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Résumé : Les pratiques d’évaluation éducative seraient non seulement modelées par les
traditions institutionnelles et les pressions sociales mais aussi et surtout par les position-
nements éthico-épistémo-didactiques plus ou moins conscients des enseignants qui ont
un impact direct sur les pratiques effectives. Cela dit, les modèles de pensée se trouvant à
la base de l’agir professoral en matière d’évaluation sont très peu souvent explicités voire
analysés. Dans ce travail, nous exposons les aspects qui nous semblent les plus pertinents
pour (re)penser l’évaluation éducative en milieu universitaire tout en assumant une posi-
tion épistémologique issue d’une vision herméneutique qui se veut le versant problémati-
sant et non techniciste du domaine de l’évaluation.
Mots-clés : Évaluation éducative, paradigmes, logiques, approche herméneutique
1. Introduction1
Selon Siracusa (2014 : §4) les travaux qui ont suivi ceux de Bourdieu et
Passeron2 (1964) ont séparé les deux thèmes, université et évaluation,
1 Cet article trouve sa source dans le mémoire « Les représentations des individus-évaluateurs à la
lumière de leurs discours : le cas des enseignants de lecture-compréhension en FLE à l’université »,
2019, dirigé par Dr Grégory Miras, Université de Rouen.
2 Bourdieu et Passeron (1964:114) opposent l’enseignement démocratique à l’enseignement
traditionnel et technocratique qui verrait dans l’évaluation le moyen privilégié pour la sélection d’une
élite et la production en série de spécialistes sur mesure.
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De ce fait, la réflexion sur les pratiques semble « moins devoir porter sur
l’inventaire des outils et des procédures utilisés que sur l’examen des pos-
tures » (Herreros, 2002 : 71). Les positionnements éthico-épistémo-didac-
tiques plus ou moins conscients des enseignants sont, d’après nous, au
cœur du problème. Cela dit, les modèles de pensée se trouvant à la base
de l’agir en matière d’évaluation sont très peu souvent explicités voire
analysés (Bonniol et al., 2009 : 9). Nous essaierons alors d’en aborder ici
les concepts qui nous semblent les plus pertinents pour (re)penser l’éva-
luation éducative en milieu universitaire.
A partir des apports de Beillet (2016), Vial (2013), Huver et al. (2011) et
de notre propre réflexion, nous présentons le Tableau 1 qui résume un
possible échafaudage conceptuel autour de l’évaluation.
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3 Pour Vial (2013 : 28), les paradigmes profanes sont des « modélisations implicites, insues mais
incarnées […]. Et non pas des paradigmes scientifiques qui sont, eux, des programmes de recherche ».
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et al. (2011 : 19), l’épistémologie qui fonde cette vision du monde est le
paradigme constructiviste pour lequel la connaissance est le produit de
l’activité cognitive et dialectique d’un sujet avec un objet. Nous considé-
rons cependant que la construction des connaissances est aussi et surtout
intersubjective, elle se construit à partir du social et du culturel vers l’indi-
viduel (Vygotski, [1934] 2007 : XVII), ce qui renvoie alors au socioconstruc-
tivisme. Selon ce paradigme, les sciences de la culture, dont l’évaluation
éducative, s’attaquent à la « modalité du singulier » (Belloï, 2013 : 9) et
évitent toute généralisation dans l’étude du comportement des individus.
En didactique, ce courant permettra de situer l’apprenant au cœur de l’ap-
prentissage, envisagé non pas comme un être isolé mais dans son rapport
au monde.
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Ce sont les critiques dont la docimologie a été la cible qui ont permis de
réhabiliter la dimension subjective et de complexifier la notion d’évalua-
tion. Au début du XXe siècle, Dilthey (cité par Mahieu, 2000 : 7) sépare
les sciences sociales des sciences de la nature et propose, comme mo-
dalité de connaissance, non plus seulement d’expliquer mais de rendre
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Vers les années 60, l’évaluation réclame son statut dans les sciences hu-
maines et remet en question le paradigme positiviste régnant jusque-là.
On commence à avertir la « complexité et la singularité de son objet »
et la nécessité urgente de tenir compte du sujet (Rodrigues et al., 2012
: §5). L’herméneutique s’érige ainsi comme le versant problématisant et
non techniciste du domaine de l’évaluation. Contrairement à l’expert do-
cimologue, l’évaluateur herméneutique est un artisan méthodologique-
ment et éthiquement impliqué (Huver et al., 2011 : 31) dans le processus
d’enseignement-apprentissage. Mais artisan ne veut pas dire improvisé.
L’artisan analyse les contextes, les procédures et les instruments sans
rejeter l’intersubjectivité et réhabilitant son jugement réfléchi. Dans ce
sens, les scénarios actuels exigent de travailler dans l’incertitude à partir
de modèles d’évaluation à caractère holistique et multi-réferentiels. Ce
qui oblige à assumer l’hétérogénéité intrinsèque des données » (Ardoino
(2011 : §7) et l’incertitude propre à une démarche privilégiant l’interpré-
tation des processus et la recherche du sens par-dessus les technicismes.
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Berger (1986 : 75), il convient de les distinguer mais non pas de les op-
poser puisqu’il peut y avoir complémentarité sur le plan des pratiques.
Nous partageons cet avis tout en soulignant une attitude d’évaluation qui
englobe le contrôle mais qui rejette le tout-contrôle.
Caractéristiques générales
Contrôle Evaluation
Paradigme De la connaissance De la compétence
Nature Stabilisation d’un scénario Problématisation de la situation
Actions évaluant Mesurer, noter Accompagner, rétroaction
Caractère Achevé Inachevée
Regard Vers le passé, les acquis Vers le futur, les potentialités
Unique : l’enseignant Croisés : co-évaluation, inter-éva-
Intervenants
luation, auto-évaluation,
But Certifier, noter Réguler, faire progresser
Faire sens, comprendre pour
Prise de décision Vérifier pour décider
décider
Période Bilan Continue
Visée Performance ponctuelle Acquisition durable
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Ce tableau ne doit pourtant pas nous faire oublier que, comme signalé au
début, les deux logiques sont aussi légitimes (Vial, 2012 : 358). Ceci dit,
bien que les deux soient nécessaires selon le moment et le but de l’action
pédagogique poursuivie, une démarche évaluation est, selon nous, celle
qui doit guider le pas. Dans le cadre des exigences institutionnelles (noter,
certifier…), il s’agit de placer le contrôle dans l’engrenage d’une logique
d’évaluation engagée qui le dépasse.
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De son côté, l’évaluation située implique une prise en compte des variables
contextuelles (participants, curricula...), situationnelles (l’ici et mainte-
nant) et les composantes socio-affectives (image de soi, autonomie, rap-
ports avec les autres…). Tenir compte de ces variables en évaluation signi-
fie accepter la complexité et composer avec l’environnement. Ce modèle
a pour vocation de problématiser les situations et de ne jamais donner
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4 Nous préférons opposer à la notion d’évaluation formative celle de certification, comme fait par
Perrenoud (2001 : 1) car les deux visent des objectifs.
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Comme nous l’avons déjà signalé pour les logiques, nous nous plaçons
dans une position d’articulation de ces deux dispositifs souscrivant ain-
si à Campanale et al. (2006 : 6) pour qui l’évaluation est un processus
continu dans lequel l’évaluation certificative « n’est qu’un arrêt sur image,
un moment de bilan dans le formatif ». Nous retrouvons cette distinction
chez Braslavsky (2000 : 12) pour qui la certification est statique et juge
du passé (regard rétroactif), tandis que l’évaluation apprécie de façon dy-
namique les potentialités et regarde vers le futur (regard prospectif). Les
deux regards sont nécessaires car l’évaluation est « ces deux choses à la
fois » (Vial, 2012 : 311). Encore obsédés par le caractère formel davantage
que par la pertinence du jugement, le clivage entre formation et certifica-
tion n’aurait alors plus de sens. Liées dans un même processus, elles de-
viennent les deux faces d’une même monnaie. L’approche herméneutique
intègre le tout dans une perspective plus large.
3. En guise de conclusion
Siège de contrastes, l’évaluation est soumise à une tension persistante
entre objectivité et subjectivité, quantitatif et qualitatif, car, en évalua-
tion, toutes les approches cohabitent. A l’opposé d’une vision dichoto-
mique de l’évaluation, nous adhérons à une approche compréhensive
des phénomènes qui assume que le dispositif mis en place ne peut
avoir qu’un regard global formatif qui reconnaît, en même temps, que
le contrôle, en tant qu’instrument subalterne, en est partie intégrante.
Et ce, tout en ayant conscience que les paradigmes qui les sous-tendent
sont opposés.
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contenus sur mesure) pourrait faire tomber dans le piège de ne pas ga-
rantir les compétences minimales nécessaires pour « certifier que les
diplômés sont des personnes capables d’exercer une certaine activité
professionnelle » (Valenzuela González, 2005 : 234).
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