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REVUE DE LITTÉRATURE

Les freins à la mise en œuvre effective


de l’Accord pour la paix et la
réconciliation au Mali

Un enfant, devant une fresque peinte sur un mur de Tombouctou, le 24 juillet 2013. REUTERS/Joe Penney

Préparé pour  : Research West Africa


Préparé par  : Zarah Chleuh
10 novembre 2020

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REVUE DE LITTÉRATURE

SOMMAIRE

INTRODUCTION GÉNÉRALE ET CONTEXTE 3

COMPRÉHENSION ET ANALYSE CRITIQUE 4

LES PARTIES SIGNATAIRES, PREMIERS OBSTACLES À LA MISE EN OEUVRE DES ACCORDS 4

DES FRAGMENTATIONS ET DISSENSIONS INTERNES 4

UN STATUT QUO BÉNÉFIQUE AUX DIFFÉRENTES PARTIES 4

LA SOCIÉTÉ CIVILE, PARTIE PRENANTE ÉCARTÉE DU PROCESSUS DE PAIX 5

LA POPULATION CIVILE ET L’ACCORD DE PAIX 6

UNE MÉCONNAISSANCE DE L’ACCORD DE PAIX 6

NORD ET SUD, UN RAPPORT DIFFÉRENT À L’ACCORD DE PAIX 6

CONCLUSION 7

BIBLIOGRAPHIE 8

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INTRODUCTION GÉNÉRALE ET CONTEXTE

Entre Mai et Juin 2015, le gouvernement malien signait avec la Coordination des mouvements de l’Azawad
(CMA), coalition des groupes rebelles indépendantistes, et la Plateforme, groupes armés pro-
gouvernementaux, l’Accord de Paix et de Réconciliation issu du processus d’Alger. Ce nouvel accord de paix
avait pour but, entre autres, de recouvrer l’intégrité territoriale du pays, de mettre fin aux combats avec les
groupes armés indépendantistes et d’instaurer une paix durable dans un pays déchiré par le conflit et les
rébellions. Ainsi, à travers une régionalisation des pouvoirs publics, une inclusion des communautés
marginalisées, une réintégration des indépendantistes dans l’armée malienne et un développement
économique des régions dites du Nord, cet accord devait mettre un point final à une série de rebellions que
connait le Mali depuis son indépendance. En effet, depuis 1960, le pays a connu pas moins de quatre vagues
de rébellions 1 dans la partie Nord de son territoire. Le pays a également conclu nombre d’accords afin de
désamorcer ces soulèvements sécessionnistes : les accords de Tamanrasset en 1991, le Pacte National en
1992, les accords d’Alger en 2006, les accords de Ouagadougou en 2013 et enfin les accords pour la paix et
la réconciliation en 20152 .

En janvier 2020, le Centre Carter, observateur indépendant désigné pour le suivi de la mise en œuvre de
l’Accord pour la paix et la réconciliation, annonce que la mise en œuvre de l’accord est quasiment au point
mort : 25,64% des dispositions de l’accord étaient mis en oeuvre en 2018, contre 23,08% en 2019. De plus,
aucun des piliers sur lesquels se fonde l’accord n’a été totalement achevé3. Ainsi, selon le rapport de Janvier
2020 du Centre Carter : « Globalement, on assiste à un processus de mise en œuvre ensablé ne produisant,
au mieux, que des progrès ponctuels après des mois de blocages. »
Cette lenteur dans le processus de mise en œuvre de l’accord prend ses sources dans différents facteurs et
phénomènes, souvent très complexes. Il s’agira dans ce rapport de mettre en exergue les différents freins et
obstacles à la mise en œuvre effective de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger.

1
Pierre Boilley, « Géopolitique africaine et rébellions touarègues. Approches locales, approches globales (1960-2011) »

2
Arthur Boutellis et Marie-Joëlle Zahar, « Un processus en quête de paix : Les enseignements tirés de l’accord intermalien », International
Peace Institute, New York, janvier 2018.

3Carter Center, 2020. Observations Sur La Mise En Œuvre De L’Accord Pour La Paix Et La Réconciliation Au Mali, Issu Du Processus
D’Alger Evaluation De L’Année 2019.

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COMPRÉHENSION ET ANALYSE CRITIQUE

Les parties signataires, premiers obstacles à la mise en oeuvre des


accords

L’Accord pour la paix et réconciliation signé en 2015 apparaît pour nombre d’analystes mais également pour
l’opinion publique comme un accord imposé aux différentes parties sous la contrainte de la communauté
internationale. Certains rapports parlent même d’un « accord signé à pas forcés » (Boutellis & Zahar, 2018).
Par ailleurs, cet accord est également contesté d’une part à Bamako par les parties d’opposition et les
organisations de la société civile car ils n’auraient pas été consultés par le gouvernement et d’autre part au
Nord par différents groupes armés qui n’ont pas été inclus dans le processus.

DES FRAGMENTATIONS ET DISSENSIONS INTERNES

La difficulté de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation repose tout d’abord dans la
pluralité des acteurs et des intérêts autour dudit accord. Ainsi, la signature de l’accord s’est fait entre trois
parties: le gouvernement malien de l’époque, la Plateforme et la CMA. Cette dernière, qui est censée
représenter les mouvements indépendantistes dans leur intégralité, regroupe en réalité le Mouvement National
pour la Libération de l’Azawad (MNLA), le Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA) ainsi qu’une aile du
Mouvement Arabe de l’Azawad (MAA). D’autres groupes, comme la Coalition du Peuple pour l’Azawad (CPA),
une aile de la Coordination des Mouvements et Front Patriotique de Résistance (CM-FPR2), le Mouvement
pour le Salut de l’Azawad (MSA) ou encore le Front Populaire de l’Azawad (FPA), existent et revendiquent leur
place à la table des négociations. C’est d’ailleurs l’un de ces groupes, le Congrès pour la Justice de l’Azawad
(CJA), qui tentera d’empêcher en 2017 l’installation des autorités intérimaires dans les villes de Tombouctou et
Taoudéni.
Ainsi, la multiplication au Nord de groupes armés et la divergence dans leurs interêts rendent de plus en plus
difficile l’atteinte d’un accord effectif qui contentera l’ensemble de ces acteurs.

UN STATUT QUO BÉNÉFIQUE AUX DIFFÉRENTES PARTIES

Selon le rapport du Centre Carter datant de janvier 2020, il existerait une « économie liée à l’accord ». Ainsi, le
rapport souligne le fait que le ralentissement de la mise en œuvre de l’accord de paix bénéficierait aux
différentes parties et cela pour différentes raisons.

Concernant le gouvernement malien, une des dispositions principales de l’Accord pour la paix et la
réconciliation était une révision constitutionnelle permettant la création d’une seconde chambre, le Sénat, ainsi
qu’une régionalisation des pouvoirs publics à travers la création d’assemblées régionales. Ce projet de révision
a rencontré une ferme opposition de la part des citoyens du Sud du pays, poussant même le gouvernement
de l’époque à suspendre la mise en œuvre de cette disposition essentielle de l’accord. Par ailleurs, le rapport
du Centre Carter souligne le fait que le ralentissement de la mise en œuvre de l’accord permettrait la

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prolongation du mandat de la MINUSMA et d’autres acteurs internationaux liés aux conflits dont les dépenses
et les besoins bénéficieraient à l’économie malienne. De plus, les bases de ces organismes offrent de
nombreuses opportunités d’emplois pour les résidents, que ce soit au Nord ou au Centre, « atténuant ainsi les
griefs et soutenant l’économie locale dans les zones principalement sous contrôle des Mouvements ».

Pour les mouvements indépendantistes, la non-application de l’accord présente de nombreux avantages. En


effet, les représentants des mouvements à Bamako sont entièrement pris en charge, selon les dispositions de
l’accord et cela depuis maintenant cinq ans. Par ailleurs, les mouvements armés bénéficient d’une très large
autonomie dans leurs zones d’influence au Nord du pays. Enfin, selon Naffet Keita (2018, p.28), certains
groupes armés auraient créé tout un trafic autour du processus de désarmement, démobilisation, et
réinsertion (DDR). Ainsi, les groupes monnayeraient l’enrôlement de jeunes civils: « 800 000 FCFA à ceux qui
veulent s’enrôler dans les rangs des Famas, 1 200 000 FCFA pour les régiments de Gardes et de Gendar-
merie et 3 000 000 FCFA pour la douane ; etc. ».
Enfin, le rapport du Centre Carter souligne une «  perception des lignes floues entre les mouvements
signataires et les acteurs terroristes ». Des liens présumés entre les mouvements indépendantistes et le trafic
de drogue et le crime organisé expliqueraient ainsi le ralentissement de la mise en œuvre de l’accord et le
maintien d’une zone de non-droit au Nord du pays.

Ces dérives montrent un manque de volonté des différentes parties d’atteindre une mise en œuvre effective de
l’accord de paix et rendent très difficile une mise en application de ses dispositions.

LA SOCIÉTÉ CIVILE, PARTIE PRENANTE ÉCARTÉE DU PROCESSUS DE PAIX

Un autre obstacle majeur dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, est l’absence de
la société civile dans le processus de paix. Ainsi, afin qu’un accord ne soit pas seulement politique mais qu’il
ait un réel impact dans le quotidien des citoyens, l’implication de la société civile est essentiel. L’accord de
paix lui-même stipule dans son article 51: « Les Parties demandent à la classe politique ainsi qu’à la société
civile, notamment les organisations de femmes et de jeunes, les médias, les communicateurs traditionnels et
les autorités traditionnelles et religieuses, d’apporter leur plein concours à la réalisation des objectifs de
l’Accord. ».
Cette absence de la société civile, non seulement lors des négociations, mais également dans le processus de
mise en œuvre, et cela malgré les exhortations du conseil de sécurité de l’ONU 4, conjuguée à la quasi-
absence d’une communication effective du gouvernement afin de sensibiliser les populations sur l’accord, a
participé à la difficile mise en œuvre de ce dernier. En effet, la réussite d’une paix durable au Mali ne saurait
exclure l’adhésion des populations civiles.

4 Carter Center, 2020. Observations Sur La Mise En Œuvre De L’Accord Pour La Paix Et La Réconciliation Au Mali, Issu Du Processus
D’Alger Evaluation De L’Année 2019.

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La population civile et l’accord de paix

Une des conditions essentielles à la mise en œuvre effective de l’Accord pour la paix et la réconciliation est la
connaissance et surtout l’acceptation des conditions de l’accord par les citoyens maliens. Une enquête
d’opinion, le «  Mali-mètre  » initié en 2012 par le Bureau de la Friedrich-Ebert-Stiftung  à Bamako, permet
d’étudier ces différents aspects.

UNE MÉCONNAISSANCE DE L’ACCORD DE PAIX

Selon la 11ème édition du Mali-mètre datant du 12 mars 2020, 61% des répondants déclaraient n’avoir
«  aucune  » connaissance de l’Accord pour la paix et la réconciliation et 19,01% n’en avaient qu’une
connaissance « faible ». Ainsi, on voit les retombées du manque de communication effective du gouvernement
concernant l’accord. En effet, malgré la traduction du texte en 12 langues nationales, la méconnaissance de
l’accord de paix reste très importante au sein de la population civile ( Keita, 2018).
Cette absence d’une stratégie de communication afin de promouvoir l’accord dévoile le «  manque de
leadership » si souvent reproché au gouvernement de l’époque.

NORD ET SUD, UN RAPPORT DIFFÉRENT À L’ACCORD DE PAIX

L’enquête révèle également que les villes où la part des répondants ayant déclaré avoir une «  bonne  »
connaissance ou une connaissance « moyenne » de l’accord se situe principalement dans le Nord du pays :
Ménaka (48,5%), Gao (30,6%), Taoudénit (23,4%) et dans une moindre mesure à Tombouctou (18,2%), Kidal
(16,2%) et Mopti (14,3%). Ainsi, les populations au Nord, qui sont au centre du conflit, semblent plus
informées sur le processus de paix que celles du Sud du pays. La part des répondants qui est sans opinion
(12,1%) est particulièrement importante dans les régions du Sud ( 26,4% à Kayes et 21,3% à Koulikoro). On
observe ainsi un certain détachement de la part des populations qui ne sont pas directement situées au centre
du conflit. Là encore, le gouvernement de l’époque est à blâmer pour le manque de sensibilisation des
populations du Sud aux problèmes du Nord.
Par ailleurs, la méconnaissance profonde des dispositions l’accord participe au développement de certaines
idées reçues dans certains pans de la population. Ainsi, au Sud beaucoup tendent à penser que l’Accord pour
la paix et la réconciliation aurait comme objectif à long terme la scission du pays en deux et l’octroie de
l’indépendance aux mouvements armés. Là encore, le manque d’éducation et de sensibilisation des
populations par les autorités, participe au rejet de l’accord.
Populations du Nord et du Sud du Mali sont depuis la première rébellion de 1963 opposées. En effet, une
mémoire douloureuse et encore très vive des différents conflits et pertes humaines qui ont ponctué ces 60
années d’indépendance fracture le pays et rend très compliqué l’atteinte d’une paix durable.

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Conclusion

Depuis sa signature en 2015, l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger n’a connu
qu’une très faible application de ses 68 articles. Ainsi, la situation dans le pays reste très instable avec une
grande partie du territoire toujours contrôlée par des groupes autres que les Forces armées maliennes (FAma).
Malgré l’élan d’espoir que l’accord a suscité lors de sa signature, différents obstacles ont ralenti puis freiné la
mise en œuvre effective de ses dispositions, ne changeant pas vraiment la réalité des populations civiles,
premières victimes de l’instabilité dans le pays. Cette paix avec les mouvements indépendantistes devait
permettre de s’attaquer à l’autre mal qui ronge toute la partie Nord du Mali : la prolifération des mouvements
djihadistes.
La mise en œuvre de l’accord de paix a fait face à de nombreux défis et d’obstacles.

D’une part, les parties signataires connaissent des obstacles en leur propre sein. Du côté du pouvoir central,
les parties de l’opposition et la société civile, qui ont été écartés du processus, ont clairement affirmé leur rejet
de l’accord. Quant aux mouvements indépendantistes, on a vu se multiplier la création de groupes
antagonistes à l’alliance de la CMA, signataire de l’accord et principal interlocuteur de l’État malien. De plus,
les différentes parties semblent tirer profit de cette situation de quasi-non-application de l’Accord, avec le
développement de toute une économie autour dudit accord.
Multiplicité des acteurs et diversification des intérêts et des dividendes attendus de l’accord rendent l’atteinte
d’un consensus général très difficile.

D’autre part, la population civile semble mal informée quant à l’Accord pour la paix et la réconciliation. Un
sondage de la Friedrich-Ebert-Stiftung  à Bamako a fait ressortir une profonde méconnaissance des
dispositions de cet accord, qui semblait pourtant revêtir une importance capitale lors de sa signature en 2015.
Une absence de stratégie de communication et de sensibilisation des populations civiles rend très difficile leur
appropriation et leur acceptation du texte. Par ailleurs, une mémoire vive et très douloureuse des précédentes
rébellions, chez les populations au Nord mais également au Sud et qui se transcrit par une profonde fracture
du pays nécessite toute une stratégie de dialogue et de sensibilisation des populations quant à la question de
la paix.

Cependant le 18 août dernier, un coup d’État militaire est venu rebattre les cartes de l’échiquier politique
malien. Ainsi, un tout nouveau cadre est désormais présent du côté des autorités maliennes. Il s’agira pour le
gouvernement de transition d’insuffler un nouvel élan à l’accord de paix afin de préparer au mieux les élections
générales prévues à la fin de son mandat de 18 mois. Étant donné ce nouveau contexte, une étude profonde
des obstacles actuels à la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation semble déterminante
pour la bonne conduite du processus de paix par ces nouveaux acteurs.

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Bibliographie

1. Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, 2015


Available at: < https://peacemaker.un.org/node/2681 >

2. Arthur Boutellis et Marie-Joëlle Zahar, « Un processus en quête de paix : Les


enseignements tirés de l’accord intermalien », International Peace Institute, New York,
janvier 2018

3. Carter Center, 2020. Observations Sur La Mise En Œuvre De L’Accord Pour La Paix Et
La Réconciliation Au Mali, Issu Du Processus D’Alger - Évaluation De L’Année 2019.

4. FES, F., 2020. MALI-METRE XI "Que Pensent Les Malien (E) S?" Available at: <http://
www.fes-mali.org/images/Rapport_Final_Malimetre_N11_Site.pdf

5. Minusma.unmissions.org. 2020. Rapport Du Secrétaire Général. [online] Available at:


<https://minusma.unmissions.org/sites/default/files/s_2020_476_f.pdf>

6. Pellerin, M., 2020. L’Accord D’Alger Cinq Ans Après : Un Calme Précaire Dont Il Ne
Faut Pas Se Satisfaire. [online] Crisis Group. Available at: <https://www.crisisgroup.org/
fr/africa/sahel/mali/laccord-dalger-cinq-ans-apres-un-calme-precaire-dont-il-ne-faut-
pas-se-satisfaire>

7. Pierre Boilley, «  Géopolitique africaine et rébellions touarègues. Approches locales,


approches globales (1960-2011) »

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