonction¬ successives (Anzieu parle aussi de « mime » et de
nelles, donc, selon la métaphorisation du corporel. La « figurativité », définie comme une inscription des
métaphore optique « est un compromis significatif événements psychiques sur la peau...), qui font
entre le réalisme et le fictionnel » (Assoun, op. cit., passer du corps au moi et à la pensée. Mais Anzieu
p. 2614). La topique, et ses fondements analogiques, parle aussi, explicitement et dans sa dénonciation de
permet de tenir compte des impératifs de « sépara¬ l’usage vague de la notion, d’une forme d’«analogie
tion » et d’«articulation », sans lesquels un système par le haut » ou « analogie descendante », qui n’em¬
heuristique ne se pertinise pas. « La topique est donc prunte pas ses schèmes (ex. : l’analogie logique) à
l’embrayeur de l’explication autant qu’une carto¬ l’abstraction précoce de segments figuratifs de l’ex¬
graphie » {ibid.), elle ouvre sur l’explication, sans périence, mais à des structures de pensée pouvant
réduire le travail à une illustration par une image donner lieu à un apprentissage - certains estimant
spatiale lisible à livre ouvert. Elle ne réduit pas le aujourd’hui qu’elle permettrait aussi les apprentis¬
complexe, mais le traduit - elle présente des « avan¬ sages. Ces formes de l’analogie ne seraient pas des
tages » (Stem). De plus, comme nous le soulignions formes empiriques, donc, d’abord subjectives et
d’emblée, la distinction topique et, donc, analogique topologiquement localisées, mais seraient des formes
des systèmes psychiques permet de « tracer les lignes apprises ou transmises ou déclenchées, et position¬
autant que les stratégies de transgressions intrapsy¬ nées comme médiatrices du rapport au monde, au
chiques » (Assoun, ibid.), transgressions qui sont le corps, au moi, à la pensée. . . En ce sens, elles suppo¬
propre de ce que permet l’analogie, le transport et la sent, bien sûr, une part d’empirisme, celle de l’ex¬
création, la localisation et la délocalisation, un gain périence de l’émergence.
sémantique. . . Avec Anzieu, nous sommes passés à une théori¬
Des éléments de ce débat se retrouvent dans le sation faisant de l’analogie un fondement de sa
travail de Richard (1993) sur la « métaphoricité du propre intelligibilité. Cette intelligibilité par l’analogie
signifiant », dans la mesure où il estime que « la renvoie aux conceptions spatiales de la compréhen¬
psychanalyse a toujours articulé une théorie du sion, aux formes nécessairement spatiales de la repré¬
psychisme comme spatialité des traces mnésiques sentation de la vie psychique (Freud), celles qui
dérivées de la perception sensorielle, à ce qui peut réfèrent leurs modèles à l’empirisme sensoriel. Pour
apparaître comme une transcendance de la méta¬ autant, avec Richard, par exemple, nous devinons
phoricité (poétique) du signifiant ». Dénonçant des que, quelle que soit l’origine de certains mouve¬
positions extrêmes, le cognitivisme sans sujet du ments de pensée (cognitivistes ou cliniques), la
signifiant pur, d’une part, l’empirisme de la genèse crainte s’exprime que, par le truchement de méca¬
vitaliste des formes, d’autre part, il accorde un rôle nismes, faisant le lien entre les plans de la sensoria-
pertinent, non seulement aux hypothèses d’Aula- lité et de la pensée, un réductionnisme scientiste en
gnier (1981) sur le pictogramme (nouage du cognitif vienne à négliger la part propre qui fonde l’homme :
au pulsionnel), mais encore à la fonction de l’ana¬ le symbolique et son autonomie, qu’aucun psycho¬
logie. Celle-ci « traduit une relation profonde en logisme, aucun causalisme sensoriel, ne saurait tota¬
train de s’établir du point de vue du sujet qui, dans lement expliciter. L’analogie ou certaines de ses
son mouvement psychique, métaphorise un champ en formes supposées, est-elle au service du comble¬
l’étendant conceptuellement à un autre champ » {op. ment illusoire de la faille épistémologique entre le
cit. p. 59). Cette fonction de l’analogie œuvrerait, non corps et la pensée, donc, encore une fois, au service
seulement, dans le fonctionnement psychique formel d’un certain imaginaire de la Science (Barthes, 1975),
bullETin dE psycboloqiE 491

ou permet-elle de mieux comprendre pourquoi, bien la question : n’étant pas dans le tout ou rien, nous
malgré son autonomie apparente, la pensée doit se ne sommes donc pas dans le discret, le digital, l’ar¬
rendre aux effets du corps et, donc, de l’espace ? bitraire, le prépositionnel ou le numérique. Nous
Toute puissance, non du corps, mais de la localisation sommes, dès lors, confrontés à des effets de
et de la topologie - de la « situation », ou du « site ». conscience relatifs à la reproduction d’un rapport
au monde conservant quelque chose de ce monde :
Analogie(s) et cognitivisme(s) positions spatiales, relations fonctionnelles, propor¬
Tournons-nous maintenant du côté des mouve¬ tions relatives des éléments. Nous avons déjà entrevu
ments de pensée et de recherche, qui semblent cette question en rapprochant l’emploi du terme
souvent poser question aux cliniciens, même si des analogie par Stem, de la théorie fonctionnelle analo¬
dialogues s’établissent (Stern). Ces questions gique de l’image mentale, élaborée par Kosslyn.
inquiètes portent moins sur le contenu lui-même des
théorisations et modélisations cognitivistes que sur D’ailleurs, Denis et de Vega précisent que la notion
les présupposés relatifs à la « prise ou à la non prise de modèle mental, du fait qu’elle désigne un objet
en compte du sujet » Certains modèles semblent mental cognitif, se prêtant « à des traitements simi¬
incompatibles avec les philosophies du sujet et de la laires à ceux qui s’appliquent au monde lui-même »
connaissance, que les cliniciens adoptent, en parti¬ (op. cit., p. 81), est une construction hypothétique,
culier, à partir des références freudiennes. Nous permettant de rendre compte, de manière satisfaisante,
délaisserons, pour le moment, cette polémique essen¬ de certaines conduites cognitives. C’est, donc, un
tielle, afin de nous centrer sur l’emploi du terme construct théorique, supposé analogue à certains
« analogie » chez les cognitivistes, quitte à deviner, états du monde (analogue et non identique), mais
derrière leurs usages et modélisations, des concep¬ élaboré à partir d’observations, de faits empiriques,
tions susceptibles de questionner les pratiques. permettant d’établir des correspondances effective¬
Devant le nombre incalculable de travaux trai¬ ment analogues, elles, entre l’observation du percept
et celle de l’état mental étudié. L’analogie fonction¬
tant, aujourd’hui, de l’analogie ou de formes mentales nelle observée entre les conduites perceptuelles ou
proches, des choix s’imposent. Nous retiendrons les linguistiques, d’une part, et les conduites mentales,
notions d’image mentale et de modèle mental. d’autre part, permet d’inférer une analogie structu¬
Denis (1979, 1989) a été un des premiers cher¬ relle, par exemple spatiale, entre un percept et une
cheurs français à mettre en forme les problématiques image ou un modèle. Un rapprochement avec la
relatives à l’image mentale, tout d’abord, aux repré¬ théorie de Stem se dessine par l’intermédiaire de la
sentations au sens large ensuite ; enfin, aux repré¬ notion de « trait sémantique figuratif » (Denis, 1979).
sentations dites analogiques (selon une perspective Partant de l’hypothèse cognitivo-sémantique d’une
cognitive et expérimentale, prolongeant des travaux hiérarchie des traits, définissant les concepts ou les
initiaux de Paivio (1971) et rompant avec les explo¬ objets en mémoire à long terme, Denis distingue, à
rations développementales (Piaget, Inhelder, 1966). côté des traits fonctionnels et des traits logiques,
Dans l’un de ses écrits très démonstratif sur ce point des traits relatifs aux propriétés physiques et spatiales
(Denis, de Vega, 1993), il affirme : « dans une taxo¬ de l’objet et/ou du concept. La représentation d’un
nomie des représentations mentales, il semble appro¬ objet serait éclatée en unités psychologiques indiquant
prié de situer les images et les modèles mentaux les « invariants construits de l’objet » (termes
dans une même grande classe, celle des représenta¬ employés par Stem). Les traits sémantiques figura¬
tions analogiques, tout en les différenciant hiérar¬ tifs sont, donc, des « unités psychologiques dispo¬
chiquement et en leur attribuant des propriétés qui les nibles », « la représentation en mémoire à long terme
situent à des niveaux fonctionnels distincts » (op . cit., de l’ensemble des informations possédées par un
p. 89). Ces représentations seraient des « symboles individu sur le monde » (Denis, de Vega, op. cit., p.
non-arbitraires dont la structure reflète de façon 87), qui constituent les bases des représentations
analogique la structure des entités représentées » imagées, analogiques au sens large. Ces « traits », en
(op. cit., p. 80). De plus, on peut parler, dans ce tant que sèmes (unités de sens), appartiennent à un
rapport à l’objet, au sens large, que décrit («reflète ») fort niveau d’abstraction ; en tant que « figuratifs »,
ou spécifie cette notion, de « degrés » d’analogie. ils sont spécifiques et supposent, lors d’une actuali¬
« L’analogie, de fait, n’est pas une relation qui s’éta¬ sation dans le champ de conscience, un traitement
blit par tout ou rien [...] Il semble justifié, dans ce proche de celui du percept. Stem proposerait, donc,
contexte, de développer l’idée d’un continuum dans aux concepts près, une version développementale
l’analogie » (op. cit., p. 83). L’image serait plus partielle de la théorisation de Denis. Quant à ce
« analogique » que le modèle, plus abstrait, plus dernier, par sa résistance au « tout-verbal » comme
général, mais encore analogique tout de même. L’une au « tout-propositionnel », il contribue à légitimer,
et l’autre sont, donc, des modes de figuration de expérimentalement, la prise en compte de l’analo¬
l’information visuo-spatiale, mais à des niveaux gique (des images aux fantasmes et au para-linguis¬
différents d’analogie. Cette idée de « degré » situe tique) par le clinicien, qu’il le dénomme ainsi ou non.
492 bullETÎN (Je psycholoqiE

Ainsi, les thèses cognitivismes, dites du double enco¬ cliniques, ne font que « s’abîmer » de cas particulier
dage (imagé et verbal, Paivio, 1971), ont plus d’un en cas particulier. L’analogie nous soumet, en effet,
point commun avec la métapsychologie du fonc¬ la question du Miroir, comme question rationnelle et
tionnement mental nous y soumet, nous plaçant face à la réalité
D’autres questions de fond sont soulevées par les psychique des imaginaires et des mimologismes et
conceptions de Denis. Évoquons en deux. « La pas seulement face à leur véracité psychologique.
théorie des modèles mentaux s’est développée dans L’analogie, le concept et ce qu’il désigne de manière
une large mesure en réaction aux représentations de souvent hasardeuse, aurait-elle, entre autres destins,
type prépositionnel » (Cavazza, 1993, p. 126), qui de relier les excès de certitude des uns, à la recherche
sont des séquences de symboles arbitraires, appar¬ d’une langue sans équivoque, et la complaisance
tenant à un langage interne au système. Une repré¬ pour
lectesleur
irréductibles
vérité des? autres, à la recherche d’idio¬
sentation prépositionnelle est abstraite « dans la
mesure où elle n’a aucune analogie de structure avec Les trois exemples choisis, récents et pertinents,
la situation qu’elle représente » (op. cit., p. 127). Son montrent bien la grande variabilité des emplois de la
traitement suppose le recours à la logique formelle. notion d’analogie, ainsi que la constance des ques¬
Par opposition, un modèle mental est, certes, aussi, tions, même non explicitées, que ces emplois suppo¬
une représentation symbolique, mais sa structure est sent. La notion de « reflet », par exemple, cette
analogue à la situation décrite dans une phrase et non image triviale, qui a pu donner lieu à des théorisations
à la phrase elle-même. Une phrase n’est pas immé¬ capitales, parfois de sens opposé, reflet du monde ou
diatement reliée au monde (aspect dit référentiel), reflet de l’être (de Platon à Léontiev (1966), sinon
alors que le modèle mental, par sa nature analo¬ Lacan. . .), revient avec la notion d’analogie cognitive,
gique, le serait plus spontanément. Ainsi, par l’idée comme si, éternellement, les hommes, qui se confron¬
d’analogie, revient la question d’un lien « naturel » tent à ces questions, ne pouvaient que constater 1°
au monde - pensons aux craintes de Barthes. Toute¬ qu’à côté des théorisations les plus formelles et les
fois, les théoriciens cognitivistes opérationnalisent ces plus abstraites, les plus légitimées, se maintient la
problèmes avec nuance, distinguant, par exemple, nécessité de prendre en compte les témoignages
l’isomorphisme de T homomorphisme. L’isomor¬ empiriques des sujets sur leur sentiment que le monde
phisme suppose une correspondance terme à terme se reflète dans leur expérience de la réalité psychique
entre les éléments du monde et les entités du modèle ou de la conscience ; 2° que les sujets semblent
mental. Certains (Gineste, Indurkhya, 1993) préfèrent signifier, aussi, un rapport « économique » à l’ana¬
parler d’homomorphisme, qui suppose « une relation logique, réintroduisant, dans le champ disciplinaire
plus globale, d’ensembles d’éléments à ensembles de l’étude objective des faits et des structures
d’éléments ». Dans la théorisation cognitiviste, l’ana¬ mentales, la question des liens entre le désir et la
logie n’est donc pas un simple mimologisme, néo- représentation, entre le plaisir et le fonctionnement
mentaliste, de plus. Elle retrouve, toutefois, indé¬ mental ; 3° que ces résistances des faits (néo-menta-
pendamment de ses pertinences, la question d’un listes comme cliniques) sont, aussi, des résistances
langage supposé naturel ou, plus largement, de modes des sujets aux modèles épurés d’une science, préten¬
de représentations naturels ou recréant les condi¬ dant sortir des effets de leurre qui l’affligent en cher¬
tions fonctionnelles ou les illusions du naturel, etc. chant à annuler leur pertinence dans le fonctionne¬
Débat bien connu de la clinique et des cliniciens, mais ment psychique. L’analogie s’accompagne,
selon d’autres références et d’autres empirismes, aujourd’hui, sans cesse, par nécessité, de jugements,
sans doute en fonction d’autres finalités et d’autres non seulement sur les faits et les modélisations, légi¬
conceptions, plus globales et contextuelles, du fonc¬ times dans le contexte scientifique, mais encore de
tionnement psychique. jugements sur l’objet lui-même, sa position dans la
Enfin, une qualité de l’image est souvent rappelée hiérarchie des utilités fonctionnelles et quasi-tech¬
par certains cognitivistes : elle est toujours une illus¬ nologiques. . . Elle doit être justifiée comme objet de
tration (Wallon déjà), une spécification, une actua¬ recherche ou de réflexion, jusques et y compris dans
lisation quasi-sensible (Piaget, Inhelder, op. cit.) ou les travaux les plus expérimentaux sur la question, et
encore une « instanciation », plus ou moins vivace ils sont légion : les positions actuelles de Denis
selon les sujets (Denis, de Vega, op. cit.) ou une contre le tout-propositionnel prolongent des débats,
« refiguration » (Stem, op. cit.) des modèles mentaux qui agitent les spécialistes anglo-saxons de ces ques¬
comme des sèmes, figuratifs ou non. Sa concrétude tions. Répétition lointaine, aussi, de débats anciens :
la place du côté du sujet concret, plutôt que du côté par exemple, la notion de modèle mental reprend les
du sujet épistémique. Idée banale, sans doute, mais options de l’école de Wurzburg (début du siècle) ou
qui montre bien que le thème de l’analogie est une les orientations de Revault d’Allonnes (1934), à
manière, parfois involontaire, de rappeler, par la travers sa notion de schème mental (à ne pas
question du rapport au monde et à soi, que les lois confondre avec le « schème piagetien »). Difficile de
générales, même et surtout les lois des théories ne pas se référer aux idées mises en dialogues par
bullETiu de psycholoqiE 493

Platon dans le Cratyle (« Cratyle.-L’important, l’une ni l’autre, maintient la dissemblance des appa¬
Socrate, en tout et pour tout, est d’utiliser la ressem¬ rences et tend vers une similitude jamais atteinte
blance à révéler ce qu’on peut avoir à révéler... »). - car, sinon, elle se dissoudrait en tant qu’ analogie.
Voilà qui devrait rendre modeste. Répétitions et Bien des travaux cognitivistes et/ou développemen¬
mimétisme : l’analogie à l’œuvre jusque dans les talistes actuels, sur la similitude, la similarité, la
débats scientifiques. Les mots nouveaux et leurs métaphore, etc. s’appuient sur des définitions très
conventions savantes strictes ne modifient pas la extensives de l’analogie, englobant l’imitation et la
permanence des positions, donc, des topologies similitude (Ortony, 1979).
idéiques. Enfin, l’analogie suppose une transgression, car
LES ORIENTATIONS GÉNÉRALES elle vise à sortir des « astrologies » sémantiques
DES RECHERCHES PSYCHOLOGIQUES conventionnelles, pour proposer d’autres champs,
SUR L’ANALOGIE : LES DOMAINES d’autres sites, d’autres regards, d’autres associations
ou relations, par un redécoupage des territoires
Pour faire le point sur la notion conceptuels, par des rapprochements instables, mais
En fait, les usages classiques de la notion d’ana¬ éventuellement appelés à se pertiniser et se péré-
logie recoupent quelques-unes des grandes problé¬ niser. Elle suppose le risque quasi-idiolectique
matiques de la psychologie contemporaine, même si (comme dans les figures de style, qui s’apparentent
les lexiques des écoles psychologiques ont voulu, à elle, - telle la métaphore), l’originalité, la création
longtemps, ignorer, par méfiance positiviste, la fécon¬ folle, l’incompréhension, l’abus donc la prise de
dité de la notion. Ainsi, « l’agrégation de l’analogie risque et, éventuellement, le jugement défectolo-
à la rationalité scientifique fut marquée des trois gique sur le sujet de renonciation de l’«analecte »
disgrâces du refus, de l’hésitation et de mutilations » : (délire, etc.). Nous voilà, de nouveau, du côté de la
refus, car le terme est dévalué et ne désigne plus question de l’imaginaire.
qu’une « ressemblance vague », hésitation, malgré Selon Secrétan, on peut caractériser les types
tout, car l’analogie est marquée d’une note logique d’analogies selon trois formules simples : « être à »,
à ne pas dédaigner, mais mutilation, enfin, car elle est, « de même » et « comme si ». « Etre à » pose une
de fait, appauvrie en similitude perceptive. L’ analogie chose en rapport avec une autre « et en détermine
n’est pas, pour autant, un « mixte hybride d’images l’être comme rationnel » (dimension très classique,
et de raisonnements » (Secrétan, op. cit., p. 121). essentiellement logique). « De même » pose la formu¬
Pourtant, cette notion a un passé fort riche, glorieux lation de l’analogie comme ressemblance en fonction
même, dans les domaines de la métaphysique, de la d’un troisième terme, celui qui fonde la ressem¬
théologie, de l’esthétique, de la morale, de l’histoire blance : un contexte ou une fonction, etc. (dimension
des idées et des mentalités (Foucault, 1966), passé qui essentiellement structurelle et représentative de l’ana¬
se répète et, pour cause, même a minima et en sour¬ logie, elle relie des plans différents ou l’expression
dine, dans les débats actuels (Secrétan, op. cit., en plans différents d’un même contenu ou d’un
Genette, op. cit.). Le terme grec analogia (proportio élément commun ; pensons à l’analogie fonctionnelle
pour les latins) signifie : « rapport des parties entre et structurale des images et des percepts, selon
elles, et avec leur tout ». Une de ses spécifications se Kosslyn (1980) : de même que la dimension verticale
retrouve dans l’analogie logique : a/b = c/d (a est à est privilégiée dans un percept, elle est privilégiée
b ce que c est à d). Elle ouvre sur l’idée d’une mise dans l’exploration mentale d’une image). « Comme
en rapport entre choses dissemblables en quantité, en si » : c’est le domaine, bien connu des psychologues
qualité, mais encore en nature (le corps et la pensée développementalistes (Piaget, 1945 ; Wallon, 1942 ;
par exemple : voir Anzieu). Pour Secrétan, l’analogie Malrieu, 1952 ; Château, 1960), du faire-semblant,
se caractérise par une forme de travail exprimée par de la feinte, du simulacre, donc, de la transgression,
le préfixe ana qui « donne l’idée d’un passage ou puisque ce domaine suppose la transposition par
d’un dépassement, voire d’un transcender... » {op. création d’un nouveau plan, à la fois fictif et « réel »,
cit., p. 8), mais sans réelle stabilité, donc, par une de l’expression, plan souvent assimilé à l’étape inter¬
oscillation constitutive entre la ressemblance et la médiaire, protosymbolique, entre l’expressivité
dissemblance : « une proportion - une raison fait tenir gestuelle et l’expressivité symbolique. C’est le
ensemble ce qui, par ailleurs, ne se ressemble pas » domaine du procès sémiotique analogique, donc,
{ibid.). L’analogie est, donc, toujours menacée d’in¬ des images, des symboles au sens étroit du terme
stabilité, car la ressemblance proposée est, toujours, (signes motivés ou intrinsèques ou « analogiques »),
sous la dépendance initiale et maintenue, des diffé¬ du fantasme, etc. Secrétan précise que « dans le
rences entre les termes de la raison. «faire comme si», la fiction produit des gestes qui
L’analogie se situerait entre la pure réplique, relient le connu à l’inconnu et font médiation entre
fondée sur des indices extérieurs (comme l’imitation ce qu’il y a d’imitatif dans le comme et ce qu’il y a
parfaite mais superficielle) et la similitude parfaite, de purement hypothétique dans le si » {op. cit., p. 13),
qui suppose une identité de nature : elle n’est ni analyse identique, aux concepts près, à celles de
494 buÜEriN dE psycholoqiE

Piaget (le comme étant, chez lui, placé sous la prédo¬ établis selon deux rapports, mis eux-mêmes en rela¬
minance de l’accommodation, le si sous celle de tion, soit a/b = c/d. L’analogie, en ce sens, fonde,
l’assimilation déformante). donc, la proportion. Il s’agit d’un raisonnement
Ces trois formulations croisent, donc, les domaines portant sur des rapports et pouvant dériver sur des
de la psychologie, qui refont une place et aux formes précises diverses (par exemple, connaissant
recherches sur l’analogie et à son intérêt épistémo¬ trois termes, déduire le quatrième, etc.), lorsque la
logique. Les formes de l’analogie pourraient, aussi, nature précise des termes le permet. Mais ces relations
être confrontées à d’autres mécanismes : mise en peuvent aussi concerner des objets ou des relations
correspondance entre les objets, transposition (traduc¬ entre objets peu précis : la forme contraignante du
tion par exemple), etc. Mais, ouvrons, plutôt, sur raisonnement ne correspond pas forcément avec une
deux idées essentielles pour l’articulation des données détermination a priori forte des objets mis en rapport
de la psychologie cognitive et de la psychologie et en relation. C’est ce qui permet au raisonnement
clinique, d’une part, de la notion d’analogie créatrice analogique d’être à la fois très opérationnalisable et
et des questions de psycho-esthétique, d’autre part. très généralisable avec une grande liberté, que certains
Tout d’abord, la notion de « transfert », dont on sait assimilent à un grand défaut. En un sens, beaucoup
plus large, en effet, le raisonnement analogique peut
l’importance dans le domaine clinique et dont on être évoqué par les notions proches de « jugement
doit faire l’hypothèse qu’elle recouvre des méca¬ perceptif » (Piaget, Inhelder, 1948), de « raisonne¬
nismes proches des formes d’analogies représenta¬
tives et fonctionnelles - les notions d’altérité (oscil¬ ment transductif », dont Piaget (1947) estimait qu’il
s’agit d’un « raisonnement primitif qui ne procède pas
lation entre le semblable et le dissemblable, présente par déduction mais par analogies immédiates » ( op .
dans l’analyse freudienne de l’«inquiétante étran¬ cit., p. 153), de « pensée par couples » (Wallon,
geté », 1919), de transposition, d’identification 1945), de « jugement par analogie » (Blanché, 1973),
(comme forme analogique liée, à la fois ; aux trois de simple mise en correspondance entre percepts et,
formulations est à, de même et comme si) pourraient donc, d’une « estimation d’analogie » (Blanché, op.
être utiles à une nouvelle donne pour des réflexions cit.) : il serait, donc, possible d’établir des degrés de
sur ce mécanisme psychique majeur (Neyraut, 1997). contrainte formelle dans le raisonnement analogique,
Enfin, l’analogie dite créatrice, qui va du connu à seule, la forme « aristotélicienne » permettant une
l’inconnu, ouvre des voies, en privilégiant des mises opérationnalisation strictement psychologique. Les
en correspondances transgressives, des prises de autres formes de « rapprochement » analogique ou
risque : l’analogie ne « réduit pas », elle relie. Cet empirique-logique peuvent, par ailleurs, évoquer le
aspect de l’analogie contribue à poser la question raisonnement implicite ou explicite, qui est à l’œuvre,
d’une « parole analogique », plus précisément d’une lorsqu’un sujet est confronté à un message analogique
« analectique » fondant sa créativité (esthétique et (dessin, imitations, etc., mais aussi tropes verbales)
personnelle), ailleurs que sur la seule progression que, faute d’un code fort et, donc, systématique, il doit
dialectique : « un régime de pensée, distinct de la interpréter en posant ou postulant une analogie entre
dialectique et pourtant solidaire du logos et respon¬ la forme du message et son contenu, en l’occurrence
sable du sens » (Secrétan, op. cit., p. 19). une forme partielle du monde (ensemble d’éléments
de T homomorphisme). Ce « raisonnement sémiolo¬
Les domaines
gique » se rencontre, en permanence, dans le travail
Ils sont au nombre de trois et recouvrent, au moins psychique, même si le terme « raisonnement » peut
partiellement, les trois formulations proposées par paraître excessif ici. Il n’est pas sans évoquer certains
Secrétan. Dans ces trois ensembles, le « destin » du aspects de la question très actuelle de l’«intention¬
concept d’analogie n’est pas le même, car ses signi¬ nalité » et des « théories spontanées de l’esprit »
fications s’y différencient, même si la question de leur (Pachoud, 1993).
communauté sémantique doit être posée. De plus, les
contextes théoriques et empiriques, les traditions de Ce bref rappel de certaines des caractéristiques de
pensée et les filiations, ne sont pas totalement iden¬ l’analogie, en tant que raisonnement, nous permet de
tiques. constater que la forme la plus noble (relation entre des
proportions) a été très investie par les psychologues,
Le raisonnement analogique tout au moins, a donné lieu à l’emploi systématique
Ce domaine est le plus simple à déterminer pour de la notion d’analogie. Les autres formes d’analogie
une raison évidente : la définition du raisonnement « molle » ont pu être étudiées, elles aussi, mais sous
analogique est opératoire, depuis les origines du d’autres dénominations en psychologie du dévelop¬
concept ou presque. On peut lire dans la Poétique pement ou en psychologie sémiologique. Quoi qu’il
d’Aristote (1457-b-9), que l’on parle d’analogie en soit de la multiplicité des travaux, le destin de
« quand il en est de même du second terme par l’analogie, dans ce contexte, est clair : il a emprunté
rapport au premier, et du quatrième par rapport au la voie précise de l’opérationnalisation scientifique,
troisième » ; l’analogie suppose, donc, quatre termes, en l’occurrence cognitiviste.
bullFTÎN (Je psycholoqiE 495

Les représentations analogiques vieillot s’il en est, dans le contexte des jargons opéra¬
Nous avons évoqué, à plusieurs reprises, quelques- tionnels, serve aujourd’hui comme référence, parfois
unes des implications des débats, qui tournent autour très stricte et rationnelle, dans une polémique sur, par
des représentations au sens large, des représenta¬ exemple, la métaphore de l’ordinateur, la nature
tions analogiques, en particulier. Ce problème carac¬ épiphénoménale des images mentales ou la résolution
térise, plus que le domaine restreint du raisonne¬ topologique des problèmes logiques. Ce qui a l’ap¬
ment analogique, tout le cognitivisme contemporain. parence de l’analogie a droit de cité et est menacé, au
On ne peut le résumer convenablement en quelques pire, d’un jugement d’innocuité psychique. L’analogie
lignes. n’est plus une maladie des psychismes enfantins,
infantiles, d’avant ou d’après l’âge de raison. Sans
Dans ce contexte complexe, la notion d’analogie perdre de son intérêt développementaliste, l’ana¬
vise, en général, à marquer la permanence d’hypo¬ logie n’est plus, dans ces usages-là, un symptôme
thèses, faits et théories, relatifs à des modes de repré¬ défectologique. L’analogie « fait de la résistance »
sentations préservant un rapport « mimologique » au
monde, quelle que soit le raffinement de la théorie de contre les excès réductionnistes d’une perspective
centraliste, coupée du contexte, du relationnel, etc. ou
référence (processus, états, etc.). Ainsi, Bideaud et tentée par un physicalisme ou un physiologisme
Pierre-Puységur (1990, p. 45) estiment que la « repré¬ numérisable des processus. Voilà qui peut autoriser
sentation analogique (image mentale, script, objet que de nouveaux rapprochements soient institués
complexe, collection) assure ou provoque un traite¬ entre la théorie métapsychologique du sens (Widlô-
ment holistique des informations. Celles-ci, étroite¬ cher, 1986) et certaines perspectives cognitivistes,
ment tributaires du contexte, sont régies par des rela¬ permettant de s’interroger sur le jeu inter-modal de
tions de proximité, de contiguïté sémantique et/ou la parole et de l’analogie dans tout procès sémiotique,
spatio-temporelle ». Les partisans de ce mode de par exemple, dans le contexte des tâches psychiques
représentations (au sens où ils l’estiment irréduc¬ élaborées en situation clinique.
tible à d’autres formes de représentation) regrou¬
pent, donc, sous le vocable « analogique » des Les messages analogiques et la psycho-sémio¬
conduites ou des faits de mise en rapport entre plans logie
psychiques différents, dont il est estimé, éléments Le structuralisme s’était caractérisé par une
empiriques à l’appui, que leur configuration spatiale, condamnation sans appel de l’«analogique », mais
par exemple, est fondatrice de leur « configuration avait cherché à comprendre la « mécanique » des
sémantique ». De plus, le terme introduit un postulat procès sémiotiques dits analogiques, en les confron¬
analytique, qui n’apparaît pas spontanément dans tant aux procès sémiotiques langagiers ou autres
l’usage des termes « image » ou, même, « représen¬ (par exemple, Barthes, 1964 ; Metz, 1970). Les atti¬
tation iconique » : l’analogique suppose une ou des tudes réductionnistes ont eu des conséquences parfois
relations, donc, une dynamique entre des niveaux ou positives, permettant, par exemple, de faire un sort à
des localisations spatiales, que ces niveaux ou ces la prétendue non-conventionnalité du signe analo¬
sites soient hétérogènes (percept-image) ou disposés gique. Tout état analogique est un état symbolique,
sur un continuum (image-modèle). Cet implicite l’analogique est un travail de liaison entre deux états,
analytique tire les états et processus représentatifs un procès pouvant instituer un état comme repré¬
analogiques du côté des mécanismes analogiques sentant (ou signifiant) de l’autre. Toutefois, rares
(jugement, raisonnement, association, etc.), donc, sont les théorisations sur une pragmatique du message
du premier domaine envisagé ici, permettant d’in¬ analogique, qui ne se réduisent pas à l’étude des
troduire une modélisation logique fonctionnelle (voir conventions instituant par « analogie » ou « moti¬
Kosslyn, op. cit.). Enfin, cet usage situe ce thème à vation » des symboles ou des signes iconiques. La
mi-chemin d’une logique ou, plutôt, d’une théorie sur sémiologie des psychologues reste souvent atomiste :
les rapports corrélatifs (ou isomorphiques, etc.) elle part des unités (de sens ou non), ou cherche,
esprit-monde, et d’une pragmatique du procès sémio¬ derrière les conventions des messages analogiques,
tique analogique (troisième domaine), car les repré¬ les codes interprétants, le plus généralement la langue
sentations analogiques peuvent être, alors, définies, (deux exceptions : Bresson, 1974 ; les théorisations
à la fois comme les résultantes permanentes (en de Palo Alto sur les messages analogiques). Bref,
structure psychique profonde : notion de trait figu¬ l’analogie, au sens sémiotique, est, soit réduite au
ratif) des messages dits analogiques et comme le digitalisme, soit restreinte à des études empiriques sur
stock d’éléments présidant à la constitution de des conduites habituelles (dessin), soit mentionnée
messages sémiotiques, empruntant des modalités comme une évidence, dans laquelle l’étemel effet de
dites analogiques (imitations, figurations, cartes...). nature est convoqué sans plus de question (malgré les
Nous sommes fort loin du vocabulaire classique¬ accents mis par les sémiologues sur l’universalité de
ment utilisé pour une polémique, qui remonte à la la conventionnalisation, qui fonde tout symbole,
pensée grecque, mais il est savoureux de constater arbitraire ou analogique, et les conséquences, qui
qu’un terme aussi vilipendé que celui d’analogie, en résultent, sur les conceptions des rapports du
496 bulleriN dE psycboloqiE

sujet au symbolique... et à l’imaginaire). Des trois éléments de l’acte psychique (sa matérialité) et son
domaines mentionnés, il s’agit là, de celui pour intention (force et sens) - « l’action » étant « l’in¬
lequel l’usage du terme analogique reste, à la fois, le tention de l’acte ». Il critique les naïvetés de l’ico-
plus marqué historiquement (notion restreinte de nisme, que nous élargissons aux naïvetés des formes
signe analogique) et le plus inconsistant, dans la de l’analogisme en général (l’image est semblable à
mesure où, à l’opposé des psycho-linguistiques, les son objet, motivée par l’objet, etc.), et insiste sur la
rapprochements entre les psychologies et les sémio¬ conventionnalisation de tout signe analogique. Mais
logies de l’analogique, n’auront été que peu créatifs. la ratio qui fonde ces signes, au contraire de la ratio
Cet état de fait semble relever du point de vue statique facilis des procès usant de codes stricts, est dijfi-
du message analogique, dont on pense a priori, qu’il cilis, car ils sont souvent « denses », complexes,
est constitué d’unités approximatives et, donc, d’un articulés sans code explicitable, et les transformations,
code, certes « faible », mais dont l’idéal de réfé¬ qui permettent de passer de l’état désigné à sa dési¬
rence reste la langue. L’«analogique », dans ce gnation, sont mal connues ou confuses ou complexes,
contexte interdisciplinaire, subit, donc, un destin sinon trans-modales. Un message analogique « brut »
peu glorieux, rétif aux apports des analyses structu¬ (un tout jeune enfant qui dessine ou qui imite) est un
ralistes, ne renouvelant pas les études et de la compré¬ effort pour créer un code idiosyncrasique qui, éven¬
hension et de l’élaboration de messages fondés, soit tuellement, de manière éphémère ou stable, pourra
sur des critères analogiques (carte, gestes imitatifs), devenir un code partageable (dans un jeu entre
soit visant à produire des effets d’analogie (esthé¬ enfants, une école de peinture, etc.). Faute de place,
tiques par exemple), soit usant des principes analo¬ nous noterons simplement que cette conception dyna¬
giques d’une théorie du psychisme, de la représen¬ mique du procès sémiotique semble utile aux psycho¬
tation et/ou de la personnalité (la projection, le dessin logues, cliniciens en particulier, car elle offre des
figuratif, selon la tradition de Luquet, le dessin cadres à l’analyse de conduites analogiques, que ces
expressif). C’est dans ce domaine que la psychologie derniers utilisent quotidiennement (dessin, tests
a le moins systématisé et rendu opérationnelle la projectifs, etc.). Elle permet des rapprochements
notion, pourtant courante, d’analogie. On peut parler entre les théories locales, strictement psychologiques,
d’un usage flou et paresseux, la plupart du temps et souvent anciennes, qui soutiennent ces techniques,
réduit à la caractérisation d’une sorte de signes ou et les théorisations des domaines précédents de l’ana¬
symboles (selon les contextes théoriques), « dont le logie (raisonnement, représentation). Par exemple,
représentant et le représenté entretiennent entre eux Eco définit l’analogie (similitude, isomorphisme et
des rapports de similarité ». proportion), non comme une conséquence, mais
Le problème est d’importance, car si nous voulons comme un « procédé institutif des conditions néces¬
sortir les théories cognitives d’un apragmatisme saires à une transformation » (op. cit., p. 68) (symbo¬
confortable pour la modélisation, mais peu utile pour lique en l’occurrence) : bien des techniques d’examen
le praticien, les relier à une formalisation des tâches psychologique sont analysables en ces termes (surtout
cliniques, qui s’appuient sur des élaborations de si une théorie « analogique » du psychisme les
messages, dits analogiques, il est indispensable de supporte : Anzieu par exemple), de même que le
poser avec rigueur les termes d’un ensemble de cadre thérapeutique de type psychanalytique (le
recherches spécifiques. C’est dans cette optique, que transfert, par exemple ou des éléments de la forme
des rapprochements entre les démarches cogniti¬ relationnelle ou des éléments des contenus des procès
vistes et les contraintes cliniques sont à favoriser, sémiotiques à l’œuvre : paroles, associations
malgré les oppositions et les malentendus. conscientes et inconscientes, gestuelle, théâtralité. . .).
Il est étonnant de voir combien Eco retrouve, à sa
Indiquons une théorisation sémiologique extrê¬ manière, certaines des questions posées par les
mement solide, qui a le mérite d’offrir une optique psychologues cognitivistes, en particulier sur les
d’approche des faits psycho-sémiotiques, de type relations et transformations entre les percepts et les
analogique, pertinente dans un contexte d’analyse « modèles sémantiques », par exemple, dans les
clinique. Eco (1968, 1978) s’est efforcé de poser conduites analogiques, dites d’ « invention » (esthé¬
des problématiques sémiologiques, qui cherchent à tique, etc.) modérée ou radicale, ou dans les conduites
briser les catégories sémiotiques habituelles. En projectives ou de constitution de cartes, etc.
1978, il propose, afin d’analyser les messages
iconiques et analogiques, d’éviter les catégories habi¬ Eco offre une réponse très pertinente et très riche
tuelles de signes (arbitraire, analogique, etc.) pour aux usages très pauvres et, donc, manquant d’im¬
partir de l’étude des « modes de production sémio¬ pertinence et de créativité, de la notion de signe
tique » (op. cit., p. 141), modes de production du sens, analogique. Penser consisterait, parfois, à élaborer des
supposant une intentionnalité, un cadre et, par hypo¬ messages, dont certains sont des codes instables en
thèses, des mécanismes cognitifs élémentaires. Eco cours d’élaboration, donc, destinés à l’éphémère,
relie, dans son modèle, par la notion de procès, ce que adaptatif ou non ou à la durée, donc, au transfert
Widlôcher (op. cit.) distingue et articule comme les analogique éventuel, codes fondés, avant tout, sur des
bullETÎN (Je psycholoqÎF 497

principes non analogiques mais d’analogisation, par le corps, dont il porte les marques, sinon les
donc, dont les unités peuvent manquer de « discré¬ blessures expressives (intonations, silences, cris,
tion », en tout cas, proposer des valeurs opposition- etc.), sont aussi des états et processus analogiques,
nelles complexes ou vagues ou partielles et, donc, des c’est-à-dire générés ou contribuant à générer un
messages potentiellement denses (dessin, etc.), procès sémiotique, dont les formats ne sont langagiers
opaques, singuliers, instables... Ce sont, non seule¬ que secondairement ou « en abîme » (fonction inter¬
ment, les conduites créatives, qui sont concernées, prétante de la langue, structures sémantiques verbales,
mais encore, la dimension créative de certaines etc.).
formes d’examen psychologique clinique : le sujet et Nous nous plaçons à l’intersection de trois espaces
le psychologue cherchent ensemble à créer les condi¬ thématique : celui de la psychologie cognitive, celui
tions, qui permettront que se réalisent (projection, de la sémiologie, enfin, celui de la clinique et, en
parole, mise en scène, jeu. . .) les éléments d’un code particulier, la clinique du fonctionnement mental,
analogique se construisant au fur et à mesure que le dont on connaît les développements récents (citons
message s’élabore - code analogique incertain, mais, Gibello, 1984 ; Schmid-Kitsikis, 1985 ou, de
en tout cas, non indépendant du code langagier, ne nouveau, Anzieu, op. cit.). La psychologie cognitive,
serait-ce qu’au plan des tropes. sans exclusive, offre des modèles, mais, le plus
Cette analogie-là doit donc être réanimée car, en souvent, des modèles structuraux, plutôt que procé¬
convergence avec les autres domaines et à la condi¬ duraux. La sémiologie ouvre sur ces procédures,
tion de dépasser l’usage et la conception statiques de mais à la condition d’inclure les procès sémiotiques
l’idée de signe analogique, elle ouvre des voies de dans des problématiques psychologiques, donc, de
recherche du côté de l’analyse de situations psycho¬ replacer la question de l’intentionnalité du procès
logiques, axées sur l’élaboration d’objets sémio¬ dans un contexte à la fois psychique (intra-ou inter¬
tiques analogiques, les questions étant : « l’analogique psychique) et psychologique (conceptuellement,
à ou de quoi ? analogique comment ? ». A la double théoriquement). L’étude du fonctionnement mental
condition qu’un cadre théorique apporte une logique analogique ou des dimensions analogiques du fonc¬
au procès sémiotique et qu’un cadre relationnel, tionnement mental trouverait, donc, à s’étayer sur ces
instituant des consignes explicites ou implicites trois formes de pertinences : des modèles mentaux
(forme de l’intentionnalité), donc, un contexte, (mémoires, mises en correspondances, similitudes. . .),
apporte une pragmatique, il doit être possible d’étu¬ des modes de procès sémiotiques (invention, osten-
dier ces signes et messages denses, ces textes figu- sion, réplique...) et leurs formats (icônes, gestuelle
raux ou éléments de textes, que sont les objets analo¬ mimologique, schémas figuraux, parole. . .), enfin, la
giques ou la part analogique des objets et productions relation clinique (son cadre, ses objectifs, ses média¬
recueillis en situation clinique : images projectives, tions, ses reproductions. . .).
jeux symboliques, cartes graphiques, mimes, etc., Nous estimons que trois notions opératoires, au
mais aussi aspects analogiques de la parole et du moins, sont nécessaires, afin de fixer ce cadre, indis¬
lien. Au confluent de ce qui se reproduit et de ce qui pensable à la détermination des recherches cliniques
s’élabore, de ce qui ressemble et de ce qui change, de - et à finalité clinique, car il ne s’agit pas d’user de
ce qui se repère et de ce qui se décale, dans et par le la méthode clinique, dans un but uniquement objec-
procès sémiotique - dont les formes analogiques tiviste et scientifique, mais bien de revenir, ensuite,
manquent encore de modélisations théoriques, même à la compréhension des faits psychiques, en l’oc¬
si Anzieu, sans doute ( op . cit.), ou un de ses inspi¬ currence le fonctionnement mental d’un sujet en
rateurs, Winnicott (1971), ou encore l’école de Palo situation clinique. Le fonctionnement mental étant
Alto, ont pu ouvrir, dans ce sens, des voies connues, étudié par inférences, à partir des actions que les
reconnues et pratiquées. sujets développent et proposent dans ce contexte
(Schmid-Kitsikis, op. cit.).
POUR UNE CLINIQUE DES TRANSFORMA¬
TIONS SYMBOLIQUES ANALOGIQUES Ces trois notions sont les suivantes :
Dans le droit-fil de ce qui précède, il est possible — la notion d’analogie : toutefois, compte tenu du
de situer les problématiques, essentiellement cogni¬ foisonnement mis en évidence précédemment, chaque
tives ou sémiotiques, relatives à l’analogie, dans le recherche en situation d’examen clinique (ou autre)
contexte de la clinique psychologique, au sens large, devra définir opérationnellement la ou les significa¬
donc, dans un contexte relationnel visant à obtenir, tions que prend le terme « analogie » dans ce contexte
dans l’échange, des objets destinés à servir de média¬ et, secondairement, le rattacher à une orientation
teurs entre le psychologue et le sujet, entre le sujet et thématique générale. Par exemple, les analogies
lui-même. Or, ces objets (qui sont aussi des mobilisées par un enfant pour représenter graphi¬
« actions »), s’ils sont essentiellement langagiers, et, quement, au génogramme (Grihom, Laflaquière,
donc, déjà pour une part « analogiques », au double Ducousso-Lacaze, 2002), les dimensions narcis¬
sens où le langage est constitué de « figures » et forgé siques et instituées du lien de filiation, ne sont pas les
498 bullETÎN dE psycholoqiE

mêmes que celles utilisées par un adulte dans le la mise en place d’attitudes spécifiques, différentes,
cadre d’un récit de son expérience de la souffrance en tout cas, de celles relatives au verbal, pouvant
psychique (Ducousso-Lacaze, Keller, 2002) ou relever de facteurs différentiels, mais aussi des varia¬
encore, par un clinicien dans le cadre d’une prise en bilités dans le jeu de la spatialité, du corps, de l’ins¬
charge psychothérapeutique (Ducousso-Lacaze, cription « concrète » du sens, du montrer, du désir de
Grihom, 2001 ; Ducousso-Lacaze, Grihom, Keller, voir. Cet aspect de la question, sous d’autres noms,
2003). Pour autant, ces définitions spécifiques par exemple, dans les attitudes (et quasi-postures) des
renvoient à des problématiques générales et, donc, à sujets, face à certaines épreuves projectives, est bien
des mécanismesmental.
fonctionnement d’ensemble ou généralisables du connu, mais rarement interrogé, alors qu’il est, à
notre sens, une des conditions de la mise en place
De même, il est nécessaire de spécifier, dans toute fertile d’une collaboration entre les cognitivistes et
recherche, quelles sont les « transformations symbo¬ les cliniciens, dans l’étude de la spécificité psycho¬
liques analogique » étudiées en elles-mêmes ou logique des liens du sujet aux modalités de ses procès
mobilisées dans l’étude d’autres processus ». C’est sémiotiques (choix, rejets, surinvestissement..., des
Piaget (1945) qui, le premier, a proposé la notion images, du verbal). À rapprocher sûrement de la
cognitive de transformation symbolique pour désigner formalisation, reprise par Dennett (1991), des niveaux
des conduites par lesquelles, oralement ou en actes, de l’intentionnalité dans la communication (Trognon,
un jeune enfant, dans un contexte de jeu symbo¬ Collet, 1993). La notion d’attitudes psycho-sémio¬
lique, transforme un objet (c’est-à-dire sa significa¬ tiques introduit la question de l ’économie psychique
tion usuelle) en un autre objet, en général en fonction (dimension investissement du travail mental - désir,
d’une ressemblance simple, mais schématique ou plaisir, etc.) dans le rapport du sujet à ses productions
bien encore d’une ressemblance quasiment induite par sémiotiques, donc, la question de la croyance , mais
l’enfant (en fonction de la thématique du jeu, de son critique en son propre système psychique et, de plus,
désir, de ses préoccupations affectives, du « hasard », dans un contexte clinique, amplifiant le problème de
des associations ludiques en acte). l’intentionnalité auto-référée par la médiation du
clinicien. - voir l’étude de Ducousso-Lacaze et Keller
Nous poserons qu’une TSA (transformation
(1999), à propos de l’évolution du rapport aux analo¬
symbolique analogique, qui est, donc, une procé¬ gies verbales, du patient et du psychologue, au cours
dure mentale cognitive et sémiotique) : 1° mobilise d’un suivi clinique ;
un état, analogique ou non, représentatif ou percep¬
tuel, afin de le transformer analogiquement, qu’il y — la notion de tâche psychique : nous disons bien
ait ou non changement de format ou modalité (geste, tâche psychique et non psychologique, car, qui dit
icône, etc., voir Pinol-Douriez, 1975) ; 2° est elle- « psychique », dit implication du sujet pensant dans
même analogique (processus analogique) ou non sa tâche, implication au sens narcissique du terme (la
(processus d’analogisation) : dans le premier cas, la « psyché »), donc, supposant un investissement
transformation (série d’actions, procédure) est l’ana¬ crucial et identitaire de la situation, une intentionnalité
logue d’une autre série d’actions (imitation, par forte, un « travail » ; qui dit « psychologique » ne fait
exemple, séquences ordonnées...) ; dans le deuxième que supposer et décrire des actes, des processus, des
cas, l’état final (et éventuellement l’état initial) est structures, donc, un sujet épistémique. Cette tâche
analogique, mais pas la transformation, en tant que psychique se détermine, donc, dans un contexte
série d’actions (par exemple, la copie-acte d’une clinique, où il s’agit bien, même dans une visée de
image-état n’est pas analogue à l’image-état) ; recherche, de référer les actions du sujet, son fonc¬
— la notion d’attitude psycho-sémiotique : cette tionnement mental, à lui-même et pas uniquement à
notion (Laflaquière, op. cit.), consiste à estimer que des lois objectives de la représentation ou de l’ana¬
le rapport, partiellement conscient, mais élucidable, logie. Aussi, pour qu’il y ait tâche, en ce sens-là, il
que le sujet établit avec les dimensions analogiques est nécessaire de placer le sujet face à une situa¬
de ses messages, en particulier sous leur face concrète tion-problème implication, non seulement de ses
(« signifiant »), nous dit quelque chose de la spéci¬ mécanismes cognitifs, mais encore de ses investis¬
ficité de l’analogique. Ces attitudes varient d’un sements de ses images, de son érotisation psychique,
sujet à l’autre (âge, culture, etc.), d’une forme de etc. - donc, de ses défenses et des compromis, que
sémiosis à l’autre (images, langage, mais aussi litté¬ sont les formations et productions représentatives,
rature, cinéma...), d’une forme de tâche à l’autre prises ou non dans un procès sémiotique, impliquant
(consignes, matériel logique ou ludique. . .) - et s’ar¬ cet autre qu’est le clinicien. Le cadre, les consignes,
ticulent sur les capacités de se distancier (par défense, le matériel, tout en créant les conditions psycholo¬
ou résistance, ou plaisir « du texte » ou jeu ou autre) giques et éthiques de la rencontre, créent aussi les
de la substance et/ou de la forme du message : le conditions contrôlées de ce niveau d’implication et
réalisme symbolique, la dénégation, la crédulité, d’intentionnalité, qui permettra, non seulement d’étu¬
l’ironie, le mensonge, etc., peuvent relever de cette dier « le cognitif », mais encore le fonctionnement
thématique. L’ analogique, au sens très large, suppose d’un sujet en situation relationnelle et confronté à la
bulln'iN dp psycholoqiE 499

question de l’économie de sa sémiosis et de ses monde. Les finalités d’une science du fonctionnement
formats (verbe, image, corporéité) ou symbolisme, mental, réduite aux processus cognitifs, ne sauraient
iconicité, enactivité (Bruner, 1991, par exemple). satisfaire, malgré ses apports indéniables, ceux qui,
La tâche psychique vise à mobiliser, non seulement par éthique et/ou par fonction, ne peuvent, fort
des mécanismes cognitifs, des actes psychologiques, heureusement, se résoudre à évaluer le sujet sur le
un fonctionnement mental, mais encore, des régimes critérium de la métaphore de l’ordinateur. Les déter¬
de pensée, par lesquels se manifestent, dans l’ac¬ minations opérationnelles de l’analogie sont un
tualité de la conscience et de l’échange clinique, les progrès, car elles permettent d’envisager de montrer,
économies et les dynamiques propres, articulables ou désormais, que l’analogie n’est pas un terme vague
inconciliables ou conflictualisables, des modes de ou dont l’usage marque une équivoque dépassable.
représentations et de sémiosis, donc, des affects, Désormais, on est sur une voie ouverte en partie par
d’un sujet « réalisant » et « se réalisant ». Pour les cognitivistes du « new-look » (Bruner en parti¬
cette raison, des techniques projectives classiques culier) des années cinquante. Elle a consisté à trans¬
apparaissent toujours comme des voies d’accès privi¬ gresser les règles dogmatiques du béhaviorisme : ce
légiées à ces phénomènes. Tout comme nos néo-mentalisme, en autorisant l’étude rigoureuse
recherches sur les faits analogiques dans la repré¬ des faits mentaux, a renouvelé les problématiques et,
sentation des systèmes de parenté, dans le jeu symbo¬ donc, notre perception des économies de conduites,
lique, dans le récit de soi, dans la parole en situation jugées épiphénoménales : image, icône, analogie...
clinique, etc. Pour nous, donc, le « mental » est la (bien que ce débat soit loin d’être clos). Curieuse¬
scène représentative, horizontale et verticale (en ment, donc, le concept d’analogie a gagné en rigueur,
niveaux de conscience), du psychique. en compréhension, en noblesse, dans le milieu scien¬
Enfin, la référence, même souple, à une théorisa¬ tiste, quand il préservait sa valeur de fond dans les
tion de la personnalité, si possible intégrative des analyses philosophiques (Lyotard, 1974 ; Secrétan,
dimensions des actes de connaissance et de sémiosis, op. cit. ; Guérin, 1993). Comme si ce qu’il désigne,
donc, à une théorie de la connaissance et du désir de pris dans les jeux idéologiques, signalait, sans cesse,
connaître, est indispensable, ne serait-ce que pour l’irréductibilité d’un ancrage figurai de la chose
éviter l’extrême dispersion et parcellisation des psychique, sur le mode d’un retour non mortifère,
cognitivismes. A notre sens, la métapsychologie mais lucide et ironique : la psyché, et pas uniquement
reste cet horizon opératoire indispensable, en parti¬ le mental, malgré ses victoires, reste sous les marques
culier sous certaines de ses formes revisitées actuelles, et les traces de ses origines ; son autonomie est illu¬
influencées par les mouvements de pensée sur la soire et manquera toujours ; elle répète cette maltrai¬
sémiosis, par exemple. Legrand (1990, p. 281) tance et du pulsionnel, et du corps, et de l’archaïque,
rapporte ces propos du psycholinguiste Miller : « je et du trauma. . . Qu’importe le signifiant privilégié :
sa fonction reste la même, ouvrir sur les destins
lis L’interprétation des rêves et le chapitre 7 de ce
livre est pour moi l’un des grands essais de psycho¬ continus de l’analogie, des mimologismes, des imagi¬
logie cognitive » - mais un essai né de l’étude de la naires, dans la pensée de chacun et dans la Pensée des
sémiosis en situation (le rêve), au sein de la relation époques (mentalités).
clinique, certes, spécifique, de la tâche analytique. 2° À côté du verbe, l’image, du dialectique, l’ana-
Comme le montrent Anzieu ou Widlôcher sur des lectique, du discret, le figurai. Tout n’est pas réduc¬
registres différents, il ne s’agit pas de figer ces réfé¬ tible à la langue, tout n’est pas réductible à l’analo¬
rences essentielles. Mais une psychologie, qui ne gique - comme tout n’est pas langagier au sens
sombrerait pas dans le rêve unique d’une modélisa¬ strict, tout n’est pas non plus analogique. Il y a
tion parfaite de la vie mentale, devrait se soucier de simplement de l’analogique partout, que cette moda¬
re-situer la psyché dans les conditions de ses témoi¬ lité de présence du psychisme au psychisme soit
gnages. Une scène est requise - donc, des mises en expliquée comme un effet structural, une quasi-
correspondance et une économie du « montrer » et mécanique du primat de l’étendue ou du visuel dans
de la « figuration », que le lien clinique garantit. toute sémantisation (attitude néo-kantienne) ou
comme un effet développemental référé à tel stade du
QUELQUES CONCLUSIONS psychisme (pensée intuitive de Piaget, pictogramme
1° On peut parier que, malgré les succès des cogni¬ d’Aulagnier, EPN de Stem, pensée par couple de
tivismes, amplifiés par l’assoupissement antérieur de Wallon, etc.). Ces positions ne sont, d’ailleurs, pas
certaines psychologies, les mêmes idées, sous des inconciliables. Mais il y a toujours le risque de voir,
masques conceptuels divers, continueront d’alimenter idéologiquement et idéalement, privilégier telle
l’expression du désir de savoir sur le savoir et ses modalité, au point d’en faire celle par laquelle la
formes. Les destins de l’analogie sont salués, selon vérité vient au sujet et à la science. Ce débat, lui aussi,
les appartenances, comme autant de morts des illu¬ est vif, renouvelé par les critiques très subtiles adres¬
sions du naturalisme ou comme autant de victoires sées, par exemple, aux travaux des « analogistes »
des correspondances nécessaires du sujet et du comme Kosslyn, et par le nouvel intérêt porté à une
500 bulkriN de psycholoqk

notion,
F« intentionnalité
elle-même ».marquée par une longue histoire, ou politiques, entre le délire d’un côté et la raison de
l’autre ? Ce sont bien deux logiques qui s’affrontent,
Rosolato (1985) a proposé une analyse très riche comme si chacune ne prenait pas sa part de la scène
du jeu du « fort-da ». Son travail marque bien les psychique. L’analogie nous aide à entendre, non
différences entre les deux formes de signifiants mis seulement son propre rapport, mimologique, à la
en œuvre par Ernest dans un procès sémiotique vérité, mais aussi à la question de la vérité. En tout
d’«invention radicale » (Eco), puisqu’il faudra que cas, elle est souvent l’un des cheminements choisis
Freud « désignifie » (Fédida, 1978) ce jeu, pour le par le sujet ou dont il prend acte dans l’après-coup,
resignifier et, donc, l’interpréter. Nous avons, d’une pour se situer, se localiser, bien ou mal.
part, les signifiants verbaux (« o-o-o », « da »), S’intéresser à l’analogie est une façon d’en revenir
d’autre part, les signifiants analogiques, non discrets, à la question de l’imaginaire sous toutes ses formes,
formés à partir des accommodats des objets (bobine, répétitives, lourdes, spéculaires ou bien ouvertes,
ficelle, berceau...) et des schèmes d’assimilations légères, spéculatives. Péché originaire et mortel ou
(Piaget), qui constituent l’action (jeter, ramener. . .). simple transgression raisonnable qui, dépassant l’ana¬
Les signifiants analogiques ou iconiques, Rosolato les thème jeté sur le spéculaire, ose faire de l’imaginaire,
appelle « signifiants de démarcation », expression qui aussi, une ressource, dont les destins incessants sont,
dit, analogiquement, la double fonction de ces « signi¬ certes, multiples et, souvent, aliénants, mais aussi,
fiants », appellation, d’ailleurs, traditionnellement selon le terme winnicottien, ouvrent sur un espace
contestée par les sémiologues intégristes (Mounin, potentiel. « Ouverture et ressassement tel apparaît
1970) : 1° ils démarquent, différencient, créant, donc, l’imaginaire », résume Védrine dans son examen
une valeur oppositionnelle topologique, au moins historique (1990). En tout état de cause, tel apparaît-
relative (la bobine n’est pas la ficelle ; la bobine il, sous ses formes analogiques, dans les témoignages
dans le berceau n’est pas la bobine hors du berceau ; et les actions des sujets. Figures d’une scène que,
etc.) ; 2° ils sont nécessairement spatiaux ou utilisent certes, la science trivialise terriblement, mais que les
sémantiquement l’espace (localisation des objets, paroles, les œuvres, les rêves, bref, la réalité
gestualité - jet de l’ob-jet, voir Fédida, op. cit.) psychique, rehaussent sans cesse devant la perplexité
comme support du procès. Or, les significations des des cognitivistes - dont les imaginaires scientifiques,
deux formes de signifiants ne sont ni identiques, ni à être conceptuels et modélisés, n’en sont pas moins
irréductibles ou indépendantes : l’ensemble de la problématiques, en refusant de se reconnaître
scène s’éclaire du jeu des deux modalités de repré¬ « fictifs », au nom des catégories de la raison et du
sentations, de mise en relations, d’élaborations. Il progrès. Partageons, au moins dans cet espace de
guide l’observateur et signale la part intentionnelle notre intention réflexive, l’avis de Lyotard (1974), qui
consciente du jeu (plaisir de la gestuelle, du voir, etc.) affirme que la « fonction de la figure », dans l’ima¬
comme cette dimension cachée/montrée de l’«autre-
ginaire de l’art, en particulier, est d’indiquer qu’elle
scène », isomorphe à l’occupation de la scène réelle, est la transcendance du symbole, c’est-à-dire une
qui est la part intentionnelle inconsciente du jeu et de « manifestation spatiale que l’espace linguistique
la maîtrise de l’absence - ce que Fédida {op. cit.) ne peut pas incorporer sans être ébranlé, une exté¬
désigne comme la prise de conscience du sens comme riorité qu’il ne peut pas intérioriser en signification
absence, mais qui se réalise et se sémiotise à la fois (...) Le vrai symbole donne à penser, mais d’abord
par le verbe et par l’analogie. il se donne à voir » {op. cit., p. 13). L’ analogie, quel
Le jeu du fort-da nous offre des formes de trans¬ que soit son niveau de formalisation et d’opération¬
formations symboliques analogiques, nous donne à nalisation, « montre » et nous « parle » en direct,
observer et interpréter des attitudes psycho-sémio¬ comme par violence, de monstration plutôt que de
tiques essentielles et ambivalentes (jeu, maîtrise, démonstration, d’exhibition plutôt que d’explica¬
« plaisir du texte », « meurtre de la chose »...), et, tion - du pulsionnel donc (Lacoste, 1993). Elle relève
selon la métaphore théâtrale, a pour tâche de drama¬ d’une déictique globale, holistique, qui, sans cesse,
tiser et d’élaborer l’absence jusqu’à la crainte/désir menace de briser la pureté close de l’espace mental
de la mort de l’objet. rationnel conçu par la science. L’analogie passe outre
3° Les aléas des désirs de maîtrise se lisent à et déplie les espaces imaginaires (Sami-Ali, 1974).
chaque épisode de cette histoire, qui se confond, Elle se (dé)montre aussi et indique l’origine et la fin,
pour une part, avec celle de l’imagination et de ouvre, localise, situe, transgresse, associe, altère.
l’imaginaire - où l’invention est reçue comme la Forme entre deux formes, elle anaphorise tout procès
figuration, non seulement de talents cognitifs (les sémiotique, toute procédure psychique, en marquant
catégories de l’entendement), mais encore des capa¬ que toute identité logique, tout concept, toute égalité,
cités de liaison et de création de la personne. tout point, garde une part d’un mouvement identifi-
Comment s’étonner que les jugements de valeur se catoire, d’un lien, d’un repérage, d’une localisation,
fassent entendre, à chaque fois que le débat semble d’un déplacement, d’un cadre, d’une valence non
inscrire ses enjeux scientifiques, éducatifs, sanitaires logique - d’un comme si illustratif et singulier.
bullETin <Je psycboloqiE 501

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