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I.

Rouge éphémère : pudor et beauté féminins


Le rouge parsema très tôt les visages20, comme il continue de le faire aujourd’hui. En effet,
il est apprécié des femmes qui en usent dans leur maquillage, leurs bijoux, leurs vêtements21 …
D’ailleurs, les femmes auraient une meilleure perception de la couleur que les hommes, là où
ceux-ci considèreraient la couleur comme accessoire22. La présence du rouge sur le corps
féminin, et en particulier le visage, s’explique pour deux raisons principales : les manifestations
du pudor et de la beauté.

La rougeur, notamment des joues, est ce qui caractérise la jeune fille nubile. Or, elle peut
rougir pour plusieurs raisons. Cette rougeur est à rapprocher du pudor, caractéristique féminine
qui constitue une preuve de vertu. La notion de pudor est multiple et concerne plusieurs
catégories de femmes, selon diverses mesures et particularités. Sur la base du travail d’Héloïse
Malisse23, nous pouvons distinguer trois catégories de femmes :

- les uirgines, jeunes filles de bonne famille qui doivent conserver leur virginité
physiologique jusqu’au mariage ;

- les puellae, jeunes filles d’un milieu social moins élevé qui peuvent se permettre des
aventures en-dehors du cadre conjugal ;

- et les matronae, femmes mariées, de rang social élevé, qui se doivent de rester fidèles à leur
époux.

Les manifestations et les enjeux du pudor diffèrent donc entre ces trois types de femmes. Nous
nous intéresserons particulièrement aux uirgines, présentes dans la majorité de nos occurrences
sur le sujet et les plus emblématiques de cette notion.

Tout d’abord, tentons de définir le pudor.

20
Michel Pastoureau, Rouge, histoire d’une couleur, Paris, Seuil, 2019, p. 19.
21
Ibid, p. 54.
22
Jacques André, Etudes sur les termes de couleur dans la langue latine, Paris, Klincksieck, 1949, p. 10.
23
Héloïse Malisse, « Le pudor féminin dans les œuvres ovidiennes ou un aperçu du comportement idéal d’une
Romaine selon Ovide », Revue belge de philologie et d'histoire, 92, 1, 2014, pp. 71-101.

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Dans son étude des dérivés latins dont le suffixe est –or, H. Quellet24, classe pudor
parmi les termes qui expriment un phénomène psychophysiologique, affectif ou
mental, tel que amor, dolor, honor, ou encore terror25.

Ceci étant dit, quels sens peut-il couvrir ? Gaffiot nous propose :

- ‘sentiment de pudeur, de honte, de réserve, de retenue, de délicatesse, de timidité’,

- ‘sentiment moral’, ‘moralité’, ‘honneur’,

Parmi les sens qui peuvent nous intéresser. Nous nous en remettons à la synthèse d’Héloïse
Malisse qui cite les sens donnés par Jean-François Thomas26 :

L’auteur a ainsi réparti les différents sens de pudor comme suit : « sentiment de
l’honneur », « scrupule, timidité, modestie », « respect », « pudeur », tous quatre
attestés depuis Plaute, et ensuite « sentiment de honte », « cause de sentiment de
honte », « déshonneur », « action de faire honte, humiliation » et « honorabilité,
honneur »27.

Notre étude ne porte pas sur le pudor mais sur son traitement littéraire par des termes
chromatiques. Aussi, les termes pudor, pudicitia28 ou pudere29 ne font pas partie de notre relevé.
Nous nous concentrerons sur les termes de couleur exprimant l’une ou l’autre nuance de pudor,
distinguées comme suit :
- les émotions et le sentiment amoureux, exprimant un état passager, rendus par les verbes
rubere et erubescere ;

- la pudeur, la chasteté, propres à la uirgo, traduits par le substantif rubor, oris, m, ou


l’adjectif purpureus, a, um, éléments que nous considérons comme le pudor à proprement
parler.

À noter que les émotions, et donc les verbes, occupent une place majoritaire dans notre corpus.

24
Henri Quellet, Les dérivés latins en –or. Étude lexicographique, statistique, morphologique et sémantique,
Paris, 1969, pp. 152 et 186.
25
Héloïse Malisse, « Le pudor féminin dans les œuvres ovidiennes ou un aperçu du comportement idéal d’une
Romaine selon Ovide », Revue belge de philologie et d'histoire, tome 92, fasc. 1, 2014, p. 71.
26
Jean-François Thomas, Déshonneur et honte en latin : étude sémantique, Louvain, Peeters, 2007, pp. 328-330.
27
Héloïse Malisse, « Le pudor féminin dans les œuvres ovidiennes ou un aperçu du comportement idéal d’une
Romaine selon Ovide », Revue belge de philologie et d'histoire, tome 92, fasc. 1, 2014, p. 72.
28
Sens donnés par Félix Gaffiot : ‘pudicité’, ‘chasteté’, ‘pudeur’.
29
Sens donnés par Félix Gaffiot : ‘avoir honte’, ‘causer de la honte’.

7
1. Le pudor féminin : des émotions au statut social
L’émotion se caractérise par sa brièveté, marquée par l’emploi de verbes. Nous ne tiendrons
pas compte dans cette partie de la tripartition féminine évoquée plus haut : les personnages cités
ne sont pas nécessairement des uirgines, la honte ou la gêne, dans la dimension abordée ici,
n’étant pas leur apanage.

A. La honte
Il n’est pas toujours aisé de distinguer la honte de la gêne. Selon le Trésor de la Langue
Française informatisé (TLFi), la honte marque un « effet d'opprobre entraîné par un fait, une
action transgressant une norme éthique ou une convenance (d'un groupe social, d'une société)
ou par une action jugée avilissante par rapport à la norme (d'un groupe social, d'une société) ».
Autrement dit, la honte revêt une dimension humiliante face à une situation donnée.

Nous allons donc étudier différentes situations dans lesquelles les personnages féminins
sont confrontés à la honte et la façon dont celle-ci se manifeste.

Avant toute chose, un petit point étymologique et grammatical s’impose. Au cours de


notre étude, nous introduirons chaque terme chromatique lors de sa première apparition. Nous
commencerons par le terme rubere et ses nombreux composés. Le latin hérite de deux racines,
l’une indo-européenne (IE), *reudho-30, l’autre proto-italique (PI), *ruþro-, puis *rutsto- et
donnant les formes dialectales de rufrer31. Le latin ruber correspond au grec ἐρυθρός hérité de
la racine proto-indo-européenne (PIE) *h1rudh-ro-32. Ruber exprime le rouge sans nuance
précise33. Au niveau des sens des verbes, nous pouvons distinguer rubere, verbe d’état : la
personne est rouge ; et erubescere, inchoatif : la personne devient rouge. Le préverbe ex-, élidé
devant consonne, traduit un intensif et une manifestation extérieure. Au parfait, il exprime le
résultat d’une action passée : la personne est devenue rouge.

30
Alfred Ernoult et Antoine Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine : histoire des mots, Paris,
Klincksieck, 1951.
31
Michiel de Vann, Etymological Dictionnary of Latin and the Other Italic Languages, Leyde, Brill, 2016.
32
Ibid.
33
Jacques André, Etudes sur les termes de couleur dans la langue latine, Paris, Klincksieck, 1949, p. 75.

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Ovide, pourtant favorable aux artifices auxquels les femmes ont recours pour s’embellir,
déplore l’acharnement dont a fait preuve sa maîtresse pour ses coiffures, ayant précipité la chute
de ses cheveux.

O quam saepe comas aliquo mirante rubebis,


Et dices « empta nunc ego merce probor ; (OV. am. 1, 14, 47-48)
Combien de fois, lorsqu’on admirera ta chevelure, tu rougiras,
disant : « C’est pour une marchandise achetée que l’on me loue aujourd’hui, moi !

Cette réaction est due à la honte éprouvée, voire au regret de la jeune femme qui a perdu ses
cheveux naturels à force de teintures et de coiffures sophistiquées. Elle a désormais recours à
une perruque mais rougit d’en être complimentée puisqu’elle sait que ce n’est pas sa vraie
chevelure. L’emploi de rubere, conjugué au futur, marque une projection, une conséquence sur
le long terme ; appuyé par quam saepe, à valeur itérative, elle rougira à chaque fois que
quelqu’un louera sa fausse chevelure. Le rouge marque un changement d’état – d’esprit : elle
n’avait pas de quoi rougir de honte tant qu’elle conservait ses cheveux naturels, mais désormais,
elle paiera les conséquences de leur chute.

Nous pouvons nous demander si le rouge, ici la rougeur, ne serait pas également une
preuve de trahison du naturel, de mensonge. En effet, le fait de rougir de honte dans ce contexte
manifeste un décalage entre la réalité sue par le sujet qui rougit et ce qui est visible, compris
par les autres.

Dans un autre contexte, mais où il est également question de honte, l’histoire d’Acontius
et Cydippe nous offre une alternance de rubere et d’erubescere dans les deux dernières lettres
des Héroïdes, marquant un changement de situation, le point de bascule de l’action. En séjour
à Délos, Acontius s’éprend de Cydippe qui est déjà promise à un autre homme. Il lui fait
parvenir une pomme sur laquelle il a écrit jurer de l’épouser et prend Diane à témoin. Cydippe
lit le texte à haute voix près du temple de Diane. Or cette parole fait office de serment, est
presque performative : elle est alors doublement engagée. Les occurrences ci-après décrivent le
moment de la lecture :

Quid pudor ora subit ? nam, sicut in aede Dianae,


Suspicor ingenuas erubuisse genas. (OV. epist. 20, 5-6)
Pourquoi la honte envahit-elle ton visage ? Car tes joues pudiques,
J e le soupçonne, ont rougi, comme dans le temple de Diane.

9
Adfuit et uidit, cum tu decepta rubebas,
Et vocem memori condidit aure tuam. (OV. epist. 20, 99-100)
[Diane] était là, elle t’a vue, lorsque, désabusée, tu rougissais,
et grâce à ses oreilles, elle a gardé en mémoire tes paroles34.

Nomine coniugii dicto confusa pudore


Sensi me totis erubuisse genis
Luminaque in gremio ueluti defixa tenebam,
Lumina propositi facta ministra tui. (OV. epist. 21, 111-114)
Au mot de mariage que j’avais prononcé, confuse de honte,
je me sentis rougir de tout mon visage,
et je tenais mes yeux comme rivés sur mon sein,
ces yeux qui s’étaient faits les ministres de ton projet.

Dans la première comme dans la dernière occurrence, Cydippe ‘était devenue rouge’, si nous
souhaitons conserver la valeur inchoative d’erubescere au passé, ici à l’infinitif parfait, rougeur
due à son émotion à la lecture ; tandis que dans la deuxième, ‘elle rougissait’ : l’imparfait est
davantage descriptif et indique que le procès est pris en cours et non à son principe. Le moment
où elle rougit est le paroxysme de l’action et là où tout se joue. Il cristallise tous les éléments
précédemment cités, dont le plus important est le double engagement. La question est donc de
savoir ce que Cydippe va faire de cette situation et de son inconfort : sa rougeur témoigne d’une
lutte intérieure, d’une inadéquation entre ce que sa famille attend d’elle et le respect qu’elle doit
à Diane. Il s’agit d’un conflit de valeur somatisé : sa rougeur est également un signal d’alerte.
En n’y prêtant pas attention, les symptômes s’intensifient jusqu’à la rendre véritablement
malade35. Le souci est non plus le dilemme auquel elle est confrontée mais le refus d’honorer
l’engagement pris par inadvertance. Ainsi son corps est à la fois messager de cet
inaccomplissement de la parole donnée et victime des maux qu’elle souffre, dans le but de
l’inciter à s’acquitter de son engagement auprès d’Acontius et de Diane. En effet, seul son
mariage avec Acontius pourra la sauver.

Jacques André explique que lorsqu’il est suivi d’un ablatif ou d’un infinitif, erubescere
signifie ‘avoir honte’ et devient un synonyme de pudere. Il précise également qu’erubescere

34
Traduction personnelle.
35
OV. epist. 21, 15-16 et 47-50.

10
est à l’origine un terme de prose, – bien qu’il soit peu employé, les auteurs lui préférant pudere
– et le poète qui en use le plus est Ovide, ce qui est confirmé par les occurrences du corpus36.

Les passages évoquant Callisto et Byblis sont à rapprocher de ce pudor lié à la honte
mais relèvent d’un cas un peu à part comme l’explique Héloïse Malisse37. Elle appelle cela le
‘pudor par usurpation’. En effet, Callisto rougit d’être appelée uirgo car elle ne correspond plus
à cette définition, tout comme Byblis rêve de commettre l’inceste avec son frère, considéré
comme sacrilège et donc impropre à la société, qui n’attend pas cela d’elle. Nous retrouvons
l’idée développée plus haut d’une rougeur manifestation de trahison et de mensonge, ici
davantage sociale que naturelle.

Callisto, proche compagne de Diane, ayant fait vœu de chasteté, est abusée par Jupiter
et porte la honte de cet attentat qu’elle ne parvient pas à dissimuler.

« Hic », ait « in silua, uirgo Tegeaea, lauemur ! »


Erubuit falso uirginis illa sono. (OV. fast. 2, 167-168)
[Diane] dit : « Baignons-nous ici, en forêt, vierge de Tégée » ;
celle-ci rougit au mot de vierge qui sonnait faux. »

Même verbe dans les Métamorphoses :

(…) « Procul est » ait « arbiter omnis ;


nuda superfusis tingamus corpora lymphis. »
Parrhasis erubuit ; cunctae uelamina ponunt ;
una moras quaerit ; dubitanti uestis adempta est,
qua posita nudo patuit cum corpore crimen. (OV. met. 2, 458-462)
(…) « Nous sommes, dit [Diane], loin de tout témoin ;
quittons nos vêtements et plongeons-nous dans le courant de ce ruisseau. »
La Parrhasienne se mit à rougir ; toutes se dépouillent de leurs voiles ;
une seule se fait attendre ; tandis qu’elle hésite, on détache sa robe ;
la robe rejetée, son corps à nu étale sa faute au grand jour38.

36
Jacques André, Etudes sur les termes de couleur dans la langue latine, Paris, Klincksieck, 1949, pp. 77-78.
37
Héloïse Malisse, « Le pudor féminin dans les œuvres ovidiennes ou un aperçu du comportement idéal d’une
Romaine selon Ovide », Revue belge de philologie et d'histoire, tome 92, fasc. 1, 2014, pp. 90-91.
38
Traduction légèrement modifiée.

11
La rougeur de Callisto résulte de son émotion alors qu’elle est prise sur le fait, une première
fois de par sa réaction lorsque la déesse l’appelle uirgo, la seconde lorsqu’elle sait que la vue
de son ventre nu et arrondi trahira sa perte de virginité. Dans les deux situations, elle ‘se met à
rougir’, soit sous le coup de l’émotion, passagère, bien qu’elle risque de porter sa honte
quelques temps. Elle rougit du fait de l’inadéquation entre les attentes d’autrui et sa situation
réelle. La réaction cutanée résulte des mots de Diane. Là encore, le rouge apparaît lors d’une
tension dramatique, et marque le passage entre la reconnaissance et la déchéance sociale de
Callisto par Diane.

Byblis quant à elle, fantasme sur son propre frère, sans pour autant accomplir l’inceste.

Spes tamen obscenas animo demittere non est


ausa suo uigilans ; placida resoluta quiete
saepe uidet quod amat ; uisa est quoque iungere fratri
corpus et erubuit, quamuis sopita iacebat. (OV. met., 9, 468-471)
Cependant elle n’ose ouvrir son âme à d’impures espérances, tant qu’elle
est éveillée ; mais souvent, quand elle s’abandonne à un doux repos,
elle voit l’objet aimé ; il lui a même semblé que son corps s’unissait à celui
de son frère et elle en a rougi, quoiqu’elle fût assoupie dans sa couche.

Même dans son sommeil Byblis a conscience du nefas, de l’impiété et de l’aspect contre-nature
de ses pensées. Cela prouve le caractère sacrilège de ses rêves, qui, bien qu’ils ne soient pas
réalisés, font rougir la jeune fille car elle sait que l’inceste n’est pas permis. Dans ce cas, le
pudor agit comme un inhibiteur qui empêche de transgresser certaines règles, mais marque
aussi une culpabilité, même si elle n’est qu’en pensée39. Le rouge fait donc la démarcation entre
le socialement admis et les fantasmes. Ici aussi la rougeur est prise à sa racine, elle commence
à rougir lorsque des images obscènes lui apparaissent et nous pouvons supposer que le
processus s’intensifie durant son sommeil.

Contrairement à Byblis, Canacée consomme son amour avec son frère, Macarée. Malgré
sa pudeur et l’interdit, Canacée a commis l’inceste. Sa nourrice comprend, par son

Héloïse Malisse, « Le pudor féminin dans les œuvres ovidiennes ou un aperçu du comportement idéal d’une
39

Romaine selon Ovide », Revue belge de philologie et d'histoire, tome 92, fasc. 1, 2014, p. 72.

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comportement, qu’elle est transie d’amour. Mais cette relation n’est pas permise. De plus, elle
attend un enfant de son frère.

prima mihi nutrix « Aeoli, dixit, amas. »


Erubui, gremioque pudor deiecit ocellos ;
Haec satis tacita signa fatentis erant. (OV. epist. 11, 35-36)
Ma nourrice, la première, me dit : « Fille d’Éole, tu aimes. »
Je rougis ; la pudeur abaissa mes yeux vers mon sein.
Ces signes, avec mon silence, suffisaient comme aveu.

Sa rougeur traduit la honte qu’elle éprouve de sa faute et de sa situation en même temps qu’elle
marque une bascule, comme si l’aveu tacite à sa nourrice ne rendait l’affaire que plus réelle et
lui faisait prendre conscience des bouleversements de l’ordre naturel et des changements de
statuts sociaux en jeu : de jeune fille et sœur à concubine et future mère. En effet, juste avant,
elle décrit son état valétudinaire40 et par la suite, elle fait part des moyens mis en place pour
tenter un avortement inefficace41.

Il est un aveu plus prolixe mais pas moins assassin. Lucrèce est un modèle de vertu, de
pudor mais cette chasteté a été entachée par Tarquin.

Quaeque potest narrat ; restabant ultima : fleuit,


et matronales erubuere genae. (OV. fast. 2, 827-828)
Elle raconte autant que possible ; restait le pire : elle se mit à pleurer
et les joues de cette grande dame s’empourprèrent.

Ainsi Lucrèce rougit de ce que Tarquin lui a fait et a honte d’en raconter les détails.
Contrairement aux exemples précédents, sauf le premier, Lucrèce n’est pas une uirgo mais une
matrona, une femme très respectable que Tarquin a violée. Erubuere est une forme syncopée
pour erubuerunt, accordée avec genae, les joues. Or ce n’est plus elle qui rougit mais ses joues :
serait-ce pour marquer le triple traumatisme : physique, psychique et social – le déshonneur du
viol la rendant socialement déchue – ? Pour noter qu’elle ne s’appartient plus ? Qu’elle a perdu
toute dignité, et qui justifie son suicide ? Dans les occurrences traitées précédemment, les jeunes
filles pouvaient rougir malgré elles ou bien en conscience mais elles étaient bien sujet de
l’action – erubuit. Ici une dissociation corps/esprit semble s’opérer car seul son corps a subi

40
OV. epist. 11, 29-32.
41
OV. epist. 11, 41-46.

13
l’offense tandis que son esprit reste indemne, fidèle à son époux, puisqu’elle n’était pas
consentante. De plus, nous pouvons imaginer que ses joues rougissent à mesure qu’elle parle,
la parole ravivant son vécu traumatisant qu’elle a honte de révéler. La parole une fois libérée et
les joues empourprées, elle scelle son destin en se donnant la mort. Par ce geste, elle punit ce
corps tout en prouvant que sa fidélité reste intacte. Sa rougeur marque donc une tension
dramatique : que va-t-elle en faire ?

En plus d’exprimer une émotion, le terme chromatique témoigne d’un point précis
marquant un changement. La honte n’est plus simplement une émotion mais un indicateur, un
élément déclencheur voire un point culminant, une tension dramatique, autant d’éléments
auxquels il convient de prêter attention et d’utiliser à bon escient, de choisir d’en faire quelque
chose ou non car cette manifestation physique est visible de l’extérieur pour une raison : aller
au bout de son serment comme Cydippe, agir contre ses pulsions comme Byblis, ou sauver son
honneur comme Lucrèce …

B. La gêne
La gêne, selon le deuxième sens usuel donné par le TLFi, est une « situation embarrassante,
désagréable, imposant une contrainte à quelqu'un ; [un] obstacle empêchant le développement
de quelque chose ». Il s’agit donc d’une situation embarrassante mais dans laquelle le
personnage ne semble pas nécessairement être avili.

Hélène, mariée à Ménélas, roi de Sparte, et, selon la tradition homérique, enlevée par Pâris,
prince Troyen est à l’origine de la guerre de Troie et souvent citée comme l’antithèse de
Lucrèce bien que dans les Héroïdes, elle reste chaste :

Et saepe extimui, ne uir meus illa uideret,


Non satis occultis erubuique notis. (OV. epist. 17, 85-86)
Souvent j’ai craint que mon époux ne les vît,
et j’ai rougi de ces signes trop peu cachés.

L’embarras d’Hélène est compréhensible : Pâris la courtise devant Ménélas qui ne voit rien.
Elle n’est pas indifférente à Pâris mais elle se refuse à lui car elle tient à préserver sa vertu. Sa
rougeur témoigne de ses scrupules, du respect envers elle-même et son époux, et permet aussi

14
de l’empêcher de violer cet interdit malgré son désir. Sa rougeur la place dans un entre-deux
inconfortable : rester fidèle à son époux ou donner libre cours à ses pulsions charnelles.

Hélène connaît le mariage et a les clés pour préserver sa vertu, son statut de matrona l’y
aidant, l’y obligeant, même si selon la tradition la plus courante, elle s’enfuit avec Pâris. Il n’en
est pas de même pour cette puella qui fréquente le poète et que Dipsa, une lena42 magicienne,
tente de corrompre en l’incitant à tirer profit de ses relations :

Erubuit. « Decet alba quidem pudor ora, sed iste,


Si simules, prodest ; uerus obesse solet. (OV. am. 1, 8, 35-36)
Mon amie rougit. « La pudeur sied à la blancheur du teint ; mais elle n’est utile
que si elle est feinte ; sincère, elle est presque toujours nuisible.

La jeune fille rougit, du fait de la gêne très probablement : Dipsa vient de lui apprendre qu’elle
plaît à un riche jeune homme, ce qui est bon pour leurs affaires. Elle la manipule tout en voulant
lui apprendre l’art de la feinte et l’invite à préférer les richesses aux origines sociales. Cette
rougeur serait-elle un signe physique pour marquer son embarras et sa réserve quant à ce que
lui raconte Dipsa, comme une alerte de sa malveillance ? Nous retrouvons également le teint
blanc, alba ora, opposé à la rougeur, caractéristiques de la puella. Le blanc et le rouge
s’opposent autant qu’ils se complètent. Ensemble, ils offrent une image positive, claire,
brillante. Mais le blanc, symbole de pureté, est aussi en quelques sortes entaché par le rouge,
qui peut être la vie mais aussi la blessure, la souillure, la faute … Ainsi la rougeur de ces puellae
peut signifier la perte de leur vertu.

A l’inverse de Dipsa qui veut corrompre la jeune fille, Pygmalion tend à créer une chaste
vierge, objet de ses désirs.

Tum uero Paphius plenissima concipit heros


uerba, quibus Veneri grates agat ; oraque tandem
ore suo non falsa premit ; dataque oscula uirgo
sensit et erubuit timidumque ad lumina lumen
attollens pariter cum caelo uidit amantem. (OV. met. 10, 290-294)
Alors le héros de Paphos adresse à Vénus

42
Entremetteuse, proxénète.

15
de longues actions de grâce ; sa bouche presse
enfin une bouche véritable ; la jeune fille a senti les baisers
qu’il lui donne et elle a rougi ; levant vers la lumière un timide
regard, elle a vu en même temps le ciel et son amant.

Galatée rougit pour de diverses raisons. Tout d’abord, c’est elle-même qui rougit et non une
partie de son corps, comme pour Lucrèce : elle est désormais dotée de conscience, mais surtout
de vie. La coloration de sa chair, jusque là blanche car taillée dans l’ivoire révèle son animation.
En effet, Galatée est très certainement en vie du fait d’une métempsychose à la suite du sacrifice
des génisses43. De plus, une génisse, iuuenca, est un animal vierge, comme Galatée, qualifiée
de uirgo, ce qui peut également expliquer sa rougeur, un rubor virginal. De plus, les baisers
donnés par Pygmalion ont un effet créateur qui insufflent la vie à la statue, comme parachevant
la métempsychose, lui permettant de respirer à son tour. Or, le fait que son créateur l’embrasse
et la touche non plus comme une statue qu’il modèle mais comme une femme qu’il aime, peut
la faire se sentir mal à l’aise, gênée de cette intimité, d’autant qu’elle intègre en même temps
qu’elle s’anime des notions de vertu, de chasteté. De fait, la rougeur manifeste une sexualité en
construction : Galatée est non seulement vivante, humaine, mais femme, pourvue d’un corps
désiré et désirant. Un dernier élément qui peut expliquer ses joues empourprées est l’amour. Il
est possible que comme son créateur s’est épris d’elle, elle s’en soit éprise à son tour, aimée
comme elle l’était du sculpteur, d’autant qu’elle est vivante grâce au bon vouloir de Vénus,
déesse de l’amour. Le rouge opère une fonction dans le processus de transformation ou de
métamorphose comme nous le verrons plus tard : il marque le changement d’état, ici, de
l’immobilité à l’animation.

C. Tout feu, tout flamme : le sentiment amoureux


Le rouge est aujourd’hui une couleur communément symbole d’amour et d’érotisme, en
témoignent les cœurs rouges, les roses rouges offertes à l’être aimé lors de la Saint-Valentin par
exemple. Ce n’était pas le cas dans l’Antiquité où elle était davantage couleur de la guerre –
Mars – même si tout ce qui se rapporte à Vénus est rouge44. Il n’est donc pas si étonnant que
cette couleur renvoie à l’amour même si ce n’est pas sa symbolique première, de même qu’elle
désigne des émotions, comme nous l’avons vu précédemment.

43
OV. met. 10, 270-280.
44
Jacques André, Etudes sur les termes de couleur dans la langue latine, Paris, Klincksieck, 1949, p. 99.

16
La passion de Médée pour Jason marque un tournant dans sa vie, dans son comportement :
auparavant décrite comme une uirgo tout à fait respectable45, elle va peu à peu devenir le
personnage que nous connaissons au contact de l’Argonaute.

et iam fortis erat pulsusque resederat ardor,


cum uidet Aesoniden, exstinctaque flamma reluxit ;
erubuere genae totoque recanduit ore,
utque solet uuentis alimenta assumere, quaeque
parua sub inducta latuit scintilla fauilla
crescere et in ueteres agitata resurgere uires,
sic iam lenis amor, iam quem languere putares,
ut uidit iuuenem, specie praesentis inarsit ;
et casu solito formosior Aesone natus
illa luce fuit ; posses ignoscere amanti. (OV. met. 7, 76-85)
déjà elle est plus forte, elle avait réussi à chasser loin d’elle
la passion qui lui brûlait le cœur, quand elle aperçoit devant elle
le fils d’Éson ; aussitôt ses feux éteints se rallument ;
ses joues se couvrent de rougeur et de nouveau tout son visage s’enflamme ;
comme une légère étincelle, cachée sous un amas de cendre, s’alimente
au souffle du vent, se développe et retrouve dans cette excitation
ses forces premières, ainsi l’amour de Médée, qui se ralentissait
et semblait languir, soudain, en présence du jeune homme, s’embrase,
à la vue de ses charmes ; et en effet le hasard a voulu que le fils d’Éson
fût, ce jour là, plus beau que jamais ; son amante avait des excuses.

La métaphore du feu est un motif littéraire récurrent pour évoquer cette affection. Il symbolise
aussi bien la vie que la destruction46 et c’est ce qui s’opère en Médée à cet instant : la présence
de Jason est aussi bien source de vie qu’annonciatrice de sa chute. Comme pour Lucrèce, ce
sont ses joues qui rougissent : à partir du moment où la passion l’a gagnée, elle n’est plus
maîtresse d’elle-même et son corps trahit ses sentiments. Cette réaction imprime une transition,
un changement radical dans la vie de Médée.

45
OV. met. 7, 17 et 21.
46
Michel Pastoureau, Rouge, histoire d’une couleur, Paris, Seuil, 2019, p. 29.

17
Virgile use aussi de la métaphore du feu pour décrire les sentiments de Lavinia envers
Turnus :

accepit uocem lacrimis Lauinia matris


flagrantis perfusa genas, cui plurimus ignem
subiecit rubor et calefacta per ora cucurrit.
Indum sanguineo ueluti uiolauerit ostro
Si quis ebur, aut mixta rubent ubi lilia multa
alba rosa, talis uirgo dabat ore colores. (VERG. Aen. 12, 64-69)
Lavinia accueillit avec des larmes les paroles de sa mère,
inondant ses joues brûlantes ; une vive rougeur
y fit monter un feu, chaleur courant sur son visage.
Ainsi un artiste teinte l’ivoire indien du sang de la pourpre,
ainsi, mêlés à des bouquets de roses, rougissent de blancs lis,
telles les couleurs sur les traits de la jeune fille.

Dans la même veine que pour Médée, le rubor de Lavinia marque une transformation
notamment par le terme uiolauere qui signifie ‘altérer’ et a donné les mots ‘viol’ et ‘violence’
par exemple. Cette manifestation agit comme un moteur : elle souhaite voir gagner Turnus et
l’épouser. Ce sentiment transforme Lavinia, et en particulier son innocence, sa chasteté. En
effet, le terme sanguineus décrit le sang coulant dans les veines, donc symbole de vie, et ici
plus spécifiquement de sexualité naissante. Cet afflux sanguin au niveau des joues n’est pas
sans rappeler celui qui s’opère également au niveau du sexe féminin en proie au désir. De par
les comparaisons qui sont faites, la rougeur, manifestation du désir sexuel, semble comme
corrompre la blancheur virginale, innocente, de son teint, se fondant même, jusqu’à être
mélangée en devenant plus rose que rouge. Le verbe rubere offre une image très actuelle et
visuelle : les lis blancs rougissent immédiatement au contact des roses. Ces comparaisons ont
été relevées par les grammairiens, notamment Donat :

Per admirabilem parabolam Laviniae vultus ostenditur47.


On présente le visage de Lavinia par une prodigieuse comparaison48.

De plus, la comparaison de ce sang à la pourpre, ostrum, n’est pas anodine et peut traduire
l’appartenance royale de Lavinia, fille du roi Latinus. Le terme ostrum est un dérivé de l’adjectif
ostrinus, ‘de pourpre’, lui-même hérité des substantifs grecs ὄστρεον et ὄστρειον, désignant à

47
Tiberius Claudius Donatus, Interpretationes Virgilianae, 2, 12, 19.
48
Traduction personnelle.

18
la fois l’huître – ayant donné ostréiculture – ou le coquillage mais aussi la pourpre qui en est
issue. Ces termes sont très proches du mot ὀστέον, ‘os’.

D. Rubor et pudor uirginis : de l’enfance au mariage


Le pudor uirginis en tant que tel, dépourvu d’émotion mais marquant un état relativement
durable trouve un premier exemple chez Catulle qui peut être interprété de différentes manières.

ut missum sponsi furtiuo munere malum


procurrit casto uirginis e gremio
quod miserae oblitae molli sub ueste locatum
dum aduentu matris prosilit excutitur
atque illud prono praeceps agitur decursu
huic manat tristi conscius ore rubor. (CATULL. 65, 19-24)
comme une pomme, présent furtif envoyé par un amant,
roule du sein d’une chaste vierge,
lorsque, sans songer qu’elle l’avait placée sous sa tunique moelleuse,
la pauvre enfant, se levant d’un bond à l’approche de sa mère, la laisse tomber ;
la pomme poursuit en avant sa course rapide ;
une rougeur consciente se répand sur son visage affligé49.

En effet, la uirgo semble vraiment très jeune et assez ignorante des relations, cachant
innocemment la pomme50 sous sa robe et ne parvenant pas à dissimuler longtemps cette
déclaration. Le terme rubor peut à la fois couvrir une forme de honte d’être surprise par sa mère
mais aussi son éventuel sentiment amoureux vis-à-vis du jeune homme. Il marque probablement
le passage de l’enfance à une nubilité nouvelle, désormais visible sur le visage de la jeune fille
qui se sait et se sent désirable et désirée.

Mais toutes les jeunes filles, malgré leur rougeur ne désirent pas attirer l’attention du
sexe opposé. Ainsi Jacqueline Fabre-Serris51 expose que le pudor uirginis est à rapprocher du
motif de la fuite. En effet, dans certaines situations, la jeune fille se refuse au mariage et sa

49
Traduction légèrement modifiée.
50
Présent faisant office de déclaration d’amour. Malum désigne à la fois le mal et la pomme : chercherait-elle à
cacher une faute ?
51
Jacqueline Fabre-Serris, Mythe et poésie dans les Métamorphoses d’Ovide : fonctions et significations de la
mythologie dans la Rome augustéenne, Paris, Klincksieck, 1995.

19
rougeur manifeste sa crainte de perte de virginité et donc de changement de statut social. La
déesse incarnant le plus ce refus de soumission au mariage est Diane, parfois évoquée comme
exemple par les jeunes filles. Ainsi Daphné s’en réclame, atteinte d’une flèche chassant l’amour
lancée par Cupidon, tandis qu’Apollon est touché par celle le faisant naître. Ainsi la nymphe
cherche à fuir.

pulchra uerecundo subfuderat ora rubore


inque patris blandis haerens cervice lacertis
« da mihi perpetua, genitor carissime, » dixit
« uirginitate frui: dedit hoc pater ante Dianae. » (OV. met. 1, 484-487)
elle imprègne son beau visage d’une respectable rougeur
et suspendue au cou de son père par ses bras caressants
« donne-moi de jouir, père bien-aimé, » dit-elle
« d’une virginité éternelle : son père l’a bien offert à Diane »52.

Daphné prend exemple sur Diane, qui a réclamé à Jupiter de n’être jamais ni mariée ni mère.
Ainsi, la rougeur de la jeune fille manifeste à la fois sa nubilité, autrement dit une période
transitoire entre l’enfance et l’âge adulte, la vie de petite fille et de celle d’épouse et son
éventuelle crainte des relations charnelles, la poussant à fuir et / ou à demander une grâce à son
père. Parfois, ce recours à la fuite se solde assez brutalement par un changement de forme –
Daphné devient laurier – ou suscite l’inverse de l’effet recherché et ne rend la jeune fille que
plus désirable.

Ainsi en est-il d’Atalante qui se refuse à tout homme. Elle les défie à la course et tue
tous ceux qu’elle vainc.

(…) tamen ille decorem


miratur magis ; et cursus facit ipse decorem.
Aura refert ablata citis talaria plantis
tergaque iactantur crines per eburnea quaeque,
poplitibus suberant picto genualia limbo ;
inque puellari corpus candore ruborem
traxerat, haud aliter, quam cum super atria uelum
candida purpureum simulatas inficit umbras. (OV. met. 10, 589-596)
(…) il admire plus que jamais

52
Traduction personnelle.

20
sa beauté ; et en effet la course l’embellit encore.
La brise emporte les liens de ses chevilles derrière ses pieds légers ;
on voit voltiger ses cheveux sur ses épaules d’ivoire et,
sous ses jarrets, les bandelettes, brodées d’une broderie, qui ornent ses genoux ;
et sa chair avait pris un incarnat sur sa blancheur
virginale, comme lorsque le vélum pourpré recouvre
de sa lumière feinte les blancs atriums53.

La course lui permettant de fuir le mariage découvre davantage son corps et n’en révèle que
plus sa beauté. Nous pouvons faire une double lecture de sa rougeur. En effet, elle peut rougir
sous l’effort mais l’emploi d’un verbe au plus-que-parfait – traxerat – exprimant une antériorité
laisse entendre qu’elle pouvait déjà être rougie. Ainsi, son rubor est un état durable transitoire
qui marque sa nubilité bien qu’elle ne veuille pas se marier et use de la fuite pour s’extraire de
cette situation.

Faisons un petit pas de côté pour terminer avec l’exemple d’Hippolyte. Ce jeune homme
se refuse au mariage, préférant la compagnie des animaux, voire des hommes, à celle des
femmes. La description qu’en fait Phèdre dans la lettre qui lui est adressée laisse une image
assez efféminée du personnage :

Candida uestis erat, praecincti flore capilli,


Flaua uerecundus tinxerat ora rubor, (OV. epist. 4, 71-72)
Blanc était ton vêtement ; des fleurs ceignaient tes cheveux ;
une chaste rougeur colorait ton teint hâlé ;

En effet, tout laisse penser que nous avons affaire à une jeune vierge : vêtement blanc, symbole
de pureté, couronne de fleurs dans les cheveux et joues rosées. Seul peut trahir sa masculinité
son ora flaua, son ‘teint hâlé’ qui indique qu’il passe ses journées dehors, contrairement aux
jeunes filles destinées à rester en intérieur et donc à conserver un teint blanc54.

53
Traduction modifiée.
54
Cf description d’Hermaphrodite, qui rappelle également Atalante : OV. met. 4, 329-330.

21
Ainsi les jeunes filles vivent une période transitoire durant leur puberté, imprimée sur
leur visage par leur rubor qui manifeste une évolution de l’enfance à l’âge adulte mais aussi le
passage de l’autorité du père à celle du mari. Le rubor est aussi ce qui rend la jeune fille
désirable, sa beauté lui permettant d’accéder au mariage. De plus, la rougeur est non seulement
signe de nubilité et de beauté mais également de bonne santé : la jeune femme est bien portante,
donc potentiellement fertile et susceptible d’engendrer une robuste descendance.

2. Beauté divine, beauté féminine

A. Le printemps de la vie : jeunesse et beauté féminine


Ce rubor, ce pudor uirginis sont signes d’un âge transitoire – la jeune fille n’est plus une
fillette mais pas encore tout à fait une femme – et de beauté, autant de caractéristiques
recherchées par les hommes. L’emploi de substantifs au lieu de verbes pour exprimer cette
caractéristique montre que la rougeur est présente quelle que soit la situation. En effet, elle ne
manifeste plus une émotion mais caractérise un état relativement durable bien qu’éphémère : la
beauté s’étiole avec l’âge bien qu’elle soit visible plusieurs années avant de s’effacer.

Le poète décrit une femme dont le parjure n’a pas entaché la beauté, qui semble
transcender les défauts, les erreurs du personnage.

Candida candorem roseo suffusa rubore


Ante fuit: niueo lucet in ore rubor. (OV. am. 3, 3, 5-6)
Auparavant son teint était d’une blancheur éclatante
et cet éclat était coloré de rose ; sur son visage de neige brille ce rose.

Il est explicitement question de la beauté de la jeune femme, davantage que de son pudor malgré
ses frasques. Le poète compare le teint blanc de sa peau saupoudrée de rouge à la neige.
L’association du rouge et du blanc n’est pas rare en poésie latine et donne une image positive,
lumineuse, comme nous l’avons déjà expliqué. La blancheur du teint est renforcée par la figure
étymologique candida candorem, suite de termes formés sur le même radical renvoyant à la
luminosité, l’éclat ; et l’adjectif niueus, formé sur le radical du substantif nix, niuis, f, ‘la neige’,
‘la blancheur’. Il exprime un blanc brillant, comme candidus, symbolisant la pureté et

22
l’innocence55. S’ajoute au substantif rubor l’adjectif roseus, formé sur le nom rosa, ‘la rose’. Il
qualifie seulement les nuances d’une variété de roses rouges, « allant du pâle au foncé »56.
André ajoute à la page suivante que cet adjectif est souvent employé comme épithète pour
désigner l’Aurore, les corps des déesses, des femmes mais également la jeunesse. De plus :

Il ne peut évidemment (…) s’agir que d’un rose très pâle, la teinte rouge du visage
étant en contradiction avec le canon de la beauté selon l’époque d’Auguste. Quant à
l’usage de roseus pour les lèvres, (…) on ne peut trancher entre le rouge et le rose.

Roseus n’a donc pas le sens exact du fr « rose », mais il en a la valeur affective.
C’est une nuance agréable et tendre, avec un rappel de la grâce de la fleur. Aussi
Catulle en use-t-il de préférence avec des diminutifs (…)57.

Pastoureau écrit également qu’il qualifie « les pommettes vermeilles d’une jolie jeune femme »
et précise en note qu’il s’agit d’un « beau rouge, vif et lumineux. La meilleure traduction en
français moderne est “vermeil” »58. Aussi n’est-il pas rare de le rencontrer principalement pour
décrire des jeunes femmes ou des déesses, comme nous le verrons plus tard.

La beauté, signe de bonne santé et de fertilité, est nécessaire à Cydippe et Acontius, qui
recommande à cette dernière d’en prendre soin. Il use de la même comparaison neigeuse :

Parce, precor, teneros corrumpere febribus artus :


Seruetur facies ista fruenda mihi ;
Seruentur uultus ad nostra incendia nati,
Quique subest niueo leuis in ore rubor. (OV. epist. 20, 119-122)
Garde-toi, je t’en prie, de gâter par la fièvre tes membres délicats ;
qu’elle soit préservée, cette beauté dont je dois jouir ;
qu’ils soient préservés, ces traits nés pour m’enflammer,
et cette tendre rougeur qui circule sous la neige de ton teint.

Concidimus macie ; color est sine sanguine, qualem


in pomo refero mente fuisse tuo ;
Candida nec mixto sublucent ora rubore ; (OV. epist. 21, 217-219)
Je succombe de maigreur ; ma couleur, dépourvue de sang, est
celle même – le souvenir m’en revient – qu’avait ta pomme. L’incarnat
ne se mêle pas à la blancheur de mon visage pour l’éclairer même faiblement ;

55
Jacques André, Etudes sur les termes de couleur dans la langue latine, Paris, Klincksieck, 1949, p. 40.
56
Ibid, p. 111.
57
Ibid, pp. 112-113.
58
Michel Pastoureau, Rouge, histoire d’une couleur, Paris, Seuil, 2019, pp. 60 et 198.

23
Acontius prie Cydippe de conserver le teint qui fait d’elle une belle jeune fille nubile et surtout
vivante. Mais elle répond que sa beauté n’est plus, qu’elle est sine sanguine : le sang circulant
dans le corps, porteur de vie, la quitte. Le serment non respecté est sur le point de la tuer.

De même pour Camille, pourtant connue pour sa grande activité à la chasse, lorsqu’elle
meurt sur le champ de bataille :

Labitur exsanguis, labuntur frigida leto


lumina, purpureus quondam color ora reliquit. (VERG. Aen. 11, 818-819)
Exsangue, elle va défaillir, défaillent ses yeux glacés par la mort,
le visage a perdu son teint, naguère pourpre.

Elle est décrite à l’inverse de ce qu’elle était autrefois : une belle jeune fille au teint rosé, comme
pour Cydippe, le sang l’a quittée – exsanguis. Dans ces deux exemples, le rouge est la touche
de vie avant la bascule dans la mort ou, dans la lettre d’Acontius, ce qui rend Cydippe digne de
changement de statut social. Il n’est plus question de rubor mais d’un teint pourpré, purpureus
color.

Purpureus est formé sur l’adjectif grec πορφύρεος et qualifie une couleur assez instable
et multiple, d’une grande polysémie aussi bien sur les plans chromatique que symbolique. Ceci
est notamment dû à l’utilisation de différents matériaux et procédés, exprimant toutes les
nuances de pourpre, « entre le rouge, le rose, le mauve, le violet et le noir, tout semble
possible »59 mais peut aussi ne pas porter de nuance chromatique et simplement signifier
‘brillant’ ou ‘beau’. À savoir que les tissus de cette couleur coûtaient cher à la fabrication et
étaient réservés à de riches clients, des empereurs, rois, généraux ou dames de bonne extraction.
Ainsi, la pourpre symbolise la richesse et le pouvoir. Mais ce terme s’emploie également dans
d’autres situations :

Purpureus se dit des lèvres (…), du teint qu’anime la pudeur (…), de l’Aurore (…)
Mais la nuance du rouge la plus fréquente est le rouge-sang60.
Il marque également l’éclat de la jeunesse et de la santé61. L’utiliser dans le contexte de la mort
de Camille révèle sa jeunesse ainsi que sa beauté déchues et souligne peut-être sa vaillance au
combat, dans son acception symbolique méliorative.

59
Michel Pastoureau, Rouge, histoire d’une couleur, Paris, Seuil, 2019, p. 48.
60
Jacques André, Etudes sur les termes de couleur dans la langue latine, Paris, Klincksieck, 1949, pp. 96-97.
61
Ibid, p. 98.

24
Si Camille perd ses couleurs dans la mort, certaines femmes usent d’artifices pour
correspondre aux critères de beauté.

Scitis et inducta candorem quaerere creta;


Sanguine quae vero non rubet, arte rubet. (OV. ars 3, 199-200)
Vous savez aussi vous donner un teint blanc en appliquant du fard ;
celle dont le sang ne fait pas rougir naturellement la peau la fait rougir artificiellement.

L’opposition blanc-rouge est là aussi frappante. L’emploi des verbes inducere, ‘recouvrir’, pour
le visage, et rubere, plus précisément pour les pommettes, peut laisser entendre l’aspect
éphémère du maquillage appliqué sur le visage et l’action nécessaire à la jeune femme qui doit
se maquiller : sa rougeur n’est pas naturelle mais bien artificielle.

Malgré les fards qu’elles utilisent pour se rendre belles, les femmes sont volontiers
comparées à des éléments naturels par leurs amants.

nec me tam facies, quamuis sit candida, cepit


(lilia non domina sunt magis alba mea;
ut Maeotica nix minio si certet Hibero,
utque rosae puro lacte natant folia) (PROP. 2. 3a. 9-12)
Ce n’est pas tant la beauté, quoiqu’elle fût éclatante, qui m’a pris
(les lis ne sont pas plus blancs que ma maîtresse,
comme la neige méotique62 rivalisant avec le vermillon d’Hibérie,
comme des pétales de rose nageant dans du lait pur)

Le minium fut dès l’Antiquité utilisé en cosmétique bien qu’il soit un produit dangereux issu
du mélange de différents minéraux63. Properce nous offre ici aussi de belles comparaisons
visant à marquer le contraste entre la blancheur du teint et le fard rouge, dilué sur les pommettes,
mais aussi celui entre le naturel des produits – lilia alba, les lis blancs ; Maeotica nix, la neige
méotique ; purum lac, le lait pur ; rosae folia, les pétales de rose – et l’artificialité dont les
femmes font preuve pour s’embellir – minius.

62
Méotide, territoire des Scythes, actuellement situé dans la steppe ukrainienne au Nord de la mer Azov, appelée
golfe Méotique dans l’Antiquité par les Grecs.
63
Michel Pastoureau, Rouge, histoire d’une couleur, Paris, Seuil, 2019, p. 40.

25
Parfois, les apprêts de la maîtresse trompent l’amant, qui ne sait plus distinguer
le naturel de l’artificiel.

Mixtam te uaria laudaui saepe figura,


ut, quod non esses, esse putaret amor ;
et color est totiens roseo collatus Eoo,
cum tibi quaesitus candor in ore foret : (PROP. 3. 24. 5-8)
Je t’ai souvent louée comme un mélange de divers charmes,
de façon que mon amour a imaginé que tu étais ce que tu n’étais pas ;
que de fois j’ai comparé ton teint au rose de l’aurore
alors que tu avais sur ton visage un éclat emprunté :

Roseus désigne les jeunes filles et donc par extension renvoie à la jeunesse, symbolisée par
l’Aurore, représentant les prémices de la vie. Le poète semble reprocher à la jeune femme son
artifice malgré sa beauté. Son admiration révèle cependant que son maquillage doit être assez
délicat pour réussir à tromper son amant et simplement rehausser une beauté déjà bien visible.

La jeunesse et la beauté féminine participent de la nubilité de la puella et sont parmi les


caractéristiques recherchées chez une future épouse. Ainsi elle marque une période
transitionnelle entre l’enfance et l’âge adulte, entre le célibat et le mariage. Si la vertu et donc
le pudor sont de mise, la beauté est également encensée au même titre, la poésie latine décrivant
principalement de belles femmes répondant aux critères de beauté en vigueur.

B. Du bout des lèvres


Le visage ou la bouche semblent grandement attirer les poètes, la bouche étant à la fois
source d’inspiration et de fantasme. En effet, n’est-ce pas de la bouche des Muses que le poète
tire ses plus beaux vers, ses idées ? De la bouche d’une déesse sort de charmantes paroles que
le poète ne manque pas de retranscrire dans ses vers mais, lorsqu’elle ne parle pas, la bouche,
dans un contexte plus intime, donne des baisers, prodigue des caresses … et peut en réalité
désigner une partie du corps féminin beaucoup plus intime.

Plusieurs déesses sont décrites roseo ore, ‘à la bouche de rose’. Cette précision offre une
image positive, d’autant que le message transmis est de bon augure ou vise à aider le personnage
qui le reçoit. L’adjectif est utilisé pour qualifier les jeunes filles et implique une affection, de la

26
douceur, comme nous l’avons vu précédemment. Cependant, parmi les trois déesses
représentées ci-dessous, seule une n’est pas mère, Iris. L’emploi de roseus pour qualifier des
personnages autres que des uirgines laisse entendre que le terme n’est pas réservé aux jeunes
filles bien qu’il soit d’un usage courant pour les qualifier. En effet, il est utilisé plus bas pour
décrire des déesses, qui, même mères, sont communément représentées jeunes et belles. De
plus, une analogie peut être faite entre la rose qui éclot et la bouche qui s’ouvre pour prononcer
de belles paroles : l’image est donc bien choisie.

Commençons par Iris, messagère des dieux, mandée par Junon afin d’inciter Turnus à
surprendre Énée et ses hommes.

Ad quem sic roseo Thaumantias ore locuta est : (VERG. Aen. 9, 5)


La fille de Thaumas lui adressa ces mots de ses lèvres de rose :

Dans l’Iliade, Iris est communément qualifiée de ποδήνεμος ὠκέα (II, 786), ‘aux pieds rapides
comme les vents’, πόδας ὠκέα (II, 790), ‘aux pieds rapides’, χρυσόπτερον (XI, 185), ‘aux ailes
d’or’, autant d’épithètes qui mettent en avant ses pieds et donc sa rapidité, là où en latin l’accent
est mis sur sa bouche qui délivre le message. Cette description rend peut-être la messagère plus
féminine, plus suave voire séduisante afin de n’engager que plus le destinataire à écouter ou
exécuter les ordres divins.

Aurore quant à elle, est la déesse de l’aube, promesse d’un futur, symbole
d’espoir. Aussi les poètes la prennent parfois à témoin lorsqu’ils espèrent se voir
réaliser une volonté.

Memnonis hanc utinam, lenito principe, mater


quam primum roseo prouocet ore diem ! (OV. Pont. 1, 4, 57-58)
Puisse la mère de Memnon, quand la colère du Prince sera apaisée,
appeler au plus tôt ce jour de ses lèvres de roses !

Aurore est décrite comme potentiellement annonciatrice de bonne nouvelle – en l’occurrence


la fin de l’exil d’Ovide, nouvelle qui n’arrivera malheureusement jamais pour le poète – en sa
qualité de première divinité du jour pouvant chasser les soucis de la veille et initier un
renouveau sous de meilleurs auspices. Roseo ore est une belle métonymie renvoyant à la fois
au message qu’il attend et au jour qui le lui apportera, la rose étant la fleur éphémère par
27
excellence. De plus, l’adjectif roseus est employé de façon récurrente pour qualifier l’aurore,
comme nous le verrons plus tard.

Enfin, opposée à Junon, Vénus se présente à son fils pour le convaincre de fuir
Troie en proie aux flammes, et se porte garante de sa sécurité.

Talia iactabam et furiata mente ferebar,


cum mihi se, non ante oculis tam clara, uidendam
obtulit et pura per noctem in luce refulsit
alma parens, confessa deam qualisque uideri
caelicolis et quanta solet, dextraque prehensum
continuit, roseoque haec insuper addidit ore :
« Nate, quis indomitas tantus dolor excitat iras ? » (VERG. Aen. 2, 589-595)
Telles étaient les pensées qui m’agitaient, je m’élançais, l’esprit en délire,
lorsque, dans une clarté devenue à mes yeux plus vive,
s’offrit à ma vue, rayonnante à travers la nuit au sein d’une lumière pure,
ma mère bénie, s’avouant déesse, telle, aussi majestueuse,
que la voient les habitants du ciel ; elle me saisit le bras,
me contint et ajouta ces mots de ses lèvres de rose :
« Mon enfant, quel ressentiment si grand excite donc cette colère sauvage ? »

Vénus apparaît au cœur de la tourmente, lors du sac de Troie, dans l’obscurité de la nuit alors
qu’Énée conçoit de tuer Hélène. Le sens de la vue est prégnant de par les termes ante oculis,
uidendam et uideri, yeux qui perçoivent à la fois la nuit, noctem et la grande clarté de
l’apparition de la déesse, tam clara et in pura luce refulsit. Se mélangent alors les forces du
mal, la lumière de la raison et la bouche rosée de Vénus, dont les paroles tendent à apaiser le
héros. Autrement dit, nous retrouvons la triade chromatique originelle lors de ce passage, le
rouge tendant à équilibrer les pulsions, entre déraison et sagesse.

Il est intéressant de noter que ces déesses ne sont jamais nommées par leur prénom mais
selon des liens de parenté : Iris est appelée fille de Thaumas, Aurore et Vénus respectivement
mères de Memnon et d’Énée, probablement par souci littéraire et poétique.

De plus, ces trois déesses ont un lien particulier à la couleur : Iris évoque l’ar-en-ciel,
Aurore et Vénus sont toutes deux associées au rouge, la première pour les rougeurs de l’aube,

28
la seconde en ce que tout ce qui se rapporte à elle est de cette couleur64. Messagères, elle
permettent l’enchaînement de l’action, apportant les ressources nécessaires aux héros pour la
suite des événements et font donc office de lien, de transition en même temps qu’elles
saupoudrent le tout d’une image poétique plaisante.

L’expression roseo ore est peut-être réservée aux divinités car Catulle manie
différemment la tournure, tantôt en en changeant le substantif, tantôt l’adjectif, pour l’appliquer
à des personnages mortels, et notamment des hommes.

Septimius et Acmé s’imaginent qu’une statue de l’Amour éternue en signe


d’approbation de leur relation. Ils s’aiment et se réconcilient après une dispute par un baiser :

at Acme leuiter caput reflectens


et dulcis pueri ebrios ocellos
illo purpureo ore sauiata (CATULL. 45, 10-12)
Alors Acmé, tournant légèrement la tête,
baisa de sa jolie bouche de pourpre
les yeux enivrés de son jeune amant

Comme nous l’avons vu plus haut, purpureus s’emploie pour qualifier des lèvres, il n’est donc
pas surprenant de croiser cet adjectif ici. De plus, ce terme peut également exprimer la richesse
que représente la femme aimée en ce qu’elle porte potentiellement la descendance.

Cependant, il est étonnant de lire ce type de tournure pour désigner des hommes. Attis
est un homme qui s’émascule au début du poème et devient donc femme bien qu’il le regrette
par la suite – l’ambiguïté de son sexe est notée par une alternance de masculin et de féminin.

roseis ut hinc labellis sonitus citus abiit (CATULL. 63, 74)


A peine de ses lèvres de rose Attis avait-elle laissé échapper ces paroles rapides

Gellius quant à lui est connu pour apprécier la compagnie des hommes.

quid dicam Gelli quare rosea ista labella

64
Cf p. 11.

29
hiberna fiant candidiora niue (CATULL. 80, 1-2)
Qu’est-ce à dire, Gellius ? pourquoi tes lèvres roses
deviennent-elles plus blanches que la neige hivernale

L’emploi du diminutif de labrum, labellum pour désigner des lèvres d’hommes est assez
ironique – d’autant que ce diminutif est au neutre, comme intersexe – : ils endossent des
attributs féminins et sont ainsi comme dépourvus de virilité. Nous pouvons y lire une ambiguïté
des genres par le passage de l’un à l’autre. À noter le décalage entre la tournure, charmante,
rosea labella qui ouvre le poème et l’explication scabreuse qui le conclut, ou comment Catulle
nous induit en erreur. De plus, l’opposition blanc-rouge est d’autant plus flagrante qu’elle mêle
indirectement des saisons inconciliables : le printemps ou l’été, avec l’adjectif roseus, et l’hiver
avec hiberna nix.

Après le visage, et la bouche en particulier, nous trouvons certaines descriptions de


parties inférieures encore plus érotiques, comme le cou ou les seins.

Dixit, et auertens rosea ceruice refulsit, (VERG. Aen. 1, 402)


Elle dit et, comme elle se détournait, une lumière, autour de sa nuque de rose,
resplendit ;

Vénus apparaît à son fils sous les traits d’une uirgo, qu’il prend pour Diane. Cette apparence
trompeuse vise peut-être à attirer son attention, par la séduction, et évoquer sa gorge, son cou,
est assez érotique. L’adjectif roseus est ici à propos pour qualifier une jeune vierge. Dans la
même idée qu’avec roseo ore, Vénus vient ici en messagère et permet donc la suite de l’action
en rassurant son fils sur son destin.

Terminons avec Catulle qui, à la recherche de l’un de ses amis, le trouve en bonne
compagnie :

'en hic in roseis latet papillis.' (CATULL. 55, 12)


« Tiens, il est ici, caché entre ces boutons de rose. »

Il semble que Camérius ait la tête entre les seins d’une prostituée. Comme pour la bouche, nous
pouvons voir une analogie entre la rose et le sein, d’où l’expression ‘bouton de rose’, comparant

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le mamelon du sein au pistil de la fleur. Outre la description physique, cette pointe rosée permet
au narrateur de retrouver son ami.

Le rouge est présent dans différents contextes féminins pour marquer le pudor, la
jeunesse et la beauté, aussi bien par le biais des émotions ou d’un rubor virginal plus installé
de façon à la fois transitionnelle et éphémère : la jeunesse et la beauté sont des qualités qui ne
durent qu’un temps. Le rouge exprime un état transitoire, émotionnel, physiologique ou
physique, visant à donner les clés au personnage pour faire avancer l’action.

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