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VERT TAKLAMAKAN

Augustin Berque

Belin | L'Espace géographique

2010/1 - Vol. 39
pages 89 à 90

ISSN 0046-2497

Article disponible en ligne à l'adresse:


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http://www.cairn.info/revue-espace-geographique-2010-1-page-89.htm
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Pour citer cet article :
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Berque Augustin, « Vert Taklamakan »,
L'Espace géographique, 2010/1 Vol. 39, p. 89-90.
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EG
Carnet de terrain
2010-1
p. 89-90

Ver t Taklamakan

Augustin Berque
École des hautes études en sciences sociales
105 boulevard Raspail
75006 Paris
berque@ehess.fr
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adame Chang Qing dirige le jardin botanique du
M Centre-Taklamakan (Tazhong shamo zhiwuyuan). n

Bien que son poste relève de l’Institut d’écologie et de


géographie du Xinjiang (Xinjiang shengtai yu dili yan-
jiusuo), elle porte l’uniforme des employés de Petrochina Mongolie
Kirghizie Urumqi
(Zhongguo Shiyou): pantalon rouge et blouse bleue. La
Luntai
station agronomique est en effet en cogestion. Si on l’a Tarim
Pam Kashgar
installée au cœur du désert, c’est qu’il y a là du pétrole, ir Xinjiang

et que, pour ce pétrole, il a fallu construire la Transtakla- Yarkand Taklamakan

makane – la « nationale du désert » (shamo gonglu). Or, Chine


Hetian
Ca

(Khotan)
sh

cette route ne peut se passer de végétation. Yutian Minfeng


m
ire

La Transtaklamakane, nous dit-on, fut la première Qinghai

au monde à traverser un grand désert. Au sens strict Xizang


(mais il faudrait y ajouter les routes qui y conduisent),
elle court sur 520 kilomètres entre Luntai, son point de - de 1 000 m Route principale Lac
entre 1 000Tet 1 500 m Autoroute Désert de sable
départ au piémont du Tianshan, et Minfeng, son point ra
+ 1 500 m ns Cours d’eau
d’arrivée au piémont du Kunlun (fig. 1). Depuis l’an Glacier him Cours d’eau asséché
0 200 km
ala
ya
dernier, une seconde Transtaklamakane est venue la © L’Espace géographique, 2009 (awlb).

doubler, plus à l’ouest, entre Aral et Khotan ; mais


Fig. 1/ Taklamakan
celle-ci est moins impressionnante : comme elle longe

@ EG
2010-1
89
le lit majeur du Hetian He (un affluent du Tarim) qui, par
intermittences, traverse lui aussi le désert, la végétation n’est
là jamais totalement absente. De loin en loin, ce sont des
tamaris et des peupliers de l’Euphrate (Populus diversifolia),
chacun perché par le vent au sommet d’une petite butte
formée par ses racines. La première Transtaklamakane, elle,
traverse ce qui est vraiment la « mer de la mort » (si hai, nom
de ces régions dans la Chine ancienne) : un erg aux dunes
mouvantes, sans rien d’autre que ce sable poussiéreux qui
s’élève au moindre souffle, faisant du ciel, quasi en perma-
nence, un couvercle jaunâtre (photo 1). Au crépuscule à
Tazhong, on se croirait sur la planète d’Alien.
Dans ce milieu-là, construire et surtout entretenir une
Photo 1/ Au-delà de la bande verte route était une gageure. Le sable ne cesse en effet d’envahir
l’asphalte, et en cas de tempête, quelques heures suffisent pour
que la route soit effacée par les dunes. Il fallait donc trouver un
moyen de fixer le sable, et les fascines n’y suffisaient pas.
La chance du Taklamakan, ce furent les formidables
barrières montagneuses qui le cernent sur trois côtés :
Kunlun, Karakoram, Pamir, Tianshan. Leurs glaciers entre-
tiennent une nappe souterraine qui, même au centre du
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désert, n’est jamais à plus de trente mètres. C’est ce qui a

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inspiré la solution : aménager de chaque côté de la route une
bande verte d’une quarantaine de mètres, irriguée par la
nappe (photo 2). Les stations de pompage sont espacées de
4 kilomètres, et de l’une à l’autre courent, de chaque côté de
la chaussée, vingt tuyaux de caoutchouc noir percés à chaque
mètre de deux petits trous, dont le goutte-à-goutte entretient
Photo 2/ La bande verte de la Transtaklamakane la vie d’un arbuste ; principalement des tamaris (chen liu), des
jujubiers (shaguai zao), et des haloxylons (suo suo).
À chaque station, une maisonnette au toit rouge et aux
murs bleus (les couleurs de Petrochina) loge un couple d’employés chargés de l’entretien
de la pompe, qui est mue par un diesel. Au milieu des dunes, c’est une vie de gardien de
phare, pour laquelle on est bien payé : 800 yuans (80 euros) de salaire mensuel par
personne. Monsieur Zhao Yueying (58 ans) et son épouse Zhang Xiaolei (56 ans)
entretiennent, d’avril à octobre, la station 104. L’hiver, tout le système s’arrête à cause
du gel. Ils retournent alors sur leur exploitation, dans l’oasis de Minfeng, qui autrement
est tenue par leur fils. À la station, le confort est minimal. Pas de télévision, mais on peut
téléphoner et recevoir du courrier. Pour varier le menu, on peut attraper des lapins, qui
sont étonnamment nombreux.
Quant à eux, les moustiques pullulent. Mauvaise surprise pour le visiteur, au
milieu du désert ! Mais c’est l’écosystème de la bande verte… On s’interroge aussi sur
l’avenir de ce tour de force : n’est-ce pas utiliser beaucoup d’eau pour le seul bénéfice,
ou presque, des camions de Petrochina ? Mais qu’à cela ne tienne ! Un exploit reste un
exploit, cela ne se discute pas. Et le nom de madame Chang Qing, après tout, ne
signifie-t-il pas : éternellement vert ?
Urumqi, 10 juillet 2009.

© L’Espace géographique 90

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