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Article

Géologie et rentabilité des gites minéraux

VUAGNAT, Marc

Abstract

Cet article est destiné à mettre le lecteur non spécialisé au courant des facteurs qui
déterminent la distribution actuelle des exploitations de ressources minérales et des
tendances qui influenceront cette distribution dans le futur.

Reference
VUAGNAT, Marc. Géologie et rentabilité des gites minéraux. Le globe, 1962, no. 102, p. 33-47

DOI : 10.3406/globe.1962.3489

Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:160486

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MÉMOIRES

GÉOLOGIE ET RENTABILITÉ DES GITES MINÉRAUX

PAR

M. VUAGNAT
Professeur à l'Université de Genève

Cet article est destiné à mettre le lecteur non spécialisé au


courant des facteurs qui déterminent la distribution actuelle des
exploitations de ressources minérales et des tendances qui
influenceront cette distribution dans le futur.

I. Qu'est-ce qu'un minerai?

Si nous nous référons à un dictionnaire usuel, nous trouvons


une définition du vocable minerai qui est à la fois trop restrictive
et trop générale. On nous dit qu'un minerai est une roche contenant
sous forme combinée un métal que l'on peut isoler par un traitement
plus ou moins complexe. Définition trop restrictive car un minerai
peut fort bien contenir le métal sous forme native (minerai d'or,
de platine); d'autre part, certains minerais sont une source de
métalloïdes, par exemple de soufre comme la pyrite, et non de métal.
Définition trop large car le terme de minerai a une nuance relevant
de l'économie, il implique une exploitation rentable.
Il serait préférable d'employer le terme de minerai comme
synonyme de substance minérale pouvant faire l'objet d'une
exploitation rentable. On peut alors distinguer les catégories suivantes
de minerais sensu lato:
1. Les minerais dont on retire par un processus d'extraction
mécanique (cas des métaux natifs) ou chimique un métal ou
métalloïde.
2. Les minerais dont on retire un minéral ayant, à cause de
ses propriété, un intérêt économique. Ainsi le graphite est intéres-
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sant en tant qu'espèce minérale graphite et non comme source


de l'élément carbone; l'asbeste est recherchée à cause de ses
propriétés mécaniques et thermiques (fibres réfractaires) et non comme
source de silicium et de magnésium.
3. Les combustibles solides, liquides ou gazeux.

On réserve parfois le terme de gîtes métallifères aux gisements


de minerais contenant des métaux et celui de gîtes minéraux aux
autres gisements; cependant, on tend actuellement à envelopper
sous le terme de gîte minéral toute concentration de substance
minérale exploitable. En effet, on s'aperçoit que, dans la pratique,
les limites entre les catégories mentionnées ci-dessus ne sont
pas toujours nettes; par exemple, la pyrite, sulfure de fer, est un
minerai de soufre important, mais, dans certains cas, on peut en
retirer aussi du fer; c'est donc un minerai qui est susceptible de
fournir un métal et un métalloïde. La bauxite, mélange d'hydro-
xydes d'alumine et d'impuretés diverses, est le minerai
d'aluminium par excellence; elle joue aussi un rôle important dans
l'industrie des briques réfractaires; dans ce cas, ce n'est pas la teneur en
alumine qui est intéressante mais les propriétés thermiques des
oxydes d'alumine résultant de la cuisson des bauxites. Dans
l'ancienne classification, un gisement de bauxite pourrait être classé
aussi bien dans les gîtes métallifères que dans les gîtes minéraux.
Les hydrocarbures sont, évidemment, en tout premier lieu des
combustibles, mais, on extrait des quantités importantes de soufre
à partir des gaz de pétrole (champs de gaz, raffineries), ainsi la
France retire du gisement de Lacq (Basses-Pyrénées) plus d'un
million de tonnes de soufre par an; d'autre part, pendant la guerre,
on a récupéré le vanadium dans les suies de certains hydrocarbures
de la région caraïbe, ces suies ayant une teneur de 4 à 20% de
vanadium.
Un minerai est généralement un mélange de plusieurs minéraux
dont certains ont une valeur économique et d'autres sont sans
valeur. Ces derniers minéraux sont souvent appelés la gangue du
minerai. On voit ici que le terme de minerai présente une certaine
ambiguïté, puisque parfois, il désigne l'ensemble de la roche
minéralisée, par exemple lorsqu'on parle du minerai tout-venant d'une
mine; et parfois, la seule fraction qui a une valeur économique.
La classification d'un minerai dans la catégorie des gangues n'a
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du reste rien d'absolu; elle est souvent relative au type de gîte;


ainsi dans un gisement de plomb (contenu dans le minéral galène),
la barytine (sulfate de baryum) est généralement considérée comme
une gangue; ailleurs, des filons ou des amas de barytine pourront
être suffisamment importants pour constituer des gîtes de
barytine, minéral qui a de nombreux emplois industriels, et la barytine
sera donc un minerai. Le terme de stérile est réservée aux parties
du gîte qui sont rejetées par l'exploitant (roche encaissante des
filons, partie trop riche en gangue, etc.).

IL Facteurs dont dépend la valeur d'un gîte

La valeur d'une concentration de substance minérale, en


particulier, le fait que cette concentration soit exploitable, constituant
ainsi un gîte au sens économique du terme, ou, au contraire, ne
soit pas exploitable, dépend de plusieurs facteurs, les uns de nature
géologique, minéralogique et géographique; les autres,
éminemment variables dans le temps, de nature politique, économique et
technique

1. Facteurs de nature minéralogique et géologique. — .Ce sont


les facteurs dépendant de la constitution du minerai, parmi lesquels,
les plus importants sont:

a) La teneur en métal, métalloïde, minéral industriel, etc.


Deux valeurs sont à retenir: la teneur moyenne d'un gisement;
la teneur minima qui permet de distinguer le minerai du stérile,
cette teneur est appelée cut-off par les mineurs anglo-saxons.
Ainsi dans le gisement de Copper Cities (Miami, Arizona), la teneur
moyenne en cuivre du minerai exploité était, en 1955, de 0,7%
et le cut-ofï de 0,43%. Insistons sur le fait que la teneur moyenne
limite, au-dessous de laquelle un minerai n'est plus susceptible
d'une exploitation rentable, est un chiffre très variable d'un point
à l'autre et d'un moment à l'autre, car il dépend de nombreux
autres facteurs que nous examinons ci-dessous, en particulier du
cours du métal. D'une manière générale, cette valeur limite de la
teneur tend à diminuer: l'épuisement des gisements à haute teneur,
mais aussi les progrès de l'extraction (mécanisation), de la
concentration, de la métallurgie ainsi que la récupération de plus en plus
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fréquente des sous-produits font que l'on exploite rentablement


des minerais de plus en plus pauvres. Tandis qu'au siècle dernier,
en 1880, la teneur moyenne des gisements de cuivre exploités aux
U.S.A. était de 3%, pendant la période 1951-56 cette teneur s'est
abaissée à 0,8%.

FlG. 1
Utah Copper Mine, Bingham Canyon, Utah (USA)
La plus forte production de minerai du monde.

Si la teneur du minerai en l'élément recherché a une


importance primordiale, la présence d'impuretés joue aussi un grand
rôle. Ces impuretés seront parfois un métal de valeur présent dans
le minerai avec une teneur bien trop faible pour justifier à lui
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seul une exploitation, mais récupérable avec bénéfice comme


sous-produit lors de l'extraction du métal principal. Ainsi, on s'est
aperçu vers la fin de la seconde guerre mondiale, que les grands
gisements d'or du Witwatersrand en Afrique du Sud contenaient
environ 0,01% d'uranium, alors que les teneurs-limites moyennes
sont de l'ordre de 0,1%; néanmoins, l'uranium étant un sous-
produit de l'extraction de l'or, les conglomérats du Rand sont
parmi les premiers producteurs d'uranium du monde. On peut
aussi mentionner le cas de la grande mine de cuivre de Bingham
Canyon (Utah Copper Mine) près de Salt Lake City qui
récupère aussi le molybdène contenu à l'état de traces dans le minerai
(0,06%); étant donné l'énorme production de cette mine (environ
30.000 t. de minerai par jour), elle est aussi le second producteur
mondial de molybdène.
Souvent aussi les impuretés abaissent la valeur du minerai
(on dit que ces impuretés sont pénalisées) ou même le rendent
inexploitable. Ainsi, pour les concentrés de minerai de zinc, la
somme des impuretés arsenic et antimoine, est tolérée en dessous
de 0,2%, pénalisée entre 0,2% et 5% ; le minerai est refusé lorsque
cette somme dépasse 5%. Le bismuth est, pour ces concentrés,
un véritable poison métallurgique, aussi un minerai à plus de 0,1%
de Bi est-il refusé.

b) La composition minéralogique du minerai joue aussi un rôle


car, souvent, elle détermine le traitement métallurgique, plus
ou moins coûteux, qui sera employé. Autrement dit, deux minerais
de même teneur, mais de natures minéralogiques distinctes, pourront
avoir des valeurs très différentes. Certaines masses de minerai de
plomb silicates de la région de Carthagène (Andalousie) n'ont qu'une
valeur médiocre, la métallurgie de ces minerais étant beaucoup
plus difficile que celle des minerais de plomb les plus communs
sulfurés ou carbonates. La nature de la gangue est, elle aussi
importante. Certaines gangues agissant comme fondant facilitent
les opérations métallurgiques. Par contre, une gangue formée de
minéraux très durs déterminera une usure rapide des broyeurs
lors des opérations de concentration du minerai et sera
désavantageuse.

c) La granularité et la structure du minerai n'est pas sans


importance; sans parler du cas des charbons où la valeur marchande
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des morceaux grossiers est bien supérieure à celle des parties fines
(encore que cette moins-value des fines ait tendance à diminuer du
fait de leur emploi de plus en plus fréquent pour les centrales
thermiques), la granularité et la structure d'un minerai rendra sa
concentration plus ou moins facile. Si minerai et gangue sont en
grains relativement gros avec des surfaces de contact simples,
on pourra se contenter d'un broyage grossier, si, au contraire,
les grains sont très petits, intimement interpénétrés les uns dans
les autres, il faudra avoir recour à un broyage très fin, opération
onéreuse se soldant par une grande dépense d'énergie et une usure
plus rapide des broyeurs.

d) Un des facteurs vraiment cruciaux en ce qui concerne la valeur


d'un gisement est celui des réserves de minerai exploitable. Si on
compare pour un type de gisement donné, la variation de la teneur-limite
en fonction des réserves calculées, on constate que plus cette teneur
est basse plus les réserves doivent être importantes. De même qu'il
existe une teneur limite en dessous de laquelle une concentration
minérale n'est plus exploitable quelle que soit sa taille, il existe
aussi une valeur minimum des réserves qui, pour la majorité des
minerais et sauf cas exceptionnels (économie de guerre par exemple),
enlève tout intérêt à l'exploitation même si la teneur est très élevée.
Cette relation entre teneur-limite et réserve a sa raison d'être
dans la nécessité de disposer d'un laps de temps suffisant pour
pouvoir amortir les énormes investissements que représente une
exploitation minière.
La notion de réserve est assez complexe. Classiquement, on
distingue entre les réserves à vue constituées par des massifs de
minerai entièrement délimités par les travaux de recherche ou
d'exploitation, les réserves probables constituées par des massifs
incomplètement délimités par de tels travaux et les réserves
possibles constituées par des massifs non délimités ou dont on
soupçonne seulement l'existence en se basant sur certains critères
géologiques et minéralogiques. Il est évident que les risques d'erreurs
dans le calcul des réserves va en augmentant des réserves à vue
aux réserves possibles. Notons aussi que la notion de réserve est
relativement simple lorsqu'on a une masse minéralisée, un filon,
par exemple, séparé de la roche encaissante stérile par une surface
bien définie. En revanche, cette notion est plus difficile à définir
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lorsqu'il s'agit de masses minéralisées à limites floues. C'est


précisément le cas des gîtes de cuivre du type des porphyres cuprifères
(« porphyry copper »). Ces gisements, que l'on rencontre surtout
dans les Montagnes Rocheuses et dans les Andes, constituent,
à l'heure actuelle, la principale source mondiale de cuivre. Ce sont
des amas minéralisés qui, sur leurs bords, passent insensiblement
à la roche encaissante. La surface-limite du « massif » passera
donc par les points où la teneur du cut-off sera atteinte. Etant
donné que cette teneur du cut-off est soumise à des variations
tant conjoncturelles que séculaires, il en résulte que la taille du
gîte et, de ce fait, les réserves varieront d'une année à l'autre;
en parlant un langage imagé, le gîte se contractera lors d'une
récession, il se dilatera lors d'une expansion économique, la dilatation
l'emportant cependant si on considère une période assez longue.

e) Là géologie du gisement intervient aussi. Tout d'abord la


position du minerai par rapport à la surface du globe. Plus un
gîte est profond, plus son exploitation est onéreuse; au-delà d'une
certaine profondeur, l'exploitation n'est plus possible. Cette limite
comme celles que nous avons déjà examinées, dépend de divers
facteurs et varie au cours du temps, augmentant au fur et à mesure
que les moyens techniques se développent. Elle est imposée
essentiellement, par l'augmentation de la température avec la profondeur
qui rend l'atmosphère de la mine non viable sans installations de
ventilation et même de réfrigération très coûteuses. Comme le
degré géothermique (dénivellation correspondant à une
augmentation de température de 1° centigrade) varie passablement d'un
endroit à l'autre, la profondeur limite d'exploitabilité variera
d'une région à l'autre. Le degré géothermique moyen est de 33m;
il est minima dans les régions montrant un volcanisme jeune (par
exemple moins de 18 m près de Virginia City, Nevada) et maximum
dans les régions très stables et anciennement consolidées des
boucliers précambriens (on a mesuré jusqu'à plus de 170 m au
Transvaal), cette particularité des vieux boucliers est une des
raisons pour lesquelles nous trouvons les puits les plus profonds
du monde dans les mines d'or du Witwatersrand (Afrique du Sud),
dans les mines d'or du district de Kirkland Lake (Ontario) et dans
les champs aurifères de Kolar aux Indes. Le fait que ces puits se
trouvent dans des gisements d'or nous amène au deuxième facteur
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influençant la profondeur limite: la nature du minerai. En général,


plus le minerai est précieux, plus cette profondeur est grande:
elle sera minima et quasi-nulle pour des matériaux de peu de
valeur: ardoise, roches diverses et maxima pour les métaux
précieux. Le cas du pétrole est à part puisqu'on l'exploite par des
puits-sondages, ce qui explique que, dans des conditions très
favorables, au Texas en particulier, on recherche le pétrole jusqu'à
8 km de profondeur.

Fig. 2
Hull-Rust Mine, Hibbing, Minnesota (USA)
La plus importante exploitation de minerai de fer des Etats-Unis

La structure du gîte n'est pas à négliger; ainsi un filon puissant


aura plus de valeur qu'un faisceau de filons minces, même si la
somme de leur épaisseur individuelle est égale à celle du filon
unique; en effet, dans le cas des filons minces, la proportion de
stérile à abattre est plus grande que dans celui de filons épais.
Pour les filons aurifères, on peut calculer une épaisseur minima
au-dessous de laquelle l'exploitation n'est plus possible; il en va
de même pour les couches de houilles. Ce phénomène explique
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pourquoi les gisements alpins ont généralement peu d'importance


économique. Les plissements, chevauchements, fractures
accompagnant l'orogenèse alpine ont fragmenté les masses métalisées.
L'exemple des gisements de manganèse associés aux radiolarites
et aux ophiolites de l'Oberhalbstein (Grisons) est frappant à cet
égard; malgré la haute qualité du minerai, ces petits gisements
dispersés dans une zone tectonique trop complexe ne peuvent pas
être exploités rentablement en temps normal, les réserves
individuelles étant trop faibles.
La nature des terrains encaissants et sus-jacents pourra aussi
influencer le coût de l'exploitation. Des terrains mal consolidés,
friables, rendront nécessaires des travaux de soutènement importants
pour des raisons de sécurité. De même, la présence de couches aqui-
fères pourra grandement compliquer le problème de l'exhaure et,
dans certains cas marginaux, déterminer l'abandon de la mine.

2. Facteurs géographiques. — Ces facteurs relèvent aussi bien


de la géographie physique que de la géographie économique. On
peut mentionner ici:
a) Le climat. — Très important lorsqu'il s'agit d'exploitation
à ciel ouvert, ce facteur n'est cependant pas négligeable pour des
exploitations souterraines; en effet dans toute mine, une partie
des installations se trouve en surface, généralement groupées
sur le carreau de la mine (machine d'extraction, ateliers mécaniques,
usine de concentration, etc.); d'autre part, le transport du minerai
de la mine jusqu'aux grandes voies de communications pourra
être entravé par les intempéries. Des hivers très rigoureux
obligeront parfois à fermer l'exploitation pendant quelques mois,
immobilisant ainsi des installations coûteuses qui, en outre,
souffriront peut-être du mauvais temps. Lorsque, pendant la dernière
guerre, l'extrême besoin de notre pays en certains métaux
conduisit à ouvrir, ou à rouvrir, certaines petites mines situées assez haut
dans les Alpes, l'abondance des chutes de neige obligeait
généralement à n'exploiter que pendant quelques mois de l'année.
Le climat a aussi une autre incidence sur l'exploitabilité d'un
gîte. Comme nous le verrons bientôt, la majorité des mines sont
accompagnées d'une usine de concentration du minerai. Or la
plupart des moyens de concentration (table à secousse, jig, flotta-
tion) demandent de grandes quantités d'eau. En climat aride,
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la concentration des minerais pose donc un problème ardu. Dans


certaines mines de l'Ouest des Etats-Unis, il a fallu amener l'eau
de très loin par des acqueducs spécialement construits dans ce
but; souvent, il faut prévoir une installation de filtration et de
purification permettant de recycler l'eau, installation qui
augmentera l'investissement initial nécessaire à l'ouverture de la mine.

b) L* éloignement. — La distance qui sépare le producteur


(la mine) de l'utilisateur (usine métallurgique s'il s'agit d'un minerai
métallique) intervient comme un facteur-clé. Dans le transport
du minerai de l'un à l'autre, on peut distinguer deux étapes: le
raccordement de la mine aux grandes voies de communication et,
ensuite, le transport jusqu'au régions industrielles où se trouvent
généralement les acheteurs du minerai. La première étape impose
souvent à l'exploitant la construction de chemins de fer, de
télébennes, de routes, de ports, etc., installations coûteuses dont
l'amortissement viendra grever le prix de revient du minerai. En ce qui
concerne la seconde étape, plus elle sera longue, moins le minerai
se vendra facilement. Le producteur sera contraint d'abaisser ses
prix de vente pour concurrencer les mines plus rapprochées des
centres industriels. Il est évident que ce n'est pas la distance
absolue qui intervient ici; le coût des transports au km/t varie
beaucoup selon les moyens utilisés; on sait que les transports par
voie maritime sont beaucoup meilleur marché que les transports
terrestres. Un exemple frappant est celui offert par le charbon,
en 1958, par exemple, le prix CI. F. Anvers ou Rotterdam du
charbon américain (fines à coke) était de 12,69 dollars, c.à.d. inférieur
aux prix des charbons européens au départ de la mine; le fret
transatlantique était en effet de 2,89 dollars par tonne et les quelques
centaines de km de transport entre le port et le lieu d'utilisation
coûtait plus cher que 5000 km de transport par mer. On
comprendra facilement que les gisements situés au centre d'étendues
continentales désertiques (Sahara, Australie) n'offrent à l'heure actuelle,
pétrole excepté, qu'un intérêt économique médiocre; aux longs
transports terrestres s'ajoute le désavantage d'un climat aride
qui, comme nous l'avons vu, pose un problème ardu en ce qui
concerne le ravitaillement en eau de l'usine de concentration. Il
faudrait que de tels gîtes présentent des teneurs exceptionnelles et
des réserves énormes pour qu'on songe à les exploiter. Il est évident
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que plus la substance exploitée est précieuse, moins le transport


joue de rôle; comme cas extrême citons le cas du diamant pour
lequel toute la production annuelle mondiale (env. 4-5 t) pourrait
être transportée en un seul vol d'avion.
Le transport, ou plutôt les frais qu'il entraîne, est un facteur
suffisamment important pour que, dans la majorité des cas, on
concentre le minerai avant de l'expédier. Augmentant ainsi sa teneur
dans des proportions considérables, le poids à transporter est réduit
d'autant, d'autre part, les opérations métallurgiques sont rendues
plus faciles. On peut donc distinguer, dans le chemin allant du
minerai en place jusqu'au métal, les opérations suivantes: l'abatage
et l'extraction du minerai de la mine ou de la carrière, la
concentration du minerai tout- venant, l'extraction métallurgique du
métal contenu dans le concentré. Tandis que les opérations de
concentration font intervenir des processus physiques (mécaniques,
magnétiques, etc.), les opérations métallurgiques proprement
dites font intervenir des processus chimiques, généralement à
température élevée. Comme exemple de ces divers stades, prenons celui
de l'Utah Copper Mine. Pour obtenir une tonne de minerai, il faut
abattre une tonne et demie de stérile. La tonne de minerai a une
teneur en cuivre de 0,93% ; après avoir passé à l'usine de
concentration par flottation, on obtient un concentré à 31% de Cu; le stade
comprend lui même deux étapes usines: le passage par la fonderie
qui produit du cuivre titrant 99,4% et le raffinage électrolytique
permettant d'élever le titre à 99,96%.
Cetres, il serait inexact de croire que les trois stades mentionnés
ci-dessus sont toujours représentés. En général, les minerais à
haute teneur de métaux relativement bon marché, fer, aluminium,
ne sont pas préalablement concentrés, encore que dans le cas du
fer, par suite de la mise en exploitation récente de formations à
basse teneur, la taconite du Minnesota par exemple, une
concentration soit nécessaire. D'autre part, il arrive que la
concentration mécanique soit suffisante pour obtenir la substance à un degré
de pureté satisfaisant, c'est le cas de nombreux minerais de
substances non-métalliques: graphite, asbeste, mica, diamant et de
certains métaux natifs, tel l'or alluvionnaire.

3. Facteurs humains. — Ces facteurs, sociaux, politiques,


économiques sont, pour une part liés à la situation géographique de
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la mine, en particulier à sa localisation dans un pays donné, pour


une autre part, ce sont des facteurs « globaux » variant au cours
du temps: marché des métaux, marché du fret, etc.
Dans les facteurs du premier groupe, nous pouvons relever:
a) le coût des concessions et le prix du terrain. Ainsi un gisement
qui se trouve sous une région à haute densité de population, aura,
à cet égard, un désavantage par rapport aux gîtes des régions
moins denses. Tout d'abord, le terrain nécessaire aux installations
du carreau de la mine coûtera cher, ensuite, il faudra résoudre
la question de la place nécessaire au stérile, on devra souvent
avoir recours à des solutions coûteuses, transport à une certaine
distance de la mine, réintroduction du stérile dans la mine sous forme
de remblai; enfin, il faudra prendre des précautions particulières
pour que les travaux miniers n'entraînent pas des mouvements
de terrain en surface, mouvements causant des dégâts aux maisons
qui entraîneraient la société minière dans de coûteux procès.
b) le coût de la main d? œuvre intervient naturellement,
l'industrie minière étant encore assez dépendante de ce facteur. Certains
petits gisements de pays techniquement peu développés peuvent
encore être exploités par une main d'œuvre artisanale, parfois
même familiale, très bon marché. Dans les régions semi-désertiques,
l'entreprise devra construire des villages pour ses ouvriers et
employés, parfois de véritables petites villes. Ainsi, pour exploiter
le grand gisement de cuivre de San Manuel, dans l'Arizona, il a fallu,
au préalable, construire une localité comprenant mille habitations,
trois écoles, un hôpital, des magasins, vingt kilomètres de rues, et
assurer son ravitaillement en eau, gaz, électricité; cette ville
représente un investissement d'environ 50 millions de francs suisses.
On comprendra que de telles entreprises s'efforcent de mécaniser
au maximum leur exploitation.
L'exploitation de gisements d'or alluvionnaires très pauvres
(jusqu'à moins de 0,2 g/t) par de puissants jets d'eau (monitor)
qui désagrègent la roche, ne se conçoit, en raison des dégâts
inhérents à cette technique, que dans des contrées désertes.
c) Enfin, une série de facteurs dépendant de la politique
économique et sociale du pays dans lequel se trouve le gisement
rendront plus ou moins favorable son exploitation. Les exemples
sont nombreux: système fiscal, ainsi, aux Etats-Unis, la «depletion
GÉOLOGIE ET RENTABILITÉ DES GITES MINÉRAUX 45

clause » qui tient compte de l'épuisement des réserves d'une mine,


avantage, du point de vue fiscal, les placements miniers; la
protection douanière de certains minerais, les prêts gouvernementaux
à intérêts modérés, les promesses d'achat par l'Etat de quantités
déterminées de minerais à des prix fixés, sont autant de moyens
d'encourager le développement de l'industrie minière d'un pays
ou de l'aider à survivre à une dépression. Inversement, des menaces
de nationalisation, souvent déguisées sous forme de taxes ou d'impôts
très élevés, des exigences sociales excessives (par exemple,
impossibilité de débaucher de la main-d'œuvre incapable ou superflue), une
politique monétaire qui empêche l'exportation de bénéfices et
décourage ainsi les investissements étrangers, sont autant de facteurs qui
retardent la mise en valeur de gisements souvent intéressants.
Les facteurs du second groupe dépendent du marché mondial.
Marché des métaux en tout premier lieu lorsqu'il s'agit d'un
gisement métallifère; en fin de compte, la rentabilité de l'exploitation
d'un gîte exige que le prix de vente de la tonne de minerai dépasse
le prix de revient de cette même tonne. Très important aussi est
le marché du fret, surtout pour les gisements éloignés des centres
industriels; on pourrait aussi mentionner dans ce groupe, le marché
de certaines fournitures indispensables à la plupart des exploita-
tations minières: énergie (électricité, charbon, mazout), eau,
explosifs, bois nécessaire au soutènement, outillage, etc.

III. Le problème de la rentibilité d'un nouveau gisement

Nous avons vu séparément les facteurs qui influencent la plus


ou moins grande valeur d'un gisement. Lorsqu'un nouveau gîte
a été découvert, la question se pose, naturellement, de l'ouverture
d'une mine ou d'une carrière. Pour répondre à cette question,
il faut commencer par comparer entre eux ces divers facteurs.
Pour certains d'entre eux, la chose est facile, car ils sont connus
avec une précision suffisante: prix des matériaux, coût de la main
d'œuvre, coût des travaux d'ouverture, etc; d'autres ne sont connus
qu' approximativement, ainsi, pour calculer les réserves, la teneur
moyenne, la structure du gîte, on se base sur une série de sondages
et sur quelques travaux de reconnaissance, le risque d'erreur n'est
donc pas négligeable.
46 M. VUAGNAT

Une comparaison dans le présent n'est cependant pas suffisante,


l'ouverture d'une grande mine nécessite généralement d'énormes
mises de fonds qu'il faut amortir sur une période relativement
longue: le stade de la prospection, de la reconnaissance et des
travaux préparatifs à l'ouverture dure de cinq à dix ans, quant
à la vie moyenne d'une mine, elle est naturellement très variable ;
actuellement, on compte, en moyenne, trente à quarante ans. Il
va donc falloir prévoir comment certains des facteurs susdits
évolueront au cours des prochaines décades : fluctuation du marché
de la substance minérale exploitée, variation du coût du fret,
augmentation probable du coût de la main-d'œuvre, etc. Rappelons
que ces facteurs peuvent varier rapidement, ainsi, en 1956, le coût
du fret transatlantique pour une tonne de charbon a passé par un
maximum de 16,47 dollars pour tomber, en 1958, à un minimum
de 2,89 dollars. On obtiendra donc, d'un côté les dépenses au cours
des X prochaines années, dépenses dont les postes principaux
comprendront d'une part l'amortissement, intérêts de l'argent
emprunté y compris, des investissements initiaux, ce qu'on appelle
en langage minier la dotation d'ouverture, d'autre part, les frais
courants d'exploitation; d'un autre côté, pendant la même période,
les revenus qui seront actualisés suivant des procédés mis au point
par les économistes. Ce n'est qu'en comparant ces deux chiffres
qu'une décision motivée pourra être prise. A titre d'exemple, nous
indiquerons quelques chiffres relatifs au gisement de San Manuel
déjà mentionné. La première période de prospection-reconnaissance
au moyen d'une série de sondages s'effectue de 1943 à 1945; la
seconde période, celle des travaux de développement s'étale de 1953
à la fin de 1955; pendant cette période, les investissements (y
compris la construction d'une usine métallurgique) se sont élevés
à environ un demi-milliard de francs suisses; enfin, la troisième
période, celle de l'exploitation proprement dite n'a commencé
qu'en 1956. Etant donné qu'il s'agit d'un minerai à basse teneur
contenant de 0,7 à 0,8% de cuivre, seules d'énormes réserves de
près d'un demi-milliard de tonnes rendent cette exploitation
rentable; à raison de dix millions de tonnes de minerai par an,
la vie de la mine serait d'une cinquantaine d'années.
D'autre part, le cours de certains métaux peut être très instable.
Le cours du cuivre, par exemple, est descendu d'une valeur maxima
de 433 L/t en 1956 à un minima de 160 L 5 s. en 1958.
GÉOLOGIE ET RENTABILITÉ DES GÎTES MINÉRAUX 47

Si on tient compte des incertitudes de la détermination des


teneurs et des réserves, de l'aspect conjectural des prévisions de
l'évolution des prix; si l'on considère le risque de catastrophes:
coup de grisou, éboulement, incendie, inondations qui peuvent
compromettre la vie d'une exploitation, si l'on ajoute enfin les
inconnues de l'évolution politique et sociale des pays neufs où
beaucoup de mines sont situées, on comprendra mieux le caractère
spéculatif des valeurs minières.

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