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Introduction générale
L’utilité du Droit pour la régulation sociale ne peut être mise en doute (voir Jacques
COMMAILLE, À quoi nous sert le droit ? Éditions Gallimard, Paris, 2015, Collection folio) , même si on
peut quelquefois émettre des doutes, dans des contextes historiques, culturels, politiques et
sociaux précis, quant aux usages de la matière juridique et quant à la fiabilité des règles, qu’elles
soient en vigueur ou en projection.
Au-delà des règles de droit, il est intellectuellement nécessaire de comprendre les données du
Droit. La théorie générale du Droit est par conséquent et de toute évidence, une matière
essentielle pour mieux comprendre et analyser la structure et même les profondeurs de la
matière juridique ; il est donc nécessaire d’aller dans les eaux profondes du Droit. Il n’est en
effet pas possible de saisir le sens du droit et de s’en servir utilement et intelligemment si on
n’appréhende pas ce que signifie le discours du droit. Le postulat de départ est que le droit est
une science ; c’est en considération de cette dernière proposition que cet enseignement sera
dispensé.
Par cela seule qu’elle se revendique de la théorie, cette matière n’est pas tournée vers des
considérations techniques du droit. On voit déjà qu’il y a une différence entre la théorie du droit
et la technique du droit.
On voit en même temps que la théorie du droit entend se démarquer d’autres disciplines qui ont
le droit pour objet d’étude ; cette matière est en réalité au centre de diverses lectures de la
matière juridique.
En faisant cette observation, il convient en même temps de préciser que la théorie générale n’est
pas isolée d’autres lectures du droit ou sur le droit. La plupart des auteurs situent la théorie
générale du droit entre la philosophie du droit et la dogmatique juridique. Mais il faut élargir le
cadre de son environnement car cette matière est au centre de bien d’autres matières. Tout en
se revendiquant, en effet, d’une certaine autonomie dans la sphère scientifique, la théorie
générale du Droit est au centre de diverses lectures de la matière juridique : elle est très proche
de la philosophie du droit (1) et se trouve aux frontières de la dogmatique juridique (2) et de la
sociologie juridique (3).
parce qu’il n’est pas exclu que sous couvert de théorie générale du droit, l’on soit en réalité
amené à traiter de philosophie du droit ; et inversement. En s’interrogeant sur la relation
philosophie du droit/ théorie générale du droit, il apparaît qu’il faut voir en quoi se distinguent-
elles ; au-delà, les juristes qui s’investissent dans la philosophie du droit sont d’accord pour
reconnaitre que le juriste doit nécessairement puiser à la source de la philosophie. On doit enfin
se demander ce que nous devons retenir des relations entre ces deux matières.
On vient à se demander s’il s’agit de se pencher du côté des philosophes du droit ou de celui
des juristes, parce qu’il n’est pas exclu que sous couvert de théorie générale du droit, l’on soit
en réalité amené à traiter de philosophie du droit ; et inversement. En s’interrogeant sur la
relation théorie générale du droit/philosophie du droit, il apparait qu’il faut voir en quoi se
distinguent-elles. Au-delà, les juristes qui s’investissent dans la philosophie du droit sont
d’accord pour reconnaitre que le juriste doit nécessairement puiser à la source de la philosophie
du droit.
Quelle est la position des auteurs les plus autorisés sur cette question ? Il y a sur cette question
des réponses qui relèvent de ce qu’on peut appeler une controverse qui tient aux rapports
généraux entre théorie générale du droit et philosophie du droit. Mais il faudra aussi tenir
compte des points de vue différemment tenus dans la philosophie des philosophes et
philosophie du droit des juristes.
Considérations générales.
Jean-Louis BERGEL établit dans sa formule déjà citée une distinction nette entre ces deux
matières en considérant que la philosophie du droit est, au contraire de la théorie générale du
droit, une métaphysique juridique ; en d’autres termes, une philosophie sur le droit qui part de
la philosophie pour sublimer en métaphysique le droit (Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du
droit. Paris, Éditions Dalloz, collection Méthodes du droit, 5 ème édition, p. 5).
D’autres auteurs vont dans le même sens. Pour Michel TROPER par exemple, les appellations
« théorie générale du droit » et « philosophie du droit » renvoient à des disciplines bien
distinctes. Alors que la « théorie générale du droit » « viserait exclusivement à décrire et
analyser le droit », la philosophie du droit se présente comme une discipline spéculative et
normative qui se situe à un niveau plus élevé d’abstraction. (Voir Michel TROPER, La philosophie
du droit. Paris, Presses Universitaires de France Collection Que sais-je ?) Michel TROPER écrit, en
cherchant dans les origines historiques :
« Mais il faut reconnaitre que l’usage les a séparés : chez les juristes, un parti,
qui est majoritaire, croit du même coup devoir s’opposer à l’introduction de la
« "philosophie du droit " dans nos facultés de droit françaises, mais ouvre les portes à
l’enseignement de la théorie générale du droit ; étant sous-entendu que ce cours de
préférence soit affecté à un civiliste, que le philosophe n’y intervienne pas, que nos
ouailles les étudiants soient strictement tenus à l’écart de toute philosophie. Il faut
croire que dans notre langage la "théorie " doit se définir comme une discipline
exclusive de la philosophie. »
Les conditions historiques dans lesquelles a pris naissance la philosophie du droit les tiennent
éloignée de la sphère du droit. En restant avec Michel VILLEY qui apporte les précisions sur
cette question :
« Jetons un regard sur ce passé de la " philosophie du droit". Cette discipline a
un très mauvais pedigree. Vous savez qu’elle nous vient d’Allemagne, que le mot
"philosophie du droit" est de fabrication allemande ; que Hegel l’a mis à l’honneur
dans ses Grundzüge der Philosophie des Rechts, qu’il commençait à avoir cours à
l’époque de Kant. Mais c’est à une date plus ancienne que s’est produite en Allemagne
la mainmise des philosophes sur la théorie juridique, dès les XVIIe et XVIIIe siècles,
dans l’"École" dite abusivement "de droit naturel". De là, procède tout le mouvement
dit de la philosophie du droit sorti des Universités allemandes. »
L’auteur explique que les auteurs qui, les premiers qui se sont intéressés à la philosophie du
droit (les maitres des écoles luthériennes au XVIIe ou Wolff au siècle des Lumières) avaient un
contact éloigné avec le droit. Et ceux qui se sont investis dans la philosophie du droit, au sens
strict, (KANT, FICHTE et HEGEL) avaient une ignorance radicale de la littérature juridique.
La philosophie du droit était exclusivement l’affaire des professeurs de théologie et de droit
naturel (Michel VILLEY, Théorie générale du droit et philosophie du droit).
D’autres auteurs, au contraire, s’efforcent, pour leur part, d’établir un pont entre ces deux
matières. Éric MILLARD définit tout simplement et dès l’entame de son ouvrage, la théorie
générale du droit comme « une discipline qui, au sein de la philosophie du droit, vise à
permettre un travail savant sur le droit » (Éric MILLARD, Théorie générale du droit. Paris, Éditions
Dalloz, collection Connaissance du droit, 2006, p. 1). Ainsi qu’on peut le noter, pour Éric MILLARD,
la théorie générale du Droit est une composante de la philosophie du Droit.
Sans doute en raison des liens historiques et logiques étroits qui existent entre la théorie
générale du droit et la philosophie du droit, on peut y voir une association incontournable. La
théorie générale du Droit est ainsi associée à la philosophie du droit avec laquelle elle se
confond quelquefois. Aux yeux de certains auteurs, en effet, la proximité entre les deux matières
est telle que les intitulés de certains ouvrages laissent entrevoir un enchevêtrement et peut-être
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une fusion. Tel est l’exemple de l’ouvrage de René SЀVE qui porte justement l’intitulé
« Philosophie et théorie du droit ». Le préfacier de cet ouvrage écrit d’ailleurs
« Le livre de René Sève combine une érudition aussi efficace qu’elle est discrète sur
les grandes théories du droit de la tradition philosophique et une grande attention aux
contextes juridiques précis auxquels les praticiens du droit ont affaire dans leur travail
courant. Le résultat est un Enchiridion philosophicorum juris remarquablement
équilibré subtil, sans être pour autant sophistiqué, qui aborde tous les thèmes et auteurs
majeurs de la philosophie du droit selon un parcours non seulement très cohérent et
argumenté, mais aussi capable de passer sans heurts des abstractions théoriques à la
pratique juridique. » (Pascal ENGEL, in René SЀVE, Philosophie et théorie du droit.
Paris, Éditions Dalloz, 2016, 2e édition, p. VII et s.)
Les relations entre la philosophie du droit et la théorie générale du droit sont sous-tendues par
des enjeux ; il s’agit, entre autres, de savoir de quel côté de la balance nous devons faire pencher
l’aiguille : du côté du Droit ou de celui de la philosophie ? il s’agit aussi de savoir si
l’enseignement de théorie générale peut s’enrichir d’éléments de philosophie du droit.
Nous devons, comme le suggère avec justesse Paul ROUBIER, demeurer modeste. Voici
qu’écrivait l’éminent auteur dès les premiers mots de son ouvrage de théorie générale du droit :
« Bien que la plupart des matières traitées dans ce livre soient étudiées en
général dans les ouvrages dits de philosophie du droit, on a préféré ne pas donner un
tel titre à cet ouvrage. La raison en est qu’au jugement des juristes eux-mêmes, la
philosophie du droit fait partie de la philosophie ; et dès lors, elle doit demeurer le
domaine des philosophes. Ce que l’on a cherché ici, c’est, non point le rattachement du
droit à une conception systématique de l’univers, mais seulement une synthèse de la vie
du droit, un ensemble de réflexions ordonnées sur l’organisation juridique des sociétés
humaines. En d’autres termes, ce livre n’est pas l’œuvre d’un philosophe, il est l’œuvre
d’un juriste. » (Paul ROUBIER, Théorie générale du droit – Histoire des doctrines juridiques et
philosophie des valeurs sociales. Paris, Librairie du Recueil Sirey, 2 e édition, 1951, p. 1).
« La théorie renvoie au droit au plan de sa science interne, sous son aspect plus
exactement scientifique par opposition à son aspect technique. La théorie fournit en
somme l’explication de la technique.
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La théorie, comme dans la sociologie (et a fortiori dans celle qui s’affirme
théorique et non pas uniquement empirique), le droit est conçu : c’est-à-dire qu’il n’est
pas encore pensé. »
« Ce n’est que par la philosophie que le droit peut être pensé et non simplement
conçu. Il est alors saisi par l’idée qui en atteint le principe le plus élevé ou le plus
profond, le principe qui le fait être ce qu’il est, qui rend compte de son être, de son
exister, et qui le justifie dans sa conformité ou sa non-conformité au devoir-être de cet
être. »
Quelles que soient les opinions émises ou la manière de les exprimer, tout indique que théorie
du droit et philosophie du droit sont distinctes. Mais cette distinction n’apparaît pas d’emblée
sans que l’on n’ait pris connaissance des enseignements dispensés ou par les analyses faites par
tel ou tel auteur. Dans le fond, il existe selon Norberto BOBBIO (voir Norberto BOBBIO, Essais
de théorie du droit. Paris, LGDJ, 1998) dont les analyses sur ce point sont reprises par d’autres
auteurs (Xavier MAGNON, Théorie (s) du droit, op. cit. Michel TROPER, La philosophie du droit, op. cit.
p. 12 et s.), une distinction entre la philosophie du droit des philosophes et la philosophie du droit
des juristes. Tandis que la philosophie du droit des philosophes relève d’analyses
essentiellement philosophiques, en ce qu’elles ne s’intéressent au droit que de manière
accessoire, elles entendent partir d’une conception générale du monde (idéalisme, rationalisme,
utilitarisme, matérialisme dialectique, existentialisme) pour l’appliquer au droit en particulier,
tout en sachant que les philosophes ne regardent le droit que de l’extérieur parce qu’ils ne sont
pas des juristes (Xavier MAGNON, Théorie (s) du droit, op. cit.), la philosophie du droit des juristes
veut s’ouvrir sur la philosophie –un domaine qui n’est pas le leur- en partant de l’expérience
juridique et en mettant l’accent sur l’analyse et non la synthèse (Michel TROPER, La philosophie
du droit, op. cit.).
Il faut reconnaître qu’il n’est pas aisé de faire la part des choses ni entre philosophie du droit
des philosophes et philosophie du droit des juristes ni entre philosophie du droit des juristes et
théorie générale du droit. Les distinctions sont, on le voit, délicates à établir. Peut-être faudra-
t-il prendre pour repère l’inscription et surtout l’investissement des auteurs concernés dans tel
ou tel champ académique et le degré d’abstraction des analyses qui sont faites.
Au-delà des oppositions d’approches, incontestables, il apparaît qu’il est à première vue,
difficilement aisé de séparer théorie générale du droit et philosophie du droit.
Que nous reste-t-il donc à faire, nous juristes, si ce n’est puiser à la source de la philosophie du
droit ?
Nombre de juristes se sont reconvertis en philosophes du droit ; le cas le plus notable est celui
de Michel VILLEY ; mais on peut également citer Michel TROPER. Ces reconversions sont
expliquées/justifiées par des limites attribuées au droit ou si l’on veut, des limites inhérentes à
celui-ci. Allons chercher chez les deux auteurs cités les arguments qui fondent la nécessité pour
le juriste d’aller à la source de la philosophie du droit. Dans son Apologie pour la philosophie
du droit, Michel VILLEY, en réponse aux détracteurs de la philosophie du droit, dans la sphère
des juristes, avance deux axiomes (voir Michel VILLEY, Leçons d’histoire de la philosophie du droit.
Paris, Dalloz, Collection Philosophie du droit, Nouvelle édition, 1962, p. 13 et s.). Il expose tout d’abord
la proposition selon laquelle
« La philosophie juridique est si peu un genre périmé, que tout effort pour
l’abolir est condamné à l’insuccès. D’une certaine manière, tout juriste fait de la
philosophie du droit, comme M. Jourdain fait de la prose ; et si cela implique en effet
un mode de pensée incertain, hypothétique, que l’observation positive ne garantit point,
cette incertitude fait partie de l’humaine condition. »
« Plutôt que de philosopher sans s’en rendre compte, et de façon vague et diffuse,
vaut mieux le faire en pleine lumière ; prendre conscience de ses principes, les
expliciter ; s’il y a lieu, les mettre en question.»
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Cependant, une telle connaissance ne nous informe en rien sur la nature du droit. Nous
ne savons ni pourquoi ces critères ont été adoptés, ni si ces règles sont réellement
obligatoires et, si elles le sont, pourquoi elles le sont : est-ce parce qu’elles sont justes,
parce qu’elles émanent du pouvoir politique, ou parce qu’elles sont assorties de
sanctions en cas d’infraction ? »
Sur la matière générale des droits fondamentaux, les réflexions ne peuvent être menées sans
référence aux valeurs attachées à la personne humaine.
Dans certaines matières particulières du droit, telles que celles des droits de l’homme et du droit
international pénal, les préoccupations philosophiques liées aux valeurs sont omniprésentes
(voir par exemple, Ludovic HENNEBEL, Hélène TIGROUDJA, Traité de droit international des Droits de
l’homme. Paris, Éditions A. Pedone, 2018. Deuxième édition, p. 21 et s. Marina EUDES, Punir en marge du
droit ? in Société Française pour le Droit International, La souveraineté pénale de l’Etat au XXI e siècle.
Colloque de Lille. Paris, Éditions A. Pedone, 2018, p. 93 et s.). Il y a derrière ces annonces des choix
idéologiques et plus particulièrement des préoccupations de valeurs de justice et des
considérations éthiques.
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Ou alors d’analyser « la politique du droit », c’est-à-dire la manière dont le rédacteur d’un texte
normatif réfléchit son travail, le programme de la production (François EWALD, Rapport
philosophique : une politique du droit, in Le Code civil 1804-2004. Livre du Bicentenaire. Paris, Éditions
Dalloz / Éditions du Juris-classeur, 2004, p. 77 et s.).
Que devons-nous, en fin de compte, retenir des liens entre ces deux matières ? Dans un
article publié dans les Archives de philosophie du droit, Jean-Pascal CHAZAL dresse un
tableau par lequel il montre les liens historiques forts et les rapports, pas toujours lisibles, mais
extrêmement étroits entre la philosophie du droit et la théorie générale du droit. Les deux
matières concourent étroitement à la connaissance du droit, à sa conception et à la découverte
du droit comme une science. Ce sont finalement deux disciplines qui ont été d’abord regardées
comme étant en scission avant, aujourd’hui, de dévoiler la profonde unité de la matière
juridique (Jean-Pascal CHAZAL Philosophie du droit et théorie du droit, ou l’illusion scientifique.
Archives de philosophie du droit, Tome 45, 2001). On peut donc déduire que la philosophie du droit et
la théorie générale du droit sont certes des matières autonomes mais liées l’une à l’autre.
On doit certainement constater, ainsi que le fait Michel VILLEY, que la collaboration entre
philosophes et juristes est nécessaire et même inéluctable (Michel VILLEY, Théorie générale du
droit et philosophie du droit, in Critique de la pensée juridique moderne (douze autres essais). Paris,
Jurisprudence générale Dalloz, 1976). On peut par conséquent regretter que la philosophie du droit
connaisse, du moins dans les années 1960, un déclin ; Michel VIRALLY écrit à ce sujet :
B/ La dogmatique juridique
Nous pouvons avoir un aperçu extensif et compréhensif de ce qu’est la science ; mais tout
exercice de réflexion ne repose pas sur la science. La référence à la dogmatique juridique pose
la question de l’étendue de ce qu’est la science parmi les matières qui gravitent autour du droit
et qui ont le droit comme instrument d’analyse. Le véritable problème c’est que la science en
tant que telle, n’est pas empirique ; or la dogmatique juridique l’est.
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Mais la dogmatique peut trouver à se revendiquer elle-même comme une science. Avant tout,
nous devons préciser que la dogmatique juridique, au sens restreint, est définie comme étant
l’analyse et l’établissement du contenu du droit positif (Xavier MAGNON, Théorie (s) du droit, op.
cit. p. 6) ; en d’autres termes, elle vise à organiser et à systématiser le droit, de manière à
déterminer, à partir des textes exprimant des règles générales, quels sont les cas auxquels ces
règles s’appliquent ; et à propos d’un cas donné, quelles sont les règles applicables. Mais la
dogmatique n’est pas une science englobante ; elle a (simplement) pour objet d’organiser et de
systématiser le droit, de manière à déterminer, à partir de règles générales, quels sont les
situations auxquelles s’appliquent ces règles et par la suite, à évaluer ces règles (Michel TROPER,
La philosophie du droit. Paris, PUF, collection Que Sais-Je ?).
C/ La sociologie du droit
Dans son Introduction critique au droit, Michel MIAILLE analyse le fait que le fétichisme qui
entoure le droit et son contenu s’est exprimé de diverses manières, passant notamment de la
théologie à la sociologie (Michel MIAILLE, Une introduction critique au droit. Paris, François
Maspero, 1978, p. 285 et s.). De cette manière, le droit n’est plus lui-même ; il est tiré hors de lui.
Les influences d’Auguste COMTE et d’Émile DURKHEIM ne doivent pas être négligées ; cette
influence étant ressentie en droit public, dans les travaux de Léon DUGUIT.
Mais c’est dans les travaux de Jean CARBONNIER qu’on voit le plus se développer des
considérations sur la force des faits sociaux en droit privé ; les exemples sont nombreux dans
lesquels l’auteur s’efforce de trouver les assises sociologiques de la régulation juridique : le
mariage, la propriété individuelle, l’assistance alimentaire des enfants à leurs parents, etc.
Pour cet auteur, s’il y a une science du droit, la matière même du droit n’existe pas en soi. Le
droit serait ainsi une fabrication artificielle d’une partie, certes majoritaire, de la doctrine
juridique. Cette équation ne semble pas facile à comprendre.
Mais la science du droit est susceptible d’exister sans que ne soit vérifiée l’existence même du
droit ; c’est la posture qu’adopte certains auteurs.
Retrouvons avant tout une définition de la science. Celle que nous propose Paul AMSELEK est
extrêmement rigoureuse ; mais elle peut servir comme point de départ de l’analyse. Cet auteur
précise, en effet, à propos de la science :
« Il est bien évident que, dans ce sens strict et rigoureux, la science ne se confond
pas avec n'importe quelle activité théorique. » (Paul AMSELEK, La part de la science dans
les activités des juristes. op. cit.).
Poursuivant sa réflexion à laquelle nous avons fait référence à l’entame de ce paragraphe, Éric
MILLARD précise que pour certains juristes, la nature du droit ferait qu’il ne serait pas
susceptible de connaissance objective, et qu’il ne pourrait être approché qu’au moyen d’un
savoir-faire pratique (Éric MILLARD, Théorie générale du droit). À la question de savoir s’il existe
une science du droit, certains auteurs répondent en effet négativement. C’est notamment le cas
de Paul AMSELEK qui écrit :
Des auteurs, nombreux, reconnaissent le caractère scientifique du droit. Ils estiment en effet
que le droit accepte la démarche scientifique. (Voir Éric MILLARD, Théorie générale du droit).
1/ De la scientificité du droit
Sur la question délicate de la scientificité du droit, voici ce que répond Jean-Louis BERGEL :
« Lorsqu’on pose la question habituelle de savoir si le droit est une science ou
un art, tout le monde finit par convenir que c’est un art consistant à améliorer les
rapports sociaux en formulant des règles justes et en les appliquant de manière
équitable, mais que c’est aussi une science, car le droit ne se borne pas à établir des
règles, à les interpréter et à résoudre des situations litigieuses : il a aussi pour tâche de
classer les faits juridiques, de construire des théories, d’élaborer des principes » (Jean-
Louis BERGEL, Théorie générale du droit.).
Pour Jean-Louis BERGEL, le droit est donc à la fois un art et une science.
Pour Michel VIRALLY, même si
« le recours au vocable de "science" est devenu une mode irritante autant
qu’absurde, le droit est véritablement une science et une pensée juridique peut être
élaborée. Dans une approche extrêmement restrictive, le droit, comme toutes les
sciences sociales, n’a pas sa place dans le champ scientifique en tant qu’ensemble de
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phénomènes soumis à des lois positives, à un déterminisme, c’est-à-dire ceux dont les
causes sont connues par l’expérience des faits, à l’exclusion des causes inventées par
la raison théorique. »
En effet, comme l’écrit l’auteur
« si l’on veut réduire la science à la découverte des lois causales, l’étude du
droit ne peut certainement pas se parer de ce titre. Mais les sciences de la nature elles-
mêmes ne s’y limitent pas et les mathématiques n’y ont jamais prétendu. Depui s
longtemps déjà, le terme de science, désigne toute discipline cherchant
à atteindre, à la réalité spécifique à laquelle elle se consacre, une connaissance
présentant un degré d’objectivité du même ordre que celui auquel parviennent les
sciences naturelles et mathématiques. C’est dans ce sens qu’on peut légitimement
affirmer qu’il y a place pour une science du droit.» (M ic he l VI RA L L Y, La p en sé e
jur id iq ue . Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1960, p. X).
Michel VIRALLY anal yse d’un autre côté l’idée que la science du droit ne peut
véritablement se réaliser et se développer que si elle est soutenue par la
philosophie. L’éminent auteur précise au sujet du droit qu’il constitue un effort
de s ystématisation et d’abstraction et que la tentative la plus ancienne pour
dépasser le point de vue descriptif a été l’œuvre de la philosophie en ce qu’elle
veut
« retrouver et fonder en raison des valeurs incluses dans l e
droit, afin d’établir celui -ci sur des bases indi scutables et de lui conférer
une force et une majesté qui le placent hors d’atteinte des volontés
humaines » ( M ic he l V IR A L LY, La p en s ée j u rid i qu e. Pa ri s, L ib ra i ri e Gé néra le
de Dro it et de J u ri sp ru de nce , 1 9 6 0 , p. XX I I et s.).
Le lien que l’on croyait avoir rompu ou abandonné entre science du droit et
philosophie est ainsi retrouvé.
n’est donc ni un modèle purement scientifique indifférent aux valeurs morales, politiques et
sociales, ni un lieu d’expression et de formulation de jugements de valeur (Jean-Louis BERGEL,
Théorie générale du droit. Paris).
Quelles que soient les controverses sur les relations entre la philosophie du droit et la théorie
générale du droit, et quelles que soient les orientations philosophiques, les auteurs sont d’accord
pour dire que l’objet de la théorie générale du droit est général ; elle ne peut pas se contenter
d’exposer une monographie en rapport avec l’ordre juridique d’un pays donné. Se référant à la
définition de la théorie générale du droit proposée dans le Dictionnaire encyclopédique de
théorie et de sociologie du droit (voir André-Jean ARNAUD, Dictionnaire encyclopédique
de théorie et de sociologie du droit. Paris, Librairie Générale de Droit et de
Jurisprudence), Xavier MAGNON précise qu’il faut entendre par l’étude des « problèmes
communs à tous (ou la plupart des) systèmes de droit » comme traduisant « la vocation de la
théorie du droit à proposer des explications valables dans n’importe quel système juridique.
La qualité d’une théorie se mesure notamment à sa capacité à expliquer de manière cohérente
l’organisation et le fonctionnement de n’importe quel système juridique.» (Xavier MAGNON,
Théorie (s) du droit. Paris, Ellipses Éditions, 2008, p. 10-11). En cela, « la théorie du droit
peut être un instrument nécessaire à toute approche comparatiste du droit » (Xavier
MAGNON, op. cit.)
Mais pourrait-on envisager ou mettre en évidence des théories générales s’appliquant à des
champs précis de la matière juridique ? Prenons les exemples dans quelques domaines du droit à
propos desquels s’est constituée une théorie générale : le contrat et la famille qui sont, de
tradition, deux des « trois piliers du droit » (le troisième étant la propriété) (Jean CARBONNIER,
Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur. Paris, Librairie Générale de Droit et de
Jurisprudence, 2001, p. 137 et s.).
La volonté emporte l’idée qu’il n’existe pas de contrat par nature (Jacques GHESTIN, Contrat, in
Denis ALLAND et Stéphane RIALS (Sous la direction de), Dictionnaire de la culture juridique, p. 276 et
s.). Les contrats sont la manifestation de ce qu’ARISTOTE appelle les relations civiles
volontaires (la vente, l’achat, le prêt, la garantie, la location, le dépôt, le salaire), par opposition
aux relations civiles involontaires (le vol, l’adultère, l’empoisonnement, la corruption des
domestiques, le détournement des esclaves, le meurtre par surprise, le faux témoignage) et des
relations qui ont lieu à force ouverte (les sévices personnels, la séquestration, les chaines dont
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on vous charge, la mort, le rapt, les blessures qui estropient, les paroles qui offensent et les
outrages qui provoquent) (ARISTOTE, Éthique à Nicomaque). L’idée du contrat s’est
historiquement développée dans les sociétés qui font valoir l’individu sur le groupe, alors que
les relations statutaires prédominent dans les sociétés communautaristes ou collectivistes.
Le contrat comporte des vertus, nombreuses, qui renforcent sa mystique. On pourra citer, entre
autres, la potentialité du contrat à fixer, lui-même, le temps (la durée) de ses effets ; ce que
soulignait le Doyen Maurice HAURIOU (voir Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du droit. p. 122
et s.) ; il y a aussi sa force à déterminer les conditions et les principes de son interprétation (Xavier
MAGNON, Théorie (s) du droit. Paris, Ellipses Éditions, 2008, p. 51). Quoiqu’il en soit, le contrat,
comme toutes les institutions juridiques, est déterminé par l’ordre juridique (Hans KELSEN,
Théorie pure du droit. Bruxelles/Paris, Bruylant/Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1999.).
On doit donc dire du contrat qu’il est à la fois autonome et hétéronome.
Il y a aujourd’hui une nette évolution dans la théorie des contrats. La multiplication des
nouveaux types de contrats s’explique par la prise de conscience de la doctrine du droit privé ;
sont ainsi crées les contrats d’adhésion, les contrats-types, le contrat de société, et les
conventions collectives (Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du droit. p. 52. Michel VIR A L LY,
La pe ns ée j ur id i qu e, p . 1 5 5 et s .) . Toutes ces évolutions constatées dans la plupart des
systèmes juridiques amènent à une réflexion sur la réécriture des législations sur les contrats,
tout en ayant en vue les exigences de la théorie générale des contrats (Jacques MESTRE, Les
difficultés de la recodification pour la théorie générale du droit des contrats, in Le Code civil 1804-2004.
Livre du Bicentenaire. Paris, Éditions Dalloz / Éditions du Juris-classeur, 2004, p. 231 et s.). On peut se
demander si ces évolutions qui tendent à faire une place plus importante aux professions ne
rapprochent pas le contrat de la législation et de la règle générale (Jean-Louis BERGEL, Théorie
générale du droit. p. 75).
La théorie générale de la famille. On doit d’abord se demander s’il existe une théorie générale
de la famille. Jean CARBONNIER faisait observer en 1979, à propos du droit de la famille :
Le droit de la famille est resté, sous tous els cieux et pendant longtemps, conservateur et même
archaïque. L’un des aspects de ce conservatisme supposé est le problème de la répartition
traditionnelle des tâches entre les conjoints. Sur ce point, même si « le travail domestique est
difficile à délimiter », tout indique que le modèle traditionnel de la femme s’occupant des tâches
domestiques et de l’homme assumant l’entretien de la famille est apparu » très tôt ; et on peut
conclure par le constat suivant: « le mariage a tendance à entraîner pour la femme une
augmentation de la durée des activités domestiques et une diminution de son activité
professionnelle, tandis que pour l’homme "l’union pour la vie" n’a qu’une influence limitée
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sur son degré de participation dans le ménage et sur son investissement professionnel.
L’activité professionnelle exercée par la femme n’entraîne par contre pas automatiquement un
mode égalitaire de partage des tâches entre les conjoints. Souvent, elle entraîne plutôt ce que
l’on appelle une double charge pour la femme : en plus de son activité lucrative, elle assume
la majeure partie de l’activité domestique. » (Audrey LEUBA, La répartition traditionnelle des tâches
entre les conjoints, au regard du principe de l’égalité entre homme et femme. Thèse de doctorat en Droit,
Faculté de droit et des sciences économiques, Université de Neuchâtel, 1997).
Les spécificités du droit de la famille notées par Jean CARBONNIER ne portent pas que sur
les dimensions sociales, les réalités vécues sous les Tropiques ; une lecture globale du droit de
la famille des pays africains prend en effet en compte les régimes matrimoniaux. On a ainsi pu
constater que ce qui prévaut en Afrique, c’est un modèle patriarcal (Françoise KAUDJHIS-
OFFOUMOU, L’avenir de la famille à travers des instruments juridiques internationaux et régionaux
relatifs aux Droits humains, in Denis MAUGENEST et Théodore HOLO (Sous la direction de), L’Afrique
de l’Ouest et la tradition universelle des droits de l’homme. Quelle contribution de l’Afrique de l’Ouest à la
tradition universelle des droits de l’homme ? Colloque d’Abidjan, 13, 14 et 15 mars 2006. Abidjan, Les
Éditions du CERAP, 2006, p. 233 et s.)
Cette observation qui date, peut cependant être relativisée aujourd’hui ; et on pourrait parler
d’une certaine évolution. Prenant l’exemple particulier des caractéristiques des mutations du
droit de la famille en France, Jean CARBONNIER faisait remarquer qu’il est remarquable que
ces mutations soient marquées à la fois par l’étatisation, le rétrécissement, la prolétarisation et
la démocratisation (Jean CARBONNIER, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur. op.
cit. p. 139 et s.). A propos de ce dernier caractère, on doit précisément se demander aujourd’hui
s’il n’est pas en train de s’universaliser, aussi horizontalement que verticalement (voir Tatiana
GRÜNDLER, Chapitre 15 Quelle démocratisation pour la famille ? in Véronique CHAMPEIL-DESPLATS
et Jean-Marie DENQUIN (Sous la direction de), Démocratie et constitutionnalisme. Retours critiques.
Paris, Éditions mare & martin, 2018 p. 257 et s.). On pourrait ainsi parler d’une théorie générale du
droit à travers un processus qui a conduit à abandonner le jugement de valeur sur la famille
pour appliquer un statut juridique, en modélisant la situation génératrice de façon neutre. Se
mettent ainsi en place les indices, selon l’auteur, d’une théorie générale de la famille. Alors
que, dans les expressions "famille légitime", "famille naturelle", etc., c'est l'adjectif qui
constituait le discriminant, ce sera désormais sur le substantif qu'il conviendra de faire porter
nos efforts. Ce ne sera pas forcément plus simple. (Voir Jean HAUSER, Vers une théorie générale
du droit familial ? Recueil Dalloz 1991 p. 56).
« la théorie pure du droit est une théorie du droit positif -du droit positif en
général ; et sans autre spécification : elle n’est pas la théorie d’un ordre juridique
déterminé…» (Hans KELSEN, Théorie pure du droit. Bruxelles/Paris, Bruylant/Librairie
Générale de Droit et de Jurisprudence, 1999, p. 9. Traduit par Charles EISENMANN).
La théorie générale du Droit se propose donc de décrire les caractères présents et visibles dans
tous les systèmes juridiques, du moins la majorité de ceux-ci. (Michel TROPER, La théorie du
droit, le droit et l’État. Paris, Presses Universitaires de France, 1 ère édition, 2001, p. V).
À partir de là, on va donner un contenu à la théorie générale du droit. Quel est ce contenu ?
C’est d’abord d’étudier le droit en vigueur sans se limiter à une simple analyse des règles de
droit. La science du droit doit, selon Michel VIRALLY, construire les instruments intellectuels
indispensables à ce travail, c’est-à-dire les notions utilisées qu’il importe de définir, les
mécanismes et les procédés de création et d’application du droit ; l’éminent auteur précise qu’il
s’agira d’analyser, dans une perspective plus large, les institutions juridiques qui sont des
ensembles de normes destinées à établir, garantir ou stabiliser des situations sociales prédéfinies
ou des intérêts spécifiques, et reconnaissables grâce à cette finalité sous la diversité des
réglementations positives, ces institutions conservant leur identité derrière les règles les plus
opposées et les plus variables qui s’expriment suivant les lieux et les époques. (M ic he l
VI RA L L Y, La pe ns ée j uri d iq ue , p. X XI I et s . ). Dans un autre langage, Jean-Louis BERGEL
précise qu’il s’agit, de l’étude des principaux systèmes juridiques, de dégager les grands
problèmes communs, les choix possibles, les notions et les institutions fondamentales, les
procédés intellectuels et les moyens matériels et formels de toute organisation juridique, et le
cas échéant, d’en apprécier l’application par un ordre juridique déterminé. Et l’auteur, en
rappelant que le droit est une discipline dynamique, ajoute que la théorie générale du droit doit
également mettre en exergue les évolutions, les transformations et même les révolutions dans
le droit (Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du droit.) .
La réflexion sur le droit, à travers la théorie générale du droit, passe par une dimension que l’on
peut considérer comme première, fondamentale ; celle-ci doit être abordée avant d’aller plus
loin dans cet enseignement, tout simplement parce que nous sommes sur le terrain du droit ; il
s’agit de la théorie de la normativité juridique (Chapitre I). Une autre question, toute aussi
fondamentale, est indépassable dans toute réflexion sur le phénomène juridique ; il s’agit de
celle tenant à la personnalité juridique à laquelle nous nous intéresserons secondairement
(Chapitre II). Dans le cadre très limité de cet enseignement (le volume horaire étant restreint),
nous allons esquisser une réflexion sur le droit dans son environnement (Chapitre III) avant
de revenir sur les rapports de la doctrine juridique à la théorie du droit, sous l’angle de la pensée
juridique (Chapitre IV).