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Commentaires 

comparés – 
Cour de cassation, chambre commerciale,
12 mars 1985 et 6 mai 2003 – 
Le nom commercial patronymique
La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu deux arrêts traitant d’un
même sujet : le nom commercial patronymique. Il s’agit des arrêts du 12 mars 1985,
plus   connu   sous   le   nom   d’« arrêt   Bordas »   et   enfin   celui   du   6   mai   2003,   l’arrêt
« Ducasse ». Le premier arrêt est venu poser un principe en droit commercial quant à
l’adoption d’un nom commercial patronymique et sur le fait que celui­ci soit dès lors
détachable du nom de la personne physique. Le second arrêt est venu préciser ce
régime en lui apportant une limite. 

En l’espèce, dans le premier arrêt, M. Bordas et son fils créent une société, plus
précisément   une   SARL   (société   à   responsabilité   limitée)   en   1946.   Lors   de   sa
création, ils lui donnent pour dénomination sociale « éditions Bordas ». Ils donnent
donc à la société leur nom patronymique. Suite à un changement de la forme sociale
(désormais, la société est une société anonyme), M. Bordas se retrouve actionnaire
minoritaire de la société et souhaite par la suite que la dénomination sociale de la
société   soit   modifiée.   Il   ne   désire   plus   que   celle­ci   porte   son   nom   de   famille   et
interjette pour cela appel. 

Dans son arrêt du 8 novembre 1984, la Cour d’appel de Paris répond positivement à
la demande du requérant au motif que le nom patronymique présente un caractère
inaliénable. Ainsi, la dénomination sociale de la société devra être modifiée. 

On se demande alors si l’associé d’une société ayant donné son nom patronymique
à celle­ci peut demander à ce que son nom ne soit plus utilisé à ces fins.

C’est dans son arrêt du 6 mai 2003 que la Cour de cassation vient trancher cette
question et juge qu’il faut dissocier le nom de la personne physique et le nom de la
société ; qu’elle appelle « nom commercial », bien que celui­ci soit le même. Ainsi,
pour les juges du droit, dès lors que la dénomination sociale de la société avait été
inscrite dans les statuts, le nom de la personne physique s’est désolidarisé du nom
de la société. C’est en ce sens que la Haute Cour casse et annule la décision des
juges du fond. 

En l’espèce, dans le second arrêt, un chef cuisinier Alain Ducasse a constitué sa
société   avec   deux   associés   et   lui   a   donné   son   propre   nom   pour   dénomination
sociale. Plus tard, il a racheté une marque qui comprenait déjà son nom et prénom,
cependant, il n’avait pas donné son accord à cette société pour qu’elle prenne son
nom. Il l’a alors assigné en nullité. 

Dans son arrêt du 27 avril 2000, la Cour d’appel d’Aix­en­Provence a débouté le
requérant de sa demande au motif qu’il avait renoncé à disposer de son nom dès
lors qu’il l’avait donné à sa société. Ainsi, la dénomination sociale s’était totalement
désolidarisée du nom de la personne physique et qu’il était donc possible à d’autres
personnes de reprendre ce nom patronymique pour créer des marques dont l’objet
découle de l’exercice de la société initiale.

On   se   demande   alors   s’il   est   possible   pour   une   société   de   reprendre   le   nom
patronymique d’une personne donnée à une marque sans son autorisation. 
La Cour de cassation, dans son arrêt du 6 mai 2003, vient répondre à cette question
de droit en jugeant qu’au regard du Code de la propriété intellectuelle, il n’est pas
possible pour une société de reprendre le nom patronymique d’une personne sans
son autorisation. 

Ces arrêts présentent quelques similitudes et l’un vient préciser le régime posé par
l’autre.   En   effet,   dans   les   deux  cas,   des  gérants  de   société   ont   donné   leur  nom
patronymique   à   leur   société   et,   quelques   années   plus   tard,   au   regard   de
modifications internes à la société ou au vu de circonstances extérieures, souhaitent
revenir sur leur décision. Nous allons alors nous intéresser au régime jurisprudentiel
posé à ce sujet en réalisant une étude comparative de ces deux arrêts.  

Pour   cela,   nous   allons   nous   poser   la   question   suivante :   dans   quelles   conditions
est­il possible pour un associé qui a donné son nom à la société de revenir sur sa
décision ? 

Nous allons dans un premier temps nous intéresser à la séparation du nom social et
du nom de la personne physique (I). Puis, dans un second temps, nous étudierons la
reconnaissance d’un droit de propriété sur le nom par la Cour de cassation qui se
veut protectrice des parties (II). 

I. La séparation du nom social et du nom de la personne physique

Dans cette première partie, nous allons d’abord contextualiser ces arrêts en nous
intéressant   à   l’usage   du   nom   patronymique   donné   à   une   société   (A),   puis   nous
étudierons  l’importance   de   la  distinction   entre  la   personne   morale   et  la   personne
physique et l’impact que cela a sur le nom (B). 

A. Le nom patronymique donné à une société : un usage courant 

Le   nom  donné   à   une   société   est  une   donnée   très  importante  et   nécessaire   à   la
création   de   toute   société.   En   effet,   celui­ci   doit   obligatoirement   figurer   dans   les
statuts (les statuts doivent toujours être établis au jour de la création de la société).
Cette donnée est donc nécessaire, au même titre que le capital social ou le siège
social de la société par exemple. 

Il est très fréquent, qu’au sein d’une société, le gérant, voire même quelques fois un
associé, donne son nom à cette société ; on parle alors de « nom patronymique ». Il
s’agit d’un usage courant que l’on retrouve en droit des affaires. Il convient dès lors
de préciser que l’usage est une source du droit à part entière, au même titre que la
loi, la jurisprudence et la coutume. Ainsi, donner son nom à une société est un acte
récurrent et totalement autorisé par le droit français. 
L’explication de ce phénomène est très simple, surtout lorsque le talent du dirigeant
ou   de   l’associé   entre   en   jeu   dans   la   société.   Dès   lors,   dans   un   souci   de
reconnaissance,   il   est   fréquent   que   la   personne   souhaite   donner   son   nom   à   la
société, à la marque, afin que la clientèle associe le produit à cette personne. En
l’espèce, dans les deux cas étudiés aujourd’hui, cet usage a été mis en pratique. En
effet, M. Bordas a donné son nom à sa société d’édition dont il était le gérant, et ce,
dès   sa   création.   M. Ducasse   a   lui   aussi   cédé   son   nom   pour   sa   société   portant
pleinement sur ses talents de cuisinier. En ce sens, nous pouvons donc affirmer que
le nom social donné à ces deux sociétés constitue un réel point commun entre ces
deux arrêts, nous allons voir d’autres aspects qui les rapprochent l’un de l’autre par
la   suite.   Puis,   nous   verrons   que   la   Cour   de   cassation   adopte   un   point   de   vue
relativement   différent   pour   ces   deux   arrêts ;   mais   avant   cela,   nous   allons   nous
intéresser à la distinction qui doit être faite entre la personne physique et la personne
morale à qui elle a donné son nom (B).

B. La distinction entre personne morale et personne physique : l’important
impact sur le nom 

La   Cour   de   cassation   dans   son   arrêt   Bordas   pose   un   principe   fondamental   en


matière de droit des affaires. En effet, elle s’intéresse au caractère détachable du
nom commercial et du nom de la personne physique. Dès que le gérant décide de
donner son nom à la société qu’il créée et que ce nom social est inscrit dans les
statuts, il accepte se détacher de son nom donné à la société. En d’autres termes, le
nom de la personne physique se détache totalement du nom commercial, du nom de
la   personne   morale.   Dès   lors,   le   nom   patronymique   se   rattache   au   fonds   de
commerce de la société commerciale et à son activité, la Cour le considère dès lors
comme un droit patrimonial. C’est en ce sens que la Cour de cassation a affirmé qu’il
n’était plus possible pour M. Bordas de modifier le nom de la société qu’il avait créée
en supprimant son nom patronymique. Ainsi, il semblerait que l’on puisse affirmer
qu’il s’agit d’une réelle cession et qu’une fois le nom cédé, la personne ne peut faire
marche arrière. Nous verrons cependant que la Haute Cour dans son arrêt Ducasse
vient préciser ce régime en apportant en quelque sorte une exception au principe qui
semblait être posé. 

Pour rendre cette décision, les juges du droit se sont basés sur le fait que M. Bordas
avait donné son consentement libre, personnel, non vicié et éclairé afin de donner
son nom à la société. En effet, il apparaît qu’aucune personne n’ait exercé une force
sur lui afin qu’il prenne cette décision, que cette force soit physique ou verbale. De
plus, M. Bordas, lorsqu’il a donné son nom à la société dont il était le gérant, avait
pleinement   conscience   de   ce   qu’il   faisait.   Il   convient   également   d’ajouter   que   s’il
souhaite aujourd’hui modifier le nom de la société, il semblerait que ce soit dû au fait
qu’il ne soit plus le gérant de la société et que celle­ci ait changé de forme. Pour la
Haute Cour, ce motif n’est pas suffisant pour invoquer un changement de nom. Nous
pouvons   alors   supposer   que   dans   le   cas   où   la   société   aurait   abusé   du   nom
patronymique   que   M. Bordas   lui   avait   donné   et   que   cet   abus   aurait   causé   un
préjudice à celui­ci dans le sens où son nom aurait été sali, dans ce cas, la décision
de la Cour de cassation aurait probablement été différente et elle aurait accepté cette
modification. Ainsi, nous pouvons affirmer que la raison invoquée par le requérant
pour modifier le nom de la société n’était pas suffisante, le motif n’était pas légitime
et suffisamment grave.

Ainsi, il apparaît dans cet arrêt que la Haute Cour est relativement stricte et sévère
dans   sa   solution   en   ce   qu’elle   n’autorise   pas   de   marche   arrière.   Nous   allons
cependant désormais voir qu’elle est en quelque sorte revenue sur cette décision en
autorisant désormais une modification (II).  
II. La Cour  de cassation protectrice  des parties : la  reconnaissance d’un
droit de propriété du nom

Dans cette seconde partie, nous allons nous intéresser au tempérament à ce régime
que la Cour vient poser en affirmant un droit de propriété sur le nom (A) puis nous
verrons qu’il s’agit d’une jurisprudence qui se veut protectrice (B). 

A. Un droit de la propriété reconnu : revirement jurisprudentiel ? 

Comme nous l’avons vu dans l’arrêt Bordas, la Cour de cassation n’autorise pas la
modification du nom patronymique de la société, car elle considère qu’il appartient
pleinement   à   la   personne   morale   et   que   la   personne   physique   n’a   plus   de   droit
dessus.   Cependant,   cet   arrêt   était   en   désaccord   avec   l’arrêt   de   la   Cour   d’appel
qu’elle avait cassé et annulé. En effet, les juges du fond avaient considéré que le
requérant pouvait demander la suppression de son nom pour la société, car celui­ci
présente   un   caractère   inaliénable,   elle   a   en   effet   considéré   que   son   nom   lui
appartenait (à la différence de la Haute Cour qui séparait totalement le nom de la
personne physique et celui de la personne morale). La Cour d’appel considérait en
effet que le nom est lié à l’identité de la personnalité, qu’il s’agit d’un droit de la
personnalité qui est en principe incessible. Cependant, pour elle, dans le cas où le
nom était cédé, la personne devait toujours pouvoir exercer une marche arrière en le
supprimant, car il lui appartenait toujours. 

Cependant,   dans   l’arrêt   Ducasse,   il   semblerait   que   la   Haute   Cour   effectue   un


revirement de jurisprudence en ce qu’elle autorise la personne ayant donné son nom
à revenir sur cette décision. Il convient alors de préciser qu’une distinction majeure
peut être remarquée entre ces deux arrêts. En effet, la demande de suppression de
son   nom   de   M. Ducasse   ne   portait   pas   sur   sa   société   directement,   mais   plus
précisément sur les marques qui avaient été créées en utilisant son nom, et ce, sans
qu’il ait donné son accord. Ainsi, la Cour juge qu’il n’était pas possible pour la société
de créer des marques découlant de celle­ci portant le nom du dirigeant sans son
accord. Il est donc possible pour M. Ducasse d’obtenir suppression du nom donné
aux   marques,  car  il   détient   un   droit  de   propriété   sur  son   nom.  Ainsi,   la   Cour  de
cassation ne vient pas réellement effectuer un revirement de jurisprudence entre ces
deux   arrêts,   elle   voit   plutôt   le   deuxième   litige   comme   une   opportunité   pour   venir
préciser le régime. Nous allons alors voir que dans les deux arrêts, la finalité des
juges est de protéger la personne physique et la société (B). 

B. Une jurisprudence se voulant protectrice

En l’espèce, dans ces deux arrêts, il apparaît qu’un fil directeur a été suivi par la
Haute Cour : elle a en effet pris ces décisions dans un souci de protéger les parties.
Toute la difficulté de cette jurisprudence réside alors ici ; la Cour se doit en effet
d’être   à   la   fois   protectrice   des   intérêts   de   la   société,   mais   aussi   de   protéger   la
personne physique. En effet, une personne physique, même si elle a cédé son nom
à une société, reste possesseur de son nom, c’est une donnée qui lui appartient, elle
doit ainsi donner son accord pour que de nouvelles marques soient créées et portent
son nom. Il apparaît également que la société est protégée par la Cour de cassation,
en effet, le nom social qui lui est attribué est une donnée en principe immuable, qui
lui appartient et que la clientèle associe aux produits que la société propose sur le
marché. Ainsi, c’est en ce sens qu’il serait malvenu pour la société de voir son nom
social modifié.

Conclusion 

Pour conclure, il apparaît, au regard de ce développement, que la Haute Cour est
venue poser un régime en matière de cession du nom d’un dirigeant à sa société. La
Cour affirme qu’il est possible dans certains cas, pour le dirigeant, de venir effectuer
une modification plus tard de son nom, car celui­ci garde un certain droit de propriété
sur son nom. En ce sens, les juges détiennent un important pouvoir d’appréciation et
jugent au cas par cas. Leur finalité première, ici, est de protéger la personne ayant
cédé   son   nom,   mais   aussi   de   protéger   les   intérêts   de   la   société   en   limitant   la
possibilité de modifier le nom social.

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