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s t r at é g i e d e l’ e n t r e p r i s e
Le
développement
durable
Théories et applications au management
2e édition
Sous la direction de
Dominique Wolff
© Dunod, Paris, 2010
ISBN 978-2-10-056098-1
Table des matières
Introduction 3
IV
Table des matières
Section 1 La marque 84
1 L’importance de la marque 84
2 Le capital de marque 85
3 Le développement du capital de marque 88
Section 2 La RSE et son impact sur le capital de marque 89
1 La responsabilité sociale et la performance financière 89
2 La responsabilité sociale et l’image de marque 91
Section 3 Une analyse de contenu des rapports annuels des grandes entreprises 92
1 Le cadre d’échantillonnage 93
2 Analyse des résultats 94
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Section 3 Les limites d’un système économique basé sur la dissipation 111
VIII
Table des matières
Section 2 Les outils et techniques de la comptabilité de DD 234
1 La méthode du coût complet du cycle de vie 234
2 Les tableaux de bord 237
3 Les rapports de développement durable 239
Glossaire 261
Bibliographie 267
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
IX
Liste des auteurs
1
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
2
Introduction
nombreux bienfaits, la prédominance des intérêts des actionnaires, qui est au cœur
de ce modèle de croissance, a été fortement critiquée du fait qu’elle aurait exacerbé
des comportements court-termistes et cela au détriment du bien-être de l’ensemble
des parties prenantes de l’entreprise.
Parmi les détracteurs du modèle actionnarial, notons Freeman, qui dans son
ouvrage fondateur intitulé The Strategic Management : A Stakeholder Approach, a
remis en cause la primauté de l’actionnaire. Selon Freeman (1984), « managers
needed to understand the concerns of shareholders, employees, customers,
suppliers, lenders and society, in order to develop objectives that stakeholders
would support. This support is necessary for long term success. » L’auteur suggère
une meilleure prise en compte des intérêts des multiples parties prenantes dans les
décisions et la gestion afin d’assurer la pérennité et la compétitivité des entreprises
sur le long terme. De la sorte, on peut dire que la théorie des parties prenantes pose
l’assise théorique d’un modèle de gestion plus « responsable » (Rémillard & Wolff,
2009). L’approche par les parties prenantes apporte de nombreuses justifications,
qu’elles soient éthiques ou encore stratégiques, légitimant les principes de DD appli-
qués à la gestion des entreprises.
Toutefois, elle n’est pas la seule à le faire. Il apparaît que d’autres approches alter-
natives, comme l’approche conventionnaliste, suscitent un intérêt particulier pour
expliquer les raisons justifiant la prise en compte et la diffusion du concept de DD
dans la gestion des entreprises. Selon l’approche conventionnaliste, nous pouvons
interpréter l’évolution des comportements (en l’occurrence, la recherche d’une plus
grande responsabilité des entreprises relativement aux nouvelles attentes de la
société civile) comme la résolution d’un phénomène conventionnel – la manifesta-
tion d’un nouveau consensus – quant à la manière « convenable » de diriger les
entreprises. Le DD trouverait sa légitimité auprès des parties prenantes parce qu’il
permet une meilleure conciliation de leurs intérêts dans une perspective de création
de valeur à long terme. En mobilisant aussi des justifications des mondes civiques et
domestiques (modèle de Boltanski et Thévenot, 1991), il semble que le DD soit en
voie de s’établir comme une nouvelle référence pour la gestion des entreprises. En
cela, le DD se distingue de la convention actionnariale, essentiellement érigée sur
des impératifs marchands, industriels et connexionnistes (Rémillard & Wolff, 2009).
En effet, bon nombre de firmes sont confrontées à de nouvelles problématiques de
gestion émanant d’exigences inédites de la part des parties prenantes et de règles
imposées par la logique économique et financière qui prévaut sur les marchés. À
celles-ci, le concept de développement durable et la notion de responsabilité sociale
de l’entreprise semblent pouvoir apporter de nouvelles réponses et de précieux repè-
res aux organisations. La notion de responsabilité sociale de l’entreprise, telle que
définie par le livre vert de la Commission des communautés européennes, apparaît
comme un cadre de réflexion idéal, un référentiel humaniste, permettant de pallier
l’asymétrie d’intérêts entre les différentes attentes des parties prenantes.
Plus qu’une mode ou une nouvelle contrainte pour l’entreprise, le concept de DD
doit être envisagé comme la matérialisation d’un nouveau mode de coordination,
4
Introduction
triels et les îlots de développement durable. À la suite, nous aborderons les questions
de management stratégique liées aux comportements et attitudes des entreprises face
à la dimension DD – défiance, inférence ou anticipation de la part du manager.
Enfin, nous traiterons de l’évolution des modes de gouvernance dans les multinatio-
nales et discuterons du lien potentiel entre performance organisationnelle et respon-
sabilité sociale de l’entreprise.
Dans la troisième partie, le développement durable sera appréhendé comme une
nouvelle dimension intégrée à la gestion des organisations. Nous tenterons de
décrire les meilleures approches, méthodes et outils, permettant de prendre en
compte le DD dans de nombreux domaines de la gestion : la gestion des ressources
humaines, le marketing, la comptabilité « verte », le contrôle de gestion, etc. Nous
présenterons également les principaux modèles, guides ou normes associés à ce que
nous pourrions appeler globalement le management durable – SD 21000, SME et
normes de la série ISO 14000, etc. Enfin, nous finirons sur les bonnes pratiques et les
enjeux propres aux achats responsables – ou achats durables – fonction stratégique
en interne mais également fonction clé en externe, du fait de son pouvoir prescriptif
tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
Dominique WOLFF
6
Le développe-
Partie ment durable :
des conséquences
1
multiformes pour
l’entreprise
8
Chapitre Introduction à l’économie
de l’environnement :
1 efficacité, externalité et
gestion de la pollution
Jie HE
Comment le système de marché arrive-t-il à allouer des ressources de façon efficace ? Sur
un marché, les raisonnements des consommateurs et des producteurs peuvent être résu-
més comme suit.
Le producteur, face à la contrainte technologique de production, réalise chaque unité
supplémentaire de production avec un coût unitaire croissant. Nous utilisons la ligne crois-
sante Cm pour illustrer l’évolution du coût supplémentaire issu de la production d’une unité
supplémentaire compte tenu des quantités déjà produites. Le problème pour un produc-
teur représentatif est de maximiser son profit net de production. On sait que le profit net
est égal à la différence entre le revenu issu de la vente moins le coût de production. Ainsi,
pour un producteur raisonnable, faisant face à un prix de marché P*, celui-ci continuera à
augmenter son niveau de production tant que son coût supplémentaire de production
restera inférieur au prix de X, soit P* ; car il pourra toujours dégager un profit net positif. Ce
producteur ne s’arrêtera de produire que quand le coût supplémentaire de la prochaine
unité de bien deviendra plus important que le prix P*. Ainsi, il apparaît clairement que pour
maximiser son profit net issu de la production, le producteur devra produire jusqu’au
niveau permettant d’égaliser le coût marginal au prix P*.
10
☞
Introduction à l’économie de l’environnement
☞
La ligne décroissante Um décrit la satisfaction supplémentaire qu’un consommateur peut
obtenir de sa consommation. Dû à l’effet de saturation, Um est décroissante, ce qui signifie
qu’en augmentant la consommation, la satisfaction supplémentaire qu’un consommateur
peut obtenir diminue. Le problème pour un consommateur représentatif est de maximiser
sa satisfaction nette en choisissant son niveau de consommation. Nous faisons ici remar-
quer que la satisfaction nette est la différence entre la satisfaction totale acquise par le
consommateur de sa consommation et l’insatisfaction due à la somme d’argent qu’il est
obligé de débourser pour la payer. Pour un consommateur raisonnable, faisant face à un
prix de marché P*, celui-ci continuera à augmenter son niveau de consommation tant que
la satisfaction marginale qu’il retirera de la consommation restera supérieure à l‘insatis-
faction issue de son prix, car il pourra toujours dégager une satisfaction nette positive.
Ainsi, il apparaît clairement que pour maximiser sa satisfaction nette issue de la consom-
mation de X, le consommateur devra consommer jusqu’au niveau permettant d’égaliser sa
satisfaction supplémentaire Um au prix P*.
que – tout en respectant la décision de maximisation du bien-être chez les deux agents
économiques – la quantité de production que le producteur est prêt à offrir s’égalise avec
celle que le consommateur est prêt à acheter.
Bien que l’allocation efficace des ressources semble réalisable grâce à l’existence
d’un système de marché et à des agents économiques raisonnables, le système
présenté précédemment est cependant basé sur plusieurs préconditions importantes.
Tout d’abord, une allocation efficace des ressources exige l’existence d’un marché
de concurrence pure et parfaite pour les ressources en question, ensuite le droit de
propriété des ressources doit aussi être bien défini. Cependant, pour la plupart des
services rendus par l’environnement de tels marchés n’existent pas. De plus, la
plupart des services environnementaux sont des biens publics qui bénéficient à tous
11
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
et dont les droits de propriété sont très difficiles à défendre. Prenons le cas de l’air
que l’on respire. Bien qu’il soit indispensable pour la survie de l’humanité, il
n’existe pourtant pas un marché où il puisse être échangé. De plus, d’un point de vue
pratique, l’échange de l’air n’est pas possible car le droit de propriété de l’air est très
difficile à défendre : l’air appartient à tout le monde, riche ou pauvre, chaque indi-
vidu a le droit de respirer. Si nous continuons à suivre cette logique, comme l’air
n’appartient à personne, tout le monde aurait le droit de l’utiliser, voire de le
polluer ! Clairement, la protection de la qualité de l’air semble difficile sous un
système de marché traditionnel.
Le développement de l’économie de l’environnement et des ressources naturelles
vise à intégrer la dimension environnementale dans les analyses économiques. Ici,
nous considérons les impacts négatifs des activités économiques sur l’environne-
ment comme une sorte d’externalité échappant au système de marché et de prix.
Ainsi, l’objectif de l’économie de l’environnement est d’utiliser des outils appro-
priés – interventions administratives, incitations économiques ou institutionnelles –
pour réinternaliser ces externalités dans la décision de maximisation du profit et du
bien-être d’un agent économique privé.
Pour une société dont la survie et le développement sont contraints par des types de
production générateurs de pollution, l’objectif idéaliste de zéro pollution apparaît comme
peu plausible. Considérant que la production entraîne simultanément deux finalités, l’une
désirable – la création de biens et services – l’autre non – la pollution –, les économistes de
l’environnement cherchent à déterminer le niveau efficace de pollution par la maximisa-
tion du bénéfice net retiré de la pollution.
Le bénéfice de la pollution peut être considéré comme la satisfaction que l’on obtient suite
à la consommation de biens et services dont le processus de production entraîne de la
pollution. En général, la pollution augmente proportionnellement avec la quantité de
biens produits, par conséquent nous allons continuer à utiliser la courbe de la satisfaction
supplémentaire de consommation Um pour décrire l’évolution du bénéfice marginal de la
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
pollution, cette fois-ci appelée Bm(M) dans la figure 1.3, où M indique le niveau de pollution
à la place de la quantité de biens X consommés. Tout comme pour l’utilité de la consomma-
tion, la courbe du bénéfice marginal diminue avec le niveau de pollution M à cause de
l’effet de saturation.
À la différence du bénéfice de la pollution, le dommage causé par la pollution s’accentue
avec l’augmentation de la pollution. Ceci est facile à expliquer avec le cas de la santé. En
effet, les problèmes de santé causés par la pollution sont souvent peu importants quand le
niveau de pollution est inférieur à un certain seuil critique. Cependant, une fois ce seuil
dépassé, les effets négatifs de la pollution sur la santé s’accentuent selon un rythme qui
s’accélère. Ainsi nous pouvons utiliser une courbe croissante pour illustrer le dommage
marginal de la pollution, ce qui signifie une accentuation des effets négatifs de la pollution
avec la dégradation de l’environnement.
☞
13
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
☞
Ainsi, A est incité à initier une négociation avec B pour obtenir un certain nombre
d’heures de droits à jouer de la musique, en contrepartie, A donnera à B une
compensation pour les dommages issus de sa musique et supportés par B. Si les
informations sur les courbes Dm(M) et Bm(M) sont accessibles à A et que A décide de
maximiser son bien-être, la négociation conduira à la réalisation du niveau optimal
d’heures de musique M*. En effet, à ce niveau, le bénéfice supplémentaire issu de la
dernière unité de musique pour A est égal au dommage supporté par B.
Dans la pratique, cette approche du contrôle de la pollution est souvent appelée
« principe du pollueur payeur » (OCDE, 2001). Se basant étroitement sur le principe
économique d’optimisation, cette approche a été profondément intégrée dans les
politiques de la Commission européenne et d’autres pays dont l’économie fonc-
tionne selon les règles du marché. En France, le principe du pollueur-payeur est un
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
ment applicable aux cas de pollution pour lesquels les droits de propriété sont relati-
vement faciles à définir et à défendre ; c’est-à-dire pour les cas de pollution où les
parties affectées sont en nombre réduit et facile à identifier, et pour lesquels les effets
négatifs se manifestent rapidement. Ceci est le cas pour certaines maladies profes-
sionnelles, dont les victimes – les employés – sont faciles à identifier et les effets
négatifs sont souvent couverts par des assurances offertes par les pollueurs – les
employeurs –, ou encore pour une fuite de polluants toxiques dans une zone circons-
crite et dont les effets négatifs se manifestent rapidement chez ses habitants. Ceci
nous rappelle la fuite de gaz mortels de l’usine Union Carbide à Bhopal, en Inde, en
1984, dont les impacts négatifs sur la santé de la population locale se sont manifestés
très rapidement. Cependant, dans la plupart des cas de pollution, ces exigences sont
difficiles à remplir. Pour prendre en compte ce problème, nous devons utiliser la
logique des incitations économiques, c’est-à-dire créer chez les pollueurs des incita-
tions à réduire la pollution en donnant un prix à la pollution.
Nous savons que, sans contrôle, les producteurs n’ont aucune incitation à s’enga-
ger dans des activités de dépollution. Pour aller à l’encontre de cette logique, le
gouvernement peut fixer un prix à payer pour chaque unité de pollution émise (la
taxe d’émission) ou décider de donner une compensation pour chaque unité de
pollution réduite (la subvention à la dépollution), pour que la pollution entre directe-
ment dans la décision de la maximisation du profit de chaque producteur pollueur.
La taxe d’émission suppose implicitement que le droit de propriété d’un environ-
nement propre soit attribué aux victimes de la pollution, les pollueurs (producteurs)
doivent ainsi payer une taxe pour chaque unité de pollution émise. Pour déterminer
un niveau de pollution plus raisonnable, les pollueurs comparent leur coût marginal
de dépollution par rapport au taux de la taxe. Si le coût de la dépollution est plus
élevé que la taxe, les pollueurs préfèrent continuer à polluer et payer la taxe ; par
contre, si le coût de dépollution est inférieur à la taxe, ceux-ci préfèrent dépolluer.
Les activités de dépollution s’arrêtent quand le coût marginal de dépollution est égal
au taux de la taxe.
Le plus proche exemple dans notre quotidien de l’existence de cette taxe d’émis-
sion est la consigne que l’on paie dans de nombreux pays anglo-saxons lorsqu’on
achète du soda en bouteille ou en canette. Cette pratique est justifiée par le fait que
les consommateurs, en règle générale, ne retournent pas instinctivement les conte-
nants usagés. Ainsi, pour chaque soda vendu on fait payer aux consommateurs une
taxe d’« émission » pour le non-recyclage de la bouteille. Bien sûr, si certains
consommateurs retournent les bouteilles aux magasins, ils récupèrent la consigne, ce
qui annule cette taxe.
Différente de la taxe d’émission, la subvention à la dépollution suppose implicite-
ment que le droit à polluer est attribué aux producteurs – pollueurs – ainsi le gouver-
nement, pour le bien-être de sa population, doit payer une compensation pour
encourager les pollueurs à réduire leurs émissions. Considérant que les activités de
dépollution rapportent un revenu supplémentaire, les pollueurs comparent leur coût
marginal de dépollution avec le taux de la subvention afin de déterminer un niveau
16
Introduction à l’économie de l’environnement
Exemple
À l’échelle mondiale, l’utilisation des instruments économiques n’est pas un phénomène
récent. Les applications les plus anciennes de taxes d’émission ou d’incitations fiscales pour
encourager les producteurs et les consommateurs à moins polluer datent des années soixante-
dix. Tous les pays membres de l’OCDE appliquent plusieurs taxes liées à l’environnement.
Une base de données gérée conjointement par l’OCDE et par l’Agence européenne pour
l’environnement (AEE) montre qu’en 2006, le produit de ces taxes représente 2 à 2,5 % du
PIB. Le domaine d’application de ces instruments a également été très élargit. On trouve
aujourd’hui leurs utilisations dans la gestion de la qualité de l’eau, la préservation de la qualité
des terres, la gestion des ressources halieutiques, forestières et la protection de certaines
faunes et flores. Selon les statistiques de l’OCDE, ses pays membres auraient actuellement
près de 200 types de tarifs et taxes dans les domaines de la pollution sonore, aérienne et des
eaux. Les tarifs sur l’émission de polluants aériens sont très répandus au Japon et dans certains
pays européens, comme la France. Plusieurs pays, comme la République tchèque, la Hongrie
et l’Islande, ont mis en place un système de taxation sur l’émission des substances pouvant
mettre en danger la couche d’ozone. De son côté, le Royaume-Uni applique des taux de taxa-
tion différentiels sur les pétroles avec plomb et sans plomb pour contrôler l’émission de plomb.
Afin de lutter contre les problèmes de changement climatique et d’effet de serre, plusieurs
pays d’Europe (Danemark, Finlande, Italie, Pays-Bas, Norvège, Royaume-Uni et France)
appliquent actuellement différentes formes de taxes sur les énergies utilisées selon leur
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
contenu en carbone. À l’exception des taxes sur les chlorofluorocarbones (CFC) et des taxes
ménagères (annuelles ou par unité) sur les eaux usées et les déchets solides, les États-Unis et
le Canada utilisent peu les taxes sur la pollution. Aux États-Unis, l’outil économique de
contrôle de la pollution le plus souvent utilisé est celui du système de droits à polluer échan-
geables. Les États-Unis sont les premiers à avoir introduit ce système pour lutter contre l’émis-
sion de dioxyde de soufre (SO2) dans les années quatre-vingt. Pour le moment, les principales
applications du système de droits à polluer échangeables de ce pays couvrent le SO2, les ODS
(Ozone-depleting Subsistances), les sources de polluants mobiles (hydrocarbure et NOx), le
plomb dans le pétrole et les polluants des eaux (demande biochimique en oxygène ou DBO).
17
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
La polémique autour de la taxe carbone de l’été 2009 en France a attiré une fois de plus
l’attention des médias sur cette taxe pigouvienne qui vise à réduire les émissions de gaz à
effet de serre et à lutter contre les changements climatiques. Dès le commencement de la
discussion sur l’implantation d’une telle taxe au début de l’été 2009, en conjonction avec
les difficultés économiques issues de la crise financière, cette proposition a engendré une
division profonde des opinions dans le public. Bien que certains environnementalistes et
économistes aient accueilli à bras ouverts cette proposition, de nombreuses discussions
sur les potentielles répercussions négatives d’une telle taxe sur l’économie française,
surtout sur la redistribution du revenu et sur la compétitivité des entreprises, ont eu lieu.
Certains ont également indiqué, suite aux expériences de la Finlande, de la Suède, du
Danemark et de la Grande Bretagne, qu’une telle taxe carbone ne permettrait pas d’obte-
nir des effets « spectaculaires » sur la réduction des gaz à effet de serre. Néanmoins, en
septembre 2009, le président Nicolas Sarkozy a annoncé la mise en place d’une taxe au
prix de 17 euros la tonne de carbone dès 2010. Afin de rendre cette taxe neutre, il a promis
que la recette issue de cette taxe serait intégralement redistribuée aux ménages sous
forme d’une baisse de l’impôt sur le revenu ou de chèques verts. Cependant, en début
2010, cette taxe a été remise en question par le Conseil constitutionnel.
Par définition, la taxe carbone est une taxe environnementale sur l’émission de dioxyde de
carbone, la principale source de gaz à effet de serre, dans le but de « contrôler » le réchauf-
fement climatique. Le principe de cette taxe n’a pas pour objectif de procurer des ressour-
ces au budget général, mais de couvrir les frais induits par les nuisances du CO2 et d’inciter
à en réduire la production. Elle vise à rétablir la vérité des prix et à corriger les externalités
négatives de pollution, ainsi qu’à mettre en pratique le principe de pollueur-payeur. Une
augmentation progressive et programmée de la taxe peut permettre de guider les inves-
tissements sur le long terme et de s’orienter graduellement vers des secteurs moins
polluants, en laissant le temps nécessaire aux consommateurs et aux entreprises pour
s’adapter.
La diversité des modes d’émissions du dioxyde de carbone rend difficile une taxation
précise de ces émissions. La manière la plus souvent entreprise est de taxer la consomma-
tion d’énergie fossile – comme le pétrole, le gaz et le charbon – dans la mesure où il s’agit
du principal émetteur de CO2 lors de sa production ou de sa consommation. Étant donné
que l’émission de CO2 dépend de la composition chimique de l’énergie fossile, et notam-
ment de sa quantité de carbone, il est donc possible d’établir l’équivalence entre l’énergie
fossile utilisée et son taux d’émission de carbone. Par exemple, pour une taxe à un taux de
17 euros la tonne, cela signifie une hausse de près de 4,5 centimes par litre de fioul et de
gasoil et de 4 centimes par litre d’essence.
Le bon fonctionnement d’une telle taxe carbone dépend de plusieurs propriétés fonda-
mentales. D’abord, pour obtenir l’effet dissuasif sur l’usage des énergies riches en carbone,
la croissance de la hausse du prix global des énergies causée par cette taxe devrait être
supérieure à celle du pouvoir d’achat. Ensuite, la dynamique de la taxe devrait être plani-
fiée et annoncée sur le long terme afin que les agents économiques (consommateurs,
entreprises) puissent la prendre en compte dans leurs projets d’avenir sans avoir à en souf-
frir. Finalement, l’application de cette taxe devrait suivre le principe de la responsabilité du
consommateur au lieu de celle du producteur.
18 ☞
Introduction à l’économie de l’environnement
☞
C’est-à-dire que l’on doit taxer selon le contenu en équivalent carbone des activités et non
sur le seul résultat final des émissions de carbone. Un exemple intuitif est la production de
l’acier ou de l’électricité, qui sont intensifs en carbone. Si le régime de la taxe carbone vise
seulement l’émission finale, la taxation de ces biens n’aurait d’autre effet que de se déloca-
liser ailleurs sur la planète où le contrôle sur le carbone est moins rigoureux, et d’assumer
la consommation locale à travers l’importation.
Le tableau 1.1 illustre les situations actuelles d’application de la taxe carbone dans huit
pays (régions) du monde. À la lecture de ce tableau, on pourra constater une augmenta-
tion significative du taux de ladite taxe carbone. De même, on pourra se rendre compte
que ces nouvelles recettes fiscales sont principalement affectées à l’amélioration de la
compétitivité des entreprises – baisse des charges et des cotisations – et/ou au finance-
ment des politiques environnementales – économie d’énergie, transports publics, etc.
Enfin, il apparaît qu’il n’existe pas de réel consensus sur le prix ou le niveau mondial d’une
taxe carbone, ni même sur la manière et le type de secteurs susceptibles d’être exemptés
de cette taxe.
19
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
☞
Tableau 1.1 — Application de la taxe carbone dans le monde (en euros) (suite)
Colombie 2008 6,70 euros 20 euros 2,4 cents Baisse d’impôts sur
britannique (particuliers/ (particuliers le revenu et sur les
(Canada)
entreprises) et profits des
entreprises) entreprises. Pour les
plus modestes, des
crédits
remboursables.
1 Les avantages
20
Introduction à l’économie de l’environnement
L’avantage majeur des outils économiques est qu’ils peuvent réaliser le même
objectif de dépollution et ce, pour un coût moindre que les contraintes administrati-
ves. En se basant sur les raisonnements économiques de la maximisation des profits,
les outils économiques incitent non seulement les pollueurs à choisir de leurs
propres initiatives le plan de dépollution le moins coûteux, mais ils permettent aussi
d’éviter des coûts supplémentaires : surveillance et exécution des contraintes admi-
nistratives.
Dans une optique dynamique, les incitations formées par les outils économiques
sont pour les entreprises des encouragements à davantage s’engager dans la recher-
che et développement. En effet, si le niveau de taxe/subvention/prix des droits à
polluer reste sur le marché au même niveau, une innovation dans le processus de
dépollution signifie chez un pollueur un coût de dépollution épargné ou un revenu
supplémentaire à gagner. Cet effet positif n’est pas possible pour les contraintes
administratives, car une fois que les pollueurs se sont conformés aux normes de
pollution imposées, ils n’ont pas nécessairement le même intérêt à faire davantage
de recherche et développement dans la mesure où il n’y a pas d’incitations économi-
ques dans le fonctionnement de ces outils.
Le terme anglais de double dividende décrit une situation où les recettes fiscales
générées par la taxe sur la pollution peuvent être utilisées pour réduire, par exemple,
les taxes à la consommation, les charges patronales et/ou salariales, etc. permettant
ainsi de relancer l’économie et l’emploi et de créer un double gain. En Europe et
dans d’autres pays au monde, cette pratique a été fréquemment introduite en ce qui
concerne les recettes fiscales des taxes d’émission afin de profiter de ce double gain.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
2 Les limites
21
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
sont en réalité pas toujours disponibles. Les entreprises ont aussi tendance à cacher
leurs informations pour que le gouvernement fixe un taux de taxation plus bas ou un
taux de subvention plus élevé.
Deuxièmement, un bon fonctionnement du système de marché et des signaux de
prix sont des prérequis incontournables. Si le marché est segmenté ou si les signaux
de prix sont modifiés par d’autres politiques économiques du gouvernement, la
sensibilité des pollueurs à la variation du coût d’opportunité de la pollution peut être
affaiblie, ce qui peut ensuite affecter/biaiser les résultats de la dépollution.
Conclusion
Bien que de plus en plus de citoyens commencent à se rendre compte de l’importance de
la protection de l’environnement, un rapide survol de l’économie de l’environnement et
des expériences de contrôle de la pollution montre que nos actions actuelles visant à réali-
ser l’harmonie entre l’économie et l’environnement restent encore insuffisantes. Une
amélioration dans ce domaine ne dépend cependant pas uniquement du renforcement de
l’efficacité des systèmes de contrôle de la pollution existants. À ce titre, les facteurs
cruciaux incluent le développement et l’amélioration des systèmes institutionnels qui
déterminent l’efficacité des outils de contrôle de la pollution. Car une bonne gouvernance
assurant un bon fonctionnement du système de marché et une meilleure définition et
protection du droit de propriété des services environnementaux sont plus que cruciales
pour garantir un fonctionnement crédible de ces outils de contrôle de la pollution.
22
Chapitre Ambitions et impacts
des quotas d’émission
2 dans le contexte des
changements climatiques
Alain WEBSTER
national pour se conformer à l’objectif de réduction des émissions, chacun des pays
étant libre d’élaborer ses propres stratégies. Mais la tendance est clairement indi-
quée. Si un pays souhaite que ses entreprises nationales bénéficient, par l’intermé-
diaire des mécanismes de flexibilité, des projets de réduction des émissions à
l’étranger là où les coûts sont les plus faibles, ces entreprises devraient normalement
être soumises à un système de quotas d’émission échangeables au niveau national.
Le protocole favorise donc implicitement la mise en place d’un tel système au
niveau national.
Cet instrument de gestion, utilisé auparavant essentiellement aux États-Unis, est
donc appelé à jouer un rôle de plus en plus important dans la gestion des change-
ments climatiques (GIEC, 2007) et constituera à moyen terme l’un des principaux
23
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Le quota d’émission accorde à son détenteur le droit d’émettre une certaine quan-
tité de GES au cours de l’année. Ce droit peut être utilisé, mais il peut également être
reporté à l’année suivante ou vendu sur le marché. La mise en œuvre d’un tel
système peut être résumée en quatre étapes :
– déterminer la quantité annuelle d’émissions pouvant être rejetées par l’ensemble
des installations ;
– répartir annuellement, lors d’une allocation initiale, cette quantité entre les diffé-
rents secteurs et entre les différentes installations sous forme de quotas
d’émission ;
24
Ambitions et impacts des quotas d’émission
25
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Dans un système de quotas d’émission échangeables, tant que les coûts marginaux
de réduction des émissions de GES d’une firme donnée sont inférieurs au prix du
quota sur le marché, la firme aura avantage à réduire ses émissions et vendre ses
quotas excédentaires aux firmes qui ont des coûts marginaux de réduction élevés.
C’est donc un modèle gagnant-gagnant où les deux partenaires bénéficient de
l’accès au marché de quotas d’émission pour maximiser leurs bénéfices ou minimi-
ser leurs coûts tout en respectant la contrainte globale d’émissions. Au même titre
qu’une approche de taxation, cet incitatif continuel à la réduction des émissions,
inexistant dans une approche purement réglementaire, minimise le coût global de
réduction des émissions pour l’ensemble de la société (He, 2010). Outre cet avan-
tage d’efficience économique comparativement à une approche traditionnelle de
réglementation, notons également que :
– les quotas échangeables possèdent théoriquement une plus grande capacité à
favoriser les changements technologiques visant à réduire les émissions de GES,
puisque toute réduction des émissions se traduit par la possibilité de vendre des
quotas ou d’en réduire l’achat ;
– ce gain d’efficience peut également s’exprimer en terme environnemental puis-
que, pour une dépense équivalente, il permet d’accroître les niveaux de réduction
de GES par rapport à une approche réglementaire ;
– la souplesse dans la répartition de l’effort de réduction entre les différents secteurs
permet de tenir compte des problèmes de compétitivité propres à certains
secteurs.
Bien que les quotas d’émission et les taxes environnementales possèdent les
mêmes avantages en termes d’efficience et d’incitation aux changements technologi-
ques, les quotas d’émission possèdent des avantages particulièrement bien adaptés
aux grands émetteurs industriels expliquant ainsi l’intérêt marqué envers ce système.
Ainsi :
– lors de la mise en place du système, l’allocation initiale peut s’effectuer par une
allocation gratuite des quotas réduisant l’impact économique de l’introduction de
ce prix carbone dans un marché qui n’avait jamais valorisé cette dimension ;
26
Ambitions et impacts des quotas d’émission
L’approche la plus courante dans la mise en œuvre d’un système de quotas d’émis-
sion limite l’obligation de détenir un quota aux émetteurs finaux. De plus, la néces-
sité de mesurer ces émissions pour chacune des sources restreint cette approche aux
27
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
28
Ambitions et impacts des quotas d’émission
La détermination des critères d’allocation des quotas entre les entreprises est
probablement l’enjeu le plus litigieux puisqu’il détermine la répartition initiale du
fardeau financier. L’enjeu d’équité qui en découle n’est cependant pas propre à cet
outil de gestion ; la mise en place de mesures réglementaires ou fiscales se traduit
également par des choix qui ont une influence sur la répartition des coûts.
L’allocation initiale peut se faire sur une base gratuite ou par un mécanisme
d’enchères. Que ce soit dans le secteur de l’environnement ou des ressources natu-
relles comme les pêches maritimes, la très grande majorité des expériences d’utilisa-
tion de quotas échangeables a privilégié une allocation gratuite permettant ainsi de
limiter les coûts de mise en œuvre pour les détenteurs. Cependant, cette approche ne
permet pas une internalisation complète du coût des émissions puisque les firmes
n’auront à assumer que l’écart entre le nombre de quotas alloués gratuitement et le
niveau réel des émissions. Dans le cas de l’expérience européenne, les États
membres devaient allouer au moins 95 % des quotas à titre gratuit et, pour la période
de cinq ans qui débutait le 1er janvier 2008, au moins 90 % des quotas. Concrète-
ment, le recours aux enchères est resté très faible dans la première phase et, au
mieux, n’a été utilisé que par quelques pays dans la seconde phase. Toutefois, la
Commission européenne prévoit l’utilisation d’enchères après 2013 de façon systé-
matique pour l’industrie électrique, de façon progressive pour certains secteurs,
allant de 20 % en 2013 à 70 % en 2020 – l’excluant pour les secteurs exposés à la
concurrence internationale – une démarche d’une ampleur sans précédent.
Pour Tirole (2009), d’une manière générale, l’utilisation d’enchères est souhaita-
ble. « Elle garantit que les acteurs qui n’auront pas mis en œuvre une politique
d’investissements réducteurs d’émission devront en supporter les conséquences en
termes d’achat de permis dans les phases ultérieures du système. Un autre argument
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
en faveur des enchères est que la distribution gratuite de permis peut s’avérer une
subvention inutile du secteur ». L’approche peut alors être associée à une taxe
carbone avec l’avantage que le prix est fixé par le marché et reflète adéquatement le
coût marginal de la réduction. La charge financière imposée au secteur industriel
peut cependant être significative et se double de l’incertitude associée au prix d’une
tonne de CO2.
Le choix d’une attribution gratuite nécessite l’adoption par l’État de critères de
répartition. L’approche générale fait référence aux émissions historiques alors que
certains pays explorent un modèle basé sur des normes d’intensité (gouvernement
du Canada, 2007). L’équité est évidemment au centre de cette répartition, mais la
définition et la mise en œuvre de cette équité peuvent prendre différentes formes.
Plusieurs éléments doivent être analysés, notamment les suivants :
29
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
– une approche basée sur la répartition historique des émissions est conforme au
principe pollueur-payeur et l’effort de réduction demandé sera proportionnel au
niveau d’émission de la période historique retenue. Le choix de cette période de
référence reste important car il ne doit pas engendrer de comportements stratégi-
ques chez les firmes dans le but d’obtenir une allocation plus élevée ;
– l’approche basée sur l’intensité prend en compte la production annuelle pour
déterminer l’allocation annuelle. Avec des taux de croissance différents d’un
secteur à l’autre, ceux en forte croissance obtiendront davantage de permis et
feront donc assumer une partie de leurs coûts environnementaux par l’ensemble
des autres secteurs. Dans cette approche et contrairement au modèle européen,
l’État peut être amené à intervenir sur le marché après la phase d’allocation
initiale en modifiant les montants alloués aux différents opérateurs si les taux de
croissance sont significativement différents ;
– les nouveaux producteurs bénéficient de la capacité d’intégrer la contrainte de
GES dans leurs choix initiaux d’investissement, possibilités que ne possèdent pas
les firmes existantes. Doit-on favoriser cette prise en compte par des contraintes
plus strictes envers les entrants même si cela est perçu par certains comme un
frein aux nouveaux investissements ? Ainsi, selon la capacité et le type d’installa-
tion entrant sur le marché, les quotas européens ont généralement été alloués sur
la base du facteur d’émission de la meilleure technologie disponible pour le
secteur, même si cette approche a été appliquée de façon différenciée entre les
pays (Caisse des dépôts, 2006) ;
– les émissions industrielles peuvent être subdivisées en deux catégories : celles
liées à la consommation et à la combustion d’énergie fossile, et celles liées au
procédé industriel résultant des processus de production. Les contraintes techno-
logiques et les opportunités de réduction n’étant pas les mêmes, se pose alors la
question de la pertinence de distinguer ces deux sources d’émission dans le calcul
de l’allocation initiale et, de façon plus générale, l’unicité du prix pour une tonne
de carbone ;
– il est également possible de prendre en compte la réduction des émissions effec-
tuées sur une base volontaire avant la période de référence pour la détermination
de l’allocation initiale. Cette considération de l’action précoce favorisera les
entreprises ayant rapidement entrepris des actions de réduction,
– doit-on, finalement, retenir des modalités spécifiques pour certains secteurs et en
particulier les secteurs en forte concurrence internationale ?
Pour qu’un système de quotas d’émission puisse jouer adéquatement son rôle,
l’élaboration d’un ensemble de règles définissant ce marché s’impose. Ce dernier
doit être fluide, concurrentiel et engendrer de faibles coûts de transactions. Le
30
Ambitions et impacts des quotas d’émission
système de quotas doit prévoir des protocoles spécifiques pour que les établisse-
ments quantifient leurs émissions de GES et effectuent l’apurement entre le nombre
de quotas détenus et les émissions réelles de GES. Le système doit prévoir des
mesures suffisamment incitatives pour réduire les cas d’infraction. Ainsi, dans le
modèle européen, l’amende sur les émissions excédentaires était de 40 euros la
tonne pour la période 2005-2007 et de 100 euros pour la période 2008-2012. Finale-
ment, pour permettre l’ajustement à long terme de ces politiques environnementales,
le quota n’est généralement pas défini comme un véritable droit de propriété à
perpétuité et peut être associé à un droit administratif.
La régularisation d’un tel marché reste toutefois une tâche relativement complexe
comme le démontre la mise en œuvre de l’EU ETS et la « fin de la période d’appren-
tissage de 2005 à 2007 n’a pas marqué la fin de la mise à l’épreuve du système euro-
péen d’échange de quotas de CO2, avec les retombées des crises financière et
économique depuis 2008 (…) Le prix doit continuer de répondre à des fondamen-
taux physiques et diffuser un signal prix incitant aux réductions d’émissions. Cette
incitation passe forcément par la crédibilité du système et la transparence vis-à-vis
des participants au marché et de l’ensemble de la société » (Hervé-Mignussi, 2010).
Les cinq premières années de mise en œuvre de l’EU ETS ont permis de faire un
gain important : « émettre du carbone a maintenant un prix dans l’industrie euro-
péenne dans laquelle aucun acteur n’imagine plus revenir au régime antérieur de
gratuité des émissions » (de Perthuis et al., 2009). Cette prise en compte de la valo-
risation du carbone permet de mieux apprécier les enjeux associés à la compétitivité
et son incidence sur les modalités d’allocation.
Dès la conception du système, ce risque de distorsion de concurrence apparaît :
entre les pays avec cibles de réduction et ceux sans engagement, entre entreprises
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
d’un même secteur pour l’ensemble des pays ayant des cibles de réduction, entre
secteurs au niveau national, entre des entreprises ou des secteurs affectés indirecte-
ment, mais différemment, par le marché de l’électricité (Delalande et Martinez,
2004).
Les modalités de l’allocation initiale doivent favoriser l’atteinte des objectifs et
prendre en compte ces enjeux de concurrence. Toutefois, les méthodes d’attribution
doivent aussi encourager les changements structurels attendus en matière de décar-
bonisation. Le cas du secteur production d’électricité est un bel exemple où les
règles d’allocation ne doivent pas perpétuer les avantages associés à la filière thermi-
que par la prise en compte inadéquate de ses externalités. Sinon, c’est l’efficacité
économique et environnementale à long terme de l’approche qui est réduite.
31
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Les résultats mitigés de la première année de mise en œuvre des quotas d’émis-
sions au niveau européen illustre également l’importance de cette prise en compte de
la contrainte carbone. L’année 2005 s’est terminée avec un excédant de 3,4 % des
quotas, donc par une allocation excédentaire de permis amenant peu de contraintes
de réduction au niveau des entreprises. Le marché a réagi vivement par l’effondre-
ment du prix du permis en 2006 puisque ces permis ne pouvaient être utilisés dans la
seconde phase. En ce qui concerne la seconde phase, le prix des permis européens de
l’EU ETS et celui des unités certifiées de réduction des émissions (URCE) associées
aux mécanismes de flexibilité du protocole de Kyoto ont connu, à partir de la
seconde moitié de 2008, une diminution marquée reflétant ainsi la diminution de la
demande en lien avec la crise économique.
Figure 2.1
Ces deux situations illustrent bien le fait que, dans un système de quotas, le prix de
ces derniers ne reflète que la contrainte carbone dans un marché donné. Si l’écart
entre les quotas disponibles et la demande pour ceux-ci est faible, la contrainte ne
sera pas significative, le prix tendra vers zéro et il n’y aura que peu de réduction des
émissions. La situation serait la même dans un modèle de taxation ; si le prix fixé
pour la taxe est trop modeste, seules les réductions faciles à faibles coûts pourront
être réalisées et la diminution des émissions sera relativement limitée. Pour qu’un
système de quotas induise une véritable réduction des émissions de carbone, il faut
32
Ambitions et impacts des quotas d’émission
Conclusion
La mise en place d’un tel système de quotas peut contribuer à préserver la compétitivité de
l’économie puisque toute mesure alternative imposerait aux entreprises des coûts plus
élevés. Toutefois, la répartition des coûts dépendra des décisions prises dans l’élaboration
des plans d’allocation ainsi que des choix effectués pour maîtriser les émissions dans les
secteurs non couverts par le système de quotas.
L’effort de réduction demandé aux secteurs soumis à un système de quotas et les modalités
de répartition de cet effort constituent l’enjeu politique le plus litigieux, puisqu’ils déter-
minent l’équité du système. Celui-ci ne doit cependant pas se transformer en « une aide
publique aux entreprises industrielles concernées à travers une allocation gratuite de
quotas excédentaires par rapport au niveau nécessaire à l’atteinte des objectifs nationaux
proclamés » (Godard, 2004). La première phase de l’ETS a été marquée par cette situation
de quotas excédentaires, situation pour le moins paradoxale pour un instrument économi-
que devant introduire plus d’efficience dans la gestion environnementale.
Finalement, il ne faut pas perdre de vue le caractère dynamique des choix réglementaires
effectués dans l’élaboration du système. Pour « influencer le comportement et les déci-
sions d’investissement, les investisseurs et les consommateurs doivent être convaincus que
le prix du carbone sera maintenu à l’avenir (…) S’il y a un manque de confiance que les
politiques sur le changement climatique vont perdurer, il est possible que les entreprises ne
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
prennent pas en compte le prix du carbone dans leur processus décisionnel. Cela pourrait
se solder par un surinvestissement dans une infrastructure d’une grande longévité forte-
ment émettrice de carbone – ce qui rendra les réductions d’émissions plus tard beaucoup
plus chères et bien plus difficiles » (Stern, 2006).
Les choix réglementaires ne doivent donc pas seulement permettre d’atteindre les objectifs
prévus, ils doivent également permettre à l’État de préserver sa marge de manœuvre pour
définir les objectifs de moyen et long terme. Évidemment, le développement de cet outil
sera tributaire des avancées réalisées au niveau international, avancées qui devront aller au-
delà de l’accord de Copenhague pour définir un régime véritablement contraignant et en
cohérence avec les objectifs de réduction des émissions de GES à moyen et long terme.
33
Chapitre
La finance
socialement
3 responsable
Erwan LE SAOUT
Dominique WOLFF
35
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Exemple
Nouvelle Stratégie 50, créée sur l’initiative de sœur Nicole Reille, est le doyen des fonds ISR
en France. Il est composé de titres d’émetteurs choisis selon leurs engagements et leurs prati-
ques en matière de développement durable, lesquels sont déclinés selon des critères ESG
(Environnementaux, Sociaux et de bonne Gouvernance). La sélection des entreprises est asso-
L’activisme actionnarial peut se définir comme l’ensemble des actions prises par
des investisseurs soucieux d’éthique en tant que propriétaires de l’entreprise. L’acti-
visme, par l’exercice des droits de vote, constitue un moyen d’incitation à la respon-
sabilité sociétale de l’entreprise. Il vise en effet à orienter le comportement de
l’entreprise vers un niveau de responsabilité sociale plus élevé afin de valoriser les
intérêts de toutes les parties prenantes.
Les fonds thématiques sont des fonds qui utilisent un filtre positif afin de prôner
certaines valeurs comme l’environnement (fonds verts) et le social (fonds rouges).
L’offre de tels fonds s’est sensiblement étoffée au cours de ces trois dernières années
et fait l’objet de réserves, en particulier pour les fonds environnementaux, par
certains spécialistes de l’ISR. En effet, beaucoup y voient une forme d’opportu-
nisme de la part des gérants de fonds qui veulent profiter de l’engouement pour les
valeurs vertes en profitant des nombreuses décisions politiques en faveur de l’éner-
gie renouvelable comme en attestent les différents plans de relance économique
proposés récemment. Le problème sous-jacent est que, de la sorte, l’on s’éloigne du
concept de développement durable qui ne repose pas exclusivement sur les piliers
financier et environnemental.
Exemple
BNP Paribas Aqua est un FCP de droit français qui cherche à obtenir à moyen terme une valo-
risation du capital par la gestion d’un portefeuille constitué de valeurs internationales, liées au
thème de l’eau qui respectent les dix principes du pacte mondial des Nations unies. Plus préci-
sément, BNP Paribas Aqua investit dans des sociétés dont au moins 20 % de l’activité est liée
au thème de l’eau. Ceci comprend notamment les technologies de traitement, économies et
recyclage de l’eau, l’installation, l’entretien et la rénovation des réseaux d’adduction d’eau,
l’assainissement des eaux usées et de la pollution.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
L’approche best-in-class est très prisée par les OPCVM européens. C’est une
réponse pragmatique à la difficulté de concilier performance boursière et perfor-
mance extra-financière. La réduction de l’univers d’investissement du gérant, syno-
nyme de moindre diversification, signifie que la rentabilité ajustée du risque des
portefeuilles ISR ne peut être que plus faible que celle des portefeuilles tradition-
nels. Dès lors, il est apparu plus judicieux de s’intéresser à la vertu des entreprises
plutôt qu’à celle des secteurs d’activité. Cette méthode permet ainsi de ne pas bannir
certaines industries source d’emplois aux dires de leurs partisans. À la suite de la
collecte d’informations d’ordre extra-financier, les analystes réalisent un classement
sectoriel des sociétés, établi sur la base de leurs engagements et de leurs comporte-
ments allant dans le sens d’un développement durable. Plus récemment sont apparus
des fonds dits best efforts. Ces fonds retiennent les sociétés dont la notation ESG
37
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
progresse. Ils correspondent selon ses partisans à l’antichambre des fonds best-in-
class qui devraient accueillir prochainement ces sociétés au vu de leur dynamique en
matière d’engagements.
Exemple
Pour sélectionner dans chaque secteur les entreprises présentant le meilleur profil durable et
responsable, Dexia AM a développé une analyse de durabilité best-in-class dont le but est
d’évaluer la capacité des entreprises à faire face aux défis liés au développement durable spéci-
fiques à leur secteur d’activité. Ces défis sont abordés sous deux angles distincts, mais interdé-
pendants, au cours des analyses macro et micro. L’analyse macro évalue l’exposition des
entreprises aux défis clés du développement durable selon l’approche Dexia (le vieillissement
des populations, les populations en croissance et en développement, la santé et le bien-être, le
changement climatique, la surexploitation des ressources, l’interconnectivité). L’analyse
micro évalue la capacité des entreprises à prendre en compte les intérêts des parties prenantes
dans leurs stratégies à long terme. Les relations avec les parties prenantes sont à la fois une
source de risques et d’opportunités pour l’activité des entreprises.
Seules les entreprises qui sont les mieux placées pour affronter les défis clés du développement
durable (analyse macro) et qui gèrent de façon optimale les intérêts des parties prenantes
(analyse micro) peuvent figurer sur leur liste d’éligibilité aux fonds IRD. Cette analyse est
intégrée à l’analyse financière de Dexia AM.
Source : Dexia.
Les placements solidaires forment une catégorie à part entière. Celle-ci regroupe
les fonds de partage et les fonds de solidarité qui adoptent une approche différente
des approches citées précédemment dans le sens où la performance financière ne
constitue pas la priorité du gérant. Les fonds de partage investissent majoritairement
dans des actifs monétaires et obligataires dont les émetteurs ne répondent pas obli-
gatoirement aux principes de la responsabilité sociétale de l’entreprise. À la diffé-
rence des autres fonds, les souscripteurs acceptent de reverser pour tout ou partie les
revenus générés par leurs investissements à des organismes à but humanitaire ou à
des organismes qui soutiennent la cause que les investisseurs souhaitent défendre.
Les fonds solidaires ont pour objet de financer des projets socialement utiles ne
bénéficiant pas de l’aide des institutions financières traditionnelles. Ces fonds sont
en général investis dans des obligations émises par des grands organismes suprana-
tionaux tels que la Banque mondiale. La rentabilité attendue est en générale faible au
regard des produits financiers appartenant à la même classe d’actifs.
Exemple
Alcyone Actions Nord Sud est un fonds commun de placement investi en actions de grandes
entreprises européennes. Ce fonds est composé d’actions émises par des entreprises choisies
selon leur engagement et leurs pratiques en matière de développement durable, lesquels sont
déclinés selon des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). La sélection
ESG met l’accent sur l’engagement dans la réduction de l’extrême pauvreté dans les pays du
38
La finance socialement responsable
Sud. Le principe de sélection des entreprises est associé à l’exclusion de toute activité liée à
l’armement, au tabac, à l’alcool, au jeu et à la pornographie. Outre sa gestion ISR, ce fonds est
également qualifiable de solidaire : la moitié de la commission de gestion fixe est reversée à
l’ONG Care France.
Source : Novethic.
La figure 3.1 propose une cartographie des fonds ISR suivant les approches extra-
financière et financière retenues par le gérant de fonds.
important mais qui au regard des encours des fonds traditionnels demeure encore
sous la barre des 10 % pour les indicateurs les plus optimistes. Le tableau 3.1,
adapté du rapport Eurosif 2008, révèle un fait marquant : la fin de la prédominance
des États-Unis dans la gestion ISR. Alors que la part des Américains atteignait 65 %
du marché en 2005, elle s’établissait sous la barre des 40 % fin 2007. Ceci s’expli-
que par la progression plus rapide de l’ISR en dehors des États-Unis et par la baisse
du dollar américain. Il convient néanmoins d’être méfiant devant de tels chiffres car
selon la localisation géographique, le périmètre définissant l’ISR n’est pas identique
(prise en compte des instruments monétaires par exemple).
39
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
États-Unis 1 917,3
Europe 2 665,4
Japon 5,5
Total 5 033,2
Le marché de l’ISR américain a connu une forte croissance depuis 1995 qui a vu
l’encours évoluer de 639 milliards à 2 712 milliards de dollars fin 2007. Ce montant
est à rapporter à l’encours total du marché américain de l’époque qui s’établissait à
25 100 milliards de dollars, soit 10,8 %. Le dynamisme de ce marché a été entretenu
par l’explosion des fonds filtrés, screening positif ou négatif (top down approach),
qui ont plus que triplé en dix ans. Alors qu’on avait remarqué un fléchissement de la
croissance en 2005 (+ 5,8 %), les encours ont progressé de 18 %, un taux nettement
supérieur à la croissance du marché de l’industrie des fonds (+ 3 %).
Tableau 3.2 — Évolution de l’encours ISR aux États-Unis
En Md USD 1997 1999 2001 2003 2005 2007
Solidaire 4 5 8 14 20 26
* La ligne F & A correspond aux doublons (filtrage et activisme) et est donc ôtée des montants d’encours.
Source : SIF.
En termes relatifs, les Américains ont également été déchus de leur place de
leader. Cette prédominance était notamment liée à un contexte historique favorable –
création des premiers fonds éthiques aux USA (Wolff, 2005)– ainsi qu’à l’existence
de fonds de pension puissants tel que CalPERS qui, grâce à leurs encours, ont pu
rapidement structurer l’ISR américain. Par ailleurs, aux États-Unis, le contexte poli-
tico-juridique a entretenu la croissance de ce marché. D’une part, la recrudescence
des plaintes collectives (class actions), contre certains secteurs d’activité, et les
40
La finance socialement responsable
entre l’année 2004 et l’année 2006 avec une croissance exponentielle des stratégies
d’ISR élargi. Cette forte augmentation s’explique par la prise en compte des facteurs
ESG par les caisses de retraite à compter de 2005. Alors que l’encours ISR de ces
caisses était estimé à 27,20 milliards de dollars canadiens, il s’établit désormais à
près de 544 milliards.
1. Les définitions des stratégies ISR de base et élargies sont reprises de la revue 2008 de l’AIR. Il est à
signaler que celles-ci ne correspondent pas exactement à celles proposées en Europe. Ainsi, selon
l’Eurosif, au moins deux secteurs doivent être exclus pour appartenir à la catégorie dite « de base »
ou « fine ».
41
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Source : AIR.
1. Le lecteur attentif remarquera que le total européen diffère de celui énoncé dans le paragraphe précé-
dent. Cette différence résulte de l’intégration des statistiques luxembourgeoises.
42
La finance socialement responsable
Luxembourg nd Nd 609
investisseurs institutionnels qui ont décidé d’orienter leurs placements vers l’ISR.
On peut citer à titre indicatif le Fonds de réserves des retraites, l’ERAFP 1 ou Agrica
Épargne, récent titulaire du prix de l’investisseur responsable. Il y a dans le cas
présent un basculement entre OPCVM traditionnels et OPCVM best-in-class,
approche largement majoritaire en France. On peut noter que ces investisseurs ont
désormais recours à la gestion dédiée (cf. tableau 3.5). La seconde raison est plus
gênante car elle concerne la nature des placements ISR. Le rapport 2008 de Nove-
thic met en relief le poids désormais prépondérant des placements monétaires et
obligataires. Ceux-ci représentent désormais 66 % des encours reléguant la part
actions jusque-là majoritaire à un tiers. D’une part, il se pose la question des critères
de sélection des émetteurs en particulier lorsqu’il s’agit d’États. D’autre part, on
peut s’interroger s’il n’y a pas une certaine contradiction entre investir dans des
instruments monétaires, avec un horizon de court terme alors que l’investissement
socialement responsable repose sur une gestion dite durable et un turnover réduit.
Investir désormais dans les titres de créances de l’État français revient à pratiquer de
l’ISR !
Exemple
Les placements du compartiment Petercam L Bonds Government Sustainable, Sicav de droit
luxembourgeois, portent sur les valeurs mobilières à revenu fixe, libellées en euros, pour une
proportion minimale de deux tiers des actifs nets. Les titres sont émis ou garantis par un État
membre de l’OCDE, ses collectivités publiques territoriales ou des organismes internationaux
à caractère public dont font partie un ou plusieurs États membres de l’OCDE, pour autant que
certains critères d’investissement tels que l’équité sociale, l’harmonie environnementale, la
gouvernance économiquement équilibrée… soient respectés. Selon Johnny Debuysscher,
responsable de la gestion obligataire du groupe, la société analyse « les trente pays de l’OCDE
selon des critères comme les émissions de CO2, le taux de chômage… Le fonds ne peut inves-
tir que dans des obligations émises par un État classé parmi les quinze premiers »
Source : Le Monde, 12 septembre 2009.
L’autre fait notable des études annuelles réalisées par Novethic est le constat que
le marché de l’ISR français est essentiellement un marché d’institutionnels. Les
fonds de pension publics et fonds de réserve, les caisses de retraite et de prévoyance,
et les compagnies d’assurance et mutuelles représentent à eux seuls plus de 80 %
des encours institutionnels qui eux-mêmes représentent 75 % du marché ISR.
Tableau 3.5 — Évolution de l’encours ISR en France
Mds € 2006 2007 2008
44
La finance socialement responsable
1. La liquidité désigne la facilité pour un investisseur à trouver une contrepartie sans provoquer de
choc sur les prix.
45
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
rentabilité ajustée de son risque à celle d’un benchmark, en général un indice bour-
sier représentatif d’un même univers d’investissement.
Le DSI 400 est le premier indice socialement responsable. Lancé en mai 1990 par
la société KLD, il a pour objet de servir de benchmark aux investisseurs et de déter-
miner de quelle manière les filtres éthiques affectent les performances financières.
La méthodologie utilisée repose à la fois sur des filtres d’exclusion et sur un système
de notation propre à KLD (cf. figure 3.3). L’indice est alors constitué de 250 socié-
tés. L’univers d’investissement est ensuite complété de 150 firmes hors Standard &
Poors 500. Cette nouvelle sélection a pour objectif de procéder à un rééquilibrage
sectoriel ainsi qu’à la promotion d’entreprises dont la stratégie DD est reconnue.
Le Dow Jones Sustainable Group Index (DJSGI) est le fruit d’une collaboration
initiale entre le fournisseur d’indices Dow Jones et le bureau d’étude suisse SAM
46
La finance socialement responsable
établie en 1999. Si l’indice continue d’être diffusé, il l’est désormais sous la seule
responsabilité du cabinet SAM qui possède une licence d’exploitation de l’appella-
tion Dow Jones. Ces indices sont fondés sur une vision intégrée des placements
durables. Dans la sélection des entreprises, tous les aspects de l’entreprenariat dura-
ble sont envisagés et sont comptabilisés de façon proportionnelle dans l’évaluation
globale. Les cinq critères sont ainsi les suivants : la capacité d’innovation technolo-
gique et l’efficacité à long terme de l’utilisation des ressources, le gouvernement
d’entreprise, les relations avec les actionnaires, le leadership professionnel et la
compétitivité ainsi que les relations avec la société civile. En résumé, la méthodolo-
gie de l’indice DJSGI est fondée sur une analyse des risques et des opportunités sur
trois volets : un volet économique, un volet social et un volet environnemental et
technique. Le processus de sélection prend également en compte des réponses à des
questionnaires. On a recours également à une série de critères négatifs (mais non
exclusifs), en l’occurrence le commerce des armes, l’alcool, le tabac et les jeux de
hasard. Cependant, pour tenir compte de l’ensemble des sensibilités de la finance
SR, Dow Jones a développé six sous indices d’exclusion : DJSI ex-alcohol, ex-
gambling, ex-tobacco, ex-armaments & firearms, ex-alcohol, tobacco, gambling,
armaments & firearms indexes, et ex-adult entertainment.
La sélection finale, obtenue selon l’approche best-in-class, est ensuite réalisée à
partir de l’algorithme ci-après repris par la figure 3.4 :
– univers : DJSI World-indice Dow Jones Global ;
– élimination des secteurs dont la société la mieux notée obtient moins de 1/5 du
score maximum ;
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
– élimination des sociétés obtenant moins du tiers du score maximum dans chaque
secteur ;
– sélection des 10 % des sociétés les mieux notées de chaque secteur ;
– dans les secteurs pour lesquels la sélection ci-dessus aboutit à une représentativité
inférieure à 20 % de la capitalisation du secteur, ajout des sociétés suivantes dans
des notations décroissantes jusqu’à atteindre le seuil en question.
L’indice ASPI Eurozone a été créé le 2 juillet 2001 par la société Vigeo (ex Arese).
Cette famille d’indices prend comme univers de référence et comme benchmark la
famille d’indices Dow Jones Stoxx. Ces indices sont calculés selon la méthode de la
pondération par le flottant 1 plafonné à 10 %.
Les critères d’éligibilité sont retenus suivant la méthodologie de Vigeo qui mesure
la performance des entreprises en termes de responsabilité sociale selon six
domaines : l’insertion dans la société civile, le gouvernement d’entreprise, les rela-
tions clients et fournisseurs, la santé, la sécurité et l’environnement, les ressources
humaines et les normes internationales de travail, ainsi que les droits de l’Homme.
Les sociétés sont alors sélectionnées en fonction de leur performance globale
selon les domaines du développement durable évoqués ci-dessus. Chaque société de
l’indice DJ Euro StoxxSM reçoit une note globale ASPI, résultant de la moyenne
géométrique des six notes obtenues dans les domaines prédéfinis. Les 120 sociétés
ayant la meilleure note globale composent alors l’indice ASPI. Lors de la révision
annuelle, en septembre, la procédure suivante s’applique :
– les valeurs sont classées selon leur note globale. Les 100 mieux notées restent ou
entrent automatiquement dans l’ASPI. Parmi les valeurs de rang 100 à 140, vingt
sont retenues, les valeurs déjà présentes dans l’indice ayant priorité, complétées si
nécessaire par les sociétés les mieux notées ;
– en cas d’ex aequo, les valeurs rapprochant le plus la structure sectorielle de
l’ASPI de celle du DJ Euro StoxxSM sont retenues en priorité.
2 La performance de l’ISR
49
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Tout d’abord la performance de l’ISR ne peut être analysée que sur le long terme,
or le marché n’est pas encore mature et le périmètre de ce dernier, comme précédem-
ment évoqué, n’est pas clairement défini : pour preuve les statistiques des encours
diffèrent selon les organismes. Toujours est-il que les performances constatées
peuvent être transitoires et/ou contextuelles. En effet, l’ISR a pu bénéficier du dépla-
cement des flux financiers partant des entreprises jugées non éthiques vers les entre-
prises jugées éthiques. Ce serait donc avant tout un effet de liquidité renforcé par un
effet d’aubaine dû à la publicité faite à l’ISR et aux entreprises plus respectueuses
des différentes parties prenantes. Le contexte actuel, favorable au développement
durable, semble propice à l’installation d’un cercle vertueux en faveur de l’ISR.
Selon Jo (2003), les analystes financiers sont incités à suivre les sociétés affichant de
bonnes pratiques sociétales en raison de l’engouement du public pour l’investisse-
ment socialement responsable. Les analystes financiers vont donc aider les brokers à
vendre les titres ayant une certaine respectabilité aux yeux du grand public en
améliorant la couverture de la société. À terme, la survalorisation des titres éthiques
peut conduire à une réallocation des portefeuilles et donc à une baisse de leur renta-
bilité.
Conséquence du succès pour l’ISR, nous avons constaté un accroissement des
fonds et de leurs encours. Les gérants devant établir des lignes significatives au sein
de leur fonds doivent dès lors mettre un filtre de liquidité éliminant de ce fait les plus
faibles capitalisations. Cela a pour conséquences de réduire l’effet du filtre ESG et
50
La finance socialement responsable
de conduire à des fonds ISR très peu différents des fonds traditionnels dans leur
composition (Le Saout, 2005). La figure 3.6 illustre ce propos.
image, et sont ainsi appelées à terme à surperformer leurs concurrents. En effet, les
actifs incorporels que sont les brevets et l’image de marque constituent aujourd’hui
une part non négligeable du bilan. Les entreprises n’adoptant pas un comportement
socialement responsable sont soumises à un risque plus élevé de faillite et de retrait
des capitaux par les investisseurs. La sélection des titres doit donc permettre de
générer de la valeur ajoutée.
Enfin les cours de Bourse sont censés refléter la performance financière à venir des
entreprises cotées. Cela nous renvoie aux différents travaux, cités dans cet ouvrage,
qui mettent en relief les effets de la RSE sur la performance de l’entreprise.
51
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Conclusion
La finance ne ressort pas grandi de la crise économique mondiale que nous affrontons.
L’investissement socialement responsable est une manière de démontrer qu’il ne faut pas
jeter le bébé avec l’eau du bain.
Malheureusement de vieux démons hantent la performance de l’ISR et celle-ci a égale-
ment été touchée par la crise. La recherche de la performance financière au détriment de la
performance extra-financière semble prévaloir afin de séduire des investisseurs peu enclins
à céder quelques points de rentabilité. La transparence réclamée par les agences de nota-
tions aux entreprises ne règne pas plus dans ces dernières que dans les sociétés de gestion
de portefeuille ou encore au sein des cabinets d’étude spécialisés dans le domaine du déve-
loppement durable. Du temps de la ruée vers l’or, ce sont les fabricants de pelles et de
pioches qui ont fait fortune et non les chercheurs d’or. Il est à craindre en matière d’ISR
que ni les investisseurs ni les entreprises n’en seront les bénéficiaires. Cela est fort
dommage car beaucoup laissent supposer que la finance socialement responsable et la
responsabilité sociétale des entreprises soient créatrices de valeur.
52
Chapitre
Notation extra-
financière et
4 méthodologie
d’analyse ESG
Perrine DUTRONC
devient difficile dès lors de se reposer entièrement sur l’analyse financière pour
comprendre une entreprise quand l’immatériel prend autant de place dans sa valori-
sation. La crise financière actuelle a du reste prouvé la nécessité de s’attacher à
d’autres éléments qu’aux seules données financières.
Cependant, de quoi parle-t-on et à quoi se réfère-t-on sous le vocable « autres
éléments » ? C’est bien là un des problèmes de cette toute jeune discipline qu’est la
notation extra-financière : elle n’est pas régie par des lois, des règlements, des règles
ou même des usages. La notation extra-financière est ce qu’en on fait les acteurs qui,
les premiers, se sont appropriés cette notion. Est-ce une limite ou une richesse ? Le
débat n’est pas encore tranché mais il ne facilite pas la tâche de qui cherche à
comprendre ce dont il s’agit.
53
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
54
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
Exemple
Le fonds pétrolier norvégien, Norwegian Government Petroleum Fund, qui gère plus de
300 milliards de dollars – estimés fin 2009 – a ainsi exclu quelques entreprises de son univers
d’investissement au motif de leur implication dans la fabrication de mines antipersonnelles, de
bombes à sous-munitions ou d’armes nucléaires. La société EADS, un temps exclue par ce
fonds pour cause d’implication dans les bombes à sous-munition et qui ne l’est plus
aujourd’hui, reste cependant évincée du fait de son implication dans les armes nucléaires.
Dans un autre domaine, début 2010, le Norwegian Government Petroleum Fund a pris une
décision de poids : il a vendu 1,8 milliard d’euros d’actions de 17 entreprises du secteur du
tabac. Cette vente est directement liée à la décision prise par le conseil éthique dudit fonds
d’interdire tout investissement dans le secteur du tabac.
Remarquons que ces politiques d’exclusion peuvent avoir des conséquences financières
importantes pour la rentabilité d’un fonds de pension : une étude, publiée en juin 2009 par
l’américain Calsters, évaluait à 1 milliard d’euros sur sept ans les pertes liées à l’exclusion du
tabac de ses placements.
temps, ce type de travaux s’est donc affiné et est passé d’un produit fini consistant en
une liste d’entreprises impliquées à plus de 5 % dans une activité – seuil communé-
ment admis pour l’approche par exclusion – à un accès à un module dit de screening
permettant de formater l’information selon ses propres besoins tant en termes de
seuil d’exclusion que d’univers à balayer ou de profondeur des critères d’exclusion.
En se référant à l’exemple du fonds californien Calpers et à la mise en œuvre de
domaines d’exclusion sur la Birmanie, on s’aperçoit qu’il ne s’agit pas simplement
d’exclure les investissements en obligations d’États émis par la Birmanie, ni
d’exclure du portefeuille d’investissements les entreprises birmanes, mais d’identi-
fier également les entreprises étrangères cotées ayant une activité en Birmanie et ce,
de manière directe ou indirecte.
Enfin, depuis quelques années s’est développé un nouveau type d’exclusion :
l’exclusion normative qui, comme son nom l’indique, analyse des pratiques au
regard de normes internationalement reconnues. La référence la plus utilisée à ce
jour est celle du Pacte mondial – ou Global Compact – des Nations unies qui
comprend dix principes ayant trait aux droits humains, droits sociaux, à l’environne-
ment et à la lutte contre la corruption.
Exemple
En France, le FRR – pour Fonds de réserve des retraites – fait explicitement référence au Pacte
mondial dès les premières lignes de ses principes d’investissement socialement responsables 1
et a tout récemment initié une politique d’engagement auprès de certaines entreprises sur la
base de violations graves des principes du Pacte mondial. Le fonds pétrolier norvégien, qui fait
figure de précurseur en la matière auprès de très nombreux fonds de pensions, a exclu, au motif
des dégradations environnementales graves qu’elles ont provoquées, certaines compagnies
minières comme Freeport ou Rio Tinto. Et au motif de violations des droits sociaux, une entre-
prise hautement symbolique : Wal-Mart – ce qui a valu à la Norvège une mini-crise diploma-
tique incluant le rappel temporaire de l’ambassadeur américain !
1. « La stratégie d’investissement responsable du FRR doit reposer en particulier sur le respect des dix
principes du Pacte mondial de l’ONU qui constituent un cadre fédérateur à la fois mondialement
reconnu, suffisamment large pour tenir compte de réalités différentes suivant les zones géographi-
ques tout en faisant clairement référence aux normes fondamentales reconnues par l’Organisation
internationale du travail. »Principes d’investissement du FFR.
56
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
Au cours des différents chapitres de cet ouvrage, il a suffisamment été fait réfé-
rence au développement durable (DD) pour ne pas avoir besoin de revenir ici sur sa
définition. Si le DD est un concept macroéconomique, on peut considérer que sa
version microéconomique est la RSE. Contrairement à ce que l’on peut voir ou
croire, la RSE ne se résume pas au respect des lois, normes et autres conventions. De
même que la citoyenneté ne se résume pas au fait de ne pas avoir eu de contraven-
tions ou fait de prison, pour les entreprises la RSE ne s’arrête au simple respect des
lois. En fait, la RSE commence là où s’arrête la loi : elle s’ouvre sur tout ce que les
entreprises font et peuvent faire au-delà des contraintes légales.
Analyser l’entreprise et sa politique RSE, c’est donc voir comment celle-ci définit
sa propre responsabilité et comment elle la met en œuvre. C’est examiner comment
elle accepte de s’intéresser à ses diverses parties prenantes et de les intégrer au
mieux dans son développement à court, moyen et long terme. C’est regarder les
impacts de l’entreprise sur son environnement naturel et social.
C’est là l’essence même de la RSE, d’où la difficulté à en donner une définition
applicable en tout temps, à tout type d’entreprises quelles que soient son activité,
son implantation, son histoire et sa culture. La RSE, c’est l’ensemble des efforts
consentis par l’entreprise pour s’intégrer dans un tissu social et dans son environne-
ment et se projeter à moyen terme dans son activité en prenant en compte toutes les
interactions qu’elle génère dans une vision systémique de son métier. À l’inverse
d’une approche purement financière et très court-termiste, il s’agit là de se position-
ner dans une vision de moyen-long terme holistique. Comme le pointait du doigt
récemment Klaus Schwab, fondateur il y a quarante ans du Forum économique
mondial de Davos, « au cours des dernières années nous sommes passés de l’entre-
prise qui a un sens à l’entreprise qui a une fonction. Le sens de l’entreprise – créer
des biens et des services pour le bien commun – a été remplacé par une philosophie
de l’entreprise purement fonctionnelle, c’est-à-dire visant à maximiser ses profits à
court terme » 1. Selon la théorie des parties prenantes, le management n’a pas seule-
ment à rendre des comptes sur ses actions devant les actionnaires mais devant toutes
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
les parties prenantes. Pour cela, il faut cependant qu’il y ait un dialogue qui
s’instaure entre l’entreprise et ces dernières, seule garantie d’une prise de cons-
cience des interactions que l’entreprise exerce. Hélas, ce dialogue, loin de s’être
renforcé au cours des dernières années, il semble le plus souvent s’être appauvri.
L’analyse basée sur une sélection de principes liés à l’ESG est celle qui est la plus
répandue de ce côté-ci de l’Atlantique et plus particulièrement en ce qui concerne le
marché français (cf. figure 4.1).
En privilégiant les bonnes pratiques plutôt que d’également choisir de sanctionner
les mauvaises – pour faire référence à la logique d’exclusion précédemment présen-
tée –, en favorisant une logique laïque à une éthique marquée par des valeurs
proches du religieux, l’approche ESG s’est largement implantée en France.
Source : Novethic.
Cette approche basée sur les principes de RSE touche surtout des investisseurs
pour lesquels si l’intérêt financier demeure important, le retour sur investissement
ESG peut également avoir un sens. Toutefois, pour bon nombre d’entre eux, l’ambi-
guïté demeure car, d’une part, le sens des priorités n’est pas toujours bien établi et,
d’autre part, parce que l’existence d’un lien entre performance ESG et la perfor-
mance financière n’est pas certain. Pour d’autres investisseurs, l’équation est encore
plus simple : la priorité reste la (sur)performance financière du fonds, l’analyse RSE
permettant exclusivement de se prémunir du risque de réputation.
Certains investisseurs signataires des PRI – pour Principles for Responsible
Investment 1 – ont une réelle conviction que les entreprises pionnières en matières de
RSE sont celles qui créeront le plus de valeur à terme et qu’ainsi, déceler ces entre-
prises et y investir est également porteur d’un réel intérêt financier à long terme. Le
discours est séduisant mais ne tient pas toujours face aux faits. En effet la notion
d’intérêt financier à long terme n’est pas tenable pour un investisseur qui se doit de
montrer des résultats à court et moyen terme à ses mandants.
1. Les PRI ont été développés par un petit groupe d’investisseurs institutionnels sous l’égide des
Nations unies et lancées en avril 2005 de manière très symboliques au New-York Stock Exchange
(Nyse) ; pour en savoir plus : www.unpri.org
58
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
Exemple
Le dernier exemple en date nous vient du FRR – Fonds de réserve des retraites, fondateur et
bien sûr signataire des PRI – qui a ainsi décidé de retirer à la société de gestion Dexia Asset
Management la gestion d’un de ses mandats ISR car cette société ne produisait pas un rende-
ment financier suffisant à court et moyen terme – le mandat courait depuis trois ans. Bien que
convaincu que, sur le long terme, Dexia AM pouvait effectivement fournir une performance
financière en ligne avec les autres sociétés de gestion, le FRR, pourtant investisseur de long
terme par excellence, n’a pas pu faire abstraction de ces contingences de court et moyen terme.
Exemple
Prenons une entreprise qui extrait des sables bitumineux et pollue fortement les rivières et
l’environnement autour de ses sites. Si elle n’a pas pris en compte dans son business model le
coût que peut représenter la dépollution des rivières et des sites – ce qui ne manquera pas de
lui être demandé à terme – elle s’expose à de graves conséquences financières. En effet, ces
coûts qui ne manqueront pas de venir s’ajouter aux coûts d’exploitation peuvent menacer
l’équilibre financier du site et avoir des conséquences importantes sur le bénéfice et la valori-
sation de l’entreprise.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
L’exemple des sables bitumineux n’est pas anodin, car il correspond à ce qui se
passe actuellement au Canada où, pour attirer les entreprises, un État – en l’occur-
rence l’Alberta – a pendant longtemps décidé de « laisser faire » au plan environne-
mental. Poussée par les minorités ethniques et les ONG environnementales,
l’Alberta s’apprête désormais à réguler l’exploitation de ces sables bitumineux et
également à demander réparation pour les pollutions antérieures. Il va sans dire que
cette décision aura des conséquences économiques substantielles sur l’Alberta et
que cela soulèvera également de nombreuses questions chez les investisseurs et/ou
fonds de pension, en ce qui concerne la rentabilité de tel ou tel projets et/ou compa-
gnies pétrolières ayant lourdement parié sur cette potentielle nouvelle manne pétro-
lière.
59
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Source : RiskMetrics.
Figure 4.2 — L’approche RSE versus l’approche matérialité
60
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
bien des investisseurs privilégient d’abord des placements plus « sûrs » que sont les
investissements en taux via des obligations ou des fonds monétaires. Or, la recherche
ESG ne s’est pendant longtemps intéressée qu’aux entreprises en se privant de la
sorte de très nombreux supports à fort potentiel – comme les obligations d’États, les
obligations émises par des entreprises non cotées, voire par certaines institutions
publiques ou agences gouvernementales comme la Banque européenne d’investisse-
ment (BEI) ou la Cades en France.
Même si ce type d’entité présente des potentiels intéressants, il n’en demeure pas
moins que leur évaluation ESG soulève de nombreuses questions.
Prenons par exemple, le cas des agences de développement – type Banque
mondiale ou BEI – et essayons de dessiner les contours d’une méthodologie qui ait
du sens. Que doit-on noter lorsque l’on analyse d’un point de vue ESG ces entités ?
Leur mission ? Parfaite dans tous les cas : financer le développement des plus
pauvres, toutes les agences devraient recueillir de ce fait la meilleure note… Leur
politique interne ESG, type consommation d’eau ou salaires versés ? Est-on vrai-
ment au cœur de l’impact et de la stratégie de ces entités ce faisant ? Rien n’est
moins sur ! Dernière piste, analyser les divers projets financés et leur pertinence en
matière environnementale et sociale. Voilà qui serait passionnant et qui aurait du
sens mais, hélas, une telle analyse est tout à fait irréalisable à ce jour par manque
d’information et de temps.
Examinons également le cas des entreprises non cotées. Comment obtenir des
informations sur celles-ci et, surtout, dans le cadre d’une notation sectorielle,
comment obtenir des informations qui soient comparables à celles de leurs consœurs
cotées ? En France, la révision en cours de l’article 116 de la loi NRE pourrait nous
aider à aller dans le sens de plus de transparence pour ce type d’entreprises car de
multiples propositions pour cette révision incluent l’extension aux entreprises non
cotées d’une certaine taille 1. Mais il n’en demeure pas moins que, dans de nombreux
cas, la diffusion d’informations de la part de ces entités reste purement volontaire et
largement insuffisante.
Autres acteurs clés du secteur obligataire : les États. Bien que ce type de notation
se soit désormais largement développé au sein des agences de notation, l’approche
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
1. L’obligation de publier un rapport périodique relatant la manière dont elles prennent en compte les
problématiques liées au développement durable et à la RSE. Voir à ce titre la contribution du FIR
(Forum pour l’investissement responsable) : http://www.frenchsif.org/pdf/positions-et-contribu-
tions/Reponse_FIR_Consultation%20Bilan%20Public%20Loi%20NRE.pdf
61
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Exemples
Lorsqu’il s’agit de la politique de formation d’un État, est-ce le niveau qui compte ou bien la
compatibilité entre les qualifications obtenues et les emplois disponibles ? En matière d’envi-
ronnement, les émissions de CO2 du Canada seront forcément plus importantes que celles de
la Grèce pour des raisons purement climatiques. Comment donc en tenir compte en comparant
ces deux pays sur ce même critère ? En la matière, de nombreux point de vue cohabitent et
c’est pourquoi les agences de notation ont souvent choisi de mettre à disposition de leurs
clients des informations plutôt que des notes. Charge à eux de se faire une opinion sur la base
des informations fournies ou tout du moins de challenger la note quand elle existe.
La notation ESG des entreprises est encore jeune, celle des produits de taux en est
à ses tout premiers pas et il faut sans nul doute s’attendre à ce qu’elle s’étende dans
les années à venir à d’autres produits de taux – entreprises non cotées mais égale-
ment collectivités locales.
La notation relative a pour avantage de pousser tous les secteurs vers le haut – quel
que soit leur degré de maturité – en mettant en valeur les meilleurs pratiques. Il ne
62
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
s’agit pas de mettre à l’index des secteurs qui, par nature ou par leur histoire,
seraient défavorisés – pétrochimie, industrie lourde, filière nucléaire notamment –
mais, bien au contraire, d’encourager et d’inscrire les compagnies dans une dynami-
que d’amélioration continue. En effet, par cette approche best-in-class et les nota-
tions de type relatives, les entreprises qui ne progressent pas ou plus prennent le
risque, de par le jeu des comparaisons, de se retrouver moins bien notées sans pour
autant avoir démérité. En revanche, la notation relative présente des limites lorsqu’il
s’agit de rendre compte de la réalité d’une situation pour un univers de notation
instable. Ainsi, qu’en est-il réellement d’une entreprise qui verrait sa note diminuer
du fait de l’élargissement de son univers de référence – de nouvelles entreprises très
performantes en ESG ayant été dernièrement intégrées ?
Exemple
Prenons le cas d’Exxon, le plus gros pétrolier américain, qui a, en 2008, une note relative infé-
rieure à la moyenne du secteur – notamment du fait de sa non-reconnaissance de l’importance
du changement climatique, de son manque d’implication dans la recherche d’alternatives pour
l’après pétrole et également pour son manque d’implication auprès des communautés locales.
En 2009, selon la méthode IVA d’Innovest, Exxon a réussi à atteindre la note moyenne du
secteur lors du nouveau cycle de notation. Dans ce cas, trois hypothèses sont plausibles. 1) Au
premier chef un changement de périmètre dans l’univers de notation : Exxon a bénéficié de
l’introduction de nouvelles entreprises provenant de pays émergents moins performantes du
point de vue ESG. 2) La société Exxon n’a pas progressé mais d’autres au sein de son secteur
ont fait moins bien : événements exceptionnels du type de l’Erika ou d’AZF pour Total. 3)
Dernière hypothèse, Exxon a réellement progressé entre 2008 et 2009 et sa note relative en est
le reflet exact.
63
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
montre la figure 4.3, en ce qui concerne l’agence Innovest, leur méthodologie best-
in-class dite Intangible Value Assessment – ou IVA – s’articule autour de six princi-
pales étapes.
Exemple
À titre d’exemple voici deux des cinq enjeux clés identifiés par Innovest pour le secteur de la
grande distribution européenne :
– un fort taux de rotation et des grèves pèsent sur la productivité des employés : les licencie-
ments et conflits du travail liés à la récession ont fait la une de nombreux média et peuvent
poser des risques opérationnels et peser sur l’image de l’entreprise ;
64
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
– la différenciation par les marques de distributeurs à forte marge : la récession a stimulé la
demande pour des marques de distributeurs à des prix abordables et aux marges plus
élevées. Les principaux domaines de croissance concernent des produits abordables dans le
bio, le commerce équitable et les aliments à caractère nutritionnel.
1. Innovest est une agence de recherche d’information ESG nord-américaine qui a été fondée en 1995.
Présente sur quatre continents –(Amérique, Europe, Asie et Australie), elle sert les plus grands
gestionnaires de fonds et investisseurs à l’image de BNP Paribas, BBVA, First Colonial, JP Morgan,
SSgA ou ABP premier fonds de pension européen et CalPERS aux États-Unis. Innovest a récem-
ment été rachetée par le groupe RiskMetrics. Sa méthodologie centrée sur les risques et opportunités
résonne bien avec l’approche financière classique et est appréciée par les acteurs de la finance.
66
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
Conclusion
Pour finir, revenons au concept de RSE qui est relatif à tout ce que l’entreprise fait et qui
n’est pas du domaine du strict respect des règles, normes et/ou conventions mais qui
accompagne et anticipe des évolutions légales, citoyennes, etc. C’est très certainement ce
supplément d’âme qui donne du sens à l’évaluation ESG des entreprises par cette approche
best-in-class.
Toutefois, sur ces bases, une problématique à laquelle les entreprises doivent faire face est
de tracer la ligne entre ce qu’elles souhaiteraient faire et ce qui est possible ou acceptable
de faire pour un contexte concurrentiel donné. S’il faut être innovant et précurseur on sait
bien qu’être trop en avance sur son temps n’est pas toujours opportun. C’est vrai des inno-
vations techniques comme de la responsabilité sociale ou environnementale. Étant donné
le niveau de compétition entre les sociétés, il est irréaliste pour une entreprise de se
soumettre seule à certaines contraintes ESG que d’autres ne respecteraient pas.
De cette réflexion, il ressort que lorsqu’on parle d’évaluation extra-financière, ce n’est
donc pas tant la référence à des normes qu’il faut expliciter dans la méthodologie, mais la
méthodologie elle-même et les questions auxquelles on pense qu’elle se rapporte.
Souhaite-t-on privilégier la performance financière ? Souhaite-t-on privilégier le progrès
social et sociétal ? C’est en s’interrogeant avec ses clients sur les attentes et les besoins
réels de chacun que les agences seront à même de proposer de vraies solutions et s’assurer
que le ou les produits qu’elles proposent y répondront bien. Savoir de quoi l’on parle,
savoir à qui l’on parle, identifier ses objectifs en tant qu’investisseurs, clarifier ses priorités
car l’on sait bien que l’on ne peut pas tout poursuivre en même temps. Les analyses ESG
apportent un éclairage différent sur les entreprises, chaque type de recherche éclairant un
angle différent de ces immenses entités que sont les multinationales. La recherche ESG est
multiple, les investisseurs en sont souvent perplexes… Ils aimeraient, tout comme les
entreprises, faire rentrer cette nouvelle activité dans le rang – en normalisant notamment
les méthodologies et les critères étudiés – au risque de réduire le volume et la richesse de
l’information produite par les agences de notation et par conséquent, prendre le risque
d’une part, d’appauvrir le contenu des produits financiers SR et d’autre part, d’induire un
risque de mimétisme dans les comportements des gestionnaires de ces fonds du fait d’un
manque de diversité dans l’information extra-financière.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
67
L’influence des valeurs
Chapitre
liées à la RSE sur la
gouvernance des firmes :
5 le cas des banques
mutualistes
Éric LAMARQUE
L es études sur les valeurs managériales à travers la culture et leur impact sur les
pratiques des organisations ont montré leur réelle influence sur la prise de
décision de certaines entreprises au quotidien ainsi que sur les décisions stra-
tégiques. D’ailleurs, cette double influence, opérationnelle et stratégique, constitue
un réel indicateur d’une différence essentielle entre les entreprises adhérant fonda-
mentalement à des valeurs affichées et celles ne s’en servant que pour leur commu-
nication. Ainsi, les valeurs associées à la RSE se sont petit à petit imposées au
premier plan des valeurs d’entreprises comme le révèle l’enquête annuelle de Well-
com (tableau 5.1). La question fondamentale est alors de savoir en quoi elles
influencent réellement leur gouvernance et par là même les grandes décisions de
l’entreprise. La gouvernance de l’entreprise illustre et explique la façon dont se
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
prennent les décisions et s’effectuent les choix stratégiques. Les banques mutualis-
tes, au sein desquelles on verra la présence historique des valeurs liées à la RSE,
constituent des exemples assez caractéristiques d’une volonté permanente de pren-
dre des décisions en cohérence avec celles-ci.
69
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
1 Innovation/Progrès 31,7
2 Intégrité/honnêteté/Transparence 26,4
3 Responsabilité 26,4
4 Esprit/travail d’équipe/Orientation/Satisfaction 23,3
5 Clients 23,0
6 Humanisme 14,3
7 Rapidité/Réactivité 14,0
8 Environnement 13,6
9 Qualité/Fiabilité 13,1
10 Partage/Solidarité 13,0
11 Professionnalisme 12,5
12 Respect 12,3
13 Esprit d’entreprise/Entrepreneur/Engagement 12,2
14 Réussite 10,3
15 Confiance 9,0
16 Excellence 9,0
17 Équité 8,7
18 Proximité 8,7
19 Adaptabilité 8,4
20 Inventivité/Créativité 8,4
21 Éthique 7,7
…
affecter directement les choix d’activité quand ceux-ci relèvent d’un nouveau
positionnement sur un segment de marché ou de l’évolution des produits exis-
tants.
– Ces liens entre les valeurs et la définition des missions, de la vision et des choix
d’activité reposent essentiellement sur la gouvernance (partie 1 de la figure 5.1 ci-
après) dépositaire de la philosophie et des modalités de la prise de décision. Ce
point sera détaillé en priorité (cf. infra section 3) car il est clair que cette philoso-
phie animant les acteurs de la gouvernance mutualiste est marquée par la nature
de ces valeurs ;
71
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Après avoir montré l’émergence des valeurs liées à la RSE, on verra dans quelle
mesure les mutualistes ont décliné de manière approfondie l’ensemble de ces
valeurs.
« L’indicateur des valeurs » de Wellcom (tableau 5.1) analyse les valeurs plébisci-
tées par les entreprises. Le premier constat est qu’aujourd’hui celles-ci sont de plus
en plus clairement affichées et ne sont plus le seul fait des grandes entreprises mais
également des PME. Ce classement fait ressortir huit familles que l’on peut caracté-
riser par quatre grandes dimensions qui se combinent : l’éthique, l’identité, la
compétence, la conquête.
72
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
Exemple
« Attentifs aux évolutions de fond de nos sociétés, nous avons fait du développement durable
et des valeurs éthiques, à la fois la signature de Dexia et la pierre de touche de l’ensemble de
notre stratégie. Ainsi, la signature – Dexia, Banque du Développement durable – se décline
tant en interne, avec une mobilisation de l’ensemble des équipes et le développement social au
sein de l’entreprise, qu’en direction de nos clients, qui attachent aujourd’hui de plus en plus
d’importance aux valeurs éthiques et notamment au développement durable… Il correspond
chez Dexia à une démarche globale, intégrée et transversale, que nous considérons comme un
facteur d’innovation, de motivation, de responsabilité sociale et sociétale parmi nos équipes. Il
fait partie intégrante du socle commun de valeurs qui fonde notre identité, aux côtés de notre
dimension européenne, de notre sens du long terme et notre attachement aux valeurs
d’humanisme ».
Source : rapport annuel Dexia.
– les valeurs retenues visent à la fois à rassurer les clients et donner confiance,
briller par son exemplarité ;
– les entreprises en retiennent généralement entre 4 et 5 de manière à éviter les
confusions et un message trop dense et trop complexe à identifier par les clients.
Le plus délicat est sans doute de les définir conjointement de façon à assurer une
cohérence et éviter les confusions ;
– la discussion sur les valeurs conduit le plus souvent à avoir un débat au sein de
l’entreprise et ainsi mettre en relation le marketing (au travers de la communica-
tion externe) et les RH (à travers la communication interne) par exemple, chose
qui n’est pas des plus courantes. Chacun est poussé à la réflexion, à l’implication,
et les valeurs donnent ainsi un sens à l’action.
73
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
À l’issue de cette analyse, il apparaît que les valeurs en elles-mêmes ont un faible
pouvoir de différenciation. Le thème de l’éthique et du développement durable est,
parfois, davantage à considérer comme un passage obligé ou un phénomène de
mode. Ne pas les adopter formellement pourrait être perçu négativement.
Finalement seules les actions menées et le comportement au quotidien auprès des
clients et des acteurs de la vie locale sont réellement différenciateurs. Dès lors, c’est
la cohérence entre la nature des valeurs affichées et le comportement de l’entreprise
et de ses salariés qui est déterminant. La banque n’est sans doute pas le secteur
d’activité où cette tache est la plus facile compte tenu de ses impératifs de maîtrise
de risque. Les réputations d’humanisme ou de solidarité ne sont certainement pas
celles qu’associent les clients à une banque, fussent-elles mutualistes.
74
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
Exemple : l’arbre des valeurs de la Maif
1er niveau : les fondements
Ils se résument par l’éthique de la mutuelle. Ils trouvent leurs origines dans :
– la laïcité synonyme de liberté de croyance et de conviction qu’elles soient religieuses, poli-
tiques ou syndicales dans le respect des lois ;
– le respect de la personne : l’homme est donc au centre des préoccupations ;
– la tolérance et l’ouverture d’esprit.
2e niveau : les valeurs clés
Elles sont issues de la vision que la mutuelle se fait de son éthique :
– la solidarité : elle s’exprime par la qualité des contrats et leur mise en œuvre. Elle se traduit
par un engagement mutuel. Chaque sociétaire doit ressentir la force de sa responsabilité
comme un véritable corollaire de la situation d’assureur-assuré ;
– la confiance : réciprocité entre le sociétaire et la mutuelle en lui confiant la couverture de
ses risques contre l’engagement d’honnêteté dans ses relations ;
– l’efficacité pour assurer la pérennité de la mutuelle. Cela fait partie intégrante de l’éthique
en combinant les aspects gestionnaires et la fourniture des meilleures garanties. Dans leur
esprit, éthique et efficacité se rencontrent et ne se contredisent pas.
e
3 niveau : les principes de fonctionnement
Chacune des valeurs clés est à l’origine d’une série de principes de fonctionnement qui se
rapprochent de la notion de norme que nous avons évoquée précédemment.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Figure 5.2
75
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
dit, le sentiment qui ressort ici est que l’on sacrifie en permanence les valeurs de confiance et
de solidarité à celle d’efficacité. Les efforts de mécénat, même s’ils commencent à être média-
tisés, ne suffisent pas à remettre en cause ce sentiment.
Source : document Maif, « L’Arbre des valeurs ».
Exemple
« Le groupe Banque populaire s’est construit sur le respect des parcours de vie, des sensibili-
tés, des attentes, des particularités de ses clients et partenaires. Chaque porteur de projet est
unique : pour se mettre en mouvement avec les meilleures chances de succès vers son objectif,
il a besoin d’être écouté, d’être informé de façon claire et transparente, d’être compris. Placer
l’homme au cœur des préoccupations donne tout son sens et toute sa force à la relation
bancaire ».
Source : site Internet du groupe Banque populaire.
Ces valeurs se retrouvent donc aujourd’hui dans les discours de l’ensemble des
banques mutualistes. Il est à noter que les quatre valeurs – principe démocratique,
solidarité, responsabilité et proximité – sont renforcées par un enracinement histori-
que fort.
Le travail de définition des valeurs est donc structurant pour le devenir de l’entre-
prise, en particulier dans le cas mutualiste. La gouvernance s’en trouve affectée.
76
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
Exemple
L’offre de produits ou de services suppose parfois l’intervention de filiales nationales différen-
tes de la caisse régionale qui fait l’offre et qui gère la relation. Il faut donc être capable de pilo-
77
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
ter une relation avec des interlocuteurs multiples ayant parfois des objectifs différents. Ainsi,
une entreprise cliente localement s’était vue demander des documents directement par la filiale
alors que le chargé d’affaires local ne l’avait pas précisé. Le chef d’entreprise, pensant que son
dossier était bouclé, a remis en cause cette intervention et rompu sa relation locale avec la
banque.
Les banques coopératives françaises considèrent que le lien entre les sociétaires et
leur entreprise représente l’originalité de ces organisations et les distingue de la rela-
tion classique actionnaire-société cotée. Un travail de sensibilisation est cependant
nécessaire. E. Pflimlin (2006) indiquait développer cet affectio mutualis par deux
voies : la première consiste à augmenter le taux de sociétariat dans les coopératives
(nombre de sociétaires sur le nombre de clients), la seconde tend à renforcer le senti-
ment des sociétaires d’appartenir à une organisation qui à besoin de leur engage-
ment. L’observation des pratiques montre en effet l’existence de dispositifs de
formation à côté d’autres incitations pour accroître l’importance du sociétariat dans
les entreprises. Dans la période récente, avec le besoin de consolider les fonds
propres, on a constaté un retour en force des actions de fidélisation et de souscription
de part sociales. Mais les avantages financiers ne sauraient suffirent et ils sont limités
par les capacités financières de chaque établissement. Renforcer l’adhésion aux
principes mutualistes reste incontournable pour développer un sentiment d’apparte-
nance fort. En outre, la possibilité offerte par ce type de structures d’accéder à des
responsabilités constitue un autre élément fort de motivation. L’animation du socié-
tariat, comme d’ailleurs l’animation de l’actionnariat, constitue un des outils impor-
tant de la gouvernance mutualiste. La création de sites Internet dédiés par exemple
doit permettre l’émergence de communautés de sociétaires et renforcer la solidarité
autour d’une caisse locale.
Le passage de sociétaire à administrateur local ou régional, voire national, soulève
cependant plusieurs difficultés de nature à saper les efforts de mobilisation et
d’adhésion évoqués précédemment. Les activités d’administrateur sont bien souvent
assumées de façon bénévole ou dédommagée de façon assez minimes au regard des
enjeux et des risques supportés par les établissements financiers. Les conseils
d’administration ne peuvent plus être seulement des lieux d’information et d’échan-
ges mais aussi des lieux où l’on discute des sujets stratégiques et où l’on contrôle les
78
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
actions des dirigeants exécutifs et leur conformité avec les choix votés par les
conseils. Vue la complexité croissante du métier de banquier, le temps nécessaire
pour contribuer efficacement aux travaux du conseil est croissant. Cette exigence est
de plus en plus difficile à assumer avec une activité professionnelle et une situation
familiale prenante par ailleurs. On retrouve donc souvent dans les conseils des socié-
taires plutôt âgés (souvent au-delà de 60 ans), en fin d’activité. Certaines banques
mutualistes appellent de leurs vœux une plus grande diversité mais elle est structu-
rellement difficile à assurer. Cette diversité des points de vue et des expériences est
souvent déterminante dans le fonctionnement des conseils. Enfin, la montée en
compétence des administrateurs est une nécessité pour les raisons évoquées. En
effet, sans dire que tous doivent posséder des compétences financières poussées, il
apparaît nécessaire que chacun d’eux comprenne la logique financière d’un établis-
sement bancaire, comprenne l’origine des risques et puisse évaluer les conséquences
de ses décisions sur le fonctionnement de l’établissement. La compétence des socié-
taires doit devenir un critère dominant dans le choix des administrateurs (comme
pour les sociétés cotées ou familiales d’ailleurs) pour limiter les phénomènes de
cooptation pure fréquents dans ces structures.
Le succès des coopératives dépendait jusqu’à présent de la qualité et du mérite de
servir les membres. Finalement, le challenge pour l’avenir du mouvement coopératif
est d’assurer que les membres continuent d’avoir des opportunités de participation
constructives dans leurs coopératives. Les coopératives ont besoin de rester respon-
sables et accessibles aux besoins et aux priorités de leurs membres (S. Alburaki et
E. Lamarque, 2007). Ces constatations rejoignent celles faites par Richez-Battesti
(2006), qui observe d’un côté un effort de réactualisation de leur système de valeurs
et d’affirmation de leur « distinction coopérative » (Banque populaire, 2005), en
interne et en externe : meilleure communication en externe avec multiplication des
supports d’information, formation en interne… De l’autre, l’accent est mis depuis le
début du millénaire sur la reconquête et la mobilisation du sociétariat, les Caisses
Desjardins restant à bien des égards le modèle de référence, que chacune des
banques coopératives observe pour construire sa propre stratégie.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
On peut identifier deux axes relevant des décisions stratégiques d’un établisse-
ment.
Le marché local constitue un marché naturel pour les entités mutualistes. Les
PME, les associations, les institutionnels locaux, les collectivités font parties des
cibles privilégiées. Les Caisses d’épargne parlent dans leur segmentation stratégique
79
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
d’un métier clé : la banque de développement régional (BDR). Il repose sur trois
dimensions.
80
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
Très souvent aussi des fondations des banques elles-mêmes assurent la distribution
d’aides ciblées.
L’objectif est ici de participer à la lutte contre le chômage par des créations
d’emploi et la pérennité des activités ainsi créées.
Dans le même registre, les banques participent au niveau international à des
actions de coopération et d’aide au développement. Cela commence par le soutien
apporté au système financier de pays émergents par des transferts de savoir-faire, des
participations financières. Les stratégies dans ce domaine sont assez variées. La
fondation Rabobank, par exemple, finance plus de 150 projets dans 40 pays diffé-
rents.
Pour les mutualistes l’intérêt général est une seconde nature, voir même synonyme
d’engagement coopératif et parfois inscrit dans ses statuts. On peut y voir un risque.
Obnubilés par cet objectif, les dirigeants risquent d’en oublier l’efficacité productive
et l’efficacité du service envers leurs clients. Mais surtout, ils risquent d’oublier que
c’est d’abord l’intérêt général des adhérents à la coopérative qui doit être préservé,
autrement dit l’intérêt des sociétaires qui aussi un client. La gouvernance a le devoir
de veiller à tout cela car les banques conventionnelles sont elles aussi largement
engagées dans la plupart des actions qui viennent d’être décrites. Dès lors, il est bien
difficile pour les banques mutualistes de se différencier autour de ces domaines et
espérer une fidélité naturelle de leurs clients quels que soient le service ou le prix.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
81
Chapitre Rapports de
responsabilité sociale
6 de l’entreprise et capital
de marque
Stéphane LEGENDRE
François CODERRE
83
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Section 1 ■ La marque
Section 2 ■ La RSE et son impact sur le capital de marque
Section 3 ■ Une analyse de contenu des rapports annuels
des grandes entreprises
Section LA MARQUE
1
L’objectif de cette section est de montrer l’importance qu’a prise la marque pour
les entreprises, de définir ce qu’est le capital de marque et d’illustrer comment une
entreprise peut développer son capital de marque en mettant de l’avant son implica-
tion sur le plan social.
1 L’importance de la marque
La marque est généralement définie comme un nom ou un symbole qui a pour but
d’identifier un produit/service d’un vendeur ou d’un groupe de vendeurs et de le
distinguer de ceux de la concurrence. Cette conception de la marque est toutefois
beaucoup trop étroite et ne rend pas compte de l’importance que celle-ci a prise au
cours des dernières années. En effet, dans un contexte où il est de plus en plus diffi-
cile de communiquer avec les marchés et où les produits sont de plus en plus similai-
res, l’entreprise doit ajouter de nouvelles significations à ses produits afin de se
différencier de la concurrence. Elle peut le faire par le biais de la marque. Le rôle de
la marque ne consiste donc plus uniquement à identifier un produit, mais à lui confé-
rer une valeur additionnelle.
Cette prise de conscience de l’importance des marques remonte aux années 1980.
Plusieurs offres publiques d’achat (OPA) largement diffusées dans les médias de
l’époque – l’achat de Kraft par Philip Morris, l’achat de Rowntree par Nestlé –
avaient pour principal objectif l’acquisition de marques de commerce. Ce phéno-
mène s’explique en grande partie par la montée en importance des actifs intangibles.
Comme on peut le constater à la figure 6.1, jusqu’aux années 1980, les actifs intan-
gibles représentaient environ 25 % de la valeur d’une entreprise et les actifs tangi-
bles, 75 %. Depuis les années quatre-vingt, la valeur des actifs tangibles en
pourcentage de l’ensemble des actifs de l’entreprise ne cesse de diminuer. Selon la
firme Brand Finance (2009), les actifs tangibles ne représenteraient plus que 37 %
de la valeur des entreprises inscrites en Bourse en 2007 à travers le monde. Or, dans
plusieurs secteurs, la marque est un actif intangible important, voire le principal actif
de l’entreprise. À titre d’exemple, en 2009, selon les estimations de la firme Inter-
brand, la contribution de la marque à la capitalisation de l’entreprise s’élevait à envi-
ron 62 % dans le cas de Coca-Cola, à 60 % dans le cas de McDonald’s et à 42 %
84
Rapports de responsabilité sociale de l’entreprise
dans le cas d’IBM. Il n’est donc pas étonnant de constater que les entreprises accor-
dent une attention croissante à la gestion de leurs marques.
Figure 6.1 — Valeur des actifs tangibles en pourcentage de l’ensemble des actifs
(excluant les entreprises financières)
2 Le capital de marque
Le capital de marque (branding equity) a une signification très différente selon que
la perspective retenue est celle de l’entreprise ou celle du consommateur.
Tableau 6.1 — La valeur des dix plus grandes marques (en milliards de $)
Rang Marque Valeur 2009
1 Coca-Cola 68,734
2 IBM 60,211
3 Microsoft 56,647
4 GE 47,777
5 Nokia 34,864
6 McDonald’s 32,275
7 Google 31,980
8 Toyota 31,330
9 Intel 30,636
10 Disney 28,447
Exemple
Prenons le cas d’une automobile : la fiabilité, la sécurité, la performance renvoient à des béné-
fices de nature fonctionnelle ; le plaisir de la conduite et l’apparence du véhicule à des bénéfi-
ces de nature hédonique ; les traits de personnalité du véhicule – jeune, moderne, audacieux –
à des bénéfices de nature symbolique ; et l’implication de l’entreprise dans son milieu, ses
efforts pour préserver l’environnement et ses pratiques de gestion à des bénéfices de nature
éthique.
86
Rapports de responsabilité sociale de l’entreprise
réalisée par Boivin (2005) portant sur huit catégories de produits montre que les
bénéfices fonctionnels sont importants pour l’ensemble des catégories de produits
considérées, mais plus particulièrement dans le cas de l’électroménager et de l’auto-
mobile (cf. tableau 6.2). Les consommateurs recherchent davantage les bénéfices
symboliques et hédonistes lors de l’achat de parfums et de voitures. Enfin, bien que
de façon générale les bénéfices éthiques semblent moins importants lors de l’achat
d’un produit, ils ne sont pas négligeables. Ils arrivent souvent au troisième rang
d’importance, particulièrement dans le cas de produits de faible implication : crèmes
glacées, shampooings et aliments surgelés.
Les consommateurs ne sont pas tous concernés au même degré par les bénéfices
de nature éthique. Dans une étude effectuée auprès d’un échantillon représentatif de
la population française, Lecompte et Valette-Florence (2006) ont identifié cinq
profils de consommateurs selon leur attitude envers la responsabilité sociale de
l’entreprise. Les sceptiques (1) représentent les individus qui ne prennent pas en
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
87
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Deux principales avenues s’offrent aux entreprises désirant accroître leur capital
de marque en mettant en avant leur implication sociale. La première consiste à adop-
ter une stratégie de positionnement de la marque fondée sur la dimension éthique.
C’est-à-dire faire de la dimension éthique un élément fondamental de la communi-
cation de l’entreprise. Seules quelques rares entreprises ont adopté cette voie. C’est
le cas notamment des firmes Body Shop et Patagonia.
88
Rapports de responsabilité sociale de l’entreprise
Exemples
The Body Shop, une entreprise internationale dans le domaine des cosmétiques, base son iden-
tité sur cinq valeurs liées à l’éthique : protéger la planète, appuyer le commerce équitable,
favoriser l’estime de soi, défendre les droits de l’homme et être contre les tests sur les
animaux. Cette entreprise milite depuis vingt ans pour différentes causes éthiques et environ-
nementales notamment la lutte contre le VIH/Sida et contre la violence familiale.
L’entreprise Patagonia œuvrant dans le domaine des articles de sport intègre dans sa mission
le développement de solutions à la crise environnementale actuelle. Depuis plus de vingt ans,
l’entreprise verse 1 % de son chiffre d’affaires pour l’appui de différentes causes visant la
protection de l’environnement. Un ensemble de pratiques environnementales distingue cette
entreprise, notamment l’élaboration d’un écobilan pour réduire l’impact de ses activités sur les
ressources naturelles, l’utilisation de coton biologique, l’implication des employés dans des
projets environnementaux durant leurs heures de travail, l’élimination des matières plastiques
pour l’emballage et bien d’autres.
Source : Lecompte et Valette-Florence (2006).
90
Rapports de responsabilité sociale de l’entreprise
91
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
1. Plusieurs appellations synonymes du rapport de responsabilité sociale sont employées par les
entreprises : bilan de responsabilité sociale, rapport de développement durable, bilan social et envi-
ronnemental, bilan environnemental, bilan de santé, sécurité et environnement, bilan social et autres.
Nous retiendrons ici l’expression rapport de responsabilité sociale de l’entreprise pour désigner
l’ensemble de ces documents.
92
Rapports de responsabilité sociale de l’entreprise
1 Le cadre d’échantillonnage
La population de cette étude est composée de l’ensemble des 500 plus grandes
entreprises selon le classement 2009 du Global 500 (Fortune Global 500, 2009).
Pour être retenues dans l’étude, les entreprises devaient répondre aux deux critères
suivants : 1) publier un rapport de responsabilité sociale sur le site Web de l’entre-
prise en 2009 et 2) utiliser le cadre GRI (G3). Au total, 254 entreprises correspon-
dant à ces critères ont été recensées après l’analyse de contenu des 500 sites Web. Le
tableau 6.3 présente le profil des entreprises à l’étude, le pourcentage d’entreprises
répondant aux deux critères mentionnés et le taux de publication.
Tableau 6.3 — Profil des entreprises
Ensemble des Entreprises publiant
Taux de
entreprises un rapport GRI
publication
n = 500 n = 254
Industries
Haut risque 114 (23,2 %) 67 (26,4 %) 58,8 %
Continents d’origine
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Pour les fins de l’analyse, les 500 entreprises ont été regroupées en trois classes
relativement égales selon leur chiffre d’affaires. On remarque que la publication
d’un rapport de responsabilité sociale selon le cadre GRI (G3) touche particulière-
ment les entreprises dont le chiffre d’affaires se situe entre 27 et 45 milliards
93
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
(50,3 %) ou est supérieur à 45 milliards de dollars (65,9 %). De même, les entrepri-
ses faisant partie des industries à haut risque publient davantage de rapport (58,8 %).
Les industries à haut risque regroupent les entreprises ayant une grande visibilité
auprès du consommateur, une influence négative sur l’environnement ou pour
lesquelles le niveau de concentration de la concurrence est très important. Confor-
mément à la classification de Hackston et Milne (1996), la présente étude compte six
industries à haut risque (industries aéronautiques, chimiques, minières, automobiles
ou pétrolières et de la fabrication du tabac) et 44 industries à faible risque (assuran-
ces, télécommunication, banques, etc.). Enfin, on remarque que le taux de publica-
tion des rapports de responsabilité sociale suivant le cadre GRI est particulièrement
élevé pour les entreprises en provenance de l’Océanie (80,0 %) et de l’Europe
(63,6 %).
Les 254 rapports de responsabilité sociale recensés ont été analysés plus en détail
à partir du système des « niveaux d’application » du GRI (G3). Les entreprises qui
élaborent le contenu du rapport de responsabilité sociale selon le cadre GRI doivent
indiquer dans quelle mesure elles ont appliqué ce système. Celui-ci comporte trois
niveaux (C, B et A). L’entreprise peut ajouter un signe + lorsque le rapport a été véri-
fié par une tierce partie. Le tableau 6.4 présente une description de ces niveaux.
Tableau 6.4 — Critères des niveaux d’application du cadre GRI (G3)
C C+ B B+ A A+
94
Rapports de responsabilité sociale de l’entreprise
27 à 45 milliards (n = 81) 49,4 4,9 1,2 7,4 9,9 3,7 23,5 68,4
- de 27 milliards (n = 63) 46,0 7,9 1,6 20,6 7,9 3,2 12,7 41,3
Secteur industriel
Haut risque (n = 67) 35,8 4,5 1,5 7,5 11,9 6,0 32,8 72,0
Faible risque (n = 187) 47,6 5,9 1,1 15,5 8,6 4,8 16,6 50,2
Continent d’origine
Amérique (n = 64) 40,6 10,9 1,6 20,3 4,7 6,3 15,6 36,9
Europe (n = 117) 33,3 4,3 1,7 13,7 14,5 5,1 27,4 65,4
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
On remarque tout d’abord que le niveau d’application du cadre GRI varie considé-
rablement en fonction du chiffre d’affaires de l’entreprise. En effet, les entreprises
dont le chiffre d’affaires est de 27 milliards ou plus atteignent en plus grand nombre
le niveau d’application A. De plus, elles sont beaucoup plus enclines à recourir à une
vérification d’une tierce partie. Ces résultats sont conformes à la théorie de la légiti-
mité. Selon cette théorie, la pression pour se conformer à l’environnement externe
est plus importante pour les entreprises de grande taille et performantes financière-
ment (Cowen et al., 1987 ; Hackston et Milne, 1996 ; Patten, 1991). Ces dernières
regroupent un plus grand nombre de parties prenantes en raison de leur grand
95
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
nombre d’activités et elles ont un nombre plus important d’actionnaires qui peuvent
prendre en considération la performance sociale pour évaluer le capital de marque
de l’entreprise.
Au tableau 6.5, on constate également que les entreprises œuvrant au sein d’indus-
tries à haut risque atteignent davantage le niveau d’application A du cadre GRI et
elles sont plus enclines à présenter des rapports vérifiés. Ce résultat est conforme
aux études antérieures qui ont démontré une relation entre la divulgation sociale et
l’appartenance à un secteur industriel (Adams et al., 1998 ; Deegan et Gordon,
1996 ; Hackston et Milne, 1996 ; Adams, 2002 ; Patten, 1992). La théorie de la légi-
timité apporte également une explication à ce phénomène. Les entreprises faisant
partie des industries à haut risque ont une plus grande visibilité étant donné que leurs
activités modifient l’environnement (Hackston et Milne, 1996). Elles ont donc plus
de pressions des parties prenantes (notamment les groupes de pression écologistes
et/ou environnementaux) pour légitimer leurs actions. Ces pressions sont exacerbées
par certains événements très médiatisés (ex. : l’échouement du pétrolier Exxon
Valdez) qui augmentent l’attention du public sur l’empreinte environnementale de
certaines industries (Adams 2002). Brown et Deegan (1998) ont d’ailleurs démontré
une relation positive entre le niveau de divulgation environnementale et la couver-
ture médiatique de l’impact environnemental de différentes industries.
Un autre facteur pouvant expliquer que les entreprises à haut risque ont un niveau
d’application du GRI plus élevé est la plus grande pertinence des indicateurs envi-
ronnementaux pour celles-ci. En effet, puisque les activités des entreprises à haut
risque ont un plus grand impact sur l’environnement, il est donc logique qu’elles
appliquent davantage les indicateurs environnementaux du GRI (ex. : émissions de
substances appauvrissant la couche d’ozone, émissions de NOx, SOx et autres émis-
sions significatives dans l’air, nombre total et volume des déversements accidentels
significatifs, etc.). Ces indicateurs s’appliquent moins à des entreprises des secteurs
à plus faible risque comme les banques et les compagnies d’assurance par exemple.
96
Rapports de responsabilité sociale de l’entreprise
Conclusion
L’objectif de ce chapitre était de démontrer comment la mise en valeur de la performance
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
sociale de l’entreprise peut affecter le capital de marque. Nous avons d’abord défini la
marque et le capital de marque. Ensuite, une revue des recherches portant sur l’impact de
la performance sociale de l’entreprise sur le capital de marque a été présentée. Enfin, nous
avons montré que la publication d’un rapport de responsabilité sociale constituait une stra-
tégie de plus en plus utilisée par les entreprises pour mettre en valeur leur performance
sociale et ainsi accroître leur capital de marque. Il existe actuellement des cadres reconnus
internationalement pour structurer ces rapports, ce qui augmente leur crédibilité auprès des
diverses parties prenantes. Afin de dresser le profil des entreprises qui adoptent cette stra-
tégie, nous avons également présenté une analyse du contenu des rapports de responsabi-
lité sociale des plus grandes entreprises à l’échelle internationale.
97
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
☞
Il ressort de cette étude qu’il y a une relation entre la divulgation des rapports de responsa-
bilité sociale selon le cadre GRI (G3) et le chiffre d’affaires des entreprises, leur secteur
industriel et leur continent d’origine. La théorie de la légitimité nous a permis d’apporter
une explication à ce phénomène. D’abord, les très grandes entreprises sont plus enclines à
rapporter un niveau d’application élevé et à recourir à une tierce partie pour vérifier leur
rapport. Les pressions pour légitimer leurs actions sont plus fortes étant donné le plus
grand nombre de parties prenantes qui peuvent prendre en considération la performance
sociale pour évaluer le capital de marque de l’entreprise. Ensuite, les entreprises œuvrant
dans les industries à haut risque ont un niveau d’application du cadre GRI plus élevé
puisqu’elles doivent légitimer leurs actions qui ont un impact direct et médiatisé sur l’envi-
ronnement. Enfin, les entreprises du continent européen sont beaucoup plus avancées que
celles des continents américain et asiatique en matière de divulgation de leur performance
sociale selon le cadre du GRI. Nous posons l’hypothèse que leur environnement légal de
type « orientation partie prenante » fait en sorte qu’elles considèrent un plus grand spectre
de groupes d’intérêts comparativement à l’environnemental légal de type « orientation
actionnaire ».
98
Une approche
Partie pragmatique
des questions de
2développement
durable
99
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
paux comportements stratégiques sont présentés pour être ensuite analysés de façon
plus détaillée – voir notamment le cas Lafarge.
Dans le neuvième chapitre, intitulé « Performance organisationnelle et responsabi-
lité sociale de l’entreprise », Jean-Yves SAULQUIN et Guillaume SCHIER évoquent la
question centrale du lien entre performance organisationnelle et RSE. Outre la diffi-
culté de définir la notion de performance en sciences de gestion, les auteurs propo-
sent de nombreuses réponses théoriques sur le domaine – voir, par exemple, les
travaux de Lynch et Cross (1991), Kaplan et Norton (1992), Atkinson, Waterhouse et
Wells (1997). Enfin, ils développent un modèle original mettant en parallèle percep-
tions managériales de la RSE et performance organisationnelle.
Enfin, cette deuxième partie s’achève sur le chapitre de Denyse RÉMILLARD inti-
tulé « La gouvernance d’entreprise et le développement durable ». L’auteure expli-
que et illustre la façon dont se prennent les décisions et sont répartis les pouvoirs au
sein de l’entreprise. Elle présente les principales évolutions connues ces dernières
années par la gouvernance d’entreprise et expose ses principales articulations avec le
DD. Ce dixième chapitre est ponctué de nombreux exemples pratiques illustrant
l’évolution des règles et des attentes des fonds de pension notamment, lorsqu’il
s’agit de piloter une entreprise.
100
L’écologie industrielle :
Chapitre
promesses et limites
d’une approche pratique
7 du management durable
en entreprise
Christoph BEY
soit au niveau mondial, local ou régional. Dans cette optique, l’écologie industrielle
effectue un important virage par rapport à la libération des sociétés humaines des
contraintes naturelles (que l’on peut considérer comme sous-tendant tous les déve-
loppements technologiques depuis le paléolithique). En « apprenant de la nature »,
l’écologie industrielle tente de renverser l’isolation croissante de l’humanité de la
base de ses ressources (y compris de la capacité d’assimilation des déchets de la
biosphère).
La relation linéaire entre exploitation des matières premières, processus de
production et création de déchets deviendrait ainsi systématique, et devrait faire
partie d’une véritable économie circulaire. Par conséquent, la croissance du PIB (un
but qui fait encore partie des objectifs économiques) serait beaucoup moins liée à
l’utilisation des ressources naturelles (largement finies). Quelques écologistes indus-
101
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
102
L’écologie industrielle : promesses et limites
tituée. Or, une des raisons qui nous pousse à les analyser plus en détail, c’est que
l’écologie industrielle a trop rapidement incorporé ces concepts, qui sont devenus le
cœur même de la discipline.
Nous expliquerons ci-dessous comment ces idées sont utilisées pour améliorer à la
fois la compréhension de l’écologie industrielle en tant que discipline scientifique, et
le processus de prise de décision dans la restructuration de l’industrie. L’écologie
industrielle veut en effet s’octroyer un rôle non seulement descriptif mais également
normatif. Ceci la démarque d’autres concepts, comme la prévention et le contrôle de
la pollution ; l’écologie industrielle tente premièrement de fournir un cadre de
travail pour l’analyse, un langage qui permet la compréhension des systèmes indus-
triels, deuxièmement de se donner un objectif à atteindre, et troisièmement de dispo-
ser des instruments nécessaires à la prise de décision pour atteindre cet objectif.
1 Le métabolisme industriel
103
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
1. L’utilisation des termes « métaphore » et « analogie » par les écologistes industriels reste
incohérente : le travail de recherche et d’application de l’écologie industrielle gagnerait beaucoup à
adopter une claire définition claire de ces termes. Cela permettrait aussi de distinguer entre méta-
phore et analogie et de mettre en valeur les usages corrects et incorrects qui en sont faits. C’est pour-
quoi le terme « analogie » est mis ici entre guillemets pour souligner le besoin d’une définition
appropriée.
104
L’écologie industrielle : promesses et limites
1. “Exhibit 1” dans Allenby et Cooper (1994) est tiré de E. Odum (1969), sans cependant qu’il soit fait
explicitement référence à l’auteur ou à sa publication.
2. Traduction des auteurs.
105
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Développement du type I au type III (Graedel 1994) : du flux linéaire des matières dans les
systèmes de type I (a), en passant par le flux quasi-circulaire des systèmes de type II (b) pour
arriver au véritable flux circulaire dans les systèmes écologiques de type III.
Selon Graedel, au cours de l’évolution sur terre, les écosystèmes sont passés de
l’état de type I à l’état de type III, au fur et à mesure que la terre était colonisée par
106
L’écologie industrielle : promesses et limites
des êtres vivants qui ont ultérieurement fondé des systèmes biologiques interdépen-
dants. Graedel affirme que « l’utilisation anthropogénique idéale des matières et des
ressources disponibles pour les procédés industriels (…) serait celle qui est identi-
que au modèle biologique dans son ensemble » 1, ce dernier résumé dans le système
écologique de type III, dans lequel la totalité du flux des ressources se fait de
manière entièrement cyclique. La description du système économique et sa transi-
tion voulue vers un système durable tel qu’il est développé par Graedel justifie à nos
yeux une analyse fine du sujet. Le concept de Graedel fournit une description
succincte de l’objectif que cherche à atteindre l’écologie industrielle : l’état de
type III appliqué aux systèmes économiques.
Alors que le métabolisme industriel ne s’intéresse qu’à analyser et mesurer les flux
des matières et de l’énergie à travers le système industriel, « l’analogie des
écosystèmes » naturels ou biologiques prend le système économique global à son
niveau systémique et considère qu’il devrait être restructuré avec l’aide de l’écologie
industrielle (Graedel, 1994). À cet égard, il est important de mieux comprendre les
systèmes analysés par l’écologie industrielle, et de distinguer d’une part le système
industriel, qui englobe l’extraction des ressources, la fabrication et l’approvisionne-
ment du marché en produits et services et, d’autre part, le système économique
global. Le système industriel doit être compris comme un sous-système de l’écono-
mie globale.
Une part importante de notre analyse consiste à argumenter sur le fait que la
restructuration du seul système industriel dans le dessein d’une meilleure perfor-
mance environnementale, même en suivant les préceptes de l’écologie industrielle,
ne permet pas forcément d’obtenir un système économique globalement « durable »,
c’est-à-dire un système conforme au système écologique de type III défini par Grae-
del.
Les spécialistes travaillant dans le domaine de l’écologie industrielle sont notoire-
ment imprécis lorsqu’ils mettent en lumière le système observé : il n’existe aucun
consensus sur le système précis – économique ou industriel – qui doit être étudié par
l’écologie industrielle. Frosch et Gallopoulos (1989), qui sont à l’origine du déve-
loppement de la discipline, analysaient un système de fabrication dont l’impact sur
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Le champ particulier où cette distinction entre les deux systèmes se révèle impor-
tante est l’adoption de l’approche « du berceau à la tombe » (cradle-to-grave) du
métabolisme industriel, c’est-à-dire que l’on considère le flux des matières de
l’extraction à la fabrication. Un système économique qui montre les mêmes forces
dynamiques que le système biophysique, comme cela est envisagé par les écologis-
tes industriels, devrait adopter une attitude « du berceau au berceau », où le recy-
clage, la réutilisation et la remanufacture des biens utilisés sont pris en compte dès
leur (éco-)conception. Il s’agit alors d’un flux « bouclé » de matières qui ferait
uniquement appel à l’énergie solaire : ces caractéristiques devraient simplement
transcender le système industriel de production et de fabrication.
Dans cette perspective, l’équipe de recherche auteur du Belgium ecosystem
(Billen, Toussaint, Peeters, Sapir, Steenhout, Vanderborght, 1983) a donné une
bonne définition des objectifs de l’écologie industrielle : « Pour prendre en compte
l’activité industrielle dans le champ d’une analyse écologique, il faut s’interroger sur
les relations de cette usine avec les centres de production de matières premières
consommées, avec les circuits de distribution dont elle dépend pour l’écoulement de
ses produits, avec les consommateurs qui les utilisent (…) Il faut en somme définir
la société industrielle comme un écosystème formé par l’ensemble de ses moyens de
production, de ses circuits de distribution et de consommation (…). Une description
en termes de circulation de matières ou d’énergie donne en effet une vision des acti-
vités économiques dans leur réalité physique et montre comment la société gère ses
ressources matérielles. ».
3 La symbiose industrielle
Ce dernier terme qui caractérise l’écologie industrielle a été introduit non pas par
la recherche sur les systèmes biologiques, mais par une mise en application de
l’organisation industrielle. Cette application a été reconnue comme étant l’une des
plus réussies de l’écologie industrielle, bien qu’elle ait été initiée avant que la disci-
pline de l’écologie industrielle ne soit acceptée en tant que telle. C’est le système
d’échanges de déchets et sous-produits de Kalundborg, au Danemark. Le terme de
symbiose industrielle a été créé par Valdemar Christensen, un des principaux archi-
tectes du système de Kalundborg et responsable de production de la centrale électri-
que qui se trouve au cœur du programme d’échanges de déchets (Gertler, 1995)
D’après Christensen, la symbiose en industrie est : « La coopération entre différen-
tes industries par laquelle la présence de chacune (…) augmente la viabilité de l’une
ou des autres tout en permettant de répondre aux besoins de la société – économie
des ressources et protection de l’environnement » (Engberg, 1993).
Depuis les années 1960, le parc de Kalundborg s’est développé au fur et à mesure
autour d’une centrale électrique à charbon, qui commençait à donner ou à vendre ses
sous-produits de la production d’électricité à des partenaires régionaux, comme de
la vapeur à une raffinerie de pétrole et une entreprise de biotechnologie, ainsi qu’à la
108
L’écologie industrielle : promesses et limites
Tibbs souligne que le travail de l’écologie industrielle est d’abord et avant tout
concerné par l’étude précise de modèles dans les écosystèmes industriels, réels et
programmés.
Dans la lignée d’Erkman (1997), les pistes de travail mentionnées ci-dessus,
actuellement en cours de développement, pourraient être regroupées en deux princi-
pales trajectoires : d’un côté, l’analyse et la dématérialisation d’une économie
entière et une restructuration locale en parcs éco-industriels de l’autre.
109
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
110
L’écologie industrielle : promesses et limites
Quelques douzaines de parcs industriels sont en cours d’étude pour les possibilités
qu’ils offrent en matière d’échanges de déchets (Brullot, 2009). Ils sont pour la
plupart situés en Amérique du Nord, bien que certains se trouvent aussi en Europe
ou éparpillés partout dans le monde. Le site industriel de Kalundborg a fourni un
modèle pour la restructuration d’autres parcs. Comme décrit ci-dessus, les entrepri-
ses y ont organisé depuis longtemps des réseaux d’échanges de déchets et de sous-
produits, afin de créer un système au cœur duquel se trouve une centrale électrique
qui tire son énergie de la combustion du charbon. Ce système va jusqu’à doubler
l’efficacité des ressources et de l’énergie – en particulier pour la production d’élec-
tricité et le chauffage domestique (Gertler, 1995).
Ces études et ces tentatives pour mettre en application l’écologie industrielle
peuvent être élargies, au-delà des seuls parcs industriels, à des régions entières, les
soi-disant « îlots de développement durable » (Wallner et al., 1996 ; Erkman, 1997),
dont la région de Styria, en Autriche, semble pouvoir être un jour le premier exemple
(Wallner et al., 1996). En d’autres termes, une région durable saurait réduire les
entrées et les sorties des flux de matériaux et d’énergie grâce à une valorisation opti-
male des flux internes – de toutes les interconnexions internes entre unités de
production de biens et services.
L’analyse des deux parties d’un système économique – les parcs éco-industriels et
les analyses du métabolisme industriel d’un pays ou d’une région – et la comparai-
son avec des écosystèmes naturels se font sur une question implicite : le choix par
l’écologie industrielle d’analyser uniquement les systèmes industriels, c’est-à-dire
exclusivement le côté de la production (l’offre), est-il adapté pour poursuivre un
développement durable des systèmes socio-économiques entiers qui comprennent
aussi le côté de la demande ? Ruth (2006) s’inquiète du fait que les impacts environ-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
nementaux de la demande ne soient pas pris en compte – une erreur capitale, car une
augmentation absolue de la consommation surcompensera une diminution relative
des impacts environnementaux par unité produite. Par conséquent, la recherche en
écologie industrielle serait obligée de s’occuper aussi du rôle de la création et de la
satisfaction des besoins des consommateurs.
D’ailleurs, il semble impossible d’imaginer des flux matériaux vraiment circulai-
res dans des « écosystèmes industriels », si les déchets et sous-produits échangés ne
sont pas utilisés qu’à un niveau énergétique inférieur. Le contenu énergétique de ces
produits diminue à chaque étape d’utilisation – le cercle envisagé est plutôt une
cascade qui amène à une phase finale de déchet qui sera rejeté. Au fond, les pseudo-
cercles ne sont autres choses qu’un flux linéaire un peu plus efficace, qui transforme
des ressources naturelles de contenu énergétique important à travers plusieurs
111
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
112
L’écologie industrielle : promesses et limites
Conclusion
L’écologie industrielle est une nouvelle approche importante pour atteindre le but d’une
économie durable, une approche qui dépasse la vision étroite d’une entreprise individuelle,
malgré ses faiblesses conceptuelles, ses imprécisions théoriques et des erreurs dans sa
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
☞
113
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
☞
La nouvelle génération des infrastructures éco-industrielles devra tenir compte de ces
observations : notamment celles sur la durée de vie des équipements et les risques techno-
logiques liés à l’interdépendance des systèmes d’infrastructure (hard wiring). Cette
dernière remarque fait déjà l’objet d’études à Kalundborg au Danemark. En effet, au centre
de cet écoparc se trouve une centrale électrique à charbon, qui fournit à toutes les autres
entreprises des déchets et des sous-produits nécessaires à leur propre activité. Cette
centrale ne sera pas facile à remplacer par un autre moyen de production beaucoup plus
propre du fait de l’interdépendance des entreprises présentes sur cet écoparc. De fait, il
apparaît de manière prioritaire, à l’avenir, de tenir compte de cette expérience et donc de
savoir anticiper les évolutions technologiques.
Pour les chercheurs et les gérants d’entreprise intéressés par l’écologie industrielle, la
conséquence à tirer des erreurs précédentes réside dans la nécessité de faire prévaloir le
principe de précaution (Jonas, 1990), cher au développement durable, afin que les consé-
quences du développement technologique et économique soient beaucoup mieux appré-
hendées. Pour les prochains systèmes éco-industriels, cela veut dire que ces derniers
doivent être conçus de telle manière qu’il soit possible de les démanteler en cas de problè-
mes écologiques majeurs. Le hard wiring de nos systèmes actuels, principalement lié à la
longévité des installations, est le plus gros obstacle actuel pour un développement durable.
Heureusement, de nombreux contre-exemples existent. Prenons le cas des éoliennes pour
lesquelles les pylônes ont été conçus de telle manière qu’ils soient facilement démontables
(en termes de coût et de possibilité de recyclage) en cas d’analyse négative de leur bilan
écologique.
Au début de ce chapitre nous nous sommes interrogés sur les raisons qui font que l’écolo-
gie industrielle contribue à un développement durable. Trop souvent, on entend de la part
des écologistes industriels, que cela va de soi puisque l’écologie industrielle prône un
management basé sur des modèles proposés par la nature.
Au contraire, il semble que lorsqu’on évalue les applications de l’écologie industrielle sur
la base d’analyses d’impacts environnementaux globaux (empreinte écologique ou analy-
ses similaires), prenant en compte également les effets des délocalisations, les résultats ne
soient pas aussi évidents.
De même, il semble que l’écologie industrielle doive accepter que tout système économi-
que est cause de dissipation (de la matière et de l’énergie non renouvelable), et que la
croissance économique (PIB) ne puisse pas se poursuivre sans qu’elle soit liée à une crois-
sance de la dégradation environnementale et de l’exploitation des ressources naturelles.
Jusqu’alors, l’écologie industrielle s’est focalisée sur la meilleure part du gâteau, à savoir
les cycles des métaux ou la production d’électricité et de chauffage urbain. À cet égard, il
semble qu’en cédant à la généralisation de quelques cas isolés (à intérêt et utilité spécifi-
ques) l’écologie industrielle ait pris le risque d’être contredite en ce qui concerne son apti-
tude à proposer un système économique durable.
Dans tous les cas, il semble que le point faible de l’écologie industrielle réside dans son
absence de prise en compte des composantes sociales, du respect d’un accès juste à des
ressources naturelles, pour notre génération et toutes les générations à venir : idées fonda-
trices du développement durable.
114
Chapitre
Les stratégies de
développement
8 durable
Annelise MATHIEU
Richard SOPARNOT
115
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
118
Les stratégies de développement durable
sivement développées notamment avec l’arrivée de la deuxième génération de la Prius. La
nouvelle version, plus performante, avec une ligne plus séduisante, des dimensions plus géné-
reuses et un tarif moins prohibitif, a connu un réel succès. Élue voiture de l’année par un jury
de 58 journalistes européens, loin devant la Citroën C4 et la Ford Focus, la Prius II est sans nul
doute la voiture qui offre le plus d’innovations techniques et surtout repose sur une technologie
résolument tournée vers l’avenir. La Prius II dispose ainsi d’un nouveau système hybride
développé selon le concept révolutionnaire baptisé Hybrid Synergie Drive.
L’année 2007 a marqué le dixième anniversaire du lancement de la première voiture hybride
de série ainsi que le leadership de Toyota sur le marché des voitures écologiques. Après avoir
vendu plus d’un million de véhicules hybrides dans le monde dont plus de 100 000 en Europe,
Toyota vise à présent des ventes annuelles d’un million dès 2010 dans le monde. Pour atteindre
de tels objectifs, Toyota propose aujourd’hui, via sa marque de luxe Lexus, différentes voitures
hybrides, du grand 4x4 routier (le R400 et le Highlander) à la limousine de grand luxe et enri-
chit la gamme de marque Toyota (notamment avec la Camry lancée en 2006). D’ici 2010,
l’ambition du groupe est d’équiper une quinzaine de modèles d’une motorisation hybride.
Enfin, la stratégie écologique de Toyota passe par le développement d’une voiture à pile à
combustible. Toyota prétend être très avancée sur ce modèle et prévoit sa commercialisation à
partir de 2010.
Source : extrait de E. Bonneveux, A. Rychalski et R. Soparnot,
« Les capacités et dilemmes de l’innovation : Toyota,
une longueur d’avance avec la Prius ? », La Revue des cas en gestion, n˚ 1, 2009.
(2004) et Carroll (1979) permet de distinguer deux postures génériques. Elles sont
développées ci-après (cf. sections 2 et 3).
120
Les stratégies de développement durable
cas, d’après Martinet et Reynaud (2004), « les entreprises ne réalisent pas d’investis-
sements en t0 pour garder une plus grande flexibilité, c’est-à-dire un plus grand
nombre d’options en tn. Non contraintes par la législation ni poussées par les deman-
des, elles considèrent qu’il est plus rentable d’attendre l’innovation majeure.
D’autres explorent les possibilités d’une technique “verte” sur une usine particulière
afin de permettre un délai d’adaptation plus court si la législation la rend obligatoire
et de ne pas pénaliser la totalité de l’entreprise en cas d’échec. »
Même si, d’un point de vue théorique, les entreprises adoptant ce type d’attitude
valorisent les critères économiques, parfois au détriment des enjeux écologiques et
sociaux, quels que soient les risques encourus, ce comportement tend à disparaître
dans les faits tant ces derniers (pécuniaires ou non) sont de plus en plus importants
(Martinet et Reynaud, 2004 ; Boiral et Joly, 1992). Comme le soulignent Boiral et
Joly (1992), « en l’absence de réponse (…) les réactions des acteurs vont entraver la
réalisation des projets et objectifs de l’entreprise, faire naître des mouvements
d’opinion, des critiques, des tensions, des conflits, porter atteinte à son image ou à
terme, attenter à sa légitimité. Or l’entreprise ne peut durablement conduire ses
opérations sans avoir le soutien des acteurs internes et externes ».
Le second comportement, qualifié d’adaptatif, est adopté par des entreprises qui
cherchent à se conformer aux réglementations, à respecter les normes sans les
dépasser et limiter ainsi les risques d’infraction encourus en cas de non-respect des
lois en vigueur sur les thématiques qui couvrent le développement durable (écocon-
formité). Dans ce cas, l’entreprise cherche à minimiser les risques et les investisse-
ments en respectant au minimum les normes légales. Elle assume ses responsabilités
économiques et juridiques. L’objectif prioritaire de ce type de comportement réside
dans le maintien du profit optimal tout en préservant la légitimité des activités de
l’entreprise aux yeux des actionnaires et des clients (Martinet et Reynaud, 2004).
121
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
122
Les stratégies de développement durable
123
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
124
Les stratégies de développement durable
La rupture stratégique provient ici d’une modification des règles du jeu du secteur. Celle-ci
contraint les suiveurs (écodéfensifs) à devoir développer des compétences nouvelles consistant
en la maîtrise écologique et financière d’une chaîne de valeur responsable. Lafarge, maîtrisant
cette compétence pour l’avoir initiée, bénéficie d’un avantage compétitif. En effet, compte
tenu des obstacles à l’accès aux ressources et compétences qui composent le modèle respon-
sable, les PME du secteur sont d’emblée écartées de certains marchés et leur compétitivité est
affaiblie. Les grandes firmes subissent, quant à elles, un effet retard dans la construction des
compétences de ce modèle, voire risquent de se trouver dans l’incapacité de le reproduire. La
légitimité acquise par Lafarge lui permet d’imprimer un rythme aux évolutions des pratiques
responsables et d’inciter à l’adoption de ce mieux disant écologique, valorisant ainsi au niveau
sectoriel les dimensions responsables.
Source : à partir de S. Grandval et R. Soparnot, « Le développement durable
comme stratégie de rupture : une approche par la chaîne
de valeur intersectorielle », Management et Avenir, n˚ 5, 2005.
Conclusion
En résumé, trois types de stratégies responsables peuvent être observés :
– l’attentiste : ne respecte pas les normes légales au risque de se trouver hors la loi – ce
comportement tendant à disparaître sous l’effet des pressions et incitations croissantes ;
– l’adaptatif ou conformiste : respecte les exigences réglementaires sans aller au-delà
même si cela lui est possible et s’inscrit dans la volonté de dissocier la sphère business
et hors business ;
– le proactif ou écosensible : dépasse largement les exigences légales et la notion de
contrainte, perçoit la prise en compte des attentes des stakeholders comme un élément
clé de la pérennité et s’inscrit dans le cadre d’une association de la sphère business et
hors business dans les principes de management.
Le croisement des typologies de Martinet et Reynaud (2004), Perez (2005) et de Carroll
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
125
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
☞
Tableau 8.1 — Comparatif des stratégies de développement durable
Attentiste Adaptatif Proactif
126
Chapitre Performance
organisationnelle et
9 responsabilité sociale
de l’entreprise
Jean-Yves SAULQUIN
Guillaume SCHIER
127
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
La performance est un construit qui débouche sur des divergences selon les
auteurs, un mot « valise » qui a reçu et reçoit toujours de nombreuses acceptions. En
gestion, la performance s’assimile à la réalisation des objectifs de l’organisation. La
performance est une notion polarisée sur le résultat annoncé, mais elle véhicule en
plus un jugement de valeur sur le résultat finalement obtenu (positif ou négatif) et la
démarche qui a permis de l’atteindre. Ainsi, par extension, elle peut désigner une
réussite.
L’absence de vision partagée sur la notion de performance laisse le champ libre à
des enjeux de pouvoir entre tous les partenaires de l’organisation. La performance a
longtemps été un concept unidimensionnel, mesuré par le seul profit, en raison du
poids des propriétaires dans le processus de décision. Dans cette perspective, la
mesure de la performance ne visait que la création de valeur pour les actionnaires.
Peut-on encore avancer que l’évaluation de la performance se résume à la mesure
du seul niveau d’enrichissement de l’actionnaire ? Ce serait nier le rôle actif des
salariés dans la création de valeur. Pour Charreaux (1998) la réponse est claire : « si
l’entreprise crée de la valeur, c’est qu’elle est à même de disposer de compétences
clés non facilement imitables, par exemple d’un savoir-faire qui “s’incarne” plus
vraisemblablement dans le capital humain ou organisationnel que dans le capital
financier ».
L’entreprise peut ainsi être analysée comme le lieu de rencontre des motivations
divergentes des acteurs qui participent à son développement. Dès lors, la perfor-
mance devient un concept multidimensionnel, tous les acteurs n’ayant pas la même
perception de la performance.
Ces divergences d’objectifs accentuent la difficulté d’évaluer la performance orga-
nisationnelle. Elles expliquent les nombreux conflits qui peuvent naître de la défini-
tion des critères de performance : sur quels critères s’accorder ? Comment les
mesurer ? Quelles seront les conséquences collectives ou individuelles des résultats
obtenus ?
Le concept possède ainsi autant de significations qu’il existe d’individus ou de
groupes qui l’utilisent. Pour un dirigeant, la performance pourra être la rentabilité ou
la compétitivité de son entreprise ; pour un employé, elle pourra être le climat de
travail ; et pour un client, la qualité des services rendus. La multiplicité des appro-
ches possibles en fait un concept surdéterminé, et curieusement, il demeure indéter-
miné en raison de la diversité des groupes qui composent l’organisation.
128
Performance organisationnelle et responsabilité de l’entreprise
■■ Un concept surdimensionné
Le droit des affaires pose le principe que l’objectif de la firme consiste à maximi-
ser la satisfaction de l’actionnaire qui supporterait seul le risque final en cas de
faillite. Par suite, la recherche des performances financières produit une structure de
gouvernement et des processus de décisions qui reflètent la prédominance de la
dimension économique de la performance.
Malgré la prédominance des indicateurs et des critères financiers, la modélisation
de la performance a évolué et appelle désormais une vision plus large des résultats.
La perception change si on se place du point de vue des dirigeants, des salariés, des
clients, des banquiers, etc.
Nombreux sont les chercheurs qui ont voulu mesurer la performance organisation-
nelle. Ainsi, Campbell (1977) a recensé 30 critères de performance, puis Quinn et
Rohrbaugh (1983) ont poursuivi cette quête d’indicateurs et apuré ces critères en
proposant une modélisation avec 17 critères couvrant trois dimensions variant entre
deux bornes :
– l’intérêt organisationnel (allant de l’importance accordée au développement des
individus à l’intérêt porté au développement de l’organisation elle-même) ;
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
129
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Dimensions
Compétences
Structure interne Structure externe
individuelles
Mesures
130
Performance organisationnelle et responsabilité de l’entreprise
Pour ses auteurs, il convient à tous les types d’entreprises sans adaptation.
Les auteurs soulignent l’importance d’identifier les parties prenantes et les indica-
teurs de satisfaction qui leur sont associés. Ils proposent de retenir deux types de
mesures (primaires et secondaires) en fonction des objectifs (prioritaires ou moins)
de l’organisation. Les conflits d’intérêt entre parties prenantes sont pris en considé-
ration et résolus en théorie par des systèmes de pondération entre les catégories
d’indicateurs. Mais ce modèle connaît aussi des limites opérationnelles, car dans la
pratique, les concepteurs ont retenu peu de mesures primaires et secondaires.
Tableau 9.3 — Le modèle des parties intéressées d’Atkinson
Partie prenante Mesures primaires Mesures secondaires
Ce modèle bien connu (figure 9.2) a fait l’objet d’une littérature abondante. Les
concepteurs ont eu le souci de lier la stratégie aux indicateurs de performance et de
faire aussi la relation avec les processus d’affaires. Le BSC fait l’objet de nombreu-
ses adaptations depuis sa genèse (Kaplan et Norton, 1993 ; 1996 ; 2001a ; 2001b).
S’appuyant sur une critique des outils de pilotage traditionnels les auteurs ont cher-
ché à développer un modèle tenant compte de la stratégie de l’entreprise et compor-
tant des mesures financières et non financières regroupées en quatre catégories de
critères :
– les critères financiers (reflétant les attentes des actionnaires) ;
– les critères liés à la satisfaction des clients (considérés comme un déterminant de
la performance financière) ;
– les critères liés aux processus internes (qualité des processus de production,
d’innovation et de service après vente) ;
132
Performance organisationnelle et responsabilité de l’entreprise
Dans une vision ouverte de l’entreprise, de nombreux auteurs proposent aux diri-
geants une approche globale pour piloter la performance comprenant des indicateurs
qui se complètent et s’éclairent mutuellement et qui sont reliés à des objectifs multi-
ples.
Dans leurs récents travaux, Morin et Savoie (2002) suggèrent un modèle à voca-
tion universelle qui nous semble être une bonne tentative d’intégration des appro-
ches antérieures de la performance. Ce modèle (cf. tableau 9.4, page suivante)
retient quatre dimensions de la performance (expliquées par 12 critères et une batte-
rie d’indicateurs) :
133
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Jugement Jugement
Engagement des employés ❑ Économie des ressources ❑
Climat de travail ❑ Productivité ❑
Rendement des employés ❑
Compétences des employés ❑ Arène
politique
Légitimité de l’organisation Pérennité de l’organisation
Jugement Jugement
Respect de la réglementation ❑ Qualité des produits et services ❑
Responsabilité sociale ❑ Compétitivité ❑
Responsabilité environnementale ❑ Satisfaction des partenaires ❑
Les auteurs suggèrent des séries d’indicateurs pour chaque critère. La sélection
des indicateurs qui permettent d’évaluer chaque critère est un exercice délicat, car
ceux-ci doivent permettre de discriminer entre les différents écarts de performance
et clairement refléter une amélioration ou une détérioration de la performance orga-
nisationnelle. Il faut encore veiller à la fidélité (faible variance d’erreur) et à la vali-
dité des mesures.
Ainsi, il apparaît que la performance organisationnelle est riche de composantes
antinomiques. Elle se présente comme un ensemble de paramètres complémentaires
et parfois contradictoires. Cela se vérifie quand le dirigeant cherche à minimiser les
coûts, tout en veillant par exemple à améliorer la qualité des produits et à maintenir
le moral des salariés : exercice apparemment contradictoire mais pourtant respectant
une certaine logique si l’on recherche simultanément de meilleurs résultats finan-
134
Performance organisationnelle et responsabilité de l’entreprise
135
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
136
Performance organisationnelle et responsabilité de l’entreprise
Valeurs de l’entreprise • Les valeurs de l’entreprise sont clairement affichées (engagements écrits,
charte éthique).
• Des engagements socialement responsables sont fixés et un outil de suivi
est mis en place pour suivre les objectifs (tableau de bord RSE, utilisation
d’indicateurs de mesure).
• L’entreprise informe ses partenaires (clients, fournisseurs, salariés,
associés) au sujet de ses valeurs et engagements (documents de diffusion de
l’information).
La pratique dominante affichée ici consiste à s’engager par écrit, sous forme de
charte éthique notamment, sur des valeurs socialement responsables.
Tableau 9.7 — Pratiques RSE liées aux salariés
Principe directeur Pratiques ou processus RSE
Parties prenantes • Réalité des préoccupations sociales (existence d’une fonction RH reconnue
(salariés) dans l’organigramme).
• Souci de concertation (entretiens individuels, enquêtes de satisfaction des
salariés, journal interne d’entreprise, réunions de service, présence
d’instances de représentation des salariés).
• Souci d’informer sur les projets, les enjeux et les résultats de l’entreprise
(livret d’accueil, procédure d’intégration du nouveau salarié, réunions
d’information et d’échange avec le personnel).
• Développer la formation (bilans de compétences, actions de formation,
actions de promotion interne par la formation).
• Protéger et maintenir l’emploi (travail à temps partiel choisi, actions de
reclassement interne, aide à la reconversion ou à la création d’entreprise en
cas de licenciement).
• Améliorer les conditions de travail (flexibilité du temps de travail, lutte
contre le bruit et autres nuisances, formations de secourisme, actions de
sensibilisation aux risques, affichage des procédures sur les postes à risque).
• Développer une politique salariale (primes ou intéressement aux résultats,
renforcement du régime de prévoyance entreprise, existence d’une mutuelle
santé, dispositif retraite au-delà des obligations légales).
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Les préoccupations liées aux salariés sont majoritairement explicitées dans les
guides. Les entreprises ont bien compris l’avantage qu’elles pouvaient tirer de la
diffusion d’informations sociales au niveau de leur notoriété. Les guides recomman-
dent ainsi aux dirigeants de développer des pratiques sociales en accord avec les
principes RSE : des actions de concertation et de dialogue social, d’information, de
formation, de protection de l’emploi, d’amélioration des conditions de travail (sécu-
rité et qualité), de rémunération et d’avantages sociaux.
137
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Parties prenantes • Suivi de la relation client (enquêtes de satisfaction des clients, rédaction et
(clients) diffusion d’une charte clients).
• Valider la dimension « RSE » du portefeuille clients (collecte de données sur
les critères sociaux, éthiques et environnementaux des clients).
Les pratiques RSE proposées en direction des clients sont peu développées dans
les différents guides. Il y est fait mention principalement du suivi de la relation client
et de l’orientation « RSE » du portefeuille client.
Tableau 9.9 — Pratiques RSE liées aux fournisseurs
Principe directeur Pratiques ou processus RSE
Parties prenantes • Valider la dimension « RSE » des fournisseurs (collecte de données sur les
(fournisseurs) critères éthiques, sociaux et environnementaux des fournisseurs).
• Suivi de la relation fournisseurs (suivi qualité des fournisseurs, cahier des
charges transmis aux fournisseurs, négociations équitables sur les prix et
délais de règlement aux fournisseurs).
À l’instar des clients, les propositions concrètes relatives aux fournisseurs sont peu
développées dans les guides. Il s’agit de vérifier la dimension « RSE » des fournis-
seurs et de maintenir la qualité des relations avec les fournisseurs.
Tableau 9.10 — Pratiques liées à la communauté (environnement)
Principe directeur Pratiques ou processus RSE
Parties prenantes L’entreprise a le souci d’aider le tissu économique et social local (existence d’un
(communauté- budget alloué aux actions locales, recrutements locaux, choix de fournisseurs
implication sociétale) locaux, aider à l’engagement des collaborateurs dans des associations locales,
mise à disposition de matériel ou infrastructures appartenant à l’entreprise,
aides financières à la création d’entreprises, dons/mécénat/sponsoring pour
des actions locales).
Un certain nombre d’actions sont proposées pour mieux ancrer l’entreprise dans sa
zone d’implantation et faire en sorte que son environnement proche bénéficie de sa
présence. Les retombées « économiques » pour l’environnement de proximité sont
déclinées sous forme d’aides matérielles financières et humaines pour la zone d’acti-
vité.
Tableau 9.12 — Pratiques RSE liées à la performance
Principe directeur Pratiques ou processus RSE
meilleure concertation avec les parties prenantes apparaissent encore comme des
gages de meilleure performance.
Que l’on retienne l’approche de la Global Reporting Initiative ou la loi sur les
nouvelles régulations économiques de 2001, la représentation de la RSE conduit à
étudier les actions des entreprises selon quatre domaines :
– environnemental (impact local de l’entreprise) ;
– économique (gouvernance, pratiques commerciales…) ;
139
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Évaluation Évaluation
Consommations de ressources ❑ Vision et stratégie de la firme ❑
Respect de l’environnement Gouvernance et Systèmes de gestion ❑
et efforts de la firme ❑ Pratiques commerciales ❑
Évaluation Évaluation
Pratiques sociales ❑ Responsabilité des produits et éthique ❑
Droits de l’Homme ❑ Engagements envers les parties prenantes ❑
140
Performance organisationnelle et responsabilité de l’entreprise
141
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
– dans une vision procédurale, la RSE est utilisée comme un levier de dynamique,
elle se rapproche des principes de la gestion par les processus tout en mettant
l’accent sur quelques processus clés. Une telle démarche accroît la dynamique
interne et permet d’associer les salariés à la stratégie RSE, de lancer des chantiers.
Elle fait par exemple de la certification, de l’écoconception, de la promotion de la
diversité ;
– dans une vision globale, la RSE est un processus de redéfinition de la vocation et
de la finalité de l’entreprise, plus en accord avec les nouvelles contraintes envi-
ronnementales et les nouvelles attentes des parties prenantes : la performance est
alors le fruit d’une co-construction sociale entre l’entreprise et ses parties prenan-
tes. D’un point de vue pratique, la RSE devient un objectif de gestion, une
réponse légitime aux attentes des partenaires. L’approche globale permet de défi-
nir des pistes d’amélioration, de repérer des opportunités et de prévenir des
risques financiers et médiatiques notamment.
Conclusion
L’étude des modèles de performance permet de mieux comprendre les attitudes managé-
riales face à la RSE. Le modèle que nous proposons ci-dessus permet de définir des
comportements types qui reflètent des postures mécanistes, cosmétiques, processuelles ou
engagées.
Nous avons constaté qu’il existe une grande hétérogénéité des pratiques en matière de
RSE. La richesse du concept de RSE permet des interprétations multiples et par consé-
quent une grande diversité d’actions. Tous les managers n’ont pas la même perception de
ce que recouvre la RSE, ce qui explique les débats et les conflits d’intérêts autour du
concept. Il est par ailleurs difficile d’être en bonne position sur toutes les dimensions à la
fois. Mais quand elle se limite à la stricte application des textes réglementaires, la RSE est
déséquilibrée et le concept s’appauvrit.
La RSE force les décideurs à s’interroger sur les pratiques sociales, sur la finalité réelle de
l’entreprise, sur la tension entre l’économique et le social, sur la légitimité des décisions et
des actions.
La RSE peut ainsi devenir une opportunité. En anticipant des contraintes ou en prévenant
des risques (sociaux, écologiques, juridiques), en réduisant les coûts liés à la consomma-
tion de certaines ressources, en augmentant son niveau de qualité de service, en différen-
ciant son offre sur le marché et en améliorant sa notoriété, les entreprises ne prennent
qu’un risque : celui d’augmenter globalement leur performance économique et financière.
142
Chapitre La gouvernance
d’entreprise et le
10 développement
durable
Denyse REMILLARD
L a gouvernance est un thème qui a fait couler beaucoup d’encre ces dernières
années 1. D’abord revendiquée par les grands investisseurs institutionnels, la
gouvernance est devenue, au fil du temps, un champ d’étude qui rallie bien
plus que les acteurs sur les marchés financiers. Il suffit d’observer les nombreuses
situations de conflits d’intérêt auxquelles s’ajoutent les pressions qui s’exercent de
toutes parts sur les décideurs dans les entreprises pour mesurer l’ampleur du phéno-
mène. Au fil du temps, la gouvernance est devenue un enjeu de grande importance
pour les équipes dirigeantes et l’ensemble des parties prenantes.
L’angle théorique privilégié pour l’étude de la gouvernance d’entreprise est celui
du contrôle et de la surveillance (Fama & Jensen, 1983 a et b). Dans cette optique,
une saine gouvernance implique la mise en place d’instances de surveillance et de
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
mécanismes de contrôle afin d’éviter les dérives des équipes dirigeantes et assurer la
protection des intérêts des actionnaires. Cette perspective « disciplinaire-
actionnariale » de la gouvernance (Charreaux, 2006) a donné lieu ces dernières
années à l’élaboration d’un ensemble de directives touchant la composition et le
fonctionnement des conseils d’administration et de ses comités spécialisés. Elle a
aussi justifié la mise en place d’une réglementation plus sévère à l’endroit des entre-
prises inscrites sur les marchés financiers.
1. Selon une étude de Enrione, Mazza et Zerboni, une requête avec le terme corporate governance
dans la BDDEBSCO Business Première, sur la période 1900 à juillet 2005, proposent 12 014 arti-
cles. Sur cela, deux tiers des articles sont apparus depuis la débâcle d’Enron en octobre 2001.
143
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Au-delà des changements visant une meilleure protection des intérêts des action-
naires, l’évolution de la gouvernance a aussi été alimentée par une réflexion sur
l’objectif de l’entreprise, notamment sur sa responsabilité sociale. La théorie des
stakeholders (Freeman, 1984) a grandement contribué à cette évolution, du fait
qu’elle amène une réflexion fondamentale sur la prédominance des intérêts des
actionnaires par rapport à ceux des autres parties prenantes.
Le régime de gouvernance actionnarial, fondé sur une vision contractualiste de la
firme (Jensen & Meckling, 1976) est construit sur l’objectif de maximisation de la
valeur des actionnaires. Dans cette perspective, la finalité de la gouvernance consiste
essentiellement à protéger les intérêts des actionnaires. Dans l’approche stakehol-
der, l’objectif de la gouvernance s’élargit et il s’étend désormais à la prise en compte
des intérêts des principales parties prenantes dans les décisions stratégiques des
entreprises. Ces deux approches ont longtemps été en opposition étant donné la diffi-
culté de satisfaire les intérêts des parties prenantes et les exigences financières des
actionnaires, cependant elles semblent enfin conciliées à travers le développement
durable. En effet, les trois piliers du développement durable que sont les considéra-
tions économiques, sociales et environnementales favorisent la prise en compte de
l’objectif financier de l’actionnaire tout en assurant le bien-être à long terme des
parties prenantes. Avec le développement durable, l’objectif de l’entreprise demeure
la création de la valeur à long terme, mais sa réalisation passe également par un
régime de croissance durable et équitable envers les parties prenantes. C’est en ce
sens que les questions liées à la gouvernance d’entreprise rejoignent celles liées à la
problématique du développement durable.
Dans ce chapitre, nous allons présenter succinctement l’évolution connue par la
gouvernance d’entreprise et discuterons de ses articulations avec le développement
durable. Nous traiterons ensuite des rôles et responsabilités des administrateurs et
des dirigeants ainsi que des principes de saine gouvernance au sein des entreprises
leaders en développement durable. Enfin, nous illustrerons brièvement cette évolu-
tion avec le cas de la compagnie Cascades Inc., leader dans la fabrication, la trans-
formation et la commercialisation de produits d’emballage et de papier tissu.
144
La gouvernance d’entreprise et le développement durable
1. La firme à contrôle managérial est caractérisée par la séparation de la propriété et du contrôle. Les
actionnaires, détenteurs du contrôle, sont en grand nombre et sont dispersés ils ne sont pas alors en
mesure de surveiller les conduites des dirigeants dans l’entreprise. Dans de telles circonstances, le
contrôle de fait résidera entre les mains des dirigeants (Berle et Means, 1932).
145
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
il devrait laisser suffisamment de latitude aux dirigeants pour qu’ils puissent assu-
mer leurs responsabilités en fonction des contingences. Par exemple, les administra-
teurs ont la responsabilité de mettre en place des mécanismes de contrôle pour
surveiller l’évolution financière de l’entreprise mais il n’est pas de leur ressort de
décider de la manière dont doit opérer l’entreprise au quotidien pour atteindre ces
mêmes résultats.
– Optimisation des performances des sociétés et de retour sur investissement pour les
actionnaires ;
– Responsabilité du directeur ;
– Transparence des informations concernant la société ;
– Un vote par action ;
– Documents pour les procurations ;
– Adoption d’un code des meilleures pratiques ;
– Vision stratégique à long terme ;
– Accès des actionnaires à la nomination des directeurs.
La caisse de retraite est très active auprès des entreprises dans lesquelles elle
détient une participation financière et elle n’hésitera pas à dénoncer publiquement
les entreprises qui ont des conduites non conformes à ses principes. À titre d’illus-
tration, elle publie annuellement une focus list identifiant les entreprises les moins
exemplaires en matière de gouvernance 1. Cette liste présente brièvement les entre-
prises en défaut et les reproches qui lui sont adressés. En 2009, la focus list ciblait
quatre grandes entreprises ayant sous-performé financièrement et dont les pratiques
de gouvernance ne respectaient pas les désirs et recommandations de l’investisseur.
D’après une étude récente menée par Andrew Junkin (2009) les initiatives de
CalPERS depuis 1987 ont porté leurs fruits. L’activisme de l’investisseur s’est
traduit par une amélioration notable du rendement pour les investisseurs 2 et les
droits des actionnaires sont davantage respectés par les équipes dirigeantes.
L’activisme des investisseurs institutionnels – appelé également activisme action-
narial – a favorisé un meilleur équilibre des pouvoirs entre les équipes dirigeantes
dans les grandes entreprises et les actionnaires/investisseurs en général. Il a contri-
bué à asseoir la légitimité des revendications de l’actionnaire au sein des grandes
entreprises cotées. Au Québec, dans les années quatre-vingt-dix, cette nouvelle
vague a ouvert la voie à un activisme accru des petits actionnaires, notamment
auprès des grandes banques canadiennes. Monsieur Yves Michaud, bien connu sous
le nom de « Robin des banques », avait alors mené une croisade auprès des grandes
banques canadiennes afin d’obtenir l’autorisation de voter dans les assemblées
annuelles d’actionnaires. Depuis ce temps, les petits porteurs, représentés par l’asso-
ciation de protection des épargnants et des investisseurs du Québec (APÉIQ) désor-
mais appelée la Médac (Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires),
peuvent plus aisément faire valoir leurs voix auprès des grands groupes cotés. Par
exemple, en 2009, les petits actionnaires ont obtenu un droit de parole - qu’ils
peuvent exercer via un vote consultatif - sur la rémunération des dirigeants des gran-
des banques canadiennes et de certaines entreprises cotées (BCE, Manuvie, la Sun
Life et Telus). Sur réception du rapport du comité de rémunération, ils peuvent
désormais exprimer leur accord ou leur désaccord avec les salaires payés aux diri-
geants. Cette possibilité constitue une avancée importante pour les petits porteurs et
montre une évolution quant à la prise en compte de leurs droits par les équipes diri-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
geantes.
L’activisme actionnarial a grandement contribué à l’amélioration de la qualité de
la gouvernance dans les grandes entreprises, mais cette forme d’autorégulation, de la
part des acteurs sur les marchés financiers, n’a pas pu, à elle seule, régler tous les
problèmes de gouvernance. De toute évidence, ces améliorations n’ont pas permis
d’éviter les scandales et les fraudes apparus au début des années 2000 – affaires
1. Pour consulter l’inventaire des codes de conduite des différents pays, le lecteur est invité à consulter
le site Internet d’ECGI à l’adresse suivante : http://www.ecgi.org/codes/all_codes.php
2. Sarbanes-Oxley Act of 2002, 30 juillet 2002, H.R. 3763.
3. http://www.tmx.com/fr/pdf/NI58-101_DisclosureOfCGPractices_Apr15-05.pdf, http://www.lauto-
rite.qc.ca/userfiles/File/reglementation/valeurs-mobilieres/autres-reglements-texte-vigueur/infor-
mation-continue/58-201IGfr.pdf
148
La gouvernance d’entreprise et le développement durable
149
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Qui dit bonne gouvernance dit forcément transparence, dialogue stratégique, inté-
grité et reddition des comptes. Une bonne gouvernance implique donc, entre autres,
des instances de surveillance composées d’administrateurs avisés, compétents, intè-
gres et loyaux. En tant que principales instances de gouvernance, le conseil d’admi-
nistration et ses divers comités spécialisés ont fait l’objet d’une attention soutenue
ces dernières années.
1 Les rôles du CA
150
La gouvernance d’entreprise et le développement durable
l’on prend la taille moyenne des conseils d’administration des 50 plus grandes entre-
prises québécoises ouvertes en 2007, elle est actuellement de 11 membres 1. La taille
du conseil est généralement reliée au chiffre d’affaires de l’entreprise.
Deuxièmement, un conseil d’administration doit être composé d’un nombre suffi-
samment élevé d’administrateurs indépendants pour être en mesure d’exercer ses
responsabilités fiduciaires et disciplinaires à l’égard de l’équipe dirigeante. En géné-
ral, si l’on se réfère aux recommandations contenues dans les lignes directrices en
matière de gouvernance, le conseil d’administration devrait être composé d’une
majorité d’administrateurs indépendants, de manière à ce qu’ils puissent porter un
jugement objectif et impartial vis-à-vis de l’équipe de direction. Il est à noter cepen-
dant que l’indépendance ne doit pas être le seul attribut d’un administrateur et d’un
conseil d’administration.
Comme le précisent Allaire et Firsirotu (2003), si nous souhaitons mettre en place
un système de gouvernance créateur de valeur, un administrateur devrait posséder
deux principaux attributs : la légitimité et la crédibilité.
« En fait, des mandants légitimes et crédibles constituent une condition sine qua
non – une condition nécessaire, mais non suffisante – de la gouverne de création
de valeur (…)Malheureusement, on commet trop souvent l’erreur, dans le débat
sur la gouvernance, de laisser tomber les éléments de légitimité et de crédibilité,
et de mettre plutôt l’accent sur l’indépendance des administrateurs (…) » (ibid,
p. 18).
L’indépendance ne garantit pas à elle seule la légitimité mais elle la complète. En
plus d’être indépendant, l’administrateur légitime aura à cœur la défense des intérêts
des actionnaires et la performance durable de l’entreprise. Ses motivations seront
nobles et il sera en mesure d’engager et de soutenir un dialogue stratégique avec les
dirigeants.
Afin d’assumer correctement son rôle, l’administrateur doit aussi être crédible et
pour ce faire, « l’administrateur doit investir du temps pour bien saisir les enjeux
stratégiques et concurrentiels de l’entreprise, les sources de sa valeur économique, la
qualité de son leadership à divers niveaux, ses valeurs de gestion, les principaux
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
facteurs qui dictent la valeur de ses actions et ainsi de suite » (ibid, p. 21). Ces attri-
buts permettent aux administrateurs de jouer leur rôle conseil et de contribuer de
manière constructive à la stratégie de l’entreprise.
1. Dans « Les pratiques et tendances dans l’organisation et la rémunération des conseils d’administra-
tion des 50 plus importantes entreprises au Québec », p. 7.
151
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Ricart, Rodriguez et Sanchez (2005). Cette étude propose une analyse de la gouver-
nance de 18 grandes sociétés cotées reconnues comme des leaders par le Dow Jones
Sustainability World Indexes (DJSI).
D’après les résultats obtenus, voici les grands changements apparus ces dernières
années dans les systèmes de gouvernance de ces entreprises en réponse aux nouvel-
les prérogatives du développement durable.
– La référence à des valeurs : l’évolution amenée par le développement durable
provoque des changements fondamentaux qui se reflètent dans les discours des
entreprises et dans les valeurs qu’elles véhiculent. Partant de ce constat, les
auteurs relèvent, à partir des discours officiels des grandes entreprises leaders en
DD, les termes : « durabilité », « responsabilité » et « intégrité ». Ces valeurs se
transposent notamment dans les codes de conduite à l’interne et dans les grandes
politiques d’approvisionnement à l’externe.
– La composition des conseils d’administration : une entreprise engagée dans le
développement durable devrait avoir des administrateurs avisés et compétents en
la matière. L’étude rapporte que dans les grandes entreprises leaders en DD, tous
les administrateurs ont une bonne maîtrise des connaissances en DD et ils sont en
mesure de discuter et de débattre de questions de DD avec compétence. Pour
certains conseils d’administration, les administrateurs ont eu droit à une forma-
tion en DD.
Également, avec un nouveau modèle de croissance axé sur le DD, il y a lieu de
revoir les tableaux de bord de gestion afin d’y intégrer de nouveaux indicateurs.
Ricart, Rodriguez & Sanchez (2005) font remarquer que, sur ce dernier point, il
manque actuellement d’indicateurs pour rendre compte des performances de
l’entreprise à l’égard de facteurs intangibles propres au DD. L’élaboration de
nouveaux tableaux de bord DD sera certainement un défi pour de nombreuses
entreprises ces prochaines années.
– Des structures de gouvernance propre au DD : dans les entreprises recensées
dans l’étude, la plupart (10/18) dispose d’un comité spécialisé en DD. Plus de la
moitié d’entre eux est composée exclusivement d’administrateurs externes alors
que l’autre moitié est composée de membres de la haute direction. Certaines
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
entreprises (7/18) traitent plutôt des questions de DD à l’intérieur des activités des
comités existants en assignant ou non un administrateur spécifiquement à cette
responsabilité. Le changement de structure pour y ajouter un comité spécial en
DD apparaît comme un élément fondamental contribuant à l’intégration du DD
dans la stratégie de l’entreprise. Dans les grandes entreprises étudiées, les comités
de DD se rencontrent entre deux à quatre fois par année et des dispositifs de trans-
mission de l’information avec le conseil sont établis. Dans tous les cas, il n’est pas
tout d’avoir des structures en place, aussi faut-il avoir des procédures qui permet-
tent de discuter formellement des enjeux liés au DD dans la stratégie et les prati-
ques de l’entreprise. À cet égard, dans les entreprises étudiées, les discussions et
débats entourant les orientations stratégiques et les politiques en matière de DD
ont lieu au conseil d’administration à raison d’une fréquence moyenne de deux à
153
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
quatre fois par année. Certaines entreprises disent recourir à un expert externe
lorsque nécessaire.
– Le dialogue avec les parties prenantes : de cette étude, il ressort également que
les entreprises leaders en DD sont nettement plus ouvertes au dialogue avec les
parties prenantes. Plus de 50 % d’entre elles, disent être influencées par les inté-
rêts de ces dernières lors de décisions stratégiques. Parmi les parties prenantes
citées, les actionnaires arrivent en premier lieu (100 % des répondants) mais la
plupart considèrent fortement les communautés locales (94 %), les gouverne-
ments (83 %), les fournisseurs et les syndicats (61 %) ainsi que les ONG, les
groupes d’intérêts et les médias (plus de 50 %) dans leur prise de décision. Des
mécanismes formels tels des rencontres ponctuelles – via des réunions ou tout
autres formes de forum - des panels de parties prenantes, ainsi que des vecteurs de
communication spécifiques – via Internet, intranet, notamment – sont mobilisés
afin de maintenir le dialogue.
1. Monsieur Martin Pelletin, outre sa formation première, ingénieur et PhD, est également administra-
teur d’une entreprise de haute technologie dans le domaine du recyclage du gaz carbonique.
155
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Conclusion
En conclusion, nous avons assisté, depuis un certain nombre d’années, à une évolution
substantielle des systèmes de gouvernance des entreprises cotées. Ces changements se sont
d’abord produits en réaction aux pressions des grands investisseurs institutionnels et
actionnaires, mais ils se poursuivent actuellement afin de répondre aux nouvelles revendi-
cations des autres parties prenantes et prérogatives du DD. À travers l’adaptation qu’ont
connue les structures et pratiques de gouvernance de grandes entreprises cotées, nous
avons pu illustrer comment s’implantent graduellement les considérations environnemen-
tales, sociales et économiques dans les entreprises. À plus petite échelle, l’entreprise
québécoise Cascades a servi d’exemple pour rendre compte de cette évolution. L’entre-
prise se conforme aux grandes lignes directrices en matière de gouvernance et elle a aussi
adapté son « système de pilotage » au développement durable. Ces changements sont très
encourageants et ils démontrent une ouverture de la part des équipes dirigeantes à s’adap-
ter aux nouvelles réalités du DD.
156
Le développe-
Partie ment durable :
un paradigme
3appliqué à
la gestion
comme étant une réponse consensuelle aux nouvelles attentes de la sphère politique
ou de la société civile en termes de protection de l’environnement, de valeurs, d’éthi-
que… Dans ce onzième chapitre, les principaux référentiels normatifs en faveur du
management durable sont présentés : notamment, le guide français SD 21000 pour
la prise en compte des enjeux de DD dans la stratégie et le management de l’entre-
prise.
Par ailleurs, il apparaît que même parmi les entreprises les plus avancées en
matière de DD, le marketing fait historiquement figure de « zone floue ». Les
rapports de DD donnent, par exemple, encore peu d’informations sur la façon dont la
politique générale de l’entreprise s’applique au marketing. Ainsi, l’auteure de ce
douzième chapitre, Élisabeth LAVILLE, fait le point sur les nouvelles attentes des
consommateurs en termes de marketing – bilan des opportunités et risques
157
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
158
Chapitre Du concept de
développement durable
11 à la notion de
management durable
Dominique WOLFF
159
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Exemple
La découverte d’irrégularités dans la comptabilité de la société Enron a provoqué la chute
vertigineuse de son cours le mardi 16 octobre 2001. De 85 dollars US, l’action est passée à 26
cents conduisant à la faillite de cette compagnie en moins de deux mois. Le cabinet Arthur
Andersen, qui certifiait les comptes de la compagnie, depuis plusieurs années, fit l’objet d’une
enquête de la Securities Exchange Commission (SE, Commission de sécurité des échanges
boursiers US) ; ce fut également le cas de plusieurs dirigeants d’Enron ayant dissimulé des
pertes et des dettes dans la comptabilité de cette compagnie.
Source : « Enron : faillite spectaculaire du courtier en énergie américain », www.novethic.fr
160
Du concept de développement durable…
L’influence des ONG est devenue plus prégnante dans notre société. Cette
nouvelle réalité s’explique, pour partie, par le désenchantement progressif des
citoyens face au manque d’initiatives et aux difficultés à retranscrire en actes les
décisions politiques prises au niveau international. Par ailleurs, ces dernières années,
les ONG ont su également faire évoluer leurs modes d’action. D’une logique pure-
ment radicale, comme c’est encore le cas pour Greenpeace - dénonciations retentis-
santes, appels à boycott, etc. – certaines d’entre elles – comme le WWF (cf. exemple
suivant) – ont choisi le dialogue et l’engagement auprès des décideurs économiques.
Exemple
Partenaire historique, Carrefour est engagé aux côtés du WWF depuis 1998. Cette collabora-
tion a débuté autour des enjeux de la protection des forêts notamment avec la promotion du
bois FSC (label garantissant une gestion des forêts respectueuse de l’homme et de la nature) et
s’est étendue rapidement à d’autres sujets : arrêt des sacs de caisse jetables, sensibilisation des
clients aux achats responsables, et surtout un travail de fond sur l’amélioration de certaines
filières d’approvisionnement : produits de la mer, huile de palme, soja, pesticides, emballages,
papier, fruits et légumes…
Source : www.wwf.fr/partenariats-entreprises/nos-partenariats-strategiques/carrefour
Toutes ces nouvelles contraintes pèsent de manière grandissante sur les modes de
gestion et les types de gouvernance des entreprises. Comme cela a été évoqué précé-
demment, par contrainte ou par opportunité, les modes de management des entrepri-
ses ont dû s’adapter pour tenir compte du concept de développement durable envers
lequel la société civile est de plus en plus sensible. De nombreux dirigeants d’entre-
prise l’ont bien compris. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler l’engouement
partagé par l’ensemble des firmes multinationales à ratifier le Global Compact,
proposé par Kofi Annan, à l’époque, secrétaire général de l’ONU. Début 2010, plus
de 7 700 chefs d’entreprises, parmi les plus puissants, et autres parties prenantes et
ce dans plus de 130 pays, se sont engagés autour du Global Compact. En quelques
mots, il s’agit d’un engagement contractuel par lequel des entreprises promettent de
respecter dix principes universellement acceptés touchant aux droits de l’homme,
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Droits de l’homme
1. Les entreprises sont invitées à promouvoir et à respecter la protection du droit interna-
tional relatif aux droits de l’Homme dans leur sphère d’influence ;
2. À veiller à ce que leurs propres compagnies ne se rendent pas complices de violations
des droits de l’Homme.
☞
161
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
☞
Droit du travail
3. Les entreprises sont invitées à respecter la liberté d’association et à reconnaître le droit
de négociation collective ;
4. L’élimination de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire ;
5. L’abolition effective du travail des enfants ;
6. L’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession.
Environnement
7. Les entreprises sont invitées à appliquer l’approche de précaution face aux problèmes
touchant l’environnement ;
8. À entreprendre des initiatives tendant à promouvoir une plus grande responsabilité en
matière d’environnement ;
9. À favoriser la mise au point et la diffusion de technologies respectueuses de l’environne-
ment.
Lutte contre la corruption
10. Les entreprises sont invitées à agir contre la corruption sous toutes ses formes, y
compris l’extorsion de fonds et les pots-de-vin.
Source : www.unglobalcompact.org/Languages/french/dix_principes.html
Actuellement, pour faire suite à cette réussite, les Nations unies (ONU) s’attachent
à instaurer des principes pour les investissements responsables – notés PRI. Le
27 avril 2006, l’ONU a demandé aux fonds de pensions, assurances et institution-
nels publics de ratifier les PRI afin de les encourager à prendre systématiquement en
compte les problématiques environnementales, sociales et de bonne gouvernance –
notées ESG – pour l’évaluation des risques et opportunités de leurs placements
financiers. À l’origine, cette initiative a pour ambition de permettre aux entreprises
qui ont fait l’effort nécessaire, en prenant en compte les principes de responsabilité
sociale de l’entreprise (RSE) dans leurs modes de gestion, d’être valorisées en
conséquence par la communauté financière. Également, ces principes promouvant
les investissements responsables ont pour finalité de généraliser la prise en comptes
de critères extra-financiers dans les arbitrages financiers et/ou boursiers au-delà du
seul créneau de la finance socialement responsable.
Enfin, l’engagement des fonds de pension dans ce que l’on appelle l’activisme
actionnarial a continué d’accompagner le changement de comportement des entre-
prises sur les questions liées à l’environnement, le social et le type de gouvernance.
Lorsqu’on parle d’activisme actionnarial, il s’agit en réalité d’exercer systématique-
ment les droits associés à la qualité d’actionnaire – dépôts de résolutions, droits de
votes – afin de faire évoluer le comportement des sociétés cotées. Ces dernières
années, l’engagement actionnarial a pris une ampleur considérable dans les pays
anglo-saxons. Actuellement, les thématiques les plus sensibles sont relatives aux
droits de l’homme, au réchauffement climatique et aux questions liées à la gouver-
nance d’entreprise.
162
Du concept de développement durable…
De ce premier bilan, il semble que l’on soit entré dans une nouvelle ère du mana-
gement. En effet, en liant court terme et long terme, action citoyenne, politique
publique et entrepreneuriale, le DD apparaît comme une évolution de notre projet de
société mettant au centre de nos préoccupations la notion de RSE. Sur ce point,
l’exemple de Nike est tout à fait significatif.
Malgré un dynamisme économique exceptionnel aux États-Unis, lors de la période
1990-2000, la société Nike vit son chiffre d’affaires diminuer de 10 % et le cours de
son action fortement menacé, passant de 76 $ à moins de 28 $, entre 1997 et 2000
(Mauléon & Wolff, 2005).
Tableau 11.1
1997 1998 1999 2000
Sur cette période, Nike fit l’objet de campagnes de protestations de la part d’ONG
et de mouvements universitaires récusant les pratiques sociales douteuses des sous-
traitants de cette compagnie. Dans un premier temps, les dirigeants de Nike ont
préféré ignorer les critiques, considérant que vérifier les conditions de travail de la
sous-traitance n’était pas de leur responsabilité. D’un point de vue strictement juri-
dique, Nike était dans son « bon droit », toutefois, du point de vue de l’opinion
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
163
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Ainsi, la première disposition prise par Nike consista à réécrire le code de bonne
conduite « fournisseurs » datant de 1992 pour qu’il puisse servir de base à un enga-
gement contractuel. Globalement, cette charte oblige les sous-traitants à respecter
les principales recommandations de l’Organisation internationale du travail (OIT).
Afin de rassurer l’opinion publique, des audits « fournisseurs » furent réalisés et ces
rapports d’audits furent par la suite publiés : Nike est la première compagnie à
publier – depuis le rapport de RSE 2006 – la liste complète et les coordonnées de
tous ses sous-traitants.
Outre cette communication basée sur la transparence, Nike a également souhaité
techniquement repenser ses produits pour qu’ils soient plus respectueux de l’envi-
ronnement – notamment grâce à l’analyse du cycle de vie des produits (cf. chapitre
n˚ 14). En pratiquant de la sorte, Nike a pu diminuer ses coûts et gagner en compéti-
tivité. Au total, ces différentes initiatives ont offert un axe de communication supplé-
mentaire à Nike, répondant aux attentes d’une nouvelle tranche de consommateurs
très sensibles aux problèmes environnementaux et ce, en toute cohérence avec
l’image d’entreprise innovante cultivée par ladite marque (Mauléon & Wolff, 2005).
À la vue de cet exemple, nous pouvons dire qu’un certain nombre de firmes a doré-
navant compris que la notion de DD pouvait présenter une nouvelle forme de coor-
dination, un nouveau corpus de valeurs, susceptibles de compenser les divergences
entre d’une part, les attentes et préoccupations des parties prenantes et d’autre part,
la logique économique et financière des marchés. Certaines d’entre elles ont trouvé,
notamment dans la notion de RSE, un cadre de réflexion idéal, un référentiel huma-
niste, permettant de pallier l’asymétrie d’intérêts entre les différentes attentes des
parties prenantes et les règles de marché.
Ces dernières années, bon nombre de firmes ont pris conscience que leur responsa-
bilité ne s’arrêtait pas à la seule défense des intérêts de leurs propres actionnaires.
Toutefois, même si la prise de conscience semble être de mise, il n’en demeure pas
moins que la superposition de nouvelles approches et de référentiels pour un mana-
gement responsable, mis actuellement à la disposition des entreprises, a paradoxale-
ment tendance à entretenir le flou sur ce que nous pourrions appeler le management
durable. Qu’ils soient du registre privé, comme ce fut le cas pour le World Business
Concil of Sustainable Development (WBCSD) et la Global Reporting Initiative
(GRI), ou relatives à la contribution d’organismes de normalisation comme l’Inter-
national Standardization Intitute (ISO), ces dernières années, les guides et référen-
tiels attitrés au développement durable et à la manière d’intégrer les principes de
RSE ont fleuri un peu partout à travers le monde (cf. figure 11.1).
164
Du concept de développement durable…
14000. Après quelques années de recul, il semble que la certification ISO 14001 soit
devenue un standard international à qui on prédit un même niveau de réussite que
celui de sa consœur ISO 9001 : actuellement plus de 950 000 sociétés à travers le
monde sont certifiées ISO 9001 et quelque 155 000 entreprises certifiées ISO 14001
(ISO, 2008). Outre son rôle environnemental, en validant la qualité des procédures
internes de management, elle est devenue un gage de compétitivité pour l’entreprise,
un atout incontestable pour l’obtention de marchés publics et, également, le passe-
port incontournable pour bon nombre de sous-traitants voulant travailler avec des
firmes industrielles internationales. Ainsi, on ne sera pas étonné d’apprendre que le
nombre de sociétés certifiées ISO 14001 croit actuellement de plus de 30 % chaque
année (cf. figure 11.2).
Figure 11.2 — Évolution du nombre de sociétés certifiées ISO 14001 dans le monde
Cette demande de plus en plus forte d’un référentiel commun pour un manage-
ment durable mérite, pour autant, réflexion.
En effet, comme pour toute innovation technologique majeure, le management
durable est actuellement dans une phase d’émergence caractérisée par la cohabita-
tion de référentiels – nous parlerions de standards pour l’industrie – souvent concur-
rents, difficilement complémentaires et, dans tous les cas, souffrant d’un manque de
notoriété pour devenir la référence au niveau international. Par ailleurs, les quelques
documents précédemment présentés, même s’ils ont pour avantage de combler le
manque de repères légaux, lorsqu’il s’agit d’intégrer des pratiques responsables au
management de l’entreprise, proposent tous une vision segmentée du management
durable piloté autour des obligations légales : proposer des outils pour une politique
sociale ou pour une politique environnementale et non les deux.
166
Du concept de développement durable…
Pour répondre à ce constat, d’autres guides plus globaux ont été développés à
l’instar du plus ancien d’entre eux – le Guideline de la Global Reporting Initiative.
La GRI est une institution internationale privée soutenue par l’ONU, composée de
firmes multinationales, d’ONG et de chercheurs, qui a développé des lignes directri-
ces et des indicateurs adaptés aux entreprises afin qu’elles puissent rendre compte de
leurs performances économiques, environnementales et sociales. Actuellement, le
Guideline GRI G3 (G3 pour 3e édition) est devenu un standard international qui,
d’une part a su homogénéiser le contenu des rapports DD et d’autre part, a permis
une amélioration sensible de la précision et de la validité des indicateurs habituelle-
ment utilisés par les firmes multinationales. Outre son intérêt pour la retranscription
des efforts menés par les entreprises en termes de DD, les lignes directrices de la
GRI sont pour beaucoup dans l’amélioration de la qualité globale de la communica-
tion des entreprises à l’attention de leurs parties prenantes. Enfin, ce guide, en stan-
dardisant le contenu des rapports DD, a simplifié la comparaison des situations
sociales et/ou environnementales et a, indirectement, permis de récompenser et donc
encourager les bonnes pratiques.
Enfin, d’autres textes normatifs, comme le référentiel Sigma 1, pour la Grande
Bretagne, le fascicule de documentation SD 21000, en France, ou encore la norme
ISO 26000 – en cours de validation – furent développés afin d’appréhender le mana-
gement durable dans sa globalité.
1 L’approche SD 21000
1. Le référentiel Sigma a été développé par The British Standard Institute, l’organisme national de
normalisation en Grande Bretagne.
167
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
2 La méthodologie SD 21000
Le guide SD 21000 est construit sur la base d’un cadre d’auto-évaluation permet-
tant à l’entreprise :
– de prendre conscience de la variété et de l’importance des enjeux concernés par le
développement durable ;
– d’identifier et déterminer son niveau de performance sur chacun des enjeux –
échelle de Likert à 5 niveaux ;
– d’identifier les parties prenantes – notées PP – par enjeux afin de se rendre compte
de la qualité des relations qu’elle entretient avec ces dernières ;
– d’engager des actions correctives permettant d’accompagner la stratégie DD de
l’entreprise selon une logique d’amélioration continue.
168
Du concept de développement durable…
Cette méthodologie comporte trois étapes principales : un travail sur les enjeux
liés au DD appliqué à l’entreprise ; un audit des parties prenantes ; puis une hiérar-
chisation des enjeux proprement dits.
169
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Pour chacun de ces enjeux, d’une part, l’entreprise doit déterminer son niveau de
performance, relativement, par exemple, aux informations sectorielles disponibles,
ou à un échelonnage des meilleures pratiques sur une échelle de valeur allant de 1 à
5, comme spécifié dans le tableau 11.2. D’autre part, il est également préconisé
d’évaluer le niveau d’importance de chacun de ces enjeux relativement à la péren-
nité de l’activité de l’entreprise – selon une seconde échelle de valeur. Enfin, il
faudra que l’entreprise liste toutes les parties prenantes directement ou indirecte-
ment impliquées dans cet enjeu. En fonction de cette dernière information, l’entre-
prise sera en mesure de corriger le niveau d’importance de l’enjeu précédemment
établi (noté Ic). Pour exemple, si une entreprise X considère les questions de gouver-
nance comme mineures et qu’elle attribue à cet enjeu une note d’« importance » de
type I = 1 sur 4, et que pour autant à la fin de l’audit elle s’aperçoit qu’une vingtaine
de parties prenantes est concernée par les questions de gouvernance, il serait alors
conseillé de réévaluer la note d’importance dudit enjeu de telle sorte que I corrigée
(notée Ic) soit égale par exemple à 2 sur 4.
170
Du concept de développement durable…
Enfin, de manière identique, il faudra repérer les enjeux directement concernés par
telle ou telle partie prenante. Sur ce dernier point, il est également possible de corri-
ger le niveau d’importance des parties prenantes relativement aux enjeux – noté Ipc
– c’est-à-dire, la note Ip corrigée du nombre d’enjeux liés à une partie prenante
donnée (cf. tableau 11.4).
Tableau 11.4 — Importance corrigée des PP
Importance initiale d’une PP Importance corrigée de
Nb d’enjeux lié à cette PP
(Ip = 2) ladite PP (notée Ipc)
2 0–7 1
2 8 – 14 2
2 15 – 22 3
2 23 – 27 4
2 28 – 34 5
Source : FD X30-021.
Source : FD X30-021.
manière globale et rapide, les futurs axes de progrès potentiel pour l’organisation :
repérés par les surfaces grisées « Réagir » et « Agir ».
Toutefois, il est important de remarquer que cette lecture directe des enjeux priori-
taires ne prend que partiellement en compte la question centrale des parties prenan-
tes. Il sera donc nécessaire d’effectuer une cartographie, selon les mêmes principes,
pour les critères « importances corrigées des PP » et « qualité de la relation de
l’entreprise avec ses PP » pour avoir une connaissance précise des problématiques et
de la manière de mener les actions correctives (cf. figure 11.4).
Source : FD X30-021.
Il faudra également identifier les interactions croisées entre chacun des enjeux
identifiés comme prioritaires et les parties prenantes afférentes par une étude plus
poussée de chacun de ces points. Cette étape donnera lieu à la rédaction de fiches par
enjeu qui serviront, ultérieurement pour la phase opérationnelle : actions à mener,
parties intéressées, indicateurs, systèmes de management et type de certification
pertinents.
Enfin, l’entreprise devra définir les objectifs à atteindre, qu’elle les retranscrive
dans sa stratégie et qu’elle identifie les leviers d’action pertinents afin de corriger la
situation initiale 1. Remarquons, qu’en délimitant de nouveaux enjeux et objectifs à
atteindre, l’entreprise doit implicitement corriger sa vision et les valeurs afférentes.
De fait, en toute cohérence, il est conseillé à la direction de l’organisation de s’enga-
ger formellement sur ces derniers points et de procéder à une communication interne
et externe adéquate.
1. La présentation qui a été faite du fascicule SD 21000 est une lecture simplifiée de ce guide sur l’inté-
gration du DD dans le management des entreprises. Pour une application précise de la méthode, se
référer au fascicule de documentation FD X30-021 publié par l’Afnor.
172
Du concept de développement durable…
Conclusion
Face à l’urgence, et relativement à la lenteur du monde politique à décliner les engage-
ments pris au niveau international sous forme de lois ou réglementations internationales,
de nombreuses initiatives privées ont vu le jour afin de rationaliser l’intégration du déve-
loppement durable au management des organisations. D’un point de vue général, que l’on
fasse référence aux travaux des organismes de normalisation (ISO, Afnor, BSI, etc.), ou
aux standards de facto (au sens de P. A. David) qui tentent actuellement d’émerger, on se
situe au niveau de la recherche de la satisfaction d’une nouvelle demande exprimée par
certaines entreprises, celle de pouvoir s’appuyer sur des principes codifiés permettant de
stabiliser le contenu opérationnel de ce que nous pourrions appeler un système de manage-
ment durable.
Les normes techniques, qu’elles soient officialisées par un organisme de normalisation ou
qu’elles émergent naturellement du comportement des acteurs ont su, par le passé, faire
montre de leur aptitude à coordonner les attentes du marché en situation d’asymétrie
d’information ou d’intérêts, en l’occurrence, entre la société civile et la sphère économi-
que.
De fait, relativement à la pression exercée par la société civile sur les entreprises et, au vu
du niveau d’engagement de ces dernières, notamment dans l’optique de produire un corpus
de normes en faveur du management de la responsabilité sociale – cf. travaux actuels
autour de l’ISO 26000 – il semblerait que nous soyons entrés dans une nouvelle ère du
management : celui d’un management durable !
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
173
Chapitre
La « nouvelle frontière »
du marketing
12 responsable
Rémi DEVEAUX
Élisabeth LAVILLE
opportunités nouvelles
Section 2 ■ Le marketing est mort, vive le marketing (responsable) !
Depuis des années, les pratiques marketing de certaines entreprises font l’objet de
critiques de la part d’ONG militantes, de consommateurs et de législateurs. Ces 177
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
critiques ont pour origine les divers impacts forts, directs ou indirects, que peut avoir
le marketing sur l’état écologique de la planète, la santé et l’environnement visuel ou
mental.
Tout d’abord, les pratiques marketing ont un rôle déterminant dans l’évolution des
modes de consommation, grâce aux produits dont elles font la promotion et l’utilisa-
tion qui en est vantée dans les publicités. Comme l’explique Procter & Gamble dans
son rapport de développement durable 2003, « on reproche à la publicité de propa-
ger les modes de vie occidentaux à travers le monde et de promouvoir une consom-
mation excessive dans les pays développés ». L’association de défense des
consommateurs UFC-Que Choisir a mené en 2006 une étude mesurant l’influence
des publicités sur le comportement alimentaire des enfants (moins de 14 ans). Celle-
ci conclut que l’industrie agroalimentaire concentre ses moyens publicitaires sur des
produits à faible intérêt nutritionnel que les familles achètent majoritairement. Sur
les 217 spots alimentaires ciblant les enfants, relevés pendant 15 jours sur les plus
grandes chaînes de télévision à l’heure des émissions enfantines, 89 % concernaient
des produits très sucrés ou gras. Par ailleurs, l’exploitation inadéquate ou abusive de
l’image environnementale dans la communication des entreprises – le greenwashing
ou « blanchiment écologique » – peut fournir une mauvaise information aux
consommateurs sur les enjeux environnementaux et l’impact des modes de consom-
mation. Le collectif L’Alliance pour la planète (www.lalliance.fr) dénonce de son
côté des pratiques qui « minimisent et banalisent la nécessité impérative de changer
nos comportements de consommation ».
Ensuite, les choix marketing ont également une influence sur la santé, via les
produits proposés, les cibles visées, ainsi que les pratiques sociales et l’utilisation
associées aux produits. Les boissons « premix » (mélanges alcoolisés et sucrés)
ciblant les jeunes avec des publicités associant l’alcool à la fête peuvent les inciter à
des consommations excessives, augmentant le risque d’accidents de la route en fin
de soirée. Les boissons aromatisées pour les enfants, qui en termes de taux de sucre
se situent entre les sodas et l’eau minérale, sont pourtant vendues sous des marques
d’eau minérale, avec des codes identiques (boisson transparente et non colorée),
dans les linéaires d’eau minérale… et parfois avec des publicités d’eau minérale, au
grand dam des associations de médecins qui insistent sur le développement galopant
de l’obésité chez les enfants.
Enfin, les produits et leur publicité, en s’imposant dans l’espace public et indivi-
duel (télévision, marques…), proposent un univers fait de codes et de références
propres auquel il est difficile de se soustraire tant il est omniprésent. Par exemple,
l’abondance de messages pro-consommation ou l’image de la femme véhiculée dans
les publicités, orientent dans une certaine mesure les représentations et le mode de
vie des individus.
Différents groupes de pression réagissent donc aux excès des pratiques marketing
d’entreprises. Cette dénonciation, protéiforme et éclatée, porte sur de nombreux
sujets, allant de la représentation dévalorisante des femmes à l’impact des panneaux
publicitaires sur le paysage (cf. tableau 12.1).
178
La « nouvelle frontière » du marketing responsable
1. Le Bureau de vérification de la publicité, devenu depuis juin 2008 l’ARPP (l’Autorité de régulation
professionnelle de la publicité), est l’organisme d’autodiscipline de la publicité en France :
www.arpp-pub.org
179
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
En premier lieu, les poursuites judiciaires peuvent amener les entreprises fautives
à payer des dommages et intérêts conséquents (246 milliards de dollars pour l’indus-
trie du tabac après 25 ans de procès), notamment lorsque :
– les pratiques marketing irresponsables dénoncées sont le fait d’un faible nombre
d’entreprises ;
– les consommateurs, et par là-même le système de santé publique, subissent des
coûts de santé très élevés (comme pour l’amiante et le tabac) ;
– la justice ou le législateur décide de changer soudainement de position.
Le second risque est réglementaire. Les campagnes de sensibilisation des associa-
tions de consommateurs et les alertes des scientifiques peuvent amener le législateur
à encadrer plus strictement les pratiques marketing. L’autodiscipline servait habi-
tuellement de cadre aux pratiques marketing, ce qui permettait aux entreprises de
s’adapter aux attentes de la société sans trop de contraintes (vérification, sanctions)
ni préjudice pour leur activité. À l’inverse, le renforcement de la législation actuelle,
ne prenant pas systématiquement en compte l’intérêt des entreprises, peut avoir des
répercussions importantes sur les ventes en limitant notamment la publicité sur
certaines cibles jugées « vulnérables »).
En France, par exemple, depuis février 2007, les annonceurs de certains produits
alimentaires doivent introduire des messages sanitaires dans leurs publicités et outils
d’information, du type « pour votre santé, mangez au moins 5 fruits et légumes par
jour » ou « pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé ». Le
BVP avait pourtant fixé des règles d’autodiscipline aux annonceurs pour ne pas
« encourager chez les enfants des comportements qui seraient contraires aux princi-
pes alimentaires couramment admis en matière d’hygiène de vie ». Mais des asso-
ciations de consommateur comme l’UFC-Que choisir critiquaient la non-application
de ces recommandations. L’agence de notation sociale EIRIS avait, de son côté, mis
en garde le secteur contre le risque de voir à terme des produits interdits par de
nouvelles législations sanitaires.
Autres exemple, la haute autorité de l’audiovisuel en Grande-Bretagne, l’Ofcom, a
décidé fin 2006 d’interdire les publicités pour les produits alimentaires les moins
« sains » lors des émissions destinées aux moins de 16 ans. Un règlement européen
sur les allégations nutritionnelles et santé est entré en vigueur le 1er juillet 2007 :
désormais, l’évaluation scientifique des allégations se fera au préalable et non plus a
posteriori, toutes les allégations autorisées et leurs conditions d’utilisation figure-
ront dans des listes et les allégations ne pourront être utilisées qu’à la condition que
l’aliment réponde à un profil nutritionnel défini.
Toujours en Angleterre mais sur un autre secteur, celui des produits cosmétiques,
la Commission de régulation de la publicité en Grande-Bretagne (Advertising Stan-
dards Authority) a demandé à L’Oréal en 2005 de stopper la diffusion sur le petit
écran d’une campagne publicitaire pour une crème antirides, où le mannequin
Claudia Schiffer affirmait que 76 % d’un échantillon de 50 femmes avaient témoi-
gné d’une « réduction visible des rides ». Les experts ont estimé que les preuves
180
La « nouvelle frontière » du marketing responsable
fournies par l’Oréal étaient insuffisantes pour justifier de telles affirmations et certai-
nes assertions ont été jugées trompeuses dans la mesure où elles ne précisaient pas
assez clairement que cet effet n’avait été constaté qu’en laboratoire et pas sur de
vrais visages… Le fabricant a fait savoir qu’il n’était pas d’accord avec ce verdict,
mais que ces publicités seraient amendées conformément aux remarques de la
commission. Laquelle avait également émis des demandes sur un autre spot du
groupe, pour un produit anticellulite cette fois mais s’appuyant également sur des
résultats de satisfaction des femmes. Ce cas est loin d’être unique : des publicités de
Procter & Gamble (pour un après-shampooing), d’Estée Lauder, Chanel et Dior
avaient déjà été contestées par le même organisme pour des raisons similaires 1.
Le troisième risque lié aux pratiques marketing est économique. Selon une
enquête menée en 2005 aux États-Unis 2, le marketing responsable et la publicité
arrivent en quatrième critère pour caractériser la responsabilité sociale des entrepri-
ses (cités par 40 % des sondés). Certaines entreprises subissent également des
campagnes de boycott – principalement dans les pays anglo-saxons –, comme
Nestlé depuis 1971 pour sa politique marketing sur le lait en poudre dans les pays en
développement ou Exxon en Angleterre en 2001 pour son lobbying contre la ratifica-
tion par les États-Unis du protocole de Kyoto et son absence d’investissement dans
les énergies renouvelables.
Les pratiques marketing, lorsqu’elles sont dénoncées par des groupes de pression,
peuvent engendrer des conséquences économiques importantes pour les entreprises,
notamment lorsqu’une industrie en particulier est accusée de vendre et promouvoir
des produits « à risques » pour la santé publique – comme dans le cas de l’obésité.
Ces risques sont aujourd’hui essentiellement circonscrits à quelques secteurs,
comme la vente d’alcool et l’agroalimentaire, mais pour autant obligent toute la
profession à élargir sa compréhension de la notion de responsabilité sociale relative-
ment aux nouvelles attentes sociétales.
Si les risques liés aux pratiques marketing ne sont pas à proprement parler un
phénomène nouveau, l’intérêt grandissant des consommateurs occidentaux pour des
produits plus sains et respectueux de l’environnement semble marquer un tournant
pour les entreprises. Cet intérêt se remarque avant tout aujourd’hui dans les enquêtes
sondant les intentions des consommateurs : le Credoc, TNS Sofres ou Ethicity n’ont
de cesse de publier des sondages démontrant la volonté des consommateurs, mieux
1. En 2008, l’Advertising Standards Authority a reçu 26 453 plaintes et a fait changé ou retiré
2 475 publicités : www.asa.org.uk
2. Doing Well by Doing Good Survey, GolinHarris/InsightExpress (2005).
181
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
marque. Ainsi, des marques comme Toyota (avec le lancement du modèle hybride
Prius) ou General Electric (avec le programme Ecomagination) ont vu en quelques
années la valeur de leur marque, mesurée chaque année par Interbrand, s’envoler de
plus de 30 % (Toyota a progressé de la quinzième marque la plus cotée, en 2000, à la
huitième place, en 2009 – soit avant les problèmes de sécurité des véhicules Toyota
à la fin 2009 qui ont débouché sur le rappel de plus de 10 millions de véhicules dans
le monde).
1. http://www.amisdelaterre.org/article.php3?id_article=2215
2. Notamment Achetons Responsable, Elisabeth Laville et Marie Balmain, Le Seuil (2006).
183
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Problème pour les enseignants du marketing : les cinq « P » qui le fondent tradi-
tionnellement sont remis en cause, ou en tout cas sérieusement décortiqués, au nom
de la RSE.
– D’abord, le Produit et son Positionnement doivent faire la preuve de l’utilité
intrinsèque de l’objet, dans un monde qui suffoque déjà sous le superflu, faute de
quoi sa création/production risque de ne pas justifier la consommation addition-
nelle de ressources naturelles et la production de déchets nouveaux qu’elle
entraîne, immanquablement. Il doit aussi, tout au long de son cycle de vie, réduire
son coût environnemental : nécessiter moins de ressources naturelles, être fabri-
qué localement ou acheminé par mode de transports « doux » pour réduire les
émissions de CO2 liées au transport, utiliser des matières recyclables ou biodégra-
dables pour réduire son impact en fin de vie. Le produit doit enfin être fabriqué
sur des sites proposant des conditions de travail décentes et respectant les droits
humains.
– Le Prix doit pour sa part se justifier par le fait qu’il permet de financer
« équitablement » les différents acteurs de la chaîne de valeur, et tout particulière-
ment les producteurs dans le cas de produits achetés sur marché spot (marché où
les prix se négocient au coup par coup en fonction de l’offre et de la demande). La
décomposition du prix doit d’ailleurs être autant que possible transparente pour le
consommateur.
– La Promotion et la Publicité du produit sont ensuite, on l’a vu, mises en cause
pour leur capacité à « créer un besoin » superflu ou inciter à une consommation
débridée : on attend d’elles désormais d’informer le consommateur de manière
transparente sur les qualités du produit et d’inciter à son utilisation appropriée
sans véhiculer de stéréotypes dépassés ou discriminants.
– Le Packaging, enfin, n’est de manière croissante acceptable que s’il réussit à
informer utilement le consommateur sur le produit et ses qualités, et s’il est réduit
au strict minimum pour éviter une accumulation de déchets inutile.
Mais il ne faut pas désespérer, le marketing n’est pas mort, il est juste à réinventer
autour de cinq nouveaux « P » : les Personnes, la Planète, les Profits, la prise en
compte des intérêts des Parties prenantes… et une démarche de Progrès. De toute
façon, comme le chantait Bob Dylan « tout ce qui n’est pas en train de naître est en
train de mourir ». Trois champs d’exploration différents nous semblent poser les
jalons de ce que pourrait être un nouveau « marketing responsable » :
184
La « nouvelle frontière » du marketing responsable
en maximiser les ventes, les arguments publicitaires utilisés peuvent être proches du
mensonge, comme ce fut le cas pour les premières publicités pour le yaourt Actimel.
Danone a depuis revu ses allégations publicitaires et a mis en place une procédure de
validation scientifique de ses allégations publicitaires.
185
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
sable et le porter à nouveau à sa bouche ; sa mère expliquait alors que son enfant ne risquait
rien, puisqu’il buvait de l’Actimel, yaourt sensé renforcer ses défenses immunitaires. Or un
yaourt à boire ne saurait évidemment immuniser quiconque contre tous les risques de
bactéries ! Mis en cause par l’association de consommateurs CLCV, qui menait depuis des
années une campagne dénonçant les risques de contamination liés aux bacs à sable, Danone a
dû retirer sa publicité et faire amende honorable dans un communiqué commun avec la CLCV
soulignant « que les risques de contamination provenant des bacs à sable sont importants et
qu’une protection contre ces risques ne peut pas provenir de la seule pratique alimentaire
consistant en la consommation de ferments probiotiques ».
Dans le même esprit, et toujours sur ce marché des « alicaments » (des « aliments
santé », auxquels sont attribués des vertus médicales qui restent à démontrer, dans
un contexte où « la santé fait vendre, selon l’association de consommateurs CLCV.
Elle déclenche l’acte d’achat pour 88 % des consommateurs. »), quelques autres cas
récents ont mis en relief les limites éthiques du marketing : ainsi, toujours en 2002,
l’entreprise Cema, spécialisée dans la commercialisation de produits diététiques et
de « margarine anti-cholestérol », a-t-elle signé un accord stratégique avec l’Institut
Pasteur de Lille, celui-ci acceptant d’apposer son logo sur des barquettes de marga-
rine et sur des bouteilles d’huile diététique, en contrepartie d’un financement – un
contrat qui n’a pas manqué de susciter des critiques de nombreux nutritionnistes
mais aussi de la DGCCRF (Direction de la concurrence et des fraudes) puis de
l’AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) ; en 2005,
c’est le géant néerlandais de l’agroalimentaire Unilever qui a signé avec l’assureur
MAAF un partenariat visant à encourager la consommation de produits réputés anti-
cholestérol de la gamme Fruit d’Or pro-activ (lait, yaourts, margarine), au nom
d’une « campagne de prévention » prévoyant que plus les adhérents de l’assurance
consommeraient de produits de la gamme en 2006, plus leur cotisation santé 2007
serait réduite – un partenariat imité par Danone avec les AGF sur le produit Danacol,
et qui a valu à la MAAF d’être assignée en justice par l’UFC-Que choisir dénonçant
des « actions marketing scandaleuses », même si l’association de consommateurs a
finalement perdu le procès en 2006.
Si les allégations mensongères sont interdites par la législation, les annonceurs
sont confrontés à d’autres responsabilités sur les publicités qu’ils diffusent, notam-
ment les représentations, le marketing des produits « à risques » et le greenwashing.
Ces enjeux sont largement encadrés par l’autorégulation et touchent diversement les
secteurs.
Les principaux enjeux liés aux représentations sont les suivants :
– les représentations dénudées et suggestives jugées « dégradantes » : les publicités
représentant les femmes de façon dégradante ou stéréotypée constituent ces
dernières années le premier type de plaintes adressées aux organismes d’autoré-
gulation en Europe, et l’un des premiers facteurs de retrait anticipé d’une
publicité ;
186
La « nouvelle frontière » du marketing responsable
ment à prendre des initiatives sans toutefois faire état de démarches systématiques
pour lutter contre l’obésité. Le fabricant de barres chocolatées Masterfoods (Mars,
Snickers, Twix, etc.) a ainsi annoncé en 2007 vouloir arrêter de faire en Europe des
publicités ciblant les enfants de moins de 12 ans, faisant ainsi écho, par exemple, aux
engagements similaires pris par la filiale de Coca-Cola France…
pas de définition arrêtée du stade à compter duquel on peut parler de produit « vert »,
mais les produits revendiquant cette étiquette affichent généralement des améliora-
tions à une ou plusieurs étapes de leur cycle de vie, qu’il s’agisse d’achats écologi-
ques ou responsables, de processus de production propres, d’impacts diminués lors
de l’utilisation, d’un emballage minimisé, de la possibilité prévue de réutiliser ou
recycler le produit, des systèmes de récupération en fin de vie, etc. Progressivement,
de tels produits verts existent dans la plupart des secteurs : alimentation, papier,
textile, automobile, pneu, produits d’entretien, cosmétiques, produits financiers, etc.
Cette acception du produit « vert » peut même être élargie pour inclure les produits
et services ayant une valeur ajoutée sociale, comme le commerce équitable, les
produits fabriqués localement ou sweatshop-free (garantissant le respect des droits
fondamentaux des travailleurs et l’absence d’« ateliers de la sueur »). Les produits
verts sont également désignés, selon les cas, par les termes de produits « durables »,
« responsables » ou « éco-produits ».
Mais comment vendre efficacement un produit vert pour lui faire atteindre des
parts de marché significatives ? Les entreprises qui, les premières, ont proposé des
produits verts à leurs clients, ont historiquement adopté une approche du marketing
souvent originale : dans les premières années de leur développement, ces entreprises
ont fondé leurs décisions sur l’intuition et la vision de leur dirigeant-fondateur,
plutôt que sur des études de marché qui par définition valident rarement l’innovation
radicale, en rupture avec les habitudes du marché considéré. Ces dirigeants ayant
rarement suivi des études de commerce classiques (c’est le cas des fondateurs de
Patagonia, The Body Shop, Ben & Jerry’s, Aveda, Stonyfield, American Apparel,
etc.), ils n’ont d’ailleurs pas hésité à être iconoclastes dans leur approche, en ne
respectant pas les « règles du genre » qu’ils disent eux-mêmes avoir ignorées pour
ne les avoir jamais apprises…
Leurs entreprises ont ainsi pu lancer de nouvelles tendances de consommation sur
leurs marchés, faisant de leurs produits et de leurs magasins les premiers porte-
drapeaux de leur engagement, s’alliant à des ONG jusque-là perçues comme peu
compatibles avec le capitalisme (Amnesty International et Greenpeace pour The
Body Shop, Oxfam pour Stonyfield Farm…), et pratiquant, faute de budgets marke-
ting et publicité importants au départ, un « marketing de guérilla » 1 utilisant tous les
moyens « gratuits » possibles (Internet, emballages, sacs de caisse, magasins,
couvercles de pots de yaourt, campagnes de dégustation des produits doublées d’une
communication terrain sur les engagements et les valeurs, etc.) pour faire vivre la
différence de la marque et mener des campagnes pédagogiques sur les enjeux
sociaux et environnementaux sous-jacents à leur activité :
– contre l’utilisation d’hormones de croissance bovine pour Ben & Jerry’s et Stony-
field Farm ;
– contre les tests sur les animaux, pour les produits bio et le commerce équitable
pour The Body Shop ;
– pour le coton biologique pour Patagonia.
Ces campagnes sont en général accompagnées de marketing solidaire, directement
lié à l’achat des produits ou ancré dans le modèle économique même de
l’entreprise : Patagonia et Stonyfield Farm reversent par exemple 10 % de leurs
bénéfices à des ONG, de même que Nature & Découvertes. Ce marketing de guérilla
leur permet de bénéficier de nombreuses retombées presse gratuites et de communi-
quer un positionnement engagé facile à identifier pour les clients. Les magasins sont
également des lieux de communication et d’échanges privilégiés avec les consom-
mateurs, via la mise à disposition d’une information abondante non pas exclusive-
ment sur les choix et produits de l’entreprise mais davantage sur les enjeux généraux
qui fondent ces choix (voir notamment les brochures ou affiches de The Body Shop
sur les tests sur animaux dans l’industrie cosmétique, le commerce équitable ou
l’impact social des stéréotypes de minceur extrême de l’industrie). En contrepartie,
ces pionniers utilisent peu les médias traditionnels sur des marchés généralement
très voraces en publicité (alimentaire, distribution, textile) – la part du budget publi-
citaire d’American Apparel atteignait en 2004 0,7 % de leurs ventes, contre 3 et 4 %
pour Gap et H & M. Mais cette stratégie n’est pas moins efficace que la publicité
traditionnelle : en 2003, Ben & Jerry’s a ainsi calculé que ses activités et engage-
ments divers lui avaient valu plus de 8 000 articles, avec une couverture favorable
supérieure à celle de ses concurrents. Et lors du rachat de The Body Shop par
L’Oréal, la pionnière anglaise « pesait » quand même un dixième du chiffre d’affai-
res du leader mondial !
Quel que soit le « plus » environnemental des produits vendus, les démarches de
développement durable menées par les entreprises peuvent être limitées par les
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
189
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
des efforts de l’entreprise pour faire évoluer ses impacts est donc in fine dépendante
de sa capacité à modifier les habitudes et comportements de ses clients.
Le cas de l’automobile n’est pas isolé. Plusieurs secteurs ont des enjeux environ-
nementaux ou sociaux forts lors de l’utilisation des produits, comme par exemple :
– la restauration rapide, qui est parfois accusée de favoriser l’épidémie d’obésité
observée dans des pays développés lorsque ses clients consomment de façon
excessive des produits très caloriques ou peu nutritifs. Le choix des produits
proposés a également un impact environnemental certain : il faut par exemple sept
fois plus de surface agricole pour produire une calorie de viande que pour une
calorie de légume, de sorte que certaines ONG mettent désormais en cause le
hamburger, non plus tant pour ses impacts sur la santé mais pour ses impacts
environnementaux ;
– les lessives et autres détergents, qui ont également des impacts environnementaux
certains notamment du fait du surdosage encore pratiqué par beaucoup de
consommateurs ;
– sans parler, naturellement, de l’eau (préférence aux bains plutôt qu’aux douches,
robinets laissés ouverts pendant la douche ou le brossage des dents…), l’énergie
(appartements surchauffés, radiateurs chauffant une pièce dont les fenêtres sont
ouvertes…) ou les déchets (achats de produits suremballés puis mal triés…).
Utiliser le levier marketing pour faire évoluer les pratiques est d’autant plus perti-
nent que les entreprises sont parfois confrontées à un « effet rebond », autrement dit
une augmentation de la consommation suite à l’introduction d’une technologie plus
éco-efficiente. Les acheteurs d’ampoules fluo-compactes – moins gourmandes en
énergie – semblent ainsi tentés de laisser allumées ces lampes, sachant qu’elles
consomment moins. Cet « effet rebond » est estimé entre 10 et 30 % pour le trans-
port et le chauffage individuels, et de 5 à 10 % pour l’éclairage résidentiel 1.
Rien d’étonnant, donc, à ce que les entreprises se lancent de manière croissante
dans des campagnes pour sensibiliser leurs clients à « mieux consommer » :
– EDF propose des conseils à ses clients pour réduire leurs consommations
d’électricité et communique sur les économies d’énergie, comme la loi contraint
désormais l’entreprise à le faire. En novembre 2006, une campagne de publicité
affichait même le message suivant : « Si vous ne préservez pas la nature en évitant
de laisser votre téléviseur en veille, qui le fera ? » ;
– Mc Donald’s veut depuis 2003 encourager le développement de modes de vie
« sains et équilibrés » : pour cela, le groupe a diversifié ses menus, a amélioré
l’information nutritionnelle et fait la promotion de l’activité physique ;
– l’Association internationale des fabricants de produits nettoyants (www.aise-
net.org) a lancé en Europe, en 1998, une grande campagne pédagogique « Dosez
juste » 1 pour sensibiliser les consommateurs à une utilisation responsable et au
dosage juste des lessives : brochures, publicités radio et presse mais aussi TV,
informations sur les emballages, etc. La campagne était dotée d’un budget de
10 millions d’euros par an pour l’ensemble des pays, modeste au regard des
dépenses publicitaires du secteur (la marque leader de lessives, en 2003, a investi
17 millions d’euros en publicité en France), mais important comparé à l’investis-
sement des pouvoirs publics sur ces sujets (l’Europe dépense généralement entre
3 et 4 millions sur ce type de campagne pédagogique) 2. Les études de l’AISE
montraient qu’il était nécessaire de s’attaquer aux problèmes environnementaux
majeurs qui surviennent lors de l’utilisation et de la fin de vie des produits :
économies d’emballage, pollution de l’eau, réduction de la consommation de
lessive et d’énergie par foyer – les deux premiers facteurs étant liés aux types de
produits vendus par les fabricants et les deux derniers au comportement des
consommateurs. Une campagne relativement efficace, d’après les études menées
par ses initiateurs : 81 % des consommateurs disent suivre les recommandations
de la campagne, 79 % en utilisant la température la plus basse possible, 76 % en
évitant de trop remplir la machine et 64 % en adaptant la quantité de produit à la
dureté de l’eau 3 ;
– le constructeur automobile Kia Motors a mené en 2002 en Angleterre une campa-
gne de communication incitant les consommateurs à utiliser les transports non
motorisés pour les courtes distances : la marque offrait un vélo à l’achat d’une
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
voiture Sedona, avec l’accroche « Pour les longs trajets, utilisez la Sedona, et
pour les courts trajets, prenez votre vélo » (en expliquant que les courts trajets
sont ceux qui génèrent le plus de consommation de carburant, d’émissions de CO2
et d’accidents de la route) et soutenait le lancement du Walking Bus – un réseau de
ramassage scolaire piéton organisé par les parents d’élèves.
L’objectif principal de ces initiatives peut être, selon les cas, de se démarquer
(Kia), de se protéger des risques de critiques et de procès (McDonald’s), de prévenir
1. www.washright.com
2. Étude « Talk the walk », Utopies pour Global Compact & PNUE, 2005, voir www.talkthewalk.net
3. Étude « Talk the walk », Utopies pour Global Compact & PNUE, 2005, voir www.talkthewalk.net
191
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
192
La « nouvelle frontière » du marketing responsable
193
Chapitre La gestion des ressources
humaines à l’épreuve de
13 la responsabilité sociale
de l’entreprise
Jacques IGALENS
La théorie des parties prenantes met l’entreprise au centre d’un réseau formé de
groupes humains qui ont des attentes variées et parfois contradictoires. Spécialistes
196
La gestion des ressources humaines…
1. Pour plus de détails sur ce point : Igalens J., Peretti J.-M. (2008), Audit social : meilleures pratiques,
méthodes, outils. Éd. d’Organisation.
197
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
nisseurs mais il est facile de comprendre pourquoi un acheteur qui négocie les prix
les plus serrés n’est pas toujours le mieux placé pour exiger le respect de conven-
tions dont l’application peut se révéler onéreuse.
L’audit social constitue le meilleur moyen pour assurer le respect des clauses
sociales qui accompagnent aujourd’hui nombre de contrats commerciaux internatio-
naux. L’audit social appliqué à la chaîne des fournisseurs et des sous-traitants repose
sur des entretiens avec de petits échantillons de travailleurs des usines des pays
concernés, de l’observation directe concernant les conditions de travail et de ques-
tionnaires reprenant chaque point du référentiel de façon à relever les éventuelles
non-conformités. Parfois les DRH d’un même secteur se sont regroupés afin de
pouvoir partager les résultats des audits sociaux qui concernent les mêmes fournis-
seurs. En France de nombreuses enseignes de la grande distribution (Auchan,
Casino, Carrefour, Galeries Lafayette, E. Leclerc, Leroy Merlin, Monoprix,
Système U, 3 Suisses) ont ainsi créé en 1998 un groupement sous le nom de
« Initiative clause sociale » 1.
Ainsi le DRH a pris conscience des difficultés d’application du droit social inter-
national dans des pays pauvres ou très pauvres. Très souvent, sous son influence, les
limites de l’audit social sont apparues car il ne suffit pas de constater telle ou telle
non-conformité par rapport à une charte ou un code de conduite. Que faire suite à ce
constat ? Mettre en demeure le fournisseur ou le sous-traitant ? Certes, mais si cette
injonction reste sans effet, le problème perdure. Différentes démarches pilotées par
la fonction RH sont progressivement mises en place, elles consistent à aider certai-
nes usines de pays en voie de développement, par de la formation adaptée ou de
l’accompagnement, pour qu’elles parviennent à se mettre au niveau des conventions
internationales fondamentales.
Deux bénéfices distincts sont attendus de telles actions. En premier lieu, l’amélio-
ration effective des conditions de vie et de travail des employés du Sud. En second
lieu, la disparition de risques de « dumping social » qui accompagnent souvent les
pires formes d’exploitation de la force de travail dans les pays en voie de développe-
ment ou les pays émergents.
Les organisations non gouvernementales (désormais ONG) ont joué un rôle actif
au sein de l’Organisation des nations unies dès sa création mais il a fallu attendre
l’apparition de la responsabilité sociale de l’entreprise pour que les partenariats
entre entreprises et ONG se multiplient. Les ONG concernées relèvent de nombreux
domaines : la protection de l’environnement, l’aide au développement, la promotion
1. http://www.ics-asso.org/doc4/page1.htm
198
La gestion des ressources humaines…
Les syndicats ne sont pas toujours unanimes face à la RSE. Certains d’entre eux
considèrent que la RSE risque de les marginaliser en les considérant comme des
« parties prenantes » ordinaires. D’autres craignent la concurrence avec les ONG.
Tous redoutent qu’à travers la RSE on assiste à une privatisation du droit social et
que les entreprises utilisent la soft law (codes, chartes, labels et autres engagements
volontaires) pour atténuer le poids de la hard law (loi, décrets, règlements).
200
La gestion des ressources humaines…
201
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Les enquêtes prouvent que les salariés sont de plus en plus intéressés par les
thèmes de la RSE. Pour cette raison les entreprises font des efforts pour obtenir des
labels RSE qui sont consacrés aux ressources humaines. Elles sont également obli-
gées de consacrer une attention particulière au volet RH des démarches de RSE.
Le label Diversité est le témoignage de l’engagement des entreprises en matière de
prévention des discriminations, d’égalité des chances et de promotion de la diversité
dans le cadre de la gestion des ressources humaines. Son obtention nécessite le
respect d’un cahier des charges qui repose sur cinq domaines :
– état des lieux de la diversité dans l’organisme ;
– politique diversité : définition et mise en œuvre ;
– communication interne, sensibilisation, formation ;
– prise en compte de la diversité dans les activités de l’entreprise ;
– évaluation et axes d’amélioration de la démarche diversité.
Parmi les premières entreprises ayant obtenu le label on trouve PSA, BNP Paribas,
Eau de Paris, Vinci et L’Oréal.
Le label Égalité professionnelle est le témoignage de l’engagement des entreprises
et de la mise en place d’actions concrètes en matière d’égalité liée au genre, dans le
domaine professionnel. L’évaluation se fait sur plusieurs critères répartis en trois
champs :
– les actions menées dans l’entreprise en faveur de l’égalité professionnelle ;
– la gestion des ressources humaines et le management ;
– l’accompagnement de la parentalité dans le cadre professionnel.
Si les deux labels français, Égalité et Diversité sont récents, en revanche la norme
d’origine américaine SA 8000 est ancienne (1997), elle définit des exigences dans
un grand nombre de domaines relatifs à la GRH notamment le temps de travail et les
rémunérations. D’autres normes ou labels plus généraux présentent un volet relatif
aux ressources humaines, ainsi le label Good Corporation exige que l’entreprise
fournisse des conditions d’emploi claires et équitables, des conditions de travail
hygiéniques, saines et sûres, une politique de rémunération équitable et qu’elle
encourage les collaborateurs à développer leurs aptitudes et à progresser dans leur
carrière.
Au-delà de l’obtention de label ou de certificat, la fonction RH est souvent aux
avant-postes dans la mise en œuvre d’une politique RSE.
En premier lieu il s’agit de communiquer sur cette politique et il est bien connu
que souvent la communication interne relève de la fonction RH. Une enquête réali-
sée par Opinion Way pour DDB révélait en octobre 2009 que les salariés accordai-
ent, en moyenne une note de 5,4 sur 10 à leurs entreprises sur leur engagement en
202
La gestion des ressources humaines…
faveur de la RSE 1. Le cabinet Novethic synthétise ainsi les résultats de cette enquête
et met en évidence l’ampleur du travail de communication à entreprendre :
« Les salariés les plus jeunes sont davantage intéressés par le développement
durable que leurs collègues plus âgés, mais ils sont aussi plus critiques sur la
place que leur accorde leur entreprise. Les sociétés ont donc tout intérêt à
communiquer et impliquer ces jeunes salariés, car s’ils sont aujourd’hui les
moins informés et les moins sollicités sur les sujets, ils sont pourtant les plus
motivés… En plus de ce clivage générationnel, on note de profondes disparités
entre les secteurs : l’avance de l’industrie sur les services est palpable tant au
niveau des actions que de la communication interne. La formation par exemple,
y occupe une place beaucoup plus importante. Une différence qui peut notam-
ment s’expliquer par la prédominance des enjeux environnementaux dans le
domaine industriel et une exposition plus forte aux risques. Enfin, les cadres
sont beaucoup plus réceptifs au sujet : 42 % se déclarent intéressés par le déve-
loppement durable contre 25 % des employés ».
En second lieu, il s’agit de s’assurer que les hommes et les femmes de l’entreprise
respecteront des principes ou adopteront des comportements conformes aux exigen-
ces des politiques de RSE. Le cas le plus marquant est, sans aucun doute, celui de
l’éthique. Qu’il s’agisse de déontologie professionnelle (notamment dans les
banques), d’éthique commerciale, financière ou sociale, les obligations nouvelles
qui pèsent sur les employés se multiplient. Tel type de management qui pouvait être
toléré dans le passé devient susceptible aujourd’hui d’être qualifié de harcèlement
moral. Il s’agit donc d’une surveillance accrue des salariés au nom de la RSE.
La fonction RH est également sollicitée pour l’engagement des salariés dans de
grandes causes que l’entreprise a choisi de porter, au nom de la RSE. Lafarge
s’engage ainsi dans la lutte contre le Sida, SFR dans la protection de l’enfance,
Danone dans la lutte contre la pauvreté, etc. Dans ce cas, ce qui est demandé à la
fonction RH c’est de susciter la générosité voire l’enthousiasme des salariés pour
qu’ils prennent des initiatives, consacrent du temps ou de l’argent à ces causes. Il
s’agit là d’une action contraire à la précédente, on ne restreint plus, on ne surveille
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
1. Repères RSE, n˚ 82. Publication de l’agence Novethic disponible sur le site de cette dernière.
203
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
En 1997 paraissait un ouvrage qui eût un impact important sur les DRH des pays
développés : Human Resource Champions de Dave Ulrich, professeur à l’Université
du Michigan. Cet auteur fut invité dans le monde entier et notamment en France
pour présenter ses travaux et nombre de grandes entreprises restructurèrent leur
fonction RH à l’aune de ses recommandations. Après avoir rappelé son cadre
d’analyse, nous proposerons une extension des quatre rôles proposés par Ulrich à
l’heure de la RSE.
tionnelles les femmes et les hommes dont elles ont besoin mais également qu’elle
apporte sa contribution spécifique à la croissance (recherche de nouveaux clients,
fidélisation des clients actuels) et à la rentabilité. Dans un livre ultérieur, Dave
Ulrich précisait sa pensée sur ce point en proposant l’outil de la balance scorecard
adapté aux RH (Becker, Huselid, Ulrich, 2001). Il cherchait ainsi à établir des chaî-
nes causales (appuyées par des données appropriées) entre des facteurs de satisfac-
tion des employés et des indicateurs de réussite financière.
Par « agent de changement » l’auteur entendait que le DRH réussisse une double
adaptation. Qu’il prépare l’entreprise aux nouvelles caractéristiques de la main-
d’œuvre, en tenant compte notamment de l’état d’esprit des jeunes talents tout droit
issus des grandes écoles ou de l’Université et qu’il prépare également les employés
aux nouvelles technologies et aux changements permanents que connaissent les
organisations.
« Expert administratif » est le rôle le plus traditionnel car le DRH a toujours eu à
gérer des process qui supposent le plus souvent la manipulation de bases de données
administratives de grande taille. Ainsi comme d’autres responsables, notamment
dans la production et le commerce, il est soumis régulièrement à des tensions
touchant au réingeniering de ces process.
Le concept de « champion des salariés » renvoie au contexte des États-Unis car,
dans certains États, les syndicats ne sont pas admis dans l’entreprise tant qu’un vote
majoritaire des salariés ne l’a pas autorisé. Ainsi dans des entreprises dites « non
syndiquées », il appartient au DRH de porter les attentes parfois les revendications
du personnel devant les instances de direction. Plus largement, la motivation et
l’engagement des employés supposent que la DRH soit capable de proposer des
politiques sociales qui répondent aux besoins des personnes, qu’elle soit également
capable de fournir des services personnalisés à certaines catégories du personnel 1.
Récemment, en septembre 2008, Dave Ulrich, conscient que ce modèle devait
évoluer, proposait de lui faire subir quelques adaptations :
« À l’heure actuelle, nous considérons qu’il existe non plus seulement quatre,
mais bien cinq rôles en matière de RH. Le rôle de l’expert administratif a évolué
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
pour faire place à un rôle d’expert fonctionnel, qui vise non seulement la perfor-
mance des RH, mais aussi l’expérience correcte et utile. Quant au rôle de cham-
pion des salariés, il a été scindé en deux : d’une part, un rôle de développeur de
capital humain, car on met de plus en plus souvent l’accent sur le développe-
ment de talents pour le futur et, d’autre part, un rôle d’avocat des salariés, en
faveur des travailleurs que l’entreprise emploie actuellement.
D’après notre enquête, les rôles du partenaire stratégique et de l’agent de chan-
gement se confondent de plus en plus. À ce modèle, nous avons ajouté le rôle du
leader. Nous voyons ce rôle comme un rôle de leader des RH, et comme un
1. http://www.capsurlesrh.be/acerta/view/fr/extras/web_specials/les_rh_selon_ulrich
205
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
1. L’ISO définit les organismes comme « compagnie, société, firme, entreprise, autorité ou institution,
ou partie ou combinaison de celle-ci, à responsabilité limitée ou d’un autre statut, de droit public ou
privé, qui a sa propre structure fonctionnelle et administrative » (NF EN ISO 14001:2004).
206
La gestion des ressources humaines…
Ainsi quatre cases sont définies, dont chacune correspond à un rôle particulier de
la DRH à l’heure de la RSE :
– Le DRH doit se préoccuper de l’externe, c’est-à-dire des parties prenantes et ceci
dans une optique de long terme. Il doit être celui qui fixe le cap du développement
durable et qui s’assure que ce cap est tenu. Pour sacrifier à la métaphore maritime
nous l’appelons la vigie du développement durable.
– Le DRH doit également gérer sinon le consensus, du moins le compromis entre
les parties prenantes. Il s’agit là d’une exigence de court terme, tournée vers
l’externe et ce rôle peut être dénommé le champion des parties prenantes pour
faire écho au premier ouvrage de Dave Ulrich.
– Le DRH concernant l’interne, c’est-à-dire les acteurs de l’organisation, doit être
un facilitateur de performance, il doit être celui qui, par de l’expertise fonction-
nelle mais aussi par le recours à des sous-traitants (outsourcing, netsourcing,
etc.), permet aux opérationnels de disposer en permanence des solutions RH
adaptées à leurs besoins.
– Le DRH doit également faire grandir à moyen et long terme les personnes en
développant les talents, il doit devenir un développeur de capital humain.
La vigie du développement durable (long terme et externe) repose sur la capa-
cité de la DRH à comprendre les facteurs de durabilité (et par opposition les risques
d’obsolescence ou de disparition) des affaires de l’entreprise. Ce rôle ne concerne
pas le même registre que celui des stratèges ou des spécialistes du marketing straté-
gique même si des recoupements peuvent exister. Être « vigie du développement
durable », c’est à la fois être un bon connaisseur du modèle d’affaire mais également
être capable d’aligner les stratégies et les outils RH sur ces stratégies et être en
mesure de faire évoluer ce modèle en fonction des contraintes environnementales et
sociales. Ce rôle inclut également la prise en compte de la mémoire organisation-
nelle et donc de la gestion des savoirs (knowledge management) nécessaire pour que
les connaissances relatives aux enjeux du développement durable soient conservées
et mises à la disposition de tous les membres de l’organisation auxquels elles
peuvent être utiles. Ce rôle n’est pas démesuré sur le plan des connaissances car il
nécessite de savoir relier, mettre en relation, raisonner globalement (voire systémi-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
quement) plus que de savoir approfondir les sujets techniques qui le composent.
Le champion des parties prenantes (court terme et externe) suppose de la part de
la DRH la capacité de savoir reconnaître les parties prenantes pertinentes puis de
savoir les sélectionner, les mettre en situation de s’exprimer, les écouter, les intéres-
ser aux programmes de l’entreprise, leur rendre des comptes, mesurer leur satisfac-
tion. L’une des difficultés du rôle tient dans le manque d’harmonie entre les parties
prenantes. Entre les demandes d’écologistes et celles de populations locales à la
recherche de revenus, des divergences d’intérêt peuvent apparaître, le rôle de négo-
ciateur, médiateur, accompagnateur, traducteur que le DRH maîtrise concernant les
acteurs de l’entreprise doit être mis au service des parties prenantes. Le champion
des parties prenantes n’est pas uniquement le porteur des intérêts externes dans les
instances de décision et de direction, il doit aussi intéresser les parties prenantes au
207
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Conclusion
En conclusion, à l’épreuve de la RSE la DRH est soumise à de fortes pressions. Jusqu’ici
elle n’a nullement été moteur du changement car nombre d’entreprises se sont engagées
dans la RSE ou le développement durable à partir d’une impulsion venant de la direction
générale. L’exemple du Pacte mondial est très révélateur de ce type d’engagement. Mais
aujourd’hui la DRH est à la croisée des chemins et elle se trouve dans la même situation
que dans les années soixante-dix, lorsqu’elle n’était encore que la direction du personnel :
ou bien elle accepte de relever le défi de la RSE ou bien elle stagnera et régressera dans la
hiérarchie des responsabilités notamment au sein des grands groupes.
Au-delà de cet intérêt presque corporatiste, le DRH avisé sait qu’il peut utiliser la RSE
comme levier de motivation des hommes et des femmes au travail. Le salarié qui est
employé dans une entreprise ayant une bonne réputation sur ce sujet aura naturellement
tendance à s’identifier à son employeur. Il sera fier de dire qu’il travaille pour lui, il sera
prêt à donner un coup de collier en cas de nécessité. De même une entreprise qui souhaite
recruter de jeunes talents doit savoir combien les étudiants issus des meilleures formations
sont sensibles aux controverses relatives aux manquements de certains employeurs concer-
nant les thèmes de la RSE. Le salaire et les conditions de travail ne constituent plus les
seuls attracteurs, l’image d’employeur socialement responsable devient incontournable.
Au-delà de la sélection et du recrutement la place de la RSE commence également à
s’imposer dans les process de GRH les plus importants, Danone, par exemple, a introduit
une dimension relative à la RSE dans l’évaluation de tous ses managers. Il serait certaine-
ment exagéré de prétendre que l’apparition de la RSE a radicalement transformé la GRH,
il est plus juste de considérer qu’elle lui a permis de réaliser un certain nombre de poten-
tiels.
208
Chapitre
Le système de
management de
14 l’environnement (SME)
Pierre BARET
1. L’ISO définit les organismes comme « compagnie, société, firme, entreprise, autorité ou institution,
ou partie ou combinaison de celle-ci, à responsabilité limitée ou d’un autre statut, de droit public ou
privé, qui a sa propre structure fonctionnelle et administrative (NF EN ISO 14001:2004).
209
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
En juin 1993, la réglementation européenne a jeté les bases d’un système de mana-
gement environnemental et d’audit : l’EMAS (Environmental Management and
Auditing Scheme). La forme que doit prendre le SME est réglementée mais l’enga-
gement des entreprises repose sur le volontariat. L’objectif était d’homogénéiser les
différents cadres normatifs nationaux susceptibles de déconcerter les entreprises.
Dans cette perspective, les travaux de normalisation de l’ISO (International Organi-
zation for Standardization) ont débouché en 1996 sur la série des ISO 140XX, dont
l’ISO 14001 qui spécifie ce qu’est un SME, ainsi que les lignes directrices pour son
utilisation et les exigences auxquelles il doit satisfaire. Notons que ces exigences
peuvent être auditées dans un but de certification. L’EMAS a été révisé en 2001 afin
de rapprocher le règlement (EMAS) et la norme (ISO 14001).
Révisé à son tour en 2004 afin d’être plus compatible avec l’ISO 9001 :2000 1,
l’ISO 14001 définit ainsi le SME :
« Le SME est la composante du système de management d’un organisme utilisée
pour développer et mettre en œuvre sa politique environnementale et gérer ses
1. Selon le groupe technique de l’ISO, la version 2004 de l’ISO 14001, outre une meilleure compatibi-
lité avec l’ISO 9001 a eu pour vocation : de clarifier la finalité des exigences de la norme, afin de
faciliter sa traduction et sa mise en œuvre dans le monde ; d’améliorer la compatibilité des normes
ISO 14001 et 14004 (qui fixe les lignes directrices du SME concernant les principes, les systèmes et
les techniques de mise en œuvre) ; de rendre accessibles ces normes aux PME par l’utilisation d’un
langage approprié.
210
Le système de management de l’environnement (SME)
aspects environnementaux.
Note 1 : un système de management est un ensemble d’éléments liés entre eux,
utilisé pour établir une politique et des objectifs et atteindre ces objectifs.
Note 2 : un système de management comprend la structure organisationnelle,
les activités de planification, les responsabilités, les pratiques, les procédures,
les procédés et les ressources. »
Selon la norme NF EN ISO 14001:2004, la politique environnementale d’un orga-
nisme doit répondre à un certain nombre d’exigences qui, nous le verrons, condi-
tionnent l’efficacité du SME. Ainsi :
« La direction à son plus haut niveau doit définir la politique environnementale
de l’organisme et s’assurer, dans le cadre du domaine d’application défini de
son SME, que sa politique environnementale :
– est appropriée à la nature, à la dimension et aux impacts environnementaux de
ses activités, produits et services ;
– comporte un engagement d’amélioration continue et de prévention de la
pollution ;
– comporte un engagement de conformité aux exigences légales applicables et
aux autres exigences applicables auxquelles l’organisme a souscrit, relatives à
ses aspects environnementaux ;
– donne un cadre pour l’établissement et l’examen des objectifs et cibles
environnementaux ;
– est documentée, mise en œuvre, et tenue à jour ;
– est communiquée à toute personne travaillant pour ou pour le compte de
l’organisme ;
– est disponible pour le public. »
L’objectif de la mise en place d’un SME est d’appliquer la politique environne-
mentale. Si cette dernière est pertinente, le SME permet d’améliorer la performance
environnementale globale de l’organisation. Concrètement, comme le souligne la
norme NF EN ISO 14001:2004, un SME établit la structure organisationnelle, les
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
211
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
1. Pour plus de détail, le lecteur pourra se référer au chapitre 3 de l’ouvrage de Gallez et Moroncini
(2003), sur lequel nous nous sommes largement appuyés dans la rédaction de ce chapitre, ainsi
qu’aux ouvrages de Baron (2007) et Vaute et Grevêche (2009) pour une actualisation.
212
Le système de management de l’environnement (SME)
213
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
1. Si une non-conformité n’est pas admise par l’audité, il faudra enregistrer un « point non résolu ».
214
Le système de management de l’environnement (SME)
– La politique environnementale doit être définie par la direction à son plus haut
niveau. Cela permet de légitimer et d’impulser le SME auprès des personnels,
mais aussi, de l’assortir des moyens nécessaires (temps, financements).
– La politique environnementale doit être appropriée à la nature, à la dimension et
aux impacts environnementaux de l’organisation. Les axes d’actions prioritaires
doivent être cohérents avec les objectifs et cibles identifiés et pouvoir s’adapter à
leurs évolutions.
Pour ce faire, nous avons utilisé, dans le cadre d’études empiriques, les outils
développés par les théoriciens de l’apprentissage organisationnel. En adaptant leurs
travaux 1 sur les principes et modalités du développement opérationnel d’une organi-
sation apprenante, on obtient six dispositifs caractéristiques du processus d’appro-
priation d’un SME par les personnels d’une organisation : le degré de formalisation
du SME ; les dispositifs de formation dédiés (sensibilisation, formations et
séminaires) ; la politique de gestion des connaissances en la matière (acquisition,
diffusion et capitalisation) ; l’intégration dans le système RH (évaluation et
rémunération) ; dans la culture d’entreprise ; enfin, la valorisation des initiatives
individuelles ou collectives via des récompenses significatives. S’inscrire dans cette
logique d’organisation apprenante pourrait permettre à une entreprise de mettre en
œuvre efficacement son SME.
À partir d’une série d’études empiriques longitudinales, portant sur une trentaine
d’organisations de tailles, de nationalités et de nature (publiques, privées) différen-
tes, nous avons pu montrer que les six dispositifs d’apprentissage organisationnel ne
se déploient pas de manière aléatoire au sein des entreprises 2. Quel que soit le stade
d’avancée du SME, le niveau de déploiement des dispositifs se fait systématique-
ment selon un ordre récurrent. Aucune des organisations rencontrées n’a eu, a priori,
la volonté de déployer ces dispositifs dans un ordre précis. Mais avec le temps, il
s’avère que ceux liés à la politique RH et à la culture d’entreprise ont systématique-
ment stagné tant que des avancées significatives n’ont pas eu lieu en matière de
formalisation du SME, d’action de formation et de gestion des connaissances. Ainsi
se dessine un parcours structurant l’apprentissage du SME à partir duquel il est envi-
sageable de construire une méthodologie qui permet d’optimiser l’implémentation
et l’efficience d’un SME au sein d’un organisme. Elle se décompose en six étapes :
1. Identifier clairement les enjeux environnementaux encourus et formaliser
une politique cohérente visant à les gérer.
C’est le point de départ, qui donne le cap et conditionne la capacité des entrepri-
ses à enclencher le mécanisme d’apprentissage. De fait, les préconisations de
l’ISO 14001 prennent toute leur importance pour amorcer le processus. Si elles
s’avèrent insuffisantes, il convient de mettre en œuvre une démarche de type SD
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
21 000 3.
218
Le système de management de l’environnement (SME)
Nous avons observé que ces difficultés résultent de certains points d’achoppement
à prévenir : prévalence de la performance financière de court terme sur les enjeux
environnementaux ; insuffisance de moyens (manque de temps, de compétences…) ;
communication interne défaillante ; implication sporadique du management (rythmé
par les alertes) ; manque de responsabilisation des individus, de reconnaissance et de
valorisation des initiatives.
Symétriquement, quelques ressorts, semblent particulièrement efficaces :
– s’assurer du soutien constant de la direction aux risques, en lui rappelant réguliè-
rement l’intérêt économique de prévenir les dommages environnementaux via le
SME, plutôt que de les réparer ;
– le responsable du SME doit être systématiquement légitimé par la direction pour
impacter la totalité des personnels ;
– l’apprentissage par projets et en équipe semble particulièrement efficace pour
évoluer vers une appropriation profonde ;
– pour qu’il ne soit pas assimilé à un simple surcoût, évaluer les gains économiques
d’un SME (cf. § 4.2.) ;
– veiller constamment à ce que la politique environnementale ne soit pas vécue
comme une contrainte technobureaucratique.
Le tableau suivant présente quelques exemples de bonnes pratiques favorisant
l’apprentissage et l’appropriation d’un SME :
Tableau 14.1 — Types de bonnes pratiques permettant apprentissage
et appropriation d’un SME
Critères
d’apprentissage
Bonnes pratiques facilitant un apprentissage organisationnel de la
organisationnel de la
responsabilité environnementale en double boucle
responsabilité
environnementale
1˚) Degré de – Tendre vers un SMI (QHSEDD : Qualité, Hygiène, Sécurité, Environnement et
formalisation et Développement Durable) intégrant l’environnement en fonction des objectifs
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
En cas d’écart par rapport aux seuils visés par le SME ou imposés par la réglemen-
tation, il convient de remplir une fiche de non-conformité. Celle-ci indique la nature
de la non-conformité (dommage environnemental, etc.), son type (réglementaire,
cible du SME, accidentel, etc.) et la personne destinataire (responsable environne-
ment, etc.). Bien évidemment, le suivi de la conformité doit être effectué régulière-
ment afin de s’assurer de l’efficacité du SME. De même, les équipements de
surveillance doivent être régulièrement surveillés, entretenus et étalonnés pour
garantir la fiabilité des mesures.
1. Notons que les sites classés pour la protection de l’environnement effectuent de nombreuses mesu-
res qu’ils sont tenus de remettre aux inspecteurs des installations classées. Dans ce cas, le SME vient
s’ajouter aux contrôles obligatoires. Par ailleurs, certains indicateurs peuvent être qualitatifs car
certains paramètres ne sont pas mesurables par des appareils. 221
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
223
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
4. Les méthodes tutélaires. Elles renvoient aux montants fixés par la justice et plus
largement la puissance publique (indemnités compensatrices dédommageant les
victimes de pollutions, taxes environnementales, coûts implicites liés au respect
des normes…). Par exemple, il est possible de calculer l’indemnité moyenne
reçue par les victimes avérées de l’amiante, suite à une exposition dans le cadre de
leur travail. On multiplie alors le nombre de salariés exposé par le coût de cette
indemnité moyenne.
En permettant une mise en balance des coûts sociaux et privés, la complémentarité
des approches économiques et gestionnaires semble intéressante. Toutefois, le côté
exploratoire, complexe et les résultats relativement approximatifs peuvent laisser
perplexe le dirigeant. Ce constat ne doit pas pour autant paralyser l’action. Il semble
que ce soit dans la comparaison des coûts privés (méthodes gestionnaires) et des
coûts sociaux (méthodes économiques) que la plus value d’information apparaisse
pour le dirigeant. La mise en œuvre de ces différentes méthodes ne peut avoir
comme objectif de déterminer avec précision coûts et avantages du SME. Rappelons
que, quelle que soit la méthode employée, les normes comptables utilisées, le coût
juste n’existe pas. L’intérêt pour ceux qui décident de la politique environnementale
et de la mise en œuvre d’un SME réside, donc, davantage dans la plus value d’infor-
mation et l’aide que ces méthodes peuvent procurer au cours des processus de déci-
sion.
L’évaluation des coûts environnementaux peut donc trouver un écho favorable
dans la mise en place d’un SME. Elle peut même devenir indispensable en permet-
tant de réexaminer régulièrement la pertinence des moyens alloués au SME en
comparaison des gains obtenus par les parties prenantes et des capacités de finance-
ment de l’organisation. Ce sera alors un facteur clé de l’amélioration continue.
Conclusion
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
☞
225
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
☞
S’assurer du fonctionnement du SME implique aussi de disposer d’une série d’indicateurs
pertinents qui informent sur la performance environnementale en tant que telle, mais aussi
sur la performance du management et sur les conditions environnementales. Enfin, il appa-
raît que les organisations ont aussi besoin d’évaluer et piloter leur SME sur un plan écono-
mique et comptable. Il n’existe pas encore de normes ou référentiels sur ce point. Aussi
avons-nous présenté, de manière exploratoire, des solutions comptables et des méthodes
économiques qui, si elles demeurent complexes et approximatives, apportent au dirigeant
un complément d’information utile pour justifier des investissements liés au SME, dans
une logique de responsabilité environnementale.
226
Chapitre
Développement durable :
les apports et les limites
15 de la comptabilité
Hélène BERGERON
développement durable.
Actuellement, les entreprises réagissent fortement aux nouvelles exigences régle-
mentaires en essayant de trouver de nouvelles façons - plus créatives et efficientes -
de gérer leurs impacts environnementaux afin notamment, de limiter leurs émissions
de polluants ou à défaut, de minimiser le coût des amendes ou de toute autre taxe
écologique impactant leur activité économique. Les effets sont souvent directs,
tangibles et substantiels. Ces coûts jusqu’alors omis, ont un impact direct sur la
performance, et doivent maintenant être identifiés et intégrés aux coûts de revient ou
aux différents choix d’investissements de l’entreprise. Ces types d’informations et
d’autres encore, intéressent les parties prenantes et doivent leur être communiqués
afin d’éclairer leurs décisions au regard de leurs préoccupations liées au développe-
ment durable.
227
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
1 Comprendre la comptabilité de DD
228
DD : les apports et les limites de la comptabilité
sur l’environnement, se limite aux usages internes et elle ne tient pas compte des
besoins de toutes les parties prenantes. La figure 15.1 compare les deux définitions
présentées ci-dessus.
tion performant capable d’intégrer d’une part, l’ensemble des informations nécessai-
res à la production de son rapport annuel de DD et, d’autre part d’accompagner les
décisions et faire le suivi de sa performance.
Parmi l’ensemble des données qui peuvent être produites pour répondre aux objec-
tifs de la comptabilité de DD, les coûts représentent sans doute l’aspect le plus aisé-
ment identifiable et quantifiable parce qu’ils se traduisent généralement en
opérations monétaires déjà enregistrées dans le système comptable. Le type de coûts
à considérer dépendra de l’utilisation que compte en faire l’entreprise ou des objec-
tifs qu’elle s’est fixés. Partant de ce critère, il est possible d’identifier deux grandes
catégories de coûts : les coûts internes et les coûts externes, chacun pouvant être
subdivisé en sous-catégories. Les définitions présentées ci-après sont tirées du
corpus de connaissance en matière de comptabilité environnementale qui, comme il
a été mentionné, est nettement mieux documenté. Ces concepts de coûts, bien qu’ils
traitent surtout des impacts des activités de l’entreprise sur l’environnement peuvent
facilement être transposés au volet social ou économique du développement durable.
Les coûts internes possèdent diverses caractéristiques. Certains coûts sont facile-
ment mesurables tels les coûts liés à la protection de l’environnement ou aux
respects des lois. Les sociétés peuvent assez facilement chiffrer ces coûts et les
divulguer, comme le fait Danone qui évalue à moins de 0,1 million d’euros en 2008
le paiement des amendes, pénalités et dédommagements versés à des tiers 1. D’autres
seront plus difficiles à identifier car ils sont cachés, c’est-à-dire qu’ils seront comp-
tabilisés dans les frais généraux de l’entreprise ou qu’ils feront partie des coûts
futurs ou éventuels. Pour l’Institut canadien des comptables agréés (ICCA, 1999) les
coûts internes, du point de vue de l’environnement, sont des coûts qu’une entité
engage pour prévenir, atténuer ou pallier ses impacts sur l’environnement. En cas de
défaut d’agir en ce sens, y seront ajoutés les coûts pour obtenir l’autorisation de
poursuivre des activités susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur l’environne-
ment. Cette autorisation est obtenue auprès des gouvernements ou de la société en
payant par exemple des amendes, compensations ou taxes spécifiques.
Ils comprennent tous les coûts actuels et futurs encourus par l’entreprise. Ceux-ci
se matérialisent à un moment donné au cours du cycle de vie du produit et se reflè-
tent dans les états financiers. À cet égard, l’exemple de Baxter illustre bien comment
une organisation peut innover afin de concevoir un outil adapté à ses besoins.
Pour mieux définir et comprendre les divers coûts on peut les subdiviser en six
catégories de coûts environnementaux internes (IFA, 2005). Voici une description de
ces catégories :
– Coûts des matières intégrées aux produits fabriqués : coût d’acquisition des
ressources naturelles, tel que l’eau ou autres matières qui sont intégrées au produit
fini ou qui servent à l’emballage et dont l’extraction, l’utilisation dans la fabrica-
tion, l’usage par le consommateur et sa disposition finale ont des impacts sur
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Du point de vue de l’environnement, les coûts externes concernent les coûts enga-
gés par des tierces parties suite aux impacts des processus, des produits ou services.
Ces coûts ne sont pas pris en compte dans le système comptable dit « classique ».
Un coût environnemental externe correspond à la valeur monétaire attribuée à la
diminution d’un avantage ou au préjudice subi par la société à cause d’une détério-
ration de la qualité de l’environnement qui n’a pas été prise en considération dans
une opération de marché (ICCA, 1999). Ceci implique d’une part, de déterminer
232
DD : les apports et les limites de la comptabilité
quels avantages ont été perdus ou quels préjudices ont été causés dans de vastes
domaines allant des droits des êtres humains à la santé, en passant par les effets sur
l’environnement. Ensuite, il faut établir une valeur monétaire qui, dans la majorité
des cas, ne peut être déterminée que de manière subjective. Ainsi, la plupart du
temps, l’entreprise devra se contenter, à titre de coûts externes, d’informations quali-
tatives car on comprend aisément que ces coûts sont difficiles à identifier, à mesurer
ou à valoriser en termes monétaires.
Afin de bien distinguer ce qui peut être considéré comme un coût interne d’un coût
externe, le tableau 15.1 présente et compare les caractéristiques les plus courantes de
ces deux grandes classes de coûts. Ce classement permet de saisir les difficultés
auxquelles font face les comptables lorsqu’il s’agit de produire des informations sur
les coûts en lien avec le développement durable.
233
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
1. http://www.cascades.com/developpement-durable/environnement/l--146-analyse-du-cycle-de-vie
234
DD : les apports et les limites de la comptabilité
Exemple : la gestion des véhicules fédéraux au Canada – programme IVF
De 1995 à 2007, le programme IVF – pour Initiative des véhicules fédéraux – visait la réduc-
tion des gaz à effet de serre et avait pour but d’aider les ministères de l’administration fédérale
à améliorer la gestion et l’exploitation de leurs parcs automobiles. Parmi les outils mis à la
disposition des différents ministères pour faire face à cet objectif majeur – limiter l’impact
environnemental de la flotte des véhicules fédéraux – IVF a fourni des outils et des méthodes
pour que les gestionnaires des parcs puissent établir la durée de vie optimale des véhicules et
utiliser la méthode du coût complet sur le cycle de vie de ces mêmes moyens de transport 1.
Ces coûts, considérés comme « indirects » seront alors répartis à chacun des
produits qui en supporteront leur juste part. Les méthodes d’allocation des coûts
indirects permettront d’y parvenir.
1. http://oee.rncan.gc.ca/communautes-gouvernement/transports/federal/mandat.cfm?attr=4
235
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
ment distingués des autres coûts liés à la fabrication dans les frais généraux.
L’ensemble de ces coûts sera alors réparti aux produits, la plupart du temps à l’aide
d’un taux unique de répartition, fondé par exemple sur les heures de main-d’œuvre
directe. Il en résulte que le produit qui consomme le plus d’heures de main-d’œuvre
directe supporte une plus grande part de l’ensemble des frais généraux de fabrica-
tion. Cette façon de procéder est souvent critiquée car elle ne tient pas vraiment
compte de la relation causale et que la répartition est souvent arbitraire. De plus,
certains coûts environnementaux pourront ne pas être attribués aux produits ou
services car le système comptable les enregistre à titre de charges administratives ou
commerciales. L’information sur le coût des produits, des services et des activités
établie avec l’approche classique risque souvent d’être trompeuse ou incomplète et
devenir inutile pour la prise de décisions. Ainsi, la recherche de solutions pour
améliorer la performance environnementale et réduire les coûts environnementaux
sera rendue infructueuse par une méconnaissance des coûts et de leurs inducteurs.
La comptabilité par activités (CPA) veut remédier aux faiblesses de l’approche
classique. Elle mettra l’accent sur les relations qui existent entre des activités,
notamment des activités ayant des effets sur l’environnement, et différents induc-
teurs de coûts – ou cause des coûts. Le coût des activités est dans une première étape
établi à partir de la relation causale entre les coûts et les activités. La deuxième étape
consiste à attribuer le coût des activités aux produits (ou services) sur la base des
activités consommées par ces produits, toujours en tenant compte de la relation de
cause à effet. Par exemple, on pourra établir le coût d’une activité de transport et
d’élimination des déchets dangereux en attribuant le salaire du camionneur et les
coûts de fonctionnement du camion (essence, amortissement, etc.) directement à
cette activité puisque la relation de cause à effet est clairement établie. Par la suite,
les coûts de l’activité seront attribués aux seuls produits qui génèrent des déchets
dangereux en utilisant un inducteur représentatif de la relation causale, par exemple
la quantité de matière première consommée par le produit. Par une meilleure alloca-
tion des coûts indirects, l’information obtenue sera davantage utile pour la gestion
de cette activité mais aussi pour les décisions concernant les produits. La CPA est
donc à privilégier quand il s’agit de tenir compte des coûts environnementaux.
En résumé, les activités de développement durable entraînent des coûts qui, à
l’aide de la MCCCV, pourront être attribués à des objets de coûts, ce qui améliorera
la qualité des informations de gestion. Cette méthode exige d’identifier l’ensemble
des coûts directs qui peuvent être associés à un produit ou une activité et, par un
procédé d’allocation, de rattacher à ces objets de coûts, une part des coûts indirects.
La capture de ces coûts devrait se faire dans un espace-temps correspondant au cycle
de vie du bien ou service considéré.
236
DD : les apports et les limites de la comptabilité
créer de toutes pièces des indicateurs et de les présenter dans un format mieux
adapté à ses besoins et à ses objectifs. Le cas Schneider Electric est là pour en attes-
ter. Tel que présenté (cf. tableau 15.2), les objectifs stratégiques de la compagnie
Schneider Electric, pour 2009-2011, ont été transcrits sous forme de tableaux de
bord actualisés trimestriellement (cf. figure 15.2). Comme précisé, ces outils de pilo-
tage permettent de « mobiliser tous les collaborateurs à travers le monde autour de
grands engagements de développement durable et de partager le suivi des plans
d’actions avec l’ensemble de ses partenaires » 1.
1. Tiré de http://www.schneider-electric.com/sites/corporate/fr/groupe/developpement-durable-et-
fondation/strategie-developpement-durable/notre-strategie-de-developpement-durable.page
237
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Les objectifs pour 2011 se déclinent dans les 3 domaines du développement durable : Environnement,
Économie et Société.
– 3/10 est la note de départ en 2009
– 8/10 est la note à atteindre en 2011
Environnement
– Réduire nos émissions de CO2 de 30 000 tonnes par an
– Réaliser 2/3 de notre chiffre d’affaires produit avec une offre Green Premium
– Permettre à 2/3 de nos salariés de travailler dans des sites certifiés ISO 14001
Économie
– Dépasser de 7 points la croissance moyenne du Groupe avec nos activités d’efficacité énergétique
– Mettre en place des filières de traitement du gaz SF6 dans 10 pays
– Contribuer à l’électrification d’1 000 000 de foyers de la « base de la pyramide »* grâce aux solutions
Schneider Electric
– Réaliser 60 % de nos achats avec des fournisseurs signataires du « Pacte Mondial »
– Assurer la présence de Schneider Electric dans les 4 familles majeures d’indices ISR
Société
– Diminuer de 10 % par an le taux de fréquence des accidents du travail
– Augmenter de 14 points le score de recommandation de l’entreprise par ses employés
– Former 2 000 salariés aux solutions de gestion de l’énergie
– Former 10 000 jeunes de la « base de la pyramide »* aux métiers de l’électricité
– Soutenir 500 entrepreneurs de la « base de la pyramide »* dans la création de leur activité dans le
secteur de l’électricité.
*Programme BipBop
Ainsi, on peut dire qu’un tableau de bord intégrant des indicateurs de performance
liés au développement durable permettra un meilleur suivi de l’impact des actions et
décisions, de mieux comprendre les liens de causalité entre les divers enjeux de
développement durable et la notion de performance – financière ou non d’ailleurs.
En procédant de la sorte, le gestionnaire s’assure d’un niveau minimum de cohésion
en interne, en l’occurrence au regard des objectifs stratégiques liés au développe-
ment durable. Enfin, outre un outil de gestion de la performance, un tableau de bord
lié au développement durable s’avérera être également un outil de communication
qui aidera l’entreprise à rendre compte auprès de ses parties prenantes du niveau de
réalisation effectif de sa politique de développement durable.
238
DD : les apports et les limites de la comptabilité
Les pressions des actionnaires et de diverses parties prenantes tels les clients, les
collectivités et les employés, font en sorte que de plus en plus d’organisations
publient de l’information économique, environnementale et sociale, soit dans leur
rapport de gestion ou, de manière distincte, dans un rapport de développement dura-
ble. Une récente enquête menée par KPMG révèle que 80 % des 250 plus grandes
sociétés de la liste Fortune 500 publient un tel rapport distinct et qu’un 4 % addition-
nel intègre cette information dans leur rapport de gestion (KPMG, 2008).
239
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
1. À cela s’ajoute l’obligation pour les entreprise de plus de 300 salariés de soumettre un bilan social
au comité d’entreprise (loi 77-769 du 17 juillet 1977).
2. Pour plus de détails concernant ces directives, voir « Améliorer son rapport de gestion-Informations
à fournir sur le changement climatique pour aider les préparateurs de rapports de gestion et le
rapport de gestion, lignes directrices concernant la rédaction et les informations à fournir », Conseil
canadien de l’information sur la performance, http://www.icca.ca/recherche-et-recommanda-
tions/information-sur-la-performance/index.aspx
3. D’autres aspects liés à ces questions sont aussi couverts dans les IAS 2, 10, 16, 36 et 38
240
DD : les apports et les limites de la comptabilité
l’IAS 19, par exemple, les entreprises doivent refléter dans leurs états financiers
leurs obligations sociales liées aux avantages du personnel comme par exemple les
obligations créées par les régimes de retraite. La comptabilisation et les informa-
tions à fournir au regard des provisions, passifs éventuels et actifs éventuels qui
découlent des impacts des activités de l’entreprise sur l’environnement ou la collec-
tivité sont couvertes dans l’IAS 37.
Toutefois, ces normes sont loin de couvrir l’ensemble des informations liées au
développement durable, puisqu’elles se limitent à certains aspects bien précis des
activités sociales et environnementales. Les aspects sociaux et environnementaux
traités dans les normes sont ceux qui peuvent influencer la présentation fidèle de la
situation financière de l’entreprise au cours d’un exercice financier donné tel que
défini par le cadre conceptuel comptable. La note (voir ci-dessous) sur les engage-
ments et les éventualités apparaissant aux états financiers de Cascades Inc. fournit
un bel exemple de ce qui sera divulgué en respectant les principes comptables. Le
lecteur est informé d’une obligation éventuelle mais toute autre information en rela-
tion avec l’évènement, par exemple des données sur la qualité du sédiment n’appa-
raîtront pas dans les états financiers.
1. Extrait des notes aux états financiers du Rapport annuel 2008 de Cascades Inc., p. 72, disponible à
http://www.cascades.com/investisseurs
241
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Conclusion
Le comptable a la responsabilité de mettre en place des outils qui produiront des informa-
tions susceptibles de répondre aux besoins des divers utilisateurs. Il ne peut agir de façon
isolée et doit collaborer avec les gestionnaires et les employés de tous les niveaux pour
comprendre les principaux enjeux de développement durable de l’entreprise, pour identi-
fier les effets internes et externes des activités actuelles et futures, pour en évaluer les coûts
(internes, externes, cachés, à court et à long terme) et en apprécier les avantages, les effets
positifs ou les économies réalisées. Le défi est grand puisque les besoins varient selon les
diverses parties prenantes, les outils sont nombreux et les effets des activités de dévelop-
pement durable sont très variés et le plus souvent incertains. Le développement et la mise
en œuvre d’une comptabilité de DD, en plus de promouvoir la transparence en matière de
reddition de compte et la gouvernance responsable, permet à la direction de communiquer
sa vision et ses valeurs et d’améliorer ses performances par la réduction des coûts, par des
investissements responsables et plus généralement par une utilisation plus efficace de ses
ressources. Ce domaine de la comptabilité est encore trop peu développé et la profession
comptable doit s’appliquer à mieux définir le concept et à faire progresser cette discipline.
À l’ère ou la notion de responsabilité sociale est devenue un enjeu majeur pour la pérennité
des entreprises, la disponibilité d’informations de qualité, uniformes et comparables, cons-
tantes dans le temps, favorisera la prise de décisions éclairées de l’ensemble des divers
acteurs intéressés par les questions de développement durable.
Pour les organismes responsables de la normalisation comptable (IASB, FASB, ICCA,
ACCA…) la question de la divulgation obligatoire d’informations de développement dura-
ble normalisées, objectives et vérifiables reste entière. Bien que des efforts aient été faits
en ce sens, le cadre conceptuel de la comptabilité financière, centré sur une logique écono-
mique et des principes d’objectivité, de prudence et de comparabilité ne permet pas encore
de normaliser la publication d’informations de nature quantitative ou non financière.
242
Chapitre
Les achats
responsables
16 en pratique
Lucie BOYER
Dominique WOLFF
Ce chapitre se focalisera sur les bonnes pratiques et les enjeux propres aux achats
responsables – ou achats durables. Nous nous concentrerons ici essentiellement sur
l’aspect pratique du domaine, en proposant des axes de réflexion stratégique, des
modèles d’application et des outils de gestion. Nous prendrons également l’exemple
de trois entreprises du Cac 40 que nous analyserons sur une période de quatre ans,
afin de comprendre comment s’est déroulée la mise en place des achats responsables
pour ce type de compagnie.
244
Les achats responsables en pratique
Source : LDA/Cdaf.
Certes, cette tendance est visible de manière plus concrète dans les grandes entre-
prises, toutefois, les PME ont également compris l’intérêt qu’elles auraient à accroî-
tre la place dédiée à la fonction achats. Ainsi, il y a quelques années, la demande
d’acheteurs s’est envolée sur le marché de l’emploi, faisant apparaître de nombreux
Masters et autres diplômes spécialisés en achats et supply chain. Cela répond à un
besoin fort des entreprises de former rapidement des spécialistes aux nouvelles
tendances de gestion des achats. Parallèlement à cela, des outils informatiques de
travail ou de gestion de la performance ont également été développés (Hervier,
2003) : notamment l’aide à l’approvisionnement des produits via les systèmes MRP
(Material Requirement Planning) ou encore le développement des logiciels d’e-
achats. Les outils spécialisés – dont BravoSolution est un bon exemple – incluent
généralement le sourcing, l’approvisionnement et l’aide à la prise de décision. Cela
a rendu la fonction plus technique.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
245
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Source : LDA/Cdaf.
L’étude conclut que plus les entreprises se recentrent sur leur secteur d’activité,
plus elles externalisent leurs achats « non stratégiques » et plus la part des achats
dans le CAHT augmente.
246
Les achats responsables en pratique
Élaboration des contrats intégrant les quantités et Application des contrats, passation des
délais de livraison commandes, suivi des livraisons
La fonction achats est stratégique à deux titres. D’abord, en tant que levier de
profit, elle représente un enjeu financier. En effet, on connaît la relation suivante :
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
247
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Sachant que chaque entreprise a une particularité qui tient à son secteur d’activité,
à sa culture d’entreprise ou au type de produit qu’elle fabrique, il paraît évidemment
complexe de donner une méthode d’application standard qui s’adapterait au service
achats de toutes les entreprises. En revanche, nous allons tenter de soulever les pistes
de réflexions possibles qui aideront le gestionnaire à choisir les enjeux stratégiques
de la démarche de DD qui seront appropriés à son service achats.
249
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
En ce qui concerne le DD, avant toute chose, l’équipe de gestion doit se convain-
cre du fait que l’on mise sur le long terme. Cela signifie que cette démarche doit
suivre un processus d’amélioration continue et s’ancrer dans la culture de l’entre-
prise et de fait, dans la culture dudit service achat. La problématique des achats
responsables suppose également une réflexion sur les motivations et donc les orien-
tations de la démarche. Une étude menée en 2009 par HEC-Paris et Ecovadis révèle
que les motivations des achats responsables – ou durables – sont de trois ordres :
– l’approche défensive – la plus prisée – motivée par la protection de l’image de
l’entreprise et le respect des réglementations environnementales par les
fournisseurs ;
– l’approche économique motivée par la réduction du TCO (voir ci-dessous) ;
– l’approche offensive – la moins développée – justifiée par l’innovation et la moti-
vation interne que cela engendre.
Voici également quelques pistes de réflexion formulées par l’ORSE (Observatoire
sur la responsabilité sociale des entreprises), pour savoir sur quel enjeu axer sa stra-
tégie d’achats responsables :
– amélioration de la qualité et de la performance globale ;
– création de chaînes de compétences et accompagnement des fournisseurs ;
– sauts technologiques – grâce à l’intégration de critères environnementaux ;
– création d’avantages concurrentiels.
Quelle qu’elle soit, la réflexion doit se positionner dans la continuité de la stratégie
globale de l’entreprise afin d’assurer une opérationnalisation efficace et réussie du
concept. Malgré tout, plusieurs obstacles à sa mise en place sont possibles. Il est par
exemple fréquent qu’à l’initiative du projet, la question du retour sur investissement
d’une politique d’achats responsable soit posée. Par ailleurs, si la fonction achats
n’est pas considérée comme une fonction stratégique au sein de l’entreprise, cela
pourrait constituer un frein à la mise en place d’une telle démarche, car elle suppose
comme préalable un soutien sans faille de la part de la direction générale.
En vue de donner des idées d’enjeux possibles que peut se fixer un service achats,
voici quelques exemples d’engagements pris par de grandes entreprises industrielles
françaises.
Le service achats de « Sanofi-Aventis s’est fixé les engagements suivants :
– partager les principes du Pacte mondial ainsi que les valeurs du groupe avec
l’ensemble des fournisseurs ;
– s’assurer du respect de ces principes et de ces valeurs dans la production et la
réalisation des biens et des services destinés à Sanofi-Aventis ;
250
Les achats responsables en pratique
– intégrer les éléments de respect de l’environnement dans le cahier des charges des
produits et des services achetés ».
Pour ce qui concerne Bouygues Construction : « La démarche Achats Responsa-
bles du GIE Achats est principalement organisée autour de trois axes :
– créer et diffuser une culture du développement durable ;
– référencer des produits socialement responsables ou à performances
environnementales ;
– revisiter la relation fournisseur dans une logique de partenariat ».
Dans un autre secteur, la première étape d’Alstom fut de proposer une charte des
achats responsables à ses fournisseurs : « Ce document exige le respect des princi-
pes de la Déclaration des droits de l’homme (…) et l’ensemble des valeurs énoncées
dans le Code d’Éthique d’Alstom. En mars 2009, plus de 580 fournisseurs se sont
engagés en signant cette charte. Pour généraliser l’adhésion de ses fournisseurs,
Alstom a commencé à l’intégrer dans ses conditions générales d’achat ». Cette
compagnie a également mis en place différents outils de suivi du procédé : un
module d’e-learning à l’attention des acheteurs et des fournisseurs, une démarche
d’évaluation DD des fournisseurs par un organisme externe spécialisé et des audits
sur les sites des fournisseurs 1.
Pour aider le lecteur à comprendre ce qui pourrait faire la différence entre une
politique d’achats « classique » et une politique d’achats responsable, nous allons
lister ici certaines bonnes pratiques pour asseoir une démarche durable, tout en
rappelant quelques principes de gestion, indispensables au bon déroulement d’un tel
changement dans une entreprise.
Tout d’abord, la stratégie de DD globale de l’entreprise doit être déployée à toutes
les fonctions de l’organisation et donc en particulier aux achats. Cela suppose,
comme nous l’avons vu précédemment, de revoir la politique d’achats en y intégrant
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
les exigences de DD et notamment des indications sur la manière de gérer les ques-
tions sociales et environnementales dans les processus de conception, de fabrication
et de transport des biens et services. Ainsi, le simple fait d’ajouter de nouveaux
objectifs sans revoir la politique d’achats, ne représenterait que peu d’intérêt. En
effet, la réécriture de la politique d’achats de l’entreprise est fondamentale puisque,
non seulement elle pilotera le service en question, mais elle pourra également être le
support de la communication interne ou externe afin de soutenir la démarche DD
globale.
La « Charte des 10 engagements pour des achats responsables », dite Charte de bonnes
pratiques, rédigée conjointement par la Médiation du crédit et la CDAF (Compagnie des
dirigeants et acheteurs de France), a été signée par les grands donneurs d’ordre, en
présence de la ministre de l’Économie, Christine Lagarde, le 11 février 2010.
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252
Les achats responsables en pratique
☞
En effet, suite aux états généraux de l’industrie, lors desquels les acheteurs des grandes
firmes ont été montrés du doigt à propos de leurs relations difficiles envers leurs fournis-
seurs (majoritairement des PME), une vingtaine des plus grands acteurs de l’industrie fran-
çaise a souhaité prendre des engagements de bonne conduite.
La charte vise la pérennité de la relation en fixant des principes d’équité financière et de
relation partenariale entre les donneurs d’ordre et les fournisseurs. Par ailleurs, le dévelop-
pement durable est mentionné en deux points : d’une part le coût total (TCO) du bien ou
service doit être pris en compte par l’acheteur et d’autre part, le donneur d’ordre doit faire
preuve d’« exemplarité » en matière de problématique de DD.
Enfin, le dernier engagement prévoit l’intégration de ces bonnes pratiques, sous forme
d’objectifs, dans le calcul de la rémunération des acheteurs. Grâce à ce dernier point, on ne
peut qu’accorder à la charte un certain crédit, puisque les acheteurs seront financièrement
incités à la respecter.
Les principaux supports que l’on peut recommander dans le cadre de la mise en
place d’une politique d’achats responsables sont de deux ordres : des guides techni-
ques ou des méthodes comptables.
En ce qui concerne les guides techniques, le SD 21000 est un outil d’auto diagnos-
tic créé par l’Afnor qui permet aux gestionnaires de déterminer les enjeux prioritai-
res d’une démarche de DD. Cet outil est décrit dans le chapitre 11. Nous pourrions
également citer par avance la norme ISO 26000, qui sera publiée fin 2010 et traitera
de l’application du DD à la gestion des organisations.
De même, lorsque nous parlons de guides techniques, il existe également toute la
littérature sur l’ACV – pour analyse du cycle de vie du produit – et l’écoconception.
L’ACV est une réflexion sur le produit de sa conception à son utilisation, voire à sa
réutilisation finale (cf. les normes ISO 14040 et les suivantes et le chapitre 14).
Celle-ci sert à étudier et chiffrer l’impact environnemental d’un produit ou d’un
service au cours de son cycle de vie. En identifiant les phases critiques de ce cycle, il
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
est alors possible d’intervenir pour limiter ou éviter les conséquences néfastes pour
l’environnement. L’une de ces phases sensibles est la conception du produit, car
c’est à ce moment que les possibilités techniques sont le plus grandes.
L’écoconception prévoit l’intégration de l’environnement lors de la conception des
produits, au même titre que les critères de qualité, coût, délai ou sécurité. L’objectif
de l’écoconception est donc la mise sur le marché de produits plus respectueux de
l’environnement. Le document XP ISO/RE 14062 est actuellement l’un des outils
normatifs dédiés à ce domaine. Mais la norme ISO 14006 – à paraître – donnera des
orientations plus exhaustives en matière d’écoconception. Lorsque l’entreprise a
choisi cette option, le service achats y prend part directement, puisqu’il travaille en
partenariat avec les services de R & D et les fournisseurs. Son rôle est alors de trou-
ver les fournisseurs qui seront capables de réaliser les produits avec des matières
alternatives – moins polluantes – à moindre coût.
253
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
254
Les achats responsables en pratique
Nous avons choisi d’analyser les rapports d’activités d’entreprises du secteur auto-
mobile du Cac 40 pour deux raisons. Tout d’abord, d’après la loi NRE du 15 mai
2001, les entreprises cotées ont l’obligation de publier des informations sur la
manière dont elles prennent en compte les conséquences sociales et environnemen-
tales de leur activité. Ainsi, s’il y a lieu, nous devrions donc y trouver un résumé des
activités menées dans le domaine des achats responsables. Deuxièmement, la part
représentée par les achats dans le chiffre d’affaires des équipementiers et construc-
teurs automobiles est importante – jusqu’à 80 %. L’on peut donc s’attendre à ce que
les achats aient été pris en compte de façon prioritaire dans la démarche de dévelop-
pement durable, voire même, à ce qu’une véritable politique d’achats responsables
ait été élaborée dans le cas des trois compagnies étudiées.
Cette étude a été réalisée sur la base de questions objectives du type :
« L’entreprise procède-t-elle à des audits sociaux chez ses fournisseurs ? » ou encore
« La certification ISO 14001 est-elle un des critères de sélection dans le choix d’un
fournisseur ? ». Lorsqu’il n’est pas mention du sujet dans le rapport d’activité, il a
été considéré que la réponse était négative. A minima, elle a été considérée comme
non prioritaire – n’étant pas mise en avant dans le rapport.
Nous avons également choisi d’évaluer de manière dynamique le comportement
des entreprises étudiées. De la sorte, nous avons choisi de travailler sur la période
2004-2008 – soit quatre ans – période qui, nous l’espérons, sera suffisamment large
pour nous permettre de mesurer aisément des évolutions de comportement dans le
secteur automobile français. Au final, cette étude nous permettra de positionner
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
chaque entreprise sur une échelle de performance étalonnée sur cinq niveaux,
comme préconisé par le SD 21000 (voir description ci-dessous).
Nous avons réalisé une échelle à cinq niveaux en vue de donner une note à la
démarche d’achats responsables de chaque entreprise. Pour cela, nous nous sommes
inspirés du guide SD 21000 développé par l’Afnor, et en particulier des enjeux de
DD « transversaux », entre autres, les enjeux « politique d’achats »,
« écoconception », « gestion des risques » et « pratiques managériales » soit, pour
ce dernier, l’engagement de la direction et la prise en compte du DD dans la stratégie
du groupe. Pour notre étude, nous avons complété les travaux du SD 21000 par les
255
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
La moyenne des notes des trois entreprises est passée de 1,7/5 à 3,17/5 entre 2004
et 2008. Cela signifie que l’attitude globale vis-à-vis des achats responsables est
passée de « peu concernée » à « concernée ». En d’autres termes, cela confirme que
PSA, Renault et Michelin ont intégré les achats responsables à leur démarche de DD
(cf. figure 16.3).
En rentrant plus dans le détail, la figure 16.3 montre qu’au regard des achats
responsables, le positionnement et l’évolution de chacune des entreprises sont
différents :
256
Les achats responsables en pratique
– PSA est passé de 1,5 à 3,5. Il y a clairement eu une prise de conscience de la part
du groupe qui, en quatre ans, a mis en place une charte fournisseurs, a fait signer
aux fournisseurs les plus importants des engagements en termes de responsabilité
sociale et s’est fixé des indicateurs de performance d’achats responsables
ambitieux ;
– Renault a progressé de 1 à 2. Le groupe a engagé des actions telles que l’amélio-
ration de la relation de partenariat avec les fournisseurs – basée sur des valeurs –
mais les enjeux sont encore peu clairement identifiables. En 2008, la politique
d’achats ne semblait pas encore intégrer les principes du DD. Depuis, une
« Charte achats et DD » a été signée en juillet 2009 – elle n’est pas encore dispo-
nible en ligne – ce qui signifie qu’une étude ultérieure améliorerait certainement
les résultats ;
– Michelin est passé de 2,5 à 4. En 2004, l’entreprise venait de créer le « Code des
achats », intégrant notamment des indications relatives à la manière de gérer les
questions environnementales et sociales. Cela fait donc plusieurs années qu’une
démarche d’achats responsables est mise en place. En 2008, « Le message des
Gérants » laisse transparaître que la direction souhaite que cet enjeu soit intégré à
la culture de l’entreprise.
Ces résultats sont plutôt encourageants, puisque toutes les entreprises étudiées
semblent s’être engagées dans une démarche en faveur des achats responsables.
Suite à la présentation des résultats, nous abordons ici une section pratique mettant
en lumière les actions mises en place par Michelin, PSA ou Renault pour déployer la
démarche DD pour les achats.
Dans la partie « Quelques pistes… » vue plus haut, nous avons évoqué le fait que,
pour mettre en place une démarche d’achats responsables, la première étape devait
être de restaurer la politique d’achats elle-même. C’est ce que Michelin a fait grâce
à son « Code des achats » : la mission du service achats y est énoncée clairement
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
comme dans une politique d’achats classique, mais à ceci viennent s’ajouter :
– des références à la « Charte Performance et Responsabilité Michelin » qui, elle,
est généraliste au plan du groupe – démontrant par là même le lien avec la straté-
gie DD du groupe ;
– des orientations en termes de RSE appliquées aux achats, comme par exemple ce
que Michelin attend de ses fournisseurs et de leurs sous-traitants en termes de
respect de l’environnement.
Par ailleurs, cette étude fournit de bons exemples de documents et procédures
venant soutenir la Politique d’achats responsable des compagnies automobiles
étudiées. En voici les meilleurs exemples :
257
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
– « Guide des règles de déontologie et d’éthique dans les relations avec les
fournisseurs » (Michelin). C’est un document interne à l’attention des acheteurs
qui a l’avantage d’être également disponible en ligne :
– « Exigences de responsabilité sociale et environnementale de PSA vis-à-vis de
ses fournisseurs ». Dans ce document encadrant spécifiquement les processus
d’achats, PSA énonce les critères de RSE que les fournisseurs devraient respecter
et qui seront pris en compte lors de la sélection de ces derniers ;
– « Déclaration des droits sociaux et fondamentaux » (Renault). Cette politique est
généraliste mais il est formellement écrit que : « L’engagement des fournisseurs
et des prestataires dans cette politique est un critère de sélection. » ;
– « Travail des enfants et travail forcé » (Michelin) ;
– « Charte éthique » (PSA).
En ce qui concerne la mise en place de tableaux de bord de gestion, l’exemple le
plus transparent ici est celui de PSA qui, sur son site dédié au DD, liste les dix objec-
tifs de DD que le groupe s’est fixés et, pour chacun des objectifs, la ou les actions
prioritaires à mettre en œuvre. Plus concrètement, l’un des objectifs concerne direc-
tement les achats : « Déployer le référentiel “Exigences de responsabilités environ-
nementales et sociales” de PSA Peugeot Citroën » avec pour objectif d’« engager les
500 premiers fournisseurs dans la démarche d’ici à 2010 ».
Voici d’autres exemples d’actions d’achats responsables de la part des entreprises
étudiées :
– effectuer des audits sociaux chez les fournisseurs : Michelin contrôle les condi-
tions de travail dans les plantations d’hévéa pour y valider le respect des principes
de l’OIT. Dans un souci de pérennité des relations avec la population locale, les
équipes en profitent pour faire de la prévention contre le paludisme ;
– former les acheteurs en interne : En vue de respecter le droit à la formation des
acheteurs, les services achats de PSA et Michelin ont créé une structure de forma-
tion interne, spécifique aux acheteurs : la Purchasing Business School (PSA) et la
Michelin Purchasing University ;
– travailler en étroite coordination avec les fournisseurs : lors du développement de
nouveaux produits, PSA collabore avec ses partenaires en vue d’atteindre des
objectifs de réduction de la masse ou des coûts ;
– initier les fournisseurs au DD : Renault a formé aux réglementations environne-
mentales 250 fournisseurs majeurs 1 ;
– choisir des fournisseurs de proximité : PSA mesure son « taux d’intégration
locale » pour chacune de ses usines ;
1. http://www.renault.com/fr/groupe/developpement-durable/pages/developpement-durable.aspx
258
Les achats responsables en pratique
Conclusion
Suite à notre étude, on constate qu’avec les années, la démarche DD globale s’est étendue
à la fonction achats. Certes, l’évolution est plus ou moins rapide selon les entreprises
étudiées, mais cela correspond à l’engagement de la direction et à l’importance que celle-
ci a donnée au DD.
De manière générale, la façon d’engager la démarche d’achats responsables n’est pas
uniforme. Par exemple, Michelin s’est davantage attaché à une modification de son
comportement interne avant de se tourner vers ses fournisseurs. Au contraire, Renault a
préféré former ses fournisseurs au DD avant de mettre en place une charte achats et DD en
interne. Cette différence peut s’expliquer de deux manières : d’abord, chaque entreprise
engage une démarche DD en fonction de la spécificité de sa stratégie globale et engagera
donc des actions potentiellement différentes de ses concurrentes ; ensuite, les achats
responsables sont une pratique nouvelle, de ce fait, chaque entreprise l’a intégré à son
rythme, parfois par obligation plus que par conviction, ce qui donne une diversité dans les
méthodes et le rythme de mise en œuvre.
Enfin, la fonction achats a évolué très vite ces dernières décennies. Il existe donc un écart
important entre les services achats « classiques » et ceux intégrant de nouvelles pratiques
de gestion. Cet écart est encore plus important si l’on y ajoute la dimension du DD. À ce
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
jour, les achats responsables sont surtout mis en place dans les grands groupes, dont le
capital « image » est important (cf. chapitre 10). Ceux-ci ont donc pris le temps d’effectuer
une réflexion stratégique dans le domaine des achats responsables et réclament maintenant
à leurs fournisseurs, des PME pour la plupart, de faire de même…
Glossaire
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LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
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LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
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