Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
LA GUERRE
LOIN DU FRONT
À PARIS,
DANS L’OURAL,
APRÈS DEUX ANS
DE CONFLIT
EN UKRAINE
L E N O U V E AU RO U G E
7 0 T E I N T E S . F I N I S C O U T U R E S A T I N & V E L V E T.
The Pine on the Corner,
1990.
4
Au programme DEUX AN S ! Ressenti : quatre, cinq, dix ans… Dans un tout autre registre, même s’il y est aussi question
La guerre que la Russie a déclarée à l’Ukraine a débuté il y de Russie et de racines, la journaliste Véronique Mortaigne,
a quasiment deux ans. Mais elle est tellement douloureuse longtemps spécialiste de la chanson au Monde, relate l’his-
pour la population ukrainienne qu’elle semble durer depuis toire d’un des rares tableaux de Serge Gainsbourg encore
bien plus longtemps. Qui peut se hasarder à en prédire existants. Né Lucien Ginsburg de parents juifs russes qui
l’issue ? La contre-offensive lancée par Kiev avant l’été n’a avaient fui l’antisémitisme, le jeune homme veut d’abord
pas donné les résultats escomptés. Elle n’a d’ailleurs pas être peintre. Il fréquente une école d’art mais ne se trouve
donné de résultats du tout. La situation s’enlise. Les bom- aucun talent. Il démarre alors une carrière de pianiste de
bardements et les attaques de drones viennent régulière- bar et se rapproche de Juliette Gréco dans le Paris bohème
ment terroriser les populations des grandes villes d’Ukraine. de l’après-guerre. Il finit par détruire ses toiles… Sauf
Pendant que, sur le front, l’épuisement se fait sentir. Même quelques-unes, dont ce petit format, représentant deux
si les troupes tiennent. Encore. Miraculeusement. enfants accroupis, évanescents. Sa sœur jumelle et lui-
Et de l’autre côté, en Russie, que se passe-t-il ? Pas grand- même. Il le laisse à Gréco qui le trimballe de maison en
chose de neuf non plus… C’est ce que raconte, dans ce maison, au il de toutes ses vies, le perdant et le retrouvant
numéro de M Le magazine du Monde, le journaliste Benoît sans cesse, jusqu’à sa mort. Ses héritiers l’ont vendu. Et il
Vitkine, correspondant du Monde à Moscou. Avec la photo- se retrouve aujourd’hui en dépôt au Musée Gainsbourg
graphe Maria Turchenkova, ils se sont rendus dans un minus- qui a ouvert cet automne rue de Verneuil, dans le 7e arron-
cule village de l’Oural appelé Paris, où trône une tour Eiffel, dissement de Paris.
une référence française destinée à évoquer une histoire qui L’histoire de ce tableau, aussi rocambolesque que mélan-
remonte aux guerres napoléoniennes. colique, aurait-elle pu inspirer une chanson ? C’est dificile
Le conlit actuel, comme les précédents, est pourtant pré- à dire. Bien sûr, il y a le rapport à Juliette Gréco, une
sent partout dans cette bourgade d’à peine deux mille habi- femme qui a occupé une place à part, car Gainsbourg n’en
tants. La petite école a son propre musée, où sont honorés fut pas le Pygmalion. C’est elle, au contraire, qui l’a aidé à
les héros. L’Ukraine est bien lointaine, mais de nombreux s’afirmer comme auteur-compositeur-interprète. Mais il
Parisiens sont partis se battre. On compte déjà quatre morts y a aussi la peinture, un épisode qu’il a voulu effacer, lui
parmi eux. Dans les rues gelées, à l’intérieur des modestes qui n’a cessé de mettre en scène sa vie et de peauiner sa
habitations, il ne se trouve personne pour déplorer la mobi- légende. La visite de la rue de Verneuil évoque d’ailleurs
lisation générale décrétée par le président Poutine. Et per- tout de ce mélange singulier de fragilité et d’impudeur
sonne non plus pour remettre en cause une guerre que l’on que fut son existence. Cette œuvre est en tout cas à classer
justiie en répétant les mêmes paroles au patriotisme méca- dans le registre poétique de Serge plutôt que dans les
nique. Comme une leçon bien apprise. Une évidence fata- éclats provocateurs de Gainsbarre.
liste. Et la vie dans la minuscule Paris raconte sans doute
beaucoup de l’immense, et si calme, Russie. Rien n’y bouge.
Et la guerre continue. Marie-Pierre LANNELONGUE
6
Le sommaire
LA SEMAINE
Alexa Brunet pour M Le magazine du Monde. Maria Turchenkova pour M Le magazine du Monde.
18 Entre-soi 29 À titre personnel
Les apprenties chimistes Olivier Martin, directeur
de salle de bains. d’un établissement de
formation agricole.
19 À Ubisoft, le procès
d’une entreprise toxique. 30 Anatomie d’un ratage
de la France aux Oscars.
22 Dans le sud de la Turquie,
des promesses enfouies sous 32 C’est peut-être
les décombres. un détail pour vous…
L’équipe de France
26 Requiem expressionniste de handball championne
Alessandra Sanguinetti/Magnum Photos
8
LE MAGAZINE
35 À Paris, dans l’Oural, la 52 Dans l’édition, les fact-
guerre en bruit de fond. checkers ont peu voix au
Dans ce village russe loin de chapitre. Venues de la presse,
Moscou, le front ukrainien se les pratiques de vériication
rappelle aux habitants dont de l’information n’ont rien
seize ont été mobilisés et de systématique dans le
quatre sont morts. Mais ces champ éditorial. Certaines
premiers drames intimes ne maisons et leurs auteurs
soulèvent pas pour autant de font toutefois le pari de La couverture
contestation contre Poutine. l’exactitude et de la rigueur a été réalisée
dans les enquêtes et récits par Maria
Turchenkova pour
46 Gainsbourg, le tableau et ses qu’ils publient. M Le magazine
ombres. Exposée aujourd’hui du Monde.
dans le musée dédié au 56 PORTFOLIO
chanteur rue de Verneuil à Graines de pampa. Sous le
Paris, la toile “Les Enfants regard de la photographe
au square” raconte tout Alessandra Sanguinetti,
un pan méconnu de l’histoire Guille et Belinda, deux
de Serge Gainsbourg. jeunes Argentines, rêveuses
et imaginatives, passent de
l’enfance à l’âge adulte.
LE GOÛT
Lee Whittaker pour M Le magazine du Monde. Lucas Lehmann pour M le Magazine du Monde
65 Tapis dans la lumière. 74 Exercice de style 86 Bouche à oreille
Dessous dessus. La véritable pizza
69 Fétiche napolitaine de
Énergie verte. 76 Lily McMenamy, Guillaume Grasso.
la vie en rôles.
70 Librement inspiré 87 Écologiquement vôtre
Les habits du maharaja. 78 L’esprit du lieu L’ouvre-tout italien.
De la suite dans les idées.
71 Variations 88 L’invité du podcast
À travers bois. 82 Une chambre en ville Clara Ysé
Dans le cœur battant
72 Tête chercheuse de Montpellier. 89 Jeux
Guslagie Malanda,
actrice funambule. 84 Traitement de saveur 90 Une histoire de…
Champion des champignons. Table en Formica.
73 Belles feuilles
Coups de maîtres. 85 À lire et à manger
La perfection faite cafetière.
10
SYSTÈME D’ASSISES DYLAN | DESIGN RODOLFO DORDONI
CANAPÉ RAPHAEL | DESIGN GAMFRATESI
DIRECTEUR DE LA CRÉATION_
Jean-Baptiste TALBOURDET-NAPOLEONE
Rédaction en chef : Laurent BORREDON, Emmanuel DAVIDENKOFF (événements), Michel GUERRIN, Alain SALLES (Débats et Idées) / Documentation : Muriel GODEAU (cheffe de service) et Vincent NOUVET /
Infographie : Le Monde / Directeur de la diffusion et de la production : Xavier LOTH / Directrice de fabrication : Nathalie COMMUNEAU, Pascal DELAUTRE (chef de fabrication), Alex MONNET (fabricant) / Directrice
des ventes : Sabine GUDE / Responsable commerciale international : Saveria COLOSIMO MORIN / Chef de produits : Romain GALDEANO / Responsable de la logistique : Philippe BASMAISON / Modiication de ser-
vice, réassorts pour marchands de journaux : 0 805 05 01 47 / Responsable informatique éditoriale : Emmanuel GRIVEAU / Adjoint : Marc MÉLAINE / Informatique éditoriale : Touic BOURDACHE, Christian CLERC, Igor
FLAMAIN, Aurélie PELLOUX, Ky RATTANAXAI, Pascal RIGUEL, Emanuel SANTOS, Thierry SELLEM / Directrice des abonnements : Lou GRASSER / Abonnements : abojournalpapier@lemonde.fr ; de France 03 28 25 71 71 ;
de l’étranger +33 3 28 25 71 71 / PROMOTION ET COMMUNICATION : Marianne BREDARD, Marlène GODET et Élisabeth TRETIACK / Directeur des produits dérivés : Hervé LAVERGNE / M PUBLICITÉ_Directrice
générale : Élisabeth CIALDELLA, Tél. : 01-57-28-39-68 (elisabeth.cialdella@mpublicite.fr) / Directrice déléguée, directrice de marque M Le magazine du Monde : Valérie LAFONT, Tél. : 01-57-28-39-21 (valerie.
lafont@mpublicite.fr) / Directeur délégué au digital : Martin CLAMART (martin.clamart@mpublicite.fr) / Directeur délégué, pôle agences : François de REN, Tél. : 01-57-28-30-21 (francois.deren@mpublicite.fr) /
Directeur délégué, pôle opérations spéciales : Steeve DABLIN, Tél. : 01-57-28-38-84 (steeve.dablin@mpublicite.fr) / 67-69 avenue Pierre Mendès-France, 75013 Paris / Tél. : 01-57-28-20-00/25-61 / Courriel des lec-
teurs : mediateur@lemonde.fr / Courriel des abonnements : abojournalpapier@lemonde.fr / M Le magazine du Monde est édité par la Société éditrice du Monde (SA). Imprimé en France : Maury imprimeur SA,
45330 Malesherbes.
Origine du papier : Norvège. Taux de ibres recyclées : 0%. Ce magazine est imprimé chez Maury certiié PEFC. Eutrophisation : PTot = 0.010kg/tonne de papier.
Dépôt légal à parution. ISSN 0395-2037 Commission paritaire 0712C81975. Agrément CPPAP : 2002 C 81975. Distribution France Messagerie. Routage France routage.
12
1 – BEN OÎT VITKIN E est le correspondant du 3 – VÉRONIQUE MORTAIGNE, longtemps critique 4 – CLÉMENTINE GOLDSZAL est journaliste indé-
Monde en Russie. Il s’est rendu dans l’Oural pour musicale au Monde, est l’autrice d’une quinzaine pendante. Cette semaine, elle a enquêté sur le
observer les changements provoqués par la guerre de livres, dont Double je (Éditions des Équateurs, processus de vériication des faits dans l’édition.
en Ukraine dans un village de mille sept cents 2018), consacré au couple Gainsbourg-Birkin. « Cela fait longtemps que je me demande com-
habitants, Paris. « Même rapide, même encadrée, Pour M, elle s’est intéressée à un autre pan de la ment sont fact-checkés les livres de non-iction :
cette plongée permet de sentir à quel point les habi- vie du chanteur en suivant le cheminement d’une un budget est-il alloué à la vériication des faits
tants des territoires les plus reculés ont adopté le de ses toiles : Les Enfants au square. « Ce petit et des sources ? Qui porte la responsabilité des
message principal de la propagande russe, selon tableau révèle les secrets détours de Serge et de sa erreurs ? Pourquoi n’existe-t-il pas de charte ou
lequel le pays ne fait que se défendre. La vie quoti- sœur jumelle, Liliane, mais aussi les passions de de convention qui permettrait d’harmoniser les
dienne, il faut dire, n’est pas trop affectée par Juliette Gréco, qui en était la propriétaire. Vendue pratiques ? En un mot, peut-on faire coniance à
le conlit. » P. 35 aux enchères en 2021, la toile, rare rescapée de la ce que l’on lit dans les livres ? En réalité, il existe
destruction de son œuvre picturale par Gainsbourg, autant de manières de faire que d’éditeurs et
2 – MARIA TURCHEN KOVA est une photographe a été achetée par un antiquaire célèbre, qui l’a d’auteurs, et très peu de garde-fous à l’impression
indépendante franco-russe. Elle s’intéresse aux inalement prêtée à la Maison Gainsbourg pour d’informations non vérifiées, mensongères ou
questions de mémoire et de violence, détermi- son musée, ouvert en septembre. » P. 46 simplement incorrectes. Mais des solutions réa-
nantes pour les relations entre l’individu et l’État. listes existent et certaines maisons inventives
Elle habite et travaille à Moscou. Pour ce numéro, parviennent à maintenir un niveau d’exigence
elle s’est rendue à Paris, dans l’Oural, à la ren- élevé. » P. 52
contre de ces villageois qui vivent à distance la
guerre menée en Ukraine. P. 35 5 – THÉOPHILE SUTTER est un auteur-illustrateur
parisien. Il publie des bandes dessinées et il
écrit et interprète des chansons déchirantes que
l’époque, cette ingrate, tarde à faire passer à la
postérité. Pour M, il s’est penché sur le monde
des fact-checkers littéraires. P. 52
1 2 3 4 5
14
LILUM SOFA SYSTEM
COORDONNÉE ET CONÇUS PAR ANTONIO CITTERIO
MILAN, LONDON, PARIS, MUNICH, NEW YORK, WASHINGTON, DALLAS, MIAMI, BOSTON
Le M de la semaine.
« CE QUE LE GIVRE FAIT SUR LES CLÔTURES DES CHAMPS EN LOZÈRE. » Juliette ROUX
Juliette Roux
16
ENTRE-SOI LES APPRENTIES CHIMISTES DE SALLE DE BAINS.
AVANT MÊME L’APPARITION DES PREMIERS BOUTONS, DES PRÉADOS ADOPTENT
UNE “SKINCARE ROUTINE” SOPHISTIQUÉE ET SE JETTENT SUR LES POTS DE CRÈMES
ANTIRIDES DONT SE MOQUENT LEURS MÈRES.
A U X É TAT S - U N I S , on les pourrait faire une autoroute de leur c’est abusé. » « J’en ai besoin pour
appelle les « Sephora tweens » ou chambre jusqu’à Sephora. Elles aiment cacher mes imperfections. » « Ma peau a
les « Sephora kids », des gamines qui tripoter des petits pots hors de prix tellement glow up. » « Faut que ça
laisseraient des traces de doigts sur dont les couleurs semblent avoir été mousse pour que ça aille dans les
les testeurs de fond de teint et arra- choisies par des coloristes de bubble pores. » « Le but de la skincare, c’est
cheraient des mains des vieilles peaux teas, mais vont ensuite faire des rales aussi de mettre des trucs sans savoir ce
les derniers pots de crème miracu- chez Action parce que c’est moins que c’est. » « Oh my gosh. » « C’est
leuse. On n’en est pas là chez nous, cher. Elles ne vont plus chez Claire’s comme tout, au début c’est waouh et
mais on voit déjà des cohortes de pré- parce que ce n’est plus de leur âge. après on s’en lasse. »
ados qui ne se contentent plus de lip Elles ne font pas ça pour les garçons,
gloss à la fraise mais tiennent à mais parlent de leur skincare avec un LEURS GRANDES VÉRITÉS
s’acheter des sérums, des exfoliants et mélange de rhétorique de développe- En CM1, c’est trop jeune pour avoir une
des crèmes contour des yeux pour ment personnel et de termes de skincare routine. Pas plus de deux
leur skincare routine. dermatologie. gommages par semaine.
À la surprise de leurs parents qui, au Elles restent longtemps dans la salle de
même âge, se barbouillaient au bains à cause des temps de pose. Si elles LEURS QUESTIONS EXISTENTIELLES
Clearasil, elles sont passées en passent dans la cuisine, c’est le temps Pourquoi on n’a pas de blush à la mai-
quelques mois de la fabrication de de faire bouillir de la sauge et du thym son ? Est-ce qu’il faut attendre 15 ans
pâte slime à base de colle Cléopâtre à pour une décoction à mettre dans un pour la crème antiride ?
la concoction de mixtures hydratantes, vaporisateur. La discipline militaire
parce qu’une peau bien hydratée c’est avec laquelle elles suivent leur skincare LEUR GRAAL
fondamental. Le secteur cosmétique routine contredit toute la réputation Ouvrir des pots pour les renifler.
n’a pas hésité à adapter son marketing bordélique de l’adolescence. Passer un quart d’heure à se maquiller,
à leur goût pour la patouille : la marque Elles se déplacent avec une énorme puis tout enlever et en remettre un
Drunk Elephant a ajouté des « bars à trousse, des fois qu’il faille se faire un tout petit peu. Déclarer vouloir aller
smoothies » sur ses présentoirs (« adieu masque exfoliant dans le métro. Elles en Corée juste pour la skincare. Les
les superpositions, maintenant on laissent des lotions dans les tiroirs de sérums avec goutte-à-goutte. Rajouter
mélange »). D’autres multiplient les leur bureau et des rouleaux d’adhésif une cuillère d’huile d’olive et dire
miniatures à essayer et à collectionner dans la salle de bains. Elles gardent qu’on fait ses produits soi-même.
ou parfument masques et gloss à tout aussi les boîtes vides de certaines
ce qui se mange. crèmes. Elles n’ont pas de cernes, mais LES FAUTES DE GOÛT
n’envisagent pas de sortir sans anti- Les mères à côté de la plaque qui leur
À QUOI ON LES RECONNAÎT cernes, contrairement à leurs mères disent qu’elles n’ont besoin que de
Les potions arrivent à leur domicile qui feraient bien d’en mettre. Elles ne crème solaire. Les mères qui répètent
par des canaux mystérieux, mélange font plus que les câlins du bout des « tu vas t’abîmer la peau ». Les mères
d’anniversaires et de « cadeaux ». bras et pour dire bonsoir, donnent des qui voudraient qu’elles utilisent des
Grâce à quoi elles ont plus de crèmes bisous qui collent un peu à cause du déodorants naturels. En résumé, les
que leur mère et leurs grands-mères baume contour des lèvres. mères. Les pères qui demandent pour-
réunies, y compris des lotions dont quoi autant se maquiller avant une
elles ne se souviennent plus à quoi COMMENT ELLES PARLENT balade en forêt en famille. Les grandes
elles servent. Elles ont une morning « Tu commences par les produits à pail- sœurs qui se foutent d’elles parce
routine, mais elles ne sont pas très lettes de chez Claire’s à 10-11 ans et tu qu’elles n’en sont plus là depuis au
morning. Avec les cotons à démaquiller passes aux produits sérieux vers moins trois mois. Les petites sœurs qui
qu’elles utilisent chaque semaine, on 13-14 ans. » « Soixante-dix euros le pot, veulent les imiter.
LA SEMAINE
19
LA SEMAINE
20
DÉFIEZ LE FUTUR
DE VOTRE PEAU
myLEDmask
APRÈS 1 MOIS
D’UTILISATION,
LA PEAU PARAîT
3 ANS PLUS JEUNE
LA CRÈME PLUS FERME
PHOTOGRAPHIE RETOUCHÉE
PLUS ÉCLATANTE***
RÉGÉNÉRANTE
RÉDUIT TOUS
LES SIGNES
DE L’ÂGE
EN 4 SEMAINES**
À QUELQUES KILOMÈTRES DU CENTRE- oficiels – considérés comme sous-estimés. Ce, les organisations professionnelles qui alertent
VILLE D’ANTAKYA, la plus grosse agglomération alors que la région se situe à près de 200 kilo- sur les grandes quantités d’amiante présentes.
de la région du Hatay, tout au sud de la Turquie, mètres de l’épicentre. Plus de six mille bâti- Embauchés à la hâte en bord de route,
un cimetière a été improvisé en bord de route. ments s’y sont effondrés, 71 % du bâti y a subi les ouvriers journaliers qui acceptent
Se succèdent en rangées des centaines de des dommages. Özlem Parlak l’admet, il lui est d’effectuer ce travail ingrat sont bien souvent
monticules de terre identiques. Les rares désormais impossible de retourner dans cer- des réfugiés syriens.
pierres tombales afichent invariablement pour tains arrondissements de la ville : « À Defne, Au lendemain du désastre, la colère populaire
date de décès le 6 février 2023. Ce jour-là un dans les quartiers de Gazi, Armutlu, Elektrik, par s’était déchaînée contre les promoteurs immo-
séisme de magnitude 7,8 endeuillait le pays. exemple. On ne peut plus parler de quartier, biliers. À Antakya, la résidence de luxe
Certains emplacements n’ont pour identiiant d’ailleurs, c’est une plaine complètement vide. » Rönesans s’était tout bonnement couchée sur
qu’un numéro de série peint sur une vulgaire Antakya, ou Antioche, en français, ville millé- le lanc, faisant près de mille victimes, d’après
planche de bois. « La médecine légale a fait ce naire, creuset multiculturel et terre d’accueil des les estimations. L’arrestation du constructeur
qu’elle a pu, mais il y avait tant de corps que tous trois religions du Livre. Le centre-ville histo- à l’aéroport alors qu’il fuyait à l’étranger avait
n’ont pas pu être identiiés », explique Özlem rique est aujourd’hui méconnaissable. été emblématique de cette chasse aux sor-
Parlak. Cette étudiante en communication de Beaucoup de bâtiments qui constituaient le cières. Sur les un million six cent mille habi-
23 ans est originaire de la ville de Malatya, à patrimoine architectural de la région ont vu tants de la région du Hatay, certains ont migré
quelques centaines de kilomètres de là. Après leurs murs se issurer ou leur toit s’effondrer. à l’étranger, d’autres se sont installés ailleurs
la catastrophe, elle aurait pu choisir de rejoindre Repères visuels incontournables en Turquie, les dans le pays, mais des centaines de milliers de
sa famille, mais, depuis un an, elle a fait le choix silhouettes des minarets ont désormais disparu personnes n’ont eu d’autre choix que de res-
de rester à Antakya. Militante du Parti ouvrier dans la région. De rares immeubles vides ter. Deux cent quinze mille personnes sont
de la Turquie (Türkiye İşçi Partisi, TIP), une for- tiennent debout au milieu de vastes terrains logées dans des cités-conteneurs, au point
mation d’extrême gauche, elle travaille sans vagues. L’entêtant vrombissement des que les blocs rectangulaires de couleur grise
relâche, avec son organisation politique, à la machines de chantier ne cesse qu’à la tombée font partie intégrante du paysage.
coordination de l’assistance à la population. du jour. Douze mois de travaux de déblaiement En juillet, le président Recep Tayyip Erdoğan
La panique, l’odeur des cadavres… Les souve- ont à peine sufi à dégager les milliers de avait promis trois cent dix-neuf mille logements
nirs qu’elle garde des heures qui ont suivi les mètres cubes de gravats, de sable et de métal. dans l’année pour les onze régions touchées.
secousses sont encore vifs. Sur les cinquante Faute de réparations envisageables, c’est main- Aujourd’hui, la direction de la gestion des
mille victimes des séismes recensées dans le tenant au tour des constructions inhabitables catastrophes et des situations d’urgence parle
pays en 2023, près de la moitié d’entre elles d’être détruites. Les quantités de poussière de sept mille logements dont les clés seront
aurait péri dans le Hatay, d’après les chiffres soulevées saturent l’atmosphère et inquiètent remises symboliquement le 6 février à des
familles tirées au sort. « J’ai eu de la chance, car
DES PROMESSES ENFOUIES odeur de café lotte dans cet espace d’à peine
10 mètres carrés. Des couettes, des vêtements
PLUS
cruciaux : où sont stockées les
données ? Sont-elles sécurisées ? Et
qui est aux commandes ? Le moment est venu
d’élever nos attentes et nos exigences envers l’IA.
Ce qui nous ramène à la première des valeurs de
Salesforce : la confiance. Parce que les facultés
des algorithmes couplées aux émotions humaines
sont sans conteste un facteur de progrès,
À L’IA.
pour nous permettre d’aller
plus loin en demandant plus
Le 7 octobre, la quadragénaire était à son domicile de Tel-Aviv d’Israël – tous ces gens des kibboutzim. L’armée n’a fait que pro-
avec des amies russes. L’une d’elles lui dit avoir « lu dans les téger les colons hooligans en Judée-Samarie [nom biblique de la
médias que des terroristes allaient de maison en maison et Cisjordanie] », accusait-elle, avant de juger que « toutes ces tue-
Oct. 7. 2023, tuaient des gens ». « J’ai répondu : “Ce sont vos fausses nou- ries, tous ces bombardements dans les deux sens ne servent à
de Zoya velles russes ! Ce n’est pas possible !” Mais nous avons tous dû rien ». Quand, au lendemain des attaques, elle a pris ses crayons
Cherkassky,
œuvre dans croire à l’incroyable. » Le lendemain, elle s’envole avec sa ille de pour s’atteler à la tâche, dans cet atelier de Berlin où elle avait
laquelle l’artiste 8 ans et sa nièce Yasmin pour Berlin. « Yasmin a fui l’Ukraine il y trouvé refuge, Zoya Cherkassky n’a pas pensé à un message en
a glissé une a deux ans. Nous avions un sentiment de déjà-vu. » Elle-même, particulier. « Je voulais seulement mémoriser les horribles événe-
référence
au Guernica née en 1976 à Kiev, a émigré en Israël en 1991. Si elle est ren- ments du 7 octobre, pleurer les victimes, les montrer à travers les
de Picasso. trée depuis chez elle, à Tel-Aviv, c’est dans la capitale allemande yeux des Israéliens. C’était une sorte de requiem pour moi. »
LA SEMAINE
26 JANVIER 2024, 2 MARS 2023, UN SCÉNARIO 3 OCTOBRE 2016, KIM 17 AOÛT 2014, LE CONVOI 5 JUIN 2012, AXL ROSE ET
LA DIVA DÉVALISÉE POUR NETFLIX KARDASHIAN LIGOTÉE DU PRINCE SAOUDIEN LES COLLIERS DE LA COLÈRE
Un coûteux moment de dis- Pour suivre la fashion week, Ce devait être à Paris une Avec son cortège de limou- La colère du chanteur des
traction. La chanteuse de Blake Abbie, Lynn Ban fashion week comme les sines, le prince Abdul Aziz Guns N’Roses fut telle que la
pop émiratie Ahlam, star des (photo) et Jett Kain avaient autres pour Kim Kardashian, Ben Fahd, fils aîné du roi police dut venir le calmer.
réseaux sociaux au Moyen- loué un appartement non avec pour seul désagrément Fahd d’Arabie saoudite, ne Ce mardi de juin 2012, alors
Orient, a déposé plainte loin des Champs-Élysées. les lashs trop insistants des voyage pas en toute discré- que le groupe de rock amé-
auprès de la police pari- Ces trois acteurs de Bling paparazzis. Mais, dans la tion. Sur la route entre l’Hô- ricain vient de jouer pour
sienne en cette fin janvier Empire: New York, une série nuit du 2 au 3 octobre, de tel George-V et l’aéroport du une centaine de privilégiés,
pour le vol de deux valises de télé-réalité sur Netlix qui faux policiers se pointent à Bourget, qu’il rejoint en après un grand concert au
Hussein Faleh/AFP. Efren Landaos/Sipa. Étienne Laurent/EPA/Ma xPPP. Uncredited/AP/SIPA. Owen Sweeney/Rex Features/Sipa
contenant notamment des suit des personnalités très la résidence hôtelière de direction d’Ibiza en cette mi- palais omnisports de Paris-
vê t e m e nt s , e s t i m é s à fortunées, toutes d’origine luxe où la star américaine août, un monospace trans- Bercy, Axl Rose découvre
1 0 0 0 0 0 e u ro s . S e l o n asiatique, ont vu leur appar- fait étape, dans le 8e arron- portant un de ses chauffeurs, que sa loge a été visitée.
Le Parisien, la diva, qui tement cambrioler en leur dissement. Arme sur la un oficier de sécurité et un Manquent trois colliers d’or
séjournait dans le 16e arron- absence. Butin : une montre tempe, Kim Kardashian est intendant est arrêté par des et d’argent, valeur estimée à
dissement, aurait laissé ses Rolex, des diamants, l’équi- ligotée dans sa salle de hommes armés et cagoulés. 160 000 euros. Mais le larcin
bagages quelques instants valent de 5 000 euros en bains. Environ 6 millions Des bijoux et une valise fut bref et le butin vite
sur le palier de la résidence liquide et une tablette élec- d’euros de bijoux sont volés. contenant 250 000 euros en retrouvé : dès le lendemain,
où elle logeait, alors qu’elle tronique. Qui permettra aux « Cette expérience a ouvert petites coupures sont déro- une mannequin se présente
était sur le départ. En 2016, policiers, grâce à sa géoloca- une porte sur le fait que le bés. Les braqueurs repartent au commissariat du
elle avait déjà dénoncé le vol lisation quelques heures monde n’était plus un endroit dans deux BMW volées qu’ils 1er arrondissement pour res-
d’une Rolex de 100 000 euros plus tard dans le 18e arron- sûr », coniera la vedette de incendieront. En mai 2021, tituer les bijoux. Sans avoir,
et d’un rubis, dérobés dans dissement, d’interpeller télé-réalité. Après une six hommes sont condam- relate alors la presse, donné
un de ses sacs, sur la terrasse quatre hommes suspectés longue enquête, douze nés à des peines de trois d’explications sur les raisons
d’une brasserie parisienne. de recel et de récupérer la hommes devraient être à sept ans de prison pour de son geste.
majorité des objets volés. jugés au printemps 2025. ce braquage.
27
LA SEMAINE
28
À TITRE PERSONNEL OLIVIER MARTIN, DIRECTEUR D’UN
ÉTABLISSEMENT DE FORMATION AGRICOLE.
DANS LE CONTEXTE DE MOBILISATION DES AGRICULTEURS, LE PROVISEUR
DU LYCÉE AGRICOLE FRANÇOIS-RABELAIS, À SAINT-CHÉLY-D’APCHER,
EN LOZÈRE, OBSERVE QUE SES ÉLÈVES S’INTERROGENT SUR L’AVENIR
DE LEUR FILIÈRE, QU’ILS ONT L’ESPOIR DE FAIRE ÉVOLUER.
QUE S’EST-IL PASSÉ LE 21 SEPTEMBRE AU CENTRE aussitôt fait savoir aux responsables du CNC qui étaient là. »
NATIONAL DU CINÉMA (CNC) ? Ce qui n’aurait dû être qu’une for- Tout en précisant : « Je suis navré que le ilm de Tran Anh Hung,
malité – envoyer aux Oscars la Palme d’or Anatomie d’une qui est un cinéaste que je respecte et pour qui j’ai de l’amitié,
chute – a tourné au iasco. Le ilm choisi par le CNC pour ait été bousculé, dans une querelle qui n’était pas la sienne. »
représenter la France dans la catégorie du meilleur ilm étran- Les quatre autres membres qui ont choisi La Passion de Dodin
ger, La Passion de Dodin Bouffant, n’a inalement pas été Bouffant auraient été convaincus par le « côté frenchy » du
retenu par l’Académie américaine alors que celui de Justine ilm, une romance gastronomique en costumes dont le titre
Triet est en lice dans cinq catégories et a déjà ralé le Prix du anglais a failli être Pot-au-feu. Cette stratégie de la France
cinéma européen, deux Golden Globes et trois prix Lumière. éternelle, et sa trinité viande-vin-fromage, a été dictée par une
Après un premier tour, le 14 septembre, les sept membres de « vision désuète » du marché américain, a regretté le magazine
la commission, désignés par le CNC, les producteurs Charles Variety dans l’un de ses nombreux articles consacré au
Gillibert et Patrick Wachsberger (ce dernier était en visio), les « comité dysfonctionnel » du CNC, qui décrit le cinéma français
cinéastes Olivier Assayas et Mounia Meddour, les exporta- comme un « petit village où quelques agents et studios de
trices Sabine Chemaly et Tanja Meissner et le compositeur talents tirent toutes les icelles ». « Cette approche surannée
Alexandre Desplats se retrouvent, le 21 septembre, pour un aurait peut-être pu fonctionner il y a quinze ans, mais on est
second vote. Dominique Boutonnat (président du CNC) et aujourd’hui dans une industrie extrêmement compétitive, avec
Gilles Pélisson (président d’Unifrance, l’organisme chargé de des professionnels aguerris et un collège de votants renou-
la promotion du cinéma français à l’étranger) sont également velé », souligne Charles Gillibert. Depuis 2017, l’Académie des
présents mais comme simples « observateurs ». Oscars, accusée d’être trop blanche, trop masculine, a recruté
Cette matinée-là, Charles Gillibert, Patrick Wachsberger et des femmes, des personnalités issues des minorités et des
Olivier Assayas tombent des nues. Ils ont voté pour le ilm cinéastes de plus de cinquante pays différents.
de Justine Triet, mais c’est inalement La Passion de Dodin Ce n’est pas la première fois que la commission du CNC fait
Bouffant, de Tran Anh Hung, qui l’emporte d’une voix. Charles parler d’elle. « Pendant des années, ses choix n’avaient aucun
La commission Gillibert, producteur de Mustang qui a représenté la France sens », juge une connaisseuse du secteur. Ces dernières
du CNC a parié
sur le « côté aux Oscars en 2016, et in expert du marché américain tente années, des voix se sont élevées pour regretter que Jacques
frenchy » de La de comprendre le choix des autres. « Il n’y a pas eu de débat. Audiard, Audrey Diwan, Nicolas Philibert ou Céline Sciamma
Passion de Dodin En face, personne n’a cherché à me convaincre. » Olivier n’aient pas été sélectionnés pour cette catégorie de l’Oscar du
Bouffant pour
séduire les Assayas bataille lui aussi, pied à pied, en faveur d’Anatomie meilleur ilm étranger dans laquelle la France a pourtant long-
Américains. d’une chute : « Je l’ai personnellement très mal vécu. Et je l’ai temps brillé et totalise toujours le plus grand nombre de
récompenses avec treize prix (Mon Oncle, La Nuit américaine,
Orfeu Negro…). Mais la dernière victoire d’un ilm français
remonte à 1993, avec Indochine, de Régis Wargnier.
En 2019, le CNC a fait évoluer une première fois sa commis-
ANATOMIE D’UN RATAGE sion : un jury tournant de deux cinéastes, deux producteurs et
deux vendeurs internationaux a rejoint les membres de droit
DE LA FRANCE AUX OSCARS. de la commission (les patrons du Festival de Cannes, des
Césars et d’Unifrance). Après des années de domination de
Désormais en lice dans cinq catégories aux Oscars, ces institutions, ce sont désormais les seuls professionnels
qui votent. Un changement né d’une énième controverse :
le film de Justine Triet, Palme d’or à Cannes et en 2021, la sélection de Titane, lauréat de la Palme d’or mais
multiprimé, n’a pas été choisi par les instances jugé « dificile », plutôt que de L’Événément, d’Audrey Diwan,
un drame sur l’avortement récompensé par le Lion d’or à
du cinéma hexagonal pour représenter la France. Venise, l’année où les Américaines se battaient pour le droit
Comme de nombreux longs-métrages avant lui. à l’IVG. Certains ont vu dans ce choix l’inluence de Thierry
Frémaux, délégué général du Festival de Cannes et donc
Texte Zineb DRYEF et Mathieu MACHERET
membre de droit. Ce statut a été supprimé l’année suivante.
Le CNC envisage-t-il aujourd’hui de réformer une nouvelle fois
sa commission ? Un ancien membre, inluent, assure que oui.
Certains réclament une commission plus large. Comme il ne
sufit pas d’avoir un excellent ilm pour gagner, Charles
Gillibert plaide pour l’audition de « deux ou trois avis extérieurs
à cette commission » qui exprimeraient des arguments fondés,
« des critères qui permettent de juger les chances d’un ilm
d’aller au bout » : les festivals où a été retenu le ilm, son sujet,
le proil du distributeur, les entrées en salle, l’accueil de la Carole Bethuel/Curiosa Films/Gaumont/Aurimages
Jusqu’à 455 km
d’autonomie
* Remise applicable sur tous les modèles #3, toutes initions et options. Remise appliquée sur le prix catalogue TTC constaté sur le site Internet. Offre valable pour les particuliers et les professionnels, pour toute commande effectuée entre le 8 janvier 2024 et le 16 février 2024. La remise
apparaîtra une fois le véhicule ajouté à votre panier et sera répercutée sur le prix TTC inal en cas d’achat comptant.
smart #3: Autonomies électriques: 415 (BRABUS) / 455 (Premium) / 435 (Pro+) / 325 (Pro) (cycle mixte WLTP) / 551 (BRABUS) / 615 (Premium) / 597 (Pro+) / 445 (Pro) (cycle urbain WLTP). Consommations électriques: 17,6 kWh/100km (BRABUS) / 16,3 kWh/100km (Premium) / 16,8 kWh/100km (Pro+)
/ 17,2 kWh/100km (Pro) (cycle mixte WLTP). Emissions de CO2: (BRABUS, Premium, Pro+, Pro) 0 g/km (cycle mixte WLTP). La ligne Pulse est en cours d’homologation dans l’UE. La procédure devrait s’achever en début 2024. Dès que la procédure d’homologation aura pris in, smart publiera les
valeurs correspondantes via les plateformes média habituelles.
Vous obtiendrez plus de renseignements oficiels sur les consommations de carburant et les émissions de CO2 des nouveaux véhicules particuliers en consultant le guide pratique intitulé “Consommations conventionnelles de carburant et émissions de gaz carbonique” disponible
gratuitement dans tous les points de vente auprès de l’ADEME (Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) Editions, 2 square Lafayette, BP 406, 49004 Angers Cedex 01 ou sur le site internet : ademe.fr.
smart Automobiles France S.A.S, société par actions simpliiées au capital social de 1000 euros, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Versailles sous le numéro 894 960 384, dont le siège social est situé 7 avenue Niepce 78180 MONTIGNY-LE-BRETONNEUX.
C’EST PEUT-ÊTRE
UN DÉTAIL POUR VOUS... MAIS PAS POUR MARC BEAUGÉ.
1- CHAMP DE BATAILLE 2- BANDES ORIGINALES 3- FRÈRES ENNEMIS 4- BIEN EN MAIN 5- BLEU HORIZON
Une peinture de la La présence à l’image Puisque l’équipe du Au-dessus de la mêlée, le Justement, à propos de
Renaissance italienne ? de maillots Adidas ornés Danemark évolue, elle, Français Dika Mem tient revêtement de sol, notons
Pas loin. Dimanche des trois traditionnelles avec un maillot Puma, au bout de son bras le que celui-ci est une ierté
28 janvier, à Cologne, en bandes de la marque proitons-en pour rappeler ballon du match. Mais française… Depuis
Allemagne, l’équipe de allemande nous permet que les deux marques pourquoi celui-ci est-il par- plusieurs décennies, la
France a mené un combat de rappeler que ce logo concurrentes partagent couru d’une multitude société Gerlor,
épique pour décrocher le absolument iconique une même origine. En l’oc- de taches noirâtres ? Tout originellement Taralex et
titre de champion d’Eu- ne fut pas conçu par currence, la Gebrueder simplement parce que installée à Tarare, entre
rope, le quatrième de son la marque elle-même. Dassler Schuhfabrik, l’en- les joueurs de handball Roanne et Lyon, est leader
histoire. Également six fois En 1951, son fondateur, treprise de fabrication de appliquent sur leurs mains, sur le marché du
champions du monde et Adolf (dit « Adi ») Dassler, chaussures que les frères avant et pendant la ren- revêtement des salles des
trois fois champions olym- se contenta en effet de Dassler, Adolf et Rudolf, contre, une résine leur sports, des plus ordinaires
pique, les Bleus conir- racheter ces trois bandes fondèrent en 1923. Ils permettant de mieux saisir aux plus prestigieuses.
ment ainsi leur statut de à la marque inlandaise se brouillèrent après la et contrôler le ballon. Depuis 1976, Gerlor
sélection masculine de Karhu, qui en avait fait guerre, en 1948. Adolf Accessoirement, la résine équipe les mêmes salles
handball la plus titrée de le signe distinctif de ses fonda sa marque, qu’il cause d’importants dégâts utilisées lors des Jeux
tous les temps. Ce qui ne chaussures de sport. Le nomma Adidas, à partir sur le revêtement des olympiques. Ce qui ne
nous garantit évidemment prix du deal ? L’équivalent de son prénom et de son salles… À tel point que nous garantit évidemment
pas le couronnement lors de 1 800 dollars et de nom. Son frère, Rudolf, les équipementiers se sont pas, non plus, le
John MacDougall/AFP
des prochains Jeux olym- deux bouteilles de whisky. fonda, lui, Puma, après lancés depuis plusieurs couronnement cet été à
piques, à Paris, en août. Santé. avoir convenu que son années dans une course Paris. Mais bon, quand
Mais bon, quand même. idée de « Ruda », n’était effrénée pour inventer même.
pas très élégante. le ballon qui colle
aux mains sans résine.
32
LES LIVRES QUI NOUS FONT AIMER LA VIE
LORSQUE MARK ZUCKERBERG fait son La photo illustrant le portrait surprend : le fon- Lorsque le patron de Facebook retourne dans
apparition dans Le Monde, le 25 juillet 2007, dateur de Facebook est assis par terre dans un les colonnes du Monde, c’est en débordant
le réseau social Facebook, dont il a été le prin- open space, au milieu de ses employés, en largement encore de l’univers de la tech.
cipal cofondateur, existe depuis plus de trois sweat à capuche (hoodie), sans chaussettes, Le 26 mai 2012, M Le magazine du Monde
ans. Sa première version a été lancée, il y a juste une paire de tongs et un jeans trop grand. propose une enquête de Guillemette Faure
aujourd’hui vingt ans de cela, le L’image deviendra iconique mais, pour l’heure, consacrée aux sans-diplômes et iers de l’être,
4 février 2004. Autant dire que le quotidien du en 2008, elle frappe les esprits. Cécile et la journaliste de s’interroger : « Mark
soir se penche un peu tardivement sur le phé- Ducourtieux en prend la mesure : « À tout juste Zuckerberg aurait-il pu développer Facebook
nomène des réseaux sociaux. Mais qui, dans 23 ans, ce post-ado au visage poupin, à l’allure s’il était resté à la fac ? » Dans Le Monde daté
cette seconde moitié des années 2000, l’a vu toujours “cool” dans son uniforme jeans, tee- 28-29 mai 2017, le discours d’adieu aux diplô-
venir ? Pourtant, dans cet article signé Andrey shirt immaculé et claquettes, fut l’un des “start- més prononcé à Harvard par le milliardaire
Steeves, intitulé « Facebook, le cinquième site upeurs”, comme on qualiie de petites entre- est reproduit dans son intégralité. « Ensemble,
le plus visité au monde, fait l’objet d’une récla- prises de technologie dans la Silicon Valley, redéinissons l’égalité des chances », défend-
mation de paternité », les enjeux de l’aventure les plus courtisés de l’année 2007. » D’ailleurs, il, dans une sorte de grand écart, entre
industrielle sont d’emblée posés : « À tout en octobre de la même année, Microsoft a paroles et actes, au moment où la puissance
juste 23 ans, Mark Zuckerberg a jusqu’ici déboursé la somme astronomique de 240 mil- considérable du réseau social n’en init
connu un parcours jalonné de succès. Le site lions d’euros pour décrocher la seule régie pas de faire débat.
qu’il a fondé en 2004 dans sa chambre d’étu- publicitaire du site et seulement 1,6 % du La couverture de M du 20 janvier 2018 consa-
diant à Harvard pourrait bien détrôner capital de l’entreprise. crée à l’entrepreneur est emblématique de son
MySpace et devenir le premier réseau com- Le 12 octobre 2010, c’est en majesté que Mark image de plus en plus contrastée. Il apparaît
munautaire mondial. Il représenterait même Zuckerberg retrouve les colonnes du Monde, dessiné avec une coupe de cheveux rappelant
pour certains analystes “la meilleure opportu- avec des honneurs dont n’a bénéicié aucun celle de l’ancien président américain Donald
nité pour les entrepreneurs du Net de ces autre entrepreneur. Le réalisateur David Trump. Le titre est sans ambiguïté : « L’ex-ami
dernières années”. Et avec 100 000 membres Fincher vient de sortir The Social Network, public numéro 1 ». Et l’enquête de Corine
de plus chaque jour, cette prédiction pourrait consacré à l’ascension du fondateur de Lesnes est sévère : « Les critiques fusent
devenir réalité. » Facebook et à ses démêlés avec ses associés, contre le réseau : diffusion de “fake news”, uti-
Facebook, qui compte alors pas moins de dans un ilm kaléidoscope, à la structure en lisation des données privées, destruction du
31 millions d’utilisateurs, ne se réduit pas à partie empruntée au Citizen Kane (1941) lien social. Son fondateur Mark Zuckerberg
une réussite industrielle classique. La pater- d’Orson Welles, qui mettait en scène un s’est vu contraint de descendre dans l’arène.
nité de Mark Zuckerberg contestée par trois magnat de la presse. Nabab du Net, Mark Pour réparer sa créature qui connecte 2 mil-
de ses anciens congénères de Harvard, récla- Zuckerberg est statuié par l’un des plus liards de personnes, il a fait vœu de recentrer
mant le contrôle du réseau social et une partie grands cinéastes américains de son époque. le réseau sur sa fonction “amicale”. Pas
de ses royalties, raconte déjà une légende. « Raconter de manière linéaire l’ascension de sûr que cela sufise à lever le discrédit. »
Le jeune homme, en plus de ses énormes Mark Zuckerberg reviendrait à gaver le Dans un éditorial du 22 mars 2018, Le Monde
qualités d’entrepreneur, afiche une impres- spectateur de Valium, explique le réalisateur se demande ainsi si « Facebook est digne
sionnante force de caractère. de Seven au Monde. (…) J’ai déjà rencontré de coniance ». Dans celui du 21 juin 2019,
Un an plus tard, le 30 janvier 2008, dans des gens qui voulaient bâtir un empire, comme le quotidien titre : « Ne plus croire
le supplément « Entreprises » du quotidien, Zuckerberg, et y sont parvenus. J’ai côtoyé Facebook sur parole ». Et de nouveau,
Cécile Ducourtieux dresse le premier portrait l’univers des fraternités dans les universités le 27 octobre 2021, il est expliqué en dernière
du Monde consacré à l’entrepreneur. Le sous- américaines, d’où Zuckerberg était en partie page que le réseau social n’est plus en mesure
titre – « Pour avoir créé un site où chaque étu- exclu. J’avais de l’empathie pour un individu en de lutter eficacement contre la désinformation
diant peut poster des photos et noter celles partie autiste, mal à l’aise en société. Et je et les violences sur Internet.
des autres, il faillit être renvoyé de Harvard » – pouvais saisir le dilemme du fondateur de
raconte déjà une histoire se situant bien au- Facebook, un gamin supérieurement intelli-
delà du cadre économique et technologique. gent, au point d’en devenir antipathique. » Texte Samuel BLUMENFELD
MARK
ZUCKERBERG
34
LE MAGAZINE
L’antenne
téléphonique du
village russe de Paris
a été transformée
en tour Eiffel.
Ici en décembre.
LE M AG A ZINE
LA GUERRE
les couloirs de l’école ou dans la rue, les enfants saluent
respectueusement les adultes. « Je ne me souviens même
plus de la dernière fois où j’ai eu affaire à un vol »,
insiste la directrice, songeuse, avant de faire visiter les
classes les mieux dotées. La salle où les garçons, uni-
quement eux, ont droit à des cours de technologie et
de soudure ; celle où les filles, uniquement elles,
occupe, à Paris, au sud de l’Oural, l’essentiel du petit musée de l’école apprennent les tâches ménagères sur des machines à
Vassili-Blioukher – deux salles nichées au troisième étage du bâtiment coudre et des ustensiles de cuisine tout neufs.
d’où le tragique de l’histoire russe déborde, ne laissant qu’un recoin Paris, à 1 800 kilomètres de Moscou, c’est la Russie des
modeste aux tenues folkloriques et objets d’artisanat de cette région. Il y isbas, la gloubinka – le pays profond. Le village compte
a la guerre civile (1917-1921), dont le maréchal rouge Blioukher fut une mille sept cents habitants, en très grande majorité des
igure avant d’être assassiné par les siens, en 1938. La « grande guerre Nagaïbaks, une ethnie turcophone, proche des Tatars
patriotique » de 1941-1945, à laquelle le village et son école ont payé un mais de confession orthodoxe. Ils sont les descendants
tribut immensément lourd : cinq cents hommes, presque la totalité de la des Cosaques du sud de l’Oural qui ont chevauché à
population masculine adulte, ont combattu ; la moitié n’est pas revenue. travers toute l’Europe sur les talons de Napoléon,
Plus tard, l’Afghanistan, la Tchétchénie, respectivement douze et cinq en 1814, après sa défaite. Revenus chez eux, les
anciens de l’école enrôlés, dont les portraits fripés s’afichent sur des pré- Cosaques nagaïbaks ont été déployés par le tsar dans les
sentoirs. La visite elle-même dégage un lourd parfum de soviétisme. Les conins méridionaux de l’Empire, face aux frontières de
écoliers déclament sur le ton d’un poème épique les statistiques de tonnes l’actuel Kazakhstan. Ils ont nommé leurs villages en
de grain et de bétail livrées par les paysans locaux à l’Armée rouge, en 1941. souvenir des villes d’Europe qu’ils avaient traversées :
Certains ont été habillés de l’uniforme des pionniers soviétiques, chemise Fère-Champenoise, Leipzig, Berlin, Varna et Paris (Parij,
blanche et cravate rouge. « Toujours prêts », scandent-ils, une pointe de à la russe), où les troupes avaient occupé un temps
ierté dans la voix. Il y a un mois, un nouveau présentoir a fait son appari- le Champ-de-Mars et les Champs-Élysées…
tion, mais la directrice de l’école, Nadejda Ivanova, fait signe de presser le Ici, le nom des rues pourrait évoquer la banlieue rouge
pas. Comme si celui-là ne devait pas être vu des étrangers. Des leurs de la capitale française : rue Soviétique, rue du
artiicielles, des « Z », symbole de « l’opération spéciale » en Ukraine, et de Komsomol, rue des Pionniers… Mais le parallèle s’ar-
nouveaux portraits dont le papier n’a pas encore eu le temps de jaunir : rête là, si ce n’était la tour Eiffel de 50 mètres posée au
les dix anciens de l’école actuellement déployés en Ukraine. centre du village. Les maisons basses, charmantes avec
Nadejda Ivanova fronce les sourcils. Elle préfère vanter les équipements leurs fenêtres ouvragées et leurs murs en bois peint,
reçus par son école – le bâtiment est vieillot, mais chaque salle a son rétro- se serrent les unes contre les autres, battues par la
projecteur et de la peinture fraîche sur les murs – ou la bonne tenue de neige et le vent de la steppe. Peu d’agitation, pas
ses élèves. Doués, passionnés de sport, polis… La directrice dit vrai : dans même le beuglement des vaches ou le criaillement des
oies. Ici, les habitants pratiquent pour l’essentiel une
agriculture de subsistance, quelques bêtes gardées à
l’abri des cours. Ils en tuent la plupart à l’arrivée des
premiers froids – le bétail est trop cher à entretenir
quand le sol ne donne plus d’herbe.
En s’adressant aux autorités locales, « de Parisiens à
Parisiens », on espérait voir s’entrouvrir les portes de
cette Russie qui s’est refermée sur elle-même. Les discus-
sions ont été dificiles, les interlocuteurs souvent triés sur
le volet, la surveillance presque toujours présente. Dans
le village, les tourments de la guerre viennent, une nou-
velle fois, percuter la tranquille routine paysanne. Le
choc a un nom : mobilisation. Depuis le 21 sep-
tembre 2022, date à laquelle Vladimir Poutine a décidé
de l’envoi de civils sur le front ukrainien, seize habitants
ont reçu leur ordre de rejoindre les troupes engagées.
Cinq fois plus, en proportion, que la moyenne pour l’en-
semble du pays, où l’on annonce trois cent mille mobili-
sés pour cent quarante millions d’habitants. Ce jour-là,
Moscou s’est souvenu de ces milliers de communes iso-
lées, oubliées à leur sort et dont beaucoup meurent en
silence, sans soutien du pouvoir fédéral. « Piotr a reçu sa
convocation dès le soir du 21 septembre. Le 23, il était en
uniforme dans une base militaire de la région », se remé-
more Vera Fiodorova, 71 ans, dont le neveu, Piotr
Afanassiev, 46 ans, sert comme tankiste sur le front
ukrainien. Ce père de famille, employé de l’immense
combinat métallurgique de Magnitogorsk, à deux heures
de voiture de Paris, n’a pas hésité : « S’il le faut, il le faut »,
a-t-il dit en embrassant ses deux enfants.
Un an et demi plus tard, alors qu’aucune perspective de
retour ne se dessine, sa tante Vera Fiodorova répète peu
ou prou les mêmes mots. « On voudrait la paix, on
36
voudrait que les relations avec l’Ukraine reviennent comme elles étaient d’ajouter, comme si l’oubli était répréhensible. « Si on À gauche, la tombe
avant. Mais s’il le faut… Nous, nous regardons la télévision, nous écoutons le m’appelle, j’irai, lance aussi Dmitri Batraïev, fermier et du soldat Alexeï
Konnov, mort
commandant en chef [Vladimir Poutine]. Ce n’est pas notre travail de déci- père de famille de 33 ans. Pour défendre ma terre et en Ukraine en
der… » Le « travail » de la retraitée, qui a exercé toute sa vie comme inir- pour préserver l’avenir de mes enfants. » Deux ans après octobre 2022 à
mière dans le Grand Nord, c’est de soutenir ceux qui sont partis : le premier le déclenchement de la guerre par Vladimir Poutine, l’âge de 36 ans.
jour, elle a confectionné pour son neveu Piotr une petite inirmerie de cette idée qu’il s’agit de « défendre » la Russie s’est pro- À droite, son voisin,
campagne ; régulièrement, elle et son mari puisent dans leurs réserves pour fondément ancrée dans les esprits. La réponse que le fermier Dmitri
doivent donner les citoyens à cet appel est avancée Batraïev, 33 ans,
lui faire parvenir des colis : porc et mouton fumés, légumes du potager père de deux
marinés… Vera Fiodorova serait même plutôt reconnaissante à l’endroit du comme une évidence. « Puisqu’il le faut… » Comme si le enfants, Ksenia
pouvoir car le gaz doit arriver bientôt. Fini les épuisantes corvées de bois destin des hommes de Paris, génération après généra- et Ivan, prêt à partir
lui aussi sur le front
de chauffage. Les tuyaux sont déjà posés sur le sol gelé devant le jardin où tion, conlit après conlit, était de faire grandir le petit si on l’appelle.
gambadent quelques moutons. Il manque seulement les ouvriers… musée de l’école Vassili-Blioukher – ce même établisse-
Qu’on appelle cela loyauté, résignation ou soumission, ces mots, « puisqu’il ment qui explique aux enfants que le conlit a été « pla- Page de gauche,
Vassili Fiodorov,
le faut… », sont répétés d’une maison à l’autre, par des dizaines de bouches, nifié par l’Occident russophobe » dans le but de « prendre 65 ans, et Vera
jeunes ou âgées. Aucune rancœur ne s’exprime – en tout cas pas auprès le pouvoir en Russie et s’emparer de ses richesses ». Fiodorova, 71 ans,
de l’étranger de passage –, aucun mouvement qui rappellerait les tenta- L’Ukraine, d’ailleurs, (« un État bâti sur le mensonge ») posent dans leur
maison. Leur neveu,
tives des quelques groupes d’épouses de mobilisés, ailleurs en Russie, s’apprêtait à attaquer « environ deux semaines » après le Piotr Afanassiev,
d’obtenir le retour de leurs hommes. « Je n’ai jamais entendu la moindre début de l’« opération spéciale ». Elle cherchait à obte- sert comme
récrimination, le moindre mot contre le président », assure Vassili nir l’arme nucléaire et abritait sur son sol des « labora- tankiste sur le front
ukrainien depuis
Toïmourzine, qui toque régulièrement aux portes du village pour récolter toires américains d’armes biologiques ».
Maria Turchenkova pour M Le magazine du Monde
septembre 2022.
des habits pour les mobilisés. Cet homme de 78 ans est le président du Dmitri Batraïev donne une déinition toute person-
Conseil des vétérans. Aujourd’hui, ses troupes sont maigres : le dernier nelle de ce patriotisme dont les Nagaïbaks s’estiment
combattant de la seconde guerre mondiale s’est éteint en 2018 ; restent dépositaires : « Ne viens pas m’embêter chez moi, je ne
une poignée d’« Afghans », comme on appelle les participants au conlit viendrai pas chez toi. » En plus de ses bêtes (11 vaches
de 1979-1989. Lui-même est un enfant de la guerre, né en 1944, année où et 36 chevaux) et de son champ, le fermier, toque de
seules trois naissances ont été enregistrées à Paris. fourrure surplombant son visage fin, occupe un
Pour autant, la propagande outrancière venue de Moscou semble rencontrer emploi à la scierie locale. À force de travail harassant,
peu d’écho dans le village. Aucun grand discours sur les « nazis » ukrainiens son revenu mensuel peut attendre 70 000 roubles
ou l’« héroïsme » des combattants russes… « On veut qu’ils reviennent le plus (730 euros), de quoi faire vivre une famille de quatre
vite possible. Vivants et en bonne santé », dit Vassili Toïmourzine en parlant personnes. Il est aussi l’un des membres actifs du
de ceux du village partis combattre. « Et victorieux », s’empresse-t-il groupe de Cosaques locaux, qui (suite page 40)
LE M AG A ZINE
Une installation
agricole dans
le village de Paris.
38
Maria Turchenkova pour
M Le magazine du Monde
LE M AG A ZINE
LE
sujet des avantages matériels pro-
curés par le conflit fait figure de
tabou – en parler reviendrait à
amoindrir le sacriice consenti par
ceux qui sont partis. Mais il est
impossible à ignorer. Dans les vil-
lages et les petites villes de Russie,
l’armée a constitué pendant des
années et pour des milliers de jeunes la seule perspec-
tive d’obtenir un emploi stable, voire de faire carrière.
Un moyen d’élever une famille aussi, de solder des
dettes… La guerre n’a pas changé cette donne-là. Il y a
seulement plus de risques et plus d’argent. Les mobi-
lisés reçoivent un salaire mensuel d’environ
200 000 roubles (2 100 euros). À titre de comparaison, Maria Turchenkova pour M Le magazine du Monde
40
Ekaterina Batraïeva,
61 ans, montre sa
dernière création
destinée à l’armée :
un poncho
imperméable qui
peut se transformer
en tente.
Page de gauche,
Roman, 30 ans,
éleveur de cochons,
est retourné à Paris
après avoir travaillé
en ville.
des pâtes, qui s’est envolé. Fiodor Markine, le plus important fer- à l’automne et au printemps, de s’enfoncer dans la
mier du village, donne un aperçu de ces inquiétudes rurales. Ancien trac- boue jusqu’aux chevilles. À vrai dire, en plein hiver, la
toriste, un temps directeur de sovkhoze, il possède aujourd’hui 7 000 hec- différence est dificilement notable : la chaussée est
tares de terres – peu fertiles – et emploie jusqu’à cinquante personnes recouverte d’une couche de glace si glissante qu’elle
au plus fort des moissons. Entre le prix des intrants qui s’est envolé, en cloue chez eux les habitants les plus âgés et permet
partie à cause des sanctions occidentales, et celui du blé qui cette année aux plus jeunes de patiner entre les maisons.
a été divisé par deux, il craint pour son exploitation. Le gouverneur de cette région de Tcheliabinsk s’est
L’homme aujourd’hui âgé de 65 ans a été maire de Paris entre 2000 et entiché du village, raconte-t-on encore. Le semi-
2002. Une époque où le fonds de George Soros travaillait encore en Russie, marathon organisé au mois de juin accueille toujours
autant dire une éternité, avant d’en être expulsé manu militari. « Ils nous plus de participants. La Maison de la culture, avec ses
avaient aidés à organiser une foire du livre », se souvient Fiodor Markine. grandes fresques soviétiques, est en rénovation – encore
C’est aussi lui qui raconte comment, au début des années 2000, un petit un investissement. Mais il n’y a pas un café où se retrou-
groupe de Parisiens a convaincu le patron des télécoms de la région, à ver. De quoi encourager les envies d’exil de la jeunesse,
grand renfort de vodka, de transformer l’antenne téléphonique du village mais cette absence implique aussi que l’on voit moins,
en une belle tour Eiffel… L’autre préoccupation de l’ancien élu, qui sillonne à Paris, de ces silhouettes titubantes qui constituent le
inlassablement ses terres au volant de sa Lada Niva, touche à la main- décor immuable des villages russes. Dans les magasins,
d’œuvre. C’est le drame de Paris : la jeunesse s’en va, le village se dépeuple. le rayon consacré à l’alcool conserve une proportion
Aujourd’hui, l’école compte cent quatre-vingt-dix élèves, contre trois cent raisonnable, entre les bottes fourrées, les conserves
vingt il y a vingt ans, quand Nadejda Ivanova a pris ses fonctions de direc- chinoises et les produits de la ferme…
trice. Certaines maisons sont à l’abandon. Les trois illes de Fiodor Markine « Porter le nom de Paris nous a toujours obligés à
se sont elles-mêmes installées à Moscou et à Magnitogorsk. « Il n’y a pas de prendre soin de notre village », ajoute l’ancien maire Maria Turchenkova pour M Le magazine du Monde
travail », répète-t-on encore et encore. Sur les neuf sovkhozes de l’époque Fiodor Markine. La cohésion entre les habitants,
soviétique, aucun n’a survécu. Et les grosses fermes comme celle de Fiodor aussi, est importante. Il n’y a pas eu ici, à l’époque
Markine sont l’exception. Les jeunes vont chercher de meilleurs salaires à soviétique, de déplacement massif de population.
l’aciérie de Magnitogorsk ou bien ils partent travailler pour des missions de L’isolement est moins marqué qu’ailleurs. Celui qui
quelques mois dans les villes pétrolières du Nord. n’entretient pas sa maison ou ne surveille pas ses
Paris bénéicie pourtant d’investissements, une chance rarissime pour enfants est mal vu, de même que celui qui ne respecte
une localité de cette taille. L’arrivée du gaz, il y a dix ans, a constitué un pas les traditions des Nagaïbaks – comme sacriier un
événement sans doute plus notable que la guerre. Environ 90 % des animal trois ans après la mort d’un défunt. Roman,
maisons sont aujourd’hui reliées au réseau. Cette année, les habitants 30 ans, rencontré en pleine rue de manière impromp-
s’enthousiasment pour la rénovation des routes. L’asphalte a été refait, tue, sa lampe frontale sur la tête, relativise le dyna-
dit-on, ce qui épargne les suspensions des voitures et évite aux habitants, misme du village : « Les gens d’ici se sont refermés,
42
LE M AG A ZINE
chacun a ses préoccupations, souvent financières. Le pouvoir met de de patriotisme, de guerre en Ukraine, de « valeurs tra-
l’argent dans les infrastructures et organise des rassemblements, en géné- ditionnelles », mais aussi d’écologie ou de citoyenneté,
ral sportifs, pour distraire la population, qu’elle ne se pose pas de question assure la directrice. « Chez nous il n’a jamais été ques-
ou ne sombre pas dans la dépression en regardant les nouvelles… » Après tion que les enfants manipulent des armes », insiste
être parti un temps travailler à la ville, Roman a fait le choix de revenir Nadejda Ivanova, alors que la pratique est devenue
au village, dont il apprécie le calme. Avec ses trois vaches et surtout ses courante dans des centaines d’école de Russie. Est-ce
cinquante-cinq cochons, il arrive à gagner 40 000 roubles (420 euros) à cause de cette prudence que la directrice, malgré ses
par mois. Il constate lui aussi le renchérissement, dû aux sanctions, des vingt ans d’expérience, s’est vue adjoindre une
compléments alimentaires et des vitamines qu’il donne à ses bêtes, mais « conseillère à l’éducation » ? Maria Arapova, 29 ans,
également la baisse de leur qualité. Il est l’un des seuls à exprimer une professeure d’informatique et enfant du village, a
forme de scepticisme vis-à-vis de « l’opération spéciale ». Il n’a en tout assisté à deux sessions de formation, en Crimée, pour
cas « pas envie de mettre [s]a vie entre les mains d’inconnus et d’obéir à se préparer à occuper cette fonction. Depuis, c’est elle
des ordres insensés ». Même le salaire le laisse dubitatif. Un de ses amis qui supervise l’engagement des enfants dans la vie
a acheté une moto et une voiture, lors d’une permission ; trois jours extrascolaire, elle aussi qui a favorisé l’implantation
après, en état d’ivresse, il se faisait conisquer cette dernière. Et pourtant, dans l’école de groupes patriotiques, comme le Maria Arapova,
29 ans, professeure
si on l’appelait, il irait. « Où est-ce que je me cacherais ? Comment mes Mouvement des premiers, que Vladimir Poutine a d’informatique
parents supporteraient-ils le regard des voisins ? » explicitement intronisé successeur des pionniers et cheffe du
soviétiques, ou la Iounarmia, « l’armée des jeunes », Mouvement des
CEUX
premiers du village
qui, en Occident, espéraient qui accueille dans ses rangs des centaines d’enfants de Paris, s’occupe
que la guerre, le retour des (« nos futurs défenseurs »), reconnaissables à leur uni- de la formation
cercueils iniraient par pousser forme paramilitaire beige. Il y a dans la jeunesse de idéologique
des enfants.
les Russes à « se réveiller », à Maria Arapova, dans son regard résolu, sa mâchoire
sortir de leur apathie politique volontaire, quelque chose qui rappelle les commis- Page de gauche,
ne se sont pas trompés. saires politiques des premiers temps du bolchevisme. Artem, 13 ans,
Daniil, Ivan et
Seulement, le réveil n’est pas « Le patriotisme, dit-elle, ce n’est pas seulement l’amour Alexandr, 16 ans,
celui qu’ils attendaient. Faute de la patrie. C’est l’amour des enfants et de notre avenir sont bénévoles
de tout autre récit concurrent, on serre les rangs derrière le président, à tous. » Cet avenir, il paraît, tout antant que le passé, pour l’association
Le Futur est à nous,
dont la igure se confond totalement avec celle de l’État. « Ce qui se passe voué au culte de la guerre. Le dernier panneau, dans qui vient en aide
donne un sens à notre vie », dit même Ekaterina Batraïeva, 61 ans, qui, avec le musée de l’école, l’annonce clairement : après la aux familles du
trois autres retraitées, a formé un groupe de volontaires. Aucune des « réunification » à la Russie de quatre régions ukrai- village dont l’un
des membres a été
quatre n’avait auparavant une quelconque activité citoyenne. Depuis niennes, « celles de Kharkiv et d’Odessa seront très pro- mobilisé sur le front
novembre 2022, elles se réunissent régulièrement pour coudre des habits, bablement concernées à leur tour ». ukrainien.
des bonnets, des chaussettes pour l’armée. Leur dernière création : un
poncho imperméable qui peut se transformer en tente. D’autres volon-
taires se chargent de les acheminer jusqu’au front.
Ekaterina Batraïeva est l’ancienne directrice de la Maison de la culture.
Sa retraite ne dépasse pas 16 000 roubles (170 euros) par mois – assez
pour se nourrir, grâce au potager et à ses chèvres, pas assez pour faire
face au moindre imprévu ou payer des médicaments. Et si l’État, plutôt
que de faire la guerre dans un pays étranger, s’attachait à améliorer le
système de santé ou même à augmenter sa retraite ? « Je n’ai jamais pensé
à ça, répond-elle. L’État sait ce qu’il a à faire. J’espère seulement que tout
ça n’aura pas été en vain… » Chez les jeunes aussi le discours patriotique
porte. Ils sont quatre, ce jour de in décembre, âgés de 13 à 16 ans, à se
retrouver devant le portail de la retraitée Vera Fiodorova, dont le neveu
a été mobilisé. Baskets, jogging Adidas, pas précisément le genre que l’on
s’attendrait à voir se lever un samedi matin pour déblayer la neige chez
un couple de retraités. Tous sont membres du groupe Le Futur est à nous,
formé après le début de l’« opération spéciale », qui vient en aide aux
familles des mobilisés, leur apportant du bois ou faisant de petits travaux
d’entretien. « Pour nous, c’est évident d’aider les autres, surtout en ce
moment », afirme Ivan, 16 ans, qui rêve de devenir sportif professionnel
ou, dans une version plus réaliste, métallo. C’est la même évidence qui
leur fait dire que, si la guerre se prolonge et si on les appelle, ils feront
« leur devoir ». Daniil, 16 ans lui aussi, qui a déjà perdu un oncle dans cette
guerre, est le seul des quatre à envisager un avenir à Paris.
Même le prêtre qui sert dans la toute petite église du village est là pour
battre le rappel. « Le meurtre est un péché, mais défendre sa patrie est l’acte
le plus saint qui soit », assure le père Sergueï, 54 ans, qui revient tout juste
d’Ukraine, où il a conduit un convoi d’aide humanitaire et rencontré les
mobilisés de Paris. Lui aussi sait ce qu’est la guerre, pour avoir servi deux
ans en Afghanistan à la in des années 1980. Un souvenir dificile ? « Au
contraire, les meilleures années de ma vie. À la guerre, il n’y a pas de men-
songe. » L’ofice du dimanche attire une poignée de retraitées.
L’école, elle, s’adapte à toute vitesse pour répondre aux besoins de l’État.
Différents cours d’éducation civique ont été introduits, où il est question
Avec SG,
faites grandir vos idées
avec nos experts
en patrimoine.
LE M AG A ZINE
GAINSBOURG,
LE TABLEAU
ET SES
OMBRES.
Il ne reste quasiment plus
aucun tableau des débuts
de Serge Gainsbourg en tant
que peintre. “Les Enfants au
square” est une des rares
toiles qu’il n’a pas détruites.
Elle évoque sa propre enfance
et sa sœur jumelle,
dont il ne parlait pas. Jusqu’ici
caché du grand public,
le tableau est resté longtemps
chez Juliette Gréco qui
le choyait. Vendu en 2021
à une famille d’antiquaires,
il est aujourd’hui exposé dans
le musée Gainsbourg
Crait+Müller/Drouot
47
LE M AG A ZINE
ovembre 2015, Juliette très attention, commente Irmeli Jung, photo- chanteur, qui se rêvait peintre, n’a pas détruites ce
N
Gréco explose. Une graphe et amie de longue date de Juliette Gréco. jour de 1958 quand, comprenant qu’il ne serait pas
colère d’un noir Un petit format pas trop moche, mais vague, avec un grand artiste, il avait brûlé la plupart de ses
Gréco : décoiffante. peu de couleur », toujours posé à l’inverse du tableaux. Parce qu’elle met en scène un énième
« Son » tableau a dis- sens de la lumière. Hors cadre, donc. mystère gainsbourien. Un bout de cette mytholo-
paru. Dans la grande Quand le tableau disparaît, la maisonnée bruisse gie dont, à force de livres, d’émissions, de coffrets
demeure de pierre de du nom du ou des coupables. Pour éviter l’embar- collectors, de ilms et d’expositions, on semble
Verderonne, dans ras, on met ça sur le compte de l’âge de sa proprié- tout connaître, mais qui surprend toujours. La
l’Oise, c’est le branle- taire (oublieuse). Mais Juliette Gréco a toute sa toile raconte le Gainsbourg d’avant le mythe,
bas de combat. « Je tête, elle est en tournée d’adieu. A posteriori, cer- d’avant Jane, d’avant Gainsbarre…
suis très malheureuse, tains y verront les prémices de l’AVC qui va la frap- Drôle de gueule, ce tableau, si peu photographié,
j’ai l’impression qu’on per en 2016, cette même année où elle perdra sa si peu connu, aujourd’hui exposé parmi tant de
m’a arraché un petit ille unique, Laurence Marie Lemaire, emportée photographies et d’afiches au Musée Gainsbourg,
morceau de ma vie », par un cancer. « Il y avait beaucoup de passage inauguré en septembre 2023 rue de Verneuil, à
se désole la chanteuse alors âgée de 88 ans, qui chez elle et le tableau agissait pour certains comme Paris. Il montre deux silhouettes floues, deux
vit dans la campagne isarienne avec son mari, un aimant, afirme Julie-Amour Rossini, unique enfants en boule, repliés en fœtus, chemise andro-
le pianiste et compositeur Gérard Jouannest. petite-ille et héritière de Juliette Gréco. Comme gyne, petite robe à pois, jouant dans un square,
C’est le désordre dans cette maison où circulent elle n’aimait pas beaucoup la maréchaussée, elle penchés l’un vers l’autre avec tendresse. Au pre-
la famille, les collaborateurs, les journalistes, préfère alors expédier un communiqué à l’AFP. » mier plan, un petit râteau. Un style postimpres-
les proches, les employés, les conquis, les Celui-ci contient un ultimatum : « Je donne sionniste, façon Bonnard. « Ils paraissent très com-
dévoués, les lagorneurs. quelques jours à mes voleurs pour le remettre là où plices. C’est comme un zoom, comme si un parent
Qui a osé porter la main sur cette petite peinture ils l’ont trouvé, après je lance la machine de s’était assis au bord du bac à sable », note Julie-
au charme délavé à laquelle la chanteuse tient guerre ! » Et ça marche. Retour rapide, et miracu- Amour Rossini. « Un camaïeu, 50 centimètres
tant ? Ce n’est pas parce que Juliette Gréco la leux, au bercail de l’huile sur toile. sur 35. Précieux. Des cheveux blonds, des cheveux
planque parfois sous le canapé de son bureau ou Du point de vue de l’histoire de l’art, l’œuvre n’a roux. Gainsbourg était extrêmement féminin, fra-
qu’elle l’oublie par intermittence qu’elle n’y tient pas une grande importance, mais elle cumule gile… », nous disait Juliette Gréco en 2016.
pas. La preuve, périodiquement, la toile est réta- quelques marques d’exception. Parce qu’elle est Le tableau date du tout début des années 1950.
blie sans sa majesté, posée en évidence sur une signée Ginsburg, le vrai nom de Serge Gainsbourg. Lucien Ginsburg est alors élève de l’Académie de
cheminée. « En fait, on n’y faisait pas toujours Parce qu’elle est l’une des seules toiles que le futur Montmartre, dirigée par le peintre Fernand
Léger. Il veut peindre, il a épousé une artiste
peintre, Élisabeth Levitsky, ille d’aristocrates
russes orthodoxes antisémites, « Lise » est à ce
titre très peu aimée de la famille Ginsburg, juifs
immigrés de Russie. Pour calmer sa mère,
Lucien plaide la vengeance : « Moi, un petit juif
si moche, je me tape les plus prestigieuses descen-
dantes des pogromistes d’antan. »
Au début des années 1950, le « peintre en deve-
nir » est à la peine, peu sûr de son talent et sans
le sou. En 1954, il remplace son père, Joseph, pia-
niste attitré du cabaret montmartrois Madame
Arthur. De formation classique, Joseph Ginsburg
nourrit la famille en accompagnant les stars du
transgenre, Coccinelle et Bambi, mais aussi Lucky
Sarcelle, pour qui Lucien écrit sa première chan-
son, Antoine le casseur, déposée à la Sacem cette
année-là sous le nom de Julien Grix. En 1957,
après changement d’identité, Serge Gainsbourg
divorce de « Lise » et de la peinture. Exit l’art
majeur. Les Enfants au square survit à sa rage.
En 1959, bien avant La Javanaise (1963), Serge
Gainsbourg l’offre à Juliette Gréco.
L’interprète amie des existentialistes domine déjà
la scène intello de l’après-guerre quand elle croise
un Gainsbourg aux oreilles décollées, sans voix et
mort de trac. Ils fréquentent Les Trois Baudets, le
cabaret montmartrois dirigé par le producteur
Jacques Canetti, dont Boris Vian, qu’ils admirent,
Document personnel. INA via AFP
48
Juliette Greco et Serge
Gainsbourg sur le plateau
de l’émission « Top à… »,
de Maritie et Gilbert
Carpentier, en 1964.
la mode et du show-business, organise une vente La petite ille, c’est sa sœur jumelle. Le noyau Lucien-Serge… En quête d’unité, les jumeaux,
aux enchères à Drouot, par l’intermédiaire de la familial – et sa gémellité – du chanteur est un même « faux », ont un fonctionnement particu-
maison de vente Crait-Müller. « Ce fut une aven- aspect très peu connu du grand public. Ainsi, lier, duel. Ils sont à la recherche de la fusion per-
ture, je m’en souviendrais », conie Thomas Müller. dans la famille Ginsburg, après la mort d’un pre- due et mélangent parfois les genres. « Regarder la
Il y a de tout, des automates, des robes de scène mier ils, Marcel, emporté à l’âge de 16 mois par sœur jumelle occultée permet une autre lecture de
(les plus belles ont été données au Musée Galliera), une pneumonie, Jacqueline était née en 1927, l’œuvre de Serge Gainsbourg, cela explique sans
des sacs, des objets, des cadeaux de grandes puis des jumeaux, Liliane et Lucien, le 2 avril doute ses inclinaisons pour le travestissement, y
marques. Et le fameux tableau. 1928. Jane Birkin analysait ainsi la situation : compris en nazillon, avance Bruno Bayon, ancien
Adjugé à 132 000 euros avec les frais, il est « Olga avait eu un petit garçon mort, Jacqueline journaliste à Libération et auteur de Gainsbourg
vendu plus cher que le Foujita. L’acquéreur se était née trois ans avant et, là, Olga attend des mort ou vices (Grasset, 1992), livre d’entretiens où
veut discret. Pourtant, il ne peut s’empêcher de jumeaux, elle n’ose pas faire l’avortement à le chanteur raconte sa mort, dressant un bilan
poster une photo sur Instagram, avec le com- Pigalle, et quand les jumeaux sortent, c’est salé de ses abîmes et de sa sexualité. Cela résonne
mentaire : « honneur, bonheur et émotion, fore- Liliane en premier. Croyant que les jumeaux sont avec le caché-montré de Gainsbourg. »
ver inspiration ». Les Enfants au square se forcément identiques, Olga se met à pleurer, car Sur la pochette de Love on the Beat, photogra-
retrouvent, pâlichons et incongrus en diable, au elle se voit avec trois illes ! Et quand Serge est phiée par William Klein, Gainsbourg apparaît
beau milieu de photos de meubles, bustes, sorti, c’est : garçon, joie, surprise ! Quel soulage- grimé en femme – « portrait craché de sa sœur »,
lustres anciens et d’un extrême rafinement. Le ment ! Évidemment, Olga fut d’une injustice remarquait Jane Birkin. Pas l’aînée, Jacqueline.
compte est, en effet, celui de la prestigieuse typique des familles juives. » « L’autre, sa jumelle. » Celle du bac à sable. Jamais
LA
Galerie Steinitz, spécialisée dans la vente de à court d’inspiration dans la vacherie, Juliette
meubles et d’objets du XVIIIe siècle. Installée rue rançon est élevée. Serge Gréco nous susurrait : « La ille du tableau est
Royale, dans le 8e arrondissement parisien, elle comble le vide laissé par le laide. La sœur jumelle, c’était Gainsbourg en
a été fondée en 1968 par Bernard Steinitz, juif frère mort. Il doit être par- femme et c’était pire. Elle était affreuse, épouvan-
originaire de Pologne. « Mon père avait le regard fait, il ne pouvait commettre table. Lui n’était pas laid, il avait une beauté inté-
pétillant, il pensait que tout ce qu’il vivait après aucune erreur. Toute fusion rieure incroyable et un charme fracassant. »
la Shoah était du bonus », dit Benjamin, son ils, avec la jumelle devient Toujours vivantes, Jacqueline et Liliane habitent
qui a pris sa suite en 1998. impossible. Passé l’enfance, Liliane s’efface. Mariée à Paris, loin des regards publics, tout comme les
Quand, in 2021, ce dernier voit passer la vente à Meyer Zaoui, elle devient professeure à deux premiers enfants de Serge Gainsbourg,
Gréco dans la Gazette de Drouot, il repère la toile. Casablanca. Elle n’est pas contre cette occultation. Natacha et Paul, nés dans les années 1960 de
« J’ai été extrêmement ému par ce tableau. Il est Jamais coupé, le contact avec son frère devient Françoise-Antoinette Pancrazzi, sa deuxième
joli, esthétique, mais son histoire également. » Du « plutôt impersonnel. Il m’impressionnait parce qu’il épouse, dite Béatrice, 92 ans et toujours silen-
Gainsbourg et du Gréco, des vies parallèles, des était parfois un peu glacial. Il y avait une certaine cieuse. Liliane, nous disait Jane Birkin avant sa
années de résistance têtue. S’il a cédé à cet mise en scène. Il me faisait entrer chez lui et admirer mort, en juillet 2023, est « d’une gentillesse com-
« achat impulsif », c’est parce que, dit-il, des liens son intérieur fabuleux », confiera-t-elle à Gilles plète. Elle n’a pas le cynisme cruel de Serge. C’est
invisibles se sont tissés entre la famille Verlant, biographe de Gainsbourg. Le jour de la comme s’il avait pris tous les côtés sarcastiques en
Gainsbourg et la sienne, « une famille un peu mort de leur mère, en 1985, Serge se replie avec gardant le romanesque. Elle, c’était Madame
folle », et une réussite éclatante dans les arts, sans Liliane, rue de Verneuil, où ils écoutent ensemble Bovary. » Et de conclure : « Les deux sœurs étaient
souci des modes : « C’était très émotionnel. Je vou- la Pavane pour une infante défunte, de Ravel. « Ça terriiantes au Scrabble. »
lais l’acheter sans avoir l’impression de posséder m’a remué les entrailles », poursuivra-t-elle. Aujourd’hui, le tableau est donc au Musée
quoi que ce soit, mais pour être le dépositaire de La gémellité aura tiraillé Gainsourg toute sa vie. Gainsbourg, prêté pour cinq ans par la famille
nos histoires. Oui, j’aimais beaucoup Gainsbourg, « Quand j’ai commencé à travailler avec Serge, en Steinitz. Là encore, une petite péripétie. Avant
l’artiste. Ma sœur aînée, qui a eu une vie compli- 1977, il avait très peur de devenir monsieur Birkin, la vente, la maison Gainsbourg en cours de
quée, qui est décédée de ses excès, m’avait offert explique Alain Chamfort. Il ne parlait pas de sa construction était intéressée par le tableau. Des
l’album Aux armes et cætera. » Puis il écoute gémellité, il la refoulait. Or, il y a toujours une part appels du pied avaient été faits par le clan
Mauvaises nouvelles des étoiles, avec le morceau d’enfance chez l’artiste. Et lui avait connu cet état Gainsbourg à Julie-Amour Rossini. Ayant appris
Juif et Dieu, puis Rock Around the Bunker et le d’union compliqué, fait d’amour et de détestation, cela, Benjamin Steinitz avait écrit à Charlotte
fameux Nazi Rock. « Je suis né sous une bonne un rapport clos où personne ne rentre. » Le com- Gainsbourg juste avant la vente. « Je lui ai dit
étoile – jaune », plaisantait Gainsbourg. Benjamin positeur de Manureva, lui-même père de que, si elle voulait acquérir le tableau, je ne
Steinitz, qui a épousé une Russe, se réjouit de ces jumeaux, ajoute : « Gainsbourg était un person- pousserais pas les enchères, afin d’éviter que
pirouettes. « C’est très ashkénaze, tout ça. Ça me nage plein de contradictions, partagé entre la l’œuvre ne s’éloigne de la famille. » Elle ne
parle, cela fait écho dans ma tête. Je me suis senti misogynie et l’amour des femmes. » répond pas, il l’achète.
aussi fou que lui, le talent en moins. » « Quand on a, comme moi, l’âme pliée en fœtus, Mais, immédiatement, La Maison Gainsbourg
Car Les Enfants du square sont une plongée dans on a besoin de provoquer pour la dégourdir », sollicite un prêt. « C’était compliqué de passer de
la psyché de son auteur et de son enfance. disait celui qu’on appelait « Ginette » à l’école, la volonté à la rélexion. Je pensais : “Ce serait joli
Le petit garçon à droite du tableau, c’est lui. tellement il était mignon. Gainsbourg-Gainsbarre, que ce soit au Musée Gainsbourg, dans sa maison,
chez lui.” J’étais ému. Mais m’en détacher…
explique Benjamin Steinitz. Avec mon épouse,
nous avions imaginé le poser dans notre chambre,
devant le lit. À la veille de l’inauguration, je
“SERGE GAINSBOURG NE PARLAIT PAS DE n’étais pas mûr. Et puis, j’ai pensé que cela ferait
SA GÉMELLITÉ, IL LA REFOULAIT. LUI AVAIT plaisir à Monsieur Serge. » Il cède, par respect, à
la toute dernière minute. Quant à Julie-Amour
CONNU CET ÉTAT D’UNION COMPLIQUÉ, Rossini, elle a donné au Musée Gainsbourg un
FAIT D’AMOUR ET DE DÉTESTATION, UN RAPPORT autre objet chéri de sa grand-mère, une lettre
expédiée à la chanteuse par les parents Ginsburg
CLOS OÙ PERSONNE NE RENTRE.” la remerciant d’avoir créé La Javanaise, pierre
LE CHANTEUR AL AIN CHAMFORT angulaire de la notoriété de leur ils.
51
LE M AG A ZINE
Dans l’édition,
les fact-checkers
ont peu voix au chapitre.
53
Gradvohl. Le reste du mon- Mais pour une enquête ultra bor-
tant a contribué à rémunérer la dée, combien de livres non vériiés ?
traduction de Nathalie Bauer, éga- Les exemples de grosses erreurs
lement docteure en histoire et spé- imprimées sont légion et
cialiste de l’Italie, qui signe aussi concernent tous types de personna-
les notes de bas de page. lités et d’ouvrages. Ainsi, le témoi-
En somme, le livre a été fact-checké. gnage Survivre avec les loups
Depuis quelques années, cet angli- (Robert Laffont, 1997), dans lequel
cisme, qui signifie littéralement l’autrice belge Misha Defonseca
« vériication des faits », est de plus s’inventait de toutes pièces un
en plus courant. Dans un texte de passé de rescapée de la Shoah,
référence paru en 2004 (The Fact aurait-il été publié si un fact-chec-
Checker’s Bible, Anchor, non tra- ker s’était penché de près sur ses
duit), Sarah Harrison Smith, afirmations ? Même question pour
ancienne fact-checker au magazine L’Imposture climatique (Plon), livre
américain New Yorker (dont les pra- à charge du géologue et ancien
tiques en la matière sont saluées à ministre Claude Allègre contre la
travers le monde), déinissait ainsi « fausse écologie », critiqué à sa sor-
la lecture ciblée du vériicateur de tie, en 2010, par plusieurs journa-
faits : « viser la précision », « faire listes et surtout des centaines de
des recherches sur les faits », « éva- climatologues pour ses approxima-
luer les sources : personnes, jour- tions, ses interprétations erronées,
naux et magazines, livres, voire ses falsifications d’études
Internet, etc. », « vérifier les cita- scientiiques. Ou encore pour l’essai
tions », « s’assurer qu’il n’y a pas de De la guerre en philosophie (Grasset)
passages plagiés »… Dans la presse où, en 2010, Bernard-Henri Lévy
américaine de qualité, cet exercice citait un certain Jean-Baptiste Botul,
se fonde sur des recherches éten- spécialiste du penseur Emmanuel
dues, sur la relecture des docu- Kant, qui n’avait jamais existé, sinon
ments consultés par le journaliste dans un livre canular signé d’un
(copies de diplômes universitaires, journaliste du Canard enchaîné…
livres compulsés ou documents La raison de cette absence de vérii-
conidentiels obtenus au cours de cation est d’abord pratique. Pour un
l’enquête) et, parfois, sur de nou- livre d’investigation de plusieurs
veaux entretiens avec les interve- centaines de pages, le processus de
nants cités, ain de s’assurer de la fact-checking peut prendre des
idélité de leurs propos rapportés. semaines. Un temps que peu de
Mais qu’en est-il du secteur de l’édi- maisons d’édition sont prêtes à
tion qui publie et diffuse des consacrer à un ouvrage et à son
ouvrages de non-fiction qui ont auteur. « C’est pourtant fondamental
parfois le pouvoir de peser sur le pour éviter les erreurs », insiste
débat public ? Le constat est tout Victor Castanet, prix Albert Londres
autre. Aux États-Unis comme en 2022 pour son livre Les Fossoyeurs
Europe, l’exigence d’exactitude par (Fayard), plongée dans le fonction-
rapport à ce qui est écrit semble nement des maisons de retraite de
souvent relever de la seule respon- la société Orpea. « Pour un journa-
sabilité des auteurs. liste habitué à travailler dans une
Aux États-Unis, où les avances ver- rédaction, où l’on est encadré par ses
sées aux journalistes pour des pairs, mais aussi par une charte et
enquêtes sont plus élevées qu’en des règles déontologiques précises, la
France, les professionnels les plus solitude peut être très grande sur le
réputés rémunèrent le plus souvent terrain, quand on travaille à un
sur leurs propres deniers les fact- livre », explique-t-il.
“Même si nous exigeons que tout ce checkers qui relisent leurs textes
avant parution. Encore rien de tel en
Fondatrice des Éditions de l’Obser-
vatoire et directrice générale
qui est entre guillemets ou affirmé soit France. Dans le récent ouvrage adjointe du groupe Humensis (qui
systématiquement sourcé, certaines L’Homme aux mille visages (Grasset),
qui raconte sa traque, sur plusieurs
réunit les Presses universitaires de
France et les éditions Belin), Muriel
choses peuvent passer entre les mailles années et sur plusieurs continents, Beyer se veut modeste quand elle
du filet. Après, c’est une histoire de d’un extraordinaire faussaire senti-
mental, la productrice de l’émission
évoque son travail de vériication.
Elle met en avant les différents pro-
confiance. L’auteur peut affirmer avoir de France Culture « Les Pieds sur fessionnels de son équipe qui inter-
les documents et mentir…” terre », Sonia Kronlund, remercie
bien les dizaines de personnes qui
viennent sur un texte en cours de
publication : « Lorsque je travaille
Muriel Beyer, directrice des Éditions de l’Observatoire l’ont épaulée dans ses recherches. avec un auteur, le manuscrit, une
LE M AG A ZINE
fois validé par moi, est envoyé à d’éventuelles poursuites de la part Diamond, connu pour ses ouvrages assure que les livres signés par
l’assistant d’édition. Il ou elle vériie des entreprises ou des individus de vulgarisation scientiique, il écri- des hommes et des femmes
les dates, l’orthographe des noms mis en cause dans un ouvrage, est vait : « Le temps est venu pour ceux politiques sont « particuliers » :
propres, la concordance des faits souvent considérée comme suffi- d’entre nous qui travaillent sur des « La liberté d’opinion est sacrée ; ils
historiques évoqués… Le texte part sante par les éditeurs. Elle est pour- livres de non-iction d’insister pour ont le droit de dire et d’affirmer
ensuite vers le préparateur de copie, tant seulement complémentaire, que le fact-checking professionnel quelque chose qui les regarde.
qui se penche sur la ponctuation, comme l’explique Victor Castanet. devienne aussi inaliénable à l’édition Quand ils écrivent leurs Mémoires,
l’usage des temps et les détails Pour Les Fossoyeurs, la présidente que le sont la publicité, le marketing libre à eux de voir les événements
techniques, mais peut aussi pointer, de Fayard, Sophie de Closets ou la maquette de la couverture. (…) comme ils l’entendent. »
par exemple, qu’il manque une (aujourd’hui à la tête de Cela ne peut pas être le destin d’un Cette confiance aveugle à l’égard
source pour tel passage. » Elle Flammarion) a fait appel, dans un livre de se rapprocher toujours plus d’un auteur n’est toutefois pas
reconnaît : « Même si nous exigeons premier temps, aux journalistes du d’un tweet – peut-être véridique ou toujours de mise. Dans le monde
que tout ce qui est entre guillemets Monde Gérard Davet et Fabrice peut-être pas. Le livre doit se tenir en universitaire, la relecture par les
ou affirmé soit systématiquement Lhomme pour travailler sur le marge, viser plus haut. » pairs est un passage obligé avant
SI
sourcé, certaines choses peuvent texte. « Ils ont proposé des coupes, chaque publication dans une revue
passer entre les mailles du filet. fait un premier travail d’édition qui scientiique. Dans le domaine beau-
Après, c’est une histoire de visait à réduire le risque juridique coup moins encadré de la littéra-
confiance. L’auteur peut affirmer mais aussi à atténuer des tournures ture générale, c’est-à-dire grand
avoir les documents et mentir… » de phrase trop véhémentes ou à public, certains auteurs se plient
La confiance et le style faisant loi couper les passages où je donnais d’eux-mêmes aux regards d’experts.
dans la culture éditoriale française, trop mon avis, explique l’auteur. Beata Umubyeyi Mairesse, dont le
la demande de vériications précises Sophie, elle, me demandait, au récit intime et historique sur le
est susceptible de froisser certains cours de l’enquête et pour chaque génocide tutsi, Le Convoi, vient de
auteurs. « La culture de la plume fait que j’avançais, si j’avais les paraître chez Flammarion, a ainsi
peut parfois faire passer un peu à l’as documents, les autorisations des demandé à son amie, l’historienne
les préoccupations de fact-chec- témoins que je citais nommément… » chargée de recherche au CNRS et
king », analyse Geoffrey Le Guilcher, Les preuves écrites accumulées au spécialiste du Rwanda Hélène
cofondateur des Éditions Goutte il de l’enquête sont mises à l’abri Dumas, de revoir son manuscrit
d’Or. Longtemps journaliste d’inves- dans le coffre de Fayard et Victor ain d’y relever toute imprécision,
tigation (pour Le Canard enchaîné, Castanet élabore un document incohérence ou erreur. Cette der-
la revue XXI, ou Mediapart), auteur Word où il consigne la liste des nière a également fourni une chro-
d’une biographie non autorisée « cinquante accusations les plus nologie, qui récapitule le déroulé
de Luc Besson (Luc Besson, l’homme sensibles », associant à chacune le du génocide en in d’ouvrage. Elle
qui voulait être aimé, Flammarion, nombre de témoins cités et les l’a fait « en amie », autrement dit
2016), ce Parisien de 37 ans a preuves correspondantes. gracieusement…
monté sa maison en 2017 avec une Le coût engagé dans la production tout le monde, sans forcément s’y
grande ambition : se contenter de ce livre (un peu moins de atteler, semble prendre conscience
de publier trois livres « de qualité » 100 000 euros, selon l’éditeur) est, que le fact-checking est indispen-
par an. Sous-entendu, impeccables peut-on penser, rédhibitoire pour sable, il apparaît qu’un genre de
factuellement. des maisons moins solides que non-fiction y échappe : le livre
Inspirée des pratiques de la presse Fayard ou Flammarion. Une idée politique. Ainsi, en 2016, dans
américaine, la méthode qu’il a mise fausse, selon Geoffrey Le Guilcher : La France pour la vie (Plon),
en place avec Clara Tellier Savary, « Je ne crois pas à l’argument inan- l’ancien président de la République
cofondatrice de la maison, est artisa- cier ; c’est plus une question de prio- Nicolas Sarkozy afirmait que son
nale. En 2019, pour L’Amour sous rités. Quand on veut qu’un bouquin ami Vincent Bolloré n’avait « aucun
algorithme, de Judith Duportail, qui ait de l’impact, il faut absolument contrat avec l’État » quand il l’avait
prouvait, documents à l’appui, que qu’il soit solide. La méthode doit invité à passer cinq jours sur son
l’algorithme du site de rencontre faire partie de l’ADN de la maison. yacht, en 2007, lors de son élection.
Tinder était sexiste, les éditeurs ont Beaucoup d’éditeurs et d’éditrices Au moment des faits, Rue89
sollicité deux relectures distinctes, en publient un nombre de titres si élevé et Le Monde avaient pourtant déjà
complément de leur propre travail qu’il est souvent compliqué d’entrer exhumé les archives des marchés
de vériication des sources, des faits en profondeur dans les arcanes d’un publics et démontré que l’homme
et des recherches de l’autrice : « Un texte. » Ils n’auraient simplement d’affaires breton, par l’intermé-
ami spécialisé en informatique et en pas le temps de consacrer des jours, diaire d’une iliale, avait passé des
codage a relu le brevet [du logiciel] et voire des mois, à passer au peigne contrats avec l’État à cette date.
nous en a donné une analyse, et nous in chaque fait avancé. D’où l’intérêt Dans ce même livre, Nicolas
avons aussi fait vériier par quelqu’un de faire appel à des intervenants Sarkozy évoque la campagne amé-
d’autre que la traduction des termes extérieurs, argumentait en 2019 ricaine « violente » qui opposa
du brevet était juste. » Ce travail sup- dans le New York Times le journa- George Bush à Barack Obama. Une
plémentaire a pris quelques jours, liste Anand Giridharadas. Dans sa erreur historique, ces derniers
coûté environ 1 000 euros et s’est critique de Bouleversement. Les n’ayant jamais été rivaux dans la
réalisé en complément de la relec- nations face aux crises et au change- course à la Maison Blanche. Muriel
ture du livre par un avocat. ment (Gallimard, 2020), livre selon Beyer, qui a publié au cours de sa
La supervision juridique, qui vise à lui très approximatif du géographe carrière François Bayrou, Gérald
protéger les maisons et les auteurs et historien américain Jared Darmanin et Nicolas Sarkozy,
55
GRAINES DE PAMPA.
Photos Alessandra SANGUINETTI — Texte Flora GENOUX
56
LE PORTFOLIO
Page de gauche, les Ophélies, 2001.
Ci-contre, les bergères, 1998.
58
LE PORTFOLIO
Alessandra Sanguinetti/Magnum Photos
65
De gauche à droite, tapis De Stijl, d’Eileen
Gray, réédité par ClassiCon. Belle saison,
de Sibylle De Tavernost, en collaboration
avec Anissa Kermiche, Sibylle De Tavernost.
So Much Fun, de Claude Cartier, CC-Tapis.
DU TROTTOIR, l’œil est attiré par une œuvre abstraite Leleu (Maison Leleu), d’André Arbus (Manufacture Cogolin) ou de
de grand format accrochée au mur d’une boutique du bou- Charlotte Perriand (CC-Tapis) mettent en lumière. Et que poursuivent
levard Saint-Germain, à Paris. Un tapis tissé main en laine de les designers contemporains.
Nouvelle-Zélande où, sur un fond écru, se découpent un À la faveur de l’engouement actuel pour l’artisanat et du retour en force
rond beige, des lignes perpendiculaires aux traits noirs plus des motifs, de la couleur et du goût pour les atmosphères narratives dans
ou moins épais et un carré bleu marine. Avec son modèle les intérieurs, le tapis tout sauf passe-partout vient retrouver sa place au
De Stijl, Eileen Gray (1878-1976) avait imaginé, il y a cent ans, centre du décor, note Florence Bourel, directrice artistique de la maison
cet équilibre parfait de formes géométriques qui vient d’être française Toulemonde Bochart, dont le chiffre d’affaires ne cesse d’aug-
réédité par l’allemand ClassiCon. La pièce, ainsi que trois menter depuis dix ans, avec une accélération ces trois dernières années.
autres modèles de la célèbre architecte et designer irlan- « Alors qu’il n’était qu’un accessoire de confort, souvent uni et beige, il
daise, était présentée à Paris, fin janvier, au showroom devient depuis peu une œuvre d’art, une signature, une affirmation de son
Silvera, à l’occasion de Paris Déco Off, une semaine de pré- goût personnel. Autour de lui, on peut construire la décoration d’une pièce
sentation des éditeurs et créateurs de la décoration, baro- entière », renchérit la décoratrice et distributrice de mobilier contempo-
mètre des tendances. À quelques centaines de mètres de là, rain Claude Cartier, qui vend régulièrement des pièces entre 5 000 et
les toutes jeunes maisons Rhizomes et Édition 1.6.9 expo- 13 000 euros dans sa boutique lyonnaise, ce qui ne lui arrivait quasiment
saient leurs tapis d’artistes contemporains dans des galeries jamais auparavant. Autre signe d’un marché en ébullition : les tapis de
du quartier. Au même moment, au nord de Paris, la designer créateurs – signés Virgil Abloh, Supakitch, Misaki Kawai… – proposés par
Jenna Kaës, sélectionnée par un jury d’experts comme l’un Ikea il y a six ans, se sont arrachés avant d’être revendus une fortune en
des cinq talents français émergents, faisait sensation au seconde main. « Le tapis est comme une prairie intérieure, qui peut évoquer
salon Maison & Objet avec ses tapis néogothiques en un extérieur, s’il s’appuie sur un dessin figuratif, ou un ailleurs onirique, si
ClassiCon. Eva K. Salvi/Sybille De Tavernost
moquette de polypropylène brûlée au chalumeau et empiè- l’on propose un motif abstrait. Sa dimension narrative en fait aussi un élé-
cement de fourrure de mouton verte recyclée. ment incontournable à une époque en quête de sens », s’enthousiasme
Le tapis renoue depuis peu avec le succès et redevient un l’artiste Pierre Marie, qui vient de dessiner un modèle pour la boutique
objet de créativité, comme cela a été le cas au XXe siècle et Hermès de Vienne, un autre pour le studio d’architecture milanais Dimore
particulièrement pendant la période Art déco. À partir des et un troisième à moins de 400 euros pour Monoprix.
années 1920, les décorateurs ont invité des artistes contem- Les jeunes éditeurs de tapis – 1.6.9, Maison Rhizomes, Diacasan, Sibylle
porains à créer des pièces en rupture avec les motifs clas- De Tavernost, Atelier Tortil ou Tapicheri… – se multiplient et engagent des
siques, rappelle Cécile Tajan, responsable des ventes design collaborations ambitieuses avec des designers et des artistes contempo-
chez Sotheby’s. Une recherche que les récentes rééditions rains. Ils s’inscrivent, par là, dans l’essor du collectible design, ce design de
d’Eileen Gray, chez ClassiCon, donc, mais aussi de Paule collection unique ou numéroté, distribué en galerie et dans les foires,
66
LE GOÛT
Palm Springs, After the Bushfire, photographie d’Er win Olaf/Galerie Rabouan Moussion
Guillaume Grasset/Claude Car tier,
“Alors qu’il n’était qu’un accessoire de confort, souvent uni et beige, il devient
depuis peu une œuvre d’art, une signature, une affirmation de son goût
personnel. Autour de lui, on peut construire la décoration d’une pièce entière.”
Claude Cartier, décoratrice
LE GOÛT
sur le même modèle que l’art contemporain, porté par Marcelis a transcrit dans une forme libre le geste de la main pour ôter la
des sites très haut de gamme comme Invisible Collection. buée des miroirs, Patricia Urquiola a dessiné une succession de camaïeux
« Mon travail de déchirures, de collages, de matières et de reliefs qui se succèdent sur une forme organique, tandis que Faye Toogood a
peut être exprimé sur des tapis et se rapproche de l’art des mul- imaginé Doodles, un tapis comme un découpage géant irrégulier sur lequel
tiples, où une œuvre se décline en plusieurs exemplaires », igurent des motifs dessinés à main levée, rehaussé par la combinaison de
constate l’artiste Charlotte Culot, qui a imaginé plusieurs ils épais et ins, créant ainsi différentes hauteurs et textures, de la plus lisse
œuvres abstraites pour Rhizomes. Sam Baron, auteur de à la plus hirsute. Un vocabulaire de initions très riche procuré par la mul-
pièces pour Nodus, GUR ou Tai Ping, aborde le tapis comme titude des techniques sur lesquelles s’appuie CC-Tapis – comme la plupart
« une feuille de papier vierge, une page blanche dont on va de ses concurrents – et que l’éditeur présentera en avril au Salon du meuble
pouvoir s’emparer librement. À nous, designers, de trouver le de Milan : crochet, brodé main, petit point ou point de chaînette…
dessin qui va avoir une présence et un relief qui vont le rendre Autant de savoir-faire ancestraux qui viennent aussi remettre au premier
aussi captivant qu’une pièce tridimensionnelle ». Pour la collec- plan les vertus fonctionnelles du tapis, dont l’acte de naissance remonte
tion Florae Folium (Tai Ping), il a ainsi associé de la grosse à plusieurs siècles avant notre ère. « Il absorbe les sons, délimite une zone,
laine, pour le côté poudré de la leur, à de la soie, pour le permet de modiier la perception sensorielle (ouïe, toucher, chaleur) d’une
brillant des pétales, et à des ibres plastiques pour le pistil… pièce ou l’équilibrer, mais aussi de nous rapprocher du sol pour une
ambiance plus informelle », détaille l’architecte d’intérieur Chloé Nègre,
LES
modèles contemporains aux courbes grande amatrice de tapis, qui a dessiné cinq modèles pour la maison
irrégulières tissent une nouvelle histoire Pinton. Ces dernières années, l’éditeur français a collaboré avec de nom-
des tapis qui s’affranchissent des breux artistes, dont le peintre Julien Colombier ou le décorateur Pierre
rectangles et carrés millénaires. Ces Gonalons pour des modèles colorés, comme des nouveaux classiques
tissages-sculptures, CC-Tapis, dont qua- qui viennent égayer une pièce. « Le tapis a une importance cruciale dans
siment aucune pièce n’arbore de forme traditionnelle, en a fait la création d’une ambiance. C’est un objet autour duquel on se réunit et
sa spécialité. Un pari audacieux pour Fabrizio Cantoni, qui qui procure un confort tactile et visuel », résume l’Espagnole Nani
s’est lancé il y a treize ans. « À l’époque, les gens se ichaient Marquina, fondatrice de la maison qui porte son nom au tout début des
complètement du tapis, se souvient le fondateur de la maison années 1980 et dont le catalogue afiche les plus grands noms du design
italienne. C’était un secteur poussiéreux, comme celui des cous- – dont Doshi Levien, Ronan et Erwan Bouroullec ou Jaime Hayon, pour
sins ou du papier peint. Le tapis contemporain noué main ne citer qu’eux. Elle se souvient de son premier tapis, dessiné en 1982,
– cette technique ancestrale utilisée pour les tapis d’Orient – de ses débuts chaotiques, avec l’amusement de celle qui règne
n’existait tout simplement pas. » Pour l’éditeur italien, Sabine aujourd’hui sur l’un des plus beaux catalogues de tapis de designers.
68
Lampadaire Axel
Chay × Monoprix.
180 €. monoprix.fr
RÉÉDITION
Serge Mouille
remet la TABLE.
Serge Mouille a marqué l’histoire
du design avec ses créations en
métal découpé, en aluminium ou
en laiton. Orfèvre et sculpteur, il
ouvre son atelier en 1945, dans
lequel il fabrique des lustres, des
appliques murales et des rampes
en métal. En 1953, l’architecte
décorateur Jacques Adnet lui com-
mande des luminaires, dont il
devient un virtuose en proposant
des modèles dépouillés en métal
laqué noir, inspirés à la fois des
Le maharaja courbes féminines et de la nature.
Yeshwant Il est repéré en 1956 par le gale-
Rao Holkar II,
en 1931. riste Steph Simon – qui expose
aussi Charlotte Perriand et Jean
Prouvé – et commence à recevoir
des commandes publiques. Inscrit
dans la création contemporaine,
le designer est aussi membre de
la Société des artistes décorateurs
LIBREMENT INSPIRÉ
et, à ce titre, participe au Salon des
du MAHARAJA.
LES COLLECTIONS MASCULINES DE KARTIK
Vrillée, l’une des seules pièces de
mobilier qu’il dessinera, composée
d’un plateau en verre elliptique
reposant sur une structure décou-
pée dans une tôle d’acier de
RESEARCH MÊLENT TRADITIONS INDIENNES
10 millimètres d’épaisseur formant
ET LIGNES EUROPÉENNES, À LA MANIÈRE
un piètement cruciforme. À
DU DERNIER PRINCE D’INDORE.
l’époque, une trentaine d’exem-
plaires sont réalisés. Depuis le
CRACK EN MATHS, Kartik Kumra a étudié lancées. Ses costumes pouvaient être taillés dans
début de l’année, le modèle est
l’économie à l’université de Pennsylvanie, à des tissus locaux et il fréquentait l’intelligentsia
réédité par les héritiers du desi-
Philadelphie (États-Unis), avant de repartir vivre à étrangère, comme Man Ray, qui le photographia.
gner, fabriqué dans la même
Kar tik Research. National Por trait Galler y, London. Éditions Serge Mouille
New Delhi (Inde), sa ville natale, pour fonder, il y Quant à son palais, Manik Bagh [bâti en 1930], il
manufacture qu’à l’époque, près
a trois ans, son propre label de mode, à seulement rassemblait des porcelaines typiquement
de Château-Thierry, dans l’Aisne,
21 ans. Baptisé Kartik Research, ce laboratoire sty- indiennes, des poignards de chasse ou des tapis de
où ce dernier avait posé ses valises
listique veut « valoriser en premier lieu les savoir- velours imprimés de tigres, avec du mobilier
en 1963. Marie GODFRAIN
faire » indiens, explique l’autodidacte, qui a mis Bauhaus ou des détails Art déco », sans compter
un an à fédérer un réseau de fabricants à travers le les œuvres de Brancusi et l’argenterie Puiforcat. TABLE VRILLÉE, DE SERGE MOUILLE, PRIX
SUR DEMANDE. SERGE-MOUILLE.COM
sous-continent. Laine tissée sur des métiers vieux C’est cet équilibre entre Orient et Occident qui
de deux siècles, broderies en perles faites main, inspire les chemises en velours à imprimés pais-
doublures imprimées au bloc de bois, teintures ley ou les ensembles workwear matelassés et
naturelles à l’écorce d’arbre… Ses collections mas- imprimés indigo. Mais aussi ce costume en coton
culines valorisent « le geste avant tout ». Pour le tissé à chevrons, d’un noir sobre et aux détails
printemps-été 2024, une igure l’a particulière- princiers : le pantalon, porté haut, s’accompagne
ment inspiré : le maharaja d’Indore, Yeshwant Rao d’une ceinture ton sur ton qui marque la taille,
Holkar II (1908-1961). « Ce fut un mondain pas par- tandis que la veste à double boutonnage dévoile
ticulièrement connu en Inde, raconte Kartik Kumra. un lumineux revers en soie. Valentin PÉREZ
Ce qui m’a séduit chez lui, ce sont les confrontations
peu conventionnelles entre l’Inde et l’Europe qu’il a 740 € LA VESTE, 370 € LE PANTALON. KARTIKRESEARCH.COM
70
De gauche à droite
et de haut en bas,
plateau Edgar, L’Objet,
295 €. eu.l-objet.com
Plateau en bois,
La Maison de commerce,
145 €. lamaisonde
commerce.com
Plateau Norr, de
Skagerak Design pour
Fritz Hansen, 99 €.
fritzhansen.com
Plateau Corniche M,
Reine Mère, 63 €.
reinemere.com
VARIATIONS À travers BOIS. Savoir-faire manuel d’excellence, l’ébénisterie s’exprime aussi bien avec des pièces imposantes,
comme des buffets ou des fauteuils, qu’au travers d’objets plus accessibles pouvant requérir différentes techniques de travail du bois. Le
plateau en chêne et poignées en cuir Norr en est une parfaite illustration, dans sa plus simple expression, chez Fritz Hansen, tout comme
le modèle Corniche, en chêne massif et contreplaqué fabriqué dans le Jura par un ébéniste partenaire de l’éditeur Reine Mère, qui assure
à travers la France le maintien et le développement de petits ateliers de proximité. Pour son très beau travail de marqueterie appliqué au
plateau Edgar, L’Objet a fait appel à des artisans chinois. Enin, La Maison de commerce, qui repère à travers l’Europe des techniques ances-
trales, propose des plateaux, en peuplier teinté, façonnés à la main par un artisan inlandais. Des intemporels qui vont se patiner et embellir
avec le temps. Texte Marie GODFRAIN — Réalisation Fiona KHALIFA — Photo Maona MICOUD — Scénographie Marie LABARRE
TÊTE CHERCHEUSE une poupée qui est, chez Bonello, une lui proposer non seulement d’en
allégorie récurrente », analyse la être, mais aussi d’endosser le rôle-
actrice funambule.
LA COMÉDIENNE, MÈRE INFANTICIDE M UTIQUE DANS
révèle vénéneuse. « Ce qui compte
pour moi, c’est qu’un personnage ait,
comme ici, une épaisseur. Pour le
reste, premier, deuxième ou sixième
des années de silence. De cette pre-
mière fois, Guslagie Malanda
retient, « face à la caméra, le senti-
ment d’être une funambule ».
“SAINT OM ER”, D’ALICE DIOP, INCARNE UNE POUPÉE rôle, je m’en moque », assure-t-elle. Pourtant, entre la sortie de ce pre-
SENSIBLE ET VÉNÉNEUSE DANS “LA BÊTE”, LE Cinéphile, khâgneuse aux biblio- mier film et celle de Saint Omer,
DERNIER LONG-MÉTRAGE DE BERTRAND BONELLO. thèques débordantes, cette actrice s’écoulent quasiment huit ans sans
UN NOUVEAU RÔLE MARQUANT POUR L’ACTRICE DE née dans une famille « intello » de qu’on la revoie à l’afiche. Elle tente
34 ANS AUX CHOIX EXIGEANTS. Pontoise – mère professeure, nor- de s’épanouir en commissaire d’ex-
malienne et agrégée d’allemand, positions indépendante, décryptant
père ingénieur – dit ne s’être l’approche de plasticiens émer-
« jamais autorisée à rêver de gents (Nathanaëlle Herbelin, Hamid
cinéma ». Elle est étudiante en his- Shams, Sirine Ammar…), tandis
toire de l’art lorsque, un soir de qu’elle revient systématiquement
2012, lors d’un vernissage, un dépitée des castings. Prostituée,
DAN S “SAINT OMER”, inconnu lui glisse un numéro. Il droguée, terroriste, radicalisée… on
D’ALICE DIOP, elle était Laurence s’agit d’un coiffeur qui agit pour sa ne lui suggère d’endosser que des
Coly, une femme jugée aux assises cliente directrice de casting Sarah emplois stéréotypés à l’image de la
pour avoir abandonné son bébé sur Teper. « Mais ça va pas la tête ! » Il a place dévalorisante dévolue aux
une plage à la marée montante, de fallu qu’elle perde son pari contre personnages issus des banlieues,
plus en plus statique et indéchif- son petit ami de l’époque pour musulmans ou noirs. « Sans comp-
frable à mesure que le procès qu’elle se décide à l’appeler, ter les accents africains qu’on me
avance. Un an après, Guslagie penaude. Elle passe une audition réclamait tout le temps, moi qui ai
Malanda remonte le cours du temps pour le film alors en préparation, grandi dans le Val-d’Oise. Je tombais
avec La Bête, le nouveau film de Mon amie Victoria (2014), de Jean- des nues. C’était comme si le cinéma
Bertrand Bonello en salle le 7 février. Paul Civeyrac. était aveugle à la jeunesse qui
Dans ce voyage spatiotemporel qui « J’ai séché un cours pour y aller, se émerge et qui, à tous les niveaux, n’a
s’étire sur plus de deux siècles, l’in- souvient-elle. Lors de la première plus envie d’être ramenée à des cli-
telligence artiicielle init par anes- rencontre, je n’avais aucun texte. chés. » Elle dit non à tout, déçue
thésier tout sentiment humain. Jean-Paul Civeyrac m’a simplement mais intègre. Jusqu’à ce qu’Alice
Guslagie Malanda y surgit en Kelly, demandé de choisir un morceau de Diop entame Saint Omer.
Léa Seydoux et une poupée gagnée par les émo- musique et m’a filmée en train de La carrière mondiale du ilm, dou-
Guslagie Malanda,
dans La Bête, tions qui se met à avoir le cœur qui l’écouter. » Elle croit avoir échoué blement récompensé à la Mostra de
de Bertrand Bonello. bat. « Quelle joie de pouvoir jouer mais, un an après, est rappelée pour Venise, va tout bouleverser. Depuis,
quand on lui demande sa profession,
Guslagie Malanda répond toujours :
« actrice ». Adepte de bushcraft, la
vie en pleine nature, elle rêverait
d’interpréter une survivaliste, songe
à flirter avec la tragédie sur les
planches et espère avant tout être
dirigée par « des auteurs qui voient
dans le monde quelque chose de plus
grand qu’eux. Si c’est pour se conten-
ter d’un regard qui restreint, ça ne
sert à rien de faire de l’art », décrète-
t-elle. Admiratrice de Krzysztof
Kieślowski, de Chantal Akerman ou
d’Agnès Varda, « des réalisateurs qui
se débattent avec le cinéma et vont
jusqu’au bout du geste artistique »,
elle a appris désormais à faire
connaître aux cinéastes son désir de
collaborer avec eux. « Aujourd’hui,
sourit-elle, je suis davantage armée
pour aller chercher ce que je veux. »
Valentin PÉREZ
Carole Bethuel
Coups de
BELLES FEUILLES
MAÎTRES.
L’ÉDITEUR ITALIEN CASSINA, CONNU
POUR PROPOSER TOUJOURS À LA VENTE
LES CLASSIQUES DE L’HISTOIRE
DU DESIGN, A ÉLABORÉ UN CATALOGUE
AVEC DES DOCUM ENTS INÉDITS.
AVEC SON CATALOGUE COMPOSÉ DES P LUS GRAN DES En 1973, l’éditeur décide de réunir ces maîtres disparus dans une À gauche, la
ICÔNES DU MOBILIER DU XX e SIÈCLE, Cassina jouit d’une place collection dédiée, iMaestri était née. Un catalogue de quatorze reconstruction
par Cassina,
exceptionnelle dans un monde du design fasciné par sa propre igures du design moderne auquel l’éditeur consacre une somme en 2006,
histoire. D’ailleurs, l’éditeur italien ne s’en cache pas, il tire une à l’occasion de son cinquantième anniversaire. « Nous avons voulu du Cabanon
grande majorité de ses revenus des chaises, fauteuils, canapés un livre à la fois accessible et précis », détaille Ivan Mietton, qui a Le Corbusier,
à Roquebrune-
et tables dessinés par ces figures que sont Le Corbusier, collaboré avec le directeur artistique Nicola Aguzzi. Le fondateur Cap-Martin
Charlotte Perriand ou Gio Ponti… Une spécialité, construite du studio Undo-Redo a imaginé un livre à la fois très coloré et (1952). À droite,
une chaise
dans le temps, que raconte Ivan Mietton, historien du design, bourré d’informations précises et d’illustrations, dont certaines appartenant à la
curateur et auteur du livre Echoes, consacré à ces maîtres. inédites : des dessins de Charles Mackintosh prêtés par la Glasgow Hill House, de
« Cassina est la première entreprise à avoir proposé des rééditions School of Art, de Carlo Scarpa conservés aux archives de Charles Rennie
Mackintosh,
de mobilier moderniste, explique-t-il. À la in des années 1950, la Castelvecchio, à Vérone, des planches-contacts du catalogue ori- document de la
galeriste suisse Heidi Weber négocie avec Le Corbusier l’édition ginal de Gio Ponti ou une photo du prototype d’un canapé de Vico collection iMaestri
de son mobilier de 1929, les célèbres fauteuils Grand confort ou Magistretti inalement jamais entré en production. « Pour ce mobi- de Cassina.
Cassina Historical Archive. Mattia Balsamini
la Chaise longue, en métal, dessinés avec Pierre Jeanneret et lier très connu, nous nous devions de proposer des documents iné-
Charlotte Perriand. Très vite, le succès commercial est au rendez- dits et pas du déjà-vu », juge Ivan Mietton. Chaque portrait de
vous et Heidi Weber, qui fait fabriquer ce mobilier par Cassina, designer est constitué d’une courte biographie, d’un tableau chro-
n’arrive pas à suivre les demandes de sa clientèle. Au moment du nologique (reprenant les dates et les noms d’époque de ses créa-
décès de Le Corbusier, elle décide donc de céder ses droits à l’édi- tions) ainsi que de photos et de textes consacrés à ses principales
teur italien. » Cassina acquiert au même moment les droits du œuvres. Une somme en anglais destinée aux professionnels et aux
père de la modernité, l’architecte écossais Charles Rennie passionnés de design qui permet de rappeler combien ces clas-
Mackintosh, et du designer néerlandais Gerrit Rietveld. siques étaient loin d’en être au moment de leur création.
« Aujourd’hui, on a du mal à réaliser à quel point vendre ce mobi- ECHOES: CASSINA. 50 YEARS OF IMAESTRI. SOUS LA DIRECTION D’IVAN MIETTON,
lier était visionnaire », rappelle Ivan Mietton. RIZZOLI, 352 P., 85 €. CASSINA.COM
73
EXERCICE DE STYLE
DESSOUS
dessus.
LONGUE ET PUDIQUE À L’ORIGINE,
LA CULOTTE S’EST RACCOURCIE
ET SIM PLIFIÉE AU FIL DU TEM PS.
AU POINT QUE CERTAINES FILLES
L’ARBORENT À LA VILLE AUSSI
NATURELLEM ENT QU’UN PANTALON.
74
LE GOÛT
4
LE GOÛT
Lily McMenamy,
à Londres,
le 24 janvier.
LE VISAGE RAPPELLE CELUI Combien d’enfants ayant grandi sur révèle, apprend les archétypes de la Mais la singularité du travail de Lily
DE L’ACTRICE Nastassja Kinski dans les banquettes de boîtes de nuit ou comédie classique, ainsi que du McMenamy, son caractère unique,
Paris, Texas. Même jeunesse qui dans les backstage des salles de mime. « La découverte du bouffon, ne tient sans doute pas seulement là,
semble consciente, désabusée spectacle ont tout fait pour fuir cet de l’idée d’un personnage qui dans la pop anglo-saxonne. Elle
même, du temps qui passe, que environnement ? Combien se sont incarne l’excès, le grotesque, a réside sans doute dans ce que cer-
chez l’héroïne du film de Wim rangés des voitures dont ils avaient changé les choses pour moi. » taines artistes, à mi-chemin entre la
Wenders. Même regard un peu été, trop tôt, les passagers ? Lily Au début des années 2010, dit-elle, performance et le rire, ont su inven-
perdu. Même timidité. Mais, quand McMenamy a passé une enfance plu- « les mannequins se devaient d’être ter sur scène. Valérie Lemercier, en
Lily McMenamy commence à par- tôt calme, avec sa mère, à Londres. sexy. Me transformer, jouer avec les premier lieu, dont l’intensité des
ler, c’est tout son corps qui s’anime. Elle se souvient avec émotion des codes du laid, avec l’idée de mons- spectacles a quelque chose de sur-
Les traits deviennent incroyable- « virgin mojitos » sirotés au bar des truosité, du difforme, c’était une réaliste. Lily McMenamy a récem-
ment expressifs, les longs bras établissements de son père, ou des façon de prendre le pouvoir sur mon ment découvert d’anciens sketchs de
minces s’agitent. Et, alors qu’on gardes du corps chargés par ce der- parcours, ma vie ». Dans ses perfor- la Française et en a été marquée. Elle
l’interviewe ce jour de janvier sur nier de la surveiller dans ses boîtes mances, dont elle a parfois publié cite aussi la Suisse Zouc, sensation
son parcours, ce qui la stimule, de nuit quand elle venait en vacances le travail préparatoire sur son du théâtre francophone des
voilà qu’elle parsème son récit à Paris. Le jour même où elle init le compte Instagram, elle se met dans années 1970. Un temps internée
d’imitations : individu rencontré la lycée, elle prend l’Eurostar pour la la peau d’une poupée détraquée dans un hôpital psychiatrique, elle
veille, vieille connaissance… France, où elle devient mannequin. qui prend vie, comme une marion- avait tiré chez les patients, les visi-
Des personnages, elle en incarnera Elle déile pour Hedi Slimane, pour nette libérée de ses ils qui fait ses teurs et le personnel médical une
dix-sept à la Bourse de commerce, Marc Jacobs, qui la fait avancer sur le premiers pas. Elle retourne à galerie de personnages. Quelque peu
à Paris, qui l’invite à jouer le seule- podium portant seulement un short Londres, s’inscrit dans une école oubliée du grand public aujourd’hui,
en-scène A Hole Is a Hole, dans le et des gants de résille noire. Une d’art respectée, le Goldsmiths elle n’en est pas moins toujours une
cadre du programme de concerts et image qui marque les esprits. College, y obtient un master. référence dans l’univers de la perfor-
de performances faisant écho à la Lily McMenamy est l’un des visages Thème en apparence frivole, éloi- mance, grâce à sa gestuelle et à sa
vaste rétrospective consacrée à l’ar- du début des années 2010. Mais, gnée du réel, la question du manne- puissance sur scène, parfois extrême,
tiste américain Mike Kelley. Et Lily très vite, elle en a assez. « J’ai passé quinat la travaille. Parce qu’il la que Lily McMenamy admire dans les
McMenamy, 29 ans, se démultipliera tellement de temps à dépendre du concerne personnellement, mais nombreuses vidéos qu’on trouve sur
sur scène, passant d’un personnage désir des autres, à rester silencieuse. aussi parce qu’elle y voit un lien YouTube. Une force qui impression-
à un autre avec une rapidité prodi- J’ai eu envie d’exister pour moi- direct avec la question du féminisme. nait l’écrivain Hervé Guibert, auteur
gieuse. « Ce sont différentes versions même. » La mannequin évoque la Elle cite la peintre Marlene Dumas : d’un livre d’entretiens avec l’artiste
de moi-même. » sensation de son corps comme « Être une femme, c’est être de facto (Zouc par Zouc, Balland, 1978 ;
Les avatars de A Hole is a Hole, dont celui d’une poupée muette. Sur un modèle. » Et la penseuse Susan Gallimard, « L’Arbalète », 2006) dans
elle a écrit le scénario et conçu la Google, elle tape : « cours de théâtre Sontag : « Vivre, c’est poser. » Elle lequel elle disait notamment : « Il est
scénographie, forment le récit de sa qui ne sont pas psychologiques ». évoque les stars de la pop, Kate Bush maladroit d’exprimer par des mots
vie. Une vie pas comme les autres. L’algorithme lui suggère l’école notamment, qui l’ont marquée, avec des dimensions qui dépassent bien les
Des parents, d’abord. Lily Jacques-Lecoq, institution créée leur capacité à se mettre dans la mots. » Les performances de Lily
McMenamy est la fille de Hubert par le professeur du même nom peau de personnages pour exprimer McMenamy ne pourraient être
Boukobza et de Kristen McMenamy. (1921-1999), apôtre du « théâtre leurs drames les plus intimes. Et elle mieux résumées.
Le premier, né en 1950 et mort en physique ». Soit une vision du qualifie Madonna de « muse abso-
2018, a été l’une des grandes igures métier d’acteur très intense qui lue », par ses dizaines d’avatars créés
du monde de la nuit parisienne. privilégie l’expressivité, les mouve- au il des décennies. « Tous les perfor- A HOLE IS A HOLE, DE LILY MCMENAMY,
À LA BOURSE DE COMMERCE-PINAULT
Personnage épicurien, haut en cou- ments du corps, plutôt que l’inté- meurs, quels qu’ils soient, ne peuvent COLLECTION, 2, RUE DE VIARMES, PARIS 1 er,
leur, homme d’affaires, il a possédé riorité, la psychologie. Là, elle se qu’être impressionnés par elle. » LE 7 FÉVRIER.
des restaurants et surtout géré les
Bains Douches, à Paris, boîte de nuit
dont il fera un hub où se croiseront
célébrités françaises, stars hol-
lywoodiennes, personnalités de la
mo de. L’Américaine Kristen
McMenamy, elle, est mannequin,
parmi les plus respectés du milieu
pour avoir notamment travaillé
dans les années 1980 et 1990 avec
quelques-uns des plus grands pho- Lily McMENAMY,
tographes, de Steven Meisel à Paolo
Roversi, en passant par Peter
Lindbergh et Juergen Teller. Tout
cela a marqué A Hole is a Hole.
Ainsi, dans ces dix-sept person-
nages, il y a le père, écrasant
la vie en rôles.
L’ACTRICE ET MANNEQUIN S’APPRÊTE À INTERPRÉTER
SON SEULE-EN-SCÈNE, “A HOLE IS A HOLE”, À LA BOURSE
(d’amour, d’excès), mais aussi une
DE COM M ERCE, À PARIS. LA PERFORM EUSE FORMÉE AU
videuse de boîte de nuit, person-
M IM E Y INCARNE UNE GALERIE DE DIX-SEPT PERSONNAGES
nage gouailleur comme l’était
TRUCULENTS QUI RETRACENT SA PROPRE EXISTENCE.
Edwige, physionomiste du Palace,
surnommée « la reine des punks ». Texte Clément GHYS — Photo Lee WHITTAKER
77
LE GOÛT
L’ESPRIT DU LIEU Diplômé d’une école de commerce, passé par le groupe Axa,
Alexandre Chapellier est aussi collectionneur de longue date
79
pied ces signatures olfactives, à l’aide de parfumeurs et de tendu (plafond compris) d’une tapisserie rayée crème, rose À gauche, la suite numéro 2,
ciriers français, détaille-t-elle. La première, un vétiver calmé tendre et leurie signée Pierre Frey, abrite une longue ban- avec tapisserie et velours
bleu nuit tendus aux murs,
par de la noisette verte ou de la fève tonka, suggère l’avant- quette sur mesure avec platine vintage intégrée, une console mobilier et hi-fi vintage.
réception. La deuxième est un chypré loral, une rose fumée à laquée au-dessus de laquelle trône une lithographie de Alexandre Chapellier,
l’encens mixéé à du patchouli et de la mousse de chêne : c’est Bernard Buffet igurant l’allure sérieuse de François Mauriac. fondateur de Cinabre, dans
le jardin d’intérieur de la
une évocation de la fête effervescente. La troisième, à base de Il faut laisser son regard s’échapper pour repérer des suite numéro 1.
lierre et de rose fraîche, a été la plus délicate : on voulait cap- dizaines de touches personnelles du propriétaire des lieux.
turer l’odeur de Paris vers 6 heures du matin, lorsqu’on rentre Un casque de pompier parisien de la in du XIXe siècle, ses
prendre un dernier verre ou s’écrouler, rincé par la nuit. » vieux vinyles laissés à disposition, des photos encadrées de
À terme, Alexandre Chapellier espère transformer ses sen- ses aïeuls datant des années 1950, des beaux livres qui
teurs en véritables parfums pour la peau. Mais aussi propo- dévoilent les ressorts de son goût et portent sur le dan-
ser des plaids, de la papeterie (développée avec Duvinage), dysme, les jardins, Henri Samuel, Madeleine Castaing, Jean
des trousses réalisées avec des chutes de tissus. « Viendront Prouvé ou Loulou de La Falaise… « Je ne voulais surtout pas
des verres, de la porcelaine, des vide-poches, des shakers », d’appartements froids ou trop Pinterest », dit Alexandre
énumère l’entrepreneur. Une diversiication qui pourra trou- Chapellier en révélant un bar à cocktails rouge vermillon
ver sa place dans les deux suites à louer. La première, bai- dissimulé dans un salon feutré bleu nuit.
gnée de beige, comprend une salle de bains carrelée de CINABRE, 14, CITÉ BERGÈRE, PARIS 9 e. À PARTIR DE 650 €
blanc et de vert tendre ; une cuisine tout équipée ; une LA NUIT POUR UNE SUITE. CINABRE-PARIS.COM
grande table à manger jouxtant un bar à cocktails et un
canapé vintage Beka ; un petit jardin d’hiver où lire et deviser Lucas Lehmann pour M Le magazine du Monde
DU PRÉCIPICE ? Pour mieux mesurer l’état de cette peur collective, le Bilan du Monde dresse l’état des lieux des
198 pays du globe après une année d’épreuves et d’événements locaux et globaux.
PARCE QU’ILS SONT BON MARCHÉ, les feutre qui ont servi à la rénovation du bâtiment,
hôtels Eklo sont rarement situés en centre-ville. un ancien immeuble de bureaux des années 1970.
Rien de tel à Montpellier, où le dixième établisse- La rondeur d’une lampe ou d’un miroir brise
ment de la chaîne a ouvert en novembre à deux l’orthogonalité des lignes. Dans les espaces de
pas de la gare Saint-Roch. L’enregistrement se fait vie, au rez-de-chaussée, l’hôtel assure l’anima-
au bar. L’équipe est aussi enjouée que les clients tion, avec karaoké, mini-concert ou cours de
attablés entre amis ou collègues. Quant à la salsa le week-end. Baby-foot, terrain de pétanque
chambre, elle est familiale : ces alcôves juchées et jeu d’arcade complètent la proposition. Le
au-dessus du lit double raviront les enfants ou les buffet du petit déjeuner est très correct, tout
adultes en quête d’un cocon régressif. Rien ne comme le menu du restaurant. Rare à
manque au confort de la pièce au sol stratiié, au Montpellier, un jardin promet d’être délicieux
matelas douillet et à la climatisation eficace. De aux beaux jours. Deux oliviers commencent à
petits détails décoratifs attirent le regard, comme peine leur croissance sur la terrasse.
ces appliques Sammode qui ressemblent à un
bâton lumineux pris dans une résille de métal ou
CHAMBRE DOUBLE À PARTIR DE 63 € LA NUIT,
ces chaises vintage Cartel de Belleville. Le pla- LIT EN DORTOIR À PARTIR DE 25 €, 4, RUE JULES-FERRY.
fond en béton brut porte encore les repères au EKLOHOTELS.COM/FR/MONTPELLIER
82
LE GOÛT
84
LA TOUCHE
GRAPHIQUE
Le logo de la marque
Bialetti : un homme à
moustache, pointant
son doigt vers le ciel,
dessiné par
Paul Campani.
LA CAFETIÈRE STAR
La Moka Alpina,
entièrement verte,
avec un couvercle
reprenant la forme
du célèbre chapeau
à plume des chas-
seurs alpins italiens.
de ces pizzas, il faut lie avec son accent. Aux murs, les
photos monochromes racontent
l’histoire des Grasso. Une famille
S’il en reste dans l’assiette, les bords
légèrement brûlés appellent à sau-
cer. Le goût évoque celui d’une belle
86
ÉCOLOGIQUEMENT VÔTRE L’OUVRE-TOUT italien. L’“AP ROTUTTO” (littérale-
ment « j’ouvre tout », en français),
est un classique du design industriel
italien, confectionné en une seule
matière : une tôle d’Inox épaisse et
résistante, pliée, découpée et éven-
tuellement laquée. Il a été créé dans
les années 1950, pendant le boom
économique, lorsque les fabricants,
aidés par des créatifs, introduisaient
sur le marché de nouveaux outils
pour faciliter la vie domestique.
Depuis, il se range dans presque tous
les tiroirs de cuisine de la Péninsule
et en sort très souvent, car, malgré
son dessin très simple, il accomplit
de multiples tâches, en cuisine ou
ailleurs. Sa forme triangulaire
convient à tous les diamètres de
couvercle ; grâce à sa prise en main
ergonomique, l’ouverture des
bocaux s’opère avec un minimum
d’effort. Les deux découpes cen-
trales permettent à la fois de dévis-
ser les bouchons les plus tenaces et
de décapsuler bières, sodas ou
autres bouteilles. Une pointe en Inox
soudée sur son angle arrondi perce
et ouvre le haut des boîtes de
conserve et déchire facilement le
ruban adhésif sur les cartons ou les
emballages. Enin, peu épais, l’apro-
tutto se glisse dans l’interstice entre
le couvercle et le pot de peinture
pour en faciliter l’ouverture par effet
de levier. Né pour la cuisine, cet outil
ingénieux et polyvalent s’empoigne
aussi bien pour le bricolage que lors
des pique-niques dans la nature.
Texte Stefania DI PETRILLO
Photo Jonathan FRANTINI
MATÉRIAU
Acier Inox thermolaqué.
BÉNÉFICE VERT
Universel et inusable,
il regroupe plusieurs fonctions
en un seul objet.
PRIX
Environ 6,50 euros.
calder.it
Chaque fin de semaine,
une personnalité raconte
son histoire du goût au
micro de Géraldine Sarratia.
Le podcast “Le Goût de M”
est disponible sur toutes
les plates-formes et chaque
vendredi sur la page
lemonde.fr/le-gout-de-m
CLARA YSÉ.
LA CHANTEUSE, EN TOURNÉE AVEC SON ALBUM “OCEANO NOX”, EST L’INVITÉE
CETTE SEMAINE DU PODCAST “LE GOÛT DE M”.
« Enfant, je passais ma vie « J’ai une photo de Frida « J’ai commencé par écrire
à chanter. Quand j’avais Kahlo chez moi. Elle fait de la poésie. Pour moi,
6-7 ans, ma grand-mère a partie des artistes qui cela se situait du côté
rencontré Yva Barthélémy, m’ont pas mal inspirée. de la musique. J’étais fan
une grande professeure J’adore ses œuvres, je les des poétesses Ingeborg
de chant lyrique. Elle avait trouve magnifiques. Elle Bachmann, Marina
70 ans, c’était quelqu’un représente aussi pour moi Tsvetaïeva, Anna
d’extraordinaire, d’un peu la figure très puissante Akhmatova, de René Char,
sévère mais tellement d’une personne qui a de Pessoa. La poésie est
habitée par la musique. connu une forme de rési- aussi une façon de
Elle m’a laissée assister lience, même si je me répondre à une trahison
à ses cours et ce sont méfie de ce mot. Elle a su du langage, en inventant
mes premiers souvenirs réinventer un univers plus un autre ordre de parole
d’extase. » fort que celui qui a été pour refaire émerger de
Jean-François Rober t
Mots croisés
Philippe DUPUIS
GRILLE N O 646 Sudoku
Yan GEORGET
N O 646 - TRÈS DIFFICILE
SOLUTION DE LA GRILLE
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 PRÉCÉDENTE
II
III
Compléter toute
IV la grille avec des
chiffres allant de 1
V à 9. Chacun ne doit
être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
VI par colonne et par
carré de neuf cases.
VII
VIII
IX
Bridge N O 646
FÉDÉRATION FRANÇAISE DE BRIDGE
XI
XII
XIII
XIV
XV
89
LE GOÛT
DECOTEC
Signature, la collection très actuelle de DECOTEC répond en élégance
et fonctionnalité à vos envies. Mariant le mix-matière Laque & Bois,
Laque & Compact ou total look en placage Chêne clair ou foncé ou
encore laqué, combinez les modules à porte, à tiroirs et à niche ouverte
de différentes dimensions et aménagez sans contrainte votre espace
d’eau. Choisissez un plan et une vasque à poser dont l’extérieur est
assortie aux façades des tiroirs, ou une vasque monobloc en Céramique
ou en Solid Surface. https://decotec.fr/collections/signature
SERENA
LIGNE ROSET UZIYEL
Imaginée par Patrick Pagnon et Claude Pelhaître, Serena Uziyel est une créa-
Book&Look offre une multitude de combinaisons : trice de chaussures et de
étagère murale, bibliothèque, meuble TV, bahut, sacs d’origine turque. Les
meuble de séjour… disponibles dans plus de 15 chaussures sont fabriquées
options de laque et de noyer, pour se marier avec en Italie mais chaque élé-
tous les intérieurs. Dotés d’étagères en verre ou ment décoratif est fabriqué
en aluminium, les en Turquie par une commu-
meubles de séjour et les nauté d’environ 250
bahuts peuvent accueil- femmes que la créatrice a
lir des niches avec un constituée au il du temps, préservant ainsi les techniques
fond lumineux doté de locales anciennes et soutenant ces igures féminines par le
LED. Le système push travail, un projet d’empowerment et de préservations
d’ouverture des portes d’artisanat très cher à la créatrice. La signature de la
possè de une butée en marque dans ses collections est le motif Catena (chaine),
silicone qui offre un qui symbolise un désir d’union et de soutien entre les
amorti silencieux. femmes. Parmi les illes qui ont porté la marque, on re-
www.ligne-roset.fr trouve Isabeli Fontana,Ana Beatriz Barros et FridaAasen.
www.serenauziyel.com