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SASHA EN UKRAINE
DEUX SŒURS
À L’ÉPREUVE
DE LA GUERRE
DÉCOUVRIR
ET TESTER
A Drinking Glass, 1989-1990. Cour tesy the ar tist and Sprüth Magers
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Au programme RACONTER “LES DÉFLAGRATIONS INTIMES DE Nous nous sommes surtout attachés à ces filles coura-
LA GUERRE”… C’est comme cela que la journaliste geuses et remarquablement intelligentes, à leur famille,
Élisa Mignot décrit l’aventure dans laquelle elle s’est à leurs amis. À Olga et Sasha, donc, qui n’ont, dès le
embarquée il y a un an, le 25 février 2022, avec Olga départ, pas souhaité donner autre chose que leurs pré-
et Sasha, deux sœurs ukrainiennes, l’une à Paris, noms. La toute première semaine, nous avons publié
l’autre à Kiev. C’était au lendemain de l’invasion du une capture d’écran du smartphone de Sasha avec leurs
pays par l’armée russe de Vladimir Poutine. Elle a deux visages affichés à l’écran, puis elles n’ont plus voulu
retrouvé Olga, qu’elle avait connue comme « fixeuse » d’images d’elles et nous avons demandé à Aline Zalko
lors de la révolution de la place Maïdan, en 2014, dans une illustration pour accompagner les épisodes sui-
la cave à vins où elle travaille. Olga était en ligne avec vants. Cet anonymat semble leur avoir donné une
sa sœur, Sasha, qui venait de s’installer dans le par- grande liberté de parole et les a sans doute autorisées à
king d’une résidence, avec leur mère, son copain et sa une grande franchise dans ce qu’elles nous ont donné à
meilleure amie. Tout de suite, la journaliste a pensé à lire. Ces fameuses « déflagrations intimes », ces hauts et
un récit à deux voix pour leur faire raconter la stupeur ces bas de plus en plus nombreux ces derniers temps,
et la douleur de ces premiers jours de guerre. Elle a ces peurs et ces espoirs et tout ce qui semble n’avoir rien
proposé à M Le magazine du Monde l’idée de ce jour- à voir avec la guerre et qui, pourtant, y est profondé-
nal. Alors Élisa Mignot s’est consacrée à mettre en ment lié. Les histoires d’amour de Sasha, par exemple…
scène ces deux voix, ces deux vies à la fois singulières Puis nous avons eu le bonheur de les rencontrer en
et semblables à celles de l’immense majorité des novembre, à la rédaction, quand Sasha est venue voir
Ukrainiens et des Ukrainiennes. Olga à Paris. Elles parlent un français parfait et partagent
Comme un complément au remarquable travail de tous la même curiosité et la même vivacité d’esprit. À ce
les reporters et photographes du Monde sur le terrain, moment-là, nous avions déjà décidé ensemble que les
Olga et Sasha se sont racontées, mais elles ont aussi dit 1 an de cette guerre serait un bon moment pour les pré-
leur culture, leur pays, leur histoire, apportant mille senter aux lecteurs mais aussi pour arrêter ce journal
détails et mille informations à une communauté de lec- assez difficile à tenir au quotidien. Pour l’interrompre
teurs nombreux, fidèles, émus. Parfois, après une sous cette forme, en tout cas… Car il est évident que
attaque, nous recevions des messages sur Instagram notre histoire avec Olga et Saha ne s’arrête pas là. Ces
pour nous demander si nous avions des nouvelles de deux sœurs ont encore beaucoup de choses à nous dire.
Sasha. Il est arrivé que, à la lecture d’un des « épisodes », Elles reviendront donc à intervalles réguliers dans M.
nous ayons les yeux qui piquent ou la gorge serrée. En Jusqu’à la fin de la guerre… Et cela, c’est la seule vraie
cinquante semaines, nous avons appris beaucoup sur le inconnue de cette tragique histoire.
quotidien de ce conflit et sur l’Ukraine que la majeure
partie d’entre nous connaissait si mal. Marie-Pierre LANNELONGUE
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Le sommaire
LA SEMAINE LE MAGAZINE
18 Entre-soi 29 L’histoire se répète 35 La guerre intime d’Olga 52 Dans la fabrique des
Les faiseurs d’histoire. Les politiques et Sasha. Dès l’invasion serviteurs de la Sécu.
de la chaise vide. de l’Ukraine par la Russie, Depuis 1960, l’École
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LE GOÛT
65 Elles font œuvre 74
Georgio, rappeur 83 À portée de main
de vêtements. introspectif. Le cuiseur de riz.
70 Têtes chercheuses
Romain Boudruche 78 Exercice de style 85 Empreinte végétale La couverture
et Matthieu Mazièreas, Lâcher les brides. Violette, clochette a été réalisée
un duo baladeur. de caractère. par Daria Svertilova
pour M Le magazine
80 Bulle d’air du Monde.
71 Variations Quartier libre 86 L’invitée du podcast
Hors pistes. dans le Périgord. Inga Sempé.
DIRECTEUR DE LA CRÉATION_
Jean-Baptiste TALBOURDET-NAPOLEONE
RÉDACTION Samuel BLUMENFELD, Yann BOUCHEZ, Zineb DRYEF, Olivier FAYE et Benoît HOPQUIN.
Avec Lucas MINISINI.
Sabine MAIDA (cheffe adjointe Lifestyle et beauté),
Caroline ROUSSEAU (cheffe adjointe Mode) et Fiona KHALIFA (coordinatrice Mode).
Avec Aude GOULLIOUD et Laëtitia LEPORCQ.
Chroniqueurs_Marc BEAUGÉ, Guillemette FAURE.
Assistantes_Aurora SALCEDO, Marie-France WILLAUME (service photo).
ÉDITION Céline MORDANT (cheffe d’édition), Rachida GMIZ, Stéphanie GRIN et
Paula RAVAUX (cheffes d’édition adjointes). Boris BASTIDE, Béatrice BOISSERIE, Geneviève
CAUX, Nadir CHOUGAR, Sébastien JENVRIN, Joël MÉTREAU, Agnès RASTOUIL. Avec Soizic
BRIAND, et Pauline FEUILLÂTRE. Révision_Jean-Luc FAVREAU (chef de section), Adélaïde
DUCREUX-PICON. Avec Arnaud DUBOIS et Rachel TEYSSANDIER.
Rédaction en chef : Laurent BORREDON, Emmanuel DAVIDENKOFF (événements), Michel GUERRIN, Alain SALLES (Débats et Idées) / Documentation : Muriel GODEAU (cheffe de service) et Vincent NOUVET /
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Origine du papier : Norvège. Taux de fibres recyclées : 0%. Ce magazine est imprimé chez Maury certifié PEFC. Eutrophisation : PTot = 0.010kg/tonne de papier. Dépôt légal à paru-
tion. ISSN 0395-2037 Commission paritaire 0712C81975. Agrément CPPAP : 2002 C 81975. Distribution France Messagerie. Routage France routage.
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1 – ÉLISA MIGNOT est journaliste et productrice 3 – BEN OÎT HOPQUIN est grand reporter à M 5 – CAMILLE BORDENET est journaliste au Monde,
de podcasts. Depuis un an, elle accompagne Olga Le magazine du Monde. L’actuel débat sur la où elle travaille sur les territoires ruraux. Pour M,
et Sasha, deux sœurs ukrainiennes, dont l’une réforme des retraites porte en lui celui sur la elle s’est intéressée à Lormes, un village du
habite à Kiev, l’autre à Paris, dans l’écriture d’un pérennité du système de protection sociale Morvan qui incarne la redynamisation que
journal de guerre, publié chaque semaine dans M français. Il est donc allé à la rencontre des élèves connaissent certaines campagnes avec l’arrivée
Le magazine du Monde. « Pendant les cinquante de l’École nationale supérieure de Sécurité de nouveaux habitants. « J’ai voulu sonder les
semaines les plus difficiles de leur vie, Olga et sociale. « Il m’a semblé intéressant d’avoir l’opi- recompositions socioculturelles à l’échelle d’un
Sasha ont partagé leur quotidien, leurs question- nion et les motivations de ceux qui seront amenés confetti de territoire : comment, dans cette micro-
nements, leurs pensées les plus intimes. Cela a été à gérer ce système dans le futur. » P. 44 société, apprennent à cohabiter des codes urbains
une façon d’informer autrement sur ce conflit, en et ruraux, du patois morvandiau et du do-it-your-
assumant une subjectivité, une incarnation très 4 – MARGAUX SENLIS est une photographe née en self, des chasseurs et des “écolo-végans”, des agri-
forte. Ce journal est une expérience inédite pour région parisienne. Après des études de photo aux culteurs et des ingénieurs, bac + 5 et CAP, certains
chacune de nous trois. » P. 35 Gobelins, à Paris, et à l’ENSP à Arles, elle reste habitants n’ayant jamais quitté leur pays, d’autres
dans la région. Son travail est rythmé entre des ayant choisi de l’investir pour porter des projets
2 – DARIA SVERTILOVA est une photographe née à commandes et une pratique plus personnelle, artistiques ou politiques. La façon dont des “néos”
Odessa, en Ukraine. Elle vit entre son pays d’ori- plastique et engagée. Elle fait partie des deux ont, avec humilité, transformé l’auberge du village
gine et la France, où elle finit un master à l’École cents photographes de la grande commande en tiers-lieu tout en veillant à ce qu’elle conserve
des arts décoratifs. Dans sa pratique, elle s’inté- photographique de la Bibliothèque nationale de son âme était en cela symbolique. » P. 48
resse à l’Ukraine d’aujourd’hui et met en France (BNF) « Radioscopie de la France ». Pour
lumière la jeune génération. Elle a rencontré à ce numéro, elle s’est immergée à l’École natio- 6 – CLAIRE JACHYMIAK est photographe indépen-
plusieurs reprises au cours des derniers mois nale supérieure de Sécurité sociale. « Je n’avais dante pour Le Monde et d’autres supports de
Olga et Sasha. « Le jour où nous nous sommes jamais, ô grand jamais, entendu parler de cette presse. Alors qu’elle est installée en Bourgogne,
donné rendez-vous à Kiev avec Sasha, la journée école pourtant si nécessaire. L’EN3S est un ses projets personnels se déroulent tous « pas très
a commencé par une alerte aérienne. Au bout de contraste entre un décor figé dans le temps et des loin de chez [elle] ». Convaincue par la nécessité
onze mois de guerre, on s’y est tous habitués et problématiques inévitablement d’actualité. » P. 44 de représenter la France rurale, elle a notamment
on essaye de garder une activité normale. Mais, documenté l’univers des stations-service dans le
à chaque fois, l’atmosphère se tend : on ne sait cadre de la grande commande photographique
pas à quoi s’attendre. Dès que je suis sortie de de la BNF en 2022. « Le reportage sur Lormes m’a
chez moi pour rejoindre Sasha, la sirène s’est permis de mettre en images cette micro-société où
arrêtée, je l’ai pris comme un signe positif. » P. 35 des personnes très différentes d’un point de vue
socio-culturel cohabitent de manière plutôt har-
monieuse et avec l’humilité nécessaire pour que ce
brassage fonctionne. » P. 48
Julie Gacon. Daria Sver tilova. Le Monde. William Fleming. Le Monde. Claire Jachymiak
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Pour envoyer vos photographies de M :
lemonde.fr/lemdelasemaine
Le M de la semaine.
« ÉGLANTIER GELÉ DANS LA FORÊT DU NONNENBRUCH, EN ALSACE. » Louisa DJAOUI
Louisa Djaoui
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ENTRE-SOI LES FAISEURS D’HISTOIRE.
PLUSIEURS ENSEIGNES RÉCENTES S’INVENTENT UN PASSÉ ET DES RACINES
FAISANT DE LA NOSTALGIE UN ARGUMENT DE VENTE.
O F F I C I E L L E M E N T, L A T E N - sont aussi équipées de vrais-faux feux bien le mot “maison”, une maison, ça a
DA N C E S E R A I T À L A R ÉC U P É R AT I O N de cheminée. Les nouvelles brasseries des fondations… » « Tous les clichés y
et au recyclage : aujourd’hui, on fait cherchent à avoir l’air patiné dès sont, mais c’est tellement bien fait. »
du neuf avec du vieux. Et pourtant, l’ouverture. « Nos anciens à nous, c’est « Il faut jouer l’histoire jusqu’au bout. »
ils sont nombreux, à l’inverse, à faire Mamie Bellanger et Papi Dubillot », « Je préfère quand même qu’on ait
du vieux avec du neuf. Rachetée indique sur son site le groupe un retour du pâté en croûte que des
par LVMH, la maison Buly (« fondée Nouvelle Garde dont les trois brasse- œufs en gelée. »
en 1803 », selon la légende de la griffe, ries Dubillot, Boulanger et Martin
mais véritablement créée en 2014) – « des haltes jouissives dans un Paris LEURS GRANDES VÉRITÉS
se fait appeler « officine » et vend des d’époque » – ont ouvert dans un Paris C’est un hommage à une époque
fausses vieilles crèmes, des onguents à d’époque… post-2019. Il paraît qu’on stylistique. Le neuf, ça manque d’âme.
l’ancienne et des peignes à sourcils, de appelle ça « l’authentoc ». Le temps est aux maisons plutôt
l’époque mal identifiée où l’on se qu’aux groupes.
peignait les sourcils. La nostalgie s’est À QUOI ON LES RECONNAÎT
massifiée et les racines inventées font Ils emploient les mots « ateliers », « mai- LEURS QUESTIONS EXISTENTIELLES
partie du fonds de commerce de toutes son » ou « fabrique » pour parler de leur On peut dire vintage quand ça a été
sortes de marques, à la manière de entreprise montée trois ans auparavant fabriqué il y a six mois ? Est-ce qu’il
Moleskine dont les carnets (créés sans atelier, ni maison, ni fabrique. faut que j’attende la naissance de mon
en 1997) p rétendent être ceux, légen- Ils ont trouvé un arrière-grand-père enfant pour parler d’une entreprise
daires, d’Ernest Hemingway (mort épicier ou un ancêtre restaurateur, dont « de père en fils » ?
en 1961) sous prétexte que l’écrivain ils disent s’être inspirés. Ils ne créent pas
décrivait un carnet dans le livre Paris du faux vieux, ils « redonnent vie ». Ils LEUR GRAAL
est une fête. ont une antenne dans le Perche et une Avoir un site Internet qui mélange
Alors qu’on parle de s’adapter à une autre à New York. Sur leur site Internet, typographie du XVIIIe britannique et
nouvelle époque et aux défis clima- il y a toujours une partie « histoire ». calligraphie à la plume d’oie, remon-
tiques, des marques recréent des Ils se réjouissent d’avoir un nom fran- tant sans doute à l’époque où les ordi-
décors de vieilles boiseries et théières chouillard : avec le mot « maison » nateurs étaient en ronce de noyer.
en argent pour vendre des bols, des devant, ça peut donner l’impression
balayettes ou des confitures hors de d’avoir été « fondé » il y a trois LA FAUTE DE GOÛT
prix mais marketés en valeurs d’autre- générations. Ils vont faire du sport à la Qualifier quelque chose de « style
fois. Comme si des photos de familles salle L’Usine, mais n’ont jamais travaillé grand-mère », alors que les grands-
des « trente glorieuses » avaient le à l’usine. mères actuelles sont meublées chez
même pouvoir nostalgique pour tous, Ikea et que le papier peint est passé
les 53 boulangeries-sandwicheries COMMENT ILS PARLENT du côté des milléniaux.
Feuillette sont décorées des mêmes « Paris, Londres, Milan, Munich, Tokyo,
reproductions numérisées des photos Séoul, Hongkong, Bangkok… Toutes nos
de famille en noir et blanc des parents officines. » « Le point de départ de cette
du fondateur de l’enseigne. « Si vous ne brasserie et du menu, c’est le carnet de
mettez pas de photos de famille, vous cuisine de l’arrière-arrière-grande-tante
vous sentez à l’hôtel », décode Jean- de Charly, Marie-Louise Bellanger. »
François Feuillette, dont les boutiques « C’est dupliqué à l’identique. » « J’aime
LA SEMAINE
Un magasin Auchan
à Moscou, en 2020.
19
LA SEMAINE
20
EN TURQUIE, UN ROCKEUR AU GRAND CŒUR.
Le musicien Haluk Levent a, en un temps record, levé près de 50 millions d’euros et mobilisé
des bénévoles pour venir en aide aux victimes du séisme, alors que le gouvernement
est critiqué pour son inaction. Texte Sevin REY-SAHIN
ILS ENTENDENT ENCORE DES VOIX SOUS LA MONTAGNE
DE GRAVATS. « Personne ne vient aider, on ne peut pas sortir nos
proches », pleure un homme dans une vidéo publiée quatre jours
après le séisme qui a dévasté le Sud-Est turc et le Nord-Ouest
syrien, le 6 février, faisant un bilan provisoire de plus de
35 000 morts. Une dizaine d’hommes et de femmes réunis
devant les décombres de leur immeuble crient leur désespoir.
À la fin de la vidéo, « entend-nous Haluk Levent », tonnent-ils tous
en chœur à l’attention du rockeur turc à la tête de l’ONG Ahbap.
Dans une autre vidéo, publiée sur Twitter quarante-huit heures
après la catastrophe, on voit le chanteur faire un compte rendu
des opérations de secours au ministre de la santé, Fahrettin
Koca, et à son homologue à la défense, Hulusi Akar. Face à la
pire catastrophe naturelle que le pays a connue, et alors que son
gouvernement est très critiqué pour son inaction, la Turquie a
trouvé en la rockstar le sauveur dont elle a besoin.
L’artiste aux 8 millions d’abonnés sur Twitter, élu personnalité
publique la plus fiable de Turquie depuis quatre ans selon un
sondage Ipsos-MediaCat, a dépêché les équipes bénévoles de
son ONG sur le terrain en à peine deux heures. Il y a envoyé des
camions de vivres, des toilettes et des douches mobiles, de
l’eau potable, mais aussi des secouristes. Une semaine après le
séisme, il a installé un campement pour héberger
3 000 familles à Antioche, l’une des villes sinistrées. Le porte- mettant en lien nécessiteux et donateurs. Pour remercier ces Captures d’écran
feuille de cryptomonnaies d’Ahbap a récolté plus de 2 millions derniers, Levent se déplace chez eux, leur prépare un petit du compte
Twitter de
d’euros en deux jours. Les personnalités publiques les plus en déjeuner, une soupe, un barbecue ou bien fait la vaisselle. Haluk Levent.
vue du pays, mais aussi des entreprises comme McDonald’s ou D’opération en opération, la blague devient ONG, recrute À gauche, un
TikTok ont préféré donner à Ahbap plutôt qu’au Kizilay (le 300 000 bénévoles dans 68 villes, coopère avec les municipali- déplacement
du musicien
Croissant-Rouge) ou à l’Autorité de gestion des catastrophes tés et les institutions comme l’AFAD. dans la province
et des urgences (AFAD). Le 12 février, Haluk Levent estimait à Le 6 février, devant les images de villes détruites, de nombreux turque de Hatay.
plus de 49 millions d’euros l’ensemble des aides reçues. Turcs se ruent sur le site d’Ahbap pour envoyer leurs dons. « Il y a À droite, une
intervention
Le rockeur de 54 ans, huitième d’une fratrie de neuf enfants, est vingt ans, les gens auraient donné à l’AFAD ou Kizilay, mais, des bénévoles
issu d’un milieu populaire. Après une carrière ratée dans le com- depuis qu’Erdogan a installé ses proches à la tête de ces orga- de l’ONG Ahbap
dans la ville de
merce, qui lui a valu un séjour en prison pour chèques sans pro- nismes et en a fait des lieux de rente, il y a une grande méfiance », Kahramanmaraş.
vision, l’homme se lance dans la musique en 1993. Dès son pre- analyse le politologue Özgün Emre Koç. En 2020, un scandale
mier album, il devient l’idole d’une jeunesse turque qui ne se révèle le financement par Kizilay de la fondation religieuse Ensar,
retrouve ni dans la pop commerciale édulcorée alors en vogue, proche du pouvoir et dont des membres ont été reconnus cou-
ni dans la musique arabesque de leurs pères. Album après pables de viols sur des mineurs hébergés dans ses internats
album, Haluk Levent est devenu une star nationale et une figure d’enseignement religieux, entre 2012 et 2015. Quant à l’AFAD,
incontournable du rock anatolien, où se mélangent riffs de gui- un rapport de la Cour des comptes turque, publié en 2017, note
tare et mélodies traditionnelles. Dès ses débuts, le chanteur a l’absence de données sur la destination des dons récoltés par la
multiplié les concerts de bienfaisance pour des enfants malades fondation. Le soir du séisme du 6 février, les Turcs se deman-
mais aussi les manifestations contre la construction des cen- daient, eux, où sont passés les 88 milliards de livres turques
trales nucléaires ou d’usines polluantes. En 1999, il participait (environ 4,3 milliards d’euros) de l’impôt séisme récoltés depuis
déjà à des opérations de secours pendant le grand séisme qui a 1999 et destinés à la prévention des tremblements de terre.
frappé le nord du pays. « Quand on est enfant et que l’on nous Dans un souci de transparence, Haluk Levent a promis de
demande ce que l’on veut faire plus tard, on répond tous que l’on rendre compte de chaque dépense et d’afficher le montant des
Captures d’écran du compte Twitter d’Haluk Levent
veut aider les autres puis on grandit et on oublie. Moi, je suis resté dons et les noms des donateurs sur son compte Twitter. Mais
fidèle à mes rêves d’enfant », affirmait le musicien dans une inter- cet afflux d’argent attise des jalousies. « Vous ne pouvez pas
view accordée à BIZ10TV, le 2 octobre 2019. confier 1 milliard de lires à Haluk Levent », dénonçait Turgay
Ce rêve, il le réalise surtout avec la création de son association, Güler, journaliste proche du pouvoir, sur la chaîne Ülke TV. Lors
Ahbap, qui part d’une blague sur Twitter en avril 2017 lors du de son intervention à Adiyaman (sud du pays), le 10 février, le
référendum sur la réforme constitutionnelle. Une internaute, président turc, Recep Tayyip Erdogan, a demandé à son peuple
déçue par le résultat donnant les pleins pouvoirs à l’exécutif, de préférer Kizilay ou l’AFAD pour éviter les « abus ». Le même
propose à Haluk Levent de fonder un parti. Le rockeur relève le jour, Haluk Levent a exhorté ses abonnés à partager un tweet
défi en créant la plate-forme Anatolie du peuple et de la paix affirmant que l’AFAD et Ahbap appartenaient tous deux aux
(Anadolu Halk ve Barış Platformu), dont le sigle signifie « pote » Turcs pour ne pas diviser davantage une population qui a plus
en turc. Ahbap n’est pas un parti politique, mais un réseau que jamais besoin d’unité.
LA SEMAINE
Lors de la Féria
de Otoño, aux
arènes de las
Ventas, à Madrid,
le 8 octobre
2022.
tés culturelles. Deux cents euros sont réser- Même les jeux vidéo ont été inclus… » main, le Parlement a approuvé la loi de bien-
vés aux arts vivants, patrimoine culturel et arts Pour la Cour suprême, saisie par la fondation, être animal, présentée par la ministre
audiovisuels, 100 euros pour les produits aucune raison objective ne justifiait l’exclusion (Podemos) des droits sociaux, Ione Belarra.
culturels sur support physique, tels que les de la tauromachie. Dans son arrêt, l’instance Chiens de chasse et taureaux de corrida en
livres, les DVD ou les jeux vidéo, et 100 euros souligne qu’elle n’a pas à se prononcer sur le ont été exclus.
24
LA SEMAINE
ET SOUDAIN, DES DIZAINES DE CLOWNS FONT IRRUPTION figures de Malcolm X, Nelson Mandela et Martin Luther King.
dans la nuit carioca. Au son du funk et dans un délire de feux « On veut faire changer les mentalités », explique Filipe
d’artifice, les voilà qui envahissent la rue, vêtus de masques Marimba, noir de peau, comme la majorité des habitants des
effrayants, de grosses combinaisons aux motifs extravagants, périphéries. « Tout le monde ici subit le racisme… un sujet
de collants chamarrés, de plumes d’or, de pourpre et d’azur. Les dont le dernier gouvernement ne se souciait pas du tout »,
fêtards tiennent à la main un bâton, auquel est accroché un filet ajoute-t-il, visant l’extrême droite de Jair Bolsonaro.
contenant une balle en plastique, avec laquelle ils battent vio- Difficile de dater l’origine du phénomène. Les bate-bolas sont
lemment le sol. Voici les fascinants et bien nommés bate-bolas, parfois surnommés les « clóvis », un dérivé possible de l’anglais
les « frappe-ballon » du carnaval de Rio. À plusieurs dizaines clown, donné par des étrangers de passage au début du
de kilomètres du centre-ville, où défilent fanfares et écoles de XXe siècle. Des chercheurs ont cru y déceler des origines por-
samba, point de chars allégoriques ni de danseuses dévêtues. tugaises, voire celtiques… La légende dit que le premier ballon
Chaque année, ces clowns célestes, qu’on dirait débarqués aurait été une vessie de bœuf, cédée par un abattoir du quar-
d’une autre planète, investissent les rues des quartiers popu- tier de Santa Cruz, à l’extrême ouest de Rio. « Plusieurs mythes
laires, noirs et périphériques. Les bate-bolas sont pourtant loin fondateurs coexistent, mais il est difficile de démêler le vrai du
d’être marginaux. Il en existerait jusqu’à 2 000 groupes dans les faux », constate Aline Valadão, chercheuse à l’université d’État
seules limites de Rio, dont certains comptent des dizaines, voire de Rio, l’une des rares à étudier le phénomène. « Au fil du
des centaines de membres. Par son ampleur et son exubé- temps, les groupes se sont professionnalisés. L’activité mobilise
rance, le phénomène dépasserait, selon certains, le carnaval énormément de gens et génère un revenu non négligeable »,
officiel et touristique, qui s’ouvre le 21 février. poursuit-elle. Un costume se vend aux alentours de 1 500 reais
Chez le groupe Bicho Rei (« animal roi »), Filipe Marimba (270 euros), davantage que le salaire minimum local. Et pour-
ne chôme pas. Dans une petite maison du quartier de tant, malgré sa longue histoire, le bate-bola peine à être
Guadalupe, au nord de Rio, lui et ses comparses frappe-bal- reconnu. « Il demeure mal vu et ignoré par les habitants des
lon préparent pas moins de 240 costumes pour leur sortie de quartiers riches. Il est associé à la marge, aux quartiers noirs,
l’année. « On a des gens de tout Rio, de 3 à 60 ans ! Même dangereux », explique Aline Valadão. Autrefois, les clowns
mon fils de 8 mois, je l’emmène ! », rigole ce gaillard de 37 ans, usaient parfois de leur ballon pour frapper les passants et des
affairé au milieu de piles de masques et de jupes à paillettes. affrontements entre groupes rivaux, où cohabitaient parfois
Cette année, ils ont choisi le thème de l’antiracisme. Sur trafiquants de drogue et policiers, se sont soldés par des morts.
le costume, au lion rugissant de Bicho Rei se joignent les Mais, au Brésil, la violence est loin d’être l’apanage des bate-
bolas, qui sont dans leur immense majorité pacifiques.
« L’esprit bateboleiro, c’est la liberté, la fête ! », insiste Marcelo
« Indio ». À 54 ans, cet affable designer de bate-bola du quar-
tier de Marechal Hermes est l’une des légendes vivantes
du mouvement. Cette année, ses costumes seront aux motifs
LES “BATE-BOLAS”, FACE MASQUÉE du Roi Lion de Disney. Comme de nombreux autres groupes,
il a choisi de substituer une ombrelle au ballon. « Il faut mon-
DU CARNAVAL DE RIO. trer une image pacifique », prêche Marcelo « Indio ». Il
Les “frappe-ballon”, clowns effrayants et extravagants, conserve chez lui tout un bric-à-brac de souvenirs, entre cos-
tumes des éditions précédentes et masques anciens. « Mon
s’apprêtent à envahir les rues des quartiers noirs et rêve, c’est de créer un musée du bate-bola, explique-t-il. Il
populaires de Rio à l’occasion du carnaval qui démarre faut créer un lieu de mémoire, de transmission. Ne pas laisser
notre culture enfermée dans un ghetto. Raconter notre
le 21 février. Peu reconnus, ces groupes à la mauvaise histoire et la montrer au reste de Rio, au Brésil et au monde. »
réputation sont pourtant l’âme du rendez-vous carioca. Les temps changent. Longtemps réservés aux hommes hétéro-
sexuels, les bate-bolas s’ouvrent aux femmes et aux per-
sonnes LGBT. Depuis dix ans, ils sont inscrits au Patrimoine
Texte Bruno MEYERFELD
culturel de la ville. Secrétaire à la culture de la ville de 2021 à jan-
vier 2023, le metteur en scène Marcus Faustini, lui-même
auteur d’un documentaire remarqué sur le sujet (Carnaval,
bexiga, funk e sombrinha, 2006), a procédé à un inventaire des
groupes de bate-bolas et commencé à leur faire bénéficier de
financements publics. « Il s’agit d’une manifestation d’art contem-
porain, explique-t-il. Il faut permettre à tout ce potentiel créatif de
s’exprimer. » À Rio, certains souhaitent la mise en chantier d’un
Batebolódromo, à l’image du Sambodrome où défilent déjà
chaque année les écoles de samba. Mais d’autres redoutent une
inévitable domestication, commercialisation, voire « blanchisa-
tion » d’une culture populaire. « Il faut sortir de la folklorisation,
assume Marcus Faustini. Ceux qui prétendent aimer le carnaval
sans connaître le bate-bola ne connaissent rien à Rio ! »
Vincent Rosenblatt
Qonto (Olinda SAS - RCS Paris 819 489 626) - établissement de paiement agréé et supervisé par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (CIB 16958).
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LA SEMAINE
La « machine » s’est emballée le 19 janvier, à Républicains), pro-réforme, Pierre-Louis Bras, continuer de donner des cours à l’université
l’Assemblée nationale. Ce jour-là, la commis- « un pédagogue qui connaît bien son affaire », Paris-Dauphine. Et si ses sessions de plongée
sion des finances auditionne le président du n’a pas failli ce 19 janvier, « même si ce n’est sous-marine – sa passion avec le squash, qu’il
COR « sur les perspectives d’évolution du sys- jamais facile de résumer un rapport du COR ». ne pratique plus – ne suffisent plus à occuper
tème de retraites ». D’ordinaire, pas le genre de Fils unique de paysans aveyronnais, Pierre- ses vacances, il n’est pas impossible qu’il
réunion tape-à-l’œil. Sauf que le rendez-vous, Louis Bras est un transfuge de classe. À son CV, écrive un jour un livre sur les retraites.
28
L’HISTOIRE SE RÉPÈTE LES POLITIQUES
DE LA CHAISE VIDE.
QUITTER UN PLATEAU DE TÉLÉVISION EN PLEIN DIRECT EST UNE FIGURE
PRESQUE CLASSIQUE DE LA VIE POLITICO-MÉDIATIQUE. AVANT JEAN-LUC
MÉLENCHON, LE 9 FÉVRIER, PLUSIEURS POLITIQUES AVAIENT DÉJÀ PRIS
LEURS CLIQUES ET LEURS CLAQUES DEVANT LES CAMÉRAS.
Lâchez-nous ! Il a été assez candidats, puis quitte le pla- en plateau, quarante-cinq merci ! », lance-t-il. « T’es
puni ! » Jean-Luc Mélenchon teau de la chaîne en guise de minutes plus tard. vraiment un enfant… », glisse-
a ensuite claqué la porte, feu d’artifice final. t-il à son porte-parole, David
Capture écran Twitter BFM-TV. Capture écran Twitter Debout la France.
30
Une nouvelle exposition de la Collection Pinault
à la Bourse de Commerce, Paris
AVANT
L’ORAGE
Pinault
Collection
LA SEMAINE
C’EST PEUT-ÊTRE
UN DÉTAIL POUR VOUS... MAIS PAS POUR MARC BEAUGÉ.
1. CONTE D’HIVER 2. PLAT DU JOUR 3. OSEZ JOSÉPHINE 4. LA TAILLE QUI COMPTE 5. L’AIR DE RIEN
L’esprit tout occupé à Cette photo nous permet, Pour se tenir à l’abri du Notons la présence, dans Comment, enfin, ne pas
la réforme des retraites dans un premier temps, de froid, Éric Dupond-Moretti le dos du ministre, de ce remarquer la présence
et à votre obsession nais- constater que le départ de a pris soin de nouer autour que l’on appelle une mar- derrière le ministre d’une
sante pour le charisma- Jean-Michel Blanquer de son cou une écharpe tingale. De quoi s’agit-il ? berline de fonction ?
tique ministre du travail, du gouvernement n’a pas bleu marine. Puisque ceci De la courroie du harnais Celle-ci nous rappelle
Olivier Dussopt, vous aviez signé la disparition com- n’a rien de particulière- empêchant l’élévation exa- que le garde des sceaux
un peu oublié l’existence plète de la casquette plate, ment étonnant ou d’inté- gérée de la tête du cheval ? a la passion des voitures
d’Éric Dupond-Moretti ? ou flat cap, parmi les ressant, remontons dans Non, pas de cette martin- et qu’il s’offrit, en 2013,
Sachez d’abord que vous ministres. Éric Dupond- le temps pour nous culti- gale-là. Alors du système une belle Maserati dont
n’êtes pas seul dans ce Moretti arbore fièrement ver un peu. Saviez-vous prétendant assurer un on lui parle encore
cas. Sachez surtout qu’il l’accessoire. Dans le détail, que Napoléon Bonaparte bénéfice certain dans aujourd’hui. Elle nous
va bien. Toujours garde on relève que sa casquette était, lui aussi, adepte de les jeux de hasard, selon remémore aussi que, il y a
des sceaux et mis en exa- est composée d’une visière l’écharpe ? Il en offrit des principes fondés sur encore six mois, le moteur
men pour « prise illégale et de huit panneaux de même de nombreuses le calcul des probabilités ? de tous les véhicules des
d’intérêts », l’ancien avocat tissu. À ce titre, elle mérite datant de l’Égypte Non plus. Sur un manteau, ministres tournait à vide
Xose Bouzas/Hans Lucas via AFP
participait, le 8 février, au l’appellation « newsboy », ancienne à son épouse, une martingale est un pendant les conseils des
traditionnel conseil des car elle fut longtemps Joséphine, qui prolongea ensemble de deux pattes ministres et qu’il fallut une
ministres. Pour l’occasion, le couvre-chef de choix la collection jusqu’à se boutonnant l’une sur mise à l’index publique de
il avait même sorti une des jeunes garçons la folie. On dit qu’elle l’autre et placées à la taille la part de journalistes pour
riche panoplie d’hiver assurant, aux États-Unis accumula, en quelques dans le dos d’un vêtement. que la pratique cesse
méritant quelques ou en Grande-Bretagne, années près Disons-le plus clairement, enfin… Cela aussi, on
explications. la livraison des journaux. de 400 écharpes rares. c’est pure coquetterie. l’avait presque oublié.
32
UNE VIE, UNE ŒUVRE
Colette
Le tourbillon
de la vie
ÉDITION
2023
AU PALMARÈS DES AMENDES RECORD, Bolloré, l’animateur poursuit son émission à ses débuts, mais intrigue, plus que jamais.
Cyril Hanouna succède à Hanouna Cyril. « TPMP », née deux ans plus tôt sur France 4, et Le 20 juillet 2017, Gérard Davet et Fabrice
L’Arcom (ex-CSA), le gendarme des écrans, devient « la nouvelle star du PAF », observe Joël Lhomme consacrent une double page au titre
a sanctionné, le 9 février, la chaîne C8 d’une Morio dans le premier portrait que Le Monde lui évocateur – « Puéril en la demeure » – à ce
pénalité de 3,5 millions d’euros pour les consacre, le 3 février 2013. « Cyril Hanouna est « garçon attachant, sans une once de
copieuses insultes déversées par son anima- omniprésent, résume le journaliste. D8 en a fait cynisme », « totalement immature » et « sorte
teur vedette à l’encontre du député Louis sa tête de gondole pour séduire. » Sa recette ? de mauvais génie cathodique ». Après un bac
Boyard (LFI), le 10 novembre 2022, sur le pla- « On est là pour les bons mots plus que pour une scientifique et des études avortées d’expert-
teau de « Touche pas à mon poste ! ». « Espèce analyse profonde de la télévision. Et gare à celui comptable, rappellent les journalistes, ce fils
d’abruti », « t’es une merde », « ferme ta gueule », qui ne tient pas le rythme, Hanouna lui fera de médecin a trouvé sa voie comme amuseur
« allez, barre-toi », avait éructé, entre autres remarquer gentiment ou lui enverra un SMS, à à la télévision. « Depuis, écrivent-ils, il évolue
amabilités, le patron de l’émission. Furieux, n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, sur- sans filet. Quand il tombe, il se blesse. Et il
il n’avait pas accepté que le jeune élu, ancien tout si les audiences sont en berne. » La petite blesse. On ne compte plus les situations
chroniqueur de « TPMP », ait décidé de parler chaîne de la TNT, avec sa tête d’affiche, décolle gênantes sur le plateau, les attitudes grave-
de son ami Vincent Bolloré, propriétaire de C8, et taille des croupières à la concurrence. leuses, les humiliations institutionnalisées, le
et de son rôle en Afrique. Ce même 9 février, L’ascension est vertigineuse. En octobre 2015, sexisme ordinaire ou les polémiques montées
la Cour européenne des droits de l’homme a Vivendi et Vincent Bolloré signent un chèque de de toutes pièces… » Pas de quoi le marginali-
rejeté deux requêtes de C8 contre des sanc- 50 millions d’euros annuels pour investir dans ser, loin de là. Hanouna reçoit sur son plateau
tions prononcées il y a cinq ans. Le 18 mai 2017, les émissions de l’animateur. « Le montant du des « gilets jaunes » comme des ministres
Cyril Hanouna avait piégé, voix maniérée à contrat décroché par H2O, la société de de la Macronie, observent François Bougon,
l’appui, des homosexuels répondant à une production fondée par Cyril Hanouna, a décro- Olivier Faye et Alexandre Piquard en
fausse annonce. La chaîne avait écopé d’une ché plus d’une mâchoire dans le milieu de l’au- janvier 2019, rappelant au passage que le
amende de 3 millions d’euros de la part du diovisuel », image alors Alexandre Piquard. En président de la République avait, fin 2017,
CSA, « la plus forte alors jamais infligée à un avril 2016, Joël Morio évoque une « Hanouna « décroché son téléphone pour intervenir
éditeur de télévision », rappelait, le 11 février dépendance » et s’interroge : « L’animateur ne en direct dans l’émission ».
2023, la journaliste Aude Dassonville. serait-il pas devenu le patron de facto du hui- En avril 2021, la ministre Marlène Schiappa
Loin de ces affligeantes histoires, Cyril tième canal ? » Le principal intéressé tempère va même jusqu’à trouver, dans les colonnes
Hanouna apparaît dans les pages du Monde dans un entretien au Monde, le 4 sep- de M Le magazine du Monde, que, « en 2022,
au détour d’un court article au ton léger. Le tembre 2016 : « Il est vrai que nous bénéficions c’est lui qui devrait coprésenter le débat de
18 janvier 1999, le journal note la sortie d’une d’une liberté absolue, mais je ne me sens pas l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle ».
sitcom, Sur la vie d’ma mère, relatant la vie tout-puissant, ni libre de dire n’importe quoi. » Le journaliste Alexandre Duyck, dans ce long
d’une famille juive du Sentier. La journaliste Dans sa course à l’audience, Hanouna multi- portrait, décrit « un homme aux multiples
Karine Nakache semble avoir apprécié le plie les dérapages. Tout est bon pour faire le visages », « tantôt clown », « tantôt intervieweur
« scénario divertissant signé Yves Azeroual buzz. Un jour il verse des nouilles dans le slip sérieux ». Un « homme d’affaires redoutable et
et Cyril Hanouna », avec ses « clichés en tout d’un de ses chroniqueurs souffre-douleur, redouté », avide de scandales mais en quête
genre » sur la communauté séfarade. Mais traité de « pleureuse ». Un autre, c’est l’un de de respectabilité, dont la vie a basculé quand
de ce coscénariste, le lecteur ne saura rien de ses acolytes qui embrasse la poitrine d’une il a rencontré Vincent Bolloré. Un adepte des
plus. Le quotidien ignore ses premiers pas sur invitée sans son consentement. Joël Morio coups de pression, aussi, et des piques à ses
la chaîne Comédie !, sur les ondes de Fun relève, à l’automne 2016, que le CSA, saisi de concurrents. « Pourquoi tant de haine ? s’inter-
Radio ou son échec comme animateur du nombreuses plaintes, a l’émission dans le col- roge le rédacteur. Pourquoi ces moqueries,
« Morning Live », sur M6. La télévision limateur. Les outrances sexistes et populistes ces fausses allégations, ces attaques contre
publique (qu’il conchie désormais) va offrir de « TPMP » font fuir certains annonceurs au les autres stars du petit écran ? “Tout ça, c’est
à Cyril Hanouna un tremplin et une visibilité. printemps 2017, après le canular homophobe de l’humour, c’est pour rire, c’est pour décon-
Le 14 juillet 2007, le journaliste du Monde Guy de Cyril Hanouna – qui vaut à la chaîne trois ner, il ne faut jamais le perdre de vue”, répond
Dutheil s’amuse de ce « petit trublion moulé semaines sans publicité. Le CSA reçoit alors Cyril Hanouna. » Les sept pages de M sont
dans un tee-shirt jaune [venu] dynamiter l’an- plus de 20 000 signalements. Dans un por- pourtant titrées : « Fini de rire ». Quelques
tenne de France 3 » à coups de blagues trait publié le 26 mai 2017, intitulé « C8 à la mois plus tard, alors que l’animateur fustige
potaches dans les campings. « L’humoriste merci de Cyril Hanouna », Joël Morio décrit sur son plateau la justice laxiste et la télévision
pratique le décalage, se complaît dans le non- cette fois l’animateur comme le véritable publique, Aude Dassonville et Brice Laemle
sens, le burlesque, observe le journaliste. patron de C8 qui, « tel un enfant, (…) accepte notent qu’il est passé du statut de « trublion » à
Il n’est jamais méchant et, surtout, jamais mal d’être pris en faute ». Le 28 mai 2017, le celui de « tribun populiste ».
il ne ridiculise ses victimes du jour. » journal consacre même son éditorial du jour
O tempora, o mores. La carrière de Cyril au sujet : « Affaire Hanouna, que fait le
Hanouna s’envole en 2012, lorsqu’il rejoint D8, CSA ? » Les sanctions vont bientôt pleuvoir.
l’ancêtre de C8. Sur la chaîne de Vincent L’animateur n’amuse plus Le Monde comme Texte Yann BOUCHEZ
CYRIL HANOUNA
LE 18 JANVIER 1999, LA PREMIÈRE FOIS QUE “LE MONDE” A ÉCRIT
34
Olga (à gauche)
et Sasha Kurovska,
LE MAGAZINE
à Paris, le 31 octobre.
VENDREDI 25 FÉVRIER 2022, Kyiv. Sasha le font dans leur journal). À cette époque, l’im- sa grand-mère, à sa sœur, à sa vie. À leur vie qui
avance dans un sous-sol éclairé par la lumière mense place Maïdan est occupée depuis soudain vole en éclats. Quand je la retrouve, le
crue des néons. Elle tient son téléphone en hau- novembre 2013. Une révolution citoyenne y est lendemain, à la cave à vins, je ne sais pas com-
teur pour montrer à sa sœur, Olga, le parking où née au nom de la liberté, des valeurs euro- ment la rassurer. Elle souffre terriblement d’être
elle s’est réfugiée avec son compagnon, Viktor, péennes, du rejet de la corruption et de l’omni- loin des siens, de ne pas savoir minute par minute
Yana, sa meilleure amie, et leur maman. Il y a présence russe dans la vie économique et poli- ce qu’ils font, ce qu’ils traversent. S’ils sont
aussi Rom’, son petit bouledogue français, qui est tique. Un écho à la « révolution orange », vivants. Le soir, je propose à Olga et Sasha
là, roulé en boule dans un siège de camping. Hier, en 2004. Une convulsion de l’indépendance, d’écrire un journal de guerre à deux voix. Pour se
des bombardements ont réveillé en sursaut tout en 1991, pour ce pays fondu dans l’URSS pendant raconter leur quotidien l’une à l’autre. Pour nous
le pays. La Russie a envahi l’Ukraine. À Paris, Olga près de soixante-dix ans. Olga a alors 26 ans, elle raconter ce que l’on ne peut pas comprendre
est à la cave à vins où elle travaille. Des clients est professeure à l’Institut français. J’en ai trois de quand on ne le vit pas dans sa chair. « Je ne res-
entrent, elle me donne précipitamment son plus et je cherche une interprète pour interviewer sentais rien au moment où tu nous l’as proposé, je
téléphone pour aller les rejoindre. Je reste plantée des Ukrainiens qui étaient en première ligne lors l’ai fait pour toi, c’était un automatisme, se sou-
dans l’arrière-boutique, son portable entre les des affrontements des 19 et 20 février 2014. Ces vient Olga. Comme une réaction de mon corps qui
mains. Sur l’écran, le visage fin et doux de Sasha. jours-là, sur Maïdan, une centaine de personnes, voulait être utile. » Sasha complète : « Je ne me
Je savais qu’Olga avait une sœur cadette restée en plus tard baptisée la « Centurie céleste », ont été suis pas projetée, mais je n’ai pas hésité une
Ukraine, mais je ne l’avais jamais vue. Sasha porte tuées par la police prorusse. Olga traduisait seconde. Depuis mon parking, je voulais crier par-
un épais sweat blanc à capuche et, par-dessus, magnifiquement, pleurait souvent pendant les tout que la Russie envahissait notre pays, là, main-
une sorte de manteau en jean, ses longs cheveux entretiens et, le soir, me racontait ce pays dont je tenant. Les gens devaient le savoir en lisant leur
blonds sont relevés. Elle me parle comme si elle connaissais peu de chose. Plus tard, elle est venue journal et en buvant leur café matinal. » Au début,
continuait la conversation entamée avec sa sœur habiter en France. L’Hexagone était son pays de l’idée est de tenir ce journal quelques jours. Cela
quelques minutes plus tôt. Elle est simplement cœur et la révolution de 2014 l’avait sans doute fait un an que le journal d’Olga et Sasha Kurovska
passée de l’ukrainien au français. Elle n’a pas l’air aussi un peu déçue. Tant d’espoirs soulevés, peu (jusqu’à présent, par mesure de précaution, elles
paniquée, plutôt concentrée. Sasha m ’explique de changements à son goût. En janvier 2018, je lui avaient refusé de donner leur nom de famille) est
qu’ils ont quitté leur appartement ce matin et ai proposé de m’accompagner à nouveau en publié chaque semaine dans M.
roulé comme des fous pour gagner le sous-sol de Ukraine. Cette fois pour rencontrer des combat- « Jeudi 24 février. (…) Ce matin, sur l’écran de mon
cette résidence où habite Yana ( appelée Y. dans tants engagés dans le conflit du Donbass. téléphone, j’ai vu les yeux terrifiés de ma petite
leur journal). Le parking, tout neuf, a deux niveaux Beaucoup d’Ukrainiens volontaires rejoignaient le sœur », écrit Olga dans les toutes premières
et n’est ni en centre-ville ni hors de la ville : il leur front pour défendre ce territoire occupé par les lignes. Cette invasion tant redoutée dont elles
est apparu comme l’abri le plus sûr. Une immense Russes. Une guerre de tranchées, aux frontières parlaient encore ensemble à Noël sans vraiment
colonne de chars russes se trouve à quelques de l’Europe, qui, entre 2014 et 2020, avait fait y croire est arrivée. Les écouteurs vissés dans les
dizaines de kilomètres de la capitale. L’« invasion plus de 13 000 morts. oreilles, Olga scrute en continu les médias, les
à grande échelle » – c’est ainsi qu’elle va être appe- Alors, quand, ce matin de février 2022, le monde réseaux sociaux et appelle les siens en boucle : sa
lée pour la distinguer de la guerre dans le entier découvre que des chars russes sont aux sœur, sa mère, sa grand-mère, son père… Elle
Donbass, en cours depuis 2014 – a commencé. De portes de Kyiv, je pense tout de suite à Olga. Et voudrait être avec eux, le vivre avec eux. « Et
la France, sa sœur, Olga, a tout suivi, en apnée. c’est étrange, mais je pense aussi pêle-mêle au Sasha qui ne répond pas depuis une heure et
J’ai rencontré Olga en avril 2014 à Kyiv (j’écris le papier peint à fleurs de la cuisine de l’apparte- demie, ça m’énerve !!! » À Kyiv, sa mère a rejoint
nom de la capitale à l’ukrainienne, comme elles ment de sa mère où l’on était passé se doucher, à Sasha dans l’appartement où ils habitent avec
Ci-contre,
des drapeaux
ukrainiens sur
la place Maïdan,
à Kiev, le
Daria Sver tilova pour M Le magazine du Monde
28 décembre.
Chacun est
marqué du nom
d’un soldat tombé
pour sa patrie,
avec la date de
sa mort.
Page de droite,
Sasha (à droite)
et sa meilleure
amie, Yana,
à Kiev, le
28 décembre.
36
Viktor. Ils entendent les missiles tomber au loin, volontaires posés contre les piliers. Bien sûr, la
doivent agir, et vite. « Toute la journée, on a fait peur est tapie, tout le temps. Le 2 mars, tard dans
des courses et nos bagages, note Sasha la nuit, allongée à côté de sa mère, Sasha tape
le 24 février. On imagine toutes les possibilités : cette note sur son téléphone : « Après quelques
rester ou partir, prendre des trucs ou les laisser, heures dans le parking, on tombe de fatigue et on
demeurer auprès des plus âgés ou se sauver nous- monte dans l’appartement. Dans le noir de notre
mêmes. » En France, toutes les pensées d’Olga se chambre où on dort tous ensemble (Viktor est sur
dirigent vers un but : les faire venir. Mais, alors le plancher, Y. sur le lit pliant, maman et moi sur
que, le 24 février, Sasha assurait : « On va quitter le lit normal), on vient d’apprendre que la station
l’Ukraine, on n’a pas le choix. Olga nous attend en nucléaire de Zaporijia est en flammes. Est-ce qu’on
France », deux jours plus tard, elle se ravise. « On se réveillera demain ? »
ne part plus. Il n’en est plus question. C’est bizarre « Au début, il y avait tant d’événements à racon-
mais je suis contente d’être à Kyiv, je me sens bien, ter dans le journal, se rappelle Sasha lorsqu’on
c’est ma ville. Je me sentirais mal d’être ailleurs. » en parle aujourd’hui. Je me souviens d’un désir
Ce n’est ni de l’héroïsme ni de l’idéalisme, c’est fort de dire la vérité, d’apporter mon propre
ce qu’elle ressent, ce qui lui paraît juste. Elle ne témoignage. » Alors elle raconte les avancées de
changera plus d’avis. Olga a le cœur coupé en l’armée russe autour de la capitale, leur vie à
deux. « Samedi 5 mars. (…) Je ne sais pas comment huis clos. « Le premier mois, à la résidence, pour-
continuer à vivre avec cette peur pour eux », suit-elle, on essayait de répondre à nos besoins
confie-t-elle. Tandis que les Russes se rap- vitaux. Mais il n’y avait aucune émotion, aucun
prochent et occupent des villes de banlieue, elle amour ou tendresse, ces sentiments étaient comme
va essayer chaque jour de convaincre les siens coupés. La guerre romantique dans les films ou les
de partir, désespérément. Elle qui n’a jamais romans, où on s’embrasse en regardant les bombes “Française” de la famille », écrira le 18 juin avec
prié de sa vie prie tous les soirs désormais. exploser, franchement, ça n’est pas du tout ça. On fierté Olga dans son journal. Leurs parents sont
Épaulée par des anxiolytiques et des verres de est focalisé sur notre survie. » séparés depuis des années. Elles parlent parfaite-
vin. Elle fait et refait des plans pour que sa sœur, ment ukrainien, mais leur langue maternelle, et
AVEC
sa mère et sa grand-mère embarquent dans les Sasha et Olga, nous échan- celle de leurs échanges, est le russe. Depuis le
trains que tant de femmes et d’enfants prennent geons tous les soirs. Des début de la guerre, c’est terminé. « Maintenant,
depuis la gare centrale de Kyiv. Yanis, son com- notes vocales et des mes- avec ma mère et ma sœur, on parle tout le temps
pagnon, se prépare même à aller les chercher en sages par centaines. Je leur en ukrainien, remarque Olga le 7 avril. On s’était
voiture à la frontière polonaise. Puis un jour, demande de préciser une idée, de m’expliquer, de toujours parlé en russe. C’est fou comme sensation,
le 7 mars, elle écrit : « J’ai enregistré à ma mère trouver des mots pour décrire les petites choses c’est magnifique. » Ensemble, on ne communique
un long vocal en lui disant : “Arrêtez, venez, met- du quotidien et les déflagrations intimes de cette qu’en français. Elles s’expriment très bien dans
tez-vous en sécurité, c’est le plus important.” Et je guerre qui a déjà envahi leur esprit. Les deux notre langue, connaissent notre culture et ont
l’ai effacé. Je n’ai pas le droit de faire ça, de dire sœurs vivant dans deux réalités parallèles, le jour- conscience de ce que nous savons de l’Ukraine :
ça. J’ai juste le droit de les soutenir. » nal devient pour elles une façon de se com- en général, pas grand-chose. En linguistes de for-
À la résidence, la vie de Sasha, de sa mère, de prendre. Olga ne parvient pas à retenir ses larmes mation, l’une comme l’autre font très attention
Viktor et de Yana est rythmée par les allers- en repensant à ces premières semaines. Elle aux mots qu’elles emploient. Dans leur
retours au parking et les promenades de Rom’ évoque un « galop de nouvelles terrifiantes ». Ni
dans la cour de l’immeuble. Les sirènes des jour ni nuit, un continuum de panique. « Depuis le
alarmes antiaériennes hachent leurs jours et début de la guerre, les semaines se répètent inlas-
leurs nuits. « Samedi 26 février. (…) Notre routine sablement, écrira-t-elle le 30 mars. Le lundi, je ne
s’organise. Dormir, manger et prendre une douche. vais vraiment pas bien, je veux à tout prix faire
On commence à avoir notre emploi du temps de venir les miens ; le mardi, je pète un câble, le matin
guerre. Le matin, on fait le tour de toute notre surtout. Les mercredi, jeudi, vendredi, samedi, je
famille, nos proches, nos amis. On prépare à man- remonte la pente, ça va à peu près. Et le dimanche,
ger puis on organise tout pour la nuit que l’on je commence à replonger. »
passe au sous-sol au cas où les sirènes reten- La guerre va creuser dans leur personnalité. Olga
tissent. » Peu à peu, ils découvrent qu’ils ont des est plus angoissée et impulsive. Sasha plus mesu-
voisins. Il y a ceux qui font des rondes dans les rée, méthodique. Olga a 34 ans, elle est passion-
étages, ceux qui mettent en place un centre de née d’œnologie et de chant lyrique. Elle vit à Paris
tri de colis d’aide humanitaire, d’autres encore depuis sept ans, elle est en couple avec Yanis.
qui cuisinent pour les combattants. « La nation Sasha a 32 ans, elle travaille dans la communica-
devient une armée », s’émeut Sasha dans son tion et le marketing en tant qu’indépendante.
journal du 2 mars. « Ce n’est pas de l’euphorie Son amoureux, Viktor, est architecte. Elle ne le
Daria Sver tilova pour M Le magazine du Monde
mais c’est… une croyance, une confiance totale. » dirait peut-être pas comme ça, mais elle fait par-
Avec sa mère et Yana, elles préparent sans dis- tie de la génération hipster de Kyiv. Ultra- “Depuis mon parking, je
continuer des gâteaux aux pommes pour ne pas
laisser pourrir les fruits fournis par un réseau de
connectée, cultivée, informée. Leur famille est
très urbaine, habitante de la capitale depuis plu-
voulais crier partout que
solidarité qui s’est très vite développé partout sieurs générations. Elle n’est ni riche ni pauvre, la Russie envahissait notre
dans Kyiv et ailleurs ; elles apprennent à fabriquer
du pain puis à le recycler en biscottes. Des soirées
plutôt classe moyenne. Ils ne sont pas proprié-
taires, n’ont pas de résidence secondaire. Les
pays, là, maintenant. Les gens
s’improvisent parfois dans le parking. Ils boivent filles ont fait les mêmes études que leurs parents devaient le savoir en lisant
un verre, jouent au bridge, chantent ensemble
The Cranberries ou regardent Inglourious
– une fac de français – et que leur grand-mère
maternelle, Valentine, professeure et grande
leur journal et en buvant
Basterds, de Quentin Tarantino, les fusils des voyageuse, décédée en 2020. « La première leur café matinal.” Sasha
LE M AG A ZINE
OLGA
de M accepte qu’elles ne suivent pas la charte logique. Les Russes s’éloignent et paraissent plonge dans ses souvenirs
orthographique du Monde. renoncer à prendre la capitale. Ils vont se concen- d’enfance et d’adolescence
« Dimanche 3 avril. Olga : “Aujourd’hui, les photos trer dans l’Est et dans le Sud. « Quand on a appris pour raconter l’odeur des
du nord de Kyiv libérée apparaissent partout sur pour Boutcha, se souvient Sasha, on est resté forêts de pins de ses
les réseaux… c’est une horreur. Les morts, les morts, muets toute une journée avec Maman, Viktor vacances d’été et le goût de la p astèque. Elle se
les morts. Partout sur les routes. Torturés. Je pleure et Yana. On découvrait ce qui s’était passé juste à remémore aussi les phrases humiliantes enten-
chaque âme de mes chers compatriotes. Ce sont des côté, ce qu’était l’occupation rachiste, ce qui aurait dues toute sa vie. Le père de famille français qui
monstres inhumains qui torturent, pillent, tirent pu nous arriver à nous aussi. Ça a été un moment lui demande : « L’Ukraine, c’est une région de
dans la nuque des civils et les enterrent par très dur. » Épuisée, Sasha se dispute avec sa mère, Russie ? » Ou le rire de ce Moscovite qui la reprend
puis avec Viktor. Ils décident de retourner chacun sur son drôle d’accent de khokhol – un surnom
chez eux. Elle emménage seule, avec son petit péjoratif que les Russes donnent aux Ukrainiens
chien, dans un appartement loué dans la rési- qui peut se traduire par « simplet », « benêt ». Et
dence de Yana. Elle n’est pas encore séparée de ces blagues qui reviennent sans cesse sur les
Viktor, mais leur couple se délite. Ils se quitteront Ukrainiens buveurs de vodka. Elle consigne ses
en juillet. Avec sa mère, elles ne se reparleront longues conversations avec sa grand-mère Raïssa,
qu’à Pâques. « Mercredi 6 avril. Je me demande les histoires de famille. La faim qui tiraillait les
pourquoi on est tellement agressifs envers ses enfants aux ventres gonflés pendant l’Holodomor,
proches tandis qu’au même moment, tout près, des cette famine organisée par Staline en 1932 et
gens se séparent pour toujours, écrit Sasha, un en 1933 et qui a fait plus de 3 millions de morts en
soir. C’est hallucinant. » Le 8 avril, elle poursuit sa Ukraine. L’occupation allemande. Son arrière- Daria Sver tilova pour M Le magazine du Monde
réflexion : « L’intelligence émotionnelle ne marche grand-père, soldat dans l’Armée rouge, mort pen-
plus. Alors on se sépare, même si pendant une dant la guerre en 1941. Les persécutions de l’élite
guerre, se séparer de ses proches peut sembler culturelle ukrainienne pendant tout le XIXe et le
absurde et fou. » Tous commencent aussi à com- XXe siècle. L’art de la broderie ou de la peinture
prendre que le conflit s’installe. Et qu’il va falloir sur œuf. Les recettes de cuisine. Les confitures de
vivre avec. S’adapter. Chercher un travail, gagner baies de sorbier. « L’Ukraine est un pays jeune, c’est
de l’argent, penser à soi. Sasha tangue au milieu vrai, me dit Olga, mais les traditions sur son terri-
de tout ça. « Je ne suis que le vide total », note-t- toire sont anciennes. En nous russifiant, ils ont
elle encore le 8 avril. Trois jours plus tard, avant voulu effacer le patrimoine ukrainien et toutes les
de passer sa première nuit seule dans son studio raisons d’être fiers de ce que l’on est, tout ce qui fait
vide, elle met du ruban adhésif sur les fenêtres, un peuple. On les réapprend, mais le prix à payer
38
Ci-contre, Sasha sur les bords
du Dniepr, à Kiev, le 28 décembre.
qu’elle connaît très mal les paroles des chansons de Marioupol, de l’occupation de Kherson, elles
traditionnelles que la foule entonne. Un choc et expriment aussi la russophobie qui les envahit, notre subjectivité.”
une révélation. Depuis, elle se jette à corps perdu sans qu’elles parviennent à l’endiguer. « Dans ma
dans la culture de son pays. Dans son journal, le tête, constate Olga, il n’y a que du noir et du
22 mai, elle se réjouit d’aller revoir Les Chevaux blanc, comme s’il n’y avait plus de place pour les
de feu, un film d’avant-garde réalisé en 1964 nuances, pour les gris. » Les viols, les tortures, les
par Sergueï Paradjanov, un des fondateurs du exactions commises par les soldats russes, les
cinéma poétique ukrainien, elle nous incite à enfants tués, les personnes déportées, les
découvrir Le Serment de Pamfir, premier long- familles séparées, les corps ensanglantés, désar-
métrage du réalisateur ukrainien Dmytro ticulés, amputés… elles sont submergées par ces
Sukholytkyy-Sobchuk, présenté au Festival de images et ces témoignages qui se déversent
Au creux de l’été, quand Olga sur les réseaux sociaux. « Je les hais. J’ai
envie de les tuer. (…) Mais qu’arrive-t-il à ce
Le 6 avril, Sasha écrit, dans une juxtaposition
d’enfer et d’ordinaire dont elle va devenir coutu-
se demande si quelqu’un peuple ? Leur code génétique a-t-il été modifié ? », mière : « Mon esprit commence à comprendre
les lit encore, beaucoup enrage Olga. Dès le 22 mars, Sasha demande :
« Comment va-t-on se libérer de toute cette haine ?
qu’il va y avoir des dizaines de milliers de morts
ukrainiens dans cette guerre. En parallèle, je
de lecteurs répondront. Est-ce qu’après la guerre on va tous devoir aller cherche du travail. J’ai envoyé sept CV. » Elle a
Stéphanie et Alexandre, qui chez le psy pendant des années ? Il faudra travail-
ler longtemps sur nos consciences. » Puis, plus
besoin d’argent et de normalité. Elle passe des
entretiens dans son domaine d’expertise : le
lisent le journal en famille tard, le 1er décembre, elle écrit aussi : « Parfois, la marketing et la communication. Autour d’elle,
au petit déjeuner. Christiane, cruauté de notre russophobie me rend malade,
mais, en même temps, je ressens une certaine
Kyiv se réveille, les gens qui avaient fui les pre-
miers jours de l’invasion reviennent, il y a des
qui a appris les chants satisfaction. C’est malsain. » Leur génération et la embouteillages, les commerces rouvrent. « Lundi
traditionnels dont les filles ont suivante n’arriveront pas à se débarrasser de ce
sentiment, elles le savent. Olga et Sasha n’étaient
9 mai. (…) L’atmosphère est si étrange. Tu ne sais
jamais si tu dois planifier quelque chose ou si tu
parlé. Marion, qui demande de pas des pasionarias de la guerre ou de la vio- dois attendre. Et attendre combien de temps ? Des
leurs nouvelles sans pouvoir lence, ni même de la patrie. Pourtant, comme
des millions d’Ukrainiens, elles vont développer
jours ? Des mois ? Alors tu avances même si c’est
le bordel dans ta tête. » Elle s’accroche à une rou-
attendre la semaine suivante… une admiration inconditionnelle pour leur tine : promener Rom’, faire du yoga, prendre des
armée et pour leur président transformé en chef nouvelles de ses proches, voir ses amis. Au son
de guerre. Chaque apparition, chaque parole de des sirènes, les gens vivent, les boulangers
Volodymyr Zelensky va venir les réconforter et pétrissent leur pâte, les dentistes anesthésient,
leur donner de l’espoir. les cinémas projettent les dernières nouveautés
internationales. Sasha boit des cafés dans son
bar favori. Il fait beau, elle essaye d’apprécier
tous les petits bonheurs qui lui sont proposés :
une omelette aux girolles, une promenade sur
les rives du Dniepr. Carpe diem. Sur son avant-
bras est tatoué en français « La vie est belle », elle
veut s’y tenir. Ses amis à l’étranger lui racontent
qu’il y a des pénuries d’huile et de moutarde, elle
trouve de tout en grande quantité dans les
supermarchés de Kyiv. Les prix n’ont pas encore
augmenté de façon inquiétante. « Sashounya a
eu une réponse positive de la boîte française de
marketing ! nous apprend Olga le 12 mai. Je suis
tellement heureuse et fière ! Ça me paraît complè-
tement absurde de travailler, d’aller au café,
d’avoir un quotidien un peu normal. Je trouve que
ma famille est vraiment très courageuse. »
SASHA
accepte ce job à dis-
tance avec la France.
Les premières
semaines, elle y met
toutes ses forces, ignorant les sirènes et les
alertes. Visioconférences, projets, réunions
d’équipe. Début juin, elle emménage dans un
appartement du centre-ville. Mais peu à peu elle
commence à souffrir d’un intense mal de dos
dont elle ne trouve pas la raison. Son moral
s’abîme. « Il me semble que je vis d’une sirène à
l’autre. » Après des mois de certitude, elle com-
mence à douter. « Mardi 28 juin. Je ne sais plus si
la victoire est vraiment possible, je n’arrive plus à
puiser en moi l’énergie suffisante pour me rassurer Daria Sver tilova pour M Le magazine du Monde
40
LE M AG A ZINE
c ommencer une psychothérapie. À la fin de l’été, l’anniversaire d’Olga, comme chaque année. C’est kilomètres dans la campagne cévenole le samedi
elle décide de démissionner. une tradition. Elle ne veut pas manquer les pour aller chercher le magazine. Marion, qui
« 1er septembre. (…) Ce sont mes derniers jours au 35 ans de sa grande sœur. demande de leurs nouvelles sans pouvoir
travail, c’est triste et décevant pour mon équipe, Certains jours, on se donne moins de nouvelles attendre la semaine suivante et termine son
pour moi aussi. Même si je sais que la seule chose avec les filles. Parce qu’elles sont submergées message par : « Je vous sens près de moi et pense
dont j’ai besoin, c’est de partir avec maman dans d’émotions, malades ou tout simplement très à vous chaque jour. » Pierre, de son côté, cherche
les Carpates et de me retrouver. » Elle sera restée occupées. Je regarde alors sur Internet où sont les par tous les moyens à envoyer un groupe élec-
en poste trois mois. Trop dur de se consacrer à villes et les villages qu’elles ont cités dans leur trogène à Sasha. Étienne Pinte, ancien député-
une réalité si différente. Avec sa mère, elles s’ac- journal. J’écoute une musique qu’elles aiment. Je maire de Versailles, leur partage ses souvenirs
cordent des vacances dans une petite station lis des choses qui nous rapprochent. Cette aven- d’enfant de résistants que le journal a fait remon-
thermale à 500 kilomètres de Kyiv. Sommeil, air ture épistolaire me lie à elles, à l’Ukraine. Mais ter. Il est touché par leurs écrits, car, « avec Olga
pur, forêt, eau soufrée. Là-bas, Sasha prend une pas seulement moi, les lecteurs de M aussi. Au et Sasha, j’ai accès à un état d’esprit, un état
décision : revenir à sa vocation originelle, profes- creux de l’été, le 16 juillet, quand Olga se d’âme même, et cela complète tout ce que je lis
seure de français. À son retour des Carpates, elle demande si quelqu’un les lit encore, beaucoup par ailleurs ». Il leur fera parvenir un recueil du
commence à dispenser des cours en visio à des répondront. Par lettres, par mails, que je leur poète Taras Chevtchenko dans une traduction
Ukrainiens en Ukraine ou à l’étranger. Peu après, transmets. Il y a Stéphanie et Alexandre, qui française. Un étrange dialogue s’instaure entre
à Paris, Olga demande à passer à mi-temps dans lisent le journal en famille au petit déjeuner. Il y elles et les lecteurs. « Moi, ça me fait penser aux
sa cave à vins. Et se remet, elle aussi, à donner a Christiane, qui a appris les chants traditionnels lettres de poilus pendant la première guerre mon-
des cours de français, à des réfugiés ukrainiens dont les filles ont parlé, et Clara, qui adore les diale, on est au cœur de la guerre, dans son ventre,
notamment. Il semble que la guerre, dans un clips de la rappeuse ukrainienne Alyona Alyona. ça n’est pas abstrait », explique Paule, qui
même mouvement, les pousse à examiner leurs Il y a ces dames d’un cours de bridge qui ont découpe chaque semaine le carnet de bord
priorités, à aller à l’essentiel. Comme si elles déclamé le journal à plusieurs. Anne, qui fait des d’Olga et Sasha. Elle range dans un classeur
étaient à la fois perdues et décidées. Pendant ce
temps, l’armée ukrainienne gagne du terrain, des Sasha, dans un bar,
milliers de kilomètres carrés sont repris, des à Kiev, le 28 décembre.
villes près de Kharkiv sont libérées. Dans le
Page de gauche,
sillage de l’armée russe, l’Ukraine découvre des Olga, dans la cave
crimes de guerre. Mi-septembre, les images des à vins où elle travaille,
400 tombes au milieu d’une forêt près de la fin janvier, à Paris.
petite ville d’Izioum font le tour du monde.
Vladimir Poutine décrète la mobilisation en
Russie : on parle de 300 000 hommes appelés.
« Vendredi 23 septembre. (…) Les photos des aéro-
ports, des gares, des routes russes défilent partout.
Tous ces endroits sont blindés d’hommes qui fuient
la mobilisation dans leur pays. Mais ne serait-il
pas plus efficace de se révolter ? De faire un coup
d’État ? », s’agace Olga qui, décidément, ne com-
prend pas que les Russes ne se soulèvent pas
contre pareil despote.
Partout en Ukraine, les discussions sur le risque
de guerre nucléaire sont de plus en plus pré-
sentes. Des missiles touchent à plusieurs reprises
la centrale nucléaire de Zaporijia, le monde
entier découvre qu’elle est la plus grande de
toute l’Europe. Elle a été prise d’assaut et occu-
pée par quelque 500 Russes dès mars. Le spectre
de la catastrophe de Tchernobyl, voire pire, est
là. « Vendredi 30 septembre. (…) Je vais préparer
ma “valise nucléaire”, annonce Sasha. Je la poserai
à côté de mon sac d’évacuation, qui est prêt depuis
des mois. J’y mettrai des imperméables, du ruban
adhésif solide, des masques FFP3, des gants de
caoutchouc – avec tout ça, on peut se fabriquer un
costume censé nous protéger des radiations – et
Daria Sver tilova pour M Le magazine du Monde
ces « mini-Mondes » et a prévu de les donner Cette fois, c’est Sasha qui va comprendre la vie l’impression de tomber dans un trou sans fond.
plus tard à son petit-fils. « Il n’a que 2 ans, mais il schizophrénique de sa sœur à Paris, la solitude « Jeudi 13 octobre. (…) On continue à essayer de
faudra un jour lui expliquer cette guerre au cœur douloureuse dans laquelle elle vit loin des siens. vivre, mais notre sentiment de frustration est
de l’Europe. Grâce aux filles, j’ai un point d’attache, « Jeudi 3 novembre. (…) À Kyiv, tu partages cette immense. Comment le décrire ? C’est une sensation
quelque chose qui me relit à cet événement. » Cela expérience de la guerre avec tout le monde, car on profonde d’insécurité et d’impuissance à la fois,
touche profondément Olga et Sasha, qui s’in- vit tous la même réalité, on n’a pas le choix. Mais on ne peut ni être protégés, ni arrêter cette
quiètent de l’oubli. « Les gens nous lisent, c’est pré- Olga a si peu de gens avec qui partager ses peurs guerre. » Elle essaie de faire bonne figure, mais il
cieux. Le journal est devenu dans ma vie la chose et ses colères. (…) Depuis des mois, Olga vit deux lui est de plus en plus difficile de refaire surface.
la plus importante, m’explique Sasha. Ça ne me réalités et je comprends que parfois elle se sente En France, Olga partage sa difficulté à écrire.
prend pas tout mon temps dans la semaine mais tellement perdue ». Lors de la venue de Sasha à « Mardi 6 décembre. (…) Je ne sais plus quoi écrire.
beaucoup de place dans mon esprit. Quand j’écris, Paris, le magazine les invite à venir visiter la Je me sens vide. Trop loin de l’Ukraine, de ma
c’est très clair, je m’adresse à toi, Élisa, je commu- rédaction et à rencontrer les journalistes. Nous famille. Je suis seule. Je sais que Yanis est là pour
nique avec toi tout le temps, mais j’essaye aussi de sommes le 2 novembre. Cette « pause de guerre », moi, mais on reste toujours en tête à tête avec ces
voir derrière, ces gens qui ne connaissent ni moi ni comme l’appelle Sasha, prend fin quand elle malheurs. Toute la journée, je range et nettoie
mon pays. Je veux qu’ils me comprennent. » retourne à Kyiv. l’appartement : j’en ai besoin pour faire le tri dans
« Lundi 17 octobre – Sasha : Ce matin, attaque de mes pensées. » Certains jours, elle n’a plus la force
OLGA
drones kamikazes sur Kyiv. J’entends leur vrom- repart avec elle pour de regarder les flots de nouvelles, d’images de
bissement et les rafales des fusils automatiques. quelques jours. Dans ses victimes, d’enterrements. Pour la première fois,
Des explosions, aussi. C’est de la science-fiction. Je bagages, elle n’a qu’un le 21 janvier, elle se demande si elle doit essayer
suis avec mon chien et Dmytro dans mon dressing. pantalon et un pull afin de se préserver.
Ils ciblent les centrales électriques et d’autres d’emporter le maximum de piles et de lampes À plusieurs moments de l’année, avec la rédac-
points stratégiques. Mais ça peut tomber n’importe pour sa famille. Les attaques des Russes sur les tion de M, on a pensé arrêter le journal d’Olga et
où. Dans les rues, nos soldats tirent sur les drones. installations électriques et hydroélectriques s’in- Sasha. En avril, après que les Russes ont quitté les
On voit des vidéos où ils sont abattus par notre tensifient dans tout le pays. Les coupures d’élec- abords de Kyiv, avant l’été, à l’automne aussi. Le
défense. C’est Star Wars. Si ce n’était si effrayant tricité, de chauffage, d’eau sont de plus en plus rythme de travail, la fatigue, la peur de lasser
ce serait presque beau. » Chaque semaine, des nombreuses à mesure que l’hiver se durcit. À son étaient dans nos discussions. Suivre pendant
pluies de missiles russes s’abattent sur Kyiv et retour, Sasha quitte Dmytro. Elle est triste mais autant de temps la vie de deux sœurs n’est pas
d’autres villes d’Ukraine. Les sirènes se surtout désabusée. « Samedi 26 novembre. (…) vraiment dans les mœurs des médias. Il y a
déclenchent en permanence. La défense antiaé- J’imagine qu’il faut prendre du temps pour se res- quelques mois, nous nous sommes fixé ensemble
rienne ukrainienne en intercepte énormément, sourcer avant d’entamer une autre relation. Je ne une date : les 1 an de l’invasion. On a évoqué un
mais pas tous. Le 18 octobre, Vika, une connais- l’ai pas fait, apparemment. » Sur le front, les com- numéro du magazine avec Olga et Sasha en cou-
sance de Sasha, est tuée. Elle était sommelière. bats sont très violents. Bakhmout, Soledar, verture. Elles, qui, au début de la guerre, avaient
Elle était enceinte. Elle a été retrouvée dans les Kreminna. Les comptes Facebook et Instagram exigé la plus grande discrétion, ont accepté d’être
bras de son compagnon, mort lui aussi. Quelques d’Olga et Sasha sont remplis d’annonces de sol- photographiées. On aurait tant aimé que leur
jours après, Sasha monte dans un wagon bleu et dats décédés. Les meilleurs, l’élite de la culture, journal cesse avec la fin de la guerre. Leurs der-
jaune de la compagnie ferroviaire ukrainienne du business, sont partis se battre, Sasha en est niers écrits sont empreints d’une tristesse et
pour venir voir Olga en France. En train jusqu’à persuadée. En janvier 2023, des estimations de d’une mélancolie profondes. « J’ai l’impression
Varsovie, puis en avion jusqu’à Paris. Un périple l’armée norvégienne évoquaient la mort de d’avoir tellement vieilli cette année, confie, dans
de plus de vingt-quatre heures qu’Olga a effectué 100 000 soldats ukrainiens et de 30 000 civils. un souffle, Olga dans un café parisien. Je ne réa-
également à deux reprises. Ces voyages sont Côté russe, 180 000 soldats seraient morts ou lise pas l’impact psychologique sur moi, ma sœur,
l’occasion pour elles de se projeter dans leurs blessés. La vie quotidienne s’organise, malgré ma famille, sur tous les Ukrainiens. Et la guerre
réalités mutuelles. Quand elle était venue voir sa tout, entre les attaques de missiles et les black- n’est pas finie, nous n’avons pas découvert tous les
sœur à Kyiv quelques semaines auparavant, Olga out. « Mercredi 23 novembre. (…) En une heure, morts, toutes les destructions… » Elle marque une
avait vécu l’angoisse des alarmes antiaériennes, toute l’Ukraine est plongée dans le noir. Je n’ai pause et ajoute dans un sourire fragile : « J’espère
les longues heures réfugiée dans le dressing avec plus de lumière, ni d’eau ni de chauffage (…) Je qu’un jour on sera des petites vieilles dans un cha-
Rom’ et la conscience aiguë du temps présent. réussis à remplir ma baignoire avec de l’eau et let des Carpates et que devant un feu, en man-
j’allume des lampes à piles et des bougies. (…) Je geant un bortsch, les joues rougies, on relira le
perds toute connexion avec le monde. Il ne me journal et que ce sera le passé. »
reste qu’à m’habiller chaudement, à enfiler trois Sasha n’arrive pas à imaginer que la guerre
paires de chaussettes, allumer la gazinière pour s’achève, elle ne sait plus quoi espérer, elle se
avoir un peu de chaleur et à mettre mon portable sent si habituée. Coincée dans le présent. Elle se
en mode économie d’énergie. » dit que, au printemps, il y aura une nouvelle rota-
Sasha doit sans cesse décaler ses cours, charger tion des soldats après le dur hiver, que ses
ses batteries externes, débrancher ses appareils copains seront tous appelés… Elle essaye de s’y
électriques en prévision des coupures. Parfois, préparer. Peut-être même que, à un moment, Daria Sver tilova pour M Le magazine du Monde
elle part en quête d’électricité dans les cafés de elle aussi sera mobilisée ? Alors que le journal se
“J’espère qu’un jour, on sera son quartier. À la nuit tombée, les rues sont termine dans les pages du magazine, elle a pro-
des petites vieilles dans un plongées dans le noir total. Sasha apprécie la
poésie surréaliste de ces visions nocturnes. Les
posé à Olga un autre rituel : un rendez-vous
chaque dimanche, un café ensemble, sur leurs
chalet des Carpates et que bandes réfléchissantes collées sur les vêtements, écrans parallèles, toujours à la même heure. Pour
devant un feu, en mangeant les gens qui déambulent comme des lucioles
avec leur lampe frontale, le son assourdissant
se raconter leur semaine. Garder cette habitude
entre elles, continuer à mettre des mots et se
un bortsch, les joues rougies, des générateurs qui font vivre la capitale. « Je me libérer, un peu, de toute cette souffrance.
on relira le journal et que ce sens comme dans un conte magique. » Elle évoque
souvent cette impression de « déréalisation » qui
LE JOURNAL D’OLGA ET SASHA S’ARRÊTE ICI SOUS
42
Olga (de face) et Sasha,
à Paris, le 31 octobre.
LE M AG A ZINE
LE VILLAGE
AUX SEPT TIERS-LIEUX.
44
Éco-tiers-lieu, passerelle rurbaine, coworking…
Les habitants de Lormes, dans la Nièvre, ont dû s’initier à de nouveaux
codes avec l’arrivée ces trois dernières années de plus de cent foyers,
pour la plupart venus de la ville. Des arrivants aux idées audacieuses
dont il a bien fallu admettre qu’ils apportaient un certain élan.
Texte Camille BORDENET — Photos Claire JACHYMIAK
Page de gauche,
un commerce
désaffecté dans
les rues de Lormes.
Ci-contre, le café-
restaurant Odessa
a été ouvert dans
une ancienne école
par la restauratrice
Claire Hoffmann
et son compagnon,
venus de Lyon.
Ici avec sa fille et
Julie Bernard, qui
l’aide en cuisine.
ON LES CROIRAIT VIEUX l’étrange novlangue qui s’affiche à
Ci-dessous, la soirée
CAMARADES. Il faut voir ces deux-là côté de l’ancien tarif des consomma-
de Noël organisée danser sur Lady Gaga, bras dessus, tions proposant Viandox et apéritifs
le 10 décembre 2022 bras dessous autour du comptoir de marque. Raymond Billardon écar-
par le tiers-lieu
Le Relai.s des futurs, lambrissé, sous un joug à bestiaux et quille grand ses yeux taquins. « Je n’ai
créé par Aymeric Seron des boules à facettes, pour com- pas bien compris ce que les jeunes
(en photo page de prendre un peu de ce qui s’invente à veulent faire. » Il faut dire qu’avec son
droite) et des amis
dans l’ancienne Lormes (Nièvre), 1 300 habitants aux épouse, Rolande, décédée en 2021,
Auberge du Relais, portes du parc naturel régional du ils étaient plutôt « dans le concret » :
tenue auparavant par Morvan, entre lacs et forêts de rési- tour à tour ambulanciers, taxis,
Raymond Billardon
(en photo en bas neux, à deux heures et demie de conducteurs de car scolaire et même
à gauche). Paris. Raymond Billardon, figure pompes funèbres, des services indis-
du pays, 80 ans, dont cinquante à pensables par ici. « Mais du moment
tenir ce bar resté dans son jus des qu’ils font tourner l’auberge ! Et puis
années 1960, et Aymeric Seron, ils nous ramènent de la jeunesse dans
43 ans, qui lui a succédé, envoyant nos campagnes. » L’octogénaire a
promener sa vie d’avant la pandémie connu la grande époque des estami-
– doctorat, laboratoire de recherche nets à chaque coin de rue et du
pharmaceutique, Bruxelles-Paris. bûcheronnage qui embauchait les
Autour d’eux, on croise des artistes fratries. Puis ce « fichu » exode des
parisiens et néerlandais, des chas- jeunes vers Paris. Jusqu’à ce nouveau
seurs, une créatrice de bijoux, un printemps, qui en voit certains
ouvrier de l’usine du coin, d’anciens rebrousser chemin, racheter lon-
Lyonnais qui ont ouvert un restau gères ou ruines.
rant-caviste, des amis de la capitale Voilà une dizaine d’années qu’une
venus voir le « fameux » village, des nouvelle histoire s’écrit à Lormes,
mamies à canne… Chassé-croisé accélérée par le Covid-19. Pas trace,
d’enfants du pays et de repentis des ici, de guerre pour cause de chant du
métropoles. Mains calleuses et che- coq entre « néos » d’un côté et
mises à carreaux côtoient binocles « natifs » de l’autre, comme certains
colorés, bonnet à la Cousteau et fines aiment à s’en faire l’écho, archétypes
moustaches. de cultures urbaine et rurale qui
C’est soirée dansante et repas de seraient vouées à en découdre. La
Noël à L’Auberge du Relais. Ou, crise sanitaire n’a pas non plus
devrait-on dire, au Relai.s des futurs, provoqué d’exode urbain. Un effet de
le nouveau nom des lieux. Une asso- loupe médiatique, selon une vaste
ciation, ce coup-ci. Les temps ont enquête (« Exode urbain : un mythe,
changé. D’aucuns parlent aussi des réalités »), dont les nouvelles
d’« éco-tiers-lieu », à en croire conclusions sont publiées le
47
LE M AG A ZINE
48
en Formica, verres Duralex, chaises Un soir d’octobre, Aymeric Seron c’est déjà quelque chose pour ce
cannées. Venue chercher son repas à s’est toutefois trouvé un poil monteur de pallettes de 19 ans fâché
emporter (courge pomarine farcie, embêté. Marco Guillebaud et des avec l’école, longtemps resté claque-
13 euros, tarte bourdaloue, 5 euros), amis chasseurs qui apprécient les muré dans son pavillon de lotisse-
une ancienne Parisienne en télétra- lieux lui proposent de ramener du ment. C’est son copain de l’usine
vail apprécie de trouver ici « une gibier. L’offrande ne se refuse pas. Malviche, près de Lormes, qui l’a
diversité » gastronomique qui lui L’ennui, c’est que la « barbaque » tiré par la manche : « Viens, on peut
manque parfois. Aux beaux jours, n’est pas tellement dans les mœurs passer la musique qu’on veut. » Les
l’ancienne cour de récré prend des de l’autre tribu, « plutôt flexi-végé ». deux font maintenant partie des
atours berlinois. Disons pas franchement pro-chasse. bénévoles. On peut les voir derrière
« Inclure », « rassembler » : des pré- Comment, dès lors, l’honorer ? le bar ou aux fourneaux avec la
ceptes qui animent Aymeric Seron. Faut-il en faire un repas partagé, au cheffe. Romain Deiss lui a
Pour ne pas s’en tenir à la théorie, il risque de trahir certaines valeurs
peut compter sur « la science locale » affichées ? On en débat en petit
de l’ami Raymond, jamais loin pour comité. Le collectif tente de prendre
donner des coups de main, tirer les ses décisions selon une méthode
oreilles s’il manque du bois dans le dite « par consentement » – aucune
poêle et, surtout, faire venir les personne présente ne doit s’oppo-
anciens. Depuis avril 2022, les béné- ser –, pour éviter les dissonances
voles du collectif se relaient pour ser- morales. On en réfère à la charte
vir des « coups à boire » les vendredi des valeurs : va pour inclusion et
et samedi soir. Brassage garanti, convivialité, mais décroissance et
davantage en tout cas que pour sobriété se trouvent contrariées.
le premier festival sur l’écologie. La « On n’est pas non plus dans la sur-
volonté d’inclusion rencontre juste consommation de viande indus-
ses limites lorsque, en fin de soirée, il trielle », nuance Aymeric Seron.
faut parfois faire la sécurité, car « C’est l’occasion d’honorer une tra-
quelques-uns insistent sur l’alcool. dition locale qui compte », abonde
« L’équipe du Relais est bénévole, les Laurence Médioni, qui a tendance à
membres animent ce lieu pour vous cuisiner exotique. Le collectif décide
permettre ces moments. Merci de donc de mettre un mouchoir sur ses
votre compréhension #convivialité convictions non carnées et sa ser-
#bienveillance #respect », tente un viette au cou pour honorer la venai-
écriteau. Il y a aussi les repas à thème, son à la soirée d’Halloween. Avec
tarif associatif, 10 euros, et bonne toujours une option végé. C’est
franquette. Une idée de la « cheffe » Raymond Billardon qui s’occupe de
Laurence Médioni, plasticienne la découpe du demi-chevreuil et du
capable de faire voyager un village demi-sanglier, Laurence Médioni a
avec une carbonade flamande. assez à faire avec la sauce grand
veneur et le bicarbonate de soude
pour atténuer l’odeur de sang. Et la
communication ? « Quitte à y être,
assumons » : le repas s’intitulera
« Retour de chasse ». Un effort est
fait sur la décoration, Aymeric Seron
chausse même bottes et béret.
Résultat : une trentaine de couverts,
N’EMPÊCHE QU’ILS dont seulement six végés.
SONT CASSE-PIEDS, Accoudé au comptoir, lourde veste
de cuir et chevalière au petit doigt,
“CES ÉCOLOS- Marco Guillebaud se réjouit encore
BOBOS”, À VOULOIR des échos du banquet. Lui non
plus n’a « pas tout compris à leur
PRENDRE LES RUES truc associatif ». N’empêche, il les
EN SENS INVERSE trouve « sympas, ces nouveaux qui
veulent que tout le monde soit
AVEC LEURS VÉLOS ET ensemble ». « On se sent bien
LEURS TROTTINETTES accueilli, pris comme on est. »
D’ailleurs, précise le chauffeur rou-
ÉLECTRIQUES. tier : « J’ai moins de problèmes avec
“UN JOUR, ÇA VA les écolos qu’avec certains chasseurs
qui se comportent mal. » Il ne serait
CULBUTER, LIBERTÉ pas non plus contre l’interdiction
AUX VOITURES !”, de chasser le dimanche.
Romain Deiss aussi se sent bien ici,
LANCE UN ANCIEN. « pas pris de haut », en tout cas. Et
LE M AG A ZINE
rapporté un demi-jarret gagné s’appelle tiers-lieu ? » Même généra- grands axes, sans gare ni ligne de bus. cette entreprise « à but d’emploi », et
à la rifle, le loto local. Il y eut aussi tion, même attachement à ses « insti- Ici aussi, l’emploi est rare et peu ce à 1 kilomètre de chez elle, voilà
cette victoire : arracher sa mère de tutions structurantes », malgré un varié. Ici aussi, le RN progresse, sur qui était inespéré pour Vanessa
son canapé et de sa tablette pour lui parcours de cadre supérieur : Romain fond de désindustrialisation. Perrier, 44 ans, « Lormoise de tou-
offrir le repas. « Ça lui a fait du bien Beaucher, 37 ans, responsable d’une Comment, dès lors, éviter que l’arri- jours », qui s’était résignée aux
de voir du monde. » D’autres sont agence de design de politiques vée de cols blancs et de jeunes très contrats courts – 14 CDD. Pour la
plus difficiles à faire bouger. « Ils publiques à Paris, est revenu s’instal- diplômés, qui contribuent certes à première fois, cette mère célibataire,
restent dans leur zone de confort », ler il y a un an. En parallèle de son offrir un second souffle aux cam- qui vit avec sa fille chez sa mère, n’a
regrette-t-il. Il sait le poids des télétravail, il s’est investi comme tré- pagnes, ne se traduisent pas par un « plus peur du lendemain ». Comme
rumeurs villageoises. Celui, surtout, sorier bénévole au Centre social qu’il sentiment de relégation et de déclas- elle, une soixantaine de femmes et
des « barrières dans la tête ». fréquentait adolescent : les activités sement chez d’autres ? Ce phéno- d’hommes des environs devraient
Enfant du pays lui aussi, Sophiane vont du périscolaire au troisième mène que les chercheurs appellent la retrouver un emploi durable d’ici à
Afessar, 37 ans, en combinaison âge, plus une bibliothèque, un gui- gentrification rurale et dont les effets 2025. Ils sont 17 salariés pour l’heure,
orange d’agent d’entretien des chet France services, qui propose peuvent être économiques, culturels, employés à des activités de déman-
routes, n’a jamais poussé la porte du une aide pour les démarches admi- symboliques. « Et sémantiques, note tèlement d’huisserie, de recyclage…
Relai.s des futurs. Il voit l’idée. « Ces nistratives… Il éprouve une certaine Christian Paul, qui veille à ce que les sur un total de 157 chômeurs de
nouveaux trucs futuristes sont bienve- amertume de le retrouver « quelque propositions ne soient pas hors sol ni longue durée recensés. « Imagine
nus, ils essaient de faire vivre le vil- peu délaissé, au profit des tiers-lieux, élitistes. Évitons de se la jouer faux que notre entreprise devienne l’un
lage. “Village du futur” c’est qu’on vitrines innovantes plus vendeuses en urbain du 11e. Les termes “coworking”, des principaux employeurs ! », lance-
repart vers l’avenir, ça rend plus fier. » matière de marketing territorial d’une “makerspace”, “tiers-lieu” peuvent être t-elle, pas peu fière.
Mais l’ancien maçon ne se sent pas ruralité désirable ». Or le service aussi caricaturaux que “baguette” ou À ses côtés, Perrine Chastrey sourit,
concerné, comme « un monde paral- public d’un centre social est « autre- “barbecue”. Ça peut créer des ghettos discrète. La Néo-Lormoise de 33 ans
lèle ». « À part les gens de Paris, les ment plus vital pour l’ensemble de la et de l’exclusion. » se sent plus utile comme chargée de
cadres, ceux sur l’ordinateur, qui va y population », estime-t-il. Notamment En matière d’emploi, dix communes ce projet, au service d’un territoire
aller ? Tu me vois, moi ou l’agricul- pour répondre aux difficultés des de l’ancien canton de Lormes – dont auquel son compagnon et elle sont
teur ? » Lui évoque plus volontiers plus précaires. le taux de chômage s’élevait à 15,4 % attachés, que comme conseillère
– et plus fièrement –, le club de foot, en 2019 (selon le Bureau internatio- bancaire à Paris. Voilà un an qu’elle
CAR
dont il entraîne les petits. Ou le , s’il fait bon vivre nal du travail), près de deux fois la a plaqué le métro-boulot-dodo, lui
Centre social en face duquel il a à Lormes, « des moyenne nationale – accueillent jongle encore entre aller-retour et
grandi et vit toujours avec sa famille, points de fragilité depuis mai 2022 le dispositif natio- télétravail. Ils y venaient l’été pour
dans les HLM Henri-Bachelin. Ou le demeurent », souligne le maire qui nal Territoires zéro chômeur de animer un festival de musique, avec
regretté Club des jeunes, avec sa souhaite pouvoir « continuer à longue durée. Il consiste, par le biais déjà le souci « d’essayer de s’adresser
piste de breakdance, NTM et IAM. accueillir », alors qu’écoles et collège d’une entreprise dite « à but d’em- à tous, ne pas donner l’impression
N’en reste que des graffitis sur la perdent toujours des élèves sans que ploi », à recruter en CDI et au smic qu’on dépossède ». Aujourd’hui, la
porte. Fermé, comme les disco- les récentes arrivées n’aient changé la des personnes au chômage depuis jeune femme aimerait contribuer
thèques alentour, le New Cottage, le donne. Les élus s’emploient à trouver au moins un an. Signer son premier « à ce que ceux qui vivent ici depuis
Maimont… « Les gamins n’ont même des médecins, à créer du logement… CDI, pouvoir enfin mettre à profit toujours et se sentent parfois freinés
pas un city-stade, qu’est-ce que tu Le bourg est bien loti en services son BTS en gestion des entreprises puissent en profiter comme ceux qui
veux qu’ils se rattachent à un truc qui publics, mais demeure éloigné des comme secrétaire comptable de choisissent de s’y installer ».
À gauche, Romain
Deiss, 19 ans,
ouvrier dans l’usine
Malviche, près de
Lormes, participe
aussi bénévolement
aux activités du
Relai.s des futurs.
Ci-contre, près du
collège Paul-
Barreau de Lormes.
50
Ania Boudjabout, 26 ans, et Guillaume
Berthoin, 32 ans, dans les locaux de l’École
nationale supérieure de Sécurité sociale,
à Saint-Étienne, le 1er février. L’un comme
l’autre, ces étudiants ne se voyaient
pas travailler ailleurs que dans le social.
LE M AG A ZINE
POUR QUI PRÉTEND ŒUVRER à un monde meilleur, plus solidaire, principes comptables et financiers ». « On en rêvait », ironise une des per-
on aurait imaginé un sigle moins tue-l’amour : EN3S. Comme École natio- sonnes qui s’est tirée du traquenard pour discuter avec le visiteur. « Dans
nale supérieure de Sécurité sociale. Son surnom est à peine plus poétique : l’histoire de l’humanité, aucune société n’a redistribué autant que la France
l’« ENA de la Sécu ». La mission en revanche ne manque pas de noblesse : aujourd’hui, assure Dominique Libault, 61 ans, le directeur de l’école depuis
à Saint-Étienne, des élèves triés sur le volet, appelés à devenir cadres ou 2012. Vous ne pouvez pas être que des gestionnaires. Il y a un enjeu démocra-
dirigeants de caisses régionales ou nationales, apprennent à gérer la pro- tique fort, une question de citoyenneté sociale et la valeur de la vie humaine
tection sociale française. Belle vocation que de redistribuer – un peu – les qu’une société attribue à chacun. »
richesses de notre société. Lourde responsabilité que de gérer les quelque Si le cursus Sciences Po-prépa aux grandes écoles domine, les élèves ont
500 milliards d’euros, soit 25 % du produit intérieur brut, que brasse souvent beaucoup caboté dans leurs études avant d’arriver à Saint-Étienne.
annuellement la Sécurité sociale. Surtout en ces temps d’économies et Constance Malfre, 28 ans, élevée par sa famille dans « la notion de l’autre »,
d’alarmisme sur la survie du système. Les actuels débats sur la réforme des admiratrice d’Honoré de Balzac et de Pierre Bourdieu qui, chacun à leur
retraites illustrent ce dilemme permanent où l’on oppose la générosité et manière, l’ont ouverte au déterminisme social, avait fait hypokhâgne à Rouen
la responsabilité. La crise hospitalière, la galère pour trouver un médecin, et des études de lettres. Elle envisageait de devenir professeure des écoles
le conflit sur la revalorisation des consultations, participent de ce tiraille- jusqu’à découvrir qu’elle n’avait pas la vocation de l’enseignement. Le père
ment entre vouloir et pouvoir. d’Ania Boudjabout, un épicier de Tourcoing, aurait bien vu sa fille si brillante
Quand l’école a été créée, en 1960, la part de la Sécurité sociale dans le PIB devenir médecin ou avocate. Elle ne se voyait pas ailleurs que dans le social.
ne dépassait pas 15 % et il y avait quatre cotisants pour un retraité. « J’avais à cœur la lutte contre la pauvreté », explique la jeune femme de
Aujourd’hui, le ratio est de 1,7 pour 1. Depuis 1945, l’espérance de vie a aug- 26 ans qui, entre autres engagements associatifs, enseignait le français à des
menté de vingt ans dans le pays. La soutenabilité du système est en filigrane primo-arrivants. « Je ne me suis jamais dit que j’allais travailler dans une entre-
des pugilats sur le projet de loi de réforme des retraites, comme de tant prise dont le but est de faire du profit, insiste la Nordiste. Je voulais travailler
d’autres ayant trait à la protection sociale. Chaque fois, les élèves de l’EN3S concrètement là où les questions sociales sont au cœur des missions. »
sont concernés à double titre, comme citoyens et comme futurs administra- Naïma Sikora, 38 ans, née à Montreuil (Seine-Saint-Denis), avait choisi l’audit
teurs de la provende sociale. Alors, les débats sur le sujet fleurissent en financier par tradition familiale, sa mère étant experte-comptable. Elle a inté-
interne. L’école convoque régulièrement des « rendez-vous d’actualité ». gré des cabinets prestigieux, Deloitte puis PwC. « Mon client, c’était l’action-
Intitulé de la prochaine séance : « Système de retraite et égalité hommes- naire », résume-t-elle. Pas franchement son éthique de vie. Elle préfère tra-
femmes ». De la lutte contre l’obésité aux questions environnementales, les vailler pour l’État, devient auditrice de la Cour des comptes, spécialisée dans
élèves s’interrogent aussi sur les nouveaux risques que la Sécurité sociale la Sécurité sociale. Elle n’y trouve toujours pas « ce sens du bien commun qui
peut être amenée à couvrir demain. donne envie de se lever le matin », elle qui a été marquée par le discours pro-
Ce qui attend les impétrants dans leur vie professionnelle, ce grand écart noncé par Victor Hugo, le 9 juillet 1849, à l’Assemblée nationale : « Je ne suis
entre la grandeur de la mission et son austérité au quotidien, s’incarne assez pas, messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce
bien dans les locaux de la rue des Docteurs-Charcot. Des longs couloirs monde ; la souffrance est une loi divine ; mais je suis de ceux qui pensent et qui
impersonnels, des murs blancs, des portes grises donnant sur des salles de affirment qu’on peut détruire la misère. » Mariée, mère de deux enfants, c’est
classe uniformes. Bienvenue à l’EN3S. Mais un peu partout, en contrepoint avec ces mots, cet horizon en tête qu’elle est entrée à l’EN3S.
de ce décor minimaliste, sont accrochées des reproductions d’affiches À ses divers pedigrees, à cet inventaire à la Prévert, s’ajoutent des infirmières,
anciennes rappelant le lent cheminement de la protection sociale, et des un ancien cadre de la Banque de France, un autre de la banque Rothschild,
citations lyriques sur le droit de chaque être humain à une vie digne. Ces un diplômé d’école de commerce, un ancien enseignant, un ancien employé
envolées qui disent toutes en substance « guerre à la misère » réchauffent les du ministère de la justice… Autant de vies qui ont bifurqué. Et que dire de la
lieux et les cœurs. N’y manque pas, bien sûr, l’article premier de l’ordonnance trajectoire d’Emmanuelle Fontaine-Domeizel, 49 ans ? Fille du socialiste
du 4 octobre 1945, « portant organisation de la Sécurité sociale », lancée dans Claude Domeizel, ancien maire de Volx, près de Manosque, et sénateur des
le grand moment d’unité de la Libération par les gaullistes Alexandre Parodi Alpes-de-Haute-Provence, elle est devenue infirmière en 1998. Elle a fait de
et Pierre Laroque, ainsi que par le communiste Ambroise Croizat. l’humanitaire au Laos et au Vietnam, a travaillé aux urgences de l’hôpital
Autre époque, autre espoir. Lendemains qui chantent. Mais ce sont là autant Nord de Marseille, puis a ouvert un cabinet médical dans sa commune
d’ancrages historiques, d’héritages, d’utopies peut-être, qui pèsent sur les natale. Engagée depuis 2014 dans la réserve médicale, elle s’est beaucoup
épaules des étudiants. Ce n’est pas le plus gratifiant que de maintenir le impliquée dans la gestion du Covid-19, en outre-mer mais aussi à Mulhouse,
système social, une calculette sans cesse à la main. Salle 201, le jour de notre qui fut l’épicentre de la pandémie. Sur les sentes de son père, Emmanuelle
visite, début février, se déroulait entre 9 heures et 17 heures un cours sur « les Fontaine-Domeizel s’est investie en politique. Conseillère
53
LE M AG A ZINE
départementale, elle est devenue suppléante de l’ancien socialiste Allocations familiales, Assurance-retraite, branche autonomie. Un des pas-
Christophe Castaner lors des législatives de 2017, puis députée La République sages obligés consiste à mettre ses futurs cadres du système au contact
en marche quand le titulaire est entré au gouvernement. Membre de la com- direct des usagers et de plain-pied avec les agents qu’ils devront manager.
mission des affaires sociales, elle a voté les projets de loi de financement de Alexis Prieur a ainsi travaillé dans une plate-forme téléphonique de l’Assu-
la Sécurité sociale (PLFSS). Déçue par la direction que prenait la majorité, rance-maladie en Lozère. « Humain, très humain », résume-t-il. Des heures
elle a quitté LRM. « La politique, c’est un engagement, pas un métier, a-t-elle à enchaîner avec d’autres employés les appels de personnes perdues dans
conclu. Est-ce que je retournais dans la médecine, réintégrais ma zone de leurs droits, parfois en détresse. « J’ai compris pourquoi j’étais là, assure
confort, ou est-ce que j’essayais autre chose qui allait dans le sens de la justice l’étudiant. J’ai rencontré de la souffrance. » À l’accueil de la caisse des allo-
humaine ? » Mère de trois enfants âgés de 18 à 22 ans, elle a repris ses études. cations familiales (CAF) de Tours, où Constance Malfre a fait son stage,
Les parcours que déclinent les élèves montrent un point commun : leur fibre ce sont 600 personnes qui prennent rendez-vous chaque jour. « On reçoit
sociale. C’est elle qui a aimanté leur choix, même s’ils savent que l’air du les lassitudes, assure l’étudiante. Et parfois les colères. » Des vigiles sont à
temps est largement au dénigrement de l’institution. « La Sécurité sociale est l’entrée pour prévenir leur explosion.
à la fois plébiscitée et critiquée », explique Alexis Prieur, 27 ans, qui envisa- Pour ces futurs directeurs comme pour tout agent, il faut passer sans cesse
geait de devenir avocat international. Il sait qu’il a rejoint une institution de l’infiniment grand à l’infiniment petit, avoir en tête la montagne des dos-
résumée tantôt à un insondable déficit (le fameux « trou de la Sécu »), tantôt siers (65 millions d’assurés) et le fait que chaque cas est singulier. « On traite
à des « charges » sociales (au coût jugé insupportable par les entreprises). Ou, à la fois des flux immenses et des situations particulières », témoigne Alexis
plus récemment, à un « pognon de dingue », vilipendé en 2018 par le pré- Prieur. Dans les milliards gérés par les caisses, le moindre euro peut s’avérer
sident de la République, Emmanuel Macron. décisif pour un allocataire. Guillaume Berthoin, 32 ans, en sait quelque chose,
Cette brave, cette vénérable, cette indispensable Sécu, on ne cesse de lui lui qui a travaillé à la Caisse nationale des allocations familiales avant de réus-
reprocher sa lourdeur, son inefficacité, son inertie. « Son fonctionnement est sir le concours interne de l’EN3S. Rattaché à la direction des études, des
méconnu du grand public et de l’État lui-même », regrette Marie Rappy, 48 ans, statistiques et de la recherche, il était chargé du chiffrage et des simulations
la directrice adjointe de l’EN3S. Cette « enfant de la Sécu », comme elle se dans les rapports d’évaluation des politiques de sécurité sociale. Et donc
revendique, y est entrée en 2003 et a longtemps travaillé dans une caisse de mesurer l’impact des réformes. En 2017, quand le gouvernement a décidé
d’Assurance-maladie au cœur du pays de réduire de 5 euros par mois les aides
minier, dans les Hauts-de-France, au logement, ce fut un coup rude dans
côtoyant la détresse sanitaire. “On parle beaucoup de la fraude sociale de nombreuses familles. Dans des
Expérience passionnante mais qui
n’empêche pas un constat désolé : « La
mais pas de ceux qui ont des droits foyers sur la corde raide, un simple
retard de versement, qu’il soit impu-
Sécu traîne une image de grisaille. » « On et n’en bénéficient pas, soit par honte, table à un rejet informatique
ne se dit pas à 5 ans : je veux entrer à la
Sécurité sociale », admet une des élèves.
soit par méconnaissance”, ou à un dossier mal rempli, et c’est
la catastrophe.
Comme d’autres concours administra- regrette Naïma Sikora, étudiante à l’EN3S. « Vous tenez des vies à bout de bras »,
tifs, celui de Saint-Étienne est de moins
en moins prisé de la jeunesse, même s’il
Un stage à la CAF de Paris lui a “ouvert résume Naïma Sikora. En stage à la CAF
de Paris, l’étudiante se souvient de
reste sept candidats pour une place et les yeux sur la misère masquée”. cette dame âgée qui vivait dans un
que chaque diplômé se voit offrir entre logement insalubre. Le bailleur n’étant
deux et trois postes à la sortie. pas en conformité, elle craignait d’être
Les étudiants s’engagent pour dix- expulsée, de perdre son aide au loge-
huit mois de formation dans cette ment et de se retrouver à la rue. « Elle
école classée A+ dans les barèmes était très fragile, elle s’est effondrée en
d ’exce l l e n ce . Le s p ro m o t i o n s pleurs, je l’ai rassurée, elle m’a embras-
regroupent entre 50 et 60 élèves, sée. » La stagiaire a également mesuré
dont deux tiers de femmes. La sélection se fait par trois voies : le concours le handicap que constituait l’illectronisme, remplissant les dossiers de per-
externe ouvert à des étudiants qui ont souvent bac + 5, le concours sonnes incapables de se servir d’un ordinateur. « On parle beaucoup de la
interne réservé à ceux qui appartiennent déjà à l’encadrement de la Sécu fraude sociale mais pas de ceux qui ont des droits et n’en bénéficient pas, soit
et, depuis trois ans, la troisième voie ouverte à des personnes aspirant à par honte, soit par méconnaissance », regrette-t-elle. Ce stage lui a « ouvert
une reconversion professionnelle. À l’exception de Constance Malfre, les yeux sur la misère masquée ».
enfant de la balle dont le père a fait carrière à la Sécurité sociale, tous ces « L’argument premier pour venir ici, c’est le sens, pas la rémunération »,
étudiants ont découvert l’EN3S par hasard, au détour d’un stage ou d’une insiste Laetitia Jeanjean, 44 ans, une ancienne de l’école devenue directrice
simple conversation. Il n’est guère que dans un documentaire de Gilles de la formation, après avoir baroudé dans l’institution. Les salaires iront de
Perret (La Sociale, 2016) qu’une caméra se soit aventurée dans ces locaux. 2 700 à 4 700 euros. « Cela implique un rapport équilibré à l’argent, admet
Le cinéaste militant filmait un ancien résistant et pionnier de la Sécu venu Alexis Prieur. On n’entre pas à la Sécu pour mener une vie de pacha. » Cela
raconter aux étudiants, dans l’amphithéâtre Pierre Laroque, les rêves de tombe bien : « La période n’est pas aux largesses de nos tutelles », euphémise
justice sociale de sa génération. Laetitia Jeanjean. Les effectifs (150 000 agents) ne cessent de fondre, à rai-
Pour le reste, l’EN3S reste largement méconnue des campus. Ce déficit de son de 5 % tous les cinq ans. Sur 100 euros de cotisations versés, 3 seule-
notoriété désole Dominique Libault. L’énarque a notamment été le concep- ment servent au budget de fonctionnement de la Sécu. « Il faudra faire
Margaux Senlis pour M Le magazine du Monde
teur avec Michel Rocard, alors premier ministre, de la contribution sociale mieux avec moins », se doute pourtant Constance Malfre, même si aucun
généralisée (CSG), en 1991, et, deux ans plus tard, le collaborateur de Simone élève ne se sent l’âme d’un cost killer.
Veil, alors ministre des affaires sociales. Il a aussi été directeur de la Sécurité « Nous sommes des artisans de la cohésion sociale », préfère penser Ania
sociale de 2002 à 2012. Autant dire qu’il est un homme de l’art. Il raconte Boudjabout. « Nous produisons de l’égalité, insiste Guillaume Berthoin. Les
comment l’école, qui s’appelait alors Conseil d’études supérieures de sécurité gens ne sentent pas à quel point c’est vital. » C’est ainsi : la Sécurité sociale
sociale, est née de « la volonté de professionnaliser un système dont la gestion est à ce point omniprésente au quotidien qu’on ne la voit plus. « Nous nous
était jusque-là paritaire ». Elle a été décentralisée à Saint-Étienne en 1978. occupons d’un gros pan de la vie des gens », estime Constance Malfre. « De
L’enseignement comporte une partie théorique, dispensée par des interve- la naissance au dernier souffle, renchérit Emmanuelle Fontaine-Domeizel.
nants extérieurs, et une série de stages dans une des entités de l’organisme : Il n’y a pas plus universel que la Sécu. » « Détruire la misère », comme le
Urssaf (recouvrement), Assurance-maladie ou risques professionnels, rêvait Victor Hugo, est une belle mais rude mission.
54
Ci-contre,
Marie Rappy, directrice
adjointe de l’EN3S.
Ci-dessous,
Emmanuelle Fontaine-
Domeizel, ancienne
députée LRM déçue
de la politique, a
rejoint l’école pour
se former à un métier
qui irait dans le « sens
de la justice ».
À droite, l’entrée
de l’amphithéâtre
Pierre-Laroque,
l’un des pères
fondateurs, en 1945,
de la Sécurité sociale.
LE PORTFOLIO
RETOUR D’ESCLAVAGE.
De nombreuses femmes originaires de Sierra Leone en quête
d’une vie meilleure partent travailler comme employées
de maison au Moyen-Orient, où le système de la “kafala”
les soumet corps et âme à leur employeur. La photographe
française Aline Deschamps a saisi le quotidien difficile
de celles qui, rentrées du Liban, sont souvent rejetées par
leur famille mais tentent de se reconstruire.
Photos Aline DESCHAMPS — Texte Hélène SALLON
57
LE PORTFOLIO
DAN S LE N ORD DE LA SIERRA LEON E, En 2020, frappé par la pandémie de Covid-19, le d’entre elles, dont Alice Turay, qu’Aline Deschamps
Aminata, Emma et Zainab se reconstruisent. Liban s’enfonce dans une crise économique sans a rencontrées alors qu’elles tentaient de survivre,
Les clichés les montrent, tour à tour, charmeuses précédent. Les travailleuses domestiques de sans un sou, dans un appartement de Beyrouth.
et conquérantes, tendres et amoureuses, joyeuses nationalité étrangère sont particulièrement vul- Si certaines ambassades rapatrient leurs ressortis-
et apaisées… Ces anciennes employées de maison nérables, brisées par le système de la kafala santes, les Sierra-Léonaises, elles, craignent de ne
au Moyen-Orient ont vécu l’enfer du trafic humain, (« garant », en arabe), qui autorise tous les abus. jamais pouvoir rentrer. Leur pays n’a pas de repré-
du travail forcé et des violences sexuelles. Rentrées Appliqué dans de nombreux pays du Moyen- sentation diplomatique au Liban et a interdit tout
dans leur pays, elles ont retrouvé dans la ville de Orient, ce dispositif enchaîne les travailleurs recrutement à l’étranger par le biais d’agences de
Makeni une communauté de femmes au sein de étrangers à leur employeur : c’est lui qui signe les placement de travailleurs domestiques, favorisant
l’association DoWAN (Domestic Workers Advocacy permis de travail, autorise la sortie du territoire le renforcement des réseaux illégaux. La Sierra
Network). Sa fondatrice, Lucy Turay, une force de et renouvelle le contrat de travail, avec ou sans Leone fait ainsi partie des nouvelles routes de la
la nature passée par les mêmes maltraitances, les l’accord de l’employée, qui doit résider chez lui. traite des êtres humains. « Certaines ont contracté
aide à reprendre le fil de leur vie, malgré les trau- Au Liban, le premier procès pour esclavagisme des dettes auprès de passeurs qui leur ont fait
matismes et la honte qui les hantent. « Elles rede- s’est ouvert en 2022, après une plainte déposée croire que le Liban avait besoin d’infirmières et
viennent des femmes à nouveau. Elles regagnent par une Éthiopienne. Au printemps 2020, des qu’elles gagneraient quatre fois plus là-bas que
confiance avec grâce, beauté et force. C’est ce que travailleuses domestiques d’Afrique et d’Asie du dans leur pays », explique Aline Deschamps.
j’essaie de transmettre, en prenant soin de ne pas Sud-Est dressent des tentes devant leurs ambas- En septembre 2020, grâce à des mécènes et à
oublier leur souffrance », explique Aline Deschamps. sades à Beyrouth pour réclamer leur rapatrie- l’Office international des migrations, elles sont
La photographe française a rencontré Lucy Turay ment. Elles sont des centaines à avoir fui des rapatriées. « Leur retour a eu un arrière-goût amer.
et plusieurs de ces femmes au Liban, au prin- employeurs qui ne les payaient pas et, pour cer- Elles étaient certes soulagées de quitter un pays qui
temps 2020, et en a fait le sujet d’un premier volet taines, les maltraitaient. D’autres ont été licen- les avait abusées et heureuses de retrouver leurs
baptisé I Am Not Your Animal. ciées et jetées dans la rue. Ce sont plusieurs familles, mais la décision a été néanmoins difficile
à prendre, car la plupart ont travaillé sans être
payées. Elles n’ont pas pu envoyer d’argent à leur
famille et ont même souvent dû leur en demander »,
poursuit-elle. En mars 2022, Aline Deschamps les
a retrouvées, ainsi que d’autres anciennes travail-
leuses migrantes rentrées du Golfe ayant rejoint
l’association DoWAN, et elle a intitulé ce second
chapitre A Life After Kafala. Une distance, à la fois
physique et émotionnelle, s’est installée avec leurs
proches. Souvent, elles n’ont pas donné de nou-
velles pendant des mois, leur téléphone ayant été
confisqué. Beaucoup ont aussi des dettes envers
les rabatteurs ou leurs propres familles. Les
proches qui ont dû vendre des terres pour elles les
rejettent. Parfois, ce sont elles qui, rongées par la
culpabilité, n’osent pas rentrer dans leur village.
Quand elles ont lieu, les retrouvailles sont
éprouvantes. La fille de Lucy a grandi sans elle et
ne la reconnaît plus. Le mari d’Aminata a définiti-
vement rompu avec elle.
Elles peinent aussi à dire l’indicible violence
intime qu’elles ont subie. Pour les aider à mettre
des mots, l’association DoWAN organise des
groupes de parole. Aline Deschamps leur a fait
écrire des lettres à leurs proches. On y lit l’atta-
chement au pays, la résilience et les liens indéfec-
tibles qui justifient les sacrifices consentis.
L’association DoWAN sillonne Makeni, deuxième
ville du pays en termes de départs, pour empê-
cher d’autres femmes de tomber dans le même
piège. Poussées par la honte, même d’anciennes
employées de maison tentent de repartir. Au
Liban, le ministère du travail dénombre encore
250 000 travailleurs domestiques étrangers.
D’autres, en revanche, ont réussi leur réintégra-
tion au pays. Comme Emma, qui, revenue de
quatre années au Koweït, s’est mariée et travaille
dans l’association. Des femmes louent des terres
pour cultiver du riz et du manioc. « Il y a une vie
Aline Deschamps
58
Rebecca Kamara
(à gauche) et Aminta Binta
Jalloh, deux ex-employées
de maison, à Makeni.
À son retour, Aminta n’avait
plus de maison, son mari
s’étant installé avec une
autre femme.
Page de gauche,
d’anciens domestiques
au bord d’une rivière,
près de Makeni.
LE PORTFOLIO
61
62
LE PORTFOLIO
Aline Deschamps
Des chauves-souris
dans le ciel de Makeni.
Page de gauche,
Humu Fofornah, à Makeni.
Cette ancienne employée
de maison pose avant
de participer au premier
concours de beauté
organisé pour les
travailleuses domestiques.
Ce concours a pour
objectif de sensibiliser à la
traite des êtres humains.
Étienne Daho, Sandrine Kiberlain, Augustin Trapenard, Aurélie Saada,
Denis Ménochet, Monica Sabolo, Manon Fleury… Retrouvez les invités
du “Goût de M” sur lemonde.fr/le-gout-de-m
Chaque fin de semaine, une personnalité raconte son histoire du goût au micro de Géraldine Sarratia.
Le podcast “Le Goût de M” est disponible gratuitement sur toutes les plates-formes.
LE GOÛT
de VÊTEMENTS.
L’INDUSTRIE DE LA MODE ET SES COLLECTIONS À RÉPÉTITION, TRÈS PEU POUR
CES TROIS STYLISTES. AUX FRONTIÈRES DE L’ARTISANAT, DE L’ART ET DES
Leo Cannone
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“La mode n’était tout simplement
pas un milieu fait pour moi. Et puis,
je devenais de plus en plus mal
à l’aise avec l’idée de mettre sur
le marché de nouveaux vêtements
alors qu’on en a suffisamment pour
les cent ans à venir.” Jeanne Vicérial
LA SCÈNE RESSEMBLE À UN l’art. Elle est représentée depuis un
TABLEAU VIVANT. Devant nous, deux an par la galerie Templon, où une
jeunes femmes sont en train de quinzaine de ses sculptures vesti-
coiffer d’immenses statues de fils mentaires sont exposées jusqu’au
noirs. À l’aide d’une petite baguette 11 mars. L’occasion de voir que la
de bois, elles démêlent en silence les créatrice manie aussi bien le blanc
tresses, les cordons et les minuscules immaculé que le noir de jais.
lianes qui ressemblent à des che- Après des études de costumière puis
veux. Le geste se répète, doux et pré- un master en design vêtement de
cis, comme dans une transe hypno- l’École des arts décoratifs de Paris
tique. Dans quelques jours, trois en 2015, Jeanne Vicérial rejoint l’ate-
œuvres de la plasticienne et cher- lier du styliste Hussein Chalayan.
cheuse Jeanne Vicérial seront pré- « J’ai tenté sans succès des concours de
sentées dans le cadre d’une exposi- mode, je voulais lancer ma marque de
tion collective, baptisée « Au-delà. prêt-à-porter, mais je n’ai jamais réussi
Rituels pour un nouveau monde », à trouver ma place dans cette indus-
à Lafayette Anticipations, le lieu d’ex- trie », dit-elle sans regret. Un mal
position de la Fondation Galeries pour un bien. « Ce n’était tout simple-
Lafayette situé dans le Marais, à ment pas un milieu fait pour moi. Et
Paris. Pour l’heure, il s’agit de mettre puis, je devenais de plus en plus mal à
en plis ces sculptures d’outre-tombe : l’aise avec l’idée de mettre sur le mar-
deux « Armors » textiles géantes, ché de nouveaux vêtements alors
66
LE GOÛT
industrielles de production et de
vente à grande échelle. « Je suis en
train de créer mon propre écosys-
tème », indique Céline Shen, qui se
présente comme « une artiste qui
développe des œuvres vestimen-
taires ». Elle a étudié la philosophie et
la chorégraphie avant d’obtenir, elle
aussi, un master en design vêtement
à l’École des arts décoratifs de Paris,
en 2019. Ensuite, elle a été formée
aux savoir-faire couture dans les
ateliers Alaïa. Son travail sensible et
poétique interroge la dimension invi-
sible du vêtement à travers les
notions d’aura et de mémoire, ce qui
lui a notamment valu d’être finaliste
au Festival de la mode d’Hyères
en 2020. Elle expose d’anciens trous-
seaux de mariée, mêle performances
de danse et de calligraphie, dessine
des pièces uniques qu’on peut porter
ou accrocher au mur. Il y a six mois,
elle a rejoint un incubateur à
Saillard et l’actrice Tilda Swinton. Station F, le grand campus parisien
L’historien de l’art, qui, lui aussi, de start-up, pour ajouter une nou-
« parle de la mode autrement » à tra- velle corde à son arc : la créa-
vers des performances émouvantes, tion d’œuvres numériques.
est séduit par son travail. L’artiste se À l’ère de l’anthropocène, de nou-
met à tisser des kilomètres de fils et veaux modèles hybrides émergent
de cordes jusqu’à ce que ses sculp- ainsi peu à peu, plus intimistes et
tures de déesses guerrières prennent plus artisanaux. On peut y lire une
vie. Aujourd’hui, elle les fabrique à la critique sous-jacente du système de
main, mais se fait parfois aider par la mode, certes, mais aussi et surtout
un robot. Première docteure diplô- une passion pour le vêtement, sa
mée en « design de mode par la pra- conception, son devenir. La mode,
tique » en France, en 2019, Jeanne disent en substance ces créatrices,
Vicérial a développé avec le labora- n’est pas qu’une industrie, un monde
toire de mécatronique de l’École des exubérant de fashion weeks, c’est
Mines de Paris une machine tisseuse aussi un lieu de recherche et d’expé-
capable de produire des vêtements rimentation. « Pour moi, le vêtement
sur mesure et sans chutes. La n’est pas un produit mais un objet
machine réalise en sept minutes ce intime avec un monde à lui. Par ail-
qui peut demander à la créatrice sept leurs, j’essaie de montrer qu’on peut
heures de travail à la main. À la croi- sortir de la voie rationnelle de l’Occi-
sée de l’artisanat, de la mode, de l’art dent en explorant la philosophie
et des sciences, la couturière-plasti- extrême-orientale, qui appréhende
cienne n’entre dans aucune case. Si l’humain différemment, comme une
le milieu de la mode n’a pas de place partie seulement de l’univers »,
pour sa transdisciplinarité, le monde explique la créatrice d’origine
de l’art l’a accueillie à bras ouverts. chinoise, qui vise à transcender le
Et elle n’est pas la seule à s’affranchir statut mercantile des vêtements. Son
des rythmes de la mode, inventant approche a séduit le philosophe
de nouvelles façons de penser le italien Emanuele Coccia, qui s’inté-
vêtement, transportant la matière resse de près à la mode. À propos de
textile dans des contrées inconnues. la notion d’aura que l’artiste déve-
À l’heure où les créateurs indépen- loppe, il écrit : « Au lieu de chercher la
dants ont de plus en plus de difficul- nouveauté absolue, la mode de Céline
tés à résister à la puissance des Shen est la seule à comprendre que le
grands groupes, certains prennent passé de tout vêtement conserve une
En haut, la robe De la
les devants et rompent avec le lueur extraterrestre, une étrangeté qui composition en fragments,
modèle dominant de création d’une la rend immortelle. » Emanuele de Céline Shen (ci-contre).
Chip-Wei Wong
68
Sac Voyou, en cuir,
Givenchy, 1 850 €.
givenchy.com
Pouf
TANDEM
tout TERRAIN.
Il y a trente ans, le maroquinier
Longchamp tentait un coup de
poker avec sa collection Pliage en
réinterprétant le système du petit
sac de courses ou du K-Way, deux
archétypes populaires, aux anti-
podes de l’univers du luxe. Le
succès fut phénoménal, et ce
bagage en Nylon, doté d’un rabat
et d’anses en cuir, est devenu un
classique, à tel point que
Romain
TÊTES CHERCHEUSES
Longchamp en a déposé le nom.
De son côté, Fatboy, une marque
lescents, à Toulouse. « On avait en commun le sport veaux albums restent souvent édités en cassettes, BOUTIQUES LONGCHAMP.
et surtout la musique, à une époque où le rock adhèrent franchement au concept, davantage
connaissait un renouveau, notamment grâce à que la France, plus sceptique. Pas résigné, le duo
l’émergence des Strokes », raconte le tandem. Après travaille sur un second modèle et milite auprès
avoir vécu le retour en grâce du vinyle, ils des labels hexagonaux afin qu’ils reconsidèrent
constatent que ceux qui ont conservé leurs cas- le format cassette pour leurs artistes. À bon
settes ou qui veulent en dénicher n’ont que deux entendeur… Valentin PÉREZ
options pour les écouter : « Un lecteur de piètre
qualité en plastique à 20 balles sur Amazon ou un
LECTEUR CASSETTE, WE ARE REWIND, 149 €. COMPATIBLE
vieux modèle chiné difficilement sur eBay. » AVEC DES CASSETTES COMPACTES, TOUS TYPES DE I À IV.
Ils se piquent d’imaginer en guise de solution un WEAREREWIND.COM
70
En haut, bottes Zimlee,
en cuir et peau de mouton,
Isabel Marant, 580 €.
isabelmarant.com
En bas, de gauche à droite,
bottes Gaia Pocket,
en Nylon laqué, Moncler,
675 €. moncler.com
Bottes en cuir et laine
Chloé × Moon Boot,
850 €. chloe.com
Bottes en cuir et
polyuréthane imprimé,
Alanui × Moon Boot,
276 €. alanui.it
VARIATIONS Hors PISTES. Comme leur nom l’indique, les après-skis chaussent les pieds libérés des chaussures techniques,
rigides et d’un confort très relatif. Alliant le moelleux d’un chausson et l’isolation d’une botte, ils réchauffent et soulagent après l’effort…
ou pas, pour ceux qui préfèrent les terrasses ensoleillées. C’est d’ailleurs plutôt à cette seconde catégorie que s’adressent les créateurs
qui s’emparent de cet accessoire en jouant avec les matières et les motifs. Nylon argenté et molletonné chez Moncler, cuir et peau de
mouton chez Isabel Marant, cuir et laine tricotée chez Chloé et motif bandana chez Alanui. Du style, donc, sans pour autant lésiner sur
la qualité, les deux dernières marques se sont ainsi associées à Moon Boot pour la fabrication de leurs modèles. Devenue culte, la griffe
italienne des années 1970 est la première à avoir transformé l’après-ski en accessoire de mode. Texte et réalisation Fiona KHALIFA
— Photo Louis DE ROFFIGNAC — Scénographie Mathilde VALLANTIN DULAC
LE GOÛT
Ci-contre, applique
à double balancier, Robert
Mathieu, 1955. Mise en scène,
galerie Pascal Cuisinier.
Ci-dessous, lustre
à six lumières, Robert
Mathieu, 1955.
En bas à gauche,
lampadaire 51,
Robert Mathieu, 1952.
ÉCLIPSÉE PAR LA CÉLÉBRITÉ DES JEAN dans cet ouvrage, à mi-chemin entre la biogra-
PROUVÉ, Pierre Jeanneret ou Charlotte Perriand, phie et le catalogue raisonné. On y découvre les
une génération de créateurs français a pourtant détails qui font la signature de Robert Mathieu,
œuvré tout au long des « trente glorieuses ». Mais comme la rotule en métal permettant d’articu-
ces « jeunes loups », comme on les surnommait à ler à l’envi les sources de lumière, mais aussi les
BELLES FEUILLES l’époque, qui ont révolutionné les intérieurs fran- lampes Diabolo à double réflecteur qui pro-
çais avec leur mobilier compact, ergonomique, diguent ainsi une double orientation de la
72
VU SUR LE NET
chronographe dont les sous-compteurs sont noirs tandis que la surface environnante est blanche ou gris
clair, comme chez le mangeur de bambou. Les touches de matière luminescente sont de couleur vieux
beige, marqueur incontournable d’un style vintage qui voit en cette pièce, sans abuser d’un terme usé
jusqu’à la corde, une authentique icône. David CHOKRON
TAG HEUER CARRERA CHRONOGRAPHE 60 e ANNIVERSAIRE, BOÎTE EN ACIER DE 39 MM SUR BRACELET EN CUIR DE VEAU NOIR, MOUVEMENT
MÉCANIQUE À REMONTAGE AUTOMATIQUE, HEURES, MINUTES, SECONDES, CHRONOGRAPHE À DEUX COMPTEURS, 7 100 €. TAGHEUER.COM
Georgio, à Paris,
le 25 janvier.
LE GOÛT
GEORGIO EST GRAND, TRÈS aurait besoin de grandir, un « voyou » même pas lire, mais il est à nous. » compte que, parmi tous mes potes qui
GRAN D, 1,90 mètre. Comme son – comme le titre du duo enregistré Issu d’un couple mixte, celui qui se travaillent, aucun ne va faire le
compatriote Booba ou l’Américain avec le groupe rock énigmatique qualifie de « quarteron », de par sa même métier toute sa vie. Tout va
Snoop Dogg. Et s’il est un grand Fauve au début de sa carrière – qui mère métisse guadeloupéenne, a très vite, tout peut être aussi très bru-
rappeur, c’est surtout par son talent. devrait s’assagir. L’artiste fait tou- d’abord passé son enfance à Angers tal. » Ces années sauvages, il les
Depuis dix ans, le Francilien inscrit jours figure d’enfant sage, certes (Maine-et-Loire). Son père, compo- détaille dans des morceaux tels que
à chacun de ses disques de nou- ancien élève en échec scolaire mais siteur de musique publicitaire, Quand tout s’enflamme, Esprit libre,
veaux classiques au Panthéon féru de littérature. Comme en entretient la famille. Mais, lorsque Or acrylique, Enfants sauvages,
du rap hexagonal : À l’abri en 2014, témoigne ce nouvel album, accom- les compositions ne font plus Quand le soleil tombe ou Feu d’arti-
Héros et Les Anges déchus, les gens pagné d’un texte coécrit avec Diaty recette, ses parents se séparent. Le fice. L’aventure, l’adrénaline se
déçus, dans l’album Bleu noir (2015), Diallo, autrice du roman Deux déclassement passe alors inaperçu mêlent à la déception, la déprime.
Brûle, dans Héra (2016), Petit secondes d’air qui brûle (Seuil, 2022), aux yeux du jeune Georgio. « J’étais Ainsi, Georgio raconte un de ses
prince, dans Sacré (2021) et, sur les violences policières. « Son trop petit pour m’en rendre compte. voyages à Hambourg, où il s’était
aujourd’hui, Hôtel 5 étoiles et Esprit livre m’avait marqué, car il raconte la À 11 ans, en arrivant à Paris, je retrouvé embarqué sur les traces du
Libre, extraits d’Années sauvages, vie d’un groupe de jeunes après une vivais dans un foyer Sonacotra avec chanteur Pete Doherty, des
sorti le 3 février. Autant de mor- bavure policière », explique-t-il. ma mère et mon petit frère. J’ai très Libertines. Le rock est une autre de
ceaux écrits par le trentenaire qui Georgio partage sa passion pour peu de souvenirs d’une vie où tout ses passions : « Avec mon meilleur
évoquent les thèmes de sa généra- Romain Gary ou Jacques Prévert, est plus facile. » Il se rappelle, en pote, nous étions partis pour quelques
tion, le quotidien rythmé par mais se méfie : « C’est comme si revanche, d’avoir pris conscience, jours et nous n’avons pas été déçus.
Internet et les réseaux sociaux, la j’avais besoin de dire que j’aime lire enfant, de l’impact du manque On a rencontré un groupe de punk
crainte de l’avenir… pour être approuvé par des per- d’argent : « Des gens qui faisaient inconnu, des Australiens qui avaient
Emporté par ses refrains inspirés et sonnes qui ne valideraient pas forcé- partie de la vie de mes parents ont loué un van pour faire leur tournée. Ils
la frénésie de ses couplets, son ment ma musique, qui ne m’écoute- disparu parce qu’ils n’aimaient pas le jouaient le soir dans un bar. Ils nous
public le suit fidèlement depuis ses raient pas de la même manière sans fait de ne plus pouvoir partager les avaient payé des coups parce qu’ils
débuts, remplissant les salles, de ces références littéraires. » La peur, mêmes choses avec eux. » avaient tout gratuit. On avait trop bu,
l’Olympia à Paris aux différents toujours, de trahir les siens, ceux Alors qu’il décroche à l’école, sèche on est partis au casino, on a perdu de
Zénith de France. Pourtant, Georgio, avec qui il a passé sa fin d’adoles- les cours en 4e, il est envoyé vivre l’argent et on s’est fait frapper par les
résume modestement son statut : cence, dans les rues du 18e arrondis- chez sa grand-mère maternelle, à videurs. L’enfer, et aujourd’hui on en
« Quand on parle de rap français, je sement, dans le quartier Marcadet, La Celle-Saint-Cloud (Yvelines). rit. » La pandémie, le changement
ne dois pas être le premier nom à Paris, où il a vécu avec sa mère L’entente n’est pas cordiale, mais les climatique, les manifestations des
auquel on pense, mais, en même divorcée et son petit frère, Anatole, deux partagent une passion com- « gilets jaunes » l’ont aussi beaucoup
temps, j’ai ma petite place. Je reste à qui il dédiera une chanson mune pour les livres. L’adolescent inspiré pour écrire cet album. « Ces
ancré dans la réalité, de par ma quelques années plus tard. aime les mots, les figures de style et dernières années, il y a eu énormé-
famille, de par mes amis. Tout ce qui Le rap, dit-il, l’a sauvé : « Dans le la musique de la langue. S’ensuivent ment de destructions. Pendant le
est lutte de classe, combats de mino- sens où cela a donné un sens à ma les séances de studio et le retour Covid-19, la nature a repris ses droits
rités, ça me touche vraiment et ça vie. Je n’ai même pas le bac, j’ai dans le 18 e arrondissement. Le sur l’homme. Ces années m’ont
s’entend dans mes albums. » arrêté très tôt les études. Mais c’est le début de ce qu’il surnomme ses construit, ont fait qui je suis, m’ont
Dans les locaux de Wagram, son dis- rap qui m’a construit, qui m’a évité années sauvages, celles où il arrête permis d’écrire cet album en prenant
tributeur, qui héberge son label de faire des conneries et de suivre l’école et enchaîne les petits boulots du recul. » Et, comme à chacun de ses
Panenka, Georges Édouard Nicolo des potes sur des mauvais coups. » en intérim (livreur en restauration disques, Georgio emportera avec ses
anticipe déjà les commentaires un Lui préférait travailler ses textes. rapide, employé de La Poste ou du refrains son public dans les festivals
peu faciles des critiques musicaux, « Cela m’a fait vivre des choses que journal gratuit Direct Matin). et les manifestations.
qui évoqueraient « l’album de la je n’aurais jamais pu vivre autre- Ses textes évoquent l’instabilité de
maturité ». Un jugement sans fonde- ment. Le rap est souvent critiqué, il la vie. « Je fais aussi partie d’une
ANNÉES SAUVAGES, DE GEORGIO
ment puisque le MC n’a jamais été nous permet de faire des disques d’or génération où tout va vite, où le (PANENKA MUSIC). EN CONCERT LE 13 MAI
perçu comme un « sale gosse » qui avec des notes de piano qu’on ne sait monde est rétréci. Je me rends bien AU ZÉNITH DE PARIS.
75
LE GOÛT
taille PIXELS.
LES ÉQUIPES DE JONATHAN
représentant un tee-shirt et un sweat-shirt
pixélisés, imprimée à partir d’une modélisation
dans Photoshop. Personne n’a eu à préciser qu’il
fallait faire vite et bien : le défilé avait lieu une
revanche, pour la production, il était impossible
ensuite de décliner les mesures à partir du prototype
de taille 36 comme on le fait habituellement : cela
créait de légers décalages. Nous avons dû, pour
ANDERSON, DIRECTEUR quinzaine de jours plus tard… mettre à l’échelle chaque taille, refaire un patronage
ARTISTIQUE DE LOEWE, ONT M IS Les équipes de Jonathan Anderson – aussi bien de zéro pour s’assurer qu’à chaque fois les pixels
AU POINT UNE TECHNIQUE celles de Loewe que celles de son propre label, tombaient parfaitement. »
SOPHISTIQUÉE POUR DONNER JW Anderson – sont devenues familières de ces En parallèle, les responsables de la maille se sont
UNE APPARENCE VIRTUELLE silhouettes qui cultivent l’ambiguïté entre le réel emparés des feuilles de papier pour en tirer eux
À DES HABITS BIEN RÉELS. et le virtuel. Le directeur artistique, qui aussi des vêtements portables. Ils ont privilégié
un fil de polypropylène, « léger mais compact une
fois tricoté », travaillé dans un jacquard double
face blanc et bleu, avec des jeux de reliefs carrés
bleu marine en bordure, « le plus rectiligne
possible par rapport au sens de la maille » pour
suggérer les pixels, le long des manches, sur les
épaules, autour de la capuche ou sur la poche
ventrale. Il s’agit de deux panneaux de maille
cousus ensemble pour leur donner solidité et
tenue, et renforcer l’aspect aplati du vêtement
lorsqu’il est vu de face. Pour parfaire le tout, les
équipes ont ajouté au hoodie deux cordons en
zigzag. Tirer dessus n’est toutefois pas indiqué :
non reliés à la capuche, ils ne permettent pas de
la serrer et ne sont là que pour accentuer cette
impression troublante d’un prêt-à-porter
numérique. Valentin PÉREZ
COLLECTION PRINTEMPS-ÉTÉ 2023 DE LOEWE.
1 800 € LE TEE-SHIRT, 1 900 € LE PANTALON, 2 400 €
LE SWEAT-SHIRT. LOEWE.COM
Isidore Montag/Gorunway.com ×2
76
Avec Du 8
au 28 février
3,50 euros
la séance avec
Projections,
animations et
l’AFCAE 2023 le pass dans avant-premières
Télérama et dans plus
sur telerama.fr de 200 cinémas
Art et Essai
festival
cinéma enfants
Toutes
les
infos
LE GOÛT
EXERCICE DE STYLE
Lâcher
les BRIDES.
COM M ENT LES BABIES,
CES CHAUSSURES À BOUCLES,
ACCESSOIRES INDISPENSABLES
DE LA PETITE FILLE MODÈLE, SE
SONT RETROUVÉES AUX PIEDS DES
M ENEUSES DE LA SCÈNE GRUNGE.
78
(1) Babies Kina, en veau (4) Ballerines Aime Dior,
velours, Carel, 395 €. carel.fr en cuir verni rouge, Dior,
1 090 €. dior.com
(2) Mary-Janes Casilda,
en cuir verni, Souliers (5) Mary-Janes Tabi,
Martinez, 425 €. en cuir Nappa souple,
souliers-martinez.com Maison Margiela, 820 €.
maisonmargiela.com
(3) Bottes en résille, chèvre
2 velours et cuir verni, Chanel, (6) Babies en cuir, Miu Miu, 5
1 800 €. chanel.com 810 €. miumiu.com
3
Assistante de la styliste : Elisa Khayat. Scénographie : Nick White @SwanManagement.
Production : Pauline Mourguet @1718 et Laura Alvarez @1718
4 6
1
81
LE GOÛT
sait une pierrade. Jusqu’au jour où, quand j’avais 16-17 ans, mes
parents m’ont emmené dîner dans un restaurant gastronomique,
une auberge étoilée dans l’ouest de la France. J’ai découvert ce que
veut dire « très bien manger », et ça m’a retourné la tête. Surtout au
dessert : j’avais commandé des profiteroles au caramel que le ser-
veur a posées sur la table. Elles étaient magnifiques. Et, là, arrive un
gars avec une petite casserole et une sauce qu’il vient verser dessus.
C’était le saucier. Mon cerveau a vrillé. Je me suis dit : « Il y a un gars,
son job, c’est de faire des sauces ». Et moi qui viens du milieu geek
et des jeux vidéo, où l’on est dans la perfection du moindre petit
rien, j’ai trouvé ça dingo. J’ai découvert que la gastronomie, c’est
aussi un truc de geeks. Du coup, j’ai voulu faire l’école hôtelière. On
m’appelle « Poulpe » depuis le collège, car j’ai toujours fait plein de
choses – des BD, de la vidéo, de la chanson, du théâtre – et, en
même temps, j’ai toujours l’air très mou. D’où poulpe (le
« Monsieur » est venu plus tard). Finalement, je ne me suis pas lancé
dans l’hôtellerie-restauration, je suis devenu graphiste free-lance,
mais j’avais toujours cette envie de faire quelque chose avec la
bouffe. J’ai lancé une émission sur Nolife, une chaîne câblée dédiée
aux geeks qui jouent aux jeux vidéo, aiment la culture manga et
mangent des pizzas au micro-ondes. Ça s’appelait « Mange mon
geek », pour apprendre aux geeks à manger.
82
À PORTÉE DE MAIN SON HISTOIRE de l’amidon qu’il contient), fabriquant tout nous-
La cuisine du quotidien est de l’incorporer à un récipient mêmes : de la vaisselle en
“Croquer ces
sis avec justesse. Et puis, au milieu quasi sphéroïdale, légèrement trilo-
des caisses de vins en bois qui bée, cette noisette est douce et
s’étalent comme elles peuvent, il y a dévoile toute sa noblesse. Il existe
noisettes du Piémont
ces nocciole tostate, ces noisettes un adage qui dit : « Année de noi-
décortiquées et grillées d’une settes, année de disette ». Cela
variété unique, la tonda gentile trilo- dépend, car, pour celui qui la pro-
pures, un moment de
bata, autrement dite tonda gentile duit, c’est une perle précieuse.
delle Langhe. Les propriétaires de ce D’ailleurs, vu son prix, la réalité rat-
lieu agencé au gré de leurs décou- trape vite notre gourmandise.
gourmandise raffiné.”
vertes, Mihran Karabetyan et son
ENOTECA MIDI, 77, RUE DU CHERCHE-MIDI,
épouse, s’approvisionnent à PARIS 6 e. TÉL. : 01-45-08-45-46. 10 € LE
l’Azienda agricola Filippo Gallino, PAQUET DE 200 G DE NOISETTES TOASTÉES.
84
À MOIN S DE FRÉQUENTER LES feuilles. Ailleurs en France, sa culture
SOUS-BOIS ou de vivre dans le sud de la dépend principalement de la confiserie et
France, on a plus de chance de manger des de la parfumerie, qui tiennent la Viola
violettes que d’en dénicher pour remplir odorata en grande estime, que ce soit
un (petit) vase. Plante vivace qui pousse pour aromatiser miels, vinaigres et vio-
en touffes serrées dans les forêts et les prai- lettes de Toulouse ou pour parfumer les
EMPREINTE VÉGÉTALE ries et se dissémine rapidement dans perles de poudre Météorites de Guerlain.
les jardins, la violette a déserté les Si chefs et boulangers l’ont adoptée pour
clochette de
de ce parfum délicat que l’on ne perçoit comme en témoigne l’illustratrice et
qu’en se penchant tout près de sa fleur, tatoueuse Iana Brezeky, alias Mijoh.
pendue comme une clochette à sa tige Offerte à la Saint-Valentin jusqu’en 1960, la
recourbée. En région PACA – notamment violette était, au XIXe siècle, « un cadeau
PÉRIODE DE FLORAISON
De février à avril.
VARIÉTÉS
On dénombre 500 espèces, dont la
violette de Parme, de Reichenbach, du
Labrador… incluant les pensées, qui
appartiennent au genre végétal Viola.
ZONES DE PRÉDILECTION
Surnommée la « Cité des violettes »,
Toulouse en a été le pôle de production
au XXe siècle. Autre épicentre,
Tourrettes-sur-Loup, près de Vence, où
est encore cultivée la Victoria.
ENTRETIEN
Arrosages réguliers en période chaude.
AIME
Assistante Emmanuelle Oddo
INGA SEMPÉ.
LA DESIGNER EST CETTE SEMAINE L’INVITÉE DU PODCAST “LE GOÛT DE M”.
« Entre 8 et 12 ans, j’ai fait « Chez ma mère, où tout « J’aime la cuisine de
beaucoup de piano. Je était ancien, il y avait brasseries. J’adore les
devais devenir pianiste deux lampes modernes assiettes qui sont bien
jusqu’à ce que je décide que j’adorais et qui me remplies, où il n’y a pas
un jour d’arrêter. J’ai fascinaient. J’ai découvert de chichis, où on n’a pas
eu une grosse période très longtemps après, à besoin d’explications. Il
Mozart. Je connaissais 30 ans, que c’étaient des n’y a pas de dressage, de
sa vie par cœur. Celles de Vico Magistretti. C’est petites herbes en équi-
Chopin, Beethoven aussi. aujourd’hui un de mes libre. Toutes ces choses
Je dessinais beaucoup designers préférés. Il y a qui m’ennuient profondé-
de pianos. Je faisais même chez lui une simplicité ment. J’aime les endives
de petites compositions. » différente. » au jambon, la soupe… »
Marion Leflour
86
3 FÉVRIER 2023 - 7 JANVIER 2024
Dans le maelström de la RÉVOLUTION.
LE QUATRIÈM E VOLUM E DE LA COLLECTION “HISTOIRE DE FRANCE EN
BANDE DESSINÉE” REVIENT SUR LE BASCULEM ENT DE LA MONARCHIE À LA
RÉPUBLIQUE ET FAIT REVIVRE, AU M ILIEU DU TUM ULTE RÉVOLUTIONNAIRE,
QUELQUES SÉQUENCES MOINS CONNUES.
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JEUX
Mots croisés
Philippe DUPUIS
GRILLE N O 596 Sudoku
Yan GEORGET
N O 596 - DIFFICILE
SOLUTION DE LA GRILLE
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 PRÉCÉDENTE
II
III
Compléter toute
IV la grille avec des
chiffres allant de 1
V à 9. Chacun ne doit
être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
VI par colonne et par
carré de neuf cases.
VII
VIII
IX
Bridge N O 596
FÉDÉRATION FRANÇAISE DE BRIDGE
XI
XII
XIII
XIV
XV
89
LE GOÛT
AKRIS AI
Anouk Messenger est la dernière
nouveauté de la collection Anouk avec
sa forme allongée qui peut se porter en
sac bandoulière moderne et pratique.
VICHY
Avec sa fermeture iconique retournée
en trapèze, Anouk Messenger se
rattache à la famille Akris Ai. Ce style
TASAKI
La nouvelle collection fine links de la Maison TASAKI met en
avant une combinaison unique entre la perle Akoya placée au centre
de la création, les diamants et la ligne souple de l’or jaune. Ce
mariage unique entre perle et diamant, signature de la Maison
japonaise, rend la joaillerie Tasaki élégante et contemporaine. Les
pièces de la collection sont idéales pour un porter quotidien et un
look épuré mais poignant.
www.tasaki.fr
POMANDÈRE
C’est dans le grand magasin historique du boulevard Haussmann que Carlo Zanu-
so, fondateur de la marque italienne POMANDÈRE, a inauguré son premier shop-
in-shop. Niché au deuxième étage des Galeries Lafayette, l’espace de 32m2 a entiè-
rement été pensé et réalisé par le célèbre studio d’architecture et de design milanais,
Dimorestudio. Fondée en 2010 par Carlo Zanuso, Pomandère est une marque ita-
lienne au savoir-faire traditionnel et familial. Retrouvez la nouvelle collection Spring
Summer sur le site
www.pomandere.com