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LES PRINCIPES

DIRECTEURS DU PROCES
JUDICIAIRE

M. Reda khallyoun
Introduction
La procédure peut et doit être envisagée comme science et comme art. Comme science, elle a pour objet
les principes généraux du droit, les règles fondamentales qui sont les assises d’un Code, les bases des
dispositions légales et qui fournissent la raison justificative des injonctions de la loi positive.
Ces principes constituent l’essence même de la procédure, sa substance intime et profonde. Néanmoins,
le législateur les a presque toujours passés sous silence, tout en adoptant leurs conséquences et leurs
déductions. Ils se manifestent implicitement dans les textes de la loi écrite, comme certains gisements
métalliques se traduisent à l’oeil du géologue par la coloration extérieure du sol.
Qui ne s’est pas assimilé ces principes générateurs ne saura jamais la procédure, n’en aura pas pénétré
l’esprit, n’en aura pas acquis l’intuition, sa mémoire lui permit-elle de répéter sans broncher les articles
d’un Code ou les formules d’un vade mecum.
Le praticien qui ne possède pas ces règles fondamentales est fatalement voué à une inintelligente routine,
qui le laisse impuissant ou maladroit devant des faits, des hypothèses non expressément visées par le
texte légal » . En quelques lignes, ce processualiste du 19ème siècle avait parfaitement cerné tant la notion
que le rôle joué par les principes dans la procédure.
Tout était dit et il n’y aurait plus rien à ajouter si, dans le courant du siècle qui s’achève, la problématique
des principes directeurs n’avait pris un essor considérable tant d’un point de vue théorique que pratique.
Les principes de la procédure ont animé les esprits, suscité les réformes. Aujourd’hui, il est peu de juristes
pour négliger leur existence. Pourtant, les contours de ces principes restent à déterminer.
Les principes directeurs du procès judiciaire forment une réalité tangible. Toutefois,
si l’on tente de les approcher, de les connaître mieux, ils se révèlent imperméables,
presque inaccessibles.
Leur étude exige de procéder avec délicatesse. A l’image d’une espèce rare, les
principes se dérobent devant celui qui proclame leur nom avec trop de véhémence.
A l’image de livres anciens, ils s’effritent dans les mains de celui qui les manipule sans
précaution.
Les principes directeurs doivent être considérés comme les objets d’une science,
celle des juristes.
Pour les connaître, il faut examiner leur composition, leurs particularismes, leurs
comportements. Cet examen approfondi nécessite au préalable, que l’on définisse un
cadre à l’étude. Après avoir mis en évidence la genèse des principes directeurs en
doctrine et en droit positif , il faudra définir séparément chacun des termes du sujet ,
déterminer précisément l’objet de l’étude à travers un corpus de principes , puis
confronter la notion de principe directeur avec les notions qui lui sont voisines . Il
sera alors temps de formuler un problématique .
I) Genèse de la catégorie juridique des
principes directeurs du procès judiciaire
L’administration de la justice connaît depuis de nombreux siècle des
principes qui perdurent aujourd’hui encore dans notre procédure. Certains
principes tels l’accès au juge (ou droit au juge), l’impartialité de la justice, ou
encore le contradictoire , inspirent nombre de règles techniques du procès
sous l’empire romain ou encore sous l’ancien régime . Pour autant, l’idée de
rassembler ces principes en une catégorie juridique est assez récente. Cette
idée est apparue d’abord en procédure civile, puis en procédure pénale.
1) Les principes directeurs du procès civil.
La doctrine contemporaine enseigne que l’utilisation du vocable « principe directeur du
procès civil » naît pour la première fois dans la doctrine française sous la plume d’Henry
VIZIOZ, processualiste bordelais décédé en 19485 .
L’étude rapide de quelques volumes anciens révèle une maturation lente du concept.
Outre le traité d’Henry BONFILS qui, dans sa deuxième édition , fait référence à des «
principes généraux » de la procédure, on trouve dans le traité élémentaire de procédure
civile et commerciale de René JAPIOT une partie intitulée « principes généraux, utilité,
caractères et sanctions des lois de procédure ».
La notion de principe n’est pas conceptualisée mais l’auteur fait allusion au « principe du
recours à la justice », à celui d’« égalité devant la loi », ou encore aux principes de
publicité et d’oralité. L’expression « principe directeur » est visée pour la première fois
dans un ouvrage de procédure civile française en 1932. Il s’agit du traité élémentaire de
procédure civile de René MOREL qui, dans sa première édition, comporte un chapitre
évoquant les « principes directeurs de la procédure française ». L’auteur estime qu’au-
delà des divergences entre les juridictions, « il est néanmoins un certain nombre de
principes qui dominent notre procédure française » .
Les deux principes qui dominent encore les écrits de la doctrine processualiste sont alors
cités : celui selon lequel le procès est la chose des parties et celui des droits de la
défense.
Dans le même temps, les écrits d’Henri MOTULSKY étaient nettement inspirés par la
notion de principes directeurs. L’auteur les nommait explicitement dans son
commentaire du décret du 13 octobre 196514 et dans son cours de droit processuel,
mais évoquait déjà leur présence en 1961 dans un article relatif aux droits de la défense .
L’émulation qui va s’opérer entre le Professeur CORNU et Henri MOTULSKY ajoutée au
contexte juridique de l’époque, va permettre au concept doctrinal de principe directeur
d’accéder au rang de norme du droit positif. Avec l’idée d’une fusion des professions
d’avocat et d’avoué, naît la nécessité de réformer en profondeur le Code de procédure
civile de 1806.
En 1969, est instituée une commission de réforme sous la présidence du Professeur
FOYER. Dans cette commission, siègent les deux promoteurs des principes directeurs. Ils
vont alors transformer leur doctrine en droit positif.
Dès 1971, un premier décret institue « de nouvelles règles de procédure destinées à constituer partie d’un
nouveau Code de procédure civile » . Ce texte comporte une première partie intitulée « dispositions
liminaires » composée de vingt et un articles relatifs à l’instance, l’objet du litige, les faits, les preuves, le
droit, la contradiction, la défense, les débats et l’obligation de réserve.
Plusieurs textes vont faire suite à celui de 1971 et tous seront regroupés dans un décret de codification en
date du 5 décembre 1975 « instituant un nouveau Code de procédure civile ». Le premier chapitre du
nouveau Code est expressément intitulé « les principes directeurs du procès ». Il comporte désormais
vingt-quatre articles. Cinq autres dispositions ont été ajoutées aux « dispositions liminaires » dans un
second chapitre. Elles concernent les règles propres à la matière gracieuse.
Le premier titre du nouveau Code relatif aux dispositions liminaires reçoit un écho favorable dans la
doctrine de l’époque. « Sa rédaction tout à la fois limpide, concise, et d’une richesse étonnante, due
principalement à la plume du professeur Cornu, est le fruit de sa collaboration la plus étroite avec le
professeur Motulsky » a-t-on écrit à ce propos. De même, les principes directeurs ont servi à de
nombreuses reprises à opérer des choix lorsque la commission de réforme s’est trouvée face à des thèses
opposées.
L’œuvre confondue des deux auteurs, consacrée dans le nouveau Code de procédure civile, a fait école. Si,
dans les premières années qui suivirent l’entrée en vigueur de ce texte, certains manuels ignoraient encore
les principes, il faut remarquer qu’aucun processualiste ne tente aujourd’hui de remettre en cause ces
normes dont l’existence a été formellement reconnue par le droit positif et ce d’autant que la catégorie
des principes directeurs à fait son apparition en procédure pénal.
2) Les principes directeurs du procès
pénal.
En procédure pénale, le cheminement vers la reconnaissance de principes procéduraux a été sensiblement différent. On
peut schématiser cette évolution en deux périodes. La première période est antérieure à 1990 et aux rapports de la
Commission « Justice pénale et droits de l’homme » présidée par le Professeur DELMAS-MARTY. Jusqu’à cette époque, on
trouve peu de références doctrinales à des principes de procédure formant un corps de règles à part entière.
Les professeurs BOUZAT et PINATEL, dans leur traité de droit pénal et de criminologie, mentionnent deux « grands
principes »: celui de l’unité de la justice civile et de la justice pénale et celui de la collégialité des juridictions. Par ailleurs,
sans utiliser le terme de « principe », les deux auteurs font allusion à des « caractères généraux de l’instruction définitive
»parmi lesquels on compte la publicité de l’audience, l’oralité et la contradiction.
Les Professeurs MERLE et VITU ne consacrent, de leur coté, aucun chapitre de leur traité à l’étude de principes
procéduraux. En revanche, étant amenés à comparer le rôle des parties dans les procès civil et pénal, les auteurs évoquent
le principe d’autorité ou d’initiative officielle, et celui d’indisponibilité du procès pénal.
L’expression « principe directeur » apparaît pourtant de façon aléatoire dans la doctrine pénale. A propos des règles qui
régissent le droit de la preuve, le Professeur BOUZAT explique que les textes du droit pénal « posent quelques principes
directeurs mais ne se prononcent nullement sur la loyauté de telle ou telle méthode d’investigation » . Le pénaliste fait
allusion au principe de légalité de la preuve ainsi qu’à celui de liberté de la preuve.
Il évoque encore, sans les qualifier de principe, l’indépendance de la magistrature ou l’article 66 de la Constitution selon
lequel l’autorité judiciaire est gardienne des libertés individuelles. Dans le même temps, il vise l’article 310 al 1 du Code de
procédure pénale selon lequel le président de la Cour d’assises doit, dans la recherche de la vérité, s’en tenir à son «
honneur et à sa conscience ». La référence à des principes directeurs ne révèle pas encore une catégorie autonome et
uniforme.
Le droit positif ne contribue pas à la construction d’une telle catégorie. Le Code de
procédure pénale entré en vigueur en 1958 ne comporte pas une partie spéciale
consacrée aux principes de procédure. Le titre préliminaire relatif aux actions publique et
civile ne révèle aucune différence de nature, ni de contenu avec le reste de l’œuvre.
C’est en jurisprudence que l’on va trouver des références éparses aux principes. Malgré
les réticences de la doctrine légaliste, la Cour de cassation se réfère à plusieurs reprises à
des principes juridiques dans ses arrêts. Elle le fait d’abord implicitement en 1952.
La Cour annule alors une procédure d’écoute opérée dans le cadre d’une instruction en
affirmant que « l’opération (…) a pour but et pour résultat d’éluder les dispositions
légales et les règles générales de procédure que le juge d’instruction ou son délégué ne
saurait méconnaître sans compromettre les droits de la défense ».
La juridiction suprême juxtapose dans son attendu des « règles légales » et des « règles
générales de procédure ». En ce sens, elle manifeste l’expression de son pouvoir normatif
utilisé en l’espèce autour d’un corps de règles autonomes mal défini. Dans d’autres
arrêts, la Cour est plus claire.
En 1983, elle décide qu’« il se déduit des dispositions de l’article 199 du Code de
procédure pénale et des principes généraux du droit que, devant la chambre
d’accusation, l’inculpé doit avoir la parole en dernier ».
La méthode de juxtaposition est similaire à celle employée en 1952 mais cette fois,
le corps de règles est désigné sous le nom de « principes généraux du droit ». Dans
d’autres arrêts, la Cour de cassation a eu l’occasion d’être plus précise en visant un
principe en particulier.
En 1980, elle ouvre la voie d’appel contre une ordonnance du juge d’instruction «
tant en vertu de cette disposition spéciale que du principe général du double
degré de juridiction ». Pourtant, il faut admettre que la jurisprudence de la Cour
de cassation n’a pas suffi, à l’instar de celle du Conseil d’Etat, à bâtir un ensemble
de règles processuelles homogène.
Durant cette période, les principes de procédure pénale sont demeurés à l’état
embryonnaire et se sont manifestés de façon désordonnée tant en doctrine qu’en
jurisprudence.
La seconde période débute avec les rapports DELMAS-MARTY sur la mise en état des affaires pénales remis au
Garde des sceaux en 1989 et 1990 en vue de réformer la procédure. Le groupe, composé d’universitaires, de
magistrats, d’avocats et de fonctionnaires du ministère de la justice, a travaillé selon une méthode qui consistait à
déterminer les problèmes essentiels de la phase préparatoire du procès pénal, comparer les systèmes en
présence, dégager des principes fondamentaux et enfin proposer des structures d’ensemble et des règles
techniques de procédure.
L’originalité de cette méthode résidait dans le fait que les règles procédurales n’étaient pas envisagées de façon
autonome, mais comme découlant de principes. Le rapport explique que le droit privé, par tradition, n’utilise pas
fréquemment les principes généraux du droit. Il constate cependant que « les conceptions ont évolué depuis le
Code de procédure pénale de 1958 ». Ces changements sont dus à l’adoption de « principes directeurs du procès
» dans le nouveau Code de procédure civile et à la ratification par la France de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
La Commission observe encore que la Cour de cassation utilise les principes généraux du droit dans ses arrêts ou
que certains d’entre eux sont présents dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le rapport
DELMASMARTY va définir dix principes fondamentaux destinés à garantir la prééminence du droit, la protection
des personnes et la qualité du procès37.
Plus qu’une simple énumération, le travail de la Commission autour des principes est une véritable
conceptualisation. Le rapport explique que « ces principes sont présentés de manière à montrer tout à la fois les
contraintes qui en résultent, les solutions qu’ils suggèrent et les choix qu’ils laissent ouverts. Ils doivent être au
cœur de toute réforme de la procédure pénale, car ils sont l’expression des limites que l’Etat de droit s’impose
dans l’exercice de son pouvoir de coercition. La commission estime non seulement utile, mais aussi nécessaire,
d’inscrire les dix principes fondamentaux en tête du Code de procédure pénale.
Près d’un siècle après le Traité de procédure civile d’Henry BONFILS, la doctrine pénaliste a pris conscience
du rôle fondamental joué par les principes dans le droit processuel. Elle va même se montrer plus
ambitieuse. Pour la Commission « Justice pénale et droits de l’homme », les principes procéduraux
constituent non seulement le socle de la procédure pénale interne, mais sont aussi susceptibles de
s’émanciper pour former le fonds commun d’un système de procédure pénale à l’échelle européenne. Le
résultat n’a pas été immédiatement à la hauteur des prétentions affichées.
Les lois des 4 janvier et 24 août 1993 qui font suite au rapport DELMAS-MARTY ne reprennent qu’un seul
principe : celui de la présomption d’innocence. Ce dernier, conçu comme un droit de la personnalité, est
intégré dans le Code civil à l’article 9-1. En revanche, la doctrine pénaliste s’est largement emparée de la
notion. Bien que le rapport de la commission parle de « principes fondamentaux », les auteurs font dans
leur ensemble le rapprochement entre les principes directeurs du procès civil et ceux du procès pénal.
Les plus sceptiques estiment que « l’utilité de tels principes n’est pas évidente »tout en parlant de «
principes essentiels de la procédure pénale » . D’autres auteurs distinguent les « principes généraux »
relatifs à l’organisation et au rôle des juridictions pénales et les « principes directeurs de l’instance pénale
» qui représentent des « idées générales guidant son cours ».
De plus en plus fréquemment, les universitaires réservent dans leurs ouvrages, une partie spécialement
destinée à l’étude des principes directeurs. Les premières approches consistent à viser quelques grands
principes incontournables. Progressivement, un corps de principes fait surface et semble devoir être
considéré comme un ensemble formant un tout cohérent mais dont la fonctionnalité est encore mal
définie.
Le succès du rapport DELMAS-MARTY a donc d’abord été un succès doctrinal. Négligé dans un premier temps par le
législateur, l’œuvre de la Commission « Justice pénale et droits de l’homme » s’est imposée en théorie comme une avancée
majeure de la procédure pénale. La référence à des principes directeurs du procès pénal se révèle être un vecteur
indispensable du rapprochement des contentieux judiciaires. Si la Commission ambitionnait un épanouissement international
pour les principes, on assiste en réalité à une réunion des deux procédures autour de principes communs. Le législateur a fini
par prendre conscience de cette réalité et, sous l’impulsion du Garde des sceaux, a intégré à l’occasion de la loi du 15 juin
2000 un article préliminaire au Code de procédure pénale. Cet article énonce de façon quelque peu arbitraire et
désordonnée, un certain nombre de principes. Il est ainsi rédigé:
Article préliminaire :
I) La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties. Elle doit garantir la
séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement. Les personnes se trouvant dans des
conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles.
II)L'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale.
III) Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à
sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi. Elle a le droit d'être
informée des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur. Les mesures de contrainte dont cette personne
peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être strictement
limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la
dignité de la personne. Il doit être définitivement statué sur l'accusation dont cette personne fait l'objet dans un délai
raisonnable. Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction. »
Les principes directeurs forment un
ensemble difficile à appréhender.
L’article préliminaire du Code de procédure pénale représente à lui seul une petite révolution
dans la théorie des principes directeurs. Il constitue la première tentative de regrouper dans un
même texte, des règles qui contiennent un caractère tout à la fois conceptuel, général et
fondamental. Dans le nouveau Code de procédure civile, la plupart des articles qui composent le
titre préliminaire ne forment qu’une suite de règles qu’il est difficile de distinguer des autres
dispositions. A l’inverse, l’article préliminaire du Code de procédure pénale est une véritable
construction positive autour de principes émanant de la tradition française, du droit européen,
de l’œuvre doctrinale et jurisprudentielle.
On y trouve la séparation des fonctions, la présomption d’innocence, la garantie des droits des
victimes, la dignité de la personne, le délai raisonnable, ou encore le droit au recours. Malgré
l’ampleur du travail doctrinal qui a précédé la rédaction du nouveau Code de procédure civile,
l’objectif visé semble avoir été moins ambitieux. Henri MOTULSKY, dans son commentaire du
décret de 1971, notait que les termes de « partie générale » ou de « principes généraux » avaient
été volontairement omis. L’éminent processualiste expliquait qu’« il est malaisé d’aller, dans un
texte législatif ou réglementaire, au-delà de prescriptions que seule la pensée doctrinale peut
regrouper en une construction intellectuelle ». Selon cet auteur, les principes seraient de pures
constructions intellectuelles. Le Code ne devrait receler que des règles précises et techniques. Ce
n’est qu’à travers l’enchaînement des différents thèmes processuels, qu’il faudrait « déceler le jeu
de ces principes ». Cette réflexion n’est pas l’exact reflet de la réalité.
On trouve dans les dispositions liminaires du nouveau Code l’énoncé de véritables principes. Tel est le
cas de l’article 9 selon lequel « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits
nécessaires au succès de sa prétention ». Intrinsèquement, cette disposition contient, dans son
intégralité, l’énoncé d’un principe relatif à la charge de la preuve. A l’inverse, certains principes
résultent de l’appréhension conjointe de plusieurs dispositions.
Le principe de la contradiction se compose de quatre articles distincts, chacun ne représentant qu’un
aspect du principe. Certaines dispositions liminaires sont simplement techniques et très
indirectement rattachées à un principe directeur. Pour illustration, on peut citer l’article 23 selon
lequel « le juge n’est pas tenu de recourir à un interprète lorsqu’il connaît la langue dans laquelle
s’expriment les parties ».
Les vingt-quatre premiers articles du nouveau Code forment donc un ensemble disparate dans lequel
ne se trouvent pas uniquement des principes directeurs. Il faut encore remarquer que certains
principes sont présents dans le Code, mais ne figurent pas dans les dispositions liminaires. On peut
citer l’article 455 en vertu duquel « le jugement doit exposer succinctement les prétentions
respectives des parties et leurs moyens ; il doit être motivé ».
Le principe de la motivation des décisions de justice ne figure pas en tête du Code mais dans le corps
du texte. S’il est pourtant un principe qui relève de l’office du juge, c’est bien celui de la motivation.
L’adéquation entre les dispositions liminaires et les principes textuels n’est donc pas parfaite.
Malgré l’expérience acquise, l’article préliminaire du Code de procédure pénale adopté un quart de siècle plus
tard présente certaines de ces faiblesses. Dans le premier article du Code de procédure pénale, on trouve un peu
de tout et presque rien. Ce texte est conçu en trois parties sans que l’on ne perçoive réellement la cohérence de
cette division. La première partie est un renvoi incomplet aux principes européens.
La procédure doit être équitable, respecter le contradictoire, l’équilibre entre les parties et la séparation des
fonctions de poursuite et de jugement. L’égalité des justiciables doit être garantie. Pourquoi avoir choisi ces cinq
principes et en avoir omis d’autres ? Auraient pu figurer ici les principes d’impartialité , ou encore de séparation
de fonctions d’instruction et de jugement. La deuxième partie comporte un principe unique, seule réelle
innovation du droit positif : la reconnaissance des droits des victimes.
La troisième partie est une accumulation de principes et règles divers relatifs aux droits de la personne
poursuivie. On y trouve dans le désordre la présomption d’innocence, qui figure déjà dans le Code civil, la dignité
de la personne, le droit au recours. On s’étonnera de voir un principe aussi essentiel que celui des droits de la
défense négligé dans cet article préliminaire. Sans poursuivre dans une appréciation critique du droit
contemporain, il est possible d’en tirer quelques conséquences. La progression difficile des principes directeurs
vers une reconnaissance doctrinale puis positive, ajoutée aux imperfections manifestes du droit existant semble
marquer dès à présent l'imprécision du concept de « principe directeur du procès judiciaire ».
Un auteur contemporain remarque que « par prudence, modestie, et sans doute par manque de temps, Henri
Motulsky n’a pas vraiment défini la notion de "principe de procédure" ou de "principe directeur du procès ou de
l'instance" » . L’auteur va plus loin : il reconnaît que « depuis, la doctrine fut encore plus discrète et l’on ne
connaît pas d’étude d’ensemble des principes de procédure ». D’autres constatent en matière pénale que malgré
le consensus autour de « l’idée de principes directeurs », la doctrine pénale reste divisée quant au nombre de ces
principes. Il faut alors reprendre la réflexion à son origine et tenter de donner une signification aux termes
utilisées.
II) Définition des termes du sujet
La profusion des écrits, la présence dans le droit positif, sont autant d’indices qui suggèrent l’existence
d’une catégorie juridique de principes directeurs du procès judiciaire. Si l’on souhaite d’emblée cerner la
matière de cette étude, il est indispensable de définir un à un les termes de cette proposition.
1) Le principe:
Sans qu’il soit nécessaire de reprendre les études déjà complètes sur l’évolution historique de la
signification du terme « principe » , il est néanmoins utile de rechercher dans l’étymologie un premier
éclaircissement. Le terme de principe provient du latin principium dont le sens est « commencement ».
C’est autour de cette notion de « commencement » que la doctrine juridique va tenter d’approcher celle de
« principe », soit par le biais de définitions imprécises, soit en visant une pluralité d’objets. Significations
approximatives .
De nombreux auteurs ont fait allusion aux principes juridiques ; leurs ont même consacré des
développements importants sans toutefois tenter de les définir conceptuellement. D’autres ont plus
radicalement fait montre d’une réticence certaine envers les principes . La première approche globale du
concept est celle de Jean BOULANGER. Ce dernier met en avant l’aspect doctrinal du terme. Le mot «
principe » « est choisi pour annoncer un effort doctrinal de synthèse » il désigne « l’exposé de l’ensemble
des règles qui composent le droit positif (…).
Il traduit un effort de construction ». D’un autre coté, l’auteur remarque que le langage des juristes utilise le
terme de règles juridiques et parallèlement celui de principes. Dès lors, les principes « constituent, en tant
que tels, des éléments de l’ordre juridique positif ». Enfin, « il existe entre un principe et une règle juridique,
non seulement une inégalité d’importance, mais une différence de nature ». Les bases de l’identification
sont posées.
Les principes peuvent être mis en avant dans l’ordre juridique positif car ils se distinguent des
autres règles du droit. Le droit est donc composé de règles et de principes. L’initiateur de
cette théorie conclut ainsi :
« Propositions directrices, les principes règnent sur le droit positif ; ils en dirigent le
développement. Les règles juridiques sont des applications des principes, à moins que, sous
l’empire de considérations relatives à des situations particulières, elles n’apportent des
exceptions ». L’identification des principes passe par la comparaison. Il faut trouver des
caractères qui permettent de distinguer les principes des éléments qui les entourent et un
qualificatif qui marque cette différence.
Les principes juridiques deviennent des « principes généraux du droit ». Selon Henri BUCH,
les principes généraux du droit constituent des généralisations de normes juridiques. Ils se
distinguent alors de ces normes « comme toute généralisation se distingue des phénomènes
qui en font l’objet ». Une philosophe du droit distingue à son tour les « principes directeurs
du droit » et les « principes fondateurs du droit ».
Les principes juridiques font partie de la première catégorie. Ils « dirigent chaque secteur du
droit positif et rendent possible la convergence de la pluralité de ses manifestations ». Ces
principes « font de chaque secteur de la vie juridique un ensemble organique, et non la
simple juxtaposition d’énoncés de décisions et d’actes ».
Ces propos trouvent un écho chez DWORKIN. Pour le théoricien anglo-saxon, le droit
est constitué de principes et de règles. Les principes jouent un rôle particulier dans
l’interprétation des règles.
Ils se situent quelque part entre les normes juridiques et la morale. L’auteur nomme
principe « un standard qu’il faut appliquer, non par ce qu’il assurera la survenue ou la
protection d’une situation économique, politique ou sociale jugée désirable, mais par
ce qu’il est une exigence dictée par la justice, l’équité, ou quelque autre dimension de
la morale ».
Les principes sont inclus dans la catégorie des standards avec ce que l’auteur
américain appelle les « politiques ». Ce regroupement conduit un publiciste à
distinguer les « principes au sens strict » des « principes au sens large » selon qu’on y
inclut ou non les « politiques » . Cette ambivalence tend à montrer que les principes
juridiques occupent une place originale dans le système du droit. Ils sont au
commencement de cet ordre et, en conséquence, à la charnière entre le juridique et
les fondements du juridique.

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