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LE 3

BOURGEOIS

GENTILHOM ME.

COMEDIE-BALLET.

Faite à Chambort , pour le Diver


tiffement du Roy.

Par J.B.P. MOLIERE .

Suivant la Copie imprimée


A PAR I S.
M. DC. LXXX.
ACTEURS.

MONSIEUR JOURDAIN, Bourgeois.


MADAME JOURDAIN , fa Femme.
LUCILE, fille de Monfieur Jourdain.
NICOLE , Servante.
CLEONTE , Amoureux de Lucile.
COVIELLE, Valet de Cleonte.
DORANTE , Comte , Amant de Dorimene.
DORIMENE , Marquife.
MAISTRE DE MUSIQUE.
ELEVE CU MAISTRE DE MUSIQUE.
MAISTRE A DANCER.
MAISTRE D'ARMES.
MAISTRE DE PHILOSOPHIE.
MAISTRE TAILLEUR .
GARÇON TAILLEUR .
DEUX LAQUAIS.
PLUSIEURS MUSICIENS , MUSICIEN
NES , JOUEURS D'INSTRUMENS,
DANCEURS , CUISINIERS , GARÇONS
TAILLEURS , & autres perfonnages des In
termedes & du Ballet.

La Scene eft à Paris.


3
LE

BOURGEOIS

GENTILHOMME.

GOMEDIE-BALLET.

L'Ouverturefe fait par un grand affemblage d'inftru


mens ; & dans le milieu du theatre , on voit un Eleve
du Maistre de Mufique , qui compofefur une table un air
quele Bourgeois a demandépour une Serenade.

ACTE PREMIER.
SCENE PREMIERE.
MAISTRE DE MUSIQUE , MAISTRE
A DANCER , TROIS MUSICIENS ,
DEUX VIOLONS , QUATRE
DANCEURS.
51 Mre DE MUSIQUE parlant àfes Muficiens.
Enez , entrez dans cette falle , & vous
J repofez là, en attendant qu'il vienne.
Mre A DANCER, parlant
aux Danceurs.
Et vous auffi, de ce coſté.
Mre DE MUSIQUE , à l'Eleve.
Eft- cefait ?
L'ELEV E.
Ouy.
Mre DE MUSIQUE.
Voyons..... Voilà qui eft bien.
A 2 Mre A
LE BOURGEOIS
Mre A DANCER.
Eft-ce quelque chofe de nouveau ?
Mre A MuSIQUE.
Ouy, c'est un air pour une ferenade , que je luy
ay fait compofer ici , en attendant que noftre hom.
me fût éveillé.
Mre A DANCER.
Peut-onvoir ce que c'est ?
Mre D E MusIQUE.
Vous l'allez entendre , avec le dialogue , quand il
viendra. Il ne tardera guére.
Mre A DANCER.
Nos occupations , à vous , & à moy nefont paspe
tites maintenant.
Mre DE MusIQUE,
Il eft vray. Nous avons trouvé ici un homme
comme il nous le faut à tous deux. Ce nous eft une
douce rente que ce Monfieur Jourdain , avec les vi
fions de nobleffe & de galanterie qu'il eft allé fe
mettre en tefte. Et voftre Dance , & ma Mufique au
roient àfouhaiter que tout le monde lui reſſemblaſt.
Mre A DANCER.
Non pas entierement ; & je voudrois pour luy ,
qu'il fe connuft mieux qu'il ne fait aux choſes que
nous luy donnons.
Mre DE MusIQUE.
Il eft vray qu'il les connoift mal , mais il les paye
bien ; & c'eft dequoy maintenant nos arts ont plus
befoin , que de touteautre chofe.
Mre A DANCE R.
Pourmoy , je vous l'avouë, je me repais un peu de
gloire. Les applaudiffemens me touchent; & je tiens
que dans tous les beaux arts, c'eft un fupplice affez
facheux , que de fe traduire à des fots ; que d'effuyer
fur des compofitions , la barbarie d'un ſtupide. Ily
a plaifir , ne m'en parlez point , à travailler pour des
perfonnes qui foient capables de fentir les délicatel
fes d'un art ; qui fçachent faire un doux accueil aux
A beau
GENTILHO M M E. 5
beautez d'un ouvrage ; & par de chatouillantes apro
bations , vous regaler de voftre travail. Ouy , la re
compenfe la plus agreable qu'on puiffe recevoir dés
chofes que l'on fait , c'est de les voir connuës , de les
=loy voir careffées d'un applaudiffement qui vous hono
1
re. Il n'y a rien, à mon avis,qui nous paye mieux que
cela de toutes nos fatigues ; & ce font des douceurs
exquifes , que desloüanges éclairées.
Mre D E MusIQUE.
J'endémeure d'accord, & je les goûte comme vous.
Il n'y a rien affurement qui chatouille d'avantage
que les applaudiffemens que vous dites , mais cet en
cens ne fait pas vivre. Des louanges toutes pures , ne
mettent point un homme à fon aife : Il y faut mefler
du Solide ; & la meilleure façon de loiier, c'eſt de
louer avec les mains. C'eft un homme à la verité
I dont les lumieres font petites , qui parle à tort & à
travers de toutes chofes , & n'applaudit qu'à contre
fens ? mais fon argent redreffe les jugemens de fon
I Efprit. Il a du difcernement dans la bourſe. Ses
loüangesfont monnoyées ; & ce Bourgeois ignorant,
nous vaut mieux , comme vous voyez , que le grand
Seigneuréclairé qui nous a introduits ici.
Mre A DANCER.
Ilya quelque chofe de vray dans ce que vous dites;
mais je trouve que vous vous apuyez un peu trop fur
l'argent ; & l'intereft eft quelque choſe de ſi bas, qu'il
ne faut jamais qu'un honnefte homme montre pour
luy de l'attachement.
Mre DE MusIQUE.
Vous recevez fort bien pourtant l'argent que nô
trehomme vous donne.
Mre A DANCER.
Affurément ; mais je n'en fais pas tout mon bon
heur, & je voudrois qu'avecfon bien , il cuft encore
quelque bon gouft des choſes.
Mre DE M us IQUE.
Je le voudrois aufi,& c'eſt à quoy nous travaillons
A 3 tous
6 LE BOURGEOIS
tous deux autant que nous pouvons. Mais en tout
cas il nous donne moyen de nous faire connoiftre
dans le monde ; & il payera pour les autres " ce que
les autresloüeront pour luy.
Mre A DANCER.
Levoilà qui vient.

SCENE II.
MONSIEUR JOURDAIN, 2.LAQUAIS,
MAISTRE DE MUSIQUE , MAIS
TRE A DANCER , VIOLONS , MU.
SICIENS & DANCEURS.
M. JOURDAIN.
HE' bien , Meffieurs? Qu'eftce? Me ferez-vous
voir voftre petite drôlerie?
Mre A DANCER.
Comment ? Quelle petite drôlerie ?
M. JOURDAIN.
Eh la .... comment appellez vous cela ? Voftre
prologue, ou dialogue de chanfons & de dance.
Mre A DANCER.
Ah, ah.
Mre DE MusIQUE.
Vous nous y voyez preparez .
M. JOURDAIN.
Je vous ay fait un peu attendre , mais c'eſt queje
me fais habiller aujourd'huy comme les gens de qua
lité ; & mon Tailleur m'a envoyé des bas de foye que
j'ay penſé ne mettre jamais.
Mre DE MusIQUE.
Nous nefommes ici que pour attendrevoſtre loifir.
M. JOURDAIN.
Je vous prie tous deux de ne vous point en aller ,
qu'on ne m'ait apporté mon habit , afin que vous mè
puiffiez voir.
Mre A DANCE R.
Toutce qu'il vous plaira.
M. Jou R
GENTILHOMME .
OU! M. JOURDA 1 N.
fore Vous meverrez équipé comme il faut , depuis les
piedsjufqu'à la tefte.
F

Mre DE M us I Qu E.
Nous n'en doutons point.
M. JOURDAIN .
Je me fuisfait faire cette Indienne- ci.
Mre A DANCER.
Elle eft fort belle.
5, M. Jou RDA IN.
Mon Tailleur m'a dit que les gens de qualité
eftoient comme cela le matin.
Mre DE MusIQUE.
Celavous fied à merveille.
S M. Jou RDA I N.
Laquais, hola, mes deux Laquais.
I. LA QUAI S.
Quevoulez-vous Monfieur ?
M. JOURDAIN.
. Rien. C'eft pour voir fi vous m'entendez bien.
Auxdeux Maiftres. Que dites-vous de mes livrées ?
Mre A DANCER.
Elles font magnifiques.
M. JOURDAIN.
Ilentr'ouvrefarobe , &fait voir un haut-de-chauſſe étroit
de velours rouge, & une camifolle de velours vert , dont
il eftvestu.
Voicy encore un petit des-habillé pour faire le ma
tin mes exercices.
Mre DE MusIQUE.
Il eſt galant.
M. Jou RDA IN.
Laquais. 7
I. LA QUAI S.
Monfieur.
M. Jou RDA IN.
L'autre Laquais.

A 4 2. LA
1
LE BOURGEOIS
2. LA QUAI S.
Monfieur.
M. Jou RDA I N.
Tenez ma robe. Me trouvez-vous bien comme
cela ?
Mre A DANCER.
Fortbien. On ne peut pas mieux.
M. JOURDAIN.
Voyons un peu voftre affaire.
Mre DE MusIQUE.
Je voudrois bien auparavant vousfaire entendre
un air qu'il vient de compofer pour la Serenade que
vous m'avez demandée. C'est un de mes écoliers ,
qui a pour ces fortes de chofes un talent admirable.
M. Jou RDA IN.
Ouy ; mais il ne faloit pas faire faire cela par un
écolier ; & vous n'eftiez pas trop bon vous-même
pour cette befoigne- là.
Mre D E MusIQUE.
Il ne faut pas , Monfieur , que le nom d'écolier
vous abuſe. Ces fortes d'écoliers en fçavent autant
que les plus grands Maistres , & l'air éft auffi beau
qu'il s'en puiffe faire. Ecoutez feulement.
M. JOURDAIN.
Donnez- moy ma robe pour mieux entendre....
Attendez , je croy que je feray mieux fans robe....
Non, redonnez-la-moy , cela ira mieux.
MusICI EN chantant.
Je languu nuit &jour , & mon mat eſt extrême ,
Depuis qu'à vos rigueurs vos beauxyeux m'ontfoûmis:
Si voustraittez ainfi , belle Iris , qui vous aime ,
Helas ! quepourriez vous faire aà vos ennemis ?
M. Jou RDA I N.
Cette chanfon me femble un peu lugubre , elle
endort, & je voudrois que vous la puiffiez un peu re
gaillardir par cy, par- là.
Mre D E MusIQUE.
Ilfaut , Monfieur , que l'air foit accommodé aux
paroles. M. JOUR
GENTILHOM ME. 9
M. JOURDAIN .
On m'en aprit un tout-à-fait joly il y a quelque
temps. Attendez... La... Comment eft-ce qu'il dit ?
Mre A DANCER.
Par ma foy, je ne fçay.
M. JOURDAIN.
Ilya du mouton dedans.
Mre A DANCER.
Du mouton ? སྐ
M. JOURDAIN.
Ouy. Ah ! M. Jourdain chante.
Jecroyois Janneton
Auffi douce que belle ; 75
Je croyois Fanneton
Plus douce qu'un mouton :
Helas ! helas !
Elle eft cent fois, millefoisplus cruelle,
Que n'eft le Tygre aux Bois.
N'eft-il pas joly ?
Mre DE MUSIQUE.
1 Leplus jolydu monde.
Mre A DANCER.
Et vous le chantez bien.
M. JOURDAIN .
C'eftfans avoir apris la Mufique.
Mre DE MusIQUE.
Vous devriez l'apprendre , Monfieur, commevous
faites la Dance . Ce font deux arts qui ont une étroi
te liaiſon enfemble.
Mre A DANCER.
Et qui ouvrent l'efprit d'un homme aux belles
chofes.
M. JOURDAIN.
Eft-ce que les gens de qualité aprennent auffi la
Mufique?
Mre DE MUSIQUE,
Ouy , Monfieur.
A 5 M.JOUR
10 LE BOURGEOIS
M. JOURDAIN.
Je l'apprendray donc. Mais je ne ſçay queltemps
je pourray prendre ; car outre le maiftre d'armes qui
me montre , j'ay arrefté encore un Maistre de Philo
fophie qui doit commencer ce matin.
Mre DE MusIQUE.
La Philofophie eft quelque chofe ; mais la Muſi
que , Monfieur , la Mufique....
Mre A DANCER.
La Mufique & la Dance.... La Mufique & la
Dance , c'eft latout ce qu'il faut.
Mre D E MusIQUE.
Il n'y a rien qui ſoit fi utile dans un Eftat que la
Mufique. if
Mre A DANCER .
Il n'y a rien qui foit fi neceffaire aux hommes,
que la Dance.
Mre D E MusIQUE.
Sans la Mufique , un Eftat ne peut ſubſiſter.
Mre A DANCE R.
Sans la Dance, un homme ne fçauroit rien faire.
Mre DE MusIQUE.
Tous les defordres , toutes les guerres qu'on voit
dans le monde , n'arrivent que pour n'apprendrepas
la Mufique.
Mre A DANCER.
Tous les malheurs des hommes , tous lesrevers
funeftes dont les hiftoires font remplies , les béveuës
des Politiques , & les manquemens des grands Capi
que faute de fçavoir
ncer,. tout cela n'eft venu
taines
Da
Comment M. JOURDAIN.
cela?
Mre D E MusIQ
UE.
La guerre ne vient -elle pas d'un manque d'union
entre les hom mes ?
JOURDAIN ,
Cela eft vraM.
y.
M DE
GENTILHO M M E. ,
II
Mre D E MusIQUE.
tous les hom mes appr enoi ent la Mufi que , ne
nelter Et fi
mes feroit ce pas le moyen de s'accorder enſemble , &
de voir daus le monde la paix univ erſelle ?
M. JOURDAIN.
Vous avez raifon.
laM Mre A DANCER.
Lors qu'un homme a commis un manquement
dans fa conduite , foit aux affaires de fa faniille , ou
au gouvernement d'un Eftat , ou an commandement
d'une Armée , ne dit-on pas toûjours , un tel a fait
1 un mauvais pas dans une telle affaire ?
M. JOURDAIN.
Ouy , on dit cela.
Mre A DANCER.
Et faire un mauvais pas , peut-il proceder d'autre
chofe que de ne fçavoir pas dancer ?
M. JOURDAIN.
Cela eft vray , vous avez raiſon tous deux.
Mre A DANGER .
C'est pour vous faire voir l'excellence & l'utilité
de la Dance & de la Mufique .
16 M. JOURDAIN.
F Je comprens cela à cette heure.
Mre D E MusIQ .
Voulez-vous voir nos deux affaires ?UE
M. Jou RDA IN.
Ouy.
Mre DE Mus I QUÈ.
Je vous l'ay deja dit ; c'est un petit effay que j'ay
fait autrefois des diverfes paffions que peut exprimer
la Mufique.
M. JOURDA I N.
Fort-bieu.
Mre D E MusIQUE.
Allons avancez
habillez en bergers . . Il faut vous figurer qu'ils font
,

A 6 M. JOUR
12 LE BOURGEOIS
M. JOURDAIN .
Pourquoy toûjours des Bergers ! On nevoit que
cela partout.
Mre A DANCER.
Lors qu'on a des perfonnes à faire parler en Mufi
que , il faut bien que pour la vray- femblance on
donne dans la Bergerie. Le chant a efté de tout temps
affecté aux Bergers ; & il n'eftguére naturel en Dia
logue , que des Princes , ou des Bourgeois , chantent
leurs paffions,
M. JOURDAIN .
Faffe , paffe. Voyons.
DIALOGUE EN MUSIQUE.
UNE MUSICIENNE , ET DEUX
MUSICIENS.
UNcourdans l'amoureux empire ,
De millefoins eft toûjours agité:
On dit qu'avec plaifir on languir , onfoûpire ;
Mais quoy qu'on puiffe dire ,
Il n'eftrien defidoux que noftreliberté.
1. Mus ICIEN.
n'eft rien defidoux que les tendres ardeurs
I Quifont vivredeux cœurs
Dansune même envie :
On nepeut eftre heureuxfans amoureux defirs z
Oftezl'amour de la vie,
Vous en oftez les plaifirs.
2. Music 1 E N.
Il feroitdoux d'entrerfous l'amoureuse loy .
Sil' on trouvoit en Amourde lafoy:
Maishelas, a rigueur cruelle ,
On ne voit pointde Bergerefidelle
Et cefexe inconftan t , trop indigne dujour,
Doitfairepourjamais renoncer à l'amour.
.I. MusiCIEN.
Aimable ardeur &
M出
GENTILHOM ME .
MusICI ENNE.
Franchife heureuſe !
2. MusI CIE N.
Sexe trompeur !
Vol 1. MusICIEN.
Que tu m'esprécieuse !
MusiCIENN E.
D Quetuplais à mon cœur !
2. Mus ICIEN.
Que tu me fais d'horreur !
I. Mus ICIEN.
Ah! quittepouraimer , cette haine mortells
MusicIENN E.
Onpeut, onpeut te montrer
Une Bergerefidelle .
2. MUSICIEN .
Helas ! où la rencontrer ?
MusiCIENNE.
Pourdefendre noftregloire ,
Je te veux offrir mon cœur.
2. Mus ICIEN.
Mais, Bergere , puis-je croire
Qu'ilne ferapoint trompeur ?
Mus ICIENNE.
Voyonsparexperience
Quides deux aimera mieux.
2. Mus ICIEN.
Qui manqueradeconftance,
Lepuiffentperdre les Dieux.
Tous TROIS.
A des ardeursfi belles
Laiffonsnous enflâmer ;
Ah ! qu'il eft doux d'aimer ,
Quand deux cœursfontfidelles ?
M. JOURDAIN
Eft-ce tout ?
Mre D E " MusIQUE.
Ouy.
A7
14. LE BOURGEOIS
M. JOURDAIN.
Je trouve cela bien trouffé : & il y a là-dedans de
petits dictions affezjolis.
Mre A DANCER.
Voicy pour mon affaire , un petit effay des plus
beaux mouvemens , & des plus belles actitudes dont
une Dance puiffe eftre variée,
M. JOURDAIN.
Sont ce encore des Bergers ?
Mre A DANCER.
C'est ce qu'il vous plaira. Allons.
Quatre Danceurs executent tous les mouvemens diffe
rens, &toutes lesfortes depas que le Maißtre à Dancer leur
commande : Et cette Dance fait lepremier Intermede.
Findupremier Alte.

ACTE II.
SCENE I.
MONSIEUR JOURDAIN , MAISTRE
DE MUSIQUE , MAISTRE A
DANCER , LAQUAIS.
M. JOURDAIN.
Oilà qui n'eft point fot , & ces gens- là
fe trémouffent bien.
Mre DE MUSIQUE.
Lors que la Dance fera mélée avec la
Mufique , cela fera plus d'effet encore ,
& vous verrez quelque chofe de galant dans le petit
ballet que nous avons ajuſté pour vous.
M. JOURDAIN .
C'est pour tantoft au moins : & la perfonne pour
qui j'ay fait faite tout cela , me doit faire l'honneur
de venir difner ceaps. *
Mre ADANCE A.
Tout eft preft.
Mre DE
114
GENTILHOM ME.
M D E MusIQUE. Is
ns&. Au refte , Monfieur , ce n'eſt pas affez , il faut
qu'une perfonne comme vous , qui eftes magnifi
que , & qui avez de l'inclination pour les belles cho
plfes , ait un Concert de Mufique chez foy tous les Mc
credis, ou tous les Jeudis.
M. JOURDAIN.
qualité en ont ?
Eft-ce que les gens deMu
Mre D E sIQUE.
Ouy, Monfieur .
M. JouRDAIN.
J'en auray donc. Cela ſera- t- il beau ?
Mre D E MusIQUE.
Sans doute. Il vous faudra trois voix , un deffus ,
une haute-contre , & une baffe , qui feront accom
pagnées d'une baffe de viole , d'un theorbe , & d'un
claveffin pour les baffes continues , avec deux deffus
de violon pour jouer les ritornelles.
M. Jou RDA I N.
Il yfaudra mettre auffi une trompette marine. La
E trompette marine eft un inftrument qui me plaift , &
qui eft harmonieux.
Mre D E MusIQUE.
Laiffez- nous gouverner les choſes.
E M. JOURDAIN.
Au moins , n'oubliez pas tantoft de m'envoyer des
muficiens, pour chanter à table.
Mrc DE MusIQUE.
Vous aurez tout ce qu'il vous faut.
M. JOURDAI .
Mais furtout, que le ballet foit beN au.
Mre D E MusIQUE.
Vous en ferez content , & entr'autres chofes de
certains menüets que vous y verrez .
M. JOURDAIN.
Ah les menüets font ma dance , & je veux que
vous me les voyiez dancer. Allons, mon Maiſtre.
Mre
16 LE BOURGEOIS
Mre A DANCE R. 1
Un chapeau, Monfieur , s'il vous plaiſt. La, la, la,
La, la, la, la, la, la; La, la, la, bis; La, la, la; La, la. En
cadence , s'il vous plaiſt. La , la, la , la. La jambe
droite. La, la, la. Ne remuez point tant les épaules.
La, la, la, la, la; La, la, la, la, la. Vos deux bras font
eftropiez. La , la , la, la, la. Hauffez la tefte. Tour
nez la pointe du pied en dehors. La , la , la. Dreffez
voftrecorps.
M. JOURDAIN.
Euh !
Mre D E MusIQUE.
Voilà qui eft le mieux du monde.
M. JOURDAIN.
Apropos. Aprenez moy comme il faut faire une
reverence pour faluër une Marquife ; j'en auraybe
foin tantoft.
Mre A DANCER.
Une reverence pour faluër une Marquife ?
M. JOURDAIN.
Ouy. Une Marquife qui s'appelle Dorimene.
Mre A DANCE R.
Donnez-moy la main.
M. JOURDAIN.
Non. Vous n'avez qu'à faire, je le retiendraybien.
Mre A DANCER.
Si vous voulez la faluër avec beaucoup de refpect
il faut faire d'abord une reverence en arriere , puis
marcher vers elle avectrois reverences en avant, &
à la derniere vous baiffer jufqu'à fes genoux.
M. JOURDAIN.
Faites un peu. Bon.
I. LAQUA I S.
Monfieur , voilà voſtre Maistre d'armes qui eft-là ?
M. JOURDAIN.
Dy-luy qu'il entre ici pour me donner leçon. Je
veuxque vous me voyiezfaire.
SCE
GENTI L H. O M M E. 17
SCENE II.
la MAISTRE D'ARMES , MAISTRE DE
3.E MUSIQUE , MAISTRE A DAN
CER , MONSIEUR JOUR
DAIN , 2. LAQUAIS.
MAISTRE D'ARMES , aprés luy avoir mis
le Fleuret à la main.
AL lons, Monfieur,la reverence . Voftre corps droit.
Un peu panché ſur la cuiffe gauche. Les jambes
point tant écartées. Vos pieds fur une même li
gne. Voftre poignet à l'oppofite de voftre hanche. La
pointe de voftre épée vis- a-vis de voftre épaule. Le
bras pas tout- à-fait fi étendu. La main gauche à la
hauteur del'oeil. L'épaule gauche plus quarrée. La
B tefte droite. Le regard affuré. Avancez. Le corps
ferme. Touchez moy l'épée de quarte , & ache
vez de même. Une , Deux . Remettez-vous. Re
doublez de pied ferme. Un faut en arriere. Quand
vous portez la Botte , Monfieur , il faut que l'é
pée parte la premiere , & que le corps foit bien effa
cé. Une , Deux. Allons , touchez moy l'épée de
tierce , & achèvez de même. Avancez. Le corps fer
me. Avancez. Partez de là. Une, Deux. Remettez
vous. Redoublez. Un faut en arriere. En gardé ,
Monfieur , en garde .
Le Maitre d'Armes luy pouffe deux ou trois
Bottes , en luy difant , en garde.
M. JOURDAIN.
Euh ?
Mre D E MusIQUE
Vous faites des merveilles. 5
Mre D' A R ME S.
Je vous l'ay déja dit ; tout le fecret des Armes ne
confifte qu'en deux chofes : à donner , & à ne point
recevoir : Et comme je vous fis voir l'autre jour
par raifon demonftrative , il eft impoffible que vous
rece
18 LE BOURGEOIS
receviez, fi vous fçavez détourner l'épée de votre
ennemy de la ligne de voftre corps ; ce qui nedepend
feulement que d'un petit mouvement du poignet ou
en dedans , ou en dehors.
M. J.o u RDA IN,
De cette façon donc un homme , fans avoir du
cœur, eft feur de tuër fon homme , & de n'eftre point
tué.
Mre D'ARMES.
Sans doute. N'en viftes-vous pas la demonftration?
M. JOURDAIN.
Ouy.
Mre D'ARMES.
Et c'eft en quoy f'on voit de quelle confideration
nous autres nous devons eftre dans un Eftat , & com
bien la ſcience des armes l'emporte hautementfur
toutes les autres fciences inutiles comme la dance ,
la mufique, la......
Mre A DANCE R.
Tout-beau , Monfieur le Tireur d'Armes. Ne par
lez de la dance qu'avec reſpect.
Mre DE MusIQUE.
Apprenez , je vous prie , à mieux traitter l'excel
lence de la Mufique.
Mre D'ARMES.
Vous etes de plaifantes gens , de vouloir compa
rer vos ſcienc es à la mienne !
Mre DE MusIQUE.
Voyez un peu l'homme d'importance !
Mre A DANCER.
Voilà unplaifant animal , avec ſon plaftron !
Mre D'ARMES. ་
Mon petit Maiſtre à Dancer , je vous ferois dancer
comme il faut. Et vous , mon petit Muficien, jevous
ferois chanter de la belle maniere.
Mre A DANCER .
Monfieur le Batteur de Fer, je vous apprendray
voftre Meſtier.
M. JOUR
GENTILHOM ME. 19
M. JOURDAIN au Maistre à Dancer.
Eftez-vous fou de l'aller quereller, luy qui entend
gla tierce & la quarte , & qui fçait tuër un hommepar
raifon demonftrative ?
Mre A DANCER .
Je me moque deſa raiſon démonſtrative , & de fa
tierce, & de fa quarte.
M. JOURDAIN.
Tout-doux, vous dis- je.
Mre D'AR ME S.
Comment? petit impertinent.
M. JOURDAIN.
Eh mon Maistre d'Armes.
Mre A DANCE R.
Comment ! grand cheval de caroffe.
M. Jou RDA IN.
Eh mon Maistre à Dancer.
Mre D'AR ME S.
Si je me jette fur vous....
p₁ M. JOURDAIN.
Doucement.
Mre A DANCER.
Si je mets fur vous la main....
M. JOURDAIN.
Tout-beau.
Mre D'AR ME S.
Je vous étrilleray d'un air....
M. Jou RDA IN.
De grace.
Mre A DANCER .
Je vous rofferay d'une maniere....
M. JOUR DA I N.
Je vous prie.
Mre DE MusIQUE.
Laiffez-nous un peu luy apprendre à parler.
M. Jou RDA I N.
Mon Dieu, arreſtez-vous .
SCE
20 LE BOURO E O IS.

SCENE III.
MAISTRE DE PHILOSOPHIE , MAIS
TRE DE MUSIQUE , MAISTREA
DANCER , MAISTRE D'ARMES ,
M. JOURDAIN , LAQUAIS.

M. JOURDAIN.
Hola , Monfieur le Philofophe , vous arrivez tout
à propos avec voftre Philofophie. venez unpeu
mettre la paix entre ces perfonnes - ci.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Qu'est-ce donc ; Qu'y a t-il , Meffieurs ?
M. JOURDAIN.
Ils fe font mis en colere pour la preference de
leurs profeffions, jufqu'à fe dire des injures , & vou
loir en venir aux mains.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Hé quoy , Meffieurs , faut- il s'emporter de la for
te? & avez- vous point leu le docte traitté que Se
neque a compofé , de la colere? Y a t- il rien de plus
bas & de plus honteux , que cette paffion , quifait
d'un homme une befte feroce? Et la raifon ne
doit- elle pas eftre maiftreffe de tous nos mouve
mens ?
Mre A DANCE R.
Comment , Monfieur ; il vient nous dire des inju
res à tous deux , en méprifant la Dance que j'exerce ,
& la Mufique dont il fait profeſſion ?
Mre DE PHILOSOPHIE.
Un homme fage eft au-deffus de toutes lesinju
res qu'on luy peut dire ; & la grande réponſe qu'on
doit faire aux outrages , c'eft la moderation , & lapa
tience.
Mre D'ARMES.
Ils ont tous deux l'audace , de vouloir comparer
leurs profeffions à la mienne .
Mre DE
GENTILHO M M E. 21
Mre DE PHILOSOPHIE.
Faut-il que cela vous émeuve ! Ce n'eft pas de vai
negloire , & de condition , que les hommes doivent
I difputer entr'eux ; & ce qui nous diftingue parfaite
! ment les uns des autres , c'eſt la ſageſſe, & la Vertu.
S Mre A DANCER.
Je luy foûtiens que la Dance eft une Science à la
quelleou nepeut faire affez d'honneur.
Mre DE MusIQUE.
70 Et moy , que la Mufique en eft une que tous les
Siecles ontreverée.
Mre D'ARMES
Et moy , je leur foûtiens à tous deux, que la Scien
cede tirer des Armes , eft la plus belle & la plus ne
ceffaire detoutes les Sciences.
Mre DE PHILOSOPHIE.
F Et que fera donc la Philofophie ? Je vous trouve
tous trois bien impertinens , de parler devant moy
avec cette arrogance ; & de donner impudemment
le nom de Science à des chofes que l'on ne doit pas
-mêmes honorer du nom d'Art , & qui ne peuvent
eftre comprifes que fous le nomde Meftier mifera
ble de Gladiateur , de Chanteur , & de Baladin ?
Mre D' AR ME S.
Allez, Philofophe de chien.
Mre DE MusIQUE.
Allez , Beliftre de Pédant.
Mre A DANCER.
Allez , Cuiſtre fieffé.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Comment? Marauts que vous eftes....
LePhilofophefejettefur eux, & tous trois le chara
gent de coups, &fortent enfebattant.
M. JOURDAIN,
Monfieur le Philoſophe .
Mre DE PHILOSOPHIE.
Infames ! coquins ! infolens !
M. JOURDAIN.
Monſieur le Philoſophe. Mre
22 LE BOURGEOIS
Mre D'AR MES.
La pefte l'animal.
M. JORDA I N.
Meffieurs.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Impudens ?
M. JOURDAIN.
Monfieur le Philofophe.
Mre BE PHILOSOPHIE.
Diantre foit de l'Afne bafté.
M. JOURDAIN.
Meffieurs.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Scelerats !
M. JOURDAIN.
Monfieur le Philofophe.
Mre DE MusIQUE.
Au diable l'impertinent.
M. JOURDAIN.
Meffieurs.
Mre DE PHILOSOFHI E.
Fripons ! gueux ! traiftres ! impofteurs ! Ilsfortent.
M. JOURDAIN .
Monfieur le Philofophe , Meffieurs , Monfieur le
Philofophe , Meffieurs , Monfieur le Philofophe. Oh
battez-vous tant qu'il vous plaira, je n'y fçaurois que
faire , & je n'iray pas gafter ma Robe pour vous fepa
rer. Je ferois bien fou, de m'aller fourrer parmy eux,
pour recevoir quelque coup qui me feroit mal.

SCENE IV.
MAISTRE DE PHILOSOPHIE , MON.
SIEUR JOURDAIN.
Mrè DE PHILOSOPHIE.
en racommodant fon Colet.
V Enons à noftre Leçon.

M. Jour
GENTILHO M M E. 23
M. Jou RDA IN.
Ah! Monfieur , je fuis fâché des coups qu'ilsvous
ontdonné.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Cela n'eft rien. Un Philofophe fçait recevoir com
me il faut les chofes , & je vay compofer contr'eux
une Satyre du ftyle de Juvenal , qui les déchirera de
la belle façon. Laiffons cela. Que voulez vous ap
prendre ?
M. JOURDA I N.
Tout ce que je pourray , car j'ay toutes les envies
du monde d'eftre fçavant , & j'enrage que mon Pere
& ma Mere ne m'ayent pas fait bien étudier dans
toutes les Sciences , quand j'eftois jeune.
Mre DE PHILOSOPA I E.
Ce fentiment eft raisonnable. Nam fine doctrina
vita eft quafi mortis imago. Vous entendez cela , &
vousfçavez le Latinfans doute.
M. JOURDAIN.
Ouy, mais faites comme fi je ne le fçavois pas.
Expliquez-moy ce que cela veut dire.
8 Mre DE PHILOSOPHIE.
Cela veur dire que fans la ſcience , la vie eſt preſ
que une image de la mort.
M. JOURDAIN.
Ce Latin-là a raiſon.
Mre DE PHILOSOPHIE.
N'avez-vous point quelques principes , quelques
commencemens des fciences ?
M. Jou R DA IN.
Ohouy, je fçay lire & écrire.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Far où vous plaift- il que nous commencions ?
Voulez-vous que je vous apprenne la Logique ?
M. JOURDA I N.
Qu'est-ce que c'eft que certe Logique ?
Mre DE PHILOSOPHIE.
C'eft elle qui enfeigne les trois operations de l'E
fprit. M. Jou Fa
24 LE BOURGEOIS
M. Jou RDAIN.
Quifont-elles, ces trois operations de l'Eſprit ?
Mre DE PHILOSOPHIE.
Lapremiere, la feconde , & la troifiéme. Lapre
miere eft , de bien concevoir par le moyen des Uni
verfaux. Lafeconde , de bien juger par le moyendes
Categories : Et la troifiême , de bien tirer une con
fequence par le moyen des figures : Barbara , Cela
rent, Darii, Ferio, Baralipton, &c.
M. JOURDAIN.
Voilà des mots qui font trop rebarbatifs. Cette Lo
gique là ne merevient point. Aprenons autre choſe
quifoit plusjoly.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Voulez-vous à prendre la Morale ?
M. JOURDAIN.
La Morale
Mre DE PHILOSOPHI E.
Ouy,
M. JOURDAIN.
Qu'est-ce qu'elle dit cette Morale !
Mre DE PHILOSOPHIE.
Elle traitte de la felicité ; Enfeigne aux hommes
à moderer leurs paffions , & ....
M. Jou RDA IN.
Non, laiffons cela. Jefuis bilieux commetous les
diables ; & il n'y a morale qui tienne , jeme veux
mettre en colere tout mon faoul , quand il m'en
prend envie.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Eft- ce la Phyfique que vous voulez aprendre ?
M. JOURDAIN.
Qu'est-ce qu'elle chante cette Phyfiquc ?
Mre DE PHILOSOPHIE.
La Phyfique eft celle qui explique les principes
des chofes naturelles , & les proprietez du corps; Qui
difcourt de la nature des elemens , des metaux ,
des minéraux , despierres , des plantes , & des ani
maux,
GEN TIL HOM ME. 25
maux , & nous enfeigne les caufes de tous les me
rit! teores , l'arc-en- Ciel , les feux volans , les comêtes ,
les éclairs , le tonnerre , la foudre , la pluye , la nei
Lap ge , lagrefle , les vents & les tourbillons.
desU M. JOURDAIN .
yend Il ya trop de tintamare la-dedans, trop de brouil
e r
n co laminy.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Quevoulez-vous donc que je vous apprenne ?
M. Jou RDA I N.
eLo Apprenez moy l'ortographe.
shoCHURle. Mre DE PHILOSOPHIE.
Tres-volontiers.
M. JOURDAIN .
Aprésvous m'apprendrez l'Almanach,pourfçavoit
quand il y ade la lune, & quand il n'y en a point.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Soit. Pour bien fuivre vostre penſée , & traitter
cettematiere en Philofophe , il faut commencer fe
lon l'ordre des chofes , par une exacte connoiffance
de la nature des lettres , & de la differente maniere
de les prononcer toutes. Et là- deffus j'ay à vous di
Tere, que les lettresfont divifées en voyelles , ainfi di
tes voyelles, parce qu'elles expriment les voix ; &
en confonnes , ainfi appellées confounes , parce
le qu'elles fonnent avec les voyelles , & ne font que
marquerles diverfes articulations des voix. Il y a cinq
voyelles , ou voix, A, E, I, O , U.
M. JOURDAIN.
J'emens tout cela.
Mre DE PHILOSOPHIE.
La voix A . fe forme en ouvrant fort la bou
che ,
A.
M. JOURDAIN.
C A, A, Ouy.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Lavoix , E , fe forme en r'approchant la inachoire
d'enbas de celle d'enhaut , A , E.
B M. JOUR
26 LE BOURGEOIS
M. JOURDAIN.
A, E, A, E. Ma foy ouy. Ah que cela eſt beau !
Mre DE PHILOSOPHIE.
Et la voix, I, en r'approchant encore davantage les
machoires l'une de l'autre, & écartant les deux coirs
de la bouche vers les oreilles, A, E, I.
M. JOURDAIN.
A, E, I, I, I, f. Cela eft vray. Vive la fcience.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Lavoix , O, fe forme en r'ouvrant les machoires ,
& r'approchant les levres par les deux coins , le haut
& le bas, O.
M. JOURDAIN.
O, O. Il n'ya rien de plus jufte. A, E, I, 0, 1, 0.
Cela eft admirable ! I, O, I, O.
Mre DE PHILOSOPHIE.
L'ouverture de la bouche fait juftement comme
un petit rond qui reprefente un O.
M. JOURDAIN.
O, O, O. Vous avez raifon, O. Ah la belle chofe,
que de fçavoir quelque chofe !
Mre DE PHILOSOPHIE.
La voix,U, fe forme en r'approchant les dents fans
les joindre entierement , & allongeant les deux le
vres en dehors , les approchant auffi l'une de l'autre
fans les joindretout-à-fait, U.
M. JOURDAIN.
U, U. Il n'ya rien de plus veritable, U.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Vos deux levres s'allongent comme fi vous faifiez
la mouë : D'où vient que fi vous la voulez faire à
quelqu'un, & vous moquer de luy , vous nesçauriez
luy dire que U.
M. JOURDAIN.
U, U. Cela eft vray. Ah que n'ay-je étudié plûtoft,
pour fçavoir toutcela.

Mre DE
GENTILHOM ME.
27
Mre DE PHILOSOPHIE.
beau Demain nous verrons les autres lettres , qui font
les confonnes.
tag: M. Jou RDA IN.
USCON Eft ce qu'il y a des chofes auffi curieufes qu'à cel
les-ci ?
Mre DE PHILOSOTHIE.
Sans doute. La confonne , D, par exemple, fe pro
nonce en donnant du bout de la langue au deffus des
o dents d'enhaut , D A.
C M. Jou RDA I N.
DA, DA. Ouy. Ah les belles { chofes ! les belles
chofes!
,10 Mre DE PHILOSOPH IE.
L'F , en appuyant les dens d'enhaut fur la levre
de deffous , F A..
M. JOURDAIN.
B

FA , FA. C'eft la verité. Ahimon Pere , & ma


Mere, que je vous veux de mal !
Mre DE PHILOSOPH JE.
Et 1'R, en portant le bout de la langue jufqu'au
haut du palais ; de forte qu'eftant frolée par l'air qui
ffortavec force, elle luy cede , & revient toûjours au
même endroit , faifant une maniere de tremble
ment, R ra.
M. JOURDAIN. 1
R, 1, ra; R, 1, 1, 1, 1, ra. Cela eft vray. Ah l'habile
homme que vous eftes ! & que j'ay perdu de temps !
R. r, r, ra.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Jevous expliqueray à fond toutes ces curiofitez.
M. JOURDAIN.
Je vous en prie. Au refte il faut que je vous faffe
une confidence. Je fuis amoureux d'une perfonne de
grande qualité , & jefouhaiterois que vous m'aidaf
fiez à luy écrire quelque chofe dans un petit billet
que je veux laiffer tomber à fes pieds.
B 2 Mrc D E
28 LE BOURGEOIS
Mre DE PHILOSOPHIE.
Fort bien.
M. JOURDAI 01 N.
Cela feragalant , ouy.
Mre DE PHILO SOPHIE.
Sans doute . Sont- ce des vers que vous luy voulez
écrire ?
M. JOURDAIN.
Non, non, point de vers.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Vous ne voulez que la profe ?
M. JOURDAIN.
Non , je ne veux ny profe , nivers.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Il faut bien que cefoit l'un , ou l'autre.
M. JOURDAIN,
Pourquoy?
Mre DE PHILOSOPHIE.
Par la raifon , Monfieur , qu'il n'y a pour s'exp
mer , que la profe , qu les vers.
M. JOURDAIN.
Il n'y a que la profe , ou les vers ?
Mre DE PHILOSOPHIE.
Non , Monfieur : Tout ce qui n'eft point profe, eft
vers ; & tout ce qui n'eft point vers , eft profe.
M. Jou k DAIN.
Et comme l'on parle , qu'est- ce que c'eft donc que
cela ?
Mre DE PHILOSOPHIE.
De la profe.
M. JOURDAIN.
Quoy, quand je dis , Nicole apportez- moymes
pantouffles, & me donnez mon bonnet de nuit, c'est
de la Profe?
Mre DB PHILOSOPHIE.
Ouy , Monfieur.
M. JOURDA I N.
Par ma foy, il ya plus de quarante ans que jedis
de
GENTILHOM M E. 29
de la profe , fansque j'enfceuffe rien ; & je vousfuis
le plus obligé du monde , de m'avoir apris cela. Je
voudrois donc luy mettre dans un billet : Belle Mar
quife, vosbeaux yeux me font mourir d'amour ; mais je
voudrois que cela fuft mis d'une maniere galante ;
que cela fuft tourné gentiment.
Mre DE PHI L O S OP HIE.
Mettre que les feux de fes yeux reduifent voftre
cœur en cendres ; que vous fouffrez nuit & jout pour.
elle les violences d'un .
M. JOURDAIN.
Non, non , non, je ne veux point tout cela ; Je ne
veux que ce que je vous ay dit : Belle Marquife , vas
beauxyeuxmefont mourir d'amour.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Il faut bien étendre un peu la chofe.
6 M. JOURDAIN.
Non, vous dy-je, je ne veux que ces feules paroles
là dans le billet ; mais tournées à la mode , bien ar
rangées comme il faut, Je vous prie de me dire un
peu, pour voir , les diverfes manieres dont on les peut
mettre. P
Mre DE PHILOSOPHIE.
On les peut mettre premierement comme vous
avez dit : Belle Marquife , vos beaux yeux mefont mou
rir d'amour. Ou bien : D'amour mourir mefont , belle
Marquife , vos beauxyeux. Oubien : Vos yeux beaux
d'amour me font , belle Marquiſe , mourir. "Ou bien":
Mourir vos beaux yeux , belle Marquise , d'amour mefont.
Ou bien: Me font vosyeux beaux mourir , belle Mar
quife ,d'amour.
M. JOURDAIN.
Mais detoutes ces façons-là , laquelle eft la meil
leure?
Mre DE PHILOSOPHIE.
Celle que vous avez dite : Belle Marquiſe, vos beaux
yeuxmefont mourir d'amour •
B 3 M. JOUR
30 LE BOURGEOIS
M. JoμR DAIN.
Cependant je n'ay point étudié , & j'ay fait ce.
la tout du premier coup. Je vous remercie de tout
mon cœur, & vous prie de venir demain de bonne
heure.
Mre DE PHILOSOPHIE.
Je n'y manqueray pas.
M. JOURDA I N.
Comment, mon habit n'eft point encore arrivé?
2. LA QUAI S.
Non, Monfieur.
M. JOURDAIN,
Ce maudit Tailleur me fait bien attendre pour un
jour où j'ay tant d'affaires. J'enrage. Que lafievre
quartaine puiffe ferrer bien fort le bourreau de Tail
leur. Au diable le Tailleur. La pefte étouffe le Tail
leur. Si je le tenois maintenant ce Tailleur détefta
ble, ce chien de Tailleur-là , ce traiftre de Tailleur ,
je ...

SCENE V.
MAISTRE TAILLEUR , GARCON
TAILLEUR , portant l'habit de M. Four
dain. MONSIEUR JOURDAIN ,
LA QUAI S.
M. JOURDAIN.
AH vous voilà. Je m'allois mettre en colere contre
vous.
Mre TAILLEUR.
Je n'ay pas pû venir plûtoft , & j'ay misvingt Gar
çons aprés voltre habit.
M. JOURDAIN.
Vous m'avez envoyé des bas de foye fi étroits , que
j'ay eu toutes les peines du monde à les mettre , & il
y adeja deux mailles de rompuës.
Mre TAILLE UR.
Ils ne s'élargiront que trop.
M. JOUR
GENTILHO M M E. 31
M. JOURDA I N.
Ony, fije romps toûjours des mailles . Vous m'a
de vez auffi fait faire des fouliers qui me bleffent fu
brieufement.
Mre TAILLEU R.
Foint dutout, Monfieur.
M. JOURDAIN.
Comment , point du tout !
116 Mre TAILLEUR.
Non , ils ne vous bleffent point,
M. JOURDAIN.
Je vous dis qu'ils me bleffent , moy.
Mre TAILLER.
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美食

Vous vous imaginez cela.


M. Jou RDA I N..


Je me l'imagine , parce que je le fens. Voyez la
belle raifon.
Mre TAILLEU R.
Tenez, voilà le plus bel habit de la Cour , & le
mieux afforti. C'eft un chef d'œuvre ! que d'avoir
intenté un habit ferieux , qui ne fut pas noir ; & je
le donne en fix coups aux Tailleurs les plus éclairez.
V M. JOURDAIN
Qu'est-ce que c'eft que ceci ? Vous avez mis les
fleurs en enbas.
Mre TAILLEUR.
Vous ne m'avez pas dit que vous les vouliez en
enhaut.
M. JOURDAIN.
Eft-ce qu'il faut dire cela ?
Mre TAILLE U R.
Ouyvrayment. Toutes les perfonnes de qualité les
portent de la forte.
M. Jou RDA IN
Les perfonnes de qualité portent les fleurs en en
bas ?
Mre TA I LLEU R.
Ouy Monfieur
B 4 M. Jour
32 LE BOURGEOIS
M, JOURDAIN,
Oh voilà qui eft donc bien.
Mre TATLLEUR.
Si vous voulez , je les mettray enhaut..
M. JOURDAIN.
Non , non.
Mre TAILLEUR.
Vous n'avez qu'à dire.
M. Jou RDA IN.
Non , vous dy- je , vous avez bien fait. Croyez
vous que l'habit m'aille bien ?
Mrc TAILLEU R.
Belle demande. Je défie un peintre , avec fonpin
ceau, de vous faire rien de plusjufte. J'ay chez moy
un Garçon , qui pour monter une Ringrave , eft le
plus grand genie du monde ; & un autre, qui
pour affembler un pourpoint , eft le Héros de noftre·
temps.
M. JOURDAIN.
La perruque , & les plumes , font- elles comme
ilfaut?
Mre TAILLEUR.
Tout eftbien.
M. JOURDAIN , enregardantl'habit
du Tailleur.
Ah , ah , Monfieur le Tailleur , voilà de mon é
toffe du dernier habit que vous m'avez fait. Je la re
connoy bien.
Mre TAILLEUR.
C'est que l'étoffe me fembla fi belle , que j'en ay
voulu lever un habit pour moy.
M. Jou RDA IN.
Ouy, mais il ne falloit pas le lever avec le mien.
Mre TAILLEUR.
Voulez vous mettre voftre habit ?
M. JOURDAIN.
Ouy , donnez-moy.

Mre
GENTILHOM ME. 33
Mre TAILLEUR ,
Attendez. Cela ne va pas comme cela. J'ay ame
né des gens pour vous habiller en cadance , & ces
fortes d'habits fe mettent avec ceremonie. Hola,
entrez vous autres. Mettez cet habit à Monfieur
de la maniere que vous faites aux perſonnes de qua
lité.
Quatre Garçons Tailleurs entrent , dont deux luy ari
rachent le haut de chauffe de fes exercices , & deux au.
tres la camifole, puis ils luy mettentfon habit neuf; &~
MonfieurJourdainfe promene entr'eux, & leur montrefon
habit , pour voir s'il eft bien. Le tout à la cadancedetoute
lafimphonie.
GARÇON TAILLEUR .
Mon Gentilhomme , donnez , s'il vous plaift , aux
garçons quelque chofe pourboire.
M. JOURDAIN.
Comment m'appellez vous ?
13 GARÇON TAILLEUR.
Mon Gentilhomme.
M. JOURDAIN.
Mon Gentilhomme ! Voilà ce que c'eft , defe
mettre en Perfonne de qualité. Allez-vous-en de
meurer toujours habillé en Bourgeois , on ne vous
dira point mon Gentilhomme. Tenez , voilà pour
mon Gentilhomme.
GARÇON TAILLEUR .
Monfeigneur, nous vous ſommes bien obligez.
M. JOURDAIN .
Monſeigneur , oh , oh ! Monfeigneur ! Attendez ,
mon amy , Monſeigneur metite quelque chofe , &
ce n'eft pas une petite parole que Monfeigneur. Te
nez , voilà ce que Monſeigneur vous donne.
GARÇON TAILLEUR.
Monfeigneur , nous allons boire tous à la fanté de
voftre grandeur.
M. JORDAIN.
Voftre grandeur , oh , oh , oh ! Attendez , ne vous CIN
BS
34 LE BOURGEOIS
en allez pas. A moy , voftre grandeur ! Ma foy , s'il
va jufqu'à l'Alteffe , il aura toute la bourfe. Tenez,
voilà pour ma grandeur.
GARÇON TALLEUR .
Monfeigneur , nous la remercions tres- humble
ment de fes liberalitez.
M. JOURDAIN.
Il a bien fait , je luy allois tout donner.
Les quatre Garçons Tailleurs fe réjouiffentparune
dance, quifait le fecond Intermede.
Findufecond Acte.

ACTE III.
SCENE I.
MONSIEUR JOURDAIN,
LA QUA I1 S.
M. JOURDAIN.
Uivez-moy, que j'aille un peu montrer
mon habit par la ville , & fur tout , ayez
foin tous deux de marcher immediate
S ment fur mes pas , afin qu'on voye bien
que vous eftes à moy.
LA QUAI S.
Ouy , Monfieur.
M. JOURDAIN.
Appellez-moy Nicole , que je luy donne quelques
ordres. Ne bougez , la voilà.
SCENE II.
NICOLE , MONSIEUR JOUR
DAIN, LA QUAI S.
M. JOURDAIN.
N icole !
NICO
GENTI LH, O M M E. 35
2NICOL E.
Tex Plaift-il.
M. JOURDAIN,
Ecoutez.
NICOL E.
ATTE

Hi, hi, hi, hi, hi.


M. JOURDAIN.
Qu'as-tu à rire ?
I' NICOL E.
Hi, hi , hi," hi , hi , hi.
M. JOURDAIN.
Queveut dire cette coquine là?
NICOLE .
Hi, hi, hi. Comme vous voilà bafti ! Hi, hi, hi.
M. Jou R D. A I N.
Comment donc ?
NICOLE.
Ah, ah, mon Dieu. Hi, hi, hi, hi.
M. Jou RDA IN.
Quellefriponne eft celà ? Te moques-tu de moy ;
NICOL E.
Nenny , Monfieur, j'en ferois bien fâchée. Hi, hi,
1 hi, hi , hi, hi.
M. JOURDAIN.
Je te baillerayfur le nez, fi tu ris davantage.
NICOL E.
Monfieur , je ne puis pas m'en empefcher. Hi, hi,
hi, hi , hi, hi.
M. Jou RDA I N.
Tu ne t'arrefteras pas. "
NICOLE.
Monfieur , je vous demande pardon ; maisvous
eftes fi plaifant , que je ne fçaurois me tenir de rire.
Hi, hi hi.
M. Jou RDA IN.
Mais voyez quelle infolence.
NICOL E.
Vous eftes tout-à fait drôle comme cela. Hi, hi.
B 6 M. JOUR
1
36 LE B ou R G Eo 1 5
M. JOURDA I N.
Jete....
NICOLE.
Je vous prie de m'excufer. Hi, hi, hi, hi.
M. JOURDAIN .
Tien , fi tu rîs encore le moins du monde, jeteju
re que je t'appliquerayfur la joue le plus grandfouf.
flet qui foitjamais donné.
NICOLE.
Hébien, Monfieur , voilà qui eft fait , je ne riray
plus.
M. JOURDAIN .
Prens-y bien garde. Il faut que pour tantoft tu
nettoyes....
NICOLE.
Hi, hi.
M. JOURDAIN .
Que tu nettoyes commeil faut....
NICOLE.
Hi, hi.
M. JOURDAIN.
Il faut, dis je, quetu nettoyes la Salle. &....
NICOLE.
Hi, hi.
M. JO "
URDA I N.
Encore .
NICOL E.
Tenez, Monfieur , battez-moy plûtoft , & mefaif
fez rire tout mon faoul ; cela mefera plus de bien.
Hi , hi, hi, hi, hi.
JOURDAIN.
J'enrage. M.
NICO LE..
Degrace , Monfieur , je vous priede me laiffer rî
re. Hi, hi, hi.
M. JOURDAI M.
Si jete prens....

N I
3 GENTILHOM ME. 37
NICOLE.
Monfieur , eur , je creveray , ay , fi je-ne ry. Hi ,
hi, hi.
M. JOURDAIN.
Mais a- t-onjamais veu une Pendarde comme cel
le-lă ? qui me vient rite infolemment au nez , au
lieu de recevoir mes ordres ?
NICOL E.
Quevoulez-vous que je faffe , Monfieur?
M. JOURDA I N.
Que tu fonges , Coquine , à preparer ma maiſon
pour la compagnie qui doit venir tantoft.
NICOL È.
Ah ,par ma foy , je n'ay plus envie de rire; & tou
tes vos compagnies font tant de defordre ceans , que
ce mot eft affez pour me mettre en mauvaiſe hu
meur.
M. JOURDAIN,
Ne dois-je point pour toy feriner ma Porte àtous
le monde ?
NICOLE.
Vous devriez au moins la fermer à certaines gens.
SCENE III.
MADAME JOURDAIN , MONSIEUR
JOURDAIN ; NICOLE , LAQUAIS.
Me Jou RDA I N.
A H, ah; voicy une nouvelle hiftoire. Qu'eft.ce que
c'eft donc, mon Mary, que cet équipage-là? Vous
moquez-vous du monde , de vous eftre fait enhar
nacher de la forte ? & avez-vous envie qu'onfe taik12
le partoutde vous?
M. JOURDAIN.
Il n'y a que des Sors , & des Sottes ; ma Femme ,
qui fe railleront de moy.
Me Jouk DAIN.
Vrayment on n'a pas attendu jufqu'à cette heure,
&il
B 7
38 LE BOURGEOIS.
& ily a longtemps que vos façons de faire donnentà
rire à tout le monde.
M. JOURDAIN.
Qui eft donc tout ce monde -là, s'il vous plaiſt ?
Me Jou RDA IN.
Tout ce monde-là eſt un monde qui a raiſon , &
qui eft plus fage que vous. Pour moy , je fuisfcan
dalifée de la vie que vous menez. Je ne fay plus ce
que c'est que noftre maiſon. On diroit qu'il eftceans
Carefme-prenant tous lesjours ; Et dés le matin , de
peur d'y manquer , on y entend des vacarmes de Vio
ions & de Chanteurs , dont tout le voisinage ſe trou
ve incommodé.
NICOL E.
Madame parle bien. Je ne fçaurois plus voir mon
ménage propre , avec cet attirail de gens que vous
faites venir chez vous.Ils ont des pieds qui vont cher
cher de la boue dans tous les quartiers de la ville ,
pour l'apporter icy; & la pauvre Françoiſe eft preſque
fur les dents , à frotter les planchers que vos biaux
Maistres viennent crotter regulierement tous les
jours.
M. Jou RDA IN.
Ouais, noftre Servante Nicole,vousavez le caquet
bien affilé pour une païfanne.
Me JORDAIN.
Nicole araifon. & fon fens eft meilleur que le vó
tre. Jevoudrois bien fçavoir ce que vous pensez faire
d'un Maiftre à dancer à l'âge que vous avez ?
NICOL E.
Er d'un grand Maiftre Tireur d'armes , qui vient ,
avec les battemens de pied, ébranler toute la maiſon ,
& nous déraciner tous les carriaux de noftre Salle?
M. Jo u DAI N.
OUR
Taifez-vous, ma fervante, & ma femme.
Me Jou RDAIN.
Eft-cequevous voulez apprendre à Dancer , pour
quandvous n'aurezplus de jambes !
NI
GENTILHO M M E. 39
NICOL E.
Eſt-ce que vous avez envie de tuër quelqu'un ? ¸
M. JOURDAIN.
! Taifez-vous , vous dis- je, vous eſtes des ignorantes
l'une & l'autre , & vous ne fçavez pas les prerogatives
de tout cela.
Mre Jou RDA I N.
Vous devriez bien plûtoft fonger à marier voftre
fille , qui eft enâge d'eftre poutveuë.
M. JOURDAIN.
Je fongeray à marier ma fille , quand il ſe preſen
: tera un party pour elle ; mais je veuxfonger auffi à
apprendre les belles chofes.
NICOL E.
貳 J'ay encore ouï dire , Madame, qu'il a pris aujour
d'huy, pour renfort de potage, un Maistre de Philofo
phie M. JOURDAIN.
Fort-bien. Je veux avoir de l'efprit , & fçavoir rai
fonner des chofes parmy les honneftes gens.
I Me Jou RDA IN.
2 N'irez-vous point l'un de ces jours au College
vous faire donne le foüet , à voftre âge ?
M.. Jou RDAIN.
Pourquoy non ? Plût à Dieu l'avoir tout à l'heure,
le foüet , devant tout le monde , & fçavoit ce qu'on
apprend au College.
NI COLE.
Ouy, ma foy, cela vous rendroit la jambe bien
mieux faitte.
M. . JOURDA I N.
Sans doute.
Me Jou RDA I N.
Tout cela eft fort neceffaire pour conduire voftre
maiſon.
M. JOURDAIN.
Auffurément. Vous parleztoutes deux comme des
beftes , & j'ayhonte de voftre ignorance. Par exem
ple ,fçavez-vous, vous , ce que c'est que vous dites à
cette heure ? Me Jour,
43 LE BOURGEOIS
Me Jou RDA I N.
Ouy , jefçay que ce que je dis eft fort bien dit , &
quevous devriez fonger à vivre d'autre forte.
7 M. JOURDAIN.
Je ne parle pas de cela. Je vous demande ce que
c'eft que les paroles que vous dites icy ?
M. JOURDAIN.
Ce font des paroles-bien fenfees, &voſtre condui
te ne l'eft guéres.
= M. JOURDAIN.
Je ne parle pas de cela , vous dis- je. Jevous de
mande ; Ce que je parle avec vous , Ce que jevous
dy à cette heure , qu'est- ce que c'eft?
Me Jou RDA IN.
Deschanfons.
M. JouR DAIN.
Hé non, ce n'eft pas cela. Ce que nous diſonstous
deux , Lelangage que nous parlons à cette heure ?
Me Jou RDA IN.
} Hé bien ?
M. JOURDA I N.
Comment eft-ce que cela s'appelle ?
Me JouR DAIN.
Cela s'appelle comme on veut l'appeller.
M. JOURDAIN.
C'eft de la profe , ignorante.
Me Jou RDA I N.
De la profe !
M. JOURDAIN.
Ouy,de laprofe. Tout ce qui eftprofe , n'eftpoint
vers; & tout ce qui n'eſt point vers , n'eft pointpro
S fe . Heu,voilà ce que c'est que d'étudier. Et toy,fçais
tu bien comme il faut faire pour dire un V?
NICOL E.
Comment?
M. Jou RDA I N.
Ouy. Qu'est ceNI que tu fais quand tudis unV?
COLE.
Quoy? M. JOUR.
GENTILHO M M E. 4.1.
M. JouR DA I N.
Dis unpeu, V, pour voir ?
NICOL E.
Hé bien , V.
M. JOURDAIN.
Qu'est-ce que tu fais ?
NICOL J.
Je dy , V.
M. JOURDAIN.
Ouy ; mais quand tu dis, V, qu'eft-ce que tu fais ?
NICOL E.
Je fais ce que vous me dites.
M. JOURDAIN.
Ol'étrange chofe , que d'avoir à faire à des beſtes !
Tu allonges les levres en dehors, & approches la ma
choire d'enhaut de celle d'enbas , V, Vois- tu ? V, je
fais la mouë , V.
NICOLE.
Ouy , cela eft biau. C
Me J.o u RDA IN.
2..Voilà qui eft admirable.
M. JOURDAIN.
C'est bien autre chofe , fi vous aviez veu O, &
DA, DA , & FA , FA.
Me JOURDAIN.
Qu'eft ce que c'eft donc que tout ce galimatias-làt
NICOL E.
De quoy eft-ce que tout celaguerit ?
M. JOURDAIN.
J'enrage , quand je voy des Femmes ignorantes.
Me Jou RDA IN.
Allez. Vous devriez envoyer promenertous ces
Gens-là, avec leurs fariboles.
NICOL E.
Et furtout cegrand efcogrife de Maiſtre d'Armes ,
qui remplit de poudre tout mon ménage.
M. Jou RDA I N.
Ouais,ce Maistre d'Armes vous tient fort au coeur.
Je
42 LE BOURGEOIS
Je te veux faire voir ton impertinence tout-à l'heu
re.Ilfait apporterlesFleurs,& endonne unà Nicole. Tien;
raifon démonſtrative , la ligne du corps. Quand on
pouffe en quarte , on n'a qu'à faire cela; & quandon
pouffe en tierce , on n'a qu'à faire cela. Voilà le
moyen de n'eftre jamais tué ; & cela n'eft-il pas beau,
d'eftre affure de fon fait , quand on fe bat contre
quelqu'un ? Là , pouffe- moy un peu pour voir.
NICOLE.
Hébien , quoy ? Nicole luypouffeplufieurs coups.
M. JOURDAIN.
Tout-beau, Hola , oh , doucement. Dintre foit
la coquine.
NICOLE.
I Vous me dites de pouffer.
M. Jou RDA I N.
Ouy; mais tu me pouffes en tierce , avant quede
pouffer en quarte , & tu n'a pas la patience queje
pare.
Me JouRD AIN.
Vous eftes fou , mon Mary , avec toutes vosfan
taifies , & cela vous eft venu depuis que vous vous
meflez de hanter la Nobleffe.
M. JOURDAIN .
Lors que je haute la Nobleffe , je fais paroistre
mon jugement; & cela eftplus beau quede hanter
voftre Bourgeoifie .
Me JouRDAIN.
Camon vrayment. Il y a fort à gagner à frequen
tervos Nobles , & vous avez bien operé avec cebeau
Monfieur le Comte dont vous vous eftes embe
guiné.
M. JOURDAIN.
Paix, Songez à ce que vous dites . Sçavez-vous
bien, ma femme, que vous ne fçavez pas de qui vous
parlez, quand vous parlez de luy ? C'eſt une perfonne
d'importance plus que vous ne penfez ; Un Seigneur
que l'on confidere à la Cour,& qui parle au Roy tout
comme
GENTILHOMME.
43.
comme je vous parle. N'eft-ce pas une chose qui
L.T m'eft tout-à- fait honorable , que l'on voye venir
chez moy fi fouvent une perfonne de cette qualité ,
qui m'appelle fon cher Amy , & metraite comme fi
j'eftois fon égal ? Il a pour moy des bontez qu'on ne
S devineroit jamais ; & devant tout le monde , il me
Comp fait des careffes dont jefuis moy-même confus.
6 Me JOURDAIN.
Ouy, il a des bontez pour vous , & vous fait des
careffes, mais il vous emprunte voftre argent.
M. JOURDAIN.
Hé bien , ne m'est- ce pas de l'honneur , de prefter
de l'argent à un homme de cette condition là ? &
puis- je faire moins pour un Seigneur qui m'appelle
foncher Amy ?
Me JouRDAIN.
Et ce Seigneur, que fait il pour vous ?
M. JOURDAIN.
Des chofes dont onferoit étonné , fi on les fçavoit.
Me JOURDAIN.
10 Et quoy?
‫י‬ M. JOURDAIN.
Bafte, je ne puis pasm'expliquer. Ilfuffit que je
luy ay prefté de l'argent , il me lerendra bien , &
avant qu'il foit peu.
Me Jou RDA I N.
Ouy. Attendez vous à cela.
M. Jou RDA I N.
Affurément. Ne me l'a-t-il pas dit ?
Me Jou RDA I N.
Ouy, ouy, il ne manquera pas d'y faillir.
M. JOURDAIN.
Il m'a juré fa foy de Gentilhomme.
Me Jou RDA IN.
Chanfons.
M. Jou RDAIN.
Ouais , vous etes bien obftinée , ma femme ? Je
vous dy qu'il me tiendra parole, j'en fuis feur.
Me Jour
LE BOURGEOIS
Me JouRDAIN.
Et moy, jefuisfeûre que non, & que toutes lesca
reffes qu'il vous fait ne font quepour vous enjoler.
M. JOURDAIN.
Taifez - vous . Le voicy.
Me JouRDA I N.
Il ne nous faut plus que cela. Il vient peut-eftre
encore vous faire quelque emprunt ; & il me fem
ble que j'ay difné , quand je le voy.
M. Jou RDA I N..
Taifez -vous , vous dis- je.

SCENE IV.
DORANTE, MONSIEUR JOURDAIN
MADAME JOURDAIN , NICOLE.
DORANTE.
Mon cherAmy. Monfieur Jourdain , comment
vous portez-vous?
M. JOURDAIN.
Fort-bien , Monfieur , pour vous rendre mes petits
fervices.
DORANT E.
Et Madame Jourdain que voilà , comment fe por
te-t-elle ?
Me JOURDA I N.
Madame Jourdain feporte comme elle peut.
DORANTE.
Comment, MonfieurJourdain , vous voilà le plus
propre du monde !
Vous voyez M. JOURDAIN.
.
DORAN TE.
Vous avez tout-à fait bon air avec cet habit , &
nous n'avons point de jeunes gens à la Cour qui
foient mieux faits que vous.
M. JOURDAIN.
Hay , hay.
Me Jour
GENTILHOMME.
Me JouR DAFN. 45
Ille gratte par où il fe demange.
DORANTE.
Tournez- vous. Cela eft tout-à-fait galant.
Me " JOURDAIN.
Ouy ,auffifot par derriere que par devant.
DORANT R.
Ma foy , MonfieurJourdain, j'avois une impatien
ce étrange de vous voir. Vous eftes l'homme du mon
de que j'eftime le plus , & je parlois de vous encore ce
matin dans la Chambre du Roy.
M. JOURDAIN.
Vous me faites beaucoup d'honneur , Monfieur.
AMadameJourdain. Dans la Chambre du Roy !
DORANT E.
Allons , mettez.... }
M. JOUR DA I N.
Monfieur, je fçay le reſpect que je vous doy.
DORANTR.
I Mon Dieu , mettez ; point de cerémonie entre
nous , je vous prie.
M. JOU •
RDAIN.
Monfieur.
DORANTE.
Mettez, vous dis- je, Monfieur Jourdain, vous eſtes
mon Amy.
M. Jou RDA I N.
Monfieur, jefuis voftre Serviteur.
DORANT E.
Je ne me couvriray point, fi vous ne vous couvrez.
M. JORDAIN.
J'aime mieux eftre incivil , qu'importun.
DORANTE.
Jefuis voftre debiteur , commevous le fçavez. ›
Me JouRDAIN.
Ouy , nous ne le fçavons quetrop.
DORANT B.
Vous m'avez genereufement preſté de l'argent en
plu
46 LE BOURGEOIS ]
plufieurs occafions, & vous m'avez obligé de la meil
leure grace du monde, affurement.
M. JOURDAIN.
Monfieur, vous vous moquez.
€ DORANT E.
Mais je fçais rendre ce qu'on me prefte , & recon
noiftre les plaifirs qu'on me fait.
M. JOURDAIN.
Je n'en doute point, Monfieur.
DORANTE.
Je veux fortir d'affaire avec vous ; & je viens icy
pour faire nos comptes enſemble.
M. JOURDAIN.
Hé bien , vous voyez voftre impertinence , ma
femme.
DORANTE.
Je fuis homme qui aime à m'acquiter le plûtoft
que je puis....
M. Jou RDA I N.
Je vous le difois bien.
DORANTE.
Voyons un peu ce que je vous doy.
M. JOURDAIN .
Vous voilà, avec vos foupçons ridicules.
DORANTE.
Vous ſouvenez -vous bien de tout l'argent que
vous m'avez preſté ?
M. Jou RDA IN.
Je croy que ouy. J'en ay fait un petit memoire .
Le voicy. Donné a vous une fois , deux cens Louis.
DORANTE.
Cela eft vray.
M. JOURDAIN.
Une autrefois, fix-vingts.
DORANTE.
Ouy.
M. Jou RDA IN.
Et uneautre fois, cent quarante .
D0
GENTILHO M M E.
DORANTE. 47
: Vous avez raiſon.
M. JOURDAIN.
Ces trois articles font quatre cens foixante Loüis ,
qui valent cinq mille foixante livres.
DORANTE.
Le compte eft fort bon. Cinq mille foixante livres.
M. JOURDAIN.
Mille huit cens trente- deux livres à voftre Plu
maffier.
DORANT E. 4
Juftement.
M. JOURDAIN .
Deux mille fept cens quatre- vingts livres à voftre
Tailleur.
DORANTE.
Ileft vray. :
M. JOURDAIN.
Quatre mille trois cens feptante-neuflivres douze
fols huit deniers à voftre Marchand.
DORAN TE.
Fort-bien. Douze fols huit deniers ; Le compte
eftjuste.
M. JOURDAIN.
Et mille fept cens quarante- huit livres fept fols
quatre deniers à voftre Sellier.
DORANTE.
Tout cela cft veritable. Qu'est-ce que cela fait ?
M. JOURDAIN.
Somme totale, quinze mille huit cens livres.
DORANTE.
Somme totale eft jufte ; Quinze mille huit cens
livres. Mettez encore deux cens Piftoles que vous
m'allez donner , cela fera juftement dix-huit mille
francs, que je vous payeray au premier jour.
Me JouRDAIN.
Hé bien, ne l'avois-je pas bien deviné ?
M. JOURDAIN.
Paix. Do.
S
46 LE BOURGEOI ]
plufieurs occafions,& vous m'avez obligé de la meil
leure grace du monde, affurement.
M. JOURDAIN.
Monfieur, vous vous moquez.
DORANT E.
Mais jefçais rendre ce qu'on meprefte , & recon
noiftre les plaifirs qu'on me fait.
M. JOURDAIN.
Je n'en doute point, Monfieur.
DORANTE.
Je veux fortir d'affaire avec vous ; & je viens icy
pour faire nos comptes enſemble.
M. Jou RDA I N.
Hé bien , vous voyez voftre impertinence , ma
femme.
DORANTE.
Je fuis homme qui aime à m'acquiter le plûtoft
que je puis....
M. JouRDAIN.
Jevous ledifois bien.
DORANT E.
Voyons un peu ce que je vous doy.
M. JOURDAIN.
Vous voilà, avec vos foupçons ridicules.
DORANTE.
Vous ſouvenez-vous bien de tout l'argent que
vous m'avez prefté ?
M. JOURDAIN.
Je croy que ouy . J'en ay fait un petit memoire.
Le voicy. Donné a vous une fois , deux cens Louis.
DORANTE.
Cela eft vray.
M. JOURDAIN.
Uneautrefois, fix-vingts.
DORANTE.
Ouy. •
JOURDAIN.
• Et une autrM.
e fois, cent quarante .
D0
GENTILHO M M E.
DORANTE. 47.
Vous avez raifon.
M. JOURDAIN.
Ces trois articles font quatre cens foixante Louis ,
qui valent cinq millefoixante livres.
DORANT E.
Lecompte eft fort bon. Cinq mille foixante livres.
M. JOURDA I N.
Mille huit cens trente-deux livres à voftre Plu
maffier. ".
DORANTE.
Juftement.
M. JOURDAIN.
Deux mille fept cens quatre-vingts livres à voftre
Tailleur.
DORANTE.
Il eft vray.
M. Jou RDA IN.
Quatre milletrois cens feptante- neuflivres douze
folshuit deniers à voftre Marchand.
DORANT E.
Fort-bien. Douze fols huit deniers ; Le compte
eſtjuſte.
M. JOURDAIN.
Et mille fept cens quarante-huit livres fept fols
quatredeniers à voftre Sellier.
DORANTE.
Tout cela cft veritable. Qu'est-ce que celafait ?
M. JOURDAIN.
Sommetotale , quinze mille huit cens livres.
DORANTE.
Somme totale eft jufte ; Quinze mille huit cens
livres. Mettez encore deux cens Piftoles que vous
m'allez donner , cela fera juftement dix-huit mille
francs,que je vous payeray au premier jour.
Me Jou RDA IN.
Hébien, ne l'avois-je pas bien deviné ?
M. JOURDAIN.
Paix. Do.
LE BOURGEOIS
DORANTE.
Cela vous incommodera-t- il, de me donner ce
que je vous dis? : 1
M. JOURDA I N.
Eh non.
Mc JOURDAIN.
Cet Homme-là fait de vous une Vache à lait.
M. JOURDAIN.
Taifez-vous.
DORANT E.
Si cela vous incommode , j'en iray chercher ail
leurs.
M. JOURDAIN.
Non , Monfieur.
Me JouRDAIN.
Il ne fera pas content, qu'il ne vous ait ruïné.
M. JOURDAIN.
Taifez-vous ,vousdis-je.
DORANT E. 157
Vous n'avez qu'à me dire fi cela vous embaraffe.
M. FouRDA I N.
: Point, Monfieur. +
Me JOURDAIN.
C'estun vray enjoleur.
M. JOURDAIN.
Taifez-vous donc. •
Me FouRDAIN.
Ilvous fuccera jufqu'au dernierfou.
M. JOURDAIN.
Vous fairez- vous ? K
DORANTE,
7
Fay force gens qui m'en prefteroient avec joye :
mais comme vous eftes mon meilleur Amy , j'aycri
que je vous ferois tort, fi j'en demandois àquel
qu'autre.
M. JOURDAIN.
C'esttrop d'honneur , Monfieur , quevousmefai
tes. Je vayquerir voftre affaire.
M Jous.
GENTILHOM ME.
Me Jou RDA I N.
Quoy, vous allez encore luy donner cela ?
M. JOURDAIN.
Que faire ? Voulez-vous que je refuſe un homme
de cette condition- là , qui a parlé de moyce matin
dans la chambre du Roy ?
Me Jou RDA IN.
Allez , vous eftes une vraye dupe .
SCENE V.
DORANTE, MADAME JOUR
DAIN , NICOLE.
DORANTE.
Ous me femblez toute melancolique . Qu'ayez
V
ous, Madame Jourdain ?
Me Jou RDA IN.
J'ay la tefte plus groffe que le poing , & fi elle n'eft
pas enflée.
DORANTE.
Mademoiſelle vostre Fille , où eft elle , que je ne
la voy point? **
Me JOURDAIN.
Mademoiffelle ma Fille eft bien où elle eft.
DORANT E.
Comment fe porte-t- elle ?
Me JOURDAIN.
Ellefe porte fur fes deux jambes.
DORANTE.
Ne voulez-vous point un de ces jours venir voir
avec elle , le ballet & la Comedie que l'on fait chez
le Roy?
Me JOURDAIN.
Ouy vrayment , nous avons fort envie de rire, fort
envie de rire nous avons.
355 DOR ANTE.
Je penfe , Madame Jourdain , que vous avez eu
bien des amans dans votre jeune âge , belle & d'a
greable humeur comme vous eftiez. L
Me Jour
50 LE BOURGEOIS
Me JOURDAIN.
Tredame, Monfieur, eft-ce que MadameJourdain
eft decrepite , & la tefte luy grouille-t- elle deja?
DORANTE.
Ah mafoy, Madame Jourdain , je vous demande
pardon. Je ne fongeois pas que vous eftes jeune , &
je rêve le plus fouvent. Je vous prie d'excufer mon
impertinence.

SCENE VI.
MONSIEUR JOURDAIN , MADAME
JOURDA IN , DORANTE , NICOLE.
M. JOURDAIN.
V Oilà deux cens louis bien comtez.
DORANT E.
Je vous affure, Monfieur Jourdain, que je fuis tout
àvous, & que je brûle de vous rendre un fervice à la
Cour.
M. JOURDAIN.
Je vousfuis trop obligé.
DORANT E.
Si Madame Jourdain yeut voir le divertiffement
Royal, je luy feray donner les meilleures places de
la falle.
M. JOURDAIN.
Madame Jourdain vous baile les mains.
DORANTE , bas à Monfieur Jourdain.
Notre belle Marquife , comme je vous ay mandé
par mon billet , viendra tantoft ici pour le ballet &
le repas ; & je l'ay fait confentir enfin au cadeau que
vous luy voulez donner.
M. JOURDAIN.
Tirons-nous un peu plus loin , pour caufe.
I DORANTE. ?
Il y a huit jours que je nevous ayveu , & jene
vous ay point mandé de nouvelles du diamant que
vous me miftes entre les mains , pour luy en faire
prefent
GENTILH
OM ME.
prefent de voftre part ; mais c'eft que j'ay eu toutesSI
les peines du monde à vaincre fon fcrupule , & ce
n'eft que d'aujourd'huy qu'elle s'eft refolue à l'acce
pter.
3 3
M. JOURDAI N.
Comment l'a-t-elle trouve ?
DO A N T. E.
Mervilleux ; & je R me trompe fort , ou la beauté
de ce diamant fera pour vous fur fon efprit un effet
ad rable.
SImi
X 567
E M. JOURDAIN .
Pluft au Ciel !
Me Jo u R DA I N.
Quandil est une fois avec luy, il ne peut le quitter.
DORANTE.
Je luy ay fait valoir comme il faut la richeffe de ce
Prefent, & la grandeur de voftre amour.
M. JOURDAIN.
Ce font , Monfieur , des bontez qui m'accablent;
& je fuis dans une confufion la plus grande du mon
de, de voir une perfonne de voſtre qualité s'abaifler
Pour moy à ce que vous faites.
DORAN TE.
Vous moquez - vous? Eft-ce qu'entre amis on s'ar
refte à ces fortes de fcrupules ? Et ne feriez -vous pas
pour moy la même chofe fi l'occafion s'en offroit
M. Jou RDA IN.
Ho affurement , & de trés - grand cœur.
Me JouR DAIN.
Quefa prefence me pefe fur les épaules !
DORANTE.
Pour moy , je ne regarde rien , quand il faut fervir
un amy ; & lors que vous me fiftes confidence de
l'ardeur que vous aviez prife pour cette Marquife
agreable , chez qui j'avois commerce , vous viftes que
d'abord je m'offris de moy - même à fervir voſtre a
mour.

C 2
M. JOUR
LOVE
S
52 LE BOURGEOI
Me JOURDAIN.
Il eft vray , ce font des bontez qui meconfon
dent.
Me JOURDAIN
Eft-ce qu'il ne s'en ira point? 6:20
NICOLE.
Ils fe trouvent bien enſemble.
DORANTE.
Vous avez pris le bon biais pour toucherfon cœur.
Les femmes aiment fur tout lesdépenfes qu'onfait
pour elles ; & vos frequentesferenades , & vos bou.
quets continuels , ce fuperbe feu d'artifice qu'elle
trouva fur l'eau , le diamant qu'elle a receu devoftre
part ; & le cadeau que vous luy preparez , toutcela
luy parle bien mieux en faveur de voftre amour, que
toutes les paroles que vous auriezpâ luy dire vous
même. 634
M. JOURDAIN.
Il n'y a pointde depenfes que je ne fiffe , fi parlà
je pouvois trouver le chemin de fon cœur. Unefem
me de qualitéa pour inoy des charmes reviffans , &
c'est un honneur que j'acheterois aux prisde toute
chofe.
Me Jo UR DA I N.
Que peuvent-ils tant dire enfemble : Va- t enun
peu tout doucement prefter l'oreille.
DORANTE.
Ce fera tantoft que vous jouïrez à voſtre aiſe du
plaifir de fa veuë , & vos yeux auront tout le temps
de fe fatisfaire ,
M. Jou RDAIN.
Pour cftre en pleine liberté , j'ay fait en forteque
mafemme ira difner chez ma Soeur , où elle paffera
toute l'aprefdifnače.
DORANTE.
Vousavez fait prudemment , & voſtre femme au
roit pû nous embarafier. J'ay donné pour vous l'or
dre qu'il faut au cuifinier , & à toutes les chofes qui
font
GENTILHO M M E.
53
font neceffaires pour le ballet. Il eft de mon inven
tion ; & pourveu que l'execution puiffe répondre à
l'idée , je fuis feur qu'il fera trouvé....
M. JOURDAIN, s'apperçoit que Nicole
écoute , & luydonne unfoufflet.
Quais , vous cftes bien impertinente. Sortons, s'il
vousplaift.
SCENE VII .
MADAME JOURDAIN , NICOLE.
N.ICOLE.
MAfoy, Madame , la curiofité m'a coufté quel
que chofe ; mais je croy qu'ily a quelque an
guille fous roche , & ils parlent de quelque affaire ,
où il neveulentpas que vous foyez.
Me JOURDAIN.
Ce n'est pas d'aujourd'huy , Nicole, que j'ay con
ceu des foupçons de mon mary. Je fuis la plus trom
pée du monde , ou il y a quelque amour encampa
gne , & je travaille à découvrir ce que ce peut eftre.
Mais fongeons à ma Fille. Tu fçais l'amour que
Cleonte a pour elle. C'est un homme qui me re
vient , & je veux aider fa recherche , & luy donner
Lucile , fi je puis .
NICOL E. L
En verité, Madame, jefuis la plus ravie du monde,
de vous voir dans ces fentimens ; car file Maiftre
vous revient , le valet ne me revient pas moins , & je
fouhaiterois que noftre mariage fe pût faire àl'on
bre du leur .
Me Jou RDA IN.
Va-t-en luy parler de ma part , & luy dire que tout
à l'heure il me vienne trouver , pour faire enfemble
à mon mary la demande de ma Fille,
NICOLE.
J'ycours , Madame, avec joye, & je ne pouvois re
cevoir une commiffion plus agreable. Je vay je pen
fe bien rejouïr les gens .
C 3 SCE
54 LE BOURGEOIS

SCENE VII
I.
CLEONTE , COVIELLE , NICOLE.
NICOL E.
H vous voilà tout à propos. Je ſuis une Ambaſ
A fadrice de joye , & je viens....
CLEONT E.
Retire toy , perfide , & ne me vien point amuſer
avectes traiftreffes paroles.
NICOL E.
Eft- ce ainſi que vous recevez………
CLEONTE.
Retire toy , te dis- je , & va-t- en dire de ce pasà
ton infidelle Maiſtreffe , qu'elle n'abufera de fa vie le
tropfimple Cleonte.
NICOL E.
Quel vertigo eft-ce donc là ? Mon pauvre Coviel
le, dy-moy un peu ce que cela veutdire ?
COVIELLE.
Ton pauvre Covielle , petite fcelerate ! Allons vif
te,ofte-toy de mes yeux, vilaine,& me laiſſe en repos.
NICOLE .
Quoy, tu meviens auffi....
COVIEL LE.
Ofte-toy de mesyeux , te dis-je , & ne me parle de
ta vie.
NICOL E.
Ouais ! Quelle mouche les a piqueztous deux ?
Allons de cette belle hiftoire informer ma Maiſtreſſe.

SCENE IX .
CLEON TE, CO VIELLE .
CLEONTE.
Uoy , traitter un amant de la forte ; & un amant
plus & le plus de tous les
amans ?

Co
GENTILHO M M E. 55
COVIELL E.
C'eft une chofe épouvantable , que ce qu'on nous
fait à tous deux.
CLEON T E.
Je fais voir pour une perfonne toute l'ardeur , &
toute la tendreffe qu'on peut imaginer ; Je n'aime
rien au monde qu'elle , & je n'ay qu'elle dans l'e
fprit Elle fait tous mesfoins , tous mes defirs, toute
ma joye; je ne parle que d'elle, je ne penfe qu'à elle,
je ne fais desfonges que d'elle , je ne refpire quepar
elle , mon cœur vit tout en elle ; & voilà de tant
d'amitié la digne recompenfe ! Je fuis deux jours
fansla voir , qui font pour moy deux fiectes effroya
bles ; je la rencontre par hazard ; mon cœur à cette
veuëfe fent tout tranfporté , ma joye éclate fur mon
vifage ; je vole avec raviffement vers elle ; & l'infi
delle détourne de moy fes regards , & paffe bruſque
‫ا‬ ment comme fi de fa vie elle ne m'avoit veu ?
COVIEL & E.
Je dis les mêmes chofes que vous.
CLEONTE.
Peut-on rien voir d'égal , Covielle , à cette perfidie
del'ingrate Lucile ?
COVIELLE.
Et à celle, Monfieur, de la pendarde de Nicole ?
CLEONTE.
Aprés tant de facrifices ardants , defoûpirs , & de
vœuxquej'ay faits à fes charmes !
COVIELLE.
Aprés tant d'affidus hommages, de foins, & de fer
vices que je luy ay rendus dans fa cuiſine !
CLEON TE
Tant de larmes que j'ay verſées à ſes genoux !
> COVIELLE .
Tant de ſeaux d'eau que j'ay tirez au puits pour
elle !

C4 3 CLEON
EOIS
56 LE BOURG
CLEO TE. N
Tant d'ardeur que j'ay fait paroiftre à la cherir
plus que moy- même !
COVIELLE .
Tant de chaleur que j'ay ſoufferte à tourner la
broche à fa place.
CLEON TE.
Elle me fuit avec mépris !
COVIEL LE.
Elle me tourne le dos avec effronterie !
CLEONTE.
C'eft uneperfidie digne des plusgrands chaſtimens.
COVIELLE.
C'eft une trahifon à meriter mille foufflets.
CLEON TE.
Ne t'aviſe point , je teprie , de me parler jamais
pour elle.
COVIELLE.
Moy , Monfieur ! Dieu m'en garde.
CLEON T E.
Ne vien point m'excufer l'action de cette infidelle.
COVIELLE.
N'ayez pas peur. CLEON TE.
Non , vois , tu ,tous tes difcours pour la defendre ,
neferviront de rien.
COVIELLE.
Quifonge àcela ?
CLEONTE.
Je veux contr'elle conferver mon reffentiment , &
rompre enſemble tout commerce .
COVILLE
J'y confens.
CLEON TE.
Ce Monfieur le Comte qui va chez elle , luy don
ne peut-eftre dans la veuë , & fon efprit , je levoy
bien, elle ſe laiffé éblouïr à la qualité. Mais il mefaut
pour mon honneur , prévenir l'éclat de fon incon
ftance .
GENTILHOM ME. 57
kance. Je veux faire autant de pas qu'elle au chan
gement oùje la voy courir , & neluy laiffer pas toute
la gloirede me quitter.
COVIELLE.
C'eft fort bien dit , & j'entre pour mon compte
dans tous vos fentimens.
CLEON TE.
Donne la main à mon dépit , & foûtien ma refolu
tion contre tous les reftes d'amour qui me pourroient
parler pour elle. Dy m'en , je t'en conjure , tout le
mal que tu pourras. Fais-moy de fa perfonne une
peinture qui me la rende méprifable; & marque moy
bien , pour m'en dégoufter , tous les défauts quetu
peux voir en elle.
COVIELLE.
Elle , Monfieur ! Voilà une belle Mijautée , une
pimpe foüée bien baftie , pour vous donner tant d'a
mour ! Jeneluy voy rien que de tres médiocre , &
vous trouverez cent perfonnes qui feront plus dignes
- devous. Premierement , elle a lesyeux petits.
CLEON TE.
Cela eft vray, ellea les yeux petits ; mais elle les a
pleins de feux , les plus brillans , les plus perçans du
monde, les plus touchans qu'on puiffe voir.
COVIELLE.
Elle a la bouche grande.
CLEONTE.
Ouy ; mais on y voit des graces qu'on nevoit point
aux autres bouches ;& cettebouche,en la voyant, in
fpire des defirs, eft laplus attrayante, & laplusamou
reufe du monde.
COVIELLE.
Pour fa taille , elle n'eft pas grande.
CLEON TE.
Non mais elle eft aifée , & bienptife.
COVIELL E.
Elle affecte une nonchalancé dans fon parier , &
dansfes actions.
C $ CLEON
IS
58 LE BOURGEO
CLEON TE.
Il eft vray ; mais elle agrace à tout cela , & fes ma
nieres font engageantes , ont je ne fçay quel charme
à s'infinuërdans les cœurs.
COVIELLE.
Pour de l'Efprit....
CLE ON TE.
Ah elle en a , Covielle, du plus fin, du plus délicat.
COVIELLE.
Sa converfation....
CLEON TE.
Sa converfation eft charmante.
COVIE LLE.
Elle eft toûjours ferieuſe.
CLEON TE.
Veux-tu de ces enjoûmens épanoüis , de ces joyes
toûjours ouvertes ? & vois- tu rien de plus imperti
nent, que des femmes qui rient à tout propos
COVIELLE.
Mais enfin elle eft capricieufe autant que perfon
ne du monde.
CLEONTE.
Ouy, elle eft capricieuſe , j'en demeure d'accord ;
mais tout fied bien aux belles, on fouffie tout des
belles .
COVIELLE
1
Puis que cela va comme cela , je voy bien que vous
avez envie de l'aimer toûjours.
CLE ON T E
Moy , j'aimerois mieux mourir ; &je vayla haïr
autant que je l'ay aimée.
COVIELLE.
Le moyen, fi vous la trouvez fi parfaite.
CLEON TE.
C'eft en quoy ma vangeance fera plus éclatante ;
en quoy je veux faire mieux voir la force de mon
coeur, à la hair, à la quitter, toute belle , toute pleine
d'attraits , toute aimable queje la trouve . La voici.
SCE
GENTILHOM ME. 59.
SCENE X.
1 CLEONTE , LUCILE , COVIEL
LE, NICOLE.
NICOLE.
Pour moy, j'en ay efté toutefcandalifée.
LucIL E.
Ce ne peut eftre, Nicole, que ce que je te dis. Mais
levoilà.
CLEONT E.
Je ne veux pas feulementluy parler.
COVIELLE.
Jeveuxvous imiter
LuCIL E.
Qu'eft-ce donc, Cleonte, qu'avez -vous?
NICOL I.
Qu'as-tu donc, Covielle ?
LuCIL E.
Quel chagrin vous poffede ?
NICOL E.
Quelle mauvaiſe humeur te tient ?
LUCIL E.
Eftes-vous muët, Cleonte ?
NICOL B.
As-tu perdu la parole, Covielle ?
CLEON TE.
Quevoilàqui eft fcelerat ?
COVIEL. L E.
Que cela eftJudas !
LucILE.
Je voy bien que la rencontre de tantoft atroublé
voftre efprit.
CLEONT E.
Ah, ah, on voit ce qu'on a fait..
NICOLE..
Noftre accœuil de ce matin t'a fait prendre la che
Vie.
C 6 Co
60 LE BOURGEOIS
COVIEL L E.
On a deviné l'encloüeure.
LuCIL E.
N'eft-il pas vray, Cleonte , que c'eft là lefujet de
voftre dépit?
CLEON TE.
Ouy , perfide , ce l'eft , puis qu'il faut parler ; &
j'ay à vous dire que vous ne triompherez pas comme
vous pensez de voftre infidelité , que je veux eftre le
premier àrompre avecque vous , & que vous n'aurez
pas l'avantage de me chaffer. J'auray de la peine,
fans doute, à vaincre l'amour que j'ay pour vous; cela
mecaufera des chagrins; Je fouffriray un temps; mais
j'en viendray à bout , & je me perceray plûtoft le
cœur, que d'avoir la foibleffe de retourner à vous.
COVIELLE.
Queeuffy, queumy.
LucIL E.
Voilà bien du bruit pour un rien. Je veuxvous
dire , Cleonte , le fujet qui m'a fait ce matin éviter
voftre abord.
CLEONT E.
Non, je ne veuxrien écouter.
NICOL E.
Je te veux apprendre la cauſe qui nous afait paffer
fi vifte.
COVIELLE.
Je neveux rien entendre.
LucIL E.
Sçachez que ce matin....
CLE ONT E.
Non, vous dis-je.
NICOLE.
Apprens que....
COVIELL E.
Non, traiftreffe. J
LucILE.
Ecoutez.
CLEON
GENTILHOM ME.
61
CLEON TE.
Pointd'affaire.
NICOLE.
Laiffe-moy dire.
COVIELLE.
Je fuisfourd.
LuCIL E.
Cleonte.
CLEON TE.
Non.
NICOL E.
Covielle.
COVIELLE
Point.
LuCIL E.
Arreftez.
CLEONTE.
Chanfons.
‫ד‬ NICOL E.
T Entens- moy.
COVIELLE.
Bagatelles. 1
LucILE.
Un moment.
CLEON TE.
Point du tout.
NICOLE.
Un peu de patience.
COVIELLE.
Tarare.
LUCIL E.
Deux paroles.
CLEONTE.
Nan, ç'en est fait.
NICOLE.
Un mot.
COVIELLÉ.
Plus de commerce.
62 LE BOURGEOIS
LuCIL E.
Hébien, puis que vous ne voulez pas m'écouter,
demeurez dans voftre penfée , & faites ce qu'il vous
plaira.
NICOLE.
Puis que tu fais comme cela , prens-le tout com
metu voudras.. +
CLEON TE.
Sçachons donc le fujetd'un fi bel accœuil.
LuCIL E.
Il ne me plaift plus de le dire.
COVIELLE.
Apprens-nous un peu cette hiftoire.
NICOL E.
Je ne veux plus, moy, te l'apprendre.
CLEON TE.
Dites-moy....
LuCIL E.
Non, je ne veux rien dire.
COVIELLE.
Conte- moy.... !
NICOL E.
Non, je ne conte rien.
CLEONT E.
Degrace.
LuCIL E.
Non, vous dy-je.
COVIELLE.
Par charité.
NICOLE.
Point d'affaire. •
CLEONTE.
Jevous en prie.
LUCIL E.
Laiffez- moy.
COVIEL LE..
Je t'enconjure.
NICOLE.
Ofte-toy delà. CLEON
GENTILHOM ME.
CLEON TE. 63
Lucile.
* LuCIL E.
Non.
COVIELLE.
Nicole.
NICOLE.
Point.
CLEONTE.
Au nom des Dieux.
LuCIL E.
Je ne veux pas.
1 COVIELLE,
Parle-moy.
NICOL E.
Point du tout.
CLEON TE. }
Eclairciffez mes doutes. 7
LuCIL E.
Non, je n'enferay rien.
COVIELLE..
Gueris-moy l'efprit.
NICOLE.
Non, ilne me plaiſtt pas.
p
CLEON TE.
Hébien , puis que vous vous fouciez fi peu de me
tirer de peine, & de vous juftifier du traittement in
digne que vous avez fait àma flâme, vous mevoyez ,
ingrate, pour la dernierefois , & je vay loin devous
mourir dedouleur & d'amour.
COVIELLE.
Et moy, je vayfuivre fes pas.
LUCIL E.
Cleonte. 1
NICOLE..
Covielle.
CLEON TE
Eh ?
64 LE BOURGEOIS
COVIELLE.
Plaift-il ?
LuCIL E.
Où allez-vous ?
CLEONTE.
Oùjevous aydit.
COVIELLE.
Nous allons mourir.
LuCIL E.
Vous allez mourir, Cleonte ?
CLEON TE.
Ouy, cruëlle, puis que vous le voulez.
LuCIL E.
Moy, je veux que vous mouriez ?
CLEONTE.
Ouy,vous le voulez.
LuCIL E.
Quivousle dit?
CLEON TE.
N'eft-ce pas le vouloir , que de ne vouloir pas é
claircir mes foupçons ?
LuCIL E.
Eft ce ma faute ? Et fi vous aviez voulu m'écou
ter, ne vous aurois-je pas dit que l'avanture dont
vous vous plaignez , a efté cauſée ce matin par la pre
fence d'unevieille Tante, qui veut à toute force, que
lafeule approche d'un homme des honoreune Fille;
Qui perpetuellement nous fermone fur ce chapitre,
& nous figure tous les hommes comme des diables
qu'il fautfuir.
NICOLE.
Voilà lefecret de l'affaire.
CLE ON T E.
Ne metrompez-vous point, Lucile?
COVIELLE.
Ne m'en donnes- tu point à garder ?
LucIL E.
Il n'eft rien de plus vray.
NI.
GENTILHO MM E. 65
NICOL E.
C'eft la chofe comme elle eft.
COVIELLE.
Nous rendons- nous à cela ?
CLEON T E.
Ah, Lucile, qu'avec un mot de voftrebouche vous
fçavez appaiſer de chofes dans mon cœur ! & que fa
cilement on fe laiffe perfuader aux perfonnes qu'on
aime !
COVIELLE.
Qu'on eft aiſement amadoué par ces diantres d'a
nimaux- là !.
SCENE XI.
MADAME JOURDAIN , CLEONTE ,
LUCILE , COVIELLE , NICOLE.
Me Jou RDA IN.
Efuis bien-aife de vous voir, Cleonte, & vous voilà
Jtout àpropos. Mon mary vient, prenez vifte voftre
S temps pour luy demander Lucile en mariage.
CLEON TE. 1
Ah, Madame , que cette parole m'eft douce , &
2 qu'elle flate mes defirs ! Pouvois-je recevoir un ordre
plus charmant: une faveur plus précieuſe !
#
4 SCENE XII.

1 MONSIEUR JOURDAIN , MADAME


JOURDAIN , CLEONTE , LUCI
LE, COVIELLE , NICOLE.
CLEONT E.
Monfieur , je n'ay voulu prendre perfonne pour
vous faire une demande que je médite il ya
long- temps. Elle me touche affez pour m'en charger
moy- même ; & fans autre détour , je vous diray
que l'honneur d'eftre voftre gendre eft une faveur
glorieufe que je vous prie de m'accorder.
M. JOUR
66 LE BOURGEOIS.
M. JOURDAIN.
Avant que de vous rendre réponſe , Monfieur , je
vous prie de me dire, fi vous eftes Gentilhomme.
CLEONTE.
Monfieur , la pluſpart des gens fur cette queſtion,
n'hefitent pas beaucoup. On tranche le mot aiſe
ment. Ce nom ne fait aucun fcrupule à prendre, &
l'uſage aujourd'huy ſemble en authorifer le vol. Pour
moy, jevous l'avouë, j'ay les fentimens fur cette ma
tiere un peu plus délicats. Je trouve que toute im
poſture eft indigne d'un honnefte homme , & qu'il
y a de la lâcheté à déguiſer ce que le Ciel nous a fait
naiſtre ; à ſe parer aux yeux du monde d'un titre de
robé ; à fe vouloir donner pour ce qu'on n'eft pas. Je
ſuis né de parens , fans doute , qui ont tenu des char
ges honorables. Je me fuis acquis dans les Armées
l'honneur de fix ans de ſervices, &je me trouve affez
de bien pour tenir dans le monde un rang-aſſezpaf
fable: mais avec tout cela je ne veux point medon
ner un nom ou d'autres en ma place croiroient pou
voir pretendre ? & je vous diray franchement que je
nefuis point Gentilhomme.
M. JOURDAIN.
Touchez là , Monfieur. Ma Fille n'eft pas pour
vous.
CLE ON TE.
Comment ?
M. JOURDAIN.
Vous n'eftes point Gentilhomme , vous n'aurez
pas ma Fille.
Me JouRDAIN.
Que voulez vous donc dire avec voftre Gentil
homme ? Eft-ce que nous fommes , nous autres , de
la cofte de S. Loüis ?
M. JOURDAIN.
Taifez-vous, mafemme, je vous voy venir.
1 Me JouR DAIN.
Defcendons-nous tous deux que de bonne Bour
geoific ? M. JOUR
GENTILHO M M E.
M. JOURDAIN.
Voilà pasle coup de langue.
Me JouR DAIN,
Et voftre Pere n'eftoit- il pas Marchand auffi- bien
que le mien ?
M. JOURDAIN.
Pefte foit de la femme. Elle n'y a jamais manqué.
Si voftre Pere a efté Marchand , tant-pis pour luy;
mais pour le mien , ce font des mal-avifez qui difent
cela. Tout ce que j'ay à vousdire , moy , c'eſt queje
veux avoir un gendre Gentilhomme,
Me Jou RDA IN.
Il faut à voftre Fille un mary qui luyfoit propre,
& il vaut mieux pour elle un honnefte homme ri
che & bien fait , qu'un Gentilhomme gueux & mal
4 bafti.
NICOL E.
Cela eft vray. Nous avons le Fils du Gentilhom
me de noftre village , qui eft le plus grand Malitorne
& le plus fot Dadais que j'aye jamais veu.
M. JOURDAIN.
Taifez-vous , impertinente. Vous vous fourrez
toûjours dans la converfation ; j'ay du bien affez pour
ma Fille , je n'ay befoin que d'honneur , & je la veux
faire Marquife.
Me Jou RDA IN.
Marquife !
M. Jou RDA IN.
Ouy Marquife.
Me Jo u R DAIN.
Helas, Dieu m'en garde.
M. JOURDAIN.
C'eftune chofe que j'ay refoluë.
Me Jou RDAIN.
C'est une chofe , moy , oùje ne confentiray point.
Les alliances avec plusgrands que foy , font fujettes
toûjours à de fàcheux inconveniens. Je ne veux
point qu'un gendre puiffe à ma Fille reprocherfes
Parens ,
68 LE BOURGEOIS
parens, & qu'elle ait des enfans qui ayent hontede
m'appeller leur Grand Maman. S'il falloit qu'elle
mevint vifiter en equipage de Grand- Dame, & qu'el
le manquaſt par mégarde à faliier quelqu'un du
quartier, on ne manqueroit pas auffi toft de dire'
cent-fottifes. Voyez- vous , diroit on , cette Madame
la Marquife qui fait tant la glorieuſe ? c'eft la Fille
de Monfieur Jourdain,qui eftoit trop heureuſe, eftant
petite, de jouer à la Madame avec nous : Elle n'a pas
toûjours efté fi relevée que la voilà ; & fesdeux
Grands-Peres vendoient du drap auprés de laporte
SaintInnocent. Ils ont amaffé du bien à leurs enfans,
qu'ils payent maintenant , peut eftre , bien cher en
l'autre monde , & l'on ne devientgueres fi riches â
eftre honneftes gens: Je ne veux point tous cesca
quets , & je veux unhomme enun mot qui m'ait
obligation de ma Fille , & à qui je puiffe dire , met
tez-vous là, mongendre, & difnezavec moy.
M. JOURDAIN.
Voilà bien lesfentimens d'un petit Efprit, de vou
loir demeurer toûjours dans la baffeffe. Ne me re
pliquez pas davantage , ma Fille fera Marquise en
dépit de tout lemonde ; & fi vous me mettez en co
lere, je la feray Ducheffe.
Me JOURDAIN.
Cleonte, ne perdez point courage encore. Suivez
moy, ma Fille , & venez dire refolument à voſtre
Pere , que fi vous ne l'avez, vous ne voulez époufer
perfonne.
SCENE XIII.
CLEON TE , CO VIELLE.
COVIELLE.
Vous avez
fentime ns. fait debelles affaires , avec vos beaux
CLEON TE.
Que veux tu? J'ay un fcrupule là-deffus ; que
l'exemple ne fçauroit vaincre.
Co
GENTILHOM ME.
COVIELLE.
Vous moquez vous , de le prendre ferieuſement
avec un homme comme cela ? Ne voyez-vous pas
qu'il eft fou ? & vous couftoit-il quelque chofe de
vous accominöder à fes chimeres !
CLEONT E.
Tu as raifon ; mais je ne croyois pas qu'il fallut
faire fes preuves de nobleffe , pour eftregendre de
Monieur Jourdain.
COVIELLE.
Ah, ah, ah.
CLEON TE.
1
De quoy ris-tu ?
7 COVIELLE.
D'une penfée qui mevient pourjouer noftre hom
me, & vousfaire obtenir ce que yo vous fouhaitez.
CLEON TE.
Comment ? F
CoviE L L E.
L'idée eft tout-à-fait plaifante.
CLE ON TE. 9
Quoy donc ! I A
COVIELLE.
Il s'eft fait depuis peu une certaine mafcarade qui
vient le mieux du mondeici , & que je prétens faire
entrer dans une bourle queje veux faire à noftre ri
dicule. Tout cela fent un peu fa Comedie ; mais avec
luy on peut hazarder toute chofe, il n'y faut point
chercher tant de façons , & il eft homme à yjouer
fon rôle à merveille ; à donner aisément dans toutes
les fariboles qu'on s'avifera de luy dire. J'ay les
Acteurs , j'ay les habits tout prefts , laiffez moy faire
feulement. ཚ , 1.
CLEON TE.
Mais apprens-moy....
Co v IE-L. LE.
le
Je vais vous inftruirede tout ; retirons nous ,
voilà qui revient.
SCE
LE BOURGEOIS

SCENE XIV.
MONSIEUR JOURDAIN , LAQUAIS,
M. JOURDAIN.
Ue diable eft-ce là ! Ils n'ontrien que les grands
seigneurs à me reprocher; & moy je ne vois
tien de fi beau , que de hanter les grands Seigneurs ;
il n'y a qu'honneur & que civilité avec eux , &je
voudrois qu'il m'euftcoufté deux doigts de la main,
& eftrené Comte, ou Marquis.
1 LA QUAI S.
Monfieur, voici Monfieur le Comte, & une Dame
qu'il mene par lamain.
M. JOURDA I N.
Hé monDieu, j'ay quelques ordres à donner. Dy
leur quejevais venir icitout-à l'heure.
SCENE XV.
DORIMENE , DORANTE,
LAQUA IS.
LA QUAI S.
M Onfieur ditcomine cela , qu'il va venir ici tout
à-l'heure.'
DORANTE.
Voilà quicft bien.
DORIM EN E.
Je ne fçay pas, Dorante ; je fais encore ici une
étrange demarche , de me laiffer amener par vous
dans une maiſon où je ne connois perfonne.
DORANT E.
Quel lieu voulez-vous donc , Madame , que mon
amour choififfe pour vous régaler , puis que pour
fuir l'éclat , vous ne voulez ny voſtre maiſon , nyla
mienne.
DORI MENE .
Mais vous ne dites pas que je m'engage infenfi
blement
GENTILHOMME. 71
blement châque jour à recevoir de trop grands té
moignages devoftre paffion ? J'ay beau me defendre
des chofes , vous fatiguez ma refiftance , & vous avez
une civile opiniâtreté qui me fait venir doucement
à tout ce qu'il vous plaiſt. Les vifites frequentes ont
commencé ; & les declarations font venues enfui
D

320 te, qui aprés elles ont traifné les ferenades & les
cadeaux, que les preſens ont fuivi. Je me fuis op
J,! pofée à tout cela , mais vous ne vous rebutez point,
& pied à pied vous gagnez mes refolutions. Pour
moyje ne puis plus répondre de rien , & je croy qu'à
la fin vous meferez venir au mariage dont je me fuis
tant éloignée.
DORANTE '3
Ma foy , Madame , vous y devriez déja eftre. Vous
eftes veuve , & ne dépendez que de vous. Je fuis
maiftre de moy, & vous aime plus que mavie. A
quoy tient il que dès aujourd'huy vous ne faffiez
tout mon bonheur ?
DORI MENE.
Mon Dieu , Dorante , il faut des deux parts bien
des qualitez pourvivre heureuſement enſemble ; &
lesdeux plus raifonnables perfonnes du monde , ont
fouvent peine à compoſer une unión dont ilsfoient
fatisfaits.
DORANTE. •
Vous vous moquez , Madame , de vous y figurer
tant de difficultez ; & l'experience que vous avez
faite , ne conclut rien pour tous les autres.
DORÍMÈNE.
Enfin j'en reviens toûjours là. Les dépenfes queje
Vous voy faire pour moy , m'inquietent par deux
raifons ; l'une , qu'elles m'engagent plus queje ne
voudrois ; & l'autre , que je fuis feûre , fans vous
déplaire , que vous ne lesfaites point , que vous ne
vous incommodiez ; &je ne veux point cela.
DO
72 LE BOURGEOIS
DORANT E.
Ah , Madame , cefont des bagatelles , &ce n'eft
paspar là....
DORI MENE.
Je fçay ce que je dy; & entr'autres leDiamant que
vous m'avez forcée à prendre, eft d'un prix....
# DORANTE,
Eh, Madame , de grace , ne faites point tant valoir
une chofe que mon amour trouve indigne de vous ,
& fouffrez.... Voicy le Maiftre du logis.

SCENE XVI.

MONSIEUR JOURDAIN, DORIME


NE, DORANTE , LAQUAIS.

M. JOURDAIN aprés avoir faitdeux reveren


ces, fe trouvant tropprés de Dorimene.
UN peuplus loin, Madres
DORIMENE.
Comment?
M. JOURDAIN.
Unpas, s'ilvous plaift.
DORIMENE.
Quoydonc ?
‫די‬ M. JOURDAIN.
Reculez unpeu, pour la troifiéme.
DORANT E.
Madame, Monfieur Jourdain feaitfon monde..
M. JOURDAIN.
Madame , ce m'eft une gloire bien grande , de me
voir affez fortuné , pour eftre fi heureux , que d'a
voir le bonheur, quevous ayez eu la bonté de m'ac
corder la grace, de me faire l'honneur, de m'honorer
de la faveur de voftre prefence: Et fi j'avois auffi le
merite, pour meriter un merite comme levoftre, &
que le Ciel....envieux de mon bien... m'euft accor
dé.... l'avantage de me voir digne.... des....
D 0
GENTILHOMME. 73
DORANT E.
&cen'e Monfieur Jourdain , en voilà aſſez ; Madame n'ai
me pas les grands complimens , & ellefçait que vous
eftes homme d'efprit. bas à Dorimene. C'est un bon
mant Bourgeois affez ridicule , tomme vous voyez dans
toutes fes manieres. 7
DORI MENE.
valoit Il n'eſt pas malaiſé de s'en appercevoir.
evous DORANTE.
Madame, voilà le meilleur de mes amis.
M. JOURDAIN.
C'efttrop d'honneur quevous me faites.
DORANTE.
ME. Galant homme tout- à-fait.
DORIMENE.
J'aybeaucoup d'eftime pour luy.
M. Jou RDAIN.
n'ay rien fait encore , Madame , pour meriter
Je grace
cette .
DORANTE , bas à M. Jourdain.
Prenez bien garde au moins , à ne luy point parler
duDiamant que vous luy avez donné.
M. JOURDAIN .
Ne pourrois -je pas feulement luy demander com
ment elle le trouve ?
D O F AN T E.
Comment gardez-vous en bien. Cela feroit vi
lain à vous , & pour agir en galant homme , il faut
que vous faffiez comme fi ce n'eftoit pas vous qui
luy euffiez fait ce prefent. Monfieur Jourdain , Ma
dame, dit qu'il eft ravi de vous voir chez luy.
DORIMENE.
Il m'honore beaucoup .
M. Jou RDA IN.
Que jevous fuis obligé , Monfieur , de luy parler
ainîî pour moy !
DORANTE.
J'ay euune peine effroyable à lafaire venirici.
M. JOUR
IS
74 LE BOURGEO
M. JOURDAIN.
Je ne fçay quelles graces vous en rendre.
DORANTE.
Il dit , Madame , qu'il vous trouve laplus belle
perſonne du monde.
DORIMENE.
C'eftbien de la grace qu'il me fait.
M. JOURDAIN.
Madame, c'eft vous qui faiteslesgraces, &…...
DORANT E.
Songeons à manger.
LA QUAI S.
Tout eft preft, Monfieur.
DORANT E.
Allons donc nous mettre à table, &qu'on faffe
venir les Muficiens.
Six Cuifiniers quiontpreparéle Feftin , dancent enfem
ble, & fontle troifiéme Intermede; aprésquoy ils apportent
anetable couvertedeplufieursmets.
Fin du troifiéme Acte.

ACTE IV.

SCENE I.
DORANTE, DORIMENE, MONSIEUR
JOURDAIN , DEUX MUSICIENS,
UNE MUSICIENNE , LA
QUAIS.
DORI MENE.
Omment, Dorante , voilà un repas tout
à-fait magnifique !
M. Jou RDA I N.
Vous vous moquez , Madame , &je
voudrois qu'il fuft plus digne de vous
eatreoffert. Tousfe mettent à table.
D0
GENTILHOM ME. 75
DORANT E.
MonfieurJourdain a raiſon , Madame , de parler
de la forte , & il m'oblige de vous faire fibien les
lask honneurs de chez luy. Je demeure d'accord avec
luy,, que le repas n'eft pas digne de vous. Comme
c'eft moy qui l'ay ordonné , & que je n'ay pasfur
cette matiere les lumieres de nos amis , vous n'avez
pas ici un repas fort fçavant , & vous y trouverez
des incongruitez de bonne chere , & des barbariſmes
de bon gouft. Si Damis s'en eſtoit meflé tout feroit
dans les regles ; il y auroit par tout de l'élegance &
de l'érudition , & il ne manqueroit pas de vous exa
gerer luy-même toutes les pieces du repas qu'il vous
donneroit , & de vous faire tomber d'accord de fa
fa haute capacité dans la fcience des bons morceaux; de
vousparler d'un pain de rive, à bizeau doré, relevé de
croufte par tout , croquant tendrement fous la dent ;
d'un vin à feve veloutée , armé d'un vert qui n'eft
point trop commandant ; d'un carré de mouton
gourmandé de perfil ; d'une longe de veau de rivie
re, longue comme cela, blanche, délicate,& qui fous
les dents est une vraye paſte d'amande ; de perdrix
relevées d'un fumet furprenant ; & pour fon opera ,
d'une foupe à bouillon perlé , foûtenuë d'un jeune
gros dindon , cantonné de pigeonneaux , & couron
née d'oignons blancs , mariez avec la chicorée. Mais
pourmoy ,jevous avoue mon ignorance ; & comme
Monfieur Jourdain a fort bien dit , je voudrois que
le repas fuft digne de vous eftre offert.
DORI MENE.
Je ne répons à ce compliment , qu'en mangeant
commeje fais.
M. Jou RDA I N.
Ah que voilà de belles mains !
DORIMENE.
Les mains font mediocres , MonfieurJourdain ;
mais vous voulez parler du Diamant qui eft fort
beau.
D2. M. JOUR
576 LE BOURGEOIS
M. JOURDAIN.
Moy , Madame? Dieu me garde d'en vouloirpar
ler ;ce neferoit pas agir en galant homme, & leDia
mant eftfort peu de choſe.
DORIMENE.
Vous etes bien dégouſté.
M. JOURDAIN.
Vousaveztrop de bonté....
DORANTE.
Allons , qu'on donne du vin à MonfieurJour
dain , & à ces Meffieurs qui nous feront lagracede
nous chanter un airà boire.
DORIMEN E.
C'eft merveilleufement affaifonner la bonneche
re , que d'y mefler la Mufique ; & je me voisicy ad
mirablement regalée.
M. JOURDAIN.
Madame, ce n'eftpas....
DORANT E.
Monfieur Jourdain , preftons filence à ces Mef
fieurs; ce qu'ils nous diront , vaudra mieux quetout
ce que nous pourrions dire.
Les Muficiens & la Muficienne prennent des verres ,
chantent deux Chansons à boire , &fontfoûtenus de toute
la Simphonie.
7
PREMIERE CHANSON A BOIRE.
UN petitdoigt, Philis, pour commencer le tour:
Ah!qu'un verre en vos mains a d'agreables charmes !
Vous, & le vin, vous vous preftez des armes ,
Etjefenspour tous deux redoubler mon amour :
Entreluy, vous & moy, jurous,jurons ma belle ,
Uneardeureternelle.

Qu'en mouillant votre bouche il en reçoitd'attraits,


Et quel'on voitpar luy voftre bouche embellie !
Ah! l'unde l'autre ils medonnent envie ,
Et de vous& deluyje m'enyvreà longs traits é
Entre
GENTILHO M M E. 77
Entreluy, vous & moy,jurons, jurons mabelle ,
Une ardeur eternelle.
용도

SECONDE CHANSON A BOIRE.

B Vvons, chers Amis, buvons ,


Letemps qui fuit nousy convie :
Profitons dela vie
Autant que nous pouvons :
Quandon apaffe'l'onde noire "
Adieule bon vin, nos amours ;
Dépefchons nous de boire ,
On neboitpas toujours.
Laiffonsraifonnerlesfots
Surle vray bonheurde la vie ;
NoftrePhilofophie
Lè metparmy lespots:
Les biens, lefçavoir, & lagloire ,
N'oftentpoint lesfoucisfafcheux ;
Et cen'eft qu'à bien boire
Quel'onpeut eftre heureux.
0 Sus, fusdu vin, par tout verfez, garçons verfez ,
Verfez, verfeztoujours, tant qu'on vous dife affez.
DORIMENE.
Je ne croy pas qu'onpuiffe mieux chanter , & cela
eft tout-à-fait beau.
M. JOURDAIN.
Je vois encoreis, Madame, quelque chofe de plus
beau.
DORIMENE.
Ouais. Monfieur Jourdain eft galant plus oje
ne penfois.
DORANT E.
Comment, Madame, pour qui prenez-vous Mon
fieur Jourdain ?
M. Jou RDA I N.
Je voudroisbien qu'elle mepritpour ce que je di
rois
D 3 D 0
78 LE BOURGEOIS
DORIM'EN E.
Encore !
DORANT E.
Vous nele connoiffez pas.
M. JOURDAIN."
Elle me connoiftra quand il luy plaira.
1 DORIMENE.
Oh je le quitte.
DORANTE.
Il eft homme qui a toûjours la rifpofte enmain.
Mais vous ne voyez pas que MonfieurJourdain, Ma
dame , mangetous les morceaux que vous touchez.
DORIMENE .
MonfieurJourdain eft un homme qui meravit.
M. JOURDAIN.
Si jepouvois ravir voftre cœur, je ferois....

SCENE II.
MADAME JOURDAIN , MONSIEUR
JOURDAIN , DORIMENE , DO.
RANTE ; MUSICIENS , MU
SICIENNE , LAQUAIS.
Me JouRDAIN.
AH, ah , je trouve ici bonne compagnie, & jevoy
bien qu'on ne m'y attendoitpas. C'est donc pour
cette belleaffaire ci , Monfieur mon mary, que vous
yez eu tant d'empreffement à m'envoyer difner
ez ma Soeur? Je viens de voir un theatre làbas,
pisici un banquet à faire nôces. Voilà comme
vous de enfez votre bien , & c'eft ainfi que vous
feftinez les ames en mon abfence , & que vous leur
donnez la Musique & la Comedie , tandis quevous
m'envoyezpromener ?
DORANT E.
Que voulez -vous dire , Madame Jourdain? &
quelles fantaiſies font les voftres, de vous aller met
tre
T
GENTILHO MM E. 79
tre en tefte quevoſtre mari dépenſe ſon bien , & que
c'eft luy qui donne ce régale à Madame ? Apprenez
que c'eft moy, je vous prie ; Qu'il ne fait feulement
que me prefterfa maiſon , & que vous devriez un peu
mieux regarder aux choſes que vous dites.
M. Jou RDA IN.
Ouy, impertinente , c'eft Monfieur le Comte qui
donne toutceci à Madame , qui eft une perfonne de
qualité. Il me fait l'honneur de prendre ma maiſon,
ma & devouloir que je fois avec luy.
M Me JouR DAIN.
wher Ce font des chansons que cela ; je fçay ce queje
fçay.
DORANT E.
Prenez, Madame Jourdain , prenez de meilleures
lunettes.
Me JOURDAIN.
Je n'ayquefaire de lunettes , Monfieur , & jevoy
affez clair ; il y a long-temps que je fens les chofes ,
& je nefuis pas une befte. Cela eft fort vilain à vous,
pour un grand Seigneur ; de prefter la main comme
) vous faites aux fottifes de mon mary. Et vous , Ma
dame , pour une grand'Dame , cela n'eft ny beau, ny
honnefte à vous , de mettre de la diffention dans un
ménage , & de fouffrir que mon maryfoit amoureux
de vous.
1 DORIMENE.
Que veut donc dire tout ceci ? Allez, Dorante,vous
vous moquez , de m'expofer aux fottes vifions de cet
te extravagante.
DORANT E.
Madame, hola Madame, où courez-vous ?
M. JOURDAIN.
Madame. Monfieur le Comte, faites- luy excuſes,
& tâchez de laramener. Ah , impertinente que vous
eftes , voilà de vos beaux faits ; vous me venez faire
des affronts devant tout le monde , & vous chaffez
de chez moy des perſonnes de qualité.
D4 Me Jour
P
Lɛ BÓÚRGEOIS
Me Jou RDA I N.
je me moque de leur qualité.
M. JOURDAIN.
Je ne fçay qui me tient , maudite , queje nevous
fende la tefte avec les pieces du repas que vous estes
venuetroubler. On ofte la table.
Me JOURDAIN , fortant.
Je me moque de cela. Ce font mes droits queje
defens , & j'auray pour moy toutes lesfemmes.
M. JOURDAIN.
Vousfaitesbien d'éviter ma colere. Elle eft arrivée
là bien malheureufement. J'eftois en humeur de
dire de jolies chofes, & jamais je ne m'eftois fenti tant
d'efprit. Qu'est-ce que c'eft que cela ?
SCENE " III.
COVIELLE déguisé , MONSIEUR
JOURDAIN , LAQUAIS.
COVIELLE.
M Onfieur , je ne fçay pas fi j'ay l'honneur d'eftre
connu de vous. A
M. JOURDAIN.
Non, Monfieur.
COVIELLE.
Je vous ay veu que vous n'eftiez pas plus grand
que cela.
M. JOURDAIN.
Moy!
COVIELLE.
Ouy, vous eftiez le plus bel Enfant du monde , &
toutes les Damesvous prenoient dans leurs braspour
vousbaifer !
M. JOURDAIN.
Four mebaifer !
COVIELLE.
Ouy. J'eftois grand amy de feu Monfieur voftre
Pere.
M. JOUR
GENTILHOMME. 81
M. JOURDAIN.
Defeu Monfieur mon Pere.
mevor COVIELLE.
sele Ouy. C'eftoit un fort honnefte gentilhomme.
M. JOURDAIN.
Comment dites-vous ?
quei COVIEL LE.
Je dis que c'eftoit un fort honnefte gentilhomme.
M. Jou RDA I N.
Mon Pere.
d COVIELLE.
Ouy.
M. JOURDAIN.
Vous l'avez fort connu ?
COVIELLE.
Affurément.
M. JOURDAIN.
Etvous l'avez connu pour gentilhomme ?
COVIELLE.
re Sans doute.
>
M. JOURDAIN.
Je nefçay donc pas comment le monde eft fait.
COVIELLE.
Comment ? 3
M. JOURDAIN.
Ily adefottes gens qui me veulent dire qu'il a efté
Marchand.
COVIELLE.
Ex Luy marchand ! C'eft pure médifance , il ne l'a
jamais efté. Tout ce qu'il faifoit , c'est qu'il eftoit
fort obligeant, fort officieux ; & comme il fe con
noiffoit fort bien en étoffes , il en alloit choisir de
tous les coftez , les faifoit apporter chez luy , & en
donnoit à fes amis pour de l'argent.
M. JOURDAIN.
Je fuis ravi de vous connoiftre, afin que vous ren
diez ce témoignage là que mon Pere eftoit gentil
1. homme. -03
D S
LE BOURGEOIS
COVIELLE.
Je lefoûtiendray devanttout le monde.
M. JOURDAIN.
Vous m'obligerez. Quel fujet vous ameine ?
COVIELLE.
Depuis avoirconnufeu Monfieur voftre Pere hon
nekte Gentilhomme , comme je vous ay dit , j'ay
voyagé par tout le monde.
M. JOURDAIN.
Partout le monde !
COVIELLE.
Ouy.
M. JOURDAIN.
Jepensequ'il y a bien loin en ce Païs- là.
COVIELLE.
Affurément. Je ne fuis revenu de tous mes longs
voyages que depuis quatrejours ; & par l'intereftque
je prens à tout ce qui voustouche , jeviens vousan
noncerla meilleure nouvelle du monde.
M. JOURDAIN.
Quelle
COVIELLE.
Vous fçavez que le Fils du grand Turc eft ici ?
M. JOURDAIN.
May non.
COVIELLE.
Comment ! Il aun train tout-à-fait magnifique;
tout le monde le va voir , & il a efté receu en ce Païs
commeun Seigneur d'importance.
M. JOURDAIN.
Par mafoy, je ne fçavois pas cela.
COVIE L L E.
Ce qu'il y a d'avantageux pour vous , c'eſt qu'il
eft amoureux de voftre Fille.
M. JOURDAIN.
LeFils du grand Turc ?
COVIELLE.
Quy; & ilveut eftre voſtre gendre
M. Jour
GENTILHOM ME.
M. JOURDAIN .
Mongendre, le Fils du grand Turc !
COVIELLE .
Le Fils du grand Turc voftre gendre. Comme je
Je fus voir, & que j'entens parfaitement fa langue ,
il s'entretint avec moy ; & aprés quelques autres
difcours , il me dit. Acciam croc foler ouch alla mouf
taphgidelum amanahem varahini ouffere carbularh . C'eft

à dire; n'as tu point veu une jeune belle Perfonne ,


qui eft la Fille de Monſieur Jourdain , Gentilhomme
Parifien ?
M. JOURDAIN .
Le Fils dugrand Turc dit celaLE
de moy ?
COVIEL ..
Ouy. Comme je luy eus répondú , que je vous
connoiffois particulierement , & que j'avois veu vô
tre Fille : Ah, me dit-il , Marababasahem ; c'eſt à
dire , Ah que je fuis amoureux d'elle !
M. JOURDAIN .
Marababafahem veut dire,Ah que jefuisamoureux
d'elle ? COVIE L L E.
Ouy. M. JOURDAIN .
Par mafoy, vous faitesbien de mele dire,car pour
moy je n'aurois jamais crû que Marababa fahem euft
voulu dire , Ah que je fuis ainoureux d'elle ! Voilà
une langue admirable, que ce Turc
CoV LELLE.
Plus admirable qu'on ne peut croire . Sçavez- vous
bience que veut dire , Cacaracamouchen ?
M. JOURDA I N.
Cacaracamouchen ? Non..
COVIELLE
C'est à dire, Ma chere ame.
M. JOURDAIN.
Gacaracamouchen veutdire , Ma chere ame ?
C
D: 6
84 LE BOURGEOIS
COVIEL L E.
Ouy.
M. Jou RDA I N.
Voilà qui eft merveilleux ! Caçaracamouchen , Ma
chere ame : Diroit- on jamais cela ? Voilà qui me
confond.
COVIELLE.
Enfin pour achever mon Ambaſſade , il vient
vous demander voftre Fille en mariage; & pour avoir
un Beau-Pere qui foit digne de luy , il veut vousfaire
Mamamouchi , qui eft une certainegrande dignité de
fon Païs.
Mamamouchi? M. JOURDAIN .
COVIELLE ,
Ouy, Mamamouchi: c'eft à dire en noftre langue,
Paladin. Paladin , ce font de ces anciens.... Paladin
enfin : Il n'y a rien de plus noble que cela dans le
monde ; & vous irez de pair avec les plus grands Sei
gneurs de la terre.
M. JOURDAIN.
Le Fils du grand Turc m'honore beaucoup , & je
vous prie de me mener chez luy , pour luy en faire
mes remercimens.
COVIELLE.
Comment ? le voilà qui va venir ici.
M. JOURDAIN.
Il va venir ici?
COVIELLE.
Ouy; digni
voftr amene toutes choſes pour la ceremonie
&il té
de e .
Voilà qui efM. Jou pt
t bien prom R. DAIN.
COVIELLE.
Son ainour nepeut ſouffrir aucun retardement.
JOURDAIN
Tout ce quiM.m'embaraffe ici , c'ef . ma Fille
t que
opi
eft une niaftre , qui s'eft allée mettre dans la tefte

An
GENTILHO MM E. 85
uncertain Cleonte , & elle jure de n'époufer perfon
ne que celuy-là.
COVIELLE.
ben, Elle changera de ſentiment , quand elle verra le
Fils du grand Turc ; & puis il fe rencontre ici une
avanture merveilleufe , c'eft que le Fils du grand
Turc reffemble à ce Cleonte , à peu de choſe prés. Je
1 viens de le voir , on me l'a montré ; & l'amour qu'el
le a pour l'un , pourra paffer aiſement à l'autre, &....
동물

Je l'entens venir; le voilà.

SCENE IV.

CLEONTE en Turc , avec trois Pages portant fa


Vefte , MONSIEUR JOURDAIN ,
COVIELLE déguisé.
CLEON TE.
A Mboxfahim equi boraf, Fordina, falamalequi.
COVIELLE.
C'eft- à-dire ; Monfieur Jourdain, voſtre cœurfoit
toute l'année comme un Rofier fleury. Ce font fa
çons deparler obligeantes de ces Païs-là.
M. JOURDAIN.
Je fuis tres humble ferviteur de fon Alteffe Tur
que.
COVIELLE.
Carigarcamboto oustin moraf.
CLEON TE.
Ouftinyoccatamalequi baſum bafe alla moran.
COVIELLE.
Il dit que le Ciel vous donne la force des Lyons ,
& la prudence des ferpens.
M. JOURDAIN.
Son Alteffe Turque m'honore trop , &je luy fou
haite toutes fortes de proſperitez.
Cov.1 ELLE.
Offa binamenfadoc babally oracaf ouram.
D7 CLEO 17
86 L BouRGEOIS
CLEONTE,
Bel men.
COVIELLE.
Il dit que vous alliez vifte avec luy vouspréparer
pour la ceremonie , afin de voir en fuite voftreFille,
& deconclure le mariage.
M. JOURDAIN.
Tant de chofes en deux mots?
COVIELLE.
Ouy , la langue Turque eftcomme cela , elledit
beaucoup en peu de paroles . Allez vifte où il fou
haite.
SCENE V.
DORANTE , COVIELLE.
COVIELLE.
HA, ha , ha. Mafoy , cela eft tout-à-fait drôle.
Quelle dupe ! Quand il auroit appris fon rôlepar
cœur , il ne pourroit pas le mieux jouer. Ah, ah. Je
vous prie , Monfieur , de nous vouloir aider ceans
dans une affaire qui s'y paſſe.
DORANTE.
Ah , ah , Covielle, qui t'auroit reconnu ; Comme
revoilà ajusté !
COVIELLE.
Vousvoyez. Ah, ah.
DORANTE.
Dequoyris-tu ?
COVIELLE.
D'une chofe, Monfieur, qui la merite bien.
DORANT E.
Comment ?
COVIE L LE.
Je vousle donnerois en bien des fois , Monfieur,
à deviner , le ftratagéme dont nous nous fervons au
de Monfieur
présnerla
don Jourdain
Fille à mon Maiſtr, epour porter fon eſprit à
DO
GENTILHO MM E. 87
DORANT E.
Je ne devine point le ftratagéme , maisje devine
qu'il ne manquera pas de faire fon effet , puis que tu
l'entreprens.

COVIELLE.

Jefçay, Monfieur , que la beſte vous eft connuë.


DORANTE.
Apprens moy ce que c'eft.
COVIELLE.
Prenez la peine de vous tirer un peu plus loin,
fot pour faireplace à ce que j'apperçoy venir. Vous pour
rez voir une partie de l'hiftoire , tandis que je vous
conteray le refte.
La Ceremonie Turquepour ennoblir le Bourgeois , fefait
en Dance & en Muſique , & compoſe le quatriéme Inter
mede.
그림 LE Mufti , quatre
Turcs Muficien s , Dervis , fixJoueurs
& autres Turqs d'inftru
dançant mens
, fiz
3 à la Turque, font les Acteurs de cette ceremonie .
Le Mufti invoque Mahomet avec les douze Turcs
& les quatre Dervis ; aprés on luy amene le Bour
geois veftu à la Turque , fansTurban & ſans Sabre ,
auquel il chante ces paroles.
LE MuFTI.
Seti fahir
Ti respondir
Se non fabir
Tazir , tazir.
Mi ftar Mufti.
Ti qui ftar ti
Non intendir
Tazir tazir.
Le Mufti demande en même langue aux Turc
affiftans, de quelle Religion eſt le Bourgeois, &
ils
18 LE BOURGEOIS
ils l'affurent qu'il eft Mahometan. Le Muftiinvoque
Mahomet en langue Franque , & chante les paroles
quifuivent.
LE MUFTI.
Mahametta per Giourdina
Mipregarfera è mattina
Volerfar un Paladina
De Giourdina, dé Giourdina
Dar Turbanta è darſcarcina
Con Galera è Brigantina
Perdeffender Palestina.
Mahametta, &c.
Le Mufti demande aux Turcs file Bourgeois fera
ferme dans la Religion Mahometane , & leurchan
te ces paroles.
L E MUFT I.
Starbon Turca, Giourdina.
LES TURCS.
Hi valla.
LE MUFTI , dance & chante ces mots.
Hu la ba bala chou ba la ba ba lada.
Les Turcs répondent les mêmes vers.
Le Mufti propofe de donner le Turban au Bour
geois, & chante les paroles qui fuivent.
LE MuFTI.
Tinonftar Furba.
LES TURS.
Nono no.
LE MuFT 1.
Nonftarfurfanta. 6
LES TURCS.
No no no.
LE MuFTI.
DonarTurbanta, donar Turbanta.
Les Turcs repetent tout ce qu'a dit le Mufti pour
donner le Turban au Bourgeois. Le Mufti & les
Dervis fe coeffent avec des Turbans de ceremonies ,
& l'on prefente au Mufti l'Alcoran , qui fait une
fecon
GEN T ILномм Е. 89
feconde invocation avec tout le refte des Turcs affi
ftans , aprés fon invocation il donne au Bourgeois
l'épée , & chante ces paroles.
L'E MuFTI.
Tiftar nobilé'è non ſtarfabbola.
Pigliarfchiabbola.
Les Turcs repetent les mêmes vers , mettant tous
le Sabre à la main , & fix d'entre eux dancent autour
du Bourgeois, auquel ils feignent de donner plu
fieurscoups de Sabre. de
Le Mufti comman aux Turcs de baftonner le
Bourgeois, & chante les paroles qui ſuivent.
LE MUFTI.
Dara dara.
L Baftonnara baftonnara.
Les Turcs repetent les mêmes vers , & luy donnent
plufieurs coups de bafton en cadance.
Le Mufti aprés l'avoir fait baftonner , luy diten
chantant.
LE MUF T I.
Nontenerhonta
Questaftar ultima affronta.
LesTurcs repetent les mêmes vers.
Le Mufti recommence une invocation , & fe reti
re aprés la ceremonie avec tous les Turcs , en dan
çant & chantant avec pluſieurs inftrumens à la Tur
quefque.
Fin du quatriéme Aite.

ACTE
90 LE BOURGEOIS

A CTE V.
SCENE
I
MADAME JOURDAIN , MONSIEUR
JOURDAIN.
Me JOURDAIN.
H mon Dieu , mifericorde ? Qu'eft-ce
que c'est donc que cela ? Quelle figure !
Eft ce un Momon que vous allez por
Ater ; & eft il temps d'aller en Maſque ?
Parlez donc , qu'est-ce quec'eft que ce
ci? Qui vous a fagoté comme cela ?
M. JOURDAIN.
Voyez l'impertinente , de parler de la forteàun
Mamamouchi.
Me JouRDAIN.
Comment donc ?
Me Jou RDA I N.
Ouy, ilme faut porter du refpect maintenant , &
l'on vient de me faire Mamamouchi..
Me JOURDAI N.
Que voulez-vous dire avec voftre Mamamouchi?
M. JOURDAIN. 1
Mamamouchi, vous dy-je. Je fuis Mamamonchi.
Me JouRDAIN.
Quelle befte eft-ce là ?
M. JOURDAIN.
Mamamouchi, c'est à dire en noftre langue , Pala
din.
Me Jou RDA IN.
Baladin ! Eftes vous en âge de dancer des Ballets ?
M. JOURDAIN.
Quelle ignorante ! Je disPaladin ; c'eſt une digni
sé dont on vient de me faire la ceremonie.
Me Jou RDA I N.
Quelle cerémonie donc ?
M. JOUR
GENTILHOMME. 911
M. JOURDA I N.
Mahameta par Jordina.
Me JouR DAIN.
Qu'est-ce que cela veut dire ? "
M. JOURDAIN.
Jordina, c'est à dire Jourdain.
Me JOURDA 1 N.
Hé bien quoy, Jourdain ? "
M. JOURDAIN.
Volerfar unPaladina deJordina.
Me JouR DAIN.
Comment?
M. JOURDAIN.
Darturbanta congalera.
Me Jou RDA IN.
Qu'eft-ce à dire cela?
M. JOURDAIN.
Per deffender Palestina.
Me JouRDAIN.
Que voulez-vous donc dire ?
M. JOURDAIN.
Dara dara baftonnara.
Me JouR DAIN .
Qu'eft ce donc que ce jargon-là ?
.. M. JouR DAIN.
Non tener honta queſtaſtar l'ultima affronta.
Me Jou RDA I N.
Qu'est-ce que c'est donc que tout cela ?
M. JOURDAIN dance
& chante.
Hou la ba ba la chou ba la ba ba la da.
Me JouR DAIN.
Helas, mon Dieu, mon mary eſt devenu fou.
M. JOURDAIN fortant.
Paix , infolente , portez reſpect à Monfieur le Ma
mamouchi.
Me JOURDAIN.
Où eft ce qu'il a donc perdu l'efprit ? Courons
l'em
92 LE BOURGEOIS
l'empefcher de fortir. Ah , ah , voicy juftement le
refte de noftre écu. Je ne voy que chagrin de tous les
coftez. Ellefort.

SCENE II.
DORANTE , DORIMENE.
DORANTE.
Uy, Madame , vous verrez la plus plaifante
chofe qu'on puiffe voir , & je ne croypas que
dans tout le monde il foit poffible de trouver encore
unhomme auffi fou que celuy-là : Et puis, Madame,
il faut tâcher de fervir l'amour de Cleonte , & d'ap
puyer toute fa maſcarade. C'eft un fort galant hom
me, & qui mérite que l'on s'intereffe pour luy.
DORIMENE.
J'en fais beaucoup de cas , & il eft digne d'une
bonne fortune.
DORANT B.
Outre cela, nous avons ici, Madame, un ballet qui
nous revient , que nous ne devons pas laiffer perdre,
& il faut bien voir fi mon idée pourra reüffir.
DORIMENE.
J'ay veu là des apprefts magnifiques , & ce fontdes
chofes , Dorante, que je ne puis plus fouffrir. Quy,
je veux enfin vous empefcher vos profufions ; & pour
rompre le cours àtoutes les dépenſes que je vous voy
faire pour moy , j'ay refolu de me marier prompte
ment avec vous. C'en eft le vray fecret , & toutes ces
chofes finiffent avec le mariage.
DORANTE.
Ah ! Madame , eft-il poffible que vous ayezpû
prendre pour moy une fi douce reſolution ?
DORI MENE.
Ce n'eft que pour vous empeſcher de vous ruïner;
& fans celaje voy bien qu'avant qu'ilfuft peu , vous
n'auriez pas un fou.
DO
GENTILHOM ME. 93
DORANT E.
Que j'ay d'obligation , Madame , aux foins que
vous avez de conferver mon bien ? Il eft entierement
à vous , auffi-bien que mon cœur , & vous en uferez
de la façon qu'il vous plaira.
DORIMENE.
J'uferay bien de tous les deux. Mais voicy voſtre
homme ; la figure en eft admirable.

SCENE III.
MONSIEUR JOURDAIN , DORAN
TE , DORIMENE.
DORANT E.
Monfieur, nous venons rendre hommage , Ma
dame , & moy , à voſtre nouvelle dignité , &
nous réjouir avec vous du mariage que vous faites de
voftre Fille avec le Fils du grand Turc.
M. JOURDA IN , aprés avoirfait
lesreverencesà la Turque.
Monfieur , je vous fouhaite la force des Serpens ,
& la prudence des Lyons.
DORIMENE.
J'ay efté bien aife d'eftre des premieres, Monfieur,
à venir vous feliciter du haut degré de gloire où vous
eftes monté .
M. Jou RDA I N.
Madame , je vous fouhaite toute l'année voftre
Rofier fleury; je vous fuis infiniment obligé de pren
dre part aux honneurs qui m'arrivent , & j'ay beau
coup de joye devous voir revenue ici pour vous faire
les tres-humbles excufes de l'extravagance de ma
femme.
DORIMENE.
Cela n'eft rien , j'excufe en elle un pareil mouve
ment ; voftre coeur luydoit eftre precieux , & il n'eft
pas étrange que la poffeffion d'un homme comme
vous puiffe infpirer quelques allarmes.
M. Jour
LE BOURGEOIS
94
M. JOURDAIN.
La poffeffion de mon cœur eftune choſe qui vous
eft toute acquife.
DORANT E.
Vous voyez, Madame , que Monfieur Jourdain
n'eft pas de ces gens que lesprofperitez aveuglent ,
& qu'il fçait dans fa gloire connoiftre encore fes
amis.
DORI MENE.
C'eſt la marque d'une aïne tout à fait genereuſe.
DORANTE.
Où eftdonc Son Alteffe Turque ? Nousvoudrions
bien, comme vos amis, luy rendre nos devoirs.
M. JOURDAIN.
Le voilà qui vient , & j'ay envoyé querir maFille
pour luy donner la main."

' SCENE IV.


CLEONTE , COVIELLE , MONSIEUR
JOURDAIN , &c.
DORANTE.
Monfieur , nous venons fairela reverence à Vô
tre Alteffe , comme amis de Monfieur voftre
Beau-Pere , & l'afſurer avec reſpect de nos tres-hum
bles fervices.
M. JOURDAIN.
Où eft le truchement , pour luy dire qui vous
eftes , & luy faire entendre ce que vousdites. Vous
verrez qu'il vous répondra , & il parle Turcà mer
veille. Hola , où diantre eſt- il allé ? A Cl. Strouf,
frif,ftrof, ftraf. Monfieur eft ungrandeSegnore ,gran
de Segnore, grande Segnore ; & Madame une granda
Dama, granda Dama. Ahi luy Monfieur , luy Ma
mamouchi François , & Madame Mamamouchie Fran
coife. Je ne puis pas parler plus clairement. Bon ,
voicy l'interprete. Où allez-vous donc? Nous ne
fçau
GENTILHOM ME.
95
fçaurions rien dire fansvous. Dites- luy un peu que
Monfieur & Madame font des perfonnes de grande
qualité, qui luy viennentfaire lareverence , comme
mes amis, & l'affurer de leurs fervices. Vousallez
voircomme il va répondre.
COVIELLE.
Alabalacrociam acci boramalabamen.
CLEONTE.
Catalequitubal ourin foter amalouchan.
M. JOURDAIN.
Voyez-vous ?
COVIELLE.

Il dit que la pluye des profperitez afrouſe entout
temps lejardin de voſtre famille.
M. JOURDAIN.
Jevous l'avoisbien dit, qu'il parle Turc.
DORANTE
Cela eft admirable.

SCENE V.
LUCILE , MONSIEUR JOURDAIN ,
DORANTE , DORIMENE , &c.
M. JOURDAIN.
Enez ; maFille, approchez-vous , &venez don
nervoftre main à Monfieur , qui vous fait l'hon
neurde vousdemander en mariage.
LuCIL B.
Comment, mon Pere , comme vous voilàfait ?
Eft-ce uneComedie que vousjoüez ?
M. JOURDAIN.
Non , non , ce n'eftpas une Comedie , c'est une
affaire fort ferieufe , & la plus pleine d'honneur pour
vousquife peutfouhaiter. Voilà le mary que jevous
donne.
LucILE.
Amoy, mon Pere !
M. JOUR
96 LE BOURGEOIS
M. JOURDAIN.
Ouy à vous , allons , touchez-luy dans la main,
rendezgrace au Ciel de voftre bonheur. 10
LuCIL E.
Je ne veux point me marier.
M. JOURDAIN.
Je leveux moy, qui fuis voftre Pere.
LuCIL E.
Je n'en ferayrien.
M. JOURDA I N.
Ah que de bruit. Allons , vous dis-je. ça voftre
main.
LUCIL E.
Non , Mon Pere , je vous l'ay dit , il n'eft pointde
pouvoir qui me puiffe obliger à prendre un autre
mary que Cleonte , & je me refoudray plûtoft à tou
tes les extrémitez , que de.... reconnoiffant Cleonte.
Il eft vray que vous eftes mon Pere, je vous dois en
tiere obeïffance ; & c'eſt à vous à diſpoſer de moyſe
; lon vos volontez.
M. JOURDAIN.
Ah je fuis ravi devous voir fi promptement reve
nue dans voſtre devoir ; & voilà qui me plaift , d'a
voir une Fille obeïffante.

SCENE DERNIERE.
MADAME JOURDAIN , MONSIEUR
JOURDAIN, CLEONTE , &c.
Me Jou RDA IN.
Omment donc , qu'est- ce que c'est que ceci ? On
C
dit quevous voulez donner voftre Fille en maria
ge à un Carême prenant?
M. JOURDAIN.
Voulez vous vous taire , impertinente ? Vous 've
neztoûjours mefler vos extravagances à toutes chofes,
& il n'y a pas moyen devous apprendre à eſtre rai
fonnable.
M. JOUR
GENTILHOMME. 97
MC JOURDAIN.
C'estvous qu'il n'y a pas moyen de rendrefage, &
vous allez de folie en folie. Quel eft voftre deffein,
& que voulez-vous faire avec cet afſemblage ?
M. JOURDAIN.
Je veux marier noftre Fille avec leFilsdu grand
Turc.
Me JOUR D'A I N.
Avec le Filsdu grand Turc !
M. JOURDAIN.
Ouy, faites-luy faire vos complimens par le Tru
chement que voilà.
M. JOURDA ÍN.
Je n'ay que faire du Truchement , & je luydiray
bien moy-même à fon nez , qu'il n'aura point ma
ille.
1
M. JOURDAIN
Voulez-vous vous taire , encore une fois ?
DORANTE.
Comment, Madame Jourdain, vous vousoppofez
un bonheur comme celuy-là ? Vous refuſez Son
AlteffeTurque pour Gendre?
Mc Jou RDA I N.
Mon Dieu, Monfieur , meflez- vous de vos affai
es.
DORIMENE.
C'eft unegrandegloire , qui n'eft pas à rejetter.
Me Jou RDA I N.
Madame , je vous pricauffi de ne vous point em
arafferdece qui nevoustouche pas.
DORANTE
C'eft l'amitié que nous avons pour vous , qui nous
aitintereffer dans vos avantages.
Me JOURDAIN.
Je me pafferaybien de voſtre amitié.
DORANTE..
Voilà votre Fille , qui confent aux volontez de
ion Pere.
I Me Jour
OIS
98 LE BOURGE
Me Jou RDA I N.
MaFille confent à épouser un Turc ?
DORANT E.
Sans Doute.
Me JOURDAIN.
Elle peut oublier Cleonte ?
DORANT E.
Que ne fait- on pas pour eftre grande Dame ?
Me JOURDAIN.
Je l'étranglerois de mes mains , fi elle avoitfait
un coup comme celuy là.
M. JOURDAIN.
Voilà bien du caquet. Je vous dis que ce mariage
là fe fera.
Me JouRDAIN.
Je vous dy , moy , qu'il ne fe fera point.
M. JOURDAIN.
Ah que de bruit.
LucILE.
Ma Mere.
Me Jou RDA I N.
Allez, vous eftes une coquine.
M. JOURDAIN.
Quoy, vous la querellez, de ce qu'elle m'obeït ?
Me Jou RDA I N.
Ouy , elle eft à moy , auffi bien qu'à vous.
COVIELLE .
Madame. "
Me Jou RDA IN.
Que me voulez-vous conter, vous ?
COVIELLE.
Un mot. +
Me JouRDAIN.
Je n'ay que faire de voſtre mot.
COVIEL L´E , à Monfieur Jourdain.
Monfieur , fi elleveut écouter une patole en par
ticulier, je vous promets de la faire confentir à ce
que vous voulez.
Me JOUR
GENTILHOM ME. 99
Me Jou RDA IN,
Je n'yconfentiray point.
COVIELLE.
Ecoutez- moy feulement.
Me Jou RDA I N.
Non.
M. JOURDAIN.
Ecoutez-le.
Me Jou RDA IN.
Non ,je ne veux pas écouter .
M. Jou RDA I N.
Il vous dira....
Me Jou RDA IN.
Je ne veux point qu'il me dife rien.
M. JOURDAIN.
Voilà une grande obftination de femme ! Cela
vous fera-t-il mal de l'entendre ?
COVIELLE.
Ne faites que m'écouter , vous ferez aprés ce qu'il
vous plaira.
Me Jou RDA IN.
Hé bien , quoy ?
COVIELL E, àpart.
Il y aune heure , Madame , que nous vous faifons
figne. Ne voyez-vous pas bien que tous cecy n'eft fait
que pour nous ajufter aux vifions de voſtre mary,que
nous l'abufons fous ce déguiſement , & que c'eft
Cleonte luy-même qui eft le Fils du grand Turc ?
Mr JOURDAIN.
Ah, ah. ↑
COVIELLE.
Et moy , Covielle , qui fuis le Truchement.
Me JOURDAIN.
Ah comme cela , je merens.
COVI ELLE .
Nefaites pas femblant de rien.
Me Jou RDA I N.
Ouy ,voilà qui cft fait , je confens au mariage.
E 2 M. JOUR
100 LE BOURGEOIS
M. JOURDAIN.
Ah voilàtout le monderaisonnable. Vous ne vou
liez pas l'écouter, Je fçavois bien qu'il vous expli
queroit ce que le Fils du grand Ture.
Me JOURDAIN.
Il me l'a expliqué comme il faut , & j'en fuisfa
tisfaite. Envoyons querir un Notaire.
DORANT E..
C'eftfortbiendit. Et afin, Madame Jourdain, que
vouspuiffiezavoir l'efprit tout- à-fait content , & que
vous perdiez aujourd'huy toute la jaloufie que vous
pourriez avoir conçeuë de Monfieur votre mary,
c'estque nous nous fervirons du même Notaire pour
nous marier Madame , & moy.
Me JOURDAIN
Je confens auffi à cela.
M. JOURDAIN.
C'estpour luyfaire à croire.
DORANTE.
Il faut bien l'amufer avec cette feinte.
M. JOURDAIN.
Bon, bon. Qu'on aille vifte querir le Notaire.
DORANTE.
Tandis qu'il viendra , & qu'il dreffera les con
tracts , voyons noftre Ballet, & donnons-enle diver
tiffement à Son Alteffe Turque,
M. JOUR DA I N.
C'eftfortbien avifé , allons prendre nos places.
Me JOURDAIN.
Et Nicole ?
M. JOURDAIN.
Je la donneau Truchement ; & ma femme , àqui
la voudra.
COVIELLE.
Monfieur , je vous remercie. Si l'on en peut voir
un plus fou , je l'iray dire à Rome.
La comedie finit par unpetit Ballet qui avoit estépre
paré
PRE
GENTILHOM ME. ICI

PREMIERE ENTRE E.
UN hommerdvientfatigu donne r les livres du Ballet ,
qui d'abo eft é par une multitude de
gens de Provinces differentes , qui crient en Muſique
pour en avoir , & par trois importuns qu'il trouve
toûjours fur fes pas.
DIALOGUE DES GENS
qui en Mufique demandent des livres.
Tous.
A Moy , Monfieur , à moy degrace , à moy Monfieur ,
Unlivre, s'il vous plaist , à vostre Serviteur.
Homme du bel air.
Monfieur ,diftinguez - nous parmy les gens qui crient.
Quelques livres ici , les Dames vous enprient.
Autre Homme du bel air.
Hola Monfieur , Monfieur , ayez la charité,
D'enjetter de noftre cofté.
Femme du bel air.
Mon Dieuqu'aux Perfonnes bienfaites,
Onfçaitpeurendre honneur ceans.
Autre Femme du bel air.
Ils n'ont des livres & des bancs,
Quepour Mesdames les grifettes.
Gafcon.
Aho !l'homme aux libres , qu'on m'en vaike,
J'aydéja le poumon uſé,
Bous boyez que chacun me raille,
S
Etje fuis efcandalifé
De boir és mains de la Canaille,
Ce qui m'est par bous refuſe.
Autre Gafcon .
Eh cadedis , Monfeu, boyez qui l'on puft efire;
Un libret,je bous prie, aus Varon d'Afcarat . 1
Fé penfe, mordy, que lefat
N'apasl'honneur de méconnoiftre , Le
E3
1

302 LE BOURGEOIS
Le Suiffe.
Mon -fierle donneur de papieir ,
Que veutdireflyfaçon defifre,
Moy l'écorchair tout mongefieir
Acrieir.
Sans quejepouvre afoir ein Lifre ;
Pardy ,monfoy , Mon -fier , jepensefous l'estre ifre.
Vieux Bourgeois babillard.
Detoutcecifranc& net,
Je fuismalfatufait
Et celafans doute eft laid,
Que noftreFille
Sibienfaite & fi gentille;
Detant d'Amoureux l'objet,
N'ait pas àfonfouhait
Unlivre debellet ,
Pourlire lefujet
Du divertiffement qu'enfait ,
Et que toutenoftrefamille
Siproprement s'habille,
Pour eftreplacée ausommet
De lafalle, où l'on met
Les gensde l'entriguet :
Detout cecifrane & net
Jefuis malfatisfait ,
Et cela fans doute eft laid.
Vieille Bourgeoife babillarde.
Ileft vray que c'est une honte ,
Lefangau visage me monte,
Et ceJetteurde vers qui manque au capital,
L'entendfort mal ;
C'est unbrutal,
Vu uraycheval,
Franc animal,
Defai re fi peude conte
L'une Fille quifai t l'ornement principal
Du quartier du Palais Royal,
Et que cesjours paffez un Comte
Fut
GENTILHOM ME. 口味
Fut prendre la premiere aubal,
Ill'entend mal.
C'est un brutal.
Un vray cheval,
Franc animal.
Hommes & femmes du bel air.
Ah !quelbruit !
Quelfracas ?
Quelcabos!
Quelmélange!
Quelle confufion !
Quelle cohue étrange !
Queldefordre!
Quelembarras ?
Onyfeche.
L'on n'y tientpas.
Gafcon,
Bentrejefuis à vout.
Autre Gafcon .
F'enrage; Dieu me damne.
-Suifle.
Ah
que lyfairefais dansfy fal de cians.
Gafcon.
Jémurs.
Autre Gafcon.
Jépers la tramontane.
Suiffe.
Monfoy moy lefaudrais eftre boys dededans
Vieux Bourgeois babillard.
Allons , ma mię,
Suivez mes pas,
Je vous enprie,
Et neme quittezpas,
Onfaitde nous troppeudecas
Et jefuis lar
De ce tracar :
Tout cefatras
Cet embarras
E4 M
104 LE BOURGEOIS
Mepefe partropfur les bras
S'ilmeprendjamais envie
De retourner de ma vie
A Ballet ny Comedie ,
Je veux bienqu'on m'eftropie.
Allons, ma mie ,
Suivez mes pas ,
Je vous enprie,
Et ne mequittez pas ,
Onfait de nous troppeu de cas.
Vieille Bourgeoife babillarde.
Allons mon mignon, mon Fils ,
Regagnons noftre logis ,
taudis ,
Etfortons de ce ta
Où l'on ne peut eftre affis ;
Ilsferont bien ébobis
Quandilsnous verront partis.
Tropde confufion regne dans cette Salle ,
Ft j'aimeraismieux eftre au milieu de la Halle ;
Sijamaisjereviens à ſemblable regale ,
Je veuxbien recevoir desfouffletsplus defix.
Allonsmon mignon , mon Fils ,
Regagnons noftre logis ,
Etfortonsde cetaudis ,
Où l'on nepeut eftre affis.
Tous.
Amoy, Monfieur , à moy degrace: à moy Monfieur,
Unlivre , s'il vousplaift , à votre Serviteur.

SECONDE EN TREE.
Les trois Importuns dancent.

TROISIEME ENTRE', E.
Trois Eſpagnols chantent,
Sè que me muero de amor
Ifolicito eldolor.
Awn
GENTILHOM NE 105
Aunmuriendode querer
De tanbuen ayre adoleſco
Que es mas delo quepadezco
Lo que quiero padecer
Ynopudiendo exceder
A midefeoel rigor.
Sè que me muero de amor
Ifolicitoeldolor.

Lifonxeame lafuerte
Conpiedadtan advertida ,
Que me affegura lavida
En el riesgo de la muerte
Vivir defu golpefuerte
Es demifalud primor.
Sé que, &c.

Six Espagnols dancent.


Trois Muficiens Eſpagnols.

Ay que loçura, contante riger


Quexarse deamor
Delnino bonito
Que todo esdulgura.
Ay que loçura,
Ayque locura,
Elpagnol chantant.
El dolorfolicita,
El que al dolorfe da ,
I nadiede amor muere ,
Sino quiennofave amar.
Deux Espagnols .
Dulce muerte es el amor ,
Con correfpondencia ygual ,
rfi eftagozamos o
Porque la quieres turbar ? VA
F06 LE BOURGEOIS
Un Eſpagnol.
Alegrefe Enamorado
Ttomé miparecer
Que en esto de querer
Todo es hallar el vado.
Tous trois enſemble.
Vaya vayadefiestas ,
Vaya de vayle ,
Alegria, alegria, alegria ,
Que eftodedolor esfantafia.
QUATRIE ME ENTREE.
ITALIENS .
UNe Muficienne Italienne fait le premier recit ,
dont voici les paroles.
Dirigori armatailfeno
Contro amormi ribellai ,
Mafui vinta in un baleno
Inmirarduo vaghi rai ,
Ahicherefiftepuoco
Cordigelo à ftraldifuoco.
Mafe caro e'l mio tormente
Dolce èfe lapiaga mia ,
Ch'ilpenare e'l mio contento ,
El fanarmi è tirannia .
Ahi chepiùgiova , èpiace
Quanto amor èpiù vivace.
Aprés l'air que la Muficienne a chanté , deux Sca
ramouches , deux trivelins , & un harlequin , repre
fentent une nuit à le maniere des Comediens Ita
liens, en cadance.
Un Muficien Italien ſe joint à la Muficienne Ita
lienne, & chante avec elle les paroles qui fuivent.
Le Muficien Italien.
Bel tempo che vola
Rapifceilcontente ,
D'amer
GENTILHOM ME. 107
D'amornellafcola
1 Si coglie il momento.
La Muficienne.
Infin che florida
Ridel'età
Che purtropp'horrida
Da noifen va.
Tous deux.
Sù cantiame,
Sù godiamo id
Ne bei di, digioventù :
Perduto ben nonfiraquistapiù.
Muficien.
Pupilla che vaga
Mill'almeincatena ,
Fa dolce la piaga
Felice la pena.
Muficienne.
Ma poichefrigida
Langue l'alma rigida
Piùl'almarigida
Fiamme non hà.
Tous deux.
Sù cantiamo, &c.
Aprés le dialogue Italien , les Scaramouches &
Trivelinsdancent une réjoüiffance.

CINQUIEME ENTRE' E.
FRANÇOIS.
DEUEux Muficiens Poitevins dancent , & chantent
les patoles qui fuivent.
PREMIER MENUET.
AH! qu'ilfait beaudans ces Boccages ,
Ah! que le Ciel donne un beaujour.
Autre Muficien.
Le Roffignolfous ces tendres feuillages
Chanteaux Echosfon doux retour
208 LE BOURGEOIS GENTILHOMME
Ce beaufejour.
Cesdoux ramages,
Ce beauSéjour
Nous invite à l'amour.
2. MENUET. Tous deux enfemble.
Voy maClimene,
Voy fous ceChefne
S'en treb aife r ces oyfeaux amoureux ;
Ilsn'ontrien dansleurs vœux
Quilesgefne,
De leursdouxfeuse
Leur-ame eftpleine.
Qu'ilsfontheureux!
Nous pouvoustous deux,
Situ le veux ,
Eftre comme eux.
Six autres François viennent aprés veftus galam
ment à la Foitevine , trois enhommes , & troisen
femmes, accompagnez de huit fluftes & de haut
bois, & dancent les Menuets.
SIXIE ME ENTRE' E.
Tout cela finit par le mélange des trois Nations,
& les applaudiffemens en Dance & en Mufique
de toute l'affiſtance , qui chante les deux versqui
fuivent.
Quelsfpectacles charmans , quelsplaifirsgoûtons-nous,
Les Dieux mêmes , les Dieux , n'en ontpoint deplus
doux.

FIN.

DIRH
HIL

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