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Valeurs
APRÈS LE FIASCO DE L’AFFAIRE D’OUTREAU
NO 3609 DU 27 JANVIER AU 2 FÉVRIER 2006

LES RÉPLIQUES D’UN SÉISME JUDICIAIRE


pages 27 à 31

Valeurs
« IL N’EST DE RICHESSES QUE D’HOMMES. » JEAN BODIN

A C T U E L L E S

CATASTROPHE D’AZF
NOS NOUVELLES REVELATIONS

LA DOUBLE
EXPLOSION
CONFIRMEE
Expertises, témoignages,
Notre enquête
pages 32 à 37

enregistrement :
des preuves supplémentaires.
3:HIKMSB=UUXWUU:?d@q@k@j@a;
DOM : 4,60 € - BEL : 3,50 € - MAR : 43 DH - TUN : 2,3 DT
- ZONE CFA : 2400 CFA - CAN : 4,75 DC - MAY : 5,20 €

Après avoir porté plainte


M 02810 - 3609 - F: 3,20 E

contre “Valeurs Actuelles”,


la SNPE se désiste…
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■ L’ E N Q U Ê T E

par Franck Hériot et Jean-Christian Tirat


CATASTROPHE D’AZF

Toulouse : la d
explosion con
ÉRIC CABANIS/AFP

32 Valeurs Actuelles du 27 janvier 2006


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21 SEPTEMBRE 2001,

G. BOUQUILLON-P. PARROT/CORBIS
LE HANGAR 221
VIENT D’EXPLOSER
Une catastrophe
sans précédent: 30 morts,
9000 blessés, 100000 victimes
à des degrés divers, soit
un Toulousain sur quatre.
Estimation des seuls dégâts
matériels: 2 milliards d’euros.

a double Mais, en octobre 2004, le juge Per-


riquet,chargé de l’instruction,avait lancé
une autre expertise,confiée à Alain Ho-
din,spécialiste des accidents industriels
et explosions. Cette fois, il lui était ex-
pressément demandé de tenir compte

onfirmée
« des témoignages,observations et enregis-
trements relatant des événements antérieurs
à l’explosion du bâtiment 221 :phénomènes
lumineux et sonores,éclairs,boules de feu,
désordres électriques… ».
Nous avons pu consulter ce rap-
port de 150 pages.
Alain Hodin relève notamment le
cas des personnes renversées par un évé-
nement antérieur à l’explosion des ni-
insi, 70 % des Toulousains, trates,et qui ont vu «la tour verte de prilling

L’explosion
du vendredi
A soit quelque 250 000 per-
sonnes, qui ont nettement
perçu deux explosions, le
21 septembre 2001,auraient été victimes
(de granulation),située sur le site d’AZF,
décoller comme une fusée » (Valeurs Ac-
tuelles du 2 avril 2004). « La compréhen-
sion des phénomènes conduisant au “dé-
d’une hallucination collective ! C’est en collage” du prilling, écrit l’expert, serait
21septembre tout cas ce que l’on pouvait conclure à
la lecture du rapport de trois spécia-
de nature à pouvoir expliquer la succes-
sion des phénomènes, sans aucun doute
listes en sciences de la Terre grenoblois, corrélés.»
2001 a bien chargés par le juge Perriquet d’analyser Nous sommes loin du “Rapport
les aspects sismiques de la catastrophe, d’étape et de synthèse”remis le 31 août
été précédée à l’aide,notamment,des essais menés l’an
dernier sur le site d’AZF.
2004, dans lequel les premiers experts
persistaient à soutenir l’hypothèse d’une
d’une première, Dans leur rapport daté du 8 juin
2005, les trois Grenoblois concluaient
soupe chimique ayant explosé toute seule
(Valeurs Actuelles du 1er octobre 2004).
qu’il n’y avait eu «qu’une seule explosion»,
sur le site voisin qu’elle s’était produite dans le hangar Des témoignages enfin pris
221 d’AZF et que le premier « bruit » en compte par des experts
de la SNPE. entendu par les Toulousains, quelques
secondes avant celui de l’explosion du Ce“décollage”de la tour de prilling,
Trois nouvelles tas de nitrates, s’expliquait par une dif-
férence de vitesse entre les ondes sonores
avant l’explosion finale, est au moins
un point sur lequel tout le monde est
se déplaçant dans le sol (ondes “P”) et d’accord. Même la SNPE, qui admet
expertises, celles qui se déplacent dans l’air : 3 000 l’existence de ce phénomène. Dans un
mètres-seconde au moins pour les ondes communiqué publié le 20 septembre
auxquelles “P”, propagées à grande vitesse par la
croûte terrestre – jusqu’à 15 000 mètres-
dernier sur son site Intranet, on peut
en effet lire : « Il est établi par l’analyse
nous avons eu seconde pour les ondes de très grande
profondeur – et 345 mètres-seconde,
des alarmes de la tour de prilling,qui a“dé-
collé”juste avant l’explosion du hangar 221,
accès, et un au plus, pour le son “aérien”.
Des expertises qui s’obstinaient à
qu’un phénomène anormal a été enregistré
dans les secondes précédant l’explosion » !
ne pas tenir compte des très nombreux Ce n’est pas tout.Alain Hodin ana-
enregistrement témoignages faisant état d’un inter-
valle constant de 4 à 15 secondes entre
lyse trois témoignages qu’il met en
exergue, en raison de la précision de
renforcent les deux “phénomènes acoustiques”
principaux.Et ce,quelle que soit la dis-
leur description et de leur proximité
par rapport au site.
nos conclusions. tance entre le témoin et le site AZF,
qu’il se trouve à 300 mètres ou à 40 ki-
Celui, d’abord, de Mme G. Elle se
trouvait dans un local du lycée Gallieni,
lomètres de là. à 600 mètres au nord du cratère. Elle a

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FAUTE DE MOYENS,
L’ENQUÊTE DU JUGE
AVANCE LENTEMENT
Ci-contre, le juge d’instruction
Thierry Perriquet, chargé de l’enquête
sur la catastrophe. Il dit envier
les moyens mis en œuvre par l’avocat
de Total, Me Daniel Soulez-Larivière
(ci-dessous). À droite, manifestation
devant le palais de justice
de Toulouse, le 21 septembre dernier.

d’abord entendu un bruit d’explosion


associé à des vibrations et observé si-
multanément une lueur blanche-
bleuâtre, intense, dans son champ de
vision,plus large qu’un éclair d’orage,lé-
gèrement courbe, se dirigeant d’est en
ouest « à la vitesse d’un vol d’oiseau »,
précise madame G. à Valeurs Actuelles.
Six à huit secondes plus tard,une se-
conde explosion survient, dont les ef-
fets sont destructeurs.L’expert constate
que la lueur est associée à la première ex-
plosion et que le décalage entre les ef-
fets sonores est conforme aux enregis-
trements.
P. PAVANI/AFP

Le rapport précise encore : « Selon


Mme G.,le site AZF n’était pas visible de
sa fenêtre,mais elle pouvait ob-
server le nord de la SNPE », ce pondant manifestement pas au phénomène
que confirme l’expert géo- d’explosion du hangar 221 » que décrit le
mètre, M. Sompeyrac. C’est troisième témoin : R.L.,alors au volant
justement dans cette usine de sa voiture sur l’A64, au sud-ouest
que se situe le deuxième té- du pôle chimique.Il entend d’abord une
moignage mis en exergue par explosion,courte et sèche.Tout en frei-
l’expert;celui de monsieur D. nant, il jette un regard sur les usines et
Il se déplaçait sur le site de observe une colonne de fumée verticale,
la SNPE lors des événements. gris foncé, tournoyant et évoluant ra-
E. CABANIS/AFP

Il décrit d’abord une pidement. D’un diamètre approxima-


bourrasque de couleur mar- tif de 5 à 10 mètres et d’une hauteur
ron-vieux rose,de forme com- d’environ 300 à 400 mètres, elle se pro-
pacte,se dirigeant rapidement longe par une protubérance.
vers l’est. Il est à ce moment-là projeté et cylindrique à droite de la cheminée Pendant deux à trois secondes,R.L.
au sol, deux à trois mètres en arrière, de la chaufferie, semblant dépasser de observe,à la base du panache,une « bulle »
tout en ressentant un bruit sourd, grave celle-ci et dont la couleur était iden- blanchâtre d’une trentaine de mètres de
et prolongé. En se relevant, il voit une tique à celle de la bourrasque. C’est diamètre qui s’est ensuite affaissée.Il a vu
colonne de fumée verticale, rectiligne cette colonne cylindrique « ne corres- alors l’onde de choc lui arriver dessus
« comme le jet d’un caillou dans l’eau »,
avant qu’elle ne l’atteigne, comme un
JUSTICE et d’action » le 5 janvier « coup de tonnerre », associé au dévelop-
dernier. Valeurs Actuelles pement d’un nouveau panache rouge-
Le désistement en a pris acte.
La décision a été
ocre produisant des flammes.
Le premier panache se dissolvant
de la SNPE entérinée par le tribunal
de grande instance de
progressivement derrière le second, le
témoin localise ce panache vertical entre
l y a près de deux 2003 et 2 avril 2004, Paris. Ce désistement, un château d’eau et la cheminée de la
I ans, la SNPE avait consacrés loin de changer notre SNPE, c’est-à-dire dans une direction
décidé de poursuivre à la catastrophe d’AZF. position sur l’existence différente de celle du hangar 221, sans
notre journal en La SNPE s’est probable d’une première toutefois être certain de sa position pré-
diffamation après finalement ravisée explosion, cise.
la publication de deux puisqu’elle nous le 21 septembre 2001, D’autres témoins sont encore cités,
articles dans les a signifié son sur le site de la SNPE, qui attestent de la formation de ce pa-
numéros des 17 octobre « désistement d’instance la renforce. nache et qui ont vu la première explosion
(Valeurs Actuelles du 17 octobre 2003).

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L’ E N Q U Ê T E C ATA S T R O P H E D ’ A Z F

sions nous paraît la plus plausible.» C’est


aussi l’avis d’un autre expert. Le PrYves ■ DOCUMENT
Grenier, le spécialiste en acoustique de
l’École nationale supérieure des télé-
communications (ENST) de Paris, Nouvelle
consulté par la commission d’enquête
interne de Total,démontre formellement,
en s’appuyant notamment sur les es-
preuve audio
sais sismiques de septembre 2004, que Un enregistrement récemment
le premier signal sonore perçu par la remis à la justice confirme
population et enregistré par neuf appa- les deux explosions.
reils différents ne peut pas provenir d’une
onde sismique. D’abord parce qu’il est
entendu beaucoup trop tôt pour cor- P lus de quatre ans après
la catastrophe, il existe encore
respondre à l’arrivée de cette onde “P”, des pièces à conviction qui n’ont pas
ensuite parce que le signal enregistré se été communiquées à l’instruction.
situe dans une gamme de fréquences très Valeurs Actuelles vient de le prouver
élevée,de l’ordre de 5000 hertz,alors que en remettant au juge Perriquet, une
l’onde sismique ne dépasse pas 300hertz bande audio réalisée le 21 septembre
(basses fréquences). « L’événement E1 et 2001, lors de la réunion d’un comité
l’événement E2,affirme l’expert,n’ont pas d’entreprise, dans le centre
la même source. (…) Ceci exclut définiti- de Toulouse, à trois kilomètres
vement l’hypothèse selon laquelle E1 au- du hangar 221.
rait une origine uniquement due à la pro- Voici ce que l’on y entend:
pagation souterraine de l’onde sismique « Madame X: En revanche…
GEORGES GOBET/AFP

engendrée par l’explosion.» (premier bruit d’explosion).


Troisième expertise,également com- Madame Y: Hola!…silence…
mandée par Total, celle du professeur Madame X, reprenant,
Patrick Naylor, de l’Imperial College of imperturbable: en revanche…
London.Celui-ci a notamment étudié les Monsieur X: C’est une explosion ça!
L’expert est circonspect quant à l’ex- données audionumériques du sonomètre Monsieur Y: C’est un bruit de moteur.
plication du phénomène. Il exclut ce- de la chambre de commerce et d’indus- Monsieur X: Comment?
pendant qu’il puisse être associé à l’ex- trie, situé à Ramonville, sur les côtes de Monsieur Y: C’est un bruit de mot…
plosion des nitrates du hangar 221 : Pech-David.Grâce à ce sonomètre,d’une (deuxième explosion,beaucoup plus
« L’examen des effets de absolue précision, installé puissante) »
L. BONAVENTURE/AFP

souffle sur monsieur D.nous pour mesurer la pollution Suivent des cris, des hurlements
conduit à retenir comme très acoustique liée au trafic aé- de panique et des sirènes d’alarme.
vraisemblable l’existence rien,le Pr Naylor parvient Entre les deux phénomènes, huit
d’une explosion différente enfin à dater les explo- secondes environ se sont écoulées.
de celle du hangar.(…) Cer- sions : la première à Le 2 décembre, l’expert Yves Grenier
taines descriptions des évé- 10h17 m55 s 8/10.La se- était sur place pour analyser
nements indiquent que ce conde à 10h18 m 6 s. le magnétophone et la bande
phénomène a été observé Ce point est remarquable originale, heureusement conservés. Ce
avant l’explosion du hangar car si l’on se réfère à la serait ainsi le septième enregistrement
221.(…) Sur la base des dif- datation du sismomètre sonore versé au dossier. Il n’est jamais
férents témoignages, on ne de l’Observatoire Midi- trop tard pour bien faire… en effet,
peut que conclure qu’il y a Pyrénées (OMP) – élé- les auteurs de cette bande avaient
eu au moins un événement ment clé de la thèse “of- immédiatement prévenu le procureur
antérieur à l’explosion du ficielle” – et à celle des de la République de l’époque,
hangar, dont l’aspect visuel ➤ L’ancien procureur experts partisans de l’ex- Michel Bréard, auquel ils avaient
indique qu’il s’est déroulé un Michel Bréard, plosion unique, voire aux communiqué une copie de cette pièce
processus de combustion aujourd’hui avocat résultats des tests sis- essentielle, le 11 octobre 2001.
moins turbulent que l’explo- général à Bordeaux. miques de 2004, on dé- Pourtant, ce n’est que le 21 octobre
sion de l’ammonitrate,vrai- couvre que leur datation 2005 que ce document a été remis
semblablement une combustion gazeuse.» de la seconde explosion (10 h 17 m 55 s) au juge Perriquet… quatre ans
Enfin, M. Hodin estime « très vrai- correspond en réalité à la première. et dix jours plus tard! J.-C. T.
semblable » une explosion confinée à Pourquoi? Une autre question à laquelle ■ La bande-son de cet enregistrement
proximité de la chaufferie SNPE avant tout le monde aimerait pouvoir ré- peut être consultée sur notre site
de conclure : « La thèse des deux explo- pondre. ● www.valeursactuelles.com

Grâce au sonomètre de la CCI, extrêmement précis, le Pr Naylor, de


l’Imperial College of London, parvient à dater les deux explosions: la
première à 10h17 m 55 s et 8/10; la principale à 10h18 m et 6 s.
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L’ E N Q U Ê T E C ATA S T R O P H E D ’ A Z F
N
E
S
par Jean-Christian Tirat le porte-parole de l’usine avait déclaré: c
EXCLUSIF « C’est une procédure industrielle normale,
qui ne va pas durer et qui ne représente au-
d
E

La preuve
cun danger pour la population.» le
Dix jours plus tard, le 30 octobre, p
l’odeur persistait. La Direction régio- ja
nale de l’industrie, de la recherche et de p
l’environnement (Drire) est alors contac-
tée. Elle affirme ne rien savoir. Même

par l’odeur
réaction du côté de l’Observatoire ré-
gional de l’air en Midi-Pyrénées (Ora-
mip).Seul le centre antipoison admet avoir
reçu des appels de riverains inquiets…
S’il semble désormais évident que les
odeurs du 21septembre 2001 provenaient
bien de la SNPE, à quel produit pou-
vaient-elles correspondre?
Les enquêteurs s’intéressent à des Ammoniaque… aldéhydes… nous
avons voulu en savoir plus en entrant
odeurs inhabituelles décrites par de ces deux mots-clés sur les moteurs de
recherche du Web. Cela nous a conduits
nombreux témoins. Elles pourraient de manière récurrente vers un autre mot-
clé:hydrazine,«dont certains composés sont
être liées à l’explosion du hangar 221. utilisés comme combustible dans les fusées.
C’est un liquide toxique transparent, qui
sent comme l’ammoniaque,inflammable,ex-
’est-on suffisamment intéressé minutes du drame.D’autres témoins,em- trêmement corrosif et irritant ». Or, La
S aux témoignages, versés à l’ins-
truction menée par le juge Per-
riquet, faisant état d’odeurs singulières
ployés au parc automobile de la DDE,
entre 8heures et 9heures du matin,confir-
ment la persistance de ces odeurs.Ainsi,
SNPE est connue pour produire les pro-
pergols qui alimentent les moteurs des
fusées Ariane et des missiles de la force
dans les heures qui ont précédé la catas- Mme L., qui décide de fermer les fe- de frappe nucléaire tactique et stratégique.
trophe du 21 septembre 2001 ? Proba- nêtres de son bureau,au moment même Une production qu’il fallait impérative-
blement pas.Pourtant,ce jour-là,l’odeur de l’explosion du tas de nitrate.Atteinte ment sauvegarder, selon Jacques Chirac
était particulièrement insupportable et par des éclats, elle a depuis quasiment lui-même qui s’en était ouvert, début
inhabituelle.Toutes les personnes inter- perdu la vue. L’une de ses collègues, 2002, à l’aéroport de Toulouse-Blagnac.
rogées sont catégoriques et unanimes:«Ce MmeS.,était si incommodée qu’elle avait Le site web de l’Institut national de
n’était pas l’odeur de soufre et de chlore qu’il demandé à l’agent de sécurité de télé- recherche et de sécurité (INRS) précise
y avait d’habitude, explique Mme P., elle phoner à AZF pour se plaindre.Ce qu’il aussi que l’hydrazine est un « agent de
était plutôt piquante.» n’a pas fait,sachant que cela n’aurait au- désoxygénation pour le traitement anticor-
Il est important de préciser que tous cun effet, et pour cause: par vent d’au- rosif des chaudières ». Or, d’importants
ces témoins se trouvaient au nord de tan,comme en ce 21septembre,les odeurs travaux sur les chaudières de la SNPE
l’usine AZF (Voir photo page de droite). ne pouvaient pas venir de là… étaient en cours le 21 septembre 2001…
Exemple: Messieurs Ch.et S.qui décla- L’instruction regorge de dizaines de
rent, sur procès-verbal, que « l’odeur n’a témoignages de la même veine : « forte 88 millions de dollars
jamais été aussi forte que ce matin-là ».« Dès odeur ammoniaquée»;«odeur d’ammoniaque pour la SNPE
avant 8h30, se souvient Mme A., j’ai été insupportable » ou encore, ainsi que l’ex-
frappée de la forte odeur et j’ai été obligée de plique Mme C., une « forte odeur d’am- L’INRS apporte d’autres précisions:
mettre la main devant mon nez et ma bouche. moniaque provoquant des picotements à la « L’hydrazine se décompose,sous l’action de
(…) C’était la première fois en trois ans de gorge et une impression de suffocation (…) » la chaleur ou des radiations UV,en azote,
travail au lycée que nous étions gênés par D’autres témoins vont apporter un hydrogène et ammoniac.(…) Cette réac-
des odeurs venant de Grande Paroisse.»Nous début de réponse à cette énigme. Cette tion d’auto-oxydation libère une grande quan-
sommes alors à moins de deux heures fois, nous ne sommes plus en sep- tité d’énergie et peut devenir violente. En
de la catastrophe. tembre 2001, mais le 20 octobre 2003, présence d’air,elle peut conduire à une igni-
Beaucoup plus tôt, au petit matin, un jour de faible vent d’autan.Ils se trou- tion spontanée de l’hydrazine anhydre.(…)
un agent de la SNCF, monsieur M., en vent alors sur le terrain vague abandonné Les vapeurs d’hydrazine peuvent former des
poste depuis cinq ans,remarque,lui aussi, par la DDE. Une forte odeur leur “at- mélanges explosifs avec l’air.(…) Avec les
une odeur, forte autant qu’inhabituelle. taque” les narines… parmi eux se trou- acides elle forme des sels dont certains sont
Il est formel:«J’ai pris mon service à 4h45. vent des spécialistes.Ils sont catégoriques: explosifs : nitrate, chlorate, perchlorate. »
Une puissante odeur m’a pris à la gorge de il s’agit d’une odeur chimique caracté- Nous savons aussi que la décomposition
façon plus forte que d’habitude.» ristique d’aldéhydes, des dérivés d’hy- de l’hydrazine s’accompagne de la for-
Deux personnes souffrant d’asthme, drocarbures. Mais en ce mois d’oc- mation d’importantes quantités de va-
Ch. et A. P., sont à ce point indisposées tobre 2003,AZF n’existait plus… seule peur d’eau et d’oxyde d’azote. Il se co-
qu’elles utilisent de la Ventoline,remède la SNPE voisine fonctionnait encore. lore au contact de l’air.Il en est de même
bien connu des asthmatiques ou des al- Interrogé au téléphone par un officier des composés alkylés de l’hydrazine.Or,
lergiques.Nous sommes à quarante-cinq de police judiciaire alerté par ces témoins, au cours de notre enquête, nous avons

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NE RIEN LAISSER AU HASARD : TOUT ÉLÉMENT


EST ESSENTIEL DANS UN TEL DOSSIER
Sur cette photo aérienne, on voit très distinctement le cratère
creusé par l’explosion du hangar 221 (1), ainsi qu’un feu
de palettes dont les fumées indiquent la direction du vent (2).
En tenant compte de l’effet girouette que subit le vent,
les odeurs, si elles provenaient du hangar 221, n’auraient pas
pu être perçues par les témoins (signalés par les points
jaunes), hors de l’angle (très ouvert) matérialisé
par les flèches vertes. La SNPE est située en bas à droite.

VA
aussi découvert que l’Oramip avait en- ■ SITE DE LA SNPE
registré,le 21 septembre 2001,sur sa sta-
tion Berthelot,proche du pôle chimique,
des pics de pollution au dioxyde d’azote,
des heures avant la catastrophe.De plus,
Le rapport oublié
sachant que l’hydrazine fuse (propriété Une expertise réalisée Technip-Coflexip et celles réalisées,
utile aux petits moteurs des satellites), sur le site de la SNPE à la demande du ministère
cette particularité rappelle le nuage dé- avant 2001 soulignait de l’Aménagement du territoire
crit par les témoins. et de l’Environnement, par le groupe
Si l’on en croit un communiqué “des risques d’explosion hollandais TNO.Tous les bâtiments
d’Isochem,groupe SNPE,daté du 12mai pouvant apparaître à tous dont le redémarrage était prioritaire,
2004,sous le titre:“Isochem valorise son niveaux”… ceux liés à la production
expertise hydrazine aux USA”,la SNPE des propergols, ont ainsi été
nous apprend qu’un contrat de fabrica-
tion d’hydrazine, d’un montant de À lad’hygiène,
demande du Comité
de sécurité
expertisés. Et les conclusions
des deux cabinets sont similaires.
88,9 millions de dollars, vient d’être si- et des conditions de travail (CHSCT) On peut lire au sujet de l’atelier
gné par des entreprises américaines. Et de la SNPE, le cabinet Eretra, perchlorate n° 310: « Dans cette unité,
Isochem de préciser: « Isochem sera asso- spécialiste en sécurité du travail son état actuel,en termes d’usure,est dû
ciée au programme par le biais d’un contrat et évaluation des risques, effectuait plus à la corrosion qu’à tout effet
de licence pour sa technologie de fabrication une étude sur le site de Toulouse accidentel.En outre,certains désordres
d’hydrazines alkylées.(…) Un savoir-faire durant les jours précédant s’avèrent venir de l’installation
qu’Isochem maîtrise depuis de nombreuses la catastrophe. Selon l’AFP, de matériels non appropriés,abandonnés
années sur son site deToulouse.»Cependant, les experts d’Eretra auraient affirmé depuis.» L’état de corrosion des locaux
et la précision est savoureuse, l’hydra- immédiatement après la catastrophe: revient régulièrement dans le rapport
zine base (hydrate d’hydrazine) à partir « Nous avons recueilli la semaine dernière Technip dès qu’il est question
de laquelle travaille Isochem n’est pas pro- des témoignages alarmants (…) quant de ces ateliers: « La charpente,
duite sur place.Elle est livrée en citernes à des risques immédiats touchant globalement,est essentiellement corrodée
par l’usine Arkema de Lannemezan,une à la sécurité (…) notamment des risques par l’exploitation » ou encore: « Les
entreprise… du groupe Total! d’explosion pouvant apparaître conséquences de l’explosion et l’état
Ces odeurs d’ammoniaque quelques à tous niveaux.» Information reprise de corrosion de certains bâtiments rendent
heures avant la catastrophe ont-elles un à l’époque par la presse toulousaine les réhabilitations possibles mais
lien avec la première explosion? Com- qui avait “cru”comprendre que urgentes.» De même pour les ateliers
ment celle-ci aurait-elle provoqué un ef- l’expertise concernait AZF, et donc hydrazine, l’atelier UDMH:
fet de dominos comme semblent le mon- qualifiée à tort d’usine poubelle! « Ossature corrodée.» Quant à l’atelier
trer nos découvertes? A-t-elle un lien avec Deux autres expertises, versées MMH, l’expertise ne fournit que
les phénomènes électriques et électro- à l’instruction du juge Perriquet, deux mystérieux points
magnétiques avérés par de nombreux confirment les constatations initiales d’interrogation: « ?? » (sic). Enfin,
témoignages? Le mystère demeure.Mais d’Eretra: celles menées, pour au sujet de la toiture, on peut lire:
c’est une piste à suivre. ● le compte de la SNPE, par le cabinet « toiture non vue! ». J.-C. T.

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