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L’ITALIE, TELLEMENT NÉCESSAIRE

LE CINÉMA ITALIEN
D’AUJOURD’HUI

■ PAOLO MODUGNO ■

G
râce au succès obtenu par deux films italiens lors du Festival
de Cannes de 2008, Il Divo de Paolo Sorrentino et Gomorra
de Matteo Garrone, on a recommencé à entendre parler en
France de « renaissance » du cinéma italien. En faisant référence aux
années fastes du néoréalisme et de la Commedia à l’italienne, en
effet, on avait souvent lu dans la presse française qu’il n’y avait plus
de cinéma en Italie (1). Notre hypothèse consiste en revanche à dire
qu’un cinéma de qualité a toujours existé en Italie. Depuis bientôt
dix ans, nous animons à Paris, au Cinéma du Panthéon, un ciné-
club sur « L’Italie à travers son cinéma ». Un samedi matin par mois,
nous remplissons une salle de 200 places en présentant, souvent en
avant-première, des films qui rencontrent toujours un chaleureux
accueil de la part du public. Si difficultés il y a, elles seraient plutôt
structurelles et résideraient notamment dans les problèmes politico-
économiques d’un secteur fondé sur le duopole RAI-Mediaset.
La grande force du cinéma italien contemporain réside, à
notre avis, en sa capacité à représenter à l’écran la réalité complexe

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de ce pays – à être, pour le dire avec les mots de Daniele Luchetti,


« le miroir de l’esprit du temps ».
Si le maître mot pour définir le cinéma italien d’aujourd’hui
serait « engagé », on pourrait également distinguer, pour esquisser
une rapide – et forcement incomplète – cartographie du cinéma
italien contemporain, un cinéma se référant à un engagement
« explicite » et un cinéma se rapportant à un engagement « impli-
cite » (2).
Dans la première catégorie se rangeraient des films qui, dans
le sillon de Francesco Rosi ou d’Elio Petri, appartiennent à un cinéma
politique, comme les déjà cités Il Divo et Gomorra ou le Caïman de
Nanni Moretti.
Dans ce premier groupe, on pourrait ensuite définir toute une
série de sous-catégories comprenant :
- les films, très nombreux, sur les phénomènes de criminalité
organisée (à part Gomorra, il faut citer les Cent Pas de Marco Tullio
Giordana, la Sicilienne de Marco Amenta, Fortapásc de Marco Risi,
Romanzo criminale de Michele Placido ou Une vie tranquille de
Claudio Cupellini) ;
- les films sur les années soixante-dix et les questions posées
par le terrorisme (Mon frère est fils unique de Daniele Luchetti, le Rêve
italien de Michele Placido, Buongiorno, notte de Marco Bellocchio
ou la Prima Linea de Renato De Maria). Marco Tullio Giordana,
l’auteur à qui on doit Nos meilleures années, cette extraordinaire
saga qui retrace l’histoire d’une famille italienne à partir de la fin des
années soixante, tourne actuellement un film sur l’attentat de Piazza
Fontana, l’événement qui marqua le début des « années de plomb » ;
- les films sur la période du fascisme et de la Seconde Guerre
mondiale comme Vincere de Marco Bellocchio, l’Uomo che verrà
de Giorgio Diritti (un très beau film sur un des épisodes les plus
douloureux de la période fasciste en Italie, inédit en France) ou Une
histoire italienne de Marco Tullio Giordana ;
- les films sur le monde économique comme Il Gioiellino de
Andrea Molajoli avec le grand acteur Tony Servillo. Ce film, qui
raconte le krach de la société Parmalat, devrait sortir dans les salles
françaises à la rentrée ;
- les films sur les questions liées à l’immigration comme
Terraferma, le dernier travail d’Emanuele Crialese que le grand

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succès obtenu en 2003 par son deuxième long-métrage, Respiro,


avait fait connaître en France.
- Les documentaires qui, de ceux de Sabina Guzzanti (Viva
Zapatero !, Draquila, l’Italie qui tremble) à Videocracy d’Eric Gandini
en passant par Biutiful cauntri, d’Esmeralda Calabria, Andrea
D’Ambrosio et Peppe Ruggiero, sur les déchets dans la région de
Naples, ont apporté une importante contribution à la représentation
et à la compréhension des nombreuses contradictions du pays.
La seconde catégorie réunit des films qui ont, eux aussi, une
valeur sociale mais qui racontent l’histoire de l’Italie d’aujourd’hui
à partir d’histoires plus personnelles, plus intimes. On peut citer
la Nostra Vita de Daniele Luchetti, qui a valu l’année dernière le
prix d’interprétation masculine à Cannes à Elio Germano, la Prima
Cosa bella de Paolo Virzi, Ce que je veux de plus de Silvio Soldini
ou la Bella Gente d’Ivano de Matteo, mais aussi les deux films de
Gianni Di Gregorio (le Déjeuner du 15 août et Gianni et les femmes),
Question de cœur de Francesca Archibugi ou la Giusta Distanza de
Carlo Mazzacurati (inédit en France).
Mais si on a procédé, pour la commodité de l’exposition, à
cette classification des films italiens à partir de la notion de « cinéma
engagé », les cinéastes italiens d’aujourd’hui, eux, ne se laissent pas
enfermer dans des grilles et des catégories rigides. Les deux films de
réalisateurs italiens présentés en compétition à Cannes cette année,
Habemus papam de Nanni Moretti et This Must Be the Place de Paolo
Sorrentino, ne racontent pas des histoires italiennes (le premier se passe
au Vatican et le second entre l’Irlande et les États-Unis) alors que leurs
précédents films, le Caïman et Il Divo, étaient centrés sur la vie poli-
tique italienne et sur deux de ses principaux acteurs : Silvio Berlusconi
et Giulio Andreotti. On peut citer à cet effet Bernardo Bertolucci qui,
en recevant lors du dernier Festival de Cannes une Palme d’or d’hon-
neur pour l’ensemble de sa carrière, a rendu hommage en ces termes
au cinéma italien contemporain : « L’héritage du néoréalisme, avec son
attention à la société et avec toute sa grande valeur, a toujours pesé
sur nos réalisateurs, mais aujourd’hui, si l’on parle d’auteurs comme
Crialese, Garrone, Sorrentino, je vois véritablement un temps nouveau.
Ce sont des auteurs qui travaillent sur la structure et sur le langage,
dans leurs films on ressent une grande connaissance du cinéma en
général, pas seulement du cinéma italien. »

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Si le cinéma italien connaît actuellement une période posi-


tive, les problèmes économiques dus en particulier au duopole RAI-
Mediaset et aux rapports entre cinéma et télévision restent inchangés.
Les deux grands groupes télévisuels italiens, le premier éta-
tique et le second appartenant à la grande holding financière contrô-
lée par la famille du président du Conseil Silvio Berlusconi, demeu-
rent en effet les principaux acteurs de l’industrie cinématographique
nationale avec d’un côté les sociétés RAI cinema et 01 Distribution et
de l’autre Medusa Film. Cette situation de duopole est au cœur des
problèmes du cinéma italien car si l’un de ces deux acteurs n’est pas
associé à la réalisation d’un projet de film, le produit final – à condi-
tion qu’il réussisse à voir le jour – aura du mal à trouver une bonne
distribution et aura encore plus de difficulté à être acheté par une
chaîne de télévision (passage essentiel pour la rentabilité d’un film).
Le cas le plus emblématique de cet état de choses est celui du film
unanimement reconnu comme le plus important de ces dernières
années : Il Divo. Ce film sur la figure totémique de Giulio Andreotti a
été produit par une petite société indépendante, Indigo Film, qui, ne
parvenant pas à recevoir le soutien d’un des deux grands groupes,
a été obligée de recourir à un financement extérieur à la filière ciné-
matographique. Eh bien, malgré le prix du jury obtenu à Cannes,
malgré le succès critique et malgré les très bons résultats en termes
d’entrées (plus de 5 millions en Italie), ce film, vendu dans une
vingtaine de pays étrangers, n’a jamais été acheté par une chaîne de
télévision généraliste italienne. Même cas de figure pour Diaz, film
sur les événements sanglants qui ont eu lieu à Gênes à l’occasion du
G8 de juillet 2001. Pour ce long-métrage, qui sera dirigé par Daniele
Vicari et dont le tournage débutera en juin, le producteur, Domenico
Procacci, de Fandango, a dû chercher auprès de sociétés de pro-
ductions française (comme Le Pacte) et roumaine (Mandragora) les
partenaires qu’il n’avait pas pu trouver en Italie.
Afin de compléter la description d’un secteur économique-
ment fragile, il faut bien évidemment mentionner la diminution des
aides étatiques au cinéma due aux coupes budgétaires imposées
par la difficile situation financière du pays. Tous les secteurs de la
profession ont réagi à ces coupes par la création de mouvements de
protestation qui ont organisé de nombreuses manifestations comme
l’occupation du tapis rouge lors de la soirée d’ouverture du Festival

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international de cinéma de Rome de l’automne dernier. D’une façon


générale, toutes les associations (il y en avait trente-deux à Rome…)
appellent à une refonte de l’intervention étatique dans le secteur
qui devrait s’inspirer, selon la majorité des opinions exprimées, du
système en vigueur en France.
À ces difficultés internes s’ajoutent les problèmes rencontrés
dans la distribution à l’étranger des films italiens dus, entre autres,
aux prix exorbitants souvent demandés par les sociétés de vente à
l’étranger, qui se fondent sur le passé faste du cinéma italien, et aussi
aux carences des structures préposées à la promotion du cinéma
italien à l’étranger.
En France, cette situation a radicalement changé ces dernières
années. Grâce à l’entrée de nouveaux acteurs dans le secteur de
la distribution, comme Bellissima Films de Fabio Conversi, on est
passé de cinq films italiens distribués en 2009 à plus de vingt en
2010 et en 2011. Et le succès remporté par les deux films italiens en
compétition à Cannes cette année est de bon augure pour la suite.

1. Jacques Mandelbaum, « Cinéma italien, année zéro », le Monde, 18 décembre


1997.
2. Nous empruntons cette distinction au scénariste et écrivain Francesco Piccolo.
Cf. « Almanacco del cinema », Micromega, juin 2010, p. 41.

■Paolo Modugno est enseignant de civilisation italienne à Sciences Po et président


d’Anteprima, une association pour la promotion du cinéma italien en France.

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