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Leçon 7 : La naissance de l’écriture

De nos jours, beaucoup de langues connaissent deux supports d’expression : oral et écrit.
L’existence de ces deux formes de médiatisation langagière, on appelle relation diamésique la
répartition fonctionnelle et les usages alternés de ces deux formes d’expression, semble être
une évidence pour chaque langue. Cependant, certaines langues ne connaissent que l’oral,
elles n’ont jamais passé au stade de l’écriture (de nombreuses langues de tradition orale, dont
par exemple la langue koro découverte en Inde en 2010, de même que certains dialectes avant
de passer au « statut » de langues). D’autres encore
ont d’abord connu l’écrit avant d’être véritablement (ou de nouveau) parlées : l’hébreu, par
exemple, avant la création de l’Etat d’Israël. D’autres ont connu des formes d’écriture,
parfois très prestigieuses dans leur domaine, voire sacrées, qui ont été abolies par une
conquête et une politique d’éradication systématique (écritures glyphiques de Méso-
Amérique, notamment l’écriture maya).

Dans les deux leçons qui suivent, nous aborderons l’écriture sous deux angles différents :

 La naissance de l’écriture
 Les fonctions de l’écrit

Afin d’illustrer ce deuxième aspect, nous présenterons, dans la leçon 8, quelques grands
systèmes d’écriture qui existent dans le monde, et nous montrerons à travers quelques études
de cas que la question de l’écriture peut également être un problème de politique linguistique.

Pour commencer, nous allons d’abord définir l’écriture, avant de retracer, dans les grandes
lignes, son histoire.

L’écriture
Comment définir l’écriture ? L’écriture, au sens le plus général du terme, est une
représentation de la langue parlée au moyen de signes graphiques. Il s’agit de la transcription
du langage à l’aide de symboles, quelle que soit leur forme (images, lettres). C’est, comme le
dit l’adage Verba volant scripta manent, une façon de retenir la parole, de la conserver, mais
aussi de la transmettre. C’est également l’écrit qui semble être davantage capable d’assurer la
pérennité de la diversité des langues de notre planète – on peut plus facilement imaginer des
langues non écrites disparaître à jamais de la surface de la terre, mais il faut se garder de tirer
des conclusions hâtives pour autant : l’écrit n’assure pas à lui tout seul la survie d’une langue
(pensons aux langues mortes richement documentées et étudiées). L’écrit renforce l’usage
d’une langue, mais ne protège pas pour autant celle-ci de la disparition en tant que vecteur
d’expression et que lexique et grammaire spécifiques.
Retracer l’histoire de l’écriture, c’est parler de ce qui est connu : à la différence des
hypothèses sur les premières langues, l’écriture est une trace, un témoignage en soi. Certes,
des zones d’ombre persistent : certaines traces écrites n’ont jamais pu être déchiffrées (par
exemple, le célèbre « disque de Phaïstos » en argile contenant 45 symboles, trouvé au début
du XXème siècle en Crète). Par ailleurs, on peut imaginer que certains signes ont pu être
écrits, gravés, peints sans laisser de trace, et par conséquent ne figurent pas dans la grande
encyclopédie de l’histoire de l’écriture.
L’écriture apparaît comme l’une des inventions les plus remarquables de l’Homme. Tout
comme le langage et les langues, la naissance de l’écriture a également été expliquée par
différents mythes : ainsi, par exemple, selon les anciens Egyptiens, l’écriture était un don du
dieu des techniques et de l’écriture nommé Thot. Les Chinois pensaient qu’il s’agissait d’une
trouvaille fortuite d’un empereur ayant vécu au XXVIème siècle avant J-C, qui aurait conçu
ce procédé en étudiant les empreintes des oiseaux et des animaux en termes de présages.
Même si l’apparition de l’écriture est plus récente (rappelons que l’on date l’émergence du
langage à 100 000 ans avant J-C), elle n’est pas moins une histoire longue de 5 000 ans, qui
nous permet de suivre, avec davantage de certitudes, une partie de l’histoire de l’Homme.

Tout a commencé en Mésopotamie, entre le Tigre et l’Euphrate ...

L’histoire de l’écriture

L’une des premières traces écrites est la tablette d’Uruk, du IVème millénaire avant J-C. qui
n’est autre qu’un livre de comptes agricoles dont faisaient usage deux populations locales :
Sumériens (d’origine inconnue) et Akkadiens (d’origine sémitique). On peut même dater
avec une certaine précision la naissance de l’écriture : -3 300 avant J-C. Cette première trace
intervient, dans l’histoire de l’humanité, beaucoup plus tard que les premiers dessins trouvés,
par exemple, dans la grotte de Lascaux, datant de 20 000 ans avant notre ère.
Les premières inscriptions connues sont de type pictographique, autrement dit, elles ont la
forme de dessins qui représentent des objets. Les pictogrammes primitifs vont disparaître
assez rapidement, suite à un processus de stylisation, le signe perdant progressivement sa
ressemblance avec l’objet qu’il est censé représenter.
Les dessins seront remplacés par des signes en forme de clous formant des coins d’où le nom
d’écriture cunéiforme donnée à ce type d’écriture. Cette complexification sémantique ne
représentant pas seulement des objets, mais plutôt des idées, puis avec le temps, des syllabes
et des sons ont provoqués leur réduction quantitative: l’écriture syllabaire, cunéiforme, du
vieux perse (6ème siècle avant J-C) ne comprend que 41 caractères, alors que les chercheurs
ont pu dénombrer environ 1500 pictogrammes primitifs différents. Avec le temps, l’écriture
cunéiforme va servir à noter des langues différentes du sumérien et de l’akkadien (langue
sémitique) pour lesquels elle a été inventée. Ce sera le cas avec le hittite, langue indo-
européenne d’Anatolie au passé prestigieux (1400 – 1200 ans avant J-C). La
Mésopotamie, berceau de l’écriture, ne restera pas isolée pendant longtemps : en Egypte, une
autre écriture va naître presque en parallèle, et connaître ses moments de gloire : l’écriture
hiéroglyphique (3200 avant J-C). Elle est plus complexe que l’écriture pictographique à
proprement parler, car en plus des pictogrammes et des idéogrammes qui représentent des
choses ou des idées, elle comporte les phonogrammes (dessins représentant les sons).
En comparant les deux premiers systèmes d’écriture, on peut également suivre une évolution
par rapport au contenu des premières traces (en tout cas, selon les documents conservés) : des
livres de comptes et de commerce, des préoccupations administratives et politiques, on passe
à la littérature, et même à une littérature d’une richesse étonnante, comme celle des anciens
Egyptiens. On écrit différemment, et l’on écrit davantage également. Pour cela, les anciens
Egyptiens avaient besoin de versions simplifiées des hiéroglyphes, afin de pouvoir écrire plus
rapidement : les écritures cursive et démotique (autrement dit, populaires ou vulgarisées) vont
se généraliser, en même temps que les supports vont se diversifier. A l’autre bout
du monde, loin du Proche-Orient, berceau des premiers systèmes de transcription, les Chinois
développent également leur propre écriture, un véritable exemple de longévité : inventée au
2ème millénaire avant J-C, fixée en tant que système entre le 1er siècle avant J-C et le 1er
siècle après J-C, l’écriture chinoise, de type idéographique, n’a guère changé depuis.

La deuxième révolution dans l’histoire de l’écriture a été l’invention de l’alphabet durant le


2ème millénaire avant J-C. En effet, au XIVème siècle avant J-C, existait une écriture
cunéiforme à Ugarit (Syrie) qui n’utilisait que 27 signes. On considère que cette écriture est
en réalité le premier alphabet consonantique connu. C’est également le cas de l’alphabet
phénicien, attesté au XIème siècle avant J-C : il ne notait que les consonnes, avec 22 lettres
différentes. Marchands expérimentés, grands voyageurs, les Phéniciens vont exporter leur
alphabet et surtout donner l’exemple : d’autres alphabets vont voir le jour.
L’araméen, par exemple, de même que l’écriture arabe et celle qui servait à noter l’hébreu
sont issus de l’adaptation des principes de l’alphabet phénicien.

Un autre événement majeur de l’histoire de l’écriture a été l’ajout des voyelles dans le
système alphabétique phénicien par les Grecs. L’alphabet grec est une adaptation de
l’alphabet phénicien qui est attesté depuis le IXème siècle avant J-C, mais s’imposera
seulement quelques siècles plus tard.
De cet alphabet naîtront les alphabets arménien, géorgien, latin (IIIème siècle avant J-C),
ainsi que l’alphabet cyrillique (IXème siècle après J-C). De nos jours, l’écriture alphabétique
est la plus répandue au monde, et parmi les alphabets, ceux qui sont le plus utilisés pour
transcrire des langues de tradition orale sont l’alphabet latin (hérité de l’alphabet étrusque,
qui était une variante occidentale de l’alphabet grec) et l’alphabet cyrillique, comme le
montre la carte suivante :

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