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Revue africaine de management - African management review

ISSN : 2509-0097
VOL.6 (1) 2021 (PP.1-13)
http://revues.imist.ma/?journal=RAM
DOI: https://doi.org/10.48424/IMIST.PRSM/ram-v6i1.24598

Motivations et freins de l’entrepreneuriat féminin au Maroc


Shehrazed DADA et Salima JAZI
ENCG Settat, Université Hassan Ier, Maroc

Résumé

Basée sur des entretiens qualitatifs de femmes entrepreneurs, l'étude examine leurs
motivations à créer et gérer une entreprise. Trois grands facteurs de motivation ont été trouvés
et trois types d’entrepreneuriats féminins ont été identifiés : la «création vocation», la
«création-émancipation» et la «création nécessité». Nous soulignons ensuite les difficultés
auxquelles elles sont confrontées dans la création et la gestion de leur entreprise, et l'effet du
contexte marocain et de la crise du COVID-19 sur leurs activités.

Mots clés : Entrepreneuriat féminin, femmes entrepreneurs, motivations, barrières, Maroc

Abstract

Based on qualitative interviews of women entrepreneurs, the study investigates their


motivations to create and manage a business. Three major motivational factors have been
found and three types of women’s entrepreneurship have been identified : the “vocationnal-
creation”, the “emancipation-creation” and the “last chance-creation”. We then highlight the
difficulties they face while creating and managing their business, and the effect of moroccan
context and COVID-19 crisis on their activities.

Keys words : Women entrepreneurship, women entrepreneurs, motivations, barriers,


Morocco

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Feudjo Jules Roger et all -REVUE AFRICAINE DE MANAGEMENT- VOL.6 (1) 2021 (PP.207-225)

1. Introduction

L’entrepreneuriat de manière générale et l’entrepreneuriat féminin de manière spécifique


connaissent un fort intérêt auprès de la communauté scientifique pour en comprendre les
motivations, les freins mais aussi les modèles structurels de développement d’une activité
dans différents contextes socio-économiques et culturels. En effet, l’entrepreneuriat féminin
représente l’une des populations entrepreneuriales faisant l’objet d’une forte croissance dans
le monde, créatrice d’innovation, de valeur et de richesse dans l’économie mondiale et dans le
PIB par pays (Brush, De Bruin & Welter, 2014). Pourtant, l'entrepreneuriat féminin ne
constitue que 6% de l’intégralité du corpus de recherches menées sur l’entrepreneuriat (Brush,
Greene & Welter, 2020), ce chiffre est encore plus faible dans le cadre des recherches menées
sur l’entrepreneuriat en Afrique (Croce, 2020)

Le continent africain compte 54 pays et est hétéroclite tant en termes de cultures, de langues
que de contextes économiques et juridiques (Mutabazi, 2006), ceci explique la nécessité de
développer des recherches spécifiques par pays pour dresser un état des lieux de
l’entrepreneuriat féminin dans chacun d’entre eux. Ces recherches peuvent être dirigées vers
la mise en place de profils d’entrepreneurs féminins, de définir une typologie d’entreprises
créées d’un point de vue juridique, structurel et managérial, ou encore afin de déterminer les
motivations et les freins de création et de gestion d’entreprises. Nous nous intéressons dans
notre travail à cette dernière question de recherche afin de comprendre les facteurs de
concrétisation ou de non concrétisation des projets entrepreneuriaux des femmes marocaines
au Maroc. Ceci à travers une étude qualitative exploratoire menée auprès de 15 femmes
entrepreneurs marocaines, à différents stades de leurs projets entrepreneuriaux et dans
différents secteurs d’activités.

2. Revue de la littérature

L'entrepreneuriat au sens strict peut-être défini par la création d'entreprises par des personnes
qu'elles soient morales ou physiques. Il existe cependant de nombreuses définitions de
l’entrepreneuriat dans la mesure où il s’agit d’un phénomène multidimensionnel et évolutif
dans le temps. Selon la synthèse réalisée par Danjou (2012), le phénomène entrepreneurial
connaît trois approches de caractérisation : l’approche contextuelle, dans la mesure où
l’environnement et le milieu influencent la création et le développement de projets
entrepreneuriaux ; l’approche individuelle qui correspond en l’addition des caractéristiques
propres à l’entrepreneur ; et l’approche action qui se concentre sur les actions managériales
menées dans le cadre de projets entrepreneuriaux. Pour l’entrepreneuriat féminin, ce
phénomène est issu du contexte de promotion de l’initiative privée selon Martin (2013), et
réunit un ensemble d’entreprises différentes, toutes tenues par des femmes abstraction faite de
leur situation sociale.

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Si l’entreprise marocaine a longtemps été caractérisée comme familiale et masculine, celle-ci


a connu une évolution dans les années 80-90 par l’émergence d’entreprises créées par des
femmes (SFI, 2005). Bien qu’il n’existe que très peu de données quantitatives quant à
l’entrepreneuriat féminin au Maroc en raison de la forte part d’informel qui continue d’exister
(Salman et al., 2012), selon une étude menée par l’AFEM (2010), il existait 16 837
entreprises féminines en 2009, dont 48% opérant dans le secteur tertiaire et 32% dans le
commerce. D’après Himrane (2018), les femmes marocaines ont lancé leur entreprise en
raison de motivations personnelles. Selon Salmane, El Habboubi et Henda (2012), ceci fait
suite aux mesures de soutien mises en place par les autorités marocaines. Aussi les travaux de
Rachdi (2006) confortent cette deuxième vision en expliquant que la Moudawana (code de la
famille) a créé un fort stimulus dans l’augmentation du nombre de femmes entrepreneurs au
Maroc par « la vulgarisation d’une culture nouvelle fondée sur les principes de l’égalité
effective entre la femme et l’homme ».

Ces différences de résultats nous poussent à chercher davantage de réponses afin de


comprendre les motivations de l’entrepreneuriat au Maroc ainsi que ses freins.

3. Méthodologie

Les informations nécessaires à la réalisation de l’étude ont été recueillies par le biais d’une
enquête qualitative réalisée entre novembre 2020 et janvier 2021, auprès de 15 femmes
entrepreneuses marocaines dont l’activité est réalisée au Maroc.

Après une phase de recueil de contacts féminins (noms, coordonnées, nature des projets et état
actuel de l’entreprise), des entretiens individuels ont été réalisés avec les candidates et
entrepreneuses volontaires. Suite à cette étape, une retranscription complète des entretiens a
été effectuée et contrôlée par un deuxième chercheur pour ensuite réaliser une analyse de
contenu thématique afin de faire ressortir les motivations et les freins de l’entrepreneuriat
féminin au Maroc.

Les entretiens individuels ont été réalisés sur la base d’un guide d’entretien semi-directif
découlant des travaux de Badia, Brunet et Kertudo (2013) développé en 5 grands axes :
l’émergence du projet de création d’entreprise : contexte et motivations, le « passage à l’acte
» entrepreneurial, l’état actuel du projet, les perspectives personnelles et professionnelles et le
bilan de l’expérience entrepreneuriale.

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4. Résultats

Le profil des répondantes ainsi que la synthèse générale de leurs projets se présentent comme
suit :

Situation
Nom Age matrimonale Secteur d'activité Activité
Services aux
Personne A 39 ans Célibataire particuliers Stylisme
Services aux
Personne B 38 ans Célibataire particuliers Nutrition
Services aux
Personne C 33 ans Célibataire particuliers Divertissement & Loisirs
Services aux Confection et vente
Personne D 33 ans Mariée, 1 enfant particuliers d'accessoires
Services aux Culture, Education &
Personne E 52 ans Mariée, 1 enfant particuliers Tourisme
Services aux Conseil en
Personne F 31 ans Célibataire entreprises transformation digitale
Mariée, sans Services aux Conseil en relations
Personne G 44 ans enfant entreprises publiques
Services aux Vente en ligne de
Personne H 27 ans Célibataire particuliers vêtements
Services aux Conseil en achat beauté
Personne I 24 ans Célibataire particuliers & skincare
Divorcée, 1 Services aux
Personne J 30 ans enfant particuliers Education, Crèche
Services aux Evénementiel, vente de
Personne K 25 ans Célibataire particuliers/entreprises produits personnalisés
Mariée, sans Services aux Vente en ligne de
Personne L 33 ans enfant particuliers vêtements
Services aux Vente en ligne
Personne M 33 ans Célibataire particuliers d'accessoires de plage
Services aux Conseil en
Personne N 35 ans Mariée, 2 enfants entreprises communication
Mariée, sans Services aux Conseil en data,
Personne O 29 ans enfant entreprises Intelligence Artificielle
Tableau 1 : profils et projets entrepreneuriaux des femmes entrepreneurs interrogées

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3.1 Les motivations à la création d’entreprise


Les motivations ayant déclenché la démarche de création d’entreprise sont multiples et
étroitement imbriquées. Il est généralement impossible d’identifier, dans les parcours
féminins, une seule et unique raison ayant motivé à la création d’entreprise. Cependant, nous
avons pu extraire trois grandes tendances de motivation à la création d’entreprise à travers les
réponses des femmes entrepreneurs interviewées.

3.1.1 Indépendance, réalisation de soi et ambitions personnelles


Les parcours professionnels des femmes entrepreneurs questionnées explique le passage à
l’acte entrepreneurial et réside dans des aspects personnels d’expériences de vie et de
ressentis.
La démarche de création d’entreprise permet ainsi de reprendre le contrôle de sa vie
professionnelle.
« J’ai géré une entreprise pendant plus de 25 ans, pour essayer des choses auxquelles
je crois, et faire en sorte que mes principes soient appliquées dans cette entreprise où
le nombre de femmes est supérieur au nombre d’hommes, où il n y a pas de différences
de salaires, où on ne choisit pas toujours un homme, on entend souvent qu’il ne faut
pas recruter des femmes parce qu’il faut penser aux congés de maternité,
accouchement… je regrette ! C’est de la discrimination. » - Personne E, 52 ans.
Aussi, le désir de créer son entreprise va de pair avec un parcours de vie où des modèles
préliminaires ont été institués, notamment à travers les parents.
« Ma mère n’a pas un statut d’auto-entrepreneur, mais elle fait tout ce qui est « Beldi
» et ça marche honnêtement très bien. Elle est une vraie créatrice. Donc, on a toujours
devant nous cet exemple. Et on a toujours constaté que le salariat et l’entreprenariat,
ça n’a rien à voir ! » - Personne D, 33 ans.
Certaines femmes affichent ainsi clairement l’idée que la création d’entreprise est une
échappatoire à une destinée de travail dans le cadre d’une entreprise préexistante en qualité de
salarié.
« En 2015, j’ai travaillé deux mois dans un centre d’appel, c’était juste pour le fun
pour passer du temps, et je n’ai pas aimé l’horaire continue, ça me déprimait, je ne
suis pas très sociable, du coup je n’étais pas très à l’aise avec mes collègues. Donc,
j’ai décidé que ce n’est pas pour moi. Je dois absolument avoir mon propre projet
avant de sortir de l’école. » - Personne K, 25 ans
Enfin, pour plusieurs femmes entrepreneurs, le choix de se diriger vers la démarche de
création est une manière de restituer leurs compétences acquises au sein du salariat pour en
faire leur propre projet dans des conditions qui leur sont davantage porteuses de sens.
« Le déclic m’est venu il y a 6 ou 7ans, quand j’ai quitté l’aérien et je me suis dit, bain
c’est le moment, je voulais faire une agence de voyage en ligne, et le Maroc n’était
pas encore prêt pour ça, on n’avait pas la maturité nécessaire pour le faire. Et puis
l’idée finale, m’est venue justement avec cette idée d’influenceurs, j’avais en parallèle

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des projets à gérer, parce je travaillais aussi. Et voilà, c’était le moment pour me
lancer. » - Personne N, 35 ans.

3.1.2 Contrôler son mode de vie, son emploi du temps et améliorer sa condition
La démarche de création d’entreprise trouve également du sens dans la volonté de réalisation
sur le plan personnel. Celles-ci peuvent correspondre à une situation temporellement limitée
ayant une incidence directe syr le mode de vie (maladie, rupture conjugale…) :
« Après je me suis dite, moi aussi j’ai un enfant, j’avais toujours des déplacements,
avec ma situation… on est divorcé et tout… Donc j’ai essayé de me lancer dans un
projet de façon à ce que j’aurai plus de temps libre pour moi, pour mon fils, pour ma
vie privée. » - Personne J, 30 ans.
Suite à l’introspection et la réflexion sur soi-même, la création d’entreprise devient une
solution viable à forte symbolique et offrant des débouchées multiples :
« C’était après mon changement d’emploi. En premier, j’étais chargée de clientèle et
responsable commercial recouvrement. C’était LE premier job. Et après 10 ans, j’ai
changé avec des études de stylisme et haute couture, et c’est de là, après mon diplôme,
j’ai créé mon propre entreprise. » - Personne A, 39 ans.
Le parcours personnel ainsi que certains traits de personnalité influent sur le désir
d’entreprendre :
« Il y a beaucoup de choses dans mon enfance et dans mon éducation, qui m’ont
poussé à ça. C'est-à-dire que j’étais un peu rebelle dans un sens où j’ai vécu une crise
d’identité. » - Personne E, 52 ans.

3.1.3 Le désir de répondre à un besoin marché


Nous remarquons qu’il existe une réelle écoute du marché dans le processus de
développement de l’idée de projet pour les femmes entrepreneurs questionnées.
Certaines ont lancé leur projet suite à un besoin personnel non satisfait par les entreprises
existantes :
«On l’a créé parce qu’on remarque que la demande est élevée, il y avait 5 entreprises
qui nous ont contacté pour des colis, et donc on s’est dit pourquoi pas ne investir dans
la création d’une société. » - Personne K, 25 ans.
D’autres ont créé leur entreprise dans un désir altruiste d’aider l’autre :
« En fait j’avais une idée, je voulais qu’il n’y ait plus d’obésité, qu’il y ait une
alimentation saine au niveau du Maroc et diminuer le taux d’obésité au Maroc. » -
Personne B, 38 ans.

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3.2 La typologie d’entreprenariat selon les parcours antérieurs

3.2.1 La création vocation


De longue date, l’entrepreneuriat est une évidence pour plusieurs des femmes entrepreneurs
interviewées, s’agissant d’un objectif de parcours professionnel. L’éducation ou de
l’environnement familial de celles-ci a influé sur leur vision de la vie et leur choix
professionnels.
« C’est une envie que j’ai toujours eu de me lancer dans l’entreprenariat. Depuis
toute jeune, j’adorais fabriquer des choses et les vendre. C’était une riche expérience
et j’ai gagné beaucoup d’argent. Et même quant à l’univers familial, je viens d’une
famille qui encourage beaucoup l’entreprenariat. » - Personne M, 33 ans.
Les femmes entrepreneurs interviewées se décrivent par leur personnalité atypique, leur désir
de se construire et leur sentiment d’avoir fondamentalement l’âme d’un entrepreneur :
« Moi, j’avais toujours cru aux entrepreneurs qui ont commencé de rien. J’avais
toujours l’idée de ne commencer de rien et d’arriver avec ce qu’on a, avec le savoir-
faire. » - Personne B, 38 ans.
Elles ont également de fortes ambitions pour leur projet avec une projection à moyen terme
dans une entreprise prospère voire internationalisée :
« On vise le world wide shipping et donc, il faut qu’on préserve cette touche originale
dans nos créations. » - Personne D, 33 ans.

3.2.2 La création émancipation


Ce type de démarche concerne les femmes au parcours professionnel abouti et riche en
expériences professionnelles et en développement de compétences. Le déclic de création d’un
projet entrepreneurial intervient suite à des changements ou à une recomposition de
l’environnement professionnel (changement de hiérarchie, évolution de poste, etc.) qui
modifient le mode de vie. , rendant l’emploi exercé moins attractif.
« Les quatre dernières années de mon travail dans cette boîte je n’ai pas eu un jour de
vacance, je n’avais pas de vie privée, j’étais très liée à mes clients, ça me donnait du
plaisir, mais un jour j’ai eu un déclic… Ce n’est pas un rythme que je pourrai
continuer jusqu'à la fin de ma carrière et je pensais que le fait de créer ma propre
entreprise, va me donner plus de liberté, et de qualité de vie. » - Personne G, 44 ans.
La création personnelle étant importante pour ces femmes, un cheminement structuré est alors
suivi pour aboutir à la concrétisation du projet ainsi qu’à sa pérennité.
« Une fois qu’on a pris la décision de créer cette entreprise, on a d’abord consulté un
expert-comptable, qui nous a fait la création de l’entreprise, on a quand même essayé
de chercher les aspects juridiques les plus adaptés à notre activité, on a ensuite
domicilié l’entreprise et puis, on a commencé à faire des réunions de travail ensemble
pour trouver un fil conducteur, et puis de penser à tout ce qui est décoration et
aménagement des salles. Et petit à petit, on a commencé à faire de la prospection

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client, et puis, au fur et à mesure, le bouche-à-oreille. On a travaillé, sur l’aspect


communication à travers les réseaux sociaux. » - Personne C, 33 ans.

3.2.3 La création-nécessité
Pour les femmes inscrites dans une « création-nécessité », la volonté d’entreprendre survient
au terme d’un de difficulté financière et d’insertion professionnelle.
Face à ces difficultés, la création d’activité devient la seule solution pour acquérir un revenu
et subvenir à ses besoins. Cette situation est vécue notamment dans le contexte de crise
sanitaire déclenché en Mars 2020.
« On vient de commencer en septembre, et c’est un résultat de la crise de
Coronavirus. Ma sœur bosse depuis dix ans au sein d’une entreprise spécialisée en
Export, elle touche un bon salaire. Après la propagation du virus, l’entreprise a
suspendu son activité, elle est passée à un salaire de 2000 DHs. Du coup, on a
commencé à se poser des questions et on a eu une l’idée. » - Personne D, 33 ans.
Pour ces femmes, l’entreprenariat représente une solution pour accéder à des ressources
financières minimales.

3.3. Les freins et leviers à la concrétisation du projet


Dans le cadre de la démarche entrepreneuriale, un ensemble de facteurs endogènes et
exogènes participent à la concrétisation du projet ou à son échec. Ce n’est donc pas un mais
plusieurs facteurs qui sont à prendre en compte.
3.3.1 L’environnement familial et amical
De manière générale, l’environnement primaire (familles, amis, entourage) représente un
levier important d’accomplissement des projets.
« Encouragement, la petite famille, mon mari m’a encouragé, notre père, notre
fratrie… vraiment tout le monde était favorable à l’idée. » - Personne D, 33 ans.
En effet, le réseau social constitue en amont de la création d’entreprise, une ressource «
indirecte » d’opinion, de conseils et de motivation.
« Plus du négatif que du positif, mais pas que, il y a mon mari qui m’a encouragé
parce que lui aussi c’est un entrepreneur. Je pense qu’il était le seul qui a ce point de
vue. » - Personne L, 33 ans.
Ce réseau social peut également devenir une ressource directe si l’entourage permet de
faciliter des démarches techniques, financières, administratives, etc.
« Mon frère apportait ses connaissances en tant qu’expert-comptable et conseil
financier au placement en termes d’investissement. » - Personne C, 33 ans.

3.3.2 Le parcours de formation et l’expérience professionnelle antérieure


La formation et l’expérience professionnelle constitue un levier de concrétisation importante
d’un projet entrepreneurial, notamment dans le domaine des services où la crédibilité de
l’entrepreneur joue un rôle majeur.

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« On accompagne les entreprises dans tous les secteurs, à transformer leurs activités
en valeur business. Donc on a été lancé en quelques mois, là on est cinq au Maroc. Et
avant ça, moi j’ai lancé une boite spécialisé dans la formation autour du métier de la
Data, donc toujours le même secteur, donc on accompagnait les entreprises à former
leurs salariés, à tout ce qui est Data. » - Personne O, 29 ans.
« … Bac+13, j’ai fait le cursus normal de la médecine, après, je me suis spécialisée
en nutrition, puis je me suis encore spécialisée en nutrition de l’enfant et l’adolescent
à Huston. J’avais à un cabinet classique où les gens venaient faire leur consultation,
et ils avaient leurs régimes classiques. Et un jour, j’ai eu l’idée de leur préparer leur
repas. » - Personne B, 38 ans.

3.3.3 La personnalité
La personnalité des femmes, et plus précisément leur facilité de communication et leur esprit
de leader, constitue enfin, le dernier levier à l’accomplissement des projets. Les femmes qui,
au sein de notre échantillon, ont à ce jour effectivement créé leur entrepris possèdent ces
traits.
« Ce qui m’a aidé, c’est le fait que j’ai un esprit stratégiste, critique, j’ai la capacité
de communiquer, discuté. » - Personne F, 31 ans.
Ils permettent aussi de surmonter les inévitables obstacles et déceptions inhérentes au
processus entrepreneurial, qui sont nombreux et que les femmes entrepreneurs interviewés ont
mis en avant :
« Mais l’entreprenariat en réalité, c’est beaucoup de responsabilités, beaucoup de
challenges, on commence à maitriser tout ce qui est juridique, comptabilité, RH,
contrat… donc, on touche à tout quand on est entrepreneur, même si c’est une TPE,
on est dans l’obligation de toucher à tout. » - Personne G, 44 ans.

3.3.4 L’environnement économique


Plusieurs femmes décrivent le parcours entrepreneurial comme un « parcours du combattant
», notamment du fait de la complexité des démarches à entreprendre, mais aussi de la
multiplicité des interlocuteurs présents dans le paysage de la création d’entreprise. Apparaît à
travers leur discours un véritable manque de lisibilité de l’organisation et du chaînage à
l’œuvre au sein du réseau des acteurs de l’aide à la création d’entreprise.
« Aujourd’hui, ce qui marche bien est de taper sur les porter, appeler au
téléphone…Au Maroc, ça se passe à l’ancienne, ça se passe pas avec les canaux
digitaux. Pour les produit peut-être oui, mais pour les services il faut vraiment aller
directement voir la personne discuter avec elle… » - Personne F, 31 ans.

3.3.5 Le contexte de crise sanitaire COVID-19


La crise sanitaire que nous vivons actuellement depuis Mars 2020 a eu un impact sur toutes
les entreprises en cours d’activité. Celle-ci a poussé certaines entrepreneuses à mettre leur

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activité en pause momentanée ou à cesser leur activité.


« Avant le Coronavirus, c’était super ! Mais pendant cette crise sanitaire, on a arrêté
complètement. » - Personne A, 39 ans.
« Jusqu’en février 2020, oui. Parce qu’avant le Covid, c’était une entreprise qui avait
tellement réussi. A tel point qu’on a commencé à divisé nos bénéfices avec nos
employés. On a même créé une agence de voyage. Depuis mars, on n’a plus rien. On a
payé les salaires de nos employés jusqu’au novembre et on a décidé de faire des
licenciements, en leur donnant un an et demi de salaires à l’avance. » - Personne E,
52 ans.
« Malheureusement, on a lancé en 2018, la plateforme était prête en 2019, et au mois
de mars, on a tous été gelé, les budgets étaient gelés, donc, c’était difficile d’avancer.
Les clients étaient réticents, ils ne peuvent plus payer… » - Personne N, 35 ans.
Pour d’autres, c’est la crise sanitaire qui est à l’origine de la création de leur projet
entrepreneurial, s’inscrivant ainsi dans une démarche d’entrepreneuriat-nécessité :
« Sortir de la crise, mais aussi la passion. On est bien dans ce qu’on est en train de
faire. » - Personne D, 33 ans.

5. Discussion et conclusion

La compréhension des facteurs influençant le développement de l’entrepreneuriat féminin au


Maroc pourrait aider les parties prenantes dans le cadre de mise en œuvre de mesures
incitatives au développement d’entreprises féminines. En effet, l’entrepreneuriat est un fort
levier de création de valeur et d’emplois dans le monde et devraient faire l’objet de davantage
d’initiatives publiques au Maroc et en Afrique.

Il est à noter qu’il existe de fortes similitudes entre les motivations à l’entrepreneuriat féminin
au Maroc et les facteurs de motivation développés par les chercheurs australiens Orhan et
Scott (2001). Selon eux, les femmes entrepreneurs partagent l'une ou plusieurs des sept
catégories de motivations suivantes : entrepreneures par chance, entrepreneures sans
alternative, entrepreneures à succession naturelle, entrepreneures dynastiques, entrepreneures
forcées, entrepreneures informées et entrepreneurs pures.

A travers les résultats de notre étude, nous retrouvons principalement des femmes qui ont
choisi une carrière entrepreneuriale, du fait de leur enthousiasme et leur volonté de créer.
Selon elles, l’entrepreneuriat est un style de vie, que ce soit par nécessité ou par opportunité.
Cette typologie se rapproche de la catégorie des entrepreneures pures développée par Orhan et
Scott (2001).

Les autres femmes interrogées se sont quant à elles retrouvées dans les affaires en raison de
facteurs multiples : découverte et saisie d’une opportunité, démission du travail, situation de
crise (notamment celle du COVID-19) ou l’incapacité de travailler en tant que salariée. Elles

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sont caractérisées par leur possession de compétences et d'expériences et se rapprochent donc


de la catégorie des entrepreneurs informés.

Selon nos résultats, les femmes entrepreneurs au Maroc semblent être plus motivées par des
facteurs personnels, notamment la recherche de l'épanouissement personnel, de l'autonomie et
de l'indépendance, ce qui corrobore les résultats de Himrane (2018).

En ce qui concerne les facteurs économiques, réglementaires et socioculturels, ceux-ci


semblent faiblement influencer la démarche entrepreneuriale sur notre échantillon. En effet,
toutes les personnes questionnées ont démarré leur activité grâce à leurs fonds propres et
n’ont pas fait appel à des aides financières externes ou des institutions d’aide au lancement de
projet (comme les incubateurs).

Il serait intéressant de mener cette étude sur d’autres pays d’Afrique afin de déterminer les
points de convergence et de divergence quant aux motivations et freins à l’entrepreneuriat
féminin en Afrique. Aussi, sur la zone géographique étudiée à savoir le Maroc, il serait
propice d’effectuer cette étude sur un échantillon plus large pour valider les résultats trouvés
et de spécifier par région pour déterminer les leviers poussant au lancement et/ou à l’arrêt
d’activités des femmes entrepreneurs.

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