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management sup

s t r at é g i e d e l’ e n t r e p r i s e

Le
développement
durable
Théories et applications au management

2e édition

Sous la direction de
Dominique Wolff
© Dunod, Paris, 2010
ISBN 978-2-10-056098-1
Table des matières

Liste des auteurs 1

Introduction 3

Partie 1 – Le développement durable :


des conséquences multiformes pour l’entreprise

1 Introduction à l’économie de l’environnement : efficacité,


© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

externalité et gestion de la pollution 9

Section 1 Analyse économique traditionnelle vs. économie de l’environnement 9


Section 2 Gestion de la pollution et politiques publiques 13
1 Système de compensation à travers un régime de négociation 14
2 Deux instruments de quasi-marché du contrôle de pollution :
la taxe et la subvention 15
Section 3 Avantages et limites des outils d’accompagnement
des politiques environnementales 20
1 Les avantages 20
2 Les limites 21
III
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

2 Ambitions et impacts des quotas d’émission dans le contexte


des changements climatiques 23

Section 1 Fonctionnement et avantages théoriques du système


de quotas d’émission 24
1 Le fonctionnement du système de quotas d’émission 24
2 Les avantages théoriques 26

Section 2 Les règles entourant la conception du système 27


1 Périmètre du système et plafond des émissions 27
2 Critères d’allocation des quotas 29
3 Règles d’échange, d’apurement et de contrôle 30

Section 3 Vers une véritable prise en compte de la contrainte carbone ? 31

3 La finance socialement responsable 35

Section 1 La finance responsable 36


1 Les différentes approches de l’ISR 36
2 Le marché de la finance socialement responsable 39

Section 2 La rentabilité de la finance responsable 45


1 Les indices socialement responsables : des benchmarks indispensables
pour étalonner le marché 46
2 La performance de l’ISR 49

4 Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG 53

Section 1 La diversité des notations ESG 54


1 L’approche basée sur des principes d’exclusion 54
2 L’approche basée sur des principes de responsabilité sociale 57
3 L’approche basée sur l’analyse de la valeur ajoutée liée aux facteurs ESG 59
4 La notation des produits de taux 60

Section 2 La méthodologie best-in-class en détail 62


1 Notation relative ou notation absolue 62
2 L’approche best-in-class d’Innovest : la méthodologie d’Intangible Value
Assessment 63

IV
Table des matières

5 L’influence des valeurs liées à la RSE sur la gouvernance


des firmes : le cas des banques mutualistes 69

Section 1 Le lien entre valeurs, culture et décisions stratégiques 70


Section 2 Les valeurs associées à la RSE et leur proximité
avec le monde mutualiste 72
1 L’émergence des valeurs liées à la RSE 72
2 La déclinaison des valeurs associées à la RSE : les valeurs mutualistes 74
Section 3 L’influence sur la Gouvernance et la prise de décision 76
1 Une gouvernance spécifique 77
2 Les sociétaires au centre du dispositif 78
3 La nature des décisions prises par les banques mutualistes 79

6 Rapports de responsabilité sociale de l’entreprise et


capital de marque 83

Section 1 La marque 84
1 L’importance de la marque 84
2 Le capital de marque 85
3 Le développement du capital de marque 88
Section 2 La RSE et son impact sur le capital de marque 89
1 La responsabilité sociale et la performance financière 89
2 La responsabilité sociale et l’image de marque 91
Section 3 Une analyse de contenu des rapports annuels des grandes entreprises 92
1 Le cadre d’échantillonnage 93
2 Analyse des résultats 94
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Partie 2 – Une approche pragmatique


des questions de développement durable

7 L’écologie industrielle : promesses et limites d’une approche


pratique du management durable en entreprise 101

Section 1 Les concepts de base de l’écologie industrielle 102


1 Le métabolisme industriel 103
V
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
2 « L’analogie des écosystèmes » naturels ou biologiques 104
3 La symbiose industrielle 108

Section 2 Développements et applications 109


1 Dématérialisation-décarbonisation et l’économie de services :
la perspective d’un système économique entier 110
2 Des parcs éco-industriels aux « îlots de développement durable » 110

Section 3 Les limites d’un système économique basé sur la dissipation 111

8 Les stratégies de développement durable 115

Section 1 Les typologies traditionnelles des stratégies


de développement durable 116

Section 2 Une faible intégration stratégique des variables DD au sein


de l’entreprise : entre attentisme et attitude adaptative 119
1 Le comportement attentiste ou défensif 120
2 Le comportement adaptatif ou conformiste 121

Section 3 L’intégration stratégique du développement durable


dans l’entreprise : l’attitude proactive 123

9 Performance organisationnelle et responsabilité sociale


de l’entreprise 127

Section 1 La représentation de la performance organisationnelle 128


1 Le concept de performance organisationnelle et son opérationnalisation 128
2 Les modèles de performance organisationnelle 131

Section 2 La perception de la relation entre RSE et performance 135


1 Les pratiques RSE et leur relation à la performance 135
2 Représentation des liens entre la RSE et la performance 139

10 La gouvernance d’entreprise et le développement durable 143

Section 1 La gouvernance d’entreprise 145


1 Définition de la gouvernance 145
2 Évolution de la gouvernance : un bref historique 146
3 Les codes de conduites en matière de gouvernance 148
VI
Table des matières
Section 2 Les instances de surveillance dans les entreprises cotées 150
1 Les rôles du CA 150
2 La composition des conseils d’administration 150
3 Les comités spécialisés du CA 152
Section 3 Le développement durable et la gouvernance 152
1 Les ajustements aux systèmes de gouvernance en lien avec le DD 152
2 Le cas d’une entreprise québécoise : la compagnie Cascades 154

Partie 3 – Le développement durable :


un paradigme appliqué à la gestion

11 Du concept de développement durable à la notion


de management durable 159

Section 1 Une évolution inéluctable du comportement managérial 160


1 Un contexte en forte mutation 160
2 Le cas de la société Nike 163
Section 2 La matérialisation de l’idée d’un management durable 164
Section 3 Le guide SD 21000 en action… 167
1 L’approche SD 21000 167
2 La méthodologie SD 21000 168

12 La « nouvelle frontière » du marketing responsable 175


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Section 1 Le marketing « classique » entre nouveaux risques


et opportunités nouvelles 177
1 Le marketing « classique » sur la sellette… 177
2 La perspective d’une « croissance verte » 181
Section 2 Le marketing est mort, vive le marketing (responsable) ! 184
1 Le marketing : un colosse aux « P » d’argile 184
2 Le marketing éthique : comment prévenir les débordements
du marketing ? 185
3 Le marketing vert : comment vendre des produits avec
un « plus » social ou environnemental ? 187
4 Le marketing social : comment utiliser le marketing pour promouvoir
des comportements responsables ? 189
VII
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

13 La gestion des ressources humaines à l’épreuve


de la responsabilité sociale de l’entreprise 195

Section 1 À l’heure de la RSE, la GRH est confrontée à de nouveaux publics 196


1 Le cas de la chaîne d’approvisionnement 197
2 Le cas des ONG 198
Section 2 Les nouvelles attentes des salariés et de leurs représentants
face à la RSE 200
1 Les syndicats face à la RSE 200
2 Les salariés face à la RSE 202
Section 3 Les nouveaux rôles de la DRH à l’heure de la RSE 204
1 Les rôles traditionnels de la DRH 204
2 Les nouveaux rôles de la DRH à l’heure de la RSE 206

14 Le système de management de l’environnement (SME) 209

Section 1 SME et politique environnementale : éléments de définition 210


Section 2 Processus d’audit du SME 212
1 Définition et formes d’audit de SME 212
2 Méthodologie de l’audit de SME 213
Section 3 Implémenter durablement un SME 215
1 Élaborer une politique environnementale claire et pertinente 215
2 Proposition d’une méthodologie d’apprentissage et d’appropriation
du SME par l’ensemble des personnels 216
Section 4 Évaluer et piloter le SME 220
1 Évaluer et piloter le SME sur le plan technique 220
2 Évaluer et piloter le SME sur le plan économique et comptable 222

15 Développement durable : les apports et les limites


de la comptabilité 227

Section 1 La comptabilité de DD et les notions de coûts 228


1 Comprendre la comptabilité de DD 228
2 Les notions de coûts appliquées à la comptabilité de DD 230

VIII
Table des matières
Section 2 Les outils et techniques de la comptabilité de DD 234
1 La méthode du coût complet du cycle de vie 234
2 Les tableaux de bord 237
3 Les rapports de développement durable 239

16 Les achats responsables en pratique 243

Section 1 La fonction achats dans l’entreprise 244


1 Conséquences de l’évolution de la fonction achats 244
2 Définitions et concepts relatifs aux achats 246
Section 2 L’intégration des achats responsables en entreprise 248
1 Un bref état de l’art de la recherche 248
2 Quelques exemples d’application 249
Section 3 Quelques données concernant des sociétés du CAC 40 254
1 Déroulement de l’étude et description de l’outil d’analyse 255
2 Analyse des résultats 256

Glossaire 261

Bibliographie 267
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

IX
Liste des auteurs

Pierre BARET Professeur associé, pôle Économie, Stratégie et Organisa-


tion, ESC La Rochelle, Groupe Sup de Co La Rochelle.

Hélène BERGERON Professeure - comptable agréée - département de compta-


bilité, Université du Québec à Trois-Rivières (Québec,
Canada).

Christoph BEY Professeur, département Économie, Droit et Développe-


ment Durable, ESC Tours-Poitiers, Groupe ESCEM.

Lucie BOYER Directrice des achats, Foussier, Msc, MbA.

François CODERRE Professeur, département de marketing, faculté d’adminis-


© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

tration, Université de Sherbrooke (Québec, Canada).

Rémi DEVEAUX Directeur de la performance, direction du DD, Schneider


Electric.

Perrine DUTRONC Directrice Europe, Innovest - Riskmetrics Group.

Jie HE Professeure, département d’économie, faculté d’adminis-


tration, Université de Sherbrooke (Québec, Canada).

Jacques IGALENS Professeur agrégé, IAE de Toulouse.

Éric LAMARQUE Professeur agrégé, Université Montesquieu Bordeaux IV.

1
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Élisabeth LAVILLE Directrice-fondatrice, cabinet Utopies.

Erwan LE SAOUT Maître de conférences – HDR - Université Paris 1


Panthéon-Sorbonne
Professeur, département Contrôle-Finance-Audit, ESC
Tours-Poitiers, Groupe ESCEM.

Stéphane LEGENDRE Chercheur associé - Chaire Bombardier de gestion de la


marque - Université de Sherbrooke (Québec, Canada).

Annelise MATHIEU Docteur en sciences de gestion, IAE d’Aix en Provence,


CERAM.

Denyse RÉMILLARD Professeure, Vice-doyenne à l’enseignement, faculté


d’administration, Université de Sherbrooke (Québec,
Canada).

Jean-Yves SAULQUIN Professeur - HDR - Doyen de la recherche, ESC Tours-


Poitiers, Groupe ESCEM.

Guillaume SCHIER Professeur - HDR - Doyen de la faculté, ESC Tours-


Poitiers, Groupe ESCEM.

Richard SOPARNOT Professeur - HDR - département Stratégie, ESC Tours-


Poitiers, Groupe ESCEM.

Alain WEBSTER Vice-recteur au développement durable et aux relations


gouvernementales, Université de Sherbrooke (Québec,
Canada).

Dominique WOLFF Professeur - HDR - département Économie, Droit et


Développement Durable, ESC Tours-Poitiers, Groupe
ESCEM.

2
Introduction

L es problématiques environnementales et économiques ont longtemps été


perçues comme antagonistes car construites indépendamment, par des acteurs
aux sensibilités diamétralement opposées. En 1987, la Commission mondiale
sur l’environnement et le développement, dite commission Brundtland, du nom de
sa présidente Mme Gro Harlem Brundtland, publie un rapport intitulé Our Common
Future, qui consacrera le terme de développement durable. On retiendra des travaux
de cette commission, une définition politique du concept, comme étant « un déve-
loppement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des
générations futures à répondre aux leurs » (CMED, 1987).
De la sorte, le développement durable – noté DD par la suite – revient à considérer
la croissance économique non pas comme une fin en soi mais comme un procédé
susceptible de contribuer à l’amélioration de la condition humaine – pauvreté, inéga-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

lité, exclusion – et à la protection de l’environnement. Le DD est construit sur une


logique d’ouverture : une ouverture de notre horizon temporel, celui des générations
futures et une ouverture de notre horizon spatial – penser global pour agir local.
Cette approche implique un traitement conjoint des effets économiques, sociaux et
environnementaux de tout choix provenant de la sphère politique ou économique.
De ce fait, la notion de DD induit de nouveaux modes de gouvernance – privilégiant
la recherche du consensus à l’arbitraire – associant le plus grand nombre de parties
prenantes et remettant ainsi en cause le modèle actionnarial.
En effet, jusqu’alors, selon l’optique économico-financière, l’entreprise avait
comme simple objectif de maximiser la richesse de ses actionnaires. Cette concep-
tion financière du rôle de la firme constitue l’assise du modèle de développement
économique actionnarial qui s’est imposé depuis les années soixante-dix. Malgré ses
3
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

nombreux bienfaits, la prédominance des intérêts des actionnaires, qui est au cœur
de ce modèle de croissance, a été fortement critiquée du fait qu’elle aurait exacerbé
des comportements court-termistes et cela au détriment du bien-être de l’ensemble
des parties prenantes de l’entreprise.
Parmi les détracteurs du modèle actionnarial, notons Freeman, qui dans son
ouvrage fondateur intitulé The Strategic Management : A Stakeholder Approach, a
remis en cause la primauté de l’actionnaire. Selon Freeman (1984), « managers
needed to understand the concerns of shareholders, employees, customers,
suppliers, lenders and society, in order to develop objectives that stakeholders
would support. This support is necessary for long term success. » L’auteur suggère
une meilleure prise en compte des intérêts des multiples parties prenantes dans les
décisions et la gestion afin d’assurer la pérennité et la compétitivité des entreprises
sur le long terme. De la sorte, on peut dire que la théorie des parties prenantes pose
l’assise théorique d’un modèle de gestion plus « responsable » (Rémillard & Wolff,
2009). L’approche par les parties prenantes apporte de nombreuses justifications,
qu’elles soient éthiques ou encore stratégiques, légitimant les principes de DD appli-
qués à la gestion des entreprises.
Toutefois, elle n’est pas la seule à le faire. Il apparaît que d’autres approches alter-
natives, comme l’approche conventionnaliste, suscitent un intérêt particulier pour
expliquer les raisons justifiant la prise en compte et la diffusion du concept de DD
dans la gestion des entreprises. Selon l’approche conventionnaliste, nous pouvons
interpréter l’évolution des comportements (en l’occurrence, la recherche d’une plus
grande responsabilité des entreprises relativement aux nouvelles attentes de la
société civile) comme la résolution d’un phénomène conventionnel – la manifesta-
tion d’un nouveau consensus – quant à la manière « convenable » de diriger les
entreprises. Le DD trouverait sa légitimité auprès des parties prenantes parce qu’il
permet une meilleure conciliation de leurs intérêts dans une perspective de création
de valeur à long terme. En mobilisant aussi des justifications des mondes civiques et
domestiques (modèle de Boltanski et Thévenot, 1991), il semble que le DD soit en
voie de s’établir comme une nouvelle référence pour la gestion des entreprises. En
cela, le DD se distingue de la convention actionnariale, essentiellement érigée sur
des impératifs marchands, industriels et connexionnistes (Rémillard & Wolff, 2009).
En effet, bon nombre de firmes sont confrontées à de nouvelles problématiques de
gestion émanant d’exigences inédites de la part des parties prenantes et de règles
imposées par la logique économique et financière qui prévaut sur les marchés. À
celles-ci, le concept de développement durable et la notion de responsabilité sociale
de l’entreprise semblent pouvoir apporter de nouvelles réponses et de précieux repè-
res aux organisations. La notion de responsabilité sociale de l’entreprise, telle que
définie par le livre vert de la Commission des communautés européennes, apparaît
comme un cadre de réflexion idéal, un référentiel humaniste, permettant de pallier
l’asymétrie d’intérêts entre les différentes attentes des parties prenantes.
Plus qu’une mode ou une nouvelle contrainte pour l’entreprise, le concept de DD
doit être envisagé comme la matérialisation d’un nouveau mode de coordination,
4
Introduction

permettant d’objectiver les relations entre parties prenantes dans un contexte de


déréglementation des marchés. La notion de DD apparaît être un construit collectif
qui donne du sens à l’arbitrage entre performance économique, protection de l’envi-
ronnement et politique sociale. Cette convention est le fruit d’un processus de
réflexion de la société civile – sommets de Rio, Kyoto, Johannesburg, Copenhague –
qui ensuite s’est transformé en orientation stratégique – pour les entreprises – et qui,
enfin, devient un principe de gestion dont les travaux de codification et d’endogénéi-
sation commencent à prendre corps. Selon cette approche, le développement durable
est une réponse collective – une convention – à un problème d’asymétrie de compor-
tement ou d’attente : conflit d’intérêts entre la société civile et la sphère économi-
que.
Au regard de ces différents éléments, nous développerons dans cet ouvrage l’idée
selon laquelle les entreprises sont actuellement particulièrement exposées en termes
d’image de marque, de réputation, de risques juridiques et industriels, ce qui les
oblige indirectement à reconsidérer leurs modes de management (Wolff, 2007).
Malgré le nombre de plus en plus important de cas pratiques donnés en exemple, le
concept de DD appliqué à la gestion soulève deux remarques d’importance : pour-
quoi les entreprises doivent-elles tenir compte de la dimension DD dans leur mode
de développement ? Comment intégrer cette notion dans les modèles stratégiques, le
management et les principes de gestion des entreprises ? Nous tenterons de répondre
à ces différentes questions, tant du point de vue théorique que du point de vue prati-
que et ce, en relatant de nombreux exemples tirés de l’expérience d’entreprises pion-
nières dans le domaine.
Dans la première partie, nous commencerons par nous interroger sur les raisons de
la prise en compte aussi large du concept de DD par la société actuelle. En tentant de
répondre au pourquoi – pourquoi prendre en compte le DD dans la gestion des
entreprises ? –, nous montrerons que nous sommes en présence d’un concept protéi-
forme qui trouve son origine dans de nombreuses sources : problèmes environne-
mentaux, questions éthiques, perte de valeurs, scandales financiers, etc. À cet égard,
nous présenterons les principaux instruments de régulation proposés par l’économie
de l’environnement lorsqu’il s’agit d’internaliser les problèmes de pollution : la
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

fiscalité « verte », dont les mécanismes de quotas d’émission. Nous aborderons


également la question des marchés financiers par l’intermédiaire de la finance socia-
lement responsable et de ses méthodologies propres – comme la notation dite ESG
pour Environnementale, Sociale et de Gouvernance. Enfin, nous aborderons la ques-
tion des nouvelles attentes des parties prenantes en ce qui concerne le comportement
des firmes, ce qui nous amènera à conclure sur les valeurs et leur impact sur les
règles de gestion et la valorisation de l’image de marque des entreprises.
Par ailleurs, nous montrerons qu’il est possible d’intégrer le concept de DD au
modèle de développement des entreprises. Nous commencerons cette seconde partie
par ce qui apparaît être le modèle le plus abouti lorsqu’il s’agit d’internaliser les
questions de pollution et d’érosion de stocks de matières premières liées à nos
modes de production – cf. les travaux sur l’écologie industrielle, les parcs éco-indus-
5
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

triels et les îlots de développement durable. À la suite, nous aborderons les questions
de management stratégique liées aux comportements et attitudes des entreprises face
à la dimension DD – défiance, inférence ou anticipation de la part du manager.
Enfin, nous traiterons de l’évolution des modes de gouvernance dans les multinatio-
nales et discuterons du lien potentiel entre performance organisationnelle et respon-
sabilité sociale de l’entreprise.
Dans la troisième partie, le développement durable sera appréhendé comme une
nouvelle dimension intégrée à la gestion des organisations. Nous tenterons de
décrire les meilleures approches, méthodes et outils, permettant de prendre en
compte le DD dans de nombreux domaines de la gestion : la gestion des ressources
humaines, le marketing, la comptabilité « verte », le contrôle de gestion, etc. Nous
présenterons également les principaux modèles, guides ou normes associés à ce que
nous pourrions appeler globalement le management durable – SD 21000, SME et
normes de la série ISO 14000, etc. Enfin, nous finirons sur les bonnes pratiques et les
enjeux propres aux achats responsables – ou achats durables – fonction stratégique
en interne mais également fonction clé en externe, du fait de son pouvoir prescriptif
tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
Dominique WOLFF

6
Le développe-
Partie ment durable :
des conséquences
1
multiformes pour
l’entreprise

D epuis le début des années quatre-vingt-dix, de fortes pressions s’exercent


sur les entreprises afin qu’elles prennent davantage en compte les dimen-
sions environnementales et sociales dans leurs décisions stratégiques et
leur gestion en général. Ces nouvelles exigences en faveur d’une responsabilisation
accrue des entreprises et d’un développement économique durable se sont égale-
ment accompagnées de mécanismes de régulation nouveaux : des normes, des régle-
mentations, des taxes nouvelles venant baliser les pratiques de gestion.
Les six chapitres de cette première partie décrivent les principaux impacts écono-
miques et financiers, conséquences de la prise en considération du concept de déve-
loppement durable par les pouvoirs publics comme par les entreprises.
Le premier chapitre de cette partie s’intitule « Introduction à l’économie de
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

l’environnement : efficacité, externalité et gestion de la pollution ». Jie HE nous


présente les apports essentiels de l’économie de l’environnement lorsqu’il s’agit de
tenir compte des externalités produites par le marché. En l’occurrence, l’auteure
présente les principaux instruments réglementaires ou fiscaux susceptibles de limiter
la production de pollution et ainsi, de protéger l’environnement – par des systèmes
de taxes ou de subventions. Ce chapitre donne lieu également à l’exposé d’une
synthèse sur les avantages et les limites des différentes dispositions réglementaires
et fiscales de lutte contre la pollution.
Le deuxième chapitre s’intitule « Ambitions et impacts des quotas d’émissions
dans le contexte des changements climatiques ». Dans ce chapitre, Alain WEBSTER
précise les mécanismes inhérents au système de quotas d’émissions de gaz à effet de
serre. L’auteur fait le point sur l’actualité du domaine en Europe – The European
7
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Union Emissions Trading Scheme – et également aux USA – concernant le projet de


loi Waxman-Markey, prévoyant d’ici à 2016 la régulation de près de 85 % des émis-
sions de GES aux États-Unis.
Le troisième chapitre est consacré à « La finance socialement responsable ».
Considéré pendant un temps comme le principal vecteur expliquant la diffusion du
concept de DD dans la gestion des entreprises, Erwan Le SAOULT et Dominique
WOLFF présentent ici les différentes approches et méthodologies liées à ce qu’on
appelle également les investissements socialement responsables – notés ISR – ou
encore « investissements responsables et durables (IRD) ». Ils proposent par ailleurs
un bilan chiffré du phénomène ISR, tant en Europe qu’en Amérique du Nord. Enfin,
les auteurs abordent la question emblématique de la performance financière de ce
créneau de la finance en fort développement.
Le quatrième chapitre s’intitule « Notation extra-financière et méthodologie
ESG » – ESG pour notation Environnementale, Sociale et de Gouvernance. Perrine
DUTRONC rappelle que le capital immatériel – dit également goodwill – représentait
20 à 30 % de la valeur des entreprises dans les années trente, contre près de 75 %
début 2000. Dès lors, il devient difficile de se reposer entièrement sur l’analyse
financière pour comprendre une entreprise quand l’immatériel prend autant de place
dans sa valorisation globale. Dans ce chapitre, l’auteure passe en revue les principa-
les méthodologies – notamment la méthode best-in-class – permettant d’évaluer le
potentiel ESG d’une entreprise avant qu’elle ne soit intégrée dans un fonds de
gestion SR.
Le cinquième chapitre s’intitule « L’influence des valeurs liées à la RSE sur la
gouvernance des firmes ». Éric LAMARQUE rappelle que ces dernières années les
valeurs associées à la RSE se sont imposées au premier plan des valeurs d’entrepri-
ses – cf. l’enquête annuelle Wellcom dans ce même chapitre. L’auteur montre égale-
ment dans quelle mesure celles-ci ont influencé la gouvernance des firmes à travers
notamment le cas des banques mutualistes françaises.
Pour toutes les raisons évoquées, par conviction ou par obligation, les entreprises
tiennent de plus en plus compte de la dimension RSE. Dans le dernier chapitre de
cette partie, Stéphane LEGENDRE et François CODERRE nous rappellent que les
consommateurs n’ont jamais été aussi sensibles à ces nouvelles questions. Ainsi,
selon une étude réalisée par Cone (2007), près de neuf Américains sur dix affirment
qu’à prix et qualité identiques, ils changeraient un produit pour un autre si ce dernier
était associé à une cause caritative : soit une hausse de 21 % par rapport à 1993. De
fait, il apparaît que les entreprises sont également de plus en plus soucieuses de leur
image de marque. Dans ce sixième chapitre, intitulé « RSE et capital de marque »,
les auteurs expliquent comment et combien le concept de RSE peut impacter le capi-
tal de marque des entreprises. Ces différents arguments seront notamment appuyés
par une étude originale menée sur le contenu des rapports de DD de plus de 250
sociétés tirées du classement annuel du magazine Fortune.

8
Chapitre Introduction à l’économie
de l’environnement :
1 efficacité, externalité et
gestion de la pollution

Jie HE

D ans ce chapitre, nous allons en premier lieu rapidement expliquer ce qu’est


l’efficacité économique et comment une externalité des activités économi-
ques sur l’environnement, par exemple la pollution, pourrait affecter l’effi-
cacité d’une solution d’allocation des ressources. Ensuite, nous étudierons les
différents instruments de protection de l’environnement capables d’internaliser les
externalités de pollution qui sont proposés par l’économie de l’environnement. Nous
analyserons également les résultats de quelques expériences, réalisées au Québec
mais également dans d’autres régions ou pays du monde, sur l’application d’outils
politiques de lutte contre la pollution.

Section 1 ■ Analyse économique traditionnelle vs. économie


de l’environnement
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Section 2 ■ Gestion de la pollution et politiques publiques


Section 3 ■ Avantages et limites des outils d’accompagnement
des politiques environnementales

Section ANALYSE ÉCONOMIQUE TRADITIONNELLE


1 VS. ÉCONOMIE DE L’ENVIRONNEMENT

« Le vingtième siècle aura été marqué par l’extraordinaire réussite de l’espèce –


peut-être un peu trop » (World Watch Institute, 1984). Le système économique
9
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

mondial, bénéficiant d’une industrialisation et d’un progrès technique sans précé-


dent a, au XXe siècle, multiplié plus de vingt fois le volume des richesses produites.
Grâce à cette évolution, la qualité de vie a pu être considérablement améliorée pour
une grande partie de la population. En un siècle, cet extraordinaire enrichissement
matériel a catalysé une croissance démographique extrêmement rapide, faisant
passer la population mondiale d’un milliard d’individus à plus de six milliards.
Cependant, au cours de la longue marche du développement des sociétés humai-
nes, la véritable valeur des services rendus par l’environnement a malheureusement
souvent été ignorée ou sous-estimée, ce qui a conduit à une sur-utilisation de celles-
ci dans les activités de production et de consommation. Au regard de la disparition
rapide d’une grande partie des ressources non renouvelables et des dangers venant
de l’irréversibilité des changements climatiques, de nombreux chercheurs ont ainsi
exprimé leurs craintes au sujet de la durabilité de notre remarquable prospérité
économique. Alors que la plupart des grands problèmes économiques ont été traités
à l’orée de l’analyse économique traditionnelle, il apparaît ces dernières années – en
tout cas du point de vie de l’opinion publique – que cette approche standard des
équilibres basés sur l’efficacité du marché et les droits de propriété soit insuffisante
à l’étude de la gestion des ressources naturelles et donc d’un développement harmo-
nieux – économiquement viable, socialement équitable et environnementalement
soutenable. La grande faiblesse de l’analyse économique traditionnelle réside dans
son incapacité à inclure les services environnementaux dans sa décision " habituelle
" d’allocation efficace des ressources. La raison en est extrêmement simple : dans
chacun de ses modèles, les services rendus par l’environnement sont considérés
comme gratuit en raison de l’absence de marchés et donc de principes permettant de
monétiser/valoriser certains biens – comme l’air ou l’eau.

 Repères Efficacité de l’allocation des ressources


et système de marché

Comment le système de marché arrive-t-il à allouer des ressources de façon efficace ? Sur
un marché, les raisonnements des consommateurs et des producteurs peuvent être résu-
més comme suit.
Le producteur, face à la contrainte technologique de production, réalise chaque unité
supplémentaire de production avec un coût unitaire croissant. Nous utilisons la ligne crois-
sante Cm pour illustrer l’évolution du coût supplémentaire issu de la production d’une unité
supplémentaire compte tenu des quantités déjà produites. Le problème pour un produc-
teur représentatif est de maximiser son profit net de production. On sait que le profit net
est égal à la différence entre le revenu issu de la vente moins le coût de production. Ainsi,
pour un producteur raisonnable, faisant face à un prix de marché P*, celui-ci continuera à
augmenter son niveau de production tant que son coût supplémentaire de production
restera inférieur au prix de X, soit P* ; car il pourra toujours dégager un profit net positif. Ce
producteur ne s’arrêtera de produire que quand le coût supplémentaire de la prochaine
unité de bien deviendra plus important que le prix P*. Ainsi, il apparaît clairement que pour
maximiser son profit net issu de la production, le producteur devra produire jusqu’au
niveau permettant d’égaliser le coût marginal au prix P*.
10

Introduction à l’économie de l’environnement

La ligne décroissante Um décrit la satisfaction supplémentaire qu’un consommateur peut
obtenir de sa consommation. Dû à l’effet de saturation, Um est décroissante, ce qui signifie
qu’en augmentant la consommation, la satisfaction supplémentaire qu’un consommateur
peut obtenir diminue. Le problème pour un consommateur représentatif est de maximiser
sa satisfaction nette en choisissant son niveau de consommation. Nous faisons ici remar-
quer que la satisfaction nette est la différence entre la satisfaction totale acquise par le
consommateur de sa consommation et l’insatisfaction due à la somme d’argent qu’il est
obligé de débourser pour la payer. Pour un consommateur raisonnable, faisant face à un
prix de marché P*, celui-ci continuera à augmenter son niveau de consommation tant que
la satisfaction marginale qu’il retirera de la consommation restera supérieure à l‘insatis-
faction issue de son prix, car il pourra toujours dégager une satisfaction nette positive.
Ainsi, il apparaît clairement que pour maximiser sa satisfaction nette issue de la consom-
mation de X, le consommateur devra consommer jusqu’au niveau permettant d’égaliser sa
satisfaction supplémentaire Um au prix P*.

Figure 1.1 — Efficacité économique et fonctionnement du marché

Le croisement de Cm et Um se trouve ainsi au niveau du prix P*, ce qui correspond à un


niveau de production (consommation) Q*. Cette quantité Q* est une quantité optimale
pour le producteur et le consommateur car elle garantit la maximisation du profit net du
producteur et de la satisfaction nette du consommateur. Nous pouvons également consi-
dérer ce croisement comme la confrontation des courbes de demande et d’offre dans un
système de marché. Sous cette optique, c’est en effet seulement à ce point de croisement
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

que – tout en respectant la décision de maximisation du bien-être chez les deux agents
économiques – la quantité de production que le producteur est prêt à offrir s’égalise avec
celle que le consommateur est prêt à acheter.

Bien que l’allocation efficace des ressources semble réalisable grâce à l’existence
d’un système de marché et à des agents économiques raisonnables, le système
présenté précédemment est cependant basé sur plusieurs préconditions importantes.
Tout d’abord, une allocation efficace des ressources exige l’existence d’un marché
de concurrence pure et parfaite pour les ressources en question, ensuite le droit de
propriété des ressources doit aussi être bien défini. Cependant, pour la plupart des
services rendus par l’environnement de tels marchés n’existent pas. De plus, la
plupart des services environnementaux sont des biens publics qui bénéficient à tous
11
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

et dont les droits de propriété sont très difficiles à défendre. Prenons le cas de l’air
que l’on respire. Bien qu’il soit indispensable pour la survie de l’humanité, il
n’existe pourtant pas un marché où il puisse être échangé. De plus, d’un point de vue
pratique, l’échange de l’air n’est pas possible car le droit de propriété de l’air est très
difficile à défendre : l’air appartient à tout le monde, riche ou pauvre, chaque indi-
vidu a le droit de respirer. Si nous continuons à suivre cette logique, comme l’air
n’appartient à personne, tout le monde aurait le droit de l’utiliser, voire de le
polluer ! Clairement, la protection de la qualité de l’air semble difficile sous un
système de marché traditionnel.
Le développement de l’économie de l’environnement et des ressources naturelles
vise à intégrer la dimension environnementale dans les analyses économiques. Ici,
nous considérons les impacts négatifs des activités économiques sur l’environne-
ment comme une sorte d’externalité échappant au système de marché et de prix.
Ainsi, l’objectif de l’économie de l’environnement est d’utiliser des outils appro-
priés – interventions administratives, incitations économiques ou institutionnelles –
pour réinternaliser ces externalités dans la décision de maximisation du profit et du
bien-être d’un agent économique privé.

 Repères Conséquence d’une externalité


de pollution

Si l’échange de bien entre le producteur et le consommateur suit toujours la règle du


marché, nous pouvons représenter la courbe de la demande et de l’offre sur un marché.
Cependant, en absence de droit de propriété sur la qualité de l’environnement, l’externa-
lité négative due à la pollution, en causant, par exemple, des problèmes de santé publique,
révèle le fait que la courbe de coût supplémentaire pour le producteur, également appelée
la courbe d’offre privée (Sprivée), doit être différente de la courbe de coût supplémentaire
total de production pour la société (Ssociale). Étant donné que le coût de la santé causé par
la pollution est seulement inclus dans le calcul de coût marginal social, comme illustré
dans la figure 1.2, Ssociale sera toujours plus élevé que Sprivée sauf au moment où la produc-
tion est égale à zéro.

Figure 1.2 — Externalité négative et inefficacité de marché


12 ☞
Introduction à l’économie de l’environnement

Cette divergence entre le coût marginal de production privé et le coût marginal de produc-
tion social signifie également une divergence entre les prix et les quantités de production
d’équilibre du marché avec et sans la prise en compte de l’externalité de pollution dans la
décision du producteur. Il apparaît donc clairement que comme le producteur privé ne
prend pas en compte ses externalités négatives sur la société, celui-ci produira toujours
trop de bien X (Q* > Q*social) et donc créera trop de pollution.

Section GESTION DE LA POLLUTION ET


2 POLITIQUES PUBLIQUES

Face à l’incapacité d’obtenir une gestion efficace des ressources environnementa-


les par le système de marché en présence de problèmes d’externalités, les interven-
tions gouvernementales deviennent nécessaires. Dans cette section, nous faisons
donc un tour d’horizon des différents instruments de contrôle de pollution basés sur
le principe économique.

 Repères Objectif optimal de pollution

Pour une société dont la survie et le développement sont contraints par des types de
production générateurs de pollution, l’objectif idéaliste de zéro pollution apparaît comme
peu plausible. Considérant que la production entraîne simultanément deux finalités, l’une
désirable – la création de biens et services – l’autre non – la pollution –, les économistes de
l’environnement cherchent à déterminer le niveau efficace de pollution par la maximisa-
tion du bénéfice net retiré de la pollution.
Le bénéfice de la pollution peut être considéré comme la satisfaction que l’on obtient suite
à la consommation de biens et services dont le processus de production entraîne de la
pollution. En général, la pollution augmente proportionnellement avec la quantité de
biens produits, par conséquent nous allons continuer à utiliser la courbe de la satisfaction
supplémentaire de consommation Um pour décrire l’évolution du bénéfice marginal de la
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

pollution, cette fois-ci appelée Bm(M) dans la figure 1.3, où M indique le niveau de pollution
à la place de la quantité de biens X consommés. Tout comme pour l’utilité de la consomma-
tion, la courbe du bénéfice marginal diminue avec le niveau de pollution M à cause de
l’effet de saturation.
À la différence du bénéfice de la pollution, le dommage causé par la pollution s’accentue
avec l’augmentation de la pollution. Ceci est facile à expliquer avec le cas de la santé. En
effet, les problèmes de santé causés par la pollution sont souvent peu importants quand le
niveau de pollution est inférieur à un certain seuil critique. Cependant, une fois ce seuil
dépassé, les effets négatifs de la pollution sur la santé s’accentuent selon un rythme qui
s’accélère. Ainsi nous pouvons utiliser une courbe croissante pour illustrer le dommage
marginal de la pollution, ce qui signifie une accentuation des effets négatifs de la pollution
avec la dégradation de l’environnement.

13
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Figure 1.3 — Objectif optimal de pollution

Si l’objectif de la société est de retirer un niveau maximal du bénéfice net de la pollution, sa


décision est facile : pour décider si on continue les activités productives polluantes ou non,
la société doit simplement comparer le bénéfice marginal de pollution Bm(M) avec le
dommage marginal de pollution Dm(M). Si, pour la dernière unité de pollution réalisée,
Bm(M) est supérieur à Dm(M), la production doit continuer, mais si Bm(M) est inférieur à
Dm(M), la production doit être réduite. Le niveau optimal de pollution M* correspond ainsi
au niveau de production qui égalise le bénéfice marginal de pollution Bm(M) au dommage
marginal de pollution Dm(M).

1 Système de compensation à travers un régime de négociation

Ce système, proposé par Ronald H. Coase (lauréat du prix Nobel d’économie en


1991), suggère la mise en place d’un régime de droit de propriété accompagné d’un
processus de négociation entre les pollueurs et les victimes afin de corriger le
problème d’externalité issu de la pollution. Selon cette logique, le gouvernement
joue ici un rôle critique dans la mesure où l’attribution des droits de propriété ne
peut être assurée que par son autorité.
Rappelons un cas de figure habituellement exposé dans le domaine. Imaginons
que dans un immeuble habitent deux individus A et B. A est un musicien, mais B
déteste la musique. Ainsi, dans cette situation, la musique est une sorte de
« pollution » et A est un « pollueur » qui bénéficie de la musique alors que B est une
« victime » qui souffre du bruit causé par celle-ci. Dans la figure 1.4, nous utilisons
la courbe de bénéfice supplémentaire de la pollution Bm(M) pour décrire l’évolution
de la satisfaction de A issue des heures de pratique de la musique, la décroissance
continue de cette courbe peut être expliquée par l’effet de saturation. Pour B, le
dommage causé par la musique de A peut être illustré par la courbe de dommage
supplémentaire de pollution Dm(M). La tendance croissante de cette courbe décrit
l’accentuation des effets négatifs de la musique chez B. Si le droit de propriété à la
14
Introduction à l’économie de l’environnement

tranquillité de l’immeuble est attribué à B, A n’aura initialement aucun droit de jouer


de la musique. Notre point de départ est ainsi situé en M = 0. Cependant, au regard
des critères économiques, cette solution n’est pas efficace. En effet, une légère
augmentation de la musique M est ici capable d’amener plus de bénéfices que de
dommages.

Figure 1.4 — Théorème de Coase

Ainsi, A est incité à initier une négociation avec B pour obtenir un certain nombre
d’heures de droits à jouer de la musique, en contrepartie, A donnera à B une
compensation pour les dommages issus de sa musique et supportés par B. Si les
informations sur les courbes Dm(M) et Bm(M) sont accessibles à A et que A décide de
maximiser son bien-être, la négociation conduira à la réalisation du niveau optimal
d’heures de musique M*. En effet, à ce niveau, le bénéfice supplémentaire issu de la
dernière unité de musique pour A est égal au dommage supporté par B.
Dans la pratique, cette approche du contrôle de la pollution est souvent appelée
« principe du pollueur payeur » (OCDE, 2001). Se basant étroitement sur le principe
économique d’optimisation, cette approche a été profondément intégrée dans les
politiques de la Commission européenne et d’autres pays dont l’économie fonc-
tionne selon les règles du marché. En France, le principe du pollueur-payeur est un
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

principe général du droit de l’environnement et il vise à imposer une contrainte


financière aux pollueurs. Par exemple, nous pouvons citer la taxe générale sur les
activités polluantes (TGAP) dont l’assiette est directement liée aux bruits, aux
déchets, à la pollution de l’air, aux huiles usagées. Depuis 2000, elle est également
assise sur les lessives, les granulats et les produits phytosanitaires.

2 Deux instruments de quasi-marché du contrôle de pollution :


la taxe et la subvention

Bien que le théorème de Coase démontre la puissance du système de négociation


pour une gestion efficace de l’environnement, cette approche est cependant seule-
15
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

ment applicable aux cas de pollution pour lesquels les droits de propriété sont relati-
vement faciles à définir et à défendre ; c’est-à-dire pour les cas de pollution où les
parties affectées sont en nombre réduit et facile à identifier, et pour lesquels les effets
négatifs se manifestent rapidement. Ceci est le cas pour certaines maladies profes-
sionnelles, dont les victimes – les employés – sont faciles à identifier et les effets
négatifs sont souvent couverts par des assurances offertes par les pollueurs – les
employeurs –, ou encore pour une fuite de polluants toxiques dans une zone circons-
crite et dont les effets négatifs se manifestent rapidement chez ses habitants. Ceci
nous rappelle la fuite de gaz mortels de l’usine Union Carbide à Bhopal, en Inde, en
1984, dont les impacts négatifs sur la santé de la population locale se sont manifestés
très rapidement. Cependant, dans la plupart des cas de pollution, ces exigences sont
difficiles à remplir. Pour prendre en compte ce problème, nous devons utiliser la
logique des incitations économiques, c’est-à-dire créer chez les pollueurs des incita-
tions à réduire la pollution en donnant un prix à la pollution.
Nous savons que, sans contrôle, les producteurs n’ont aucune incitation à s’enga-
ger dans des activités de dépollution. Pour aller à l’encontre de cette logique, le
gouvernement peut fixer un prix à payer pour chaque unité de pollution émise (la
taxe d’émission) ou décider de donner une compensation pour chaque unité de
pollution réduite (la subvention à la dépollution), pour que la pollution entre directe-
ment dans la décision de la maximisation du profit de chaque producteur pollueur.
La taxe d’émission suppose implicitement que le droit de propriété d’un environ-
nement propre soit attribué aux victimes de la pollution, les pollueurs (producteurs)
doivent ainsi payer une taxe pour chaque unité de pollution émise. Pour déterminer
un niveau de pollution plus raisonnable, les pollueurs comparent leur coût marginal
de dépollution par rapport au taux de la taxe. Si le coût de la dépollution est plus
élevé que la taxe, les pollueurs préfèrent continuer à polluer et payer la taxe ; par
contre, si le coût de dépollution est inférieur à la taxe, ceux-ci préfèrent dépolluer.
Les activités de dépollution s’arrêtent quand le coût marginal de dépollution est égal
au taux de la taxe.
Le plus proche exemple dans notre quotidien de l’existence de cette taxe d’émis-
sion est la consigne que l’on paie dans de nombreux pays anglo-saxons lorsqu’on
achète du soda en bouteille ou en canette. Cette pratique est justifiée par le fait que
les consommateurs, en règle générale, ne retournent pas instinctivement les conte-
nants usagés. Ainsi, pour chaque soda vendu on fait payer aux consommateurs une
taxe d’« émission » pour le non-recyclage de la bouteille. Bien sûr, si certains
consommateurs retournent les bouteilles aux magasins, ils récupèrent la consigne, ce
qui annule cette taxe.
Différente de la taxe d’émission, la subvention à la dépollution suppose implicite-
ment que le droit à polluer est attribué aux producteurs – pollueurs – ainsi le gouver-
nement, pour le bien-être de sa population, doit payer une compensation pour
encourager les pollueurs à réduire leurs émissions. Considérant que les activités de
dépollution rapportent un revenu supplémentaire, les pollueurs comparent leur coût
marginal de dépollution avec le taux de la subvention afin de déterminer un niveau
16
Introduction à l’économie de l’environnement

de pollution plus raisonnable. Si le coût de la dépollution est plus élevé que le


montant de la subvention, les producteurs préfèrent continuer à polluer, mais si le
coût de dépollution est inférieur au montant de la subvention, ces derniers préfèrent
dépolluer. Les activités de dépollution s’arrêtent quand le coût marginal de dépollu-
tion est égal au taux de la subvention.
Au Québec, ces pratiques sont nombreuses. Par exemple, le programme écoÉ-
NERGIE Rénovation de Ressources naturelles Canada (RNCan) offre un soutien
financier aux propriétaires d’habitations, mais également aux PME/PMI et aux
établissements publics pour les aider à mettre en œuvre des projets permettant
d’économiser l’énergie et de réduire les émissions de polluants – notamment les gaz
à effet de serre (GES). Autre exemple, le programme Mieux Consommer de Hydro-
Québec qui subventionne l’achat de produits électroménagers moins énergivores.

Exemple
À l’échelle mondiale, l’utilisation des instruments économiques n’est pas un phénomène
récent. Les applications les plus anciennes de taxes d’émission ou d’incitations fiscales pour
encourager les producteurs et les consommateurs à moins polluer datent des années soixante-
dix. Tous les pays membres de l’OCDE appliquent plusieurs taxes liées à l’environnement.
Une base de données gérée conjointement par l’OCDE et par l’Agence européenne pour
l’environnement (AEE) montre qu’en 2006, le produit de ces taxes représente 2 à 2,5 % du
PIB. Le domaine d’application de ces instruments a également été très élargit. On trouve
aujourd’hui leurs utilisations dans la gestion de la qualité de l’eau, la préservation de la qualité
des terres, la gestion des ressources halieutiques, forestières et la protection de certaines
faunes et flores. Selon les statistiques de l’OCDE, ses pays membres auraient actuellement
près de 200 types de tarifs et taxes dans les domaines de la pollution sonore, aérienne et des
eaux. Les tarifs sur l’émission de polluants aériens sont très répandus au Japon et dans certains
pays européens, comme la France. Plusieurs pays, comme la République tchèque, la Hongrie
et l’Islande, ont mis en place un système de taxation sur l’émission des substances pouvant
mettre en danger la couche d’ozone. De son côté, le Royaume-Uni applique des taux de taxa-
tion différentiels sur les pétroles avec plomb et sans plomb pour contrôler l’émission de plomb.
Afin de lutter contre les problèmes de changement climatique et d’effet de serre, plusieurs
pays d’Europe (Danemark, Finlande, Italie, Pays-Bas, Norvège, Royaume-Uni et France)
appliquent actuellement différentes formes de taxes sur les énergies utilisées selon leur
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

contenu en carbone. À l’exception des taxes sur les chlorofluorocarbones (CFC) et des taxes
ménagères (annuelles ou par unité) sur les eaux usées et les déchets solides, les États-Unis et
le Canada utilisent peu les taxes sur la pollution. Aux États-Unis, l’outil économique de
contrôle de la pollution le plus souvent utilisé est celui du système de droits à polluer échan-
geables. Les États-Unis sont les premiers à avoir introduit ce système pour lutter contre l’émis-
sion de dioxyde de soufre (SO2) dans les années quatre-vingt. Pour le moment, les principales
applications du système de droits à polluer échangeables de ce pays couvrent le SO2, les ODS
(Ozone-depleting Subsistances), les sources de polluants mobiles (hydrocarbure et NOx), le
plomb dans le pétrole et les polluants des eaux (demande biochimique en oxygène ou DBO).

17
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

 Repères Taxe carbone

La polémique autour de la taxe carbone de l’été 2009 en France a attiré une fois de plus
l’attention des médias sur cette taxe pigouvienne qui vise à réduire les émissions de gaz à
effet de serre et à lutter contre les changements climatiques. Dès le commencement de la
discussion sur l’implantation d’une telle taxe au début de l’été 2009, en conjonction avec
les difficultés économiques issues de la crise financière, cette proposition a engendré une
division profonde des opinions dans le public. Bien que certains environnementalistes et
économistes aient accueilli à bras ouverts cette proposition, de nombreuses discussions
sur les potentielles répercussions négatives d’une telle taxe sur l’économie française,
surtout sur la redistribution du revenu et sur la compétitivité des entreprises, ont eu lieu.
Certains ont également indiqué, suite aux expériences de la Finlande, de la Suède, du
Danemark et de la Grande Bretagne, qu’une telle taxe carbone ne permettrait pas d’obte-
nir des effets « spectaculaires » sur la réduction des gaz à effet de serre. Néanmoins, en
septembre 2009, le président Nicolas Sarkozy a annoncé la mise en place d’une taxe au
prix de 17 euros la tonne de carbone dès 2010. Afin de rendre cette taxe neutre, il a promis
que la recette issue de cette taxe serait intégralement redistribuée aux ménages sous
forme d’une baisse de l’impôt sur le revenu ou de chèques verts. Cependant, en début
2010, cette taxe a été remise en question par le Conseil constitutionnel.
Par définition, la taxe carbone est une taxe environnementale sur l’émission de dioxyde de
carbone, la principale source de gaz à effet de serre, dans le but de « contrôler » le réchauf-
fement climatique. Le principe de cette taxe n’a pas pour objectif de procurer des ressour-
ces au budget général, mais de couvrir les frais induits par les nuisances du CO2 et d’inciter
à en réduire la production. Elle vise à rétablir la vérité des prix et à corriger les externalités
négatives de pollution, ainsi qu’à mettre en pratique le principe de pollueur-payeur. Une
augmentation progressive et programmée de la taxe peut permettre de guider les inves-
tissements sur le long terme et de s’orienter graduellement vers des secteurs moins
polluants, en laissant le temps nécessaire aux consommateurs et aux entreprises pour
s’adapter.
La diversité des modes d’émissions du dioxyde de carbone rend difficile une taxation
précise de ces émissions. La manière la plus souvent entreprise est de taxer la consomma-
tion d’énergie fossile – comme le pétrole, le gaz et le charbon – dans la mesure où il s’agit
du principal émetteur de CO2 lors de sa production ou de sa consommation. Étant donné
que l’émission de CO2 dépend de la composition chimique de l’énergie fossile, et notam-
ment de sa quantité de carbone, il est donc possible d’établir l’équivalence entre l’énergie
fossile utilisée et son taux d’émission de carbone. Par exemple, pour une taxe à un taux de
17 euros la tonne, cela signifie une hausse de près de 4,5 centimes par litre de fioul et de
gasoil et de 4 centimes par litre d’essence.
Le bon fonctionnement d’une telle taxe carbone dépend de plusieurs propriétés fonda-
mentales. D’abord, pour obtenir l’effet dissuasif sur l’usage des énergies riches en carbone,
la croissance de la hausse du prix global des énergies causée par cette taxe devrait être
supérieure à celle du pouvoir d’achat. Ensuite, la dynamique de la taxe devrait être plani-
fiée et annoncée sur le long terme afin que les agents économiques (consommateurs,
entreprises) puissent la prendre en compte dans leurs projets d’avenir sans avoir à en souf-
frir. Finalement, l’application de cette taxe devrait suivre le principe de la responsabilité du
consommateur au lieu de celle du producteur.
18 ☞
Introduction à l’économie de l’environnement

C’est-à-dire que l’on doit taxer selon le contenu en équivalent carbone des activités et non
sur le seul résultat final des émissions de carbone. Un exemple intuitif est la production de
l’acier ou de l’électricité, qui sont intensifs en carbone. Si le régime de la taxe carbone vise
seulement l’émission finale, la taxation de ces biens n’aurait d’autre effet que de se déloca-
liser ailleurs sur la planète où le contrôle sur le carbone est moins rigoureux, et d’assumer
la consommation locale à travers l’importation.
Le tableau 1.1 illustre les situations actuelles d’application de la taxe carbone dans huit
pays (régions) du monde. À la lecture de ce tableau, on pourra constater une augmenta-
tion significative du taux de ladite taxe carbone. De même, on pourra se rendre compte
que ces nouvelles recettes fiscales sont principalement affectées à l’amélioration de la
compétitivité des entreprises – baisse des charges et des cotisations – et/ou au finance-
ment des politiques environnementales – économie d’énergie, transports publics, etc.
Enfin, il apparaît qu’il n’existe pas de réel consensus sur le prix ou le niveau mondial d’une
taxe carbone, ni même sur la manière et le type de secteurs susceptibles d’être exemptés
de cette taxe.

Tableau 1.1 — Application de la taxe carbone dans le monde (en euros)

Date Taux initial Taux actuel Équivalence en


Pays/ de (/tonne de (/tonne de hausse du prix Secteurs Usage de la recette
régions début carbone) carbone) de l’essence exemptés fiscale

Finlande 1990 20 euros 20 euros 5 centimes Les énergies


euros servant à
produire de
l’électricité.

Suède 1991 27 euros 108 euros 25 centimes Baisse d’impôt sur


(foyer) (foyer) euros (foyer) ou le revenu et sur les
23 euros 6 centimes sociétés.
(ent.) euros (ent.)

Danemark 1992 12 euros 3 centimes Les énergies Baisse des charges


euros servant à sur le travail,
produire de financement de
l’électricité. mesures
d’économie
d’énergie.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Allemagne 1999 12,28 centimes Secteurs Baisse des


d’euros industriels cotisations retraite.
manufacturiers,
forestiers,
l’agriculture et
la pêche
bénéficient
d’un taux
réduit.

19
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Tableau 1.1 — Application de la taxe carbone dans le monde (en euros) (suite)

Date Taux initial Taux actuel Équivalence en


Pays/ de (/tonne de (/tonne de hausse du prix Secteurs Usage de la recette
régions début carbone) carbone) de l’essence exemptés fiscale

Grande 2001 63 centimes Ménages sont Baisse des


Bretagne euros épargnés. cotisations
patronales, aide
pour augmenter
l’efficacité
énergétique et
l’usage des énergies
renouvelables.

Suisse 2008 8 euros 23,50 euros Centrales Financement pour


produisant de l’assainissement
l’électricité. des bâtiments
respectueux du
climat.

Québec 2007 na 0,53 centimes Financement pour


(Canada) euros le développement
des transports
publics et pour
autres actions en
faveur du climat.

Colombie 2008 6,70 euros 20 euros 2,4 cents Baisse d’impôts sur
britannique (particuliers/ (particuliers le revenu et sur les
(Canada)
entreprises) et profits des
entreprises) entreprises. Pour les
plus modestes, des
crédits
remboursables.

Source : Milne, J. E. (2008), The Reality of Carbon Tax in 21 th century.


Western Newspaper Publishing..

Section AVANTAGES ET LIMITES DES OUTILS D’ACCOMPA-


3 GNEMENT DES POLITIQUES ENVIRONNEMENTALES

1 Les avantages

Basés sur un solide fond théorique et un principe simple d’efficacité économique,


les avantages peuvent être regroupés en trois catégories.

20
Introduction à l’économie de l’environnement

1.1 Une meilleure performance coût-efficacité

L’avantage majeur des outils économiques est qu’ils peuvent réaliser le même
objectif de dépollution et ce, pour un coût moindre que les contraintes administrati-
ves. En se basant sur les raisonnements économiques de la maximisation des profits,
les outils économiques incitent non seulement les pollueurs à choisir de leurs
propres initiatives le plan de dépollution le moins coûteux, mais ils permettent aussi
d’éviter des coûts supplémentaires : surveillance et exécution des contraintes admi-
nistratives.

1.2 Une incitation dynamique à l’innovation

Dans une optique dynamique, les incitations formées par les outils économiques
sont pour les entreprises des encouragements à davantage s’engager dans la recher-
che et développement. En effet, si le niveau de taxe/subvention/prix des droits à
polluer reste sur le marché au même niveau, une innovation dans le processus de
dépollution signifie chez un pollueur un coût de dépollution épargné ou un revenu
supplémentaire à gagner. Cet effet positif n’est pas possible pour les contraintes
administratives, car une fois que les pollueurs se sont conformés aux normes de
pollution imposées, ils n’ont pas nécessairement le même intérêt à faire davantage
de recherche et développement dans la mesure où il n’y a pas d’incitations économi-
ques dans le fonctionnement de ces outils.

1.3 Le double dividende

Le terme anglais de double dividende décrit une situation où les recettes fiscales
générées par la taxe sur la pollution peuvent être utilisées pour réduire, par exemple,
les taxes à la consommation, les charges patronales et/ou salariales, etc. permettant
ainsi de relancer l’économie et l’emploi et de créer un double gain. En Europe et
dans d’autres pays au monde, cette pratique a été fréquemment introduite en ce qui
concerne les recettes fiscales des taxes d’émission afin de profiter de ce double gain.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

2 Les limites

Le bon fonctionnement de ces outils économiques exige que le système économi-


que dans lequel ils sont appliqués satisfasse à certaines préconditions restrictives.
La première d’entre elles est l’information parfaite. Jusqu’à maintenant notre
discussion sur l’efficacité des outils économiques se faisait dans une optique de
maximisation du bien-être social ayant pour hypothèse implicite que le gouverne-
ment ait toujours la capacité d’obtenir les informations nécessaires sur le dommage
marginal et le bénéfice marginal de pollution. Cependant, de telles informations ne

21
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

sont en réalité pas toujours disponibles. Les entreprises ont aussi tendance à cacher
leurs informations pour que le gouvernement fixe un taux de taxation plus bas ou un
taux de subvention plus élevé.
Deuxièmement, un bon fonctionnement du système de marché et des signaux de
prix sont des prérequis incontournables. Si le marché est segmenté ou si les signaux
de prix sont modifiés par d’autres politiques économiques du gouvernement, la
sensibilité des pollueurs à la variation du coût d’opportunité de la pollution peut être
affaiblie, ce qui peut ensuite affecter/biaiser les résultats de la dépollution.

Conclusion
Bien que de plus en plus de citoyens commencent à se rendre compte de l’importance de
la protection de l’environnement, un rapide survol de l’économie de l’environnement et
des expériences de contrôle de la pollution montre que nos actions actuelles visant à réali-
ser l’harmonie entre l’économie et l’environnement restent encore insuffisantes. Une
amélioration dans ce domaine ne dépend cependant pas uniquement du renforcement de
l’efficacité des systèmes de contrôle de la pollution existants. À ce titre, les facteurs
cruciaux incluent le développement et l’amélioration des systèmes institutionnels qui
déterminent l’efficacité des outils de contrôle de la pollution. Car une bonne gouvernance
assurant un bon fonctionnement du système de marché et une meilleure définition et
protection du droit de propriété des services environnementaux sont plus que cruciales
pour garantir un fonctionnement crédible de ces outils de contrôle de la pollution.

22
Chapitre Ambitions et impacts
des quotas d’émission
2 dans le contexte des
changements climatiques

Alain WEBSTER

L a convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques recon-


naît que le lieu géographique de l’émission ou de la réduction de GES n’a
aucune incidence sur les changements climatiques. Le traité envisage donc,
dès 1992, la possibilité de mise en œuvre conjointe selon laquelle une réduction des
émissions dans un pays peut compenser une augmentation ailleurs.
Dans ce contexte de parfaite flexibilité spatiale, le protocole de Kyoto permet, à
travers ses mécanismes de flexibilité, à un pays d’atteindre son objectif en finançant
la réduction des émissions à l’étranger. Il s’agit littéralement d’un recours au marché
permettant la minimisation des coûts économiques pour les pays signataires, consi-
dérés dans leur ensemble ou considérés individuellement.
Le protocole de Kyoto ne précise pas les moyens devant être utilisés au niveau
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

national pour se conformer à l’objectif de réduction des émissions, chacun des pays
étant libre d’élaborer ses propres stratégies. Mais la tendance est clairement indi-
quée. Si un pays souhaite que ses entreprises nationales bénéficient, par l’intermé-
diaire des mécanismes de flexibilité, des projets de réduction des émissions à
l’étranger là où les coûts sont les plus faibles, ces entreprises devraient normalement
être soumises à un système de quotas d’émission échangeables au niveau national.
Le protocole favorise donc implicitement la mise en place d’un tel système au
niveau national.
Cet instrument de gestion, utilisé auparavant essentiellement aux États-Unis, est
donc appelé à jouer un rôle de plus en plus important dans la gestion des change-
ments climatiques (GIEC, 2007) et constituera à moyen terme l’un des principaux

23
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

outils de gestion de l’environnement. En vigueur dans les pays de l’Union euro-


péenne depuis 2005, il a également été implanté ou fait l’objet de projets de loi à
l’échelle nationale ou régionale dans plusieurs pays comme l’Australie, le Canada,
les États-Unis, le Japon, la Norvège ou la Nouvelle-Zélande. Même si la réaction
internationale n’a pas été à la hauteur des attentes malgré des efforts importants
depuis 1990, les gestionnaires d’entreprises à l’échelle internationale ont donc vu
apparaître une nouvelle façon d’internaliser leurs coûts environnementaux, en parti-
culier ceux associés aux émissions de GES. Le présent chapitre présente les princi-
paux enjeux associés à la mise en place, au niveau national, de ces droits d’émission
négociables.

Section 1 ■ Fonctionnement et avantages théoriques du système


de quotas d’émission
Section 2 ■ Les règles entourant la conception du système
Section 3 ■ Vers une véritable prise en compte de la contrainte carbone ?

Section FONCTIONNEMENT ET AVANTAGES THÉORIQUES DU


1 SYSTÈME DE QUOTAS D’ÉMISSION

L’absence de contrainte réglementaire ou monétaire sur les émissions de GES se


traduit par des enjeux environnementaux majeurs à moyen et long terme. Parce que
les agents économiques ne considèrent pas les émissions de GES dans leurs prises
de décision, le prix des biens et services ne reflète pas les coûts environnementaux
associés aux émissions de GES. Le système de quotas d’émission constitue l’outil
privilégié pour corriger ce dysfonctionnement du marché pour les grands émetteurs
de GES.

1 Le fonctionnement du système de quotas d’émission

Le quota d’émission accorde à son détenteur le droit d’émettre une certaine quan-
tité de GES au cours de l’année. Ce droit peut être utilisé, mais il peut également être
reporté à l’année suivante ou vendu sur le marché. La mise en œuvre d’un tel
système peut être résumée en quatre étapes :
– déterminer la quantité annuelle d’émissions pouvant être rejetées par l’ensemble
des installations ;
– répartir annuellement, lors d’une allocation initiale, cette quantité entre les diffé-
rents secteurs et entre les différentes installations sous forme de quotas
d’émission ;
24
Ambitions et impacts des quotas d’émission

– obliger chacune des installations à restituer à l’organisme gestionnaire un nombre


de quotas équivalant au niveau d’émissions qu’elles effectuent ;
– permettre aux installations de modifier la quantité de quotas qu’elles détenaient
au départ en les achetant ou en les vendant sur un marché libre.
Si le niveau prévu d’émissions excède le nombre de quotas détenus initialement,
l’établissement peut adopter différentes stratégies :
– réduire ses émissions de GES ;
– acheter des quotas d’émission auprès d’entreprises nationales ayant préalable-
ment réduit ou capté leurs émissions ;
– acheter des quotas d’émission sur les marchés internationaux.
Il ne s’agit pas de mettre en place un droit de polluer comme le dit parfois
l’expression populaire. Considérée jusqu’alors comme sans valeur économique, la
possibilité d’émettre une tonne de GES était illimitée et constituait un véritable droit
de polluer. La mise en place de quotas d’émission permet de reconnaître la rareté
associée au droit d’émettre des émissions de GES et limite ainsi ce droit de polluer.
Le système vise donc à restreindre le libre accès à l’utilisation d’une ressource rare
et susceptible de dégrader la fonction naturelle de régularisation du climat… Le
cadre théorique sous-jacent n’est donc pas différent de la théorie utilisée pour gérer
les ressources naturelles comme le bois ou les ressources halieutiques. Toutefois, le
fait que cette fonction environnementale n’ait pas, au départ, de valeur marchande,
le caractère global des changements climatiques et la dynamique de long terme
qu’elle suppose font de ce système de quotas d’émissions de GES un modèle
unique.
Lorsque le libre accès à l’émission de GES est limité par de tels droits et que les
acteurs perçoivent que cette contrainte perdurera, le marché devrait alors être à
même de jouer son rôle d’allocateur optimal des ressources. « Les acteurs économi-
ques (entreprises, ménages, administrations, États) ne choisiront des équipements
non émetteurs de GES que s’ils anticipent un prix du carbone suffisamment élevé à
l’avenir. De même, les entreprises ne feront les efforts nécessaires pour promouvoir
de nouvelles générations technologiques non polluantes que si elles y voient un inté-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

rêt économique. En bref, il s’agit de réduire l’incertitude sur le prix du carbone de


demain. » (Tirole, 2009).
La mise en place de quotas d’émission limite et valorise les possibilités d’émission
de GES pour les entreprises, permettant ainsi de concilier protection de l’environne-
ment et développement économique. Dans un tel système, la croissance de l’activité
économique est accompagnée d’une obligation de compensation des émissions
supplémentaires. En régularisant les volumes d’émissions, le système de droits
d’émission crée ainsi une contrainte physique qui ne peut être dépassée et garantit
l’atteinte de l’objectif environnemental au niveau global tout en permettant le déve-
loppement économique.

25
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

La détermination d’une telle contrainte physique constitue un changement impor-


tant dans le paradigme économique. Pour certains, le marché devrait induire, par le
mécanisme de prix, les changements qui permettent d’éviter des contraintes physi-
ques absolues au développement économique. L’approche retenue vise plutôt à défi-
nir a priori cette contrainte physique, puis à laisser le marché induire les
changements technologiques permettant la poursuite du développement économi-
que. Dans ce contexte, il s’agit d’une avancée importante en matière de protection de
l’environnement.

2 Les avantages théoriques

Dans un système de quotas d’émission échangeables, tant que les coûts marginaux
de réduction des émissions de GES d’une firme donnée sont inférieurs au prix du
quota sur le marché, la firme aura avantage à réduire ses émissions et vendre ses
quotas excédentaires aux firmes qui ont des coûts marginaux de réduction élevés.
C’est donc un modèle gagnant-gagnant où les deux partenaires bénéficient de
l’accès au marché de quotas d’émission pour maximiser leurs bénéfices ou minimi-
ser leurs coûts tout en respectant la contrainte globale d’émissions. Au même titre
qu’une approche de taxation, cet incitatif continuel à la réduction des émissions,
inexistant dans une approche purement réglementaire, minimise le coût global de
réduction des émissions pour l’ensemble de la société (He, 2010). Outre cet avan-
tage d’efficience économique comparativement à une approche traditionnelle de
réglementation, notons également que :
– les quotas échangeables possèdent théoriquement une plus grande capacité à
favoriser les changements technologiques visant à réduire les émissions de GES,
puisque toute réduction des émissions se traduit par la possibilité de vendre des
quotas ou d’en réduire l’achat ;
– ce gain d’efficience peut également s’exprimer en terme environnemental puis-
que, pour une dépense équivalente, il permet d’accroître les niveaux de réduction
de GES par rapport à une approche réglementaire ;
– la souplesse dans la répartition de l’effort de réduction entre les différents secteurs
permet de tenir compte des problèmes de compétitivité propres à certains
secteurs.
Bien que les quotas d’émission et les taxes environnementales possèdent les
mêmes avantages en termes d’efficience et d’incitation aux changements technologi-
ques, les quotas d’émission possèdent des avantages particulièrement bien adaptés
aux grands émetteurs industriels expliquant ainsi l’intérêt marqué envers ce système.
Ainsi :
– lors de la mise en place du système, l’allocation initiale peut s’effectuer par une
allocation gratuite des quotas réduisant l’impact économique de l’introduction de
ce prix carbone dans un marché qui n’avait jamais valorisé cette dimension ;

26
Ambitions et impacts des quotas d’émission

– dans un marché concurrentiel, le prix de ce quota s’ajustera sans intervention


extérieure en fonction de la demande sur le marché. Dans un marché au ralenti, le
prix du quota sera à la baisse reflétant ainsi la diminution de la contrainte carbone
résultant du ralentissement économique. De même, dans un marché en crois-
sance, le prix du quota aura tendance à être à la hausse ;
– finalement, le prix de ce quota s’ajuste à la demande parce que la quantité, elle,
reste fixe. Ce plafonnement de la quantité pouvant être émise constitue un gain
théorique important du point de vue de la protection de l’environnement en garan-
tissant l’intégrité environnementale du système.
En contrepartie toutefois, une allocation gratuite se traduit par une absence de
revenu pour l’organisme gestionnaire ; un ajustement automatique du prix engendre
plus d’incertitude et finalement ce plafonnement des émissions n’est pertinent que
s’il constitue une contrainte réelle. Dans un tel contexte, les avantages théoriques
illustrent le potentiel de cet instrument de gestion, mais l’efficacité réelle de l’appro-
che sera tributaire des règles définissant ce système.

Section LES RÈGLES ENTOURANT LA CONCEPTION


2 DU SYSTÈME

La mise en place d’un système de quotas d’émission échangeables ne suppose pas


un retrait de l’État dans la gestion de l’environnement, mais un rôle différent de celui
auquel l’approche command and control nous avait habitués. Ce rôle se définit
d’abord par un ensemble de décisions permettant de définir les paramètres au sein
desquels le marché pourra intervenir. Il n’existe donc pas un modèle unique de
système, mais plutôt une multitude de formules reflétant la prise en compte des
différentes priorités nationales, des caractéristiques des secteurs pour lesquels de
tels mécanismes sont établis et de la volonté (ou non…) d’induire un changement
significatif dans la prise en compte de la problématique carbone dans la prise de
décision. Ces formules sont également appelées à évoluer dans le temps, comme
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

l’ont montré les modifications apportées au Système communautaire d’échange de


quotas d’émission – SCEQE ou EU ETS pour European Union Emissions Trading
System – entre la phase 1 pouvant être qualifiée de période de rodage (2005-2007),
la phase 2 correspondant à la période de mise en œuvre du protocole de Kyoto
(2008-2012) et la phase 3 correspondant à la période post-Kyoto (2013-2020).

1 Périmètre du système et plafond des émissions

L’approche la plus courante dans la mise en œuvre d’un système de quotas d’émis-
sion limite l’obligation de détenir un quota aux émetteurs finaux. De plus, la néces-
sité de mesurer ces émissions pour chacune des sources restreint cette approche aux
27
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

grands émetteurs finaux. La mise en place du système suppose donc la définition de


ces grands émetteurs, tant au niveau du choix des secteurs industriels soumis à ce
régime qu’au niveau de la taille minimale de l’établissement. C’est dans ce contexte
que l’EU ETS a été mis en place avec des grands émetteurs représentant plus de
11 000 installations et près de la moitié des émissions européennes de GES.
Pour élargir le périmètre et accroître la valorisation des émissions de CO2, diffé-
rentes approches peuvent être envisagées :
– il est possible d’implanter le système en amont de la filière et soumettre non
seulement les grands émetteurs finaux mais également les distributeurs, comme
les raffineries, à un système de quotas. Ainsi, le projet de loi Waxman-Markey,
voté au Congrès en juin 2009 et à l’étude au Sénat – American Clean Energy and
Security Act de 2009 – devrait permettre en 2016 de couvrir 85 % des émissions
de GES des États-Unis relativement à l’année 2005 ; soit un volume trois fois
supérieur à celui du système européen. L’allocation des quotas couvrirait les
producteurs d’électricité, l’importation et le raffinage d’hydrocarbures, les fabri-
cants de gaz fluorés, la distribution de gaz et les installations émettant plus de
25 000 tonnes d’équivalent dioxyde de carbone ;
– un système de quotas pour les grands émetteurs finaux peut également être
combiné à des mécanismes de projet permettant de développer des projets de
réduction des émissions dans des secteurs comme le transport ou le bâtiment. En
présence d’un signal prix crédible provenant de la possibilité de vendre des
crédits d’émission associés à la réduction de leurs émissions, ces acteurs écono-
miques non directement soumis à un système de quotas seront incités à réduire
leurs émissions en mettant en place notamment des mesures d’efficacité énergéti-
que. Cette réduction des émissions peut ensuite être transigée sur le marché ;
– finalement, une troisième alternative pour accroître la valorisation du carbone est
de combiner ce système de permis d’émission à une taxe carbone pour les émis-
sions diffuses des secteurs comme le transport ou le bâtiment engendrant ainsi un
système mixte permis-taxe couvrant une large part des émissions de carbone,
c’est la démarche retenue dans le rapport Rocard (2009). Pour Criqui (2009),
cette « architecture imposerait certes un certain niveau de complexité mais elle
demeurerait lisible. Elle présenterait par ailleurs une bonne cohérence en permet-
tant de jouer au bon niveau d’action des avantages comparatifs des différents
instruments économiques pour l’environnement ».
Une fois le paramètre du système défini, il faut convenir du budget attribué à
l’ensemble de ces émetteurs, déterminant ainsi le plafond des émissions. Ce choix
administratif aura non seulement une influence déterminante sur l’effort de réduc-
tion demandé à chaque firme, mais également sur l’ensemble des autres secteurs. En
effet, dans un système fermé, tout effort de réduction d’un secteur aura des répercus-
sions sur les autres secteurs, même s’ils ne sont pas soumis à ce système de quotas
sauf, bien sûr, dans l’hypothèse où l’État décide d’acheter sur le marché extérieur
des droits d’émission supplémentaires. Dans le cadre des changements climatiques,

28
Ambitions et impacts des quotas d’émission

le paramètre principal dans la détermination de ce plafond des émissions reste


évidemment les orientations internationales en matière de réduction des émissions.

2 Critères d’allocation des quotas

La détermination des critères d’allocation des quotas entre les entreprises est
probablement l’enjeu le plus litigieux puisqu’il détermine la répartition initiale du
fardeau financier. L’enjeu d’équité qui en découle n’est cependant pas propre à cet
outil de gestion ; la mise en place de mesures réglementaires ou fiscales se traduit
également par des choix qui ont une influence sur la répartition des coûts.
L’allocation initiale peut se faire sur une base gratuite ou par un mécanisme
d’enchères. Que ce soit dans le secteur de l’environnement ou des ressources natu-
relles comme les pêches maritimes, la très grande majorité des expériences d’utilisa-
tion de quotas échangeables a privilégié une allocation gratuite permettant ainsi de
limiter les coûts de mise en œuvre pour les détenteurs. Cependant, cette approche ne
permet pas une internalisation complète du coût des émissions puisque les firmes
n’auront à assumer que l’écart entre le nombre de quotas alloués gratuitement et le
niveau réel des émissions. Dans le cas de l’expérience européenne, les États
membres devaient allouer au moins 95 % des quotas à titre gratuit et, pour la période
de cinq ans qui débutait le 1er janvier 2008, au moins 90 % des quotas. Concrète-
ment, le recours aux enchères est resté très faible dans la première phase et, au
mieux, n’a été utilisé que par quelques pays dans la seconde phase. Toutefois, la
Commission européenne prévoit l’utilisation d’enchères après 2013 de façon systé-
matique pour l’industrie électrique, de façon progressive pour certains secteurs,
allant de 20 % en 2013 à 70 % en 2020 – l’excluant pour les secteurs exposés à la
concurrence internationale – une démarche d’une ampleur sans précédent.
Pour Tirole (2009), d’une manière générale, l’utilisation d’enchères est souhaita-
ble. « Elle garantit que les acteurs qui n’auront pas mis en œuvre une politique
d’investissements réducteurs d’émission devront en supporter les conséquences en
termes d’achat de permis dans les phases ultérieures du système. Un autre argument
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

en faveur des enchères est que la distribution gratuite de permis peut s’avérer une
subvention inutile du secteur ». L’approche peut alors être associée à une taxe
carbone avec l’avantage que le prix est fixé par le marché et reflète adéquatement le
coût marginal de la réduction. La charge financière imposée au secteur industriel
peut cependant être significative et se double de l’incertitude associée au prix d’une
tonne de CO2.
Le choix d’une attribution gratuite nécessite l’adoption par l’État de critères de
répartition. L’approche générale fait référence aux émissions historiques alors que
certains pays explorent un modèle basé sur des normes d’intensité (gouvernement
du Canada, 2007). L’équité est évidemment au centre de cette répartition, mais la
définition et la mise en œuvre de cette équité peuvent prendre différentes formes.
Plusieurs éléments doivent être analysés, notamment les suivants :
29
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

– une approche basée sur la répartition historique des émissions est conforme au
principe pollueur-payeur et l’effort de réduction demandé sera proportionnel au
niveau d’émission de la période historique retenue. Le choix de cette période de
référence reste important car il ne doit pas engendrer de comportements stratégi-
ques chez les firmes dans le but d’obtenir une allocation plus élevée ;
– l’approche basée sur l’intensité prend en compte la production annuelle pour
déterminer l’allocation annuelle. Avec des taux de croissance différents d’un
secteur à l’autre, ceux en forte croissance obtiendront davantage de permis et
feront donc assumer une partie de leurs coûts environnementaux par l’ensemble
des autres secteurs. Dans cette approche et contrairement au modèle européen,
l’État peut être amené à intervenir sur le marché après la phase d’allocation
initiale en modifiant les montants alloués aux différents opérateurs si les taux de
croissance sont significativement différents ;
– les nouveaux producteurs bénéficient de la capacité d’intégrer la contrainte de
GES dans leurs choix initiaux d’investissement, possibilités que ne possèdent pas
les firmes existantes. Doit-on favoriser cette prise en compte par des contraintes
plus strictes envers les entrants même si cela est perçu par certains comme un
frein aux nouveaux investissements ? Ainsi, selon la capacité et le type d’installa-
tion entrant sur le marché, les quotas européens ont généralement été alloués sur
la base du facteur d’émission de la meilleure technologie disponible pour le
secteur, même si cette approche a été appliquée de façon différenciée entre les
pays (Caisse des dépôts, 2006) ;
– les émissions industrielles peuvent être subdivisées en deux catégories : celles
liées à la consommation et à la combustion d’énergie fossile, et celles liées au
procédé industriel résultant des processus de production. Les contraintes techno-
logiques et les opportunités de réduction n’étant pas les mêmes, se pose alors la
question de la pertinence de distinguer ces deux sources d’émission dans le calcul
de l’allocation initiale et, de façon plus générale, l’unicité du prix pour une tonne
de carbone ;
– il est également possible de prendre en compte la réduction des émissions effec-
tuées sur une base volontaire avant la période de référence pour la détermination
de l’allocation initiale. Cette considération de l’action précoce favorisera les
entreprises ayant rapidement entrepris des actions de réduction,
– doit-on, finalement, retenir des modalités spécifiques pour certains secteurs et en
particulier les secteurs en forte concurrence internationale ?

3 Règles d’échange, d’apurement et de contrôle

Pour qu’un système de quotas d’émission puisse jouer adéquatement son rôle,
l’élaboration d’un ensemble de règles définissant ce marché s’impose. Ce dernier
doit être fluide, concurrentiel et engendrer de faibles coûts de transactions. Le

30
Ambitions et impacts des quotas d’émission

système de quotas doit prévoir des protocoles spécifiques pour que les établisse-
ments quantifient leurs émissions de GES et effectuent l’apurement entre le nombre
de quotas détenus et les émissions réelles de GES. Le système doit prévoir des
mesures suffisamment incitatives pour réduire les cas d’infraction. Ainsi, dans le
modèle européen, l’amende sur les émissions excédentaires était de 40 euros la
tonne pour la période 2005-2007 et de 100 euros pour la période 2008-2012. Finale-
ment, pour permettre l’ajustement à long terme de ces politiques environnementales,
le quota n’est généralement pas défini comme un véritable droit de propriété à
perpétuité et peut être associé à un droit administratif.
La régularisation d’un tel marché reste toutefois une tâche relativement complexe
comme le démontre la mise en œuvre de l’EU ETS et la « fin de la période d’appren-
tissage de 2005 à 2007 n’a pas marqué la fin de la mise à l’épreuve du système euro-
péen d’échange de quotas de CO2, avec les retombées des crises financière et
économique depuis 2008 (…) Le prix doit continuer de répondre à des fondamen-
taux physiques et diffuser un signal prix incitant aux réductions d’émissions. Cette
incitation passe forcément par la crédibilité du système et la transparence vis-à-vis
des participants au marché et de l’ensemble de la société » (Hervé-Mignussi, 2010).

Section VERS UNE VÉRITABLE PRISE EN COMPTE


3 DE LA CONTRAINTE CARBONE ?

Les cinq premières années de mise en œuvre de l’EU ETS ont permis de faire un
gain important : « émettre du carbone a maintenant un prix dans l’industrie euro-
péenne dans laquelle aucun acteur n’imagine plus revenir au régime antérieur de
gratuité des émissions » (de Perthuis et al., 2009). Cette prise en compte de la valo-
risation du carbone permet de mieux apprécier les enjeux associés à la compétitivité
et son incidence sur les modalités d’allocation.
Dès la conception du système, ce risque de distorsion de concurrence apparaît :
entre les pays avec cibles de réduction et ceux sans engagement, entre entreprises
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

d’un même secteur pour l’ensemble des pays ayant des cibles de réduction, entre
secteurs au niveau national, entre des entreprises ou des secteurs affectés indirecte-
ment, mais différemment, par le marché de l’électricité (Delalande et Martinez,
2004).
Les modalités de l’allocation initiale doivent favoriser l’atteinte des objectifs et
prendre en compte ces enjeux de concurrence. Toutefois, les méthodes d’attribution
doivent aussi encourager les changements structurels attendus en matière de décar-
bonisation. Le cas du secteur production d’électricité est un bel exemple où les
règles d’allocation ne doivent pas perpétuer les avantages associés à la filière thermi-
que par la prise en compte inadéquate de ses externalités. Sinon, c’est l’efficacité
économique et environnementale à long terme de l’approche qui est réduite.

31
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Les résultats mitigés de la première année de mise en œuvre des quotas d’émis-
sions au niveau européen illustre également l’importance de cette prise en compte de
la contrainte carbone. L’année 2005 s’est terminée avec un excédant de 3,4 % des
quotas, donc par une allocation excédentaire de permis amenant peu de contraintes
de réduction au niveau des entreprises. Le marché a réagi vivement par l’effondre-
ment du prix du permis en 2006 puisque ces permis ne pouvaient être utilisés dans la
seconde phase. En ce qui concerne la seconde phase, le prix des permis européens de
l’EU ETS et celui des unités certifiées de réduction des émissions (URCE) associées
aux mécanismes de flexibilité du protocole de Kyoto ont connu, à partir de la
seconde moitié de 2008, une diminution marquée reflétant ainsi la diminution de la
demande en lien avec la crise économique.

Source : BlueNext, ECX, dans Tirole (2009).

Figure 2.1

Ces deux situations illustrent bien le fait que, dans un système de quotas, le prix de
ces derniers ne reflète que la contrainte carbone dans un marché donné. Si l’écart
entre les quotas disponibles et la demande pour ceux-ci est faible, la contrainte ne
sera pas significative, le prix tendra vers zéro et il n’y aura que peu de réduction des
émissions. La situation serait la même dans un modèle de taxation ; si le prix fixé
pour la taxe est trop modeste, seules les réductions faciles à faibles coûts pourront
être réalisées et la diminution des émissions sera relativement limitée. Pour qu’un
système de quotas induise une véritable réduction des émissions de carbone, il faut
32
Ambitions et impacts des quotas d’émission

donc que la contrainte soit significative. Dans la problématique des changements


climatiques, cette contrainte doit s’opérer à l’échelle internationale pour qu’ensuite
elle puisse être répercutée au niveau national. Dans ce contexte, la « conférence de
Copenhague laisse à sa clôture un large sentiment d’immobilisme des négociations
climatiques internationales, dont les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes »
(Leguet, 2010). Il faudra une volonté beaucoup plus ferme de la communauté inter-
nationale pour mettre en œuvre de véritables objectifs contraignants à moyen terme
(2013-2020) et à long terme (2050) conformes aux orientations du rapport du GIEC.
Une fois ces objectifs contraignants définis pour les différents pays, un système de
quotas pourra alors jouer son rôle d’allocateur à l’échelle nationale.

Conclusion
La mise en place d’un tel système de quotas peut contribuer à préserver la compétitivité de
l’économie puisque toute mesure alternative imposerait aux entreprises des coûts plus
élevés. Toutefois, la répartition des coûts dépendra des décisions prises dans l’élaboration
des plans d’allocation ainsi que des choix effectués pour maîtriser les émissions dans les
secteurs non couverts par le système de quotas.
L’effort de réduction demandé aux secteurs soumis à un système de quotas et les modalités
de répartition de cet effort constituent l’enjeu politique le plus litigieux, puisqu’ils déter-
minent l’équité du système. Celui-ci ne doit cependant pas se transformer en « une aide
publique aux entreprises industrielles concernées à travers une allocation gratuite de
quotas excédentaires par rapport au niveau nécessaire à l’atteinte des objectifs nationaux
proclamés » (Godard, 2004). La première phase de l’ETS a été marquée par cette situation
de quotas excédentaires, situation pour le moins paradoxale pour un instrument économi-
que devant introduire plus d’efficience dans la gestion environnementale.
Finalement, il ne faut pas perdre de vue le caractère dynamique des choix réglementaires
effectués dans l’élaboration du système. Pour « influencer le comportement et les déci-
sions d’investissement, les investisseurs et les consommateurs doivent être convaincus que
le prix du carbone sera maintenu à l’avenir (…) S’il y a un manque de confiance que les
politiques sur le changement climatique vont perdurer, il est possible que les entreprises ne
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

prennent pas en compte le prix du carbone dans leur processus décisionnel. Cela pourrait
se solder par un surinvestissement dans une infrastructure d’une grande longévité forte-
ment émettrice de carbone – ce qui rendra les réductions d’émissions plus tard beaucoup
plus chères et bien plus difficiles » (Stern, 2006).
Les choix réglementaires ne doivent donc pas seulement permettre d’atteindre les objectifs
prévus, ils doivent également permettre à l’État de préserver sa marge de manœuvre pour
définir les objectifs de moyen et long terme. Évidemment, le développement de cet outil
sera tributaire des avancées réalisées au niveau international, avancées qui devront aller au-
delà de l’accord de Copenhague pour définir un régime véritablement contraignant et en
cohérence avec les objectifs de réduction des émissions de GES à moyen et long terme.

33
Chapitre
La finance
socialement
3 responsable

Erwan LE SAOUT
Dominique WOLFF

I nvestir de manière « socialement responsable » consiste à intégrer des critères


éthiques, sociaux, environnementaux et/ou de gouvernance dans ses décisions
d’investissement ou encore à faire usage du droit de vote attaché à tout détenteur
de titre. Pour les investisseurs, ces critères ne se substituent pas à ceux de la perfor-
mance financière mais les complètent afin de tenter d’objectiver un certain nombre
de nouveaux risques liés à l’activité économique.
Devant une société de plus en plus sensible aux principes de responsabilité sociale
des entreprises, les sociétés de gestion de portefeuille proposent des OPCVM sélec-
tionnant les titres sur la base de critères extra-financiers.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Section 1 ■ La finance responsable


Section 2 ■ La rentabilité de la finance responsable

35
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Section LA FINANCE RESPONSABLE


1
1 Les différentes approches de l’ISR

Les placements responsables recouvrent une large gamme de produits financiers à


tel point que des labels qualité (Ethibel, Réseau financement alternatif, Novethic)
sont proposés afin d’éviter toute confusion sur la nature des produits commerciali-
sés. Témoignage de l’évolution de la composition des fonds responsables, l’expres-
sion « investissement responsable et durable » (IRD) prend peu à peu la place
d’« investissement socialement responsable ». Actuellement, cinq grandes familles
composent la finance responsable.
Les fonds d’exclusion sont les premiers à avoir vu le jour à la demande de
communautés religieuses désireuses d’investir mais soucieuses de ne pas aller à
l’encontre de leurs convictions. La gestion de ces fonds consiste à exclure 1 :
– des secteurs d’activité qui ne répondent pas à l’éthique des investisseurs tels que
le tabac, l’alcool, l’armement, la pornographie ou l’exploitation de la fourrure
d’origine animale, etc. ;
– les entreprises ne respectant pas les normes ou conventions internationales
comme celles de l’OIT ou ayant des investissements dans des pays peu impliqués
dans le respect des droits de l’Homme ;
– les industries appartenant à des secteurs d’activités fortement polluants ou sensi-
bles du point de vue environnemental : nucléaire, pétrole, chimie, etc.
Plus récemment sont apparus des fonds excluant des secteurs faisant l’objet de
controverses publiques tels que les OGM, l’expérimentation animale et le crédit
(fonds islamiques). Par ailleurs, outre le fait de respecter un certain nombre de prin-
cipes moraux, les fonds éthiques sont également fondés sur une réalité juridique :
l’exposition excessive de certains secteurs d’activités face aux risques d’actions
collectives en justice (class action). Par exemple, actuellement aux États-Unis, les
producteurs de tabac et les activités liées à l’amiante sont deux secteurs juridique-
ment exposés.

Exemple
Nouvelle Stratégie 50, créée sur l’initiative de sœur Nicole Reille, est le doyen des fonds ISR
en France. Il est composé de titres d’émetteurs choisis selon leurs engagements et leurs prati-
ques en matière de développement durable, lesquels sont déclinés selon des critères ESG
(Environnementaux, Sociaux et de bonne Gouvernance). La sélection des entreprises est asso-

1. Certaines sociétés de gestion intègrent un seuil de tolérance comme un pourcentage maximum de


chiffre d’affaires.
36
La finance socialement responsable
ciée à l’exclusion de toute activité liée au tabac, à l’alcool, à la pornographie, à l’armement et
aux jeux d’argent.
Source : Novethic.

L’activisme actionnarial peut se définir comme l’ensemble des actions prises par
des investisseurs soucieux d’éthique en tant que propriétaires de l’entreprise. L’acti-
visme, par l’exercice des droits de vote, constitue un moyen d’incitation à la respon-
sabilité sociétale de l’entreprise. Il vise en effet à orienter le comportement de
l’entreprise vers un niveau de responsabilité sociale plus élevé afin de valoriser les
intérêts de toutes les parties prenantes.
Les fonds thématiques sont des fonds qui utilisent un filtre positif afin de prôner
certaines valeurs comme l’environnement (fonds verts) et le social (fonds rouges).
L’offre de tels fonds s’est sensiblement étoffée au cours de ces trois dernières années
et fait l’objet de réserves, en particulier pour les fonds environnementaux, par
certains spécialistes de l’ISR. En effet, beaucoup y voient une forme d’opportu-
nisme de la part des gérants de fonds qui veulent profiter de l’engouement pour les
valeurs vertes en profitant des nombreuses décisions politiques en faveur de l’éner-
gie renouvelable comme en attestent les différents plans de relance économique
proposés récemment. Le problème sous-jacent est que, de la sorte, l’on s’éloigne du
concept de développement durable qui ne repose pas exclusivement sur les piliers
financier et environnemental.

Exemple
BNP Paribas Aqua est un FCP de droit français qui cherche à obtenir à moyen terme une valo-
risation du capital par la gestion d’un portefeuille constitué de valeurs internationales, liées au
thème de l’eau qui respectent les dix principes du pacte mondial des Nations unies. Plus préci-
sément, BNP Paribas Aqua investit dans des sociétés dont au moins 20 % de l’activité est liée
au thème de l’eau. Ceci comprend notamment les technologies de traitement, économies et
recyclage de l’eau, l’installation, l’entretien et la rénovation des réseaux d’adduction d’eau,
l’assainissement des eaux usées et de la pollution.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

L’approche best-in-class est très prisée par les OPCVM européens. C’est une
réponse pragmatique à la difficulté de concilier performance boursière et perfor-
mance extra-financière. La réduction de l’univers d’investissement du gérant, syno-
nyme de moindre diversification, signifie que la rentabilité ajustée du risque des
portefeuilles ISR ne peut être que plus faible que celle des portefeuilles tradition-
nels. Dès lors, il est apparu plus judicieux de s’intéresser à la vertu des entreprises
plutôt qu’à celle des secteurs d’activité. Cette méthode permet ainsi de ne pas bannir
certaines industries source d’emplois aux dires de leurs partisans. À la suite de la
collecte d’informations d’ordre extra-financier, les analystes réalisent un classement
sectoriel des sociétés, établi sur la base de leurs engagements et de leurs comporte-
ments allant dans le sens d’un développement durable. Plus récemment sont apparus
des fonds dits best efforts. Ces fonds retiennent les sociétés dont la notation ESG
37
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

progresse. Ils correspondent selon ses partisans à l’antichambre des fonds best-in-
class qui devraient accueillir prochainement ces sociétés au vu de leur dynamique en
matière d’engagements.

Exemple
Pour sélectionner dans chaque secteur les entreprises présentant le meilleur profil durable et
responsable, Dexia AM a développé une analyse de durabilité best-in-class dont le but est
d’évaluer la capacité des entreprises à faire face aux défis liés au développement durable spéci-
fiques à leur secteur d’activité. Ces défis sont abordés sous deux angles distincts, mais interdé-
pendants, au cours des analyses macro et micro. L’analyse macro évalue l’exposition des
entreprises aux défis clés du développement durable selon l’approche Dexia (le vieillissement
des populations, les populations en croissance et en développement, la santé et le bien-être, le
changement climatique, la surexploitation des ressources, l’interconnectivité). L’analyse
micro évalue la capacité des entreprises à prendre en compte les intérêts des parties prenantes
dans leurs stratégies à long terme. Les relations avec les parties prenantes sont à la fois une
source de risques et d’opportunités pour l’activité des entreprises.
Seules les entreprises qui sont les mieux placées pour affronter les défis clés du développement
durable (analyse macro) et qui gèrent de façon optimale les intérêts des parties prenantes
(analyse micro) peuvent figurer sur leur liste d’éligibilité aux fonds IRD. Cette analyse est
intégrée à l’analyse financière de Dexia AM.
Source : Dexia.

Les placements solidaires forment une catégorie à part entière. Celle-ci regroupe
les fonds de partage et les fonds de solidarité qui adoptent une approche différente
des approches citées précédemment dans le sens où la performance financière ne
constitue pas la priorité du gérant. Les fonds de partage investissent majoritairement
dans des actifs monétaires et obligataires dont les émetteurs ne répondent pas obli-
gatoirement aux principes de la responsabilité sociétale de l’entreprise. À la diffé-
rence des autres fonds, les souscripteurs acceptent de reverser pour tout ou partie les
revenus générés par leurs investissements à des organismes à but humanitaire ou à
des organismes qui soutiennent la cause que les investisseurs souhaitent défendre.
Les fonds solidaires ont pour objet de financer des projets socialement utiles ne
bénéficiant pas de l’aide des institutions financières traditionnelles. Ces fonds sont
en général investis dans des obligations émises par des grands organismes suprana-
tionaux tels que la Banque mondiale. La rentabilité attendue est en générale faible au
regard des produits financiers appartenant à la même classe d’actifs.

Exemple
Alcyone Actions Nord Sud est un fonds commun de placement investi en actions de grandes
entreprises européennes. Ce fonds est composé d’actions émises par des entreprises choisies
selon leur engagement et leurs pratiques en matière de développement durable, lesquels sont
déclinés selon des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). La sélection
ESG met l’accent sur l’engagement dans la réduction de l’extrême pauvreté dans les pays du

38
La finance socialement responsable
Sud. Le principe de sélection des entreprises est associé à l’exclusion de toute activité liée à
l’armement, au tabac, à l’alcool, au jeu et à la pornographie. Outre sa gestion ISR, ce fonds est
également qualifiable de solidaire : la moitié de la commission de gestion fixe est reversée à
l’ONG Care France.
Source : Novethic.

La figure 3.1 propose une cartographie des fonds ISR suivant les approches extra-
financière et financière retenues par le gérant de fonds.

Figure 3.1 — Cartographie des fonds ISR

2 Le marché de la finance socialement responsable

Le marché mondial de la finance socialement responsable était estimé à prés de


5 000 milliards d’euros fin 2007 d’après Eurosif. C’est un montant qui peut paraître
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

important mais qui au regard des encours des fonds traditionnels demeure encore
sous la barre des 10 % pour les indicateurs les plus optimistes. Le tableau 3.1,
adapté du rapport Eurosif 2008, révèle un fait marquant : la fin de la prédominance
des États-Unis dans la gestion ISR. Alors que la part des Américains atteignait 65 %
du marché en 2005, elle s’établissait sous la barre des 40 % fin 2007. Ceci s’expli-
que par la progression plus rapide de l’ISR en dehors des États-Unis et par la baisse
du dollar américain. Il convient néanmoins d’être méfiant devant de tels chiffres car
selon la localisation géographique, le périmètre définissant l’ISR n’est pas identique
(prise en compte des instruments monétaires par exemple).

39
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Tableau 3.1 — Encours mondial de l’ISR en 2007


Zone Encours (en Md €)

Australie/Nouvelle Zélande 41,4

Canada (2008) 403,6

États-Unis 1 917,3

Europe 2 665,4

Japon 5,5

Total 5 033,2

Source : SIF, AIR, SIO, Eurosif, SIF-Japan.

2.1 L’ISR en Amérique du Nord

Le marché de l’ISR américain a connu une forte croissance depuis 1995 qui a vu
l’encours évoluer de 639 milliards à 2 712 milliards de dollars fin 2007. Ce montant
est à rapporter à l’encours total du marché américain de l’époque qui s’établissait à
25 100 milliards de dollars, soit 10,8 %. Le dynamisme de ce marché a été entretenu
par l’explosion des fonds filtrés, screening positif ou négatif (top down approach),
qui ont plus que triplé en dix ans. Alors qu’on avait remarqué un fléchissement de la
croissance en 2005 (+ 5,8 %), les encours ont progressé de 18 %, un taux nettement
supérieur à la croissance du marché de l’industrie des fonds (+ 3 %).
Tableau 3.2 — Évolution de l’encours ISR aux États-Unis
En Md USD 1997 1999 2001 2003 2005 2007

Filtrage 529 1 497 2 010 2 143 1 685 2 098

Activisme 736 922 897 448 703 739

F & A* (84) (265) (592) (441) (117) (151)

Solidaire 4 5 8 14 20 26

Total 1 185 2 159 2 323 2 164 2 291 2 712

* La ligne F & A correspond aux doublons (filtrage et activisme) et est donc ôtée des montants d’encours.

Source : SIF.

En termes relatifs, les Américains ont également été déchus de leur place de
leader. Cette prédominance était notamment liée à un contexte historique favorable –
création des premiers fonds éthiques aux USA (Wolff, 2005)– ainsi qu’à l’existence
de fonds de pension puissants tel que CalPERS qui, grâce à leurs encours, ont pu
rapidement structurer l’ISR américain. Par ailleurs, aux États-Unis, le contexte poli-
tico-juridique a entretenu la croissance de ce marché. D’une part, la recrudescence
des plaintes collectives (class actions), contre certains secteurs d’activité, et les
40
La finance socialement responsable

risques financiers inhérents à de telles actions ont fortement démocratisé le scree-


ning négatif chez les gestionnaires de fonds. D’autre part, la succession de scandales
financiers, début des années 2000, ainsi que l’application de la loi Sarbanes-Oxley
(2002) sur la transparence financière ont donné un nouveau souffle à l’activisme
actionnarial et ont encouragé de nouveaux fonds à utiliser plus systématiquement
leurs droits de vote afin de faire évoluer les modes de gouvernance des firmes.
Le marché ISR canadien connaît une croissance tout aussi remarquable que son
voisin américain. D’après le rapport 2008 de l’AIR, l’encours de l’ISR a été multi-
plié par douze en l’espace de huit années et atteint ainsi fin 2008 609 milliards de
dollars canadiens. La part des actifs totaux sous gestion au Canada est estimée à
19,9 % soit une stabilité par rapport à 2006 (19,5 %). Le tableau 3.3 présente
l’évolution des encours suivant deux catégories : ISR de base (core SRI) et ISR
élargi (broad SRI).
L’ISR de base 1 est fondé principalement sur la manière dont un investisseur
perçoit les conséquences éthiques découlant des choix particuliers d’investisse-
ments. Les stratégies d’ISR de base reposent sur l’idée fondamentale que les place-
ments contribuent à des conséquences prévisibles et mesurables pour les parties
prenantes et l’environnement. Ceci comprend trois stratégies principales : le filtrage
fondé sur des critères d’exclusion ou d’inclusion, les investissements communautai-
res et les prêts socialement responsables.
L’ISR élargi comprend différentes approches d’analyse financière ou de gestion de
portefeuilles fondées sur une compréhension des facteurs environnementaux,
sociaux et de gouvernance d’entreprise. Contrairement aux stratégies d’ISR de base,
les stratégies d’ISR élargi ne prennent pas une position éthique concernant la
manière dont les facteurs ESG peuvent avoir une incidence sur les parties prenantes
ou l’environnement. L’ISR élargi comprend trois stratégies principales : la prise en
compte des facteurs ESG dans le cadre de l’analyse et de la gestion de portefeuilles
d’actions, les démarches d’engagement auprès des entreprises et le vote par procura-
tion sur les questions ESG, et le capital de risque soutenant le développement dura-
ble.
La lecture du tableau 3.3 laisse apparaître une inflexion dans la manière d’investir
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

entre l’année 2004 et l’année 2006 avec une croissance exponentielle des stratégies
d’ISR élargi. Cette forte augmentation s’explique par la prise en compte des facteurs
ESG par les caisses de retraite à compter de 2005. Alors que l’encours ISR de ces
caisses était estimé à 27,20 milliards de dollars canadiens, il s’établit désormais à
près de 544 milliards.

1. Les définitions des stratégies ISR de base et élargies sont reprises de la revue 2008 de l’AIR. Il est à
signaler que celles-ci ne correspondent pas exactement à celles proposées en Europe. Ainsi, selon
l’Eurosif, au moins deux secteurs doivent être exclus pour appartenir à la catégorie dite « de base »
ou « fine ».
41
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Tableau 3.3 — Évolution de l’encours ISR au Canada


Md CAD 2000 2002 2004 2006 2008

Core SRI 21,7 26,9 37,9 57,4 54,2

Broad SRI 28,2 24,6 27,6 446,2 555,1

Total 49,9 51,4 65,5 503,6 609,2

Source : AIR.

2.2 L’ISR en Europe

Comme nous l’avons signalé précédemment, si l’Europe a débuté au ralenti en


matière d’investissement responsable, elle a rattrapé son retard et elle est
aujourd’hui devenue la première zone économique en termes d’encours. Les
montants ISR s’établissaient fin 2007 à 2 665 milliards d’euros contre 336 milliards
en 2002. Cette hausse s’explique par l’accroissement de l’intérêt des investisseurs
institutionnels qui ont ajouté des critères extra-financiers dans leur mode de sélec-
tion de titres, par la hausse des cours de Bourse et par la modification du périmètre
géographique de l’étude Eurosif qui ne portait à l’origine que sur huit pays contre
treize à présent. Le tableau 3.1 rapporte les données 1 par pays. Fin 2007, l’ISR en
Europe représentait 17,5 % des fonds gérés. Cette forte proportion doit beaucoup à
la contribution du Royaume-Uni, principal marché des fonds d’investissement, où la
part de l’ISR s’établissait à 22,5 %.
Cette progression de l’ISR en Europe doit beaucoup à différentes décisions politi-
ques (Le Saout, 2006) destinées à promouvoir le développement durable au sein des
entreprises et des marchés financiers. Au Royaume-Uni, le Trustee Act, applicable
depuis juillet 2000, impose aux administrateurs de fonds de pension d’annoncer s’ils
utilisent pour décider de leurs placements des critères éthiques, environnementaux
ou sociaux. En France, plusieurs lois interviennent en faveur de l’investissement
socialement responsable. Tout d’abord, la loi Fabius du 19 février 2001 sur l’épar-
gne salariale a permis d’insérer un alinéa de l’article L. 214-39 du Code monétaire et
financier relatif aux considérations sociales, environnementales ou éthiques que doit
respecter la société de gestion. La loi du 17 juillet 2001 qui institue les fonds de
réserve des retraites a prévu que le conseil de surveillance doit être informé sur la
manière dont les orientations générales de la politique de placements du fonds ont
pris en compte des considérations sociales, environnementales et éthiques. Citons
également la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 qui
impose aux sociétés d’intégrer dans leur rapport d’activité des considérations socia-

1. Le lecteur attentif remarquera que le total européen diffère de celui énoncé dans le paragraphe précé-
dent. Cette différence résulte de l’intégration des statistiques luxembourgeoises.
42
La finance socialement responsable

les et environnementales. Par ailleurs différents gouvernements ont mis en œuvre


des incitations fiscales pour favoriser l’ISR auprès des particuliers.
Tableau 3.4 — Évolution de l’encours ISR en Europe fin 2007
Pays Base Élargie Total

Allemagne 0 11,1 11,1

Autriche 0 1,17 1,17

Belgique 23,4 260,4 283,8

Danemark 45,7 68,8 114,5

Espagne 1,28 29,46 30,74

Finlande 13,4 54 67,4

France 28,5 70,1 98,6


Italie 3,4 240 243,4

Luxembourg nd Nd 609

Norvège 170,5 38,3 208,8

Pays Pas 69,4 366 435,4

Royaume Uni 68 890,8 958,8

Suède 56,8 134,3 191,1

Suisse 21,1 0 21,1

Total 501,48 2 164,43 3 274,91

Source : Eurosif et Etika.

En France, le marché de l’investissement socialement responsable ne cesse de


progresser. Les encours ont ainsi augmenté en 2008 de 37 % par rapport à 2007 pour
atteindre près de 30 milliards d’euros. Au regard de la décollecte observée sur les
marchés (– 11 % en 2008) et de la chute des cours de Bourse, ces chiffres peuvent
surprendre. Deux raisons expliquent cette progression. La première est le fait des
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

investisseurs institutionnels qui ont décidé d’orienter leurs placements vers l’ISR.
On peut citer à titre indicatif le Fonds de réserves des retraites, l’ERAFP 1 ou Agrica
Épargne, récent titulaire du prix de l’investisseur responsable. Il y a dans le cas
présent un basculement entre OPCVM traditionnels et OPCVM best-in-class,
approche largement majoritaire en France. On peut noter que ces investisseurs ont
désormais recours à la gestion dédiée (cf. tableau 3.5). La seconde raison est plus
gênante car elle concerne la nature des placements ISR. Le rapport 2008 de Nove-
thic met en relief le poids désormais prépondérant des placements monétaires et
obligataires. Ceux-ci représentent désormais 66 % des encours reléguant la part

1. Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique.


43
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

actions jusque-là majoritaire à un tiers. D’une part, il se pose la question des critères
de sélection des émetteurs en particulier lorsqu’il s’agit d’États. D’autre part, on
peut s’interroger s’il n’y a pas une certaine contradiction entre investir dans des
instruments monétaires, avec un horizon de court terme alors que l’investissement
socialement responsable repose sur une gestion dite durable et un turnover réduit.
Investir désormais dans les titres de créances de l’État français revient à pratiquer de
l’ISR !

Exemple
Les placements du compartiment Petercam L Bonds Government Sustainable, Sicav de droit
luxembourgeois, portent sur les valeurs mobilières à revenu fixe, libellées en euros, pour une
proportion minimale de deux tiers des actifs nets. Les titres sont émis ou garantis par un État
membre de l’OCDE, ses collectivités publiques territoriales ou des organismes internationaux
à caractère public dont font partie un ou plusieurs États membres de l’OCDE, pour autant que
certains critères d’investissement tels que l’équité sociale, l’harmonie environnementale, la
gouvernance économiquement équilibrée… soient respectés. Selon Johnny Debuysscher,
responsable de la gestion obligataire du groupe, la société analyse « les trente pays de l’OCDE
selon des critères comme les émissions de CO2, le taux de chômage… Le fonds ne peut inves-
tir que dans des obligations émises par un État classé parmi les quinze premiers »
Source : Le Monde, 12 septembre 2009.

L’autre fait notable des études annuelles réalisées par Novethic est le constat que
le marché de l’ISR français est essentiellement un marché d’institutionnels. Les
fonds de pension publics et fonds de réserve, les caisses de retraite et de prévoyance,
et les compagnies d’assurance et mutuelles représentent à eux seuls plus de 80 %
des encours institutionnels qui eux-mêmes représentent 75 % du marché ISR.
Tableau 3.5 — Évolution de l’encours ISR en France
Mds € 2006 2007 2008

Gestion Particuliers 3,9 4,6 4


collective
Institutionnels 5 5,8 7,1
Épargne salariale 1,1 1,4 2,5

Sous-total 10 11,8 13,5


Gestion Institutionnels (gestion déléguée) 3 4,8 6,7
dédiée
Institutionnels (gestion interne) 2,7 4,1 8,9
Épargne salariale 1 1,2 0,9

Sous-total 6,8 10,1 16,4


Total 16,8 21,9 29,9

Source : Novethic (2009).

44
La finance socialement responsable

Le succès grandissant de l’ISR conduit à un accroissement de l’encours des fonds


durables comme en atteste la figure 3.2. Aujourd’hui, plus d’un tiers de ces fonds ont
un encours supérieur à 100 millions d’euros. Une telle croissance engendre une
contrainte de liquidité 1. Afin de faire face aux souscriptions et rachat de parts
d’OPCVM plus nombreux, les gérants doivent s’orienter vers les titres les plus liqui-
des, c’est-à-dire les grandes capitalisations boursières au détriment des petites entre-
prises cotées parfois plus respectueuses des principes du développement durable.

Source : Novethic (2008).

Figure 3.2 — Encours ISR français en 2007

Section LA RENTABILITÉ DE LA FINANCE RESPONSABLE


2
Compte tenu de l’importance des enjeux monétaires, le cas de l’ISR n’échappe pas
à la question de sa performance financière. En raison du profil encore avant-gardiste
de ce type de placement, l’analyste doit être en mesure de définir clairement le degré
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

ou plutôt le niveau de responsabilité sociale de son portefeuille, rendant la recherche


d’étalons de références d’autant plus complexe. Plusieurs indices socialement
responsables ont ainsi vu le jour. On peut citer à titre d’exemple le Calvert Social
Index, le Domini Social Index, le Dow Jones Sustainability Index, l’Aspi, le
FTSE4good. Ces indices sont représentatifs de différentes approches de l’investisse-
ment socialement responsable. Un premier paragraphe s’intéresse à la méthodologie
de construction de ces indices. Un second paragraphe est consacré à l’analyse de la
performance de l’investissement socialement responsable qui consiste à comparer sa

1. La liquidité désigne la facilité pour un investisseur à trouver une contrepartie sans provoquer de
choc sur les prix.
45
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

rentabilité ajustée de son risque à celle d’un benchmark, en général un indice bour-
sier représentatif d’un même univers d’investissement.

1 Les indices socialement responsables : des benchmarks


indispensables pour étalonner le marché

1.1 L’indice DSI 400

Le DSI 400 est le premier indice socialement responsable. Lancé en mai 1990 par
la société KLD, il a pour objet de servir de benchmark aux investisseurs et de déter-
miner de quelle manière les filtres éthiques affectent les performances financières.
La méthodologie utilisée repose à la fois sur des filtres d’exclusion et sur un système
de notation propre à KLD (cf. figure 3.3). L’indice est alors constitué de 250 socié-
tés. L’univers d’investissement est ensuite complété de 150 firmes hors Standard &
Poors 500. Cette nouvelle sélection a pour objectif de procéder à un rééquilibrage
sectoriel ainsi qu’à la promotion d’entreprises dont la stratégie DD est reconnue.

Source : ORSE (2001).

Figure 3.3 — Construction de l’indice DSI 400

1.2 La gamme DJSI

Le Dow Jones Sustainable Group Index (DJSGI) est le fruit d’une collaboration
initiale entre le fournisseur d’indices Dow Jones et le bureau d’étude suisse SAM

46
La finance socialement responsable

établie en 1999. Si l’indice continue d’être diffusé, il l’est désormais sous la seule
responsabilité du cabinet SAM qui possède une licence d’exploitation de l’appella-
tion Dow Jones. Ces indices sont fondés sur une vision intégrée des placements
durables. Dans la sélection des entreprises, tous les aspects de l’entreprenariat dura-
ble sont envisagés et sont comptabilisés de façon proportionnelle dans l’évaluation
globale. Les cinq critères sont ainsi les suivants : la capacité d’innovation technolo-
gique et l’efficacité à long terme de l’utilisation des ressources, le gouvernement
d’entreprise, les relations avec les actionnaires, le leadership professionnel et la
compétitivité ainsi que les relations avec la société civile. En résumé, la méthodolo-
gie de l’indice DJSGI est fondée sur une analyse des risques et des opportunités sur
trois volets : un volet économique, un volet social et un volet environnemental et
technique. Le processus de sélection prend également en compte des réponses à des
questionnaires. On a recours également à une série de critères négatifs (mais non
exclusifs), en l’occurrence le commerce des armes, l’alcool, le tabac et les jeux de
hasard. Cependant, pour tenir compte de l’ensemble des sensibilités de la finance
SR, Dow Jones a développé six sous indices d’exclusion : DJSI ex-alcohol, ex-
gambling, ex-tobacco, ex-armaments & firearms, ex-alcohol, tobacco, gambling,
armaments & firearms indexes, et ex-adult entertainment.
La sélection finale, obtenue selon l’approche best-in-class, est ensuite réalisée à
partir de l’algorithme ci-après repris par la figure 3.4 :
– univers : DJSI World-indice Dow Jones Global ;
– élimination des secteurs dont la société la mieux notée obtient moins de 1/5 du
score maximum ;
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Source : ORSE (2001).

Figure 3.4 — Construction de l’indice DJSI World


47
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

– élimination des sociétés obtenant moins du tiers du score maximum dans chaque
secteur ;
– sélection des 10 % des sociétés les mieux notées de chaque secteur ;
– dans les secteurs pour lesquels la sélection ci-dessus aboutit à une représentativité
inférieure à 20 % de la capitalisation du secteur, ajout des sociétés suivantes dans
des notations décroissantes jusqu’à atteindre le seuil en question.

1.3 L’indice ASPI Eurozone

L’indice ASPI Eurozone a été créé le 2 juillet 2001 par la société Vigeo (ex Arese).
Cette famille d’indices prend comme univers de référence et comme benchmark la
famille d’indices Dow Jones Stoxx. Ces indices sont calculés selon la méthode de la
pondération par le flottant 1 plafonné à 10 %.
Les critères d’éligibilité sont retenus suivant la méthodologie de Vigeo qui mesure
la performance des entreprises en termes de responsabilité sociale selon six
domaines : l’insertion dans la société civile, le gouvernement d’entreprise, les rela-
tions clients et fournisseurs, la santé, la sécurité et l’environnement, les ressources
humaines et les normes internationales de travail, ainsi que les droits de l’Homme.
Les sociétés sont alors sélectionnées en fonction de leur performance globale
selon les domaines du développement durable évoqués ci-dessus. Chaque société de
l’indice DJ Euro StoxxSM reçoit une note globale ASPI, résultant de la moyenne
géométrique des six notes obtenues dans les domaines prédéfinis. Les 120 sociétés
ayant la meilleure note globale composent alors l’indice ASPI. Lors de la révision
annuelle, en septembre, la procédure suivante s’applique :
– les valeurs sont classées selon leur note globale. Les 100 mieux notées restent ou
entrent automatiquement dans l’ASPI. Parmi les valeurs de rang 100 à 140, vingt
sont retenues, les valeurs déjà présentes dans l’indice ayant priorité, complétées si
nécessaire par les sociétés les mieux notées ;
– en cas d’ex aequo, les valeurs rapprochant le plus la structure sectorielle de
l’ASPI de celle du DJ Euro StoxxSM sont retenues en priorité.

1. Le flottant correspond à la capitalisation boursière réellement disponible sur le marché.


48
La finance socialement responsable

Source : ORSE (2001).

Figure 3.5 — Construction de l’indice ASPI Eurozone

2 La performance de l’ISR

D’un point de vue théorique, l’investissement socialement responsable sous-


performe les investissements traditionnels. En effet, l’ajout de contraintes dans le
processus d’optimisation des portefeuilles et la réduction de l’univers d’investisse-
ment doivent conduire à une baisse de la diversification et à un abaissement de la
frontière d’efficience où sont situés les portefeuilles optimisant la rentabilité et le
niveau de risque.
Le tableau 3.6 synthétise différents résultats obtenus dans la littérature. Ces études
couvrent aussi bien des fonds que des indices sur différentes périodes d’études et
différentes régions. Hormis l’étude de Gompers, Ishii et Metrick qui se limite à
l’incidence de la gouvernance sur la performance boursière, toutes les autres études
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

retiennent les critères ESG comme filtre.


Contre toute attente on s’aperçoit qu’une large majorité d’études tend à démontrer
que la performance de l’ISR n’a rien à envier aux investissements traditionnels. Ces
conclusions peuvent apparaître comme contre-intuitives même si la plupart des
performances étudiées concernent des indices ou des fonds qui ambitionnent de
réduire le coût de l’éthique à savoir construits sur la base d’une méthodologie best-
in-class. Plusieurs arguments peuvent être mis en avant pour expliquer de tels résul-
tats.

49
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Tableau 3.6 — Littérature relative à la performance de l’ISR


Auteurs Région Nature Période Résultats

Altedia (2008) Monde Fonds 2007-2008 +

Bauer, Otten & Rad Australie Fonds 1992-2003 =


(2006)

Bello (2005) USA Fonds 1994-2001 =

Burlacu, Dupré et USA Indices, Fonds 1997-2002 =


Girerd-Pottin (2004)

Edhec (2008) Europe, France Fonds 2002-2007 =

Férone, d’Arcimoles, Europe, USA Indices 1996-2001 =


Bello et Sassenou (2001) 1990-2000

Geczy, Stambaugh & USA Fonds 1963-2001 -


Levin (2005)

Gompers, Ishii & USA Actions 1990-1999 +


Metrick (2003)

Hamilton, Jo et Statman USA Fonds 1981-1990 =


(1993)

Le Saout (2005) Europe, Monde, Indices 1997-2003 =


R.-U., USA

Tout d’abord la performance de l’ISR ne peut être analysée que sur le long terme,
or le marché n’est pas encore mature et le périmètre de ce dernier, comme précédem-
ment évoqué, n’est pas clairement défini : pour preuve les statistiques des encours
diffèrent selon les organismes. Toujours est-il que les performances constatées
peuvent être transitoires et/ou contextuelles. En effet, l’ISR a pu bénéficier du dépla-
cement des flux financiers partant des entreprises jugées non éthiques vers les entre-
prises jugées éthiques. Ce serait donc avant tout un effet de liquidité renforcé par un
effet d’aubaine dû à la publicité faite à l’ISR et aux entreprises plus respectueuses
des différentes parties prenantes. Le contexte actuel, favorable au développement
durable, semble propice à l’installation d’un cercle vertueux en faveur de l’ISR.
Selon Jo (2003), les analystes financiers sont incités à suivre les sociétés affichant de
bonnes pratiques sociétales en raison de l’engouement du public pour l’investisse-
ment socialement responsable. Les analystes financiers vont donc aider les brokers à
vendre les titres ayant une certaine respectabilité aux yeux du grand public en
améliorant la couverture de la société. À terme, la survalorisation des titres éthiques
peut conduire à une réallocation des portefeuilles et donc à une baisse de leur renta-
bilité.
Conséquence du succès pour l’ISR, nous avons constaté un accroissement des
fonds et de leurs encours. Les gérants devant établir des lignes significatives au sein
de leur fonds doivent dès lors mettre un filtre de liquidité éliminant de ce fait les plus
faibles capitalisations. Cela a pour conséquences de réduire l’effet du filtre ESG et
50
La finance socialement responsable

de conduire à des fonds ISR très peu différents des fonds traditionnels dans leur
composition (Le Saout, 2005). La figure 3.6 illustre ce propos.

Figure 3.6 — Élaboration d’un fonds best-in-class

D’autres aspects plus positifs permettent de contribuer à l’explication de ce résul-


tat. Selon Kurtz (2002), la notation extra-financière peut être interprétée comme le
reflet d’une certaine maîtrise des risques auxquels est confrontée l’entreprise. Les
sociétés qui gèrent au mieux leurs enjeux socio-environnementaux limitent les
risques de conflits sociaux ou industriels susceptibles de nuire notamment à leur
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

image, et sont ainsi appelées à terme à surperformer leurs concurrents. En effet, les
actifs incorporels que sont les brevets et l’image de marque constituent aujourd’hui
une part non négligeable du bilan. Les entreprises n’adoptant pas un comportement
socialement responsable sont soumises à un risque plus élevé de faillite et de retrait
des capitaux par les investisseurs. La sélection des titres doit donc permettre de
générer de la valeur ajoutée.
Enfin les cours de Bourse sont censés refléter la performance financière à venir des
entreprises cotées. Cela nous renvoie aux différents travaux, cités dans cet ouvrage,
qui mettent en relief les effets de la RSE sur la performance de l’entreprise.

51
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Conclusion
La finance ne ressort pas grandi de la crise économique mondiale que nous affrontons.
L’investissement socialement responsable est une manière de démontrer qu’il ne faut pas
jeter le bébé avec l’eau du bain.
Malheureusement de vieux démons hantent la performance de l’ISR et celle-ci a égale-
ment été touchée par la crise. La recherche de la performance financière au détriment de la
performance extra-financière semble prévaloir afin de séduire des investisseurs peu enclins
à céder quelques points de rentabilité. La transparence réclamée par les agences de nota-
tions aux entreprises ne règne pas plus dans ces dernières que dans les sociétés de gestion
de portefeuille ou encore au sein des cabinets d’étude spécialisés dans le domaine du déve-
loppement durable. Du temps de la ruée vers l’or, ce sont les fabricants de pelles et de
pioches qui ont fait fortune et non les chercheurs d’or. Il est à craindre en matière d’ISR
que ni les investisseurs ni les entreprises n’en seront les bénéficiaires. Cela est fort
dommage car beaucoup laissent supposer que la finance socialement responsable et la
responsabilité sociétale des entreprises soient créatrices de valeur.

52
Chapitre
Notation extra-
financière et
4 méthodologie
d’analyse ESG

Perrine DUTRONC

L a notation extra-financière – ou notation environnementale, sociale et de


gouvernance, que nous appellerons ici notation ESG – a pour socle commun
la production d’une note sur une entreprise, en général cotée sur l’un des prin-
cipaux marchés boursiers de la planète. Sur cette base, l’approche choisie, et donc le
produit fini de la notation, peut grandement varier d’une agence de notation à
l’autre. En effet, la notation ESG s’est longtemps définie par ce qu’elle n’était pas :
une notation financière. Elle apporte un complément d’information à un regard pure-
ment financier qui, on le sent bien, n’explique qu’une partie de la vie de l’entreprise,
de sa réussite ou de ses échecs. Voire de sa valorisation. Le capital immatériel ou
goodwill, qui représentait 20 à 30 % de la valeur des entreprises dans les années
trente, en représentait au début des années 2000 couramment jusqu’à 75 %. Il
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

devient difficile dès lors de se reposer entièrement sur l’analyse financière pour
comprendre une entreprise quand l’immatériel prend autant de place dans sa valori-
sation. La crise financière actuelle a du reste prouvé la nécessité de s’attacher à
d’autres éléments qu’aux seules données financières.
Cependant, de quoi parle-t-on et à quoi se réfère-t-on sous le vocable « autres
éléments » ? C’est bien là un des problèmes de cette toute jeune discipline qu’est la
notation extra-financière : elle n’est pas régie par des lois, des règlements, des règles
ou même des usages. La notation extra-financière est ce qu’en on fait les acteurs qui,
les premiers, se sont appropriés cette notion. Est-ce une limite ou une richesse ? Le
débat n’est pas encore tranché mais il ne facilite pas la tâche de qui cherche à
comprendre ce dont il s’agit.

53
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Ce chapitre s’intéressera donc à décrire la diversité actuelle de la notation ESG des


entreprises et son extension prévisible à d’autres classes d’actifs notamment les
produits de taux. Dans un deuxième temps, nous nous attacherons à décrire quelques
caractéristiques générales de la méthode de notation best-in-class, majoritairement
utilisée en France. Dans cette dernière section, nous présenterons également les
grandes lignes de la méthodologie IVA – utilisé par l’agence de notation Innovest –
ce qui nous permettra de mieux comprendre et également d’identifier les étapes clés
d’une analyse sectorielle basée sur des critères ESG.

Section 1 ■ La diversité des notations ESG


Section 2 ■ La méthodologie best-in-class en détail

Section LA DIVERSITÉ DES NOTATIONS ESG


1
S’attacher à fournir une information d’un nouveau type sur les entreprises peut
revêtir diverses formes. L’analyse ESG peut ainsi être une simple « banque de
données » qui rassemble et organise l’information afin d’aider les investisseurs à
exclure les entreprises qui ne correspondent pas à leurs critères – ou à leur concep-
tion de l’éthique ou de la morale dans les affaires. L’analyse ESG peut également
aider les investisseurs à sélectionner les meilleures compagnies au regard de leur
politique ou de leurs pratiques en termes de RSE. Elle peut enfin s’intéresser à
certains éléments clés porteurs de risques ou d’opportunités pour un secteur d’acti-
vité – et donc par conséquent pour des entreprises – que l’analyse financière classi-
que ne peut déceler à la simple lecture d’un bilan ou d’un compte de résultat. Dans
cette section, nous étudierons ces trois approches et nous nous attacherons au final à
décrire les nouvelles frontières de la notation ESG – notamment les obligations
d’États.

1 L’approche basée sur des principes d’exclusion

L’analyse ESG construite selon une logique négative – d’exclusion ou negative


screening – est considérée comme étant l’approche historique qui a accompagné les
premiers développements de l’investissement socialement responsable – noté ISR –
dès le début du XXe siècle. Afin d’agir en conformité avec leur éthique ou leurs
valeurs morales, certains investisseurs ont très tôt souhaité pouvoir distinguer les
entreprises engagées dans certains types d’activités controversées. Parmi ces derniè-
res, on retrouve traditionnellement le tabac, l’alcool, l’armement, la pornographie,
les jeux de hasard et, plus récemment, les OGM ou les tests sur les animaux.

54
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
Exemple
Le fonds pétrolier norvégien, Norwegian Government Petroleum Fund, qui gère plus de
300 milliards de dollars – estimés fin 2009 – a ainsi exclu quelques entreprises de son univers
d’investissement au motif de leur implication dans la fabrication de mines antipersonnelles, de
bombes à sous-munitions ou d’armes nucléaires. La société EADS, un temps exclue par ce
fonds pour cause d’implication dans les bombes à sous-munition et qui ne l’est plus
aujourd’hui, reste cependant évincée du fait de son implication dans les armes nucléaires.
Dans un autre domaine, début 2010, le Norwegian Government Petroleum Fund a pris une
décision de poids : il a vendu 1,8 milliard d’euros d’actions de 17 entreprises du secteur du
tabac. Cette vente est directement liée à la décision prise par le conseil éthique dudit fonds
d’interdire tout investissement dans le secteur du tabac.
Remarquons que ces politiques d’exclusion peuvent avoir des conséquences financières
importantes pour la rentabilité d’un fonds de pension : une étude, publiée en juin 2009 par
l’américain Calsters, évaluait à 1 milliard d’euros sur sept ans les pertes liées à l’exclusion du
tabac de ses placements.

Au fil du temps, d’autres thématiques d’exclusion, à dimension plus politique,


sont venues s’ajouter. Dans les années soixante-dix, certaines compagnies américai-
nes ayant des activités économiques en Afrique du Sud où sévissait alors l’apartheid,
furent confrontées à ce phénomène d’exclusion. Aujourd’hui, certains investisseurs
restent sensibles à cet aspect politique et portent leur attention sur des pays comme
la Birmanie (Myanmar) ou le Soudan. Ainsi, Calpers, le plus gros fonds de pension
américain, fonds de retraite des fonctionnaires de Californie qui gère plus de
195 milliards de dollars – estimé fin 2009 –, tient compte pour ses investissements
d’une liste de pays « politiquement incorrect » aux yeux de l’État californien –
comme la Birmanie et le Soudan.
Les travaux qui portent sur ces critères d’exclusion peuvent paraître, à première
vue, faciles à effectuer et le sont dans une certaine mesure. Ils semblent ne pas
requérir d’analyse particulière, hormis disposer d’informations assez précises sur le
ou les métiers de ladite entreprise. Toutefois, le caractère binaire d’une telle recher-
che – entreprise impliquée ou non dans le secteur du tabac, par exemple – ne résiste
pas à une analyse plus approfondie du domaine d’exclusion. En effet, une multitude
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

de questions se posent immanquablement.


– Au sujet de l’ampleur de cet engagement : s’agit-il de 1 % du chiffre d’affaires, de
10 % ou de 100 % ?
– Au sujet de la nature de l’activité de l’entreprise : produit-elle du tabac ? En vend-
elle ?
– Au sujet de la responsabilité indirecte de l’entreprise : conçoit-elle ou commer-
cialise-t-elle du matériel spécifique à la fabrication des cigarettes – papier à
rouler, filtre, etc. ? Distribue-t-elle directement ou indirectement des cigarettes
comme le font certaines stations service ou hôtels par exemple ?
De fait, il apparaît que d’une simple recherche d’informations de type binaire, on
bascule alors très vite sur des raisonnements beaucoup plus complexes. Au fil du
55
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

temps, ce type de travaux s’est donc affiné et est passé d’un produit fini consistant en
une liste d’entreprises impliquées à plus de 5 % dans une activité – seuil communé-
ment admis pour l’approche par exclusion – à un accès à un module dit de screening
permettant de formater l’information selon ses propres besoins tant en termes de
seuil d’exclusion que d’univers à balayer ou de profondeur des critères d’exclusion.
En se référant à l’exemple du fonds californien Calpers et à la mise en œuvre de
domaines d’exclusion sur la Birmanie, on s’aperçoit qu’il ne s’agit pas simplement
d’exclure les investissements en obligations d’États émis par la Birmanie, ni
d’exclure du portefeuille d’investissements les entreprises birmanes, mais d’identi-
fier également les entreprises étrangères cotées ayant une activité en Birmanie et ce,
de manière directe ou indirecte.
Enfin, depuis quelques années s’est développé un nouveau type d’exclusion :
l’exclusion normative qui, comme son nom l’indique, analyse des pratiques au
regard de normes internationalement reconnues. La référence la plus utilisée à ce
jour est celle du Pacte mondial – ou Global Compact – des Nations unies qui
comprend dix principes ayant trait aux droits humains, droits sociaux, à l’environne-
ment et à la lutte contre la corruption.

Exemple
En France, le FRR – pour Fonds de réserve des retraites – fait explicitement référence au Pacte
mondial dès les premières lignes de ses principes d’investissement socialement responsables 1
et a tout récemment initié une politique d’engagement auprès de certaines entreprises sur la
base de violations graves des principes du Pacte mondial. Le fonds pétrolier norvégien, qui fait
figure de précurseur en la matière auprès de très nombreux fonds de pensions, a exclu, au motif
des dégradations environnementales graves qu’elles ont provoquées, certaines compagnies
minières comme Freeport ou Rio Tinto. Et au motif de violations des droits sociaux, une entre-
prise hautement symbolique : Wal-Mart – ce qui a valu à la Norvège une mini-crise diploma-
tique incluant le rappel temporaire de l’ambassadeur américain !

Au final, l’approche du domaine par cette logique d’exclusion intéresse au premier


chef des investisseurs particuliers, des grosses fortunes, des fondations familiales ou
d’entreprises ou des investisseurs institutionnels type églises et congrégations qui
souhaitent investir en accord avec des valeurs morales. Dans ce cas, le rendement
financier passe au second plan. Il reste nécessaire et souhaitable mais n’est pas le
facteur de choix primordial et si mettre de côté un secteur, comme par exemple le
tabac, peut faire légèrement baisser la performance du portefeuille alors ces types
d’investisseurs là sont prêts à en prendre le risque.

1. « La stratégie d’investissement responsable du FRR doit reposer en particulier sur le respect des dix
principes du Pacte mondial de l’ONU qui constituent un cadre fédérateur à la fois mondialement
reconnu, suffisamment large pour tenir compte de réalités différentes suivant les zones géographi-
ques tout en faisant clairement référence aux normes fondamentales reconnues par l’Organisation
internationale du travail. »Principes d’investissement du FFR.
56
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG

2 L’approche basée sur des principes de responsabilité sociale

Au cours des différents chapitres de cet ouvrage, il a suffisamment été fait réfé-
rence au développement durable (DD) pour ne pas avoir besoin de revenir ici sur sa
définition. Si le DD est un concept macroéconomique, on peut considérer que sa
version microéconomique est la RSE. Contrairement à ce que l’on peut voir ou
croire, la RSE ne se résume pas au respect des lois, normes et autres conventions. De
même que la citoyenneté ne se résume pas au fait de ne pas avoir eu de contraven-
tions ou fait de prison, pour les entreprises la RSE ne s’arrête au simple respect des
lois. En fait, la RSE commence là où s’arrête la loi : elle s’ouvre sur tout ce que les
entreprises font et peuvent faire au-delà des contraintes légales.
Analyser l’entreprise et sa politique RSE, c’est donc voir comment celle-ci définit
sa propre responsabilité et comment elle la met en œuvre. C’est examiner comment
elle accepte de s’intéresser à ses diverses parties prenantes et de les intégrer au
mieux dans son développement à court, moyen et long terme. C’est regarder les
impacts de l’entreprise sur son environnement naturel et social.
C’est là l’essence même de la RSE, d’où la difficulté à en donner une définition
applicable en tout temps, à tout type d’entreprises quelles que soient son activité,
son implantation, son histoire et sa culture. La RSE, c’est l’ensemble des efforts
consentis par l’entreprise pour s’intégrer dans un tissu social et dans son environne-
ment et se projeter à moyen terme dans son activité en prenant en compte toutes les
interactions qu’elle génère dans une vision systémique de son métier. À l’inverse
d’une approche purement financière et très court-termiste, il s’agit là de se position-
ner dans une vision de moyen-long terme holistique. Comme le pointait du doigt
récemment Klaus Schwab, fondateur il y a quarante ans du Forum économique
mondial de Davos, « au cours des dernières années nous sommes passés de l’entre-
prise qui a un sens à l’entreprise qui a une fonction. Le sens de l’entreprise – créer
des biens et des services pour le bien commun – a été remplacé par une philosophie
de l’entreprise purement fonctionnelle, c’est-à-dire visant à maximiser ses profits à
court terme » 1. Selon la théorie des parties prenantes, le management n’a pas seule-
ment à rendre des comptes sur ses actions devant les actionnaires mais devant toutes
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

les parties prenantes. Pour cela, il faut cependant qu’il y ait un dialogue qui
s’instaure entre l’entreprise et ces dernières, seule garantie d’une prise de cons-
cience des interactions que l’entreprise exerce. Hélas, ce dialogue, loin de s’être
renforcé au cours des dernières années, il semble le plus souvent s’être appauvri.
L’analyse basée sur une sélection de principes liés à l’ESG est celle qui est la plus
répandue de ce côté-ci de l’Atlantique et plus particulièrement en ce qui concerne le
marché français (cf. figure 4.1).
En privilégiant les bonnes pratiques plutôt que d’également choisir de sanctionner
les mauvaises – pour faire référence à la logique d’exclusion précédemment présen-

1. Tribune du Wall Street Journal, 15 janvier 2010.


57
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

tée –, en favorisant une logique laïque à une éthique marquée par des valeurs
proches du religieux, l’approche ESG s’est largement implantée en France.

Source : Novethic.

Figure 4.1 — Stratégies ISR adoptées

Cette approche basée sur les principes de RSE touche surtout des investisseurs
pour lesquels si l’intérêt financier demeure important, le retour sur investissement
ESG peut également avoir un sens. Toutefois, pour bon nombre d’entre eux, l’ambi-
guïté demeure car, d’une part, le sens des priorités n’est pas toujours bien établi et,
d’autre part, parce que l’existence d’un lien entre performance ESG et la perfor-
mance financière n’est pas certain. Pour d’autres investisseurs, l’équation est encore
plus simple : la priorité reste la (sur)performance financière du fonds, l’analyse RSE
permettant exclusivement de se prémunir du risque de réputation.
Certains investisseurs signataires des PRI – pour Principles for Responsible
Investment 1 – ont une réelle conviction que les entreprises pionnières en matières de
RSE sont celles qui créeront le plus de valeur à terme et qu’ainsi, déceler ces entre-
prises et y investir est également porteur d’un réel intérêt financier à long terme. Le
discours est séduisant mais ne tient pas toujours face aux faits. En effet la notion
d’intérêt financier à long terme n’est pas tenable pour un investisseur qui se doit de
montrer des résultats à court et moyen terme à ses mandants.

1. Les PRI ont été développés par un petit groupe d’investisseurs institutionnels sous l’égide des
Nations unies et lancées en avril 2005 de manière très symboliques au New-York Stock Exchange
(Nyse) ; pour en savoir plus : www.unpri.org
58
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
Exemple
Le dernier exemple en date nous vient du FRR – Fonds de réserve des retraites, fondateur et
bien sûr signataire des PRI – qui a ainsi décidé de retirer à la société de gestion Dexia Asset
Management la gestion d’un de ses mandats ISR car cette société ne produisait pas un rende-
ment financier suffisant à court et moyen terme – le mandat courait depuis trois ans. Bien que
convaincu que, sur le long terme, Dexia AM pouvait effectivement fournir une performance
financière en ligne avec les autres sociétés de gestion, le FRR, pourtant investisseur de long
terme par excellence, n’a pas pu faire abstraction de ces contingences de court et moyen terme.

3 L’approche basée sur l’analyse de la valeur ajoutée liée aux


facteurs ESG

D’autres méthodologies, beaucoup plus spécifiques, cherchent à identifier les


critères environnementaux, sociaux et de gouvernance qui ont des conséquences sur
la vie de l’entreprise, voire sur sa survie. En d’autres termes, ces analyses sélection-
nent parmi les indicateurs étudiés au sein de la RSE ceux qui peuvent avoir un
impact significatif sur les résultats opérationnels et financiers de l’entreprise et qui
sont donc stratégiques pour elle. Il s’agit, métier par métier, de déceler les enjeux
clés – ESG bien sûr – applicables aux entreprises qui pourraient impacter sa perfor-
mance. On parle alors de matérialité des enjeux ESG ou d’analyse de la valeur ajou-
tée liée aux facteurs ESG.

Exemple
Prenons une entreprise qui extrait des sables bitumineux et pollue fortement les rivières et
l’environnement autour de ses sites. Si elle n’a pas pris en compte dans son business model le
coût que peut représenter la dépollution des rivières et des sites – ce qui ne manquera pas de
lui être demandé à terme – elle s’expose à de graves conséquences financières. En effet, ces
coûts qui ne manqueront pas de venir s’ajouter aux coûts d’exploitation peuvent menacer
l’équilibre financier du site et avoir des conséquences importantes sur le bénéfice et la valori-
sation de l’entreprise.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

L’exemple des sables bitumineux n’est pas anodin, car il correspond à ce qui se
passe actuellement au Canada où, pour attirer les entreprises, un État – en l’occur-
rence l’Alberta – a pendant longtemps décidé de « laisser faire » au plan environne-
mental. Poussée par les minorités ethniques et les ONG environnementales,
l’Alberta s’apprête désormais à réguler l’exploitation de ces sables bitumineux et
également à demander réparation pour les pollutions antérieures. Il va sans dire que
cette décision aura des conséquences économiques substantielles sur l’Alberta et
que cela soulèvera également de nombreuses questions chez les investisseurs et/ou
fonds de pension, en ce qui concerne la rentabilité de tel ou tel projets et/ou compa-
gnies pétrolières ayant lourdement parié sur cette potentielle nouvelle manne pétro-
lière.

59
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

C’est ce genre d’information que se proposent de donner les agences de notation –


telles qu’Innovest – relativement à des méthodes construites autour de la notion
d’analyse de la valeur ajoutée ou de la matérialité des facteurs ESG. Remarquons,
que ce type d’analyse se concentre sur certains secteurs et certaines entreprises et
n’est pas applicable à l’ensemble des entreprises cotées.

Source : RiskMetrics.
Figure 4.2 — L’approche RSE versus l’approche matérialité

Comme le montre la figure 4.2, analyser la matérialité de certains enjeux ESG,


c’est tenter d’objectiver en quoi des enjeux de type macroéconomique vont pouvoir
affecter des entreprises. À l’inverse, une analyse selon l’approche RSE se serait
exclusivement concentrée sur le niveau purement microéconomique – c’est-à-dire
sur l’empreinte environnementale et sociale directe de l’entreprise. Dans le premier
cas, on peut assimiler l’analyse de la matérialité à une approche top-down ; dans le
second cas, on peut comprendre l’analyse RSE comme une approche bottom-up.
La matérialité des enjeux ESG intéresse essentiellement les investisseurs classi-
ques, dits mainstream. Ces investisseurs vont se focaliser sur les quelques éléments
dont ils pensent qu’ils pourront impacter la performance financière de l’entreprise.
Remarquons que des éléments chiffrables, à l’image des émissions de CO2 auront
les faveurs de ces investisseurs car ils se plieront plus facilement à une intégration
dans les modèles financiers classiques – approches quantitatives vs. qualitatives de
l’information extra-financière. Cependant, à travers l’analyse ESG, ces investisseurs
sont aussi à la recherche d’informations ou de perspectives nouvelles et de points de
vue différents. Par exemple, quels pourraient être les prochains dossiers de santé
publique à fort retentissement, du type de celui de l’amiante ?

4 La notation des produits de taux


Qu’il s’agisse d’investisseurs individuels ou institutionnels, l’appétence pour le
risque et pour les investissements en actions n’est pas toujours partagée. À cet égard,

60
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG

bien des investisseurs privilégient d’abord des placements plus « sûrs » que sont les
investissements en taux via des obligations ou des fonds monétaires. Or, la recherche
ESG ne s’est pendant longtemps intéressée qu’aux entreprises en se privant de la
sorte de très nombreux supports à fort potentiel – comme les obligations d’États, les
obligations émises par des entreprises non cotées, voire par certaines institutions
publiques ou agences gouvernementales comme la Banque européenne d’investisse-
ment (BEI) ou la Cades en France.
Même si ce type d’entité présente des potentiels intéressants, il n’en demeure pas
moins que leur évaluation ESG soulève de nombreuses questions.
Prenons par exemple, le cas des agences de développement – type Banque
mondiale ou BEI – et essayons de dessiner les contours d’une méthodologie qui ait
du sens. Que doit-on noter lorsque l’on analyse d’un point de vue ESG ces entités ?
Leur mission ? Parfaite dans tous les cas : financer le développement des plus
pauvres, toutes les agences devraient recueillir de ce fait la meilleure note… Leur
politique interne ESG, type consommation d’eau ou salaires versés ? Est-on vrai-
ment au cœur de l’impact et de la stratégie de ces entités ce faisant ? Rien n’est
moins sur ! Dernière piste, analyser les divers projets financés et leur pertinence en
matière environnementale et sociale. Voilà qui serait passionnant et qui aurait du
sens mais, hélas, une telle analyse est tout à fait irréalisable à ce jour par manque
d’information et de temps.
Examinons également le cas des entreprises non cotées. Comment obtenir des
informations sur celles-ci et, surtout, dans le cadre d’une notation sectorielle,
comment obtenir des informations qui soient comparables à celles de leurs consœurs
cotées ? En France, la révision en cours de l’article 116 de la loi NRE pourrait nous
aider à aller dans le sens de plus de transparence pour ce type d’entreprises car de
multiples propositions pour cette révision incluent l’extension aux entreprises non
cotées d’une certaine taille 1. Mais il n’en demeure pas moins que, dans de nombreux
cas, la diffusion d’informations de la part de ces entités reste purement volontaire et
largement insuffisante.
Autres acteurs clés du secteur obligataire : les États. Bien que ce type de notation
se soit désormais largement développé au sein des agences de notation, l’approche
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

méthodologique est loin d’être évidente. Une même question se pose


inlassablement : Que note-t-on et dans quel but ? S’il s’agit d’exclure certaines
pratiques telles que la peine de mort, cela reste assez aisé, quoiqu’exclure les États-
Unis de la liste d’emprunts d’État ne soit pas une chose facile pour un investisseur.
S’il s’agit d’exclure certaines pratiques en matière de respect des droits humains,
l’analyse et la notation deviennent vite un exercice très délicat. Ainsi que doit-on

1. L’obligation de publier un rapport périodique relatant la manière dont elles prennent en compte les
problématiques liées au développement durable et à la RSE. Voir à ce titre la contribution du FIR
(Forum pour l’investissement responsable) : http://www.frenchsif.org/pdf/positions-et-contribu-
tions/Reponse_FIR_Consultation%20Bilan%20Public%20Loi%20NRE.pdf
61
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

noter lors de l’évaluation d’une politique d’immigration : le respect des objectifs ou


le niveau de ces objectifs ? De même, que dire d’une immigration zéro ? D’une
immigration choisie ? Etc.

Exemples
Lorsqu’il s’agit de la politique de formation d’un État, est-ce le niveau qui compte ou bien la
compatibilité entre les qualifications obtenues et les emplois disponibles ? En matière d’envi-
ronnement, les émissions de CO2 du Canada seront forcément plus importantes que celles de
la Grèce pour des raisons purement climatiques. Comment donc en tenir compte en comparant
ces deux pays sur ce même critère ? En la matière, de nombreux point de vue cohabitent et
c’est pourquoi les agences de notation ont souvent choisi de mettre à disposition de leurs
clients des informations plutôt que des notes. Charge à eux de se faire une opinion sur la base
des informations fournies ou tout du moins de challenger la note quand elle existe.

La notation ESG des entreprises est encore jeune, celle des produits de taux en est
à ses tout premiers pas et il faut sans nul doute s’attendre à ce qu’elle s’étende dans
les années à venir à d’autres produits de taux – entreprises non cotées mais égale-
ment collectivités locales.

Section LA MÉTHODOLOGIE BEST-IN-CLASS EN DÉTAIL


2
L’analyse ESG est le fait d’agences de notation extra-financière. Ces dernières
peuvent soit mettre à disposition de leur clientèle de l’information, charge à celle-ci
de la trier, de la hiérarchiser, de l’analyser et d’en tirer des conclusions d’investisse-
ments nécessaires, soit effectuer elles-mêmes l’analyse et l’évaluation des entrepri-
ses.
Bien que diverses méthodologies existent à ce jour, et malgré les différences cultu-
relles, les agences ont dans l’ensemble, avec une belle unanimité, adopté
lorsqu’elles recourent à de l’évaluation d’entreprise une méthodologie d’analyse
sectorielle dite best-in-class. De la sorte, les agences comparent les entreprises rela-
tivement à leur secteur ou à leur type d’activité. Cette analyse présente l’immense
avantage de comparer des entreprises ayant des métiers sensiblement similaires.
Toutefois, malgré de nombreux progrès en la matière il n’en demeure pas mois que,
comme nous le verrons dans cette section, la profession s’interroge encore sur la
meilleure voie à suivre lorsqu’il s’agit d’évaluation extra-financière.

1 Notation relative ou notation absolue

La notation relative a pour avantage de pousser tous les secteurs vers le haut – quel
que soit leur degré de maturité – en mettant en valeur les meilleurs pratiques. Il ne
62
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG

s’agit pas de mettre à l’index des secteurs qui, par nature ou par leur histoire,
seraient défavorisés – pétrochimie, industrie lourde, filière nucléaire notamment –
mais, bien au contraire, d’encourager et d’inscrire les compagnies dans une dynami-
que d’amélioration continue. En effet, par cette approche best-in-class et les nota-
tions de type relatives, les entreprises qui ne progressent pas ou plus prennent le
risque, de par le jeu des comparaisons, de se retrouver moins bien notées sans pour
autant avoir démérité. En revanche, la notation relative présente des limites lorsqu’il
s’agit de rendre compte de la réalité d’une situation pour un univers de notation
instable. Ainsi, qu’en est-il réellement d’une entreprise qui verrait sa note diminuer
du fait de l’élargissement de son univers de référence – de nouvelles entreprises très
performantes en ESG ayant été dernièrement intégrées ?

Exemple
Prenons le cas d’Exxon, le plus gros pétrolier américain, qui a, en 2008, une note relative infé-
rieure à la moyenne du secteur – notamment du fait de sa non-reconnaissance de l’importance
du changement climatique, de son manque d’implication dans la recherche d’alternatives pour
l’après pétrole et également pour son manque d’implication auprès des communautés locales.
En 2009, selon la méthode IVA d’Innovest, Exxon a réussi à atteindre la note moyenne du
secteur lors du nouveau cycle de notation. Dans ce cas, trois hypothèses sont plausibles. 1) Au
premier chef un changement de périmètre dans l’univers de notation : Exxon a bénéficié de
l’introduction de nouvelles entreprises provenant de pays émergents moins performantes du
point de vue ESG. 2) La société Exxon n’a pas progressé mais d’autres au sein de son secteur
ont fait moins bien : événements exceptionnels du type de l’Erika ou d’AZF pour Total. 3)
Dernière hypothèse, Exxon a réellement progressé entre 2008 et 2009 et sa note relative en est
le reflet exact.

De son côté, la notation absolue a pour avantage d’être proche de la réalité et de ne


pas se compromettre en mettant une bonne note à un industriel polluant ou peu
sensible à la sécurité – comme cela peut-être le cas dans le secteur minier – sous le
simple prétexte qu’il faut bien un meilleur de la classe dans tout secteur. Cependant,
il n’est pas aisé de fixer des règles absolues, pour tous les secteurs, dans tous les
domaines, sur ce qui est bien ou moins bien. De même, il est loin d’être évident de
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

pouvoir facilement actualiser ce qu’on qualifie habituellement de « meilleures


pratiques » pour un secteur donné. Enfin, et c’est peut-être la plus grande faiblesse
de l’approche absolue de la notation extra-financière, cette manière d’appréhender la
performance ESG est susceptible d’inciter au statu quo, car la notion de progrès
continu n’est pas valorisée comme c’est le cas pour la notation relative.

2 L’approche best-in-class d’Innovest : la méthodologie


d’Intangible Value Assessment
L’analyse best-in-class est bien sûr différente d’une agence de notation à l’autre
mais elle comprend un certain nombre d’étapes relativement similaires. Comme le

63
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

montre la figure 4.3, en ce qui concerne l’agence Innovest, leur méthodologie best-
in-class dite Intangible Value Assessment – ou IVA – s’articule autour de six princi-
pales étapes.

Figure 4.3 — Les différentes étapes de la méthodologie IVA d’Innovest

■■ Étape n˚ 1 : L’analyse des enjeux du secteur


Elle est une des parties prédominantes du travail de l’analyste. Il s’agit d’effectuer
dans un premier temps, une analyse économique et concurrentielle du secteur pour,
dans un second temps, s’interroger sur les enjeux présents et futurs dudit secteur
selon le prisme ESG. Par exemple, l’analyste pourrait s’interroger sur les consé-
quences des problématiques de malnutrition, au niveau mondial, sur le secteur de la
grande distribution. Qu’en serait-il de la pression et des nouvelles attentes de la
société civile si les problèmes de mal nutrition devenaient encore plus sévères ? Par
ailleurs, outre l’intérêt et la qualité de l’approche prospective, lors de cette étape
primordiale, l’analyste devra également décider de la façon dont on va évaluer les
quelques enjeux « clés », et donc décider des types d’indicateurs sur lesquels repo-
sera l’analyse.

Exemple
À titre d’exemple voici deux des cinq enjeux clés identifiés par Innovest pour le secteur de la
grande distribution européenne :
– un fort taux de rotation et des grèves pèsent sur la productivité des employés : les licencie-
ments et conflits du travail liés à la récession ont fait la une de nombreux média et peuvent
poser des risques opérationnels et peser sur l’image de l’entreprise ;

64
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
– la différenciation par les marques de distributeurs à forte marge : la récession a stimulé la
demande pour des marques de distributeurs à des prix abordables et aux marges plus
élevées. Les principaux domaines de croissance concernent des produits abordables dans le
bio, le commerce équitable et les aliments à caractère nutritionnel.

■■ Étape n˚ 2 : Collecte de l’information


Après l’identification des principaux enjeux sectoriels, il faut collecter l’informa-
tion nécessaire à l’analyse. Cette information provient en premier lieu des entrepri-
ses et de leur communication institutionnelle : rapport RSE, rapport de
développement durable, rapport annuel dit « classique » – 10K form aux États-Unis
– sites Internet, etc. Cette information est ensuite mise en perspective relativement à
celle obtenue auprès de diverses parties prenantes : ONG environnementales comme
WWF, Greenpeace, Les Amis de la Terre ; ONG sociales comme Amnesty Interna-
tional, Transparency International ; ONG spécialisées sur des secteurs ou des
métiers ; syndicats, fédérations professionnelles, think tank divers, agences gouver-
nementales, ou toute autre source d’information intéressante au regard du secteur et
des problématiques identifiées.

■■ Étape n˚ 3 : Analyse des données et travail préliminaire sur la matrice


Une fois en possession de ces données, l’analyste peut commencer à les compiler
et ainsi construire la matrice de notation sectorielle, entreprise par entreprise.

■■ Étape n˚ 4 : Interview avec l’entreprise et d’éventuelles parties prenantes


Lors de l’étape n˚ 3, l’analyste peut percevoir des zones d’ombre dans la matrice
qu’il tente de remplir. Celles-ci peuvent résulter d’un manque d’information, d’une
dissonance entre les diverses sources d’information – notamment entreprises et
ONG – ou de l’existence d’une information non qualifiée et peu convaincante – on
parle dans ce cas de greenwashing. C’est pour éclairer ces zones d’ombre que
l’analyste entreprend systématiquement d’interviewer l’entreprise afin de tenter
d’obtenir les précisions nécessaires. À l’issue de cette interview, les entreprises qui
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

le souhaitent et en font la demande peuvent accéder à leur profil, toutefois expurgé


des éléments comparatifs. Il s’agit uniquement donc d’un droit de regard sur l’exac-
titude des faits et chiffres présentés mais pas d’une discussion sur l’analyse qui en
est tirée.

■■ Étape n˚ 5 : Finalisation la matrice


Fort des éléments obtenus lors de l’étape précédente, l’analyste pourra compléter
la matrice. Il la remplira, entreprise par entreprise, et procédera à des notations
provisoires. Une fois l’ensemble de la matrice sectorielle complétée, l’analyste
procédera aux notations finales : en effet, les notations étant relatives, elles ne
peuvent devenir définitives que lorsque l’ensemble des entreprises ont été exami-
nées.
65
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

■■ Étape n˚ 6 : Présentation des notes et revue contradictoire de celles-ci


Enfin, dernière étape, l’analyste présente la revue de ses notations sectorielles à un
comité composé du directeur de la recherche et de l’analyste senior en charge du
pôle auquel appartient le secteur sous revue.
Au final, le client – un gestionnaire de fonds, dans la plupart des cas – a accès à des
informations sur un portail Internet appelé iRatings chez Innovest qui lui permet de
naviguer entre les secteurs et les entreprises et retrouver divers types d’informations
de la plus générale à la plus détaillée – comme indiqué sur la figure 4.4.

Figure 4.4 — Un exemple d’informations disponible


sur l’interface IVA d’Innovest 1

1. Innovest est une agence de recherche d’information ESG nord-américaine qui a été fondée en 1995.
Présente sur quatre continents –(Amérique, Europe, Asie et Australie), elle sert les plus grands
gestionnaires de fonds et investisseurs à l’image de BNP Paribas, BBVA, First Colonial, JP Morgan,
SSgA ou ABP premier fonds de pension européen et CalPERS aux États-Unis. Innovest a récem-
ment été rachetée par le groupe RiskMetrics. Sa méthodologie centrée sur les risques et opportunités
résonne bien avec l’approche financière classique et est appréciée par les acteurs de la finance.
66
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG

Conclusion
Pour finir, revenons au concept de RSE qui est relatif à tout ce que l’entreprise fait et qui
n’est pas du domaine du strict respect des règles, normes et/ou conventions mais qui
accompagne et anticipe des évolutions légales, citoyennes, etc. C’est très certainement ce
supplément d’âme qui donne du sens à l’évaluation ESG des entreprises par cette approche
best-in-class.
Toutefois, sur ces bases, une problématique à laquelle les entreprises doivent faire face est
de tracer la ligne entre ce qu’elles souhaiteraient faire et ce qui est possible ou acceptable
de faire pour un contexte concurrentiel donné. S’il faut être innovant et précurseur on sait
bien qu’être trop en avance sur son temps n’est pas toujours opportun. C’est vrai des inno-
vations techniques comme de la responsabilité sociale ou environnementale. Étant donné
le niveau de compétition entre les sociétés, il est irréaliste pour une entreprise de se
soumettre seule à certaines contraintes ESG que d’autres ne respecteraient pas.
De cette réflexion, il ressort que lorsqu’on parle d’évaluation extra-financière, ce n’est
donc pas tant la référence à des normes qu’il faut expliciter dans la méthodologie, mais la
méthodologie elle-même et les questions auxquelles on pense qu’elle se rapporte.
Souhaite-t-on privilégier la performance financière ? Souhaite-t-on privilégier le progrès
social et sociétal ? C’est en s’interrogeant avec ses clients sur les attentes et les besoins
réels de chacun que les agences seront à même de proposer de vraies solutions et s’assurer
que le ou les produits qu’elles proposent y répondront bien. Savoir de quoi l’on parle,
savoir à qui l’on parle, identifier ses objectifs en tant qu’investisseurs, clarifier ses priorités
car l’on sait bien que l’on ne peut pas tout poursuivre en même temps. Les analyses ESG
apportent un éclairage différent sur les entreprises, chaque type de recherche éclairant un
angle différent de ces immenses entités que sont les multinationales. La recherche ESG est
multiple, les investisseurs en sont souvent perplexes… Ils aimeraient, tout comme les
entreprises, faire rentrer cette nouvelle activité dans le rang – en normalisant notamment
les méthodologies et les critères étudiés – au risque de réduire le volume et la richesse de
l’information produite par les agences de notation et par conséquent, prendre le risque
d’une part, d’appauvrir le contenu des produits financiers SR et d’autre part, d’induire un
risque de mimétisme dans les comportements des gestionnaires de ces fonds du fait d’un
manque de diversité dans l’information extra-financière.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

67
L’influence des valeurs
Chapitre
liées à la RSE sur la
gouvernance des firmes :
5 le cas des banques
mutualistes

Éric LAMARQUE

L es études sur les valeurs managériales à travers la culture et leur impact sur les
pratiques des organisations ont montré leur réelle influence sur la prise de
décision de certaines entreprises au quotidien ainsi que sur les décisions stra-
tégiques. D’ailleurs, cette double influence, opérationnelle et stratégique, constitue
un réel indicateur d’une différence essentielle entre les entreprises adhérant fonda-
mentalement à des valeurs affichées et celles ne s’en servant que pour leur commu-
nication. Ainsi, les valeurs associées à la RSE se sont petit à petit imposées au
premier plan des valeurs d’entreprises comme le révèle l’enquête annuelle de Well-
com (tableau 5.1). La question fondamentale est alors de savoir en quoi elles
influencent réellement leur gouvernance et par là même les grandes décisions de
l’entreprise. La gouvernance de l’entreprise illustre et explique la façon dont se
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

prennent les décisions et s’effectuent les choix stratégiques. Les banques mutualis-
tes, au sein desquelles on verra la présence historique des valeurs liées à la RSE,
constituent des exemples assez caractéristiques d’une volonté permanente de pren-
dre des décisions en cohérence avec celles-ci.

Section 1 ■ Le lien entre valeurs, culture et décisions stratégiques


Section 2 ■ Les valeurs associées à la RSE et leur proximité
avec le monde mutualiste
Section 3 ■ L’influence sur la Gouvernance et la prise de décision

69
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Section LE LIEN ENTRE VALEURS, CULTURE ET DÉCISIONS


1 STRATÉGIQUES
La première difficulté associée à l’identification des valeurs dans les entreprises
est le manque d’homogénéité dans leur présentation. Elles ne sont pas toujours clai-
rement présentées, elles ne sont pas toujours mises en avant dans les rapports d’acti-
vité ou éléments de communication des groupes. Elles sont implicites et sous-
jacentes dans les chartes éthiques et les principes de gouvernance. Elles sont parfois
confondues avec les missions de l’entreprise. Il est donc nécessaire de clarifier quel-
que peu l’articulation que l’on opère entre toutes ces notions.
La définition des valeurs donnée la plupart du temps dans les ouvrages de stratégie
et de management fait ressortir quelques dimensions clés :
– les valeurs constituent des principes sociaux, des objectifs et des modèles recon-
nus dans une culture pour avoir une qualité intrinsèque ;
– les valeurs sont des croyances fondamentales. Elles définissent ce dont les
membres d’une organisation se soucient et ce qui est important pour eux ;
– les valeurs constituent la base sur laquelle les jugements de ce qui est juste et de
ce qui ne l’est pas sont formés. Cela explique pourquoi elles se réfèrent souvent
au code moral ou éthique ;
– les valeurs sont utilisées comme des modèles permettant de rendre des jugements
moraux. Elles sont souvent associées à des émotions fortes.
Tableau 5.1 — Les principales valeurs d’entreprises
Rang Valeur % d’entreprise

1 Innovation/Progrès 31,7
2 Intégrité/honnêteté/Transparence 26,4
3 Responsabilité 26,4
4 Esprit/travail d’équipe/Orientation/Satisfaction 23,3
5 Clients 23,0
6 Humanisme 14,3
7 Rapidité/Réactivité 14,0
8 Environnement 13,6
9 Qualité/Fiabilité 13,1
10 Partage/Solidarité 13,0
11 Professionnalisme 12,5
12 Respect 12,3
13 Esprit d’entreprise/Entrepreneur/Engagement 12,2
14 Réussite 10,3
15 Confiance 9,0
16 Excellence 9,0
17 Équité 8,7
18 Proximité 8,7
19 Adaptabilité 8,4
20 Inventivité/Créativité 8,4
21 Éthique 7,7

Source : Wellcom (2004) dans Les Échos.


70
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG

Ainsi, les valeurs définissent l’identité de l’organisation et l’esprit de l’action,


surtout dans les domaines qui échappent à la régulation formelle. Elles permettent
de donner du sens à ses actions, dès l’instant où elles sont partagées. Cette notion de
partage est déterminante pour les projets stratégiques et il peut s’agir d’un fil
conducteur permettant de gérer avec succès les relations avec toutes les parties
prenantes.
Cette notion de valeur est proche d’une série d’autres notions clés :
– les normes : elles sont constituées de règles non écrites qui autorisent les
membres d’une culture à savoir ce qui est attendu d’eux dans une grande variété
de situations. Les normes clarifient ce qui est considéré comme normal ou anor-
mal alors que les valeurs définissent ce qui a de l’importance ;
– les missions : elles sont présentées comme le sens profond des efforts d’une orga-
nisation. Elles sont souvent définies en fonction des clientèles qui lui sont acces-
sibles ou des acteurs qu’elle entend satisfaire. Ce sont autant d’actions à mener
qui découlent directement des valeurs. Valeurs et missions constituent le socle
culturel de la construction de la vision de l’entreprise et de sa stratégie ;
– la vision : elle exprime, dans une formulation courte, la vocation centrale de
l’entreprise et de sa finalité, en particulier vis-à-vis des parties prenantes. Elle
peut combiner vocation, valeurs, missions, ambitions, objectifs futurs désirés,
règles du jeu, progrès visé et chemin pour y parvenir. Elle doit mettre en cohé-
rence la stratégie et la culture.
Cette cohérence est essentielle car on oublie trop souvent que s’il y a contradiction
entre la stratégie et la culture, c’est toujours cette dernière qui l’emporte.
L’articulation de ces différents concepts est délicate mais le débat sur les valeurs
fait clairement ressortir plusieurs niveaux d’analyse. La figure 5.1 ci-après tente de
les résumer et de les positionner par rapport à la démarche stratégique :
– le premier axe réside dans l’influence des valeurs sur les missions et la vision de
l’entreprise. Ces dernières vont ensuite jouer le rôle de « filtre » pour déterminer
au sein de l’ensemble des métiers possibles, en fonction de ses compétences et de
ses ressources, les métiers finalement retenus. Par ailleurs, les valeurs peuvent
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

affecter directement les choix d’activité quand ceux-ci relèvent d’un nouveau
positionnement sur un segment de marché ou de l’évolution des produits exis-
tants.
– Ces liens entre les valeurs et la définition des missions, de la vision et des choix
d’activité reposent essentiellement sur la gouvernance (partie 1 de la figure 5.1 ci-
après) dépositaire de la philosophie et des modalités de la prise de décision. Ce
point sera détaillé en priorité (cf. infra section 3) car il est clair que cette philoso-
phie animant les acteurs de la gouvernance mutualiste est marquée par la nature
de ces valeurs ;

71
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

– le deuxième axe de lecture de la place des valeurs dans le management se situe au


niveau des actions au quotidien et de la culture de l’entreprise (partie 2 de la
figure 5.1 ci-après). Ce modèle a été développé par E. Schein.

Figure 5.1 — Impact des valeurs sur les décisions

Section LES VALEURS ASSOCIÉES À LA RSE ET


2 LEUR PROXIMITÉ AVEC LE MONDE MUTUALISTE

Après avoir montré l’émergence des valeurs liées à la RSE, on verra dans quelle
mesure les mutualistes ont décliné de manière approfondie l’ensemble de ces
valeurs.

1 L’émergence des valeurs liées à la RSE

« L’indicateur des valeurs » de Wellcom (tableau 5.1) analyse les valeurs plébisci-
tées par les entreprises. Le premier constat est qu’aujourd’hui celles-ci sont de plus
en plus clairement affichées et ne sont plus le seul fait des grandes entreprises mais
également des PME. Ce classement fait ressortir huit familles que l’on peut caracté-
riser par quatre grandes dimensions qui se combinent : l’éthique, l’identité, la
compétence, la conquête.
72
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
Exemple
« Attentifs aux évolutions de fond de nos sociétés, nous avons fait du développement durable
et des valeurs éthiques, à la fois la signature de Dexia et la pierre de touche de l’ensemble de
notre stratégie. Ainsi, la signature – Dexia, Banque du Développement durable – se décline
tant en interne, avec une mobilisation de l’ensemble des équipes et le développement social au
sein de l’entreprise, qu’en direction de nos clients, qui attachent aujourd’hui de plus en plus
d’importance aux valeurs éthiques et notamment au développement durable… Il correspond
chez Dexia à une démarche globale, intégrée et transversale, que nous considérons comme un
facteur d’innovation, de motivation, de responsabilité sociale et sociétale parmi nos équipes. Il
fait partie intégrante du socle commun de valeurs qui fonde notre identité, aux côtés de notre
dimension européenne, de notre sens du long terme et notre attachement aux valeurs
d’humanisme ».
Source : rapport annuel Dexia.

Autour de l’éthique, on retrouve des valeurs morales, sociales ou sociétales : inté-


grité, responsabilité, proximité comme le montre le classement ci-dessus, mais aussi
loyauté ou respect de l’environnement. Ce constat s’explique assez bien par les
multiples pressions auxquelles sont soumises les entreprises (des syndicats, du
public, des ONG). Les demandes de transparence suite à de nombreux scandales ont
conduit à l’adoption de ce type de valeurs. Comme le constatent les analystes, cette
approche « éthique » relève d’une démarche orientée ressources humaines qui cher-
che à guider la conduite des collaborateurs en encourageant le consensus et en affir-
mant la responsabilité sociale.
Dans un contexte de concurrence et de globalisation, le réflexe identitaire est un
second phénomène marquant dans la définition des valeurs. Les entreprises vont
chercher par là même à affirmer leurs différences, leurs atouts et leurs compétences.
Dans ce registre, on retrouve l’innovation (valeur la plus souvent relevée dans
l’étude de Wellcom), la satisfaction du client ou la qualité. La frontière entre éthique
et identité est ténue, particulièrement dans le cas du secteur mutualiste dont l’iden-
tité se fonde largement sur des valeurs éthiques.
Trois constats peuvent être réalisés :
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

– les valeurs retenues visent à la fois à rassurer les clients et donner confiance,
briller par son exemplarité ;
– les entreprises en retiennent généralement entre 4 et 5 de manière à éviter les
confusions et un message trop dense et trop complexe à identifier par les clients.
Le plus délicat est sans doute de les définir conjointement de façon à assurer une
cohérence et éviter les confusions ;
– la discussion sur les valeurs conduit le plus souvent à avoir un débat au sein de
l’entreprise et ainsi mettre en relation le marketing (au travers de la communica-
tion externe) et les RH (à travers la communication interne) par exemple, chose
qui n’est pas des plus courantes. Chacun est poussé à la réflexion, à l’implication,
et les valeurs donnent ainsi un sens à l’action.

73
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

À l’issue de cette analyse, il apparaît que les valeurs en elles-mêmes ont un faible
pouvoir de différenciation. Le thème de l’éthique et du développement durable est,
parfois, davantage à considérer comme un passage obligé ou un phénomène de
mode. Ne pas les adopter formellement pourrait être perçu négativement.
Finalement seules les actions menées et le comportement au quotidien auprès des
clients et des acteurs de la vie locale sont réellement différenciateurs. Dès lors, c’est
la cohérence entre la nature des valeurs affichées et le comportement de l’entreprise
et de ses salariés qui est déterminant. La banque n’est sans doute pas le secteur
d’activité où cette tache est la plus facile compte tenu de ses impératifs de maîtrise
de risque. Les réputations d’humanisme ou de solidarité ne sont certainement pas
celles qu’associent les clients à une banque, fussent-elles mutualistes.

2 La déclinaison des valeurs associées à la RSE : les valeurs


mutualistes

Dans un éditorial de la revue Valeurs mutualistes diffusée par la MGEN (Mutuelle


générale de l’Éducation nationale) auprès de ses membres, son président rappelle la
valeur fondamentale : le principe démocratique. Ce principe symbolisé par la
formule « un homme une voix » a été repris par tous les établissements européens.
Les coopératives et mutuelles sont détenues par leurs membres et ces derniers parti-
cipent à la gouvernance. Les décisions sont prises sur une base consensuelle. Nous
sommes donc face à un modèle de gouvernance mutualiste où l’intérêt de l’ensem-
ble des parties prenantes (membres, clients, salariés et dirigeants) est pris en consi-
dération. L’objectif est donc de créer de la valeur pour le plus grand nombre. Un
meilleur service du client/sociétaire, l’octroi de meilleures conditions devrait être
une stratégie naturelle dans ce type d’institution.
Le refus du court-termisme est la marque de ces institutions qui se tournent de plus
en plus vers les clientèles jeunes dont la rentabilité n’est pas immédiate. Le Crédit
agricole, après son introduction en Bourse rappelait que, malgré une certaine dicta-
ture des marchés sur l’immédiateté des résultats, il ne renoncerait pas à un mode de
fonctionnement fondé sur la durée.
Dans ce dispositif, les élus sont les dépositaires de l’intérêt général et du progrès
continu. La solidarité entre les membres, la conciliation collective des aspirations
individuelles, est donc une valeur largement reprise dans les discours des établisse-
ments. Cette solidarité dépasse souvent le cadre des membres pour toucher aux
régions et à l’économie locale là où elles sont implantées. Le domaine de la respon-
sabilité sociale (corporate social responsability) constitue donc un axe de dévelop-
pement privilégié par toutes les institutions et correspond ainsi à un prolongement
naturel d’une valeur fondamentale. Cette responsabilité se retrouve au niveau de sa
politique sociale et d’emploi (en général les plus gros employeurs régionaux) et de
sa contribution aux budgets des organismes locaux, par les impôts et taxes.

74
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG
Exemple : l’arbre des valeurs de la Maif
1er niveau : les fondements
Ils se résument par l’éthique de la mutuelle. Ils trouvent leurs origines dans :
– la laïcité synonyme de liberté de croyance et de conviction qu’elles soient religieuses, poli-
tiques ou syndicales dans le respect des lois ;
– le respect de la personne : l’homme est donc au centre des préoccupations ;
– la tolérance et l’ouverture d’esprit.
2e niveau : les valeurs clés
Elles sont issues de la vision que la mutuelle se fait de son éthique :
– la solidarité : elle s’exprime par la qualité des contrats et leur mise en œuvre. Elle se traduit
par un engagement mutuel. Chaque sociétaire doit ressentir la force de sa responsabilité
comme un véritable corollaire de la situation d’assureur-assuré ;
– la confiance : réciprocité entre le sociétaire et la mutuelle en lui confiant la couverture de
ses risques contre l’engagement d’honnêteté dans ses relations ;
– l’efficacité pour assurer la pérennité de la mutuelle. Cela fait partie intégrante de l’éthique
en combinant les aspects gestionnaires et la fourniture des meilleures garanties. Dans leur
esprit, éthique et efficacité se rencontrent et ne se contredisent pas.
e
3 niveau : les principes de fonctionnement
Chacune des valeurs clés est à l’origine d’une série de principes de fonctionnement qui se
rapprochent de la notion de norme que nous avons évoquée précédemment.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Figure 5.2

4e niveau : les actions au quotidien


Ce dernier niveau est celui que les clients et les collaborateurs observent (et subissent ?) au
quotidien. Il constitue un point crucial car le discours le plus souvent entendu, à la fois chez
les clients et les collaborateurs, est celui d’une grande distance entre les valeurs et principes
d’action affichés, et les comportements au quotidien demandés par la hiérarchie. Autrement

75
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
dit, le sentiment qui ressort ici est que l’on sacrifie en permanence les valeurs de confiance et
de solidarité à celle d’efficacité. Les efforts de mécénat, même s’ils commencent à être média-
tisés, ne suffisent pas à remettre en cause ce sentiment.
Source : document Maif, « L’Arbre des valeurs ».

Enfin la dernière valeur attachée au mutualisme en général est souvent celle de


proximité avec les clients. La nature décentralisée en fait des fournisseurs privilégiés
de produits et de services à certaines catégories de clients comme les agriculteurs,
les PME ou certains segments de clientèle « particuliers ». On considère souvent que
cette proximité et les relations de long terme qu’elles entretiennent confèrent aux
banques mutualistes un avantage informationnel par rapport aux banques commer-
ciales classiques.

Exemple
« Le groupe Banque populaire s’est construit sur le respect des parcours de vie, des sensibili-
tés, des attentes, des particularités de ses clients et partenaires. Chaque porteur de projet est
unique : pour se mettre en mouvement avec les meilleures chances de succès vers son objectif,
il a besoin d’être écouté, d’être informé de façon claire et transparente, d’être compris. Placer
l’homme au cœur des préoccupations donne tout son sens et toute sa force à la relation
bancaire ».
Source : site Internet du groupe Banque populaire.

Ces valeurs se retrouvent donc aujourd’hui dans les discours de l’ensemble des
banques mutualistes. Il est à noter que les quatre valeurs – principe démocratique,
solidarité, responsabilité et proximité – sont renforcées par un enracinement histori-
que fort.
Le travail de définition des valeurs est donc structurant pour le devenir de l’entre-
prise, en particulier dans le cas mutualiste. La gouvernance s’en trouve affectée.

Section L’INFLUENCE SUR LA GOUVERNANCE ET LA PRISE


3 DE DÉCISION

Le statut constitue le premier socle de construction de certaines valeurs incontour-


nables qu’il est légitime de retrouver dans ce type d’établissement. Ces valeurs se
retrouvent naturellement dans l’offre de produits et de services auprès des membres,
et ces derniers doivent bénéficier de leur appartenance à la coopérative. Étienne Pfli-
mlin, président du Crédit mutuel, en 2001, lors d’une intervention devant l’Union
internationale de Raiffesen, propose la transposition la plus directe des principes de
fonctionnement d’une coopérative au secteur bancaire : « La banque coopérative est
un groupement volontaire de personnes qui s’associent sur des bases égalitaires en

76
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG

vue d’atteindre un objectif commun, et qui en partagent les résultats éventuels en


fonction de l’activité de chacun des membres. Le principal objectif de ce groupe-
ment est de permettre aux sociétaires d’accéder à des services bancaires de qualité,
aux meilleures conditions de marché possibles, se traduisant par des plans d’épargne
assez simples et des sources d’emprunt à des taux favorables ».
L’observation des pratiques fait ressortir une gouvernance spécifique sur de
nombreux points ce qui affecte la nature des décisions.

1 Une gouvernance spécifique

C’est sans doute la thématique centrale de la RSE car la gouvernance de l’entre-


prise doit prendre en compte l’intérêt des parties prenantes : clients, sociétaires et/ou
actionnaires, fournisseurs, la société, les salariés. Ainsi les autres thèmes s’inscriront
tous dans cette perspective générale (même s’ils seront présentés sur le même plan
dans les pages qui suivent).
Dans le cas des banques mutualistes, les sociétaires restent la partie prenante
centrale, car une coopérative se constitue d’abord pour à leur bénéfice. Une autre
particularité réside dans le fait qu’une même personne peut être tout à la fois un
sociétaire, un client et un salarié.
Le principe démocratique est symbolisé par la formule « un homme-une voix ». Il
permet à chaque individu de faire valoir ses intérêts. De plus, au niveau local, les
organes délibérants sont constitués de membres bénévoles non rémunérés élus en
assemblée générale. Cette démarche garantit une certaine transparence. Les systè-
mes de participation entre le niveau local et le niveau régional, puis entre niveau
régional et niveau national assurent une représentation de la base au plus haut niveau
de l’institution. Les avantages potentiels d’un tel système sont de différentes
natures :
– bonne connaissance des marchés locaux : proximité et adaptation des services
aux consommateurs. Certaines banques ont même créé un conseil d’agence
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

auquel participent des représentants des clients/sociétaires ;


– possibilité de développer des produits complexes grâce aux structures centrales ;
– possibilité de mettre en commun certains moyens au niveau de ces structures :
gouvernance mutualiste et efficacité ne sont donc pas a priori contradictoires.
Cette gouvernance suppose cependant une bonne répartition des tâches entre les
différents niveaux de l’organisation et suppose une plus grande coordination par
rapport aux banques traditionnelles.

Exemple
L’offre de produits ou de services suppose parfois l’intervention de filiales nationales différen-
tes de la caisse régionale qui fait l’offre et qui gère la relation. Il faut donc être capable de pilo-
77
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
ter une relation avec des interlocuteurs multiples ayant parfois des objectifs différents. Ainsi,
une entreprise cliente localement s’était vue demander des documents directement par la filiale
alors que le chargé d’affaires local ne l’avait pas précisé. Le chef d’entreprise, pensant que son
dossier était bouclé, a remis en cause cette intervention et rompu sa relation locale avec la
banque.

Au niveau social enfin, le statut mutualiste suppose une attention particulière


portée au personnel en termes de développement des compétences par des program-
mes de formation sur mesure. Il est important également de diffuser auprès des sala-
riés des pratiques et des principes liés à l’éthique et à la responsabilité sociale. En
outre, la politique d’emploi menée par les banques mutualistes ne les considère pas
comme l’unique variable d’ajustement, y compris au moment de restructuration.

2 Les sociétaires au centre du dispositif

Les banques coopératives françaises considèrent que le lien entre les sociétaires et
leur entreprise représente l’originalité de ces organisations et les distingue de la rela-
tion classique actionnaire-société cotée. Un travail de sensibilisation est cependant
nécessaire. E. Pflimlin (2006) indiquait développer cet affectio mutualis par deux
voies : la première consiste à augmenter le taux de sociétariat dans les coopératives
(nombre de sociétaires sur le nombre de clients), la seconde tend à renforcer le senti-
ment des sociétaires d’appartenir à une organisation qui à besoin de leur engage-
ment. L’observation des pratiques montre en effet l’existence de dispositifs de
formation à côté d’autres incitations pour accroître l’importance du sociétariat dans
les entreprises. Dans la période récente, avec le besoin de consolider les fonds
propres, on a constaté un retour en force des actions de fidélisation et de souscription
de part sociales. Mais les avantages financiers ne sauraient suffirent et ils sont limités
par les capacités financières de chaque établissement. Renforcer l’adhésion aux
principes mutualistes reste incontournable pour développer un sentiment d’apparte-
nance fort. En outre, la possibilité offerte par ce type de structures d’accéder à des
responsabilités constitue un autre élément fort de motivation. L’animation du socié-
tariat, comme d’ailleurs l’animation de l’actionnariat, constitue un des outils impor-
tant de la gouvernance mutualiste. La création de sites Internet dédiés par exemple
doit permettre l’émergence de communautés de sociétaires et renforcer la solidarité
autour d’une caisse locale.
Le passage de sociétaire à administrateur local ou régional, voire national, soulève
cependant plusieurs difficultés de nature à saper les efforts de mobilisation et
d’adhésion évoqués précédemment. Les activités d’administrateur sont bien souvent
assumées de façon bénévole ou dédommagée de façon assez minimes au regard des
enjeux et des risques supportés par les établissements financiers. Les conseils
d’administration ne peuvent plus être seulement des lieux d’information et d’échan-
ges mais aussi des lieux où l’on discute des sujets stratégiques et où l’on contrôle les

78
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG

actions des dirigeants exécutifs et leur conformité avec les choix votés par les
conseils. Vue la complexité croissante du métier de banquier, le temps nécessaire
pour contribuer efficacement aux travaux du conseil est croissant. Cette exigence est
de plus en plus difficile à assumer avec une activité professionnelle et une situation
familiale prenante par ailleurs. On retrouve donc souvent dans les conseils des socié-
taires plutôt âgés (souvent au-delà de 60 ans), en fin d’activité. Certaines banques
mutualistes appellent de leurs vœux une plus grande diversité mais elle est structu-
rellement difficile à assurer. Cette diversité des points de vue et des expériences est
souvent déterminante dans le fonctionnement des conseils. Enfin, la montée en
compétence des administrateurs est une nécessité pour les raisons évoquées. En
effet, sans dire que tous doivent posséder des compétences financières poussées, il
apparaît nécessaire que chacun d’eux comprenne la logique financière d’un établis-
sement bancaire, comprenne l’origine des risques et puisse évaluer les conséquences
de ses décisions sur le fonctionnement de l’établissement. La compétence des socié-
taires doit devenir un critère dominant dans le choix des administrateurs (comme
pour les sociétés cotées ou familiales d’ailleurs) pour limiter les phénomènes de
cooptation pure fréquents dans ces structures.
Le succès des coopératives dépendait jusqu’à présent de la qualité et du mérite de
servir les membres. Finalement, le challenge pour l’avenir du mouvement coopératif
est d’assurer que les membres continuent d’avoir des opportunités de participation
constructives dans leurs coopératives. Les coopératives ont besoin de rester respon-
sables et accessibles aux besoins et aux priorités de leurs membres (S. Alburaki et
E. Lamarque, 2007). Ces constatations rejoignent celles faites par Richez-Battesti
(2006), qui observe d’un côté un effort de réactualisation de leur système de valeurs
et d’affirmation de leur « distinction coopérative » (Banque populaire, 2005), en
interne et en externe : meilleure communication en externe avec multiplication des
supports d’information, formation en interne… De l’autre, l’accent est mis depuis le
début du millénaire sur la reconquête et la mobilisation du sociétariat, les Caisses
Desjardins restant à bien des égards le modèle de référence, que chacune des
banques coopératives observe pour construire sa propre stratégie.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

3 La nature des décisions prises par les banques mutualistes

On peut identifier deux axes relevant des décisions stratégiques d’un établisse-
ment.

3.1 Le développement local soutenable

Le marché local constitue un marché naturel pour les entités mutualistes. Les
PME, les associations, les institutionnels locaux, les collectivités font parties des
cibles privilégiées. Les Caisses d’épargne parlent dans leur segmentation stratégique

79
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

d’un métier clé : la banque de développement régional (BDR). Il repose sur trois
dimensions.

■■ Une présence locale forte


Cette démarche des mutualistes tient principalement à leurs structures décentrali-
sées. Avec près de 4 500 banques en Europe et plus de 56 000 agences (statistique de
l’Association européenne des banques coopératives) cette présence locale peut
s’illustrer par une part de marché dans les zones rurales de 40 à 80 %, notamment en
France. Cette volonté de proximité est une des valeurs fondamentales du mutualisme
comme on le verra par la suite. Mais cette proximité se fonde sur la multiplicité des
points d’accès à la banque. Aussi bien en utilisant les nouvelles technologies de
l’Internet qu’en maintenant des chargés d’affaires pour toutes les catégories de
clientèle. L’ambition est aussi de maintenir une relation à long terme avec la clien-
tèle. Les ménages et les PME constituent des cibles privilégiées pour développer le
tissu économique. Cela repose sur le financement de projets viables permettant des
emplois pérennes, et la réduction des inégalités dans la communauté.
On peut illustrer cette première caractéristique par le contenu de la charte pour le
développement des communautés locales proposée par la Banco de Credito Coope-
rativo ou des Credit Unions nord américains.

■■ Le financement des PME


Il s’agit d’un métier important pour ces banques. Leur connaissance des condi-
tions d’activités locales, le fait que des administrateurs ou des clients particuliers
soient impliqués dans ces PME donnent un avantage concurrentiel indéniable dans
l’évaluation des risques et l’adaptation des solutions proposées selon leur situation.
L’accompagnement se fait sur plusieurs années au moyen de produits diversifiés
compte tenu de la possibilité de s’appuyer sur des structures centrales fortes. La
création d’entreprise ou les successions sont des moments pour fournir les produits
les plus adaptés. Enfin les banques entretiennent des contacts étroits avec les cham-
bres des métiers et les chambres de commerce et d’industrie.

3.2 Microfinance et intérêt général

La microfinance constitue aujourd’hui un des principaux vecteurs d’intégration


sociale. Elle permet de réintégrer dans le circuit économique « normal » des person-
nes qui en avaient été exclues. Certains segments de la population sont dans une
situation d’exclusion bancaire. Certaines évaluations parlent d’environ 2 millions de
personnes dans cette situation et les prévisions nous alertent sur une augmentation
continue de ce phénomène. L’idée principale est de financer la création d’entreprise
et de soutenir les initiatives privées. Les actions menées par les banques le sont
souvent en commun avec des organisations caritatives comme le Secours catholique.

80
Notation extra-financière et méthodologie d’analyse ESG

Très souvent aussi des fondations des banques elles-mêmes assurent la distribution
d’aides ciblées.
L’objectif est ici de participer à la lutte contre le chômage par des créations
d’emploi et la pérennité des activités ainsi créées.
Dans le même registre, les banques participent au niveau international à des
actions de coopération et d’aide au développement. Cela commence par le soutien
apporté au système financier de pays émergents par des transferts de savoir-faire, des
participations financières. Les stratégies dans ce domaine sont assez variées. La
fondation Rabobank, par exemple, finance plus de 150 projets dans 40 pays diffé-
rents.
Pour les mutualistes l’intérêt général est une seconde nature, voir même synonyme
d’engagement coopératif et parfois inscrit dans ses statuts. On peut y voir un risque.
Obnubilés par cet objectif, les dirigeants risquent d’en oublier l’efficacité productive
et l’efficacité du service envers leurs clients. Mais surtout, ils risquent d’oublier que
c’est d’abord l’intérêt général des adhérents à la coopérative qui doit être préservé,
autrement dit l’intérêt des sociétaires qui aussi un client. La gouvernance a le devoir
de veiller à tout cela car les banques conventionnelles sont elles aussi largement
engagées dans la plupart des actions qui viennent d’être décrites. Dès lors, il est bien
difficile pour les banques mutualistes de se différencier autour de ces domaines et
espérer une fidélité naturelle de leurs clients quels que soient le service ou le prix.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

81
Chapitre Rapports de
responsabilité sociale
6 de l’entreprise et capital
de marque

Stéphane LEGENDRE
François CODERRE

L es consommateurs sont plus que jamais sensibles à la responsabilité sociale de


l’entreprise. Selon une étude réalisée par Cone (2007), près de neuf Améri-
cains sur dix affirment qu’à prix et qualité identiques, ils changeraient un
produit pour un autre si ce dernier était associé à une cause caritative soit une hausse
de 21 % par rapport à 1993. De plus, les consommateurs sont prêts à agir contre les
entreprises se comportant de façon non éthique. Devant les préoccupations sociales
des consommateurs, les entreprises sont de plus en plus soucieuses de leur image et
appuient des initiatives telles que la philanthropie, le marketing lié à des causes, les
programmes de soutien aux minorités, l’achat et l’embauche socialement responsa-
ble et les programmes de protection de l’environnement.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

L’objectif de ce chapitre est de montrer comment ces initiatives peuvent affecter la


valorisation de la marque. La première section du chapitre porte sur la marque et le
développement du capital de marque. La deuxième section traite du concept de
responsabilité sociale de l’entreprise et de son impact sur le capital de marque. La
troisième section montre que la publication de rapports de responsabilité sociale
constitue une stratégie de plus en plus utilisée par les entreprises pour diffuser leur
performance sociale et ainsi accroître leur capital de marque. De plus, en se basant
sur la théorie de la légitimité, une analyse du profil des entreprises qui adoptent cette
stratégie est également présentée.

83
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Section 1 ■ La marque
Section 2 ■ La RSE et son impact sur le capital de marque
Section 3 ■ Une analyse de contenu des rapports annuels
des grandes entreprises

Section LA MARQUE
1
L’objectif de cette section est de montrer l’importance qu’a prise la marque pour
les entreprises, de définir ce qu’est le capital de marque et d’illustrer comment une
entreprise peut développer son capital de marque en mettant de l’avant son implica-
tion sur le plan social.

1 L’importance de la marque

La marque est généralement définie comme un nom ou un symbole qui a pour but
d’identifier un produit/service d’un vendeur ou d’un groupe de vendeurs et de le
distinguer de ceux de la concurrence. Cette conception de la marque est toutefois
beaucoup trop étroite et ne rend pas compte de l’importance que celle-ci a prise au
cours des dernières années. En effet, dans un contexte où il est de plus en plus diffi-
cile de communiquer avec les marchés et où les produits sont de plus en plus similai-
res, l’entreprise doit ajouter de nouvelles significations à ses produits afin de se
différencier de la concurrence. Elle peut le faire par le biais de la marque. Le rôle de
la marque ne consiste donc plus uniquement à identifier un produit, mais à lui confé-
rer une valeur additionnelle.
Cette prise de conscience de l’importance des marques remonte aux années 1980.
Plusieurs offres publiques d’achat (OPA) largement diffusées dans les médias de
l’époque – l’achat de Kraft par Philip Morris, l’achat de Rowntree par Nestlé –
avaient pour principal objectif l’acquisition de marques de commerce. Ce phéno-
mène s’explique en grande partie par la montée en importance des actifs intangibles.
Comme on peut le constater à la figure 6.1, jusqu’aux années 1980, les actifs intan-
gibles représentaient environ 25 % de la valeur d’une entreprise et les actifs tangi-
bles, 75 %. Depuis les années quatre-vingt, la valeur des actifs tangibles en
pourcentage de l’ensemble des actifs de l’entreprise ne cesse de diminuer. Selon la
firme Brand Finance (2009), les actifs tangibles ne représenteraient plus que 37 %
de la valeur des entreprises inscrites en Bourse en 2007 à travers le monde. Or, dans
plusieurs secteurs, la marque est un actif intangible important, voire le principal actif
de l’entreprise. À titre d’exemple, en 2009, selon les estimations de la firme Inter-
brand, la contribution de la marque à la capitalisation de l’entreprise s’élevait à envi-
ron 62 % dans le cas de Coca-Cola, à 60 % dans le cas de McDonald’s et à 42 %

84
Rapports de responsabilité sociale de l’entreprise

dans le cas d’IBM. Il n’est donc pas étonnant de constater que les entreprises accor-
dent une attention croissante à la gestion de leurs marques.

Source : Federal Reserve Board (dans Lindemann 2004).

Figure 6.1 — Valeur des actifs tangibles en pourcentage de l’ensemble des actifs
(excluant les entreprises financières)

2 Le capital de marque

Le capital de marque (branding equity) a une signification très différente selon que
la perspective retenue est celle de l’entreprise ou celle du consommateur.

2.1 La perspective de l’entreprise

Du point de vue de l’entreprise, le capital de marque réfère à la valeur financière


de la marque. Cette valeur est estimée à partir de principes comptables. Plusieurs
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

cabinets d’expertise-comptable proposent d’ailleurs des approches pour mesurer la


valeur des marques : Interbrand au Royaume-Uni, Marken-Bilanz en Allemagne,
Sorgem en France. Parmi ces approches, celle proposée par Interbrand est sans
doute la plus connue. Chaque année, cette dernière publie dans la revue Business-
Week un classement des 100 plus grandes marques de la planète. Dans le classement
de 2009, on apprenait notamment que la valeur des marques Coca-Cola et IBM attei-
gnaient respectivement 68,7 et 60,2 milliards de dollars américains (cf. tableau 6.1).
Dans une étude récente, Madden et al. (2006) ont démontré que non seulement les
rendements mensuels des actions des 100 plus grandes marques du classement
d’Interbrand étaient supérieurs à ceux de l’ensemble des entreprises du marché
américain inscrites en Bourse (2,49 comparativement à 1,34), mais également que le
risque associé à ces rendements était plus faible.
85
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Tableau 6.1 — La valeur des dix plus grandes marques (en milliards de $)
Rang Marque Valeur 2009

1 Coca-Cola 68,734

2 IBM 60,211

3 Microsoft 56,647

4 GE 47,777

5 Nokia 34,864

6 McDonald’s 32,275

7 Google 31,980

8 Toyota 31,330

9 Intel 30,636
10 Disney 28,447

Source : Interbrand (2009).

2.2 La perspective du consommateur

Du point de vue du consommateur, le capital de marque renvoie au degré de


connaissance et d’attachement envers la marque. Ce degré d’attachement envers la
marque est tributaire des bénéfices que procure la marque aux consommateurs. Ces
bénéfices peuvent être de nature fonctionnelle, hédonique, symbolique ou éthique.
Les bénéfices fonctionnels sont liés aux avantages intrinsèques du produit ou
service. Les bénéfices hédoniques font référence aux aspects multisensoriel, imagi-
naire et émotif de l’expérience de consommation (Hirschman et Holbrook, 1982).
Les bénéfices symboliques renvoient aux besoins fondamentaux d’approbation
sociale, d’expression personnelle ou d’estime de soi du consommateur (Keller,
1993). Enfin, les bénéfices éthiques concernent les valeurs de l’entreprise et sont
intimement liés à la responsabilité sociale de l’entreprise.

Exemple
Prenons le cas d’une automobile : la fiabilité, la sécurité, la performance renvoient à des béné-
fices de nature fonctionnelle ; le plaisir de la conduite et l’apparence du véhicule à des bénéfi-
ces de nature hédonique ; les traits de personnalité du véhicule – jeune, moderne, audacieux –
à des bénéfices de nature symbolique ; et l’implication de l’entreprise dans son milieu, ses
efforts pour préserver l’environnement et ses pratiques de gestion à des bénéfices de nature
éthique.

L’importance relative des bénéfices dans le processus de décision des consomma-


teurs diffère selon la catégorie de produits et le profil de ces derniers. Une étude

86
Rapports de responsabilité sociale de l’entreprise

réalisée par Boivin (2005) portant sur huit catégories de produits montre que les
bénéfices fonctionnels sont importants pour l’ensemble des catégories de produits
considérées, mais plus particulièrement dans le cas de l’électroménager et de l’auto-
mobile (cf. tableau 6.2). Les consommateurs recherchent davantage les bénéfices
symboliques et hédonistes lors de l’achat de parfums et de voitures. Enfin, bien que
de façon générale les bénéfices éthiques semblent moins importants lors de l’achat
d’un produit, ils ne sont pas négligeables. Ils arrivent souvent au troisième rang
d’importance, particulièrement dans le cas de produits de faible implication : crèmes
glacées, shampooings et aliments surgelés.

Tableau 6.2 — Importance des bénéfices de la marque selon la catégorie de produits


(sur une échelle en 7 points)

Catégorie de produits Symboliques Hédonistes Fonctionnels Éthiques

Électroménagers 3,60 5,13 6,15 4,24

Parfums 5,46 5,76 5,64 4,24

Voitures 5,02 6,05 6,26 4,43

Crèmes glacées 3,57 5,28 5,72 4,16

Shampoings 4,04 5,13 5,55 4,16

Déodorants corporels 4,51 5,25 5,56 4,14

Aliments surgelés 3,32 4,64 5,78 4,16

Gels de douche 4,07 4,98 5,25 4,14

Source : Boivin (2005).

Les consommateurs ne sont pas tous concernés au même degré par les bénéfices
de nature éthique. Dans une étude effectuée auprès d’un échantillon représentatif de
la population française, Lecompte et Valette-Florence (2006) ont identifié cinq
profils de consommateurs selon leur attitude envers la responsabilité sociale de
l’entreprise. Les sceptiques (1) représentent les individus qui ne prennent pas en
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

considération le comportement des organisations dans leurs achats. Ils n’achètent


pas de produits permettant d’appuyer une cause sociale et ne sont pas sensibles au
soutien des petits commerçants et producteurs. Les non concernés (2) sont pour leur
part indifférents à l’origine géographique des produits et à la surconsommation. À
l’inverse, les concernés (3) regroupent les personnes les plus touchées par l’origine
géographique des produits et la surconsommation. Les anti-grande distribution (4)
accordent quant à eux une importance à la défense des petits commerçants et
producteurs. Enfin, les boycotteurs (5) regroupent les personnes qui prennent le plus
en compte le comportement des entreprises dans leurs achats. Ils achètent des
produits pour appuyer une cause sociale et perçoivent si l’entreprise est capable
d’œuvrer pour la société et l’environnement avec sincérité et désintéressement.

87
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Devant l’importance grandissante de la dimension éthique dans le processus de


décision des consommateurs, plusieurs entreprises tentent de mettre en valeur leur
performance sociale afin d’accroître leur capital de marque. Nous verrons mainte-
nant les principales avenues qui s’offrent à celles-ci.

3 Le développement du capital de marque

Chaque fois qu’une entreprise entre en contact avec le consommateur, elle a


l’opportunité de développer son capital de marque. Les contacts peuvent se produire
avant, pendant ou après l’achat (cf. figure 6.2). Le responsable du marketing dispose
d’une vaste gamme d’outils de communication marketing pour entrer en contact
avec la marque : publicité, promotion, relations publiques, Internet, publicité sur le
lieu de vente, marketing direct, emballage et force de vente. Afin de développer une
image forte, le gestionnaire doit déterminer la combinaison optimale d’outils de
communication marketing et s’assurer que pour chacun des groupes cible, le
message transmis par les différents outils soit unique, pertinent, cohérent et constant
dans le temps.

Figure 6.2 — Les outils de communication marketing

Deux principales avenues s’offrent aux entreprises désirant accroître leur capital
de marque en mettant en avant leur implication sociale. La première consiste à adop-
ter une stratégie de positionnement de la marque fondée sur la dimension éthique.
C’est-à-dire faire de la dimension éthique un élément fondamental de la communi-
cation de l’entreprise. Seules quelques rares entreprises ont adopté cette voie. C’est
le cas notamment des firmes Body Shop et Patagonia.
88
Rapports de responsabilité sociale de l’entreprise
Exemples
The Body Shop, une entreprise internationale dans le domaine des cosmétiques, base son iden-
tité sur cinq valeurs liées à l’éthique : protéger la planète, appuyer le commerce équitable,
favoriser l’estime de soi, défendre les droits de l’homme et être contre les tests sur les
animaux. Cette entreprise milite depuis vingt ans pour différentes causes éthiques et environ-
nementales notamment la lutte contre le VIH/Sida et contre la violence familiale.
L’entreprise Patagonia œuvrant dans le domaine des articles de sport intègre dans sa mission
le développement de solutions à la crise environnementale actuelle. Depuis plus de vingt ans,
l’entreprise verse 1 % de son chiffre d’affaires pour l’appui de différentes causes visant la
protection de l’environnement. Un ensemble de pratiques environnementales distingue cette
entreprise, notamment l’élaboration d’un écobilan pour réduire l’impact de ses activités sur les
ressources naturelles, l’utilisation de coton biologique, l’implication des employés dans des
projets environnementaux durant leurs heures de travail, l’élimination des matières plastiques
pour l’emballage et bien d’autres.
Source : Lecompte et Valette-Florence (2006).

La seconde avenue consiste à communiquer l’engagement social de l’entreprise


sans en faire un élément central de la communication de l’entreprise. C’est le cas des
entreprises qui se limitent à publier un bilan de responsabilité sociale dans leur
rapport annuel ou à mentionner leurs contributions lors de rencontres internes ou de
conférences auxquelles elles sont invitées à participer.

Section LA RSE ET SON IMPACT SUR LE CAPITAL DE MARQUE


2
Dans cette section, nous présentons une revue de littérature portant sur l’impact de
la performance sociale de l’entreprise sur le capital de marque selon la perspective
adoptée : celle de l’entreprise ou celle du consommateur.

1 La responsabilité sociale et la performance financière


© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

L’existence d’une relation positive entre la performance sociale de l’entreprise et


sa performance financière repose sur le postulat que la satisfaction de toutes les
parties prenantes, et non pas uniquement la satisfaction des actionnaires, est instru-
mentale à l’atteinte de la performance financière d’une organisation (Ortlitzsky et
al., 2003). Ainsi, plus l’entreprise est socialement responsable, plus les consomma-
teurs seraient enclins à consommer ses produits et services (Cone Inc., 2007), plus
grands seraient la productivité des employés (Godfrey, 2005) et le bien-être des
investisseurs (Houston et Johnson, 2000) et des autres parties prenantes.
Un grand nombre d’études ont examiné la relation entre la performance sociale de
l’entreprise et sa performance financière. Force est de constater, toutefois, que
l’analyse de cette relation s’est révélée complexe. Plusieurs problèmes liés à ces
89
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

études ont été soulignés : échantillonnage inadéquat, omission de variables de


contrôle, validité et fidélité des outils de mesure, variables médiatrices et modératri-
ces non considérées et besoin d’une théorie liant la performance sociale à la perfor-
mance financière (Margolis et Walsh, 2003 ; Peloza, 2009).
Au-delà des problèmes méthodologiques, il semble que cette relation soit positive.
Margolis et Walsh (2003) ont recensé 109 études portant sur l’impact de la perfor-
mance sociale sur la performance financière. Parmi elles, 54 études confirment que
la relation est positive, 7 montrent qu’elle est négative, 28 indiquent qu’elle n’est pas
significative et 20 études rapportent des résultats mixtes. Orlitzky et al. (2003) ont
pour leur part réalisé une méta-analyse incluant 52 études ayant étudié la relation
entre la performance sociale de l’entreprise et sa performance financière. Les résul-
tats révèlent également que l’investissement en matière de RSE engendre des retom-
bées économiques pour l’entreprise. Cependant, les auteurs précisent que la force de
cette relation varie selon les mesures de la RSE et de la performance financière utili-
sées. La RSE est plus fortement corrélée avec les mesures comptables de la perfor-
mance financière (ex. : retour sur investissement) qu’avec les mesures basées sur le
marché (ex. : prix de l’action). De même, les indices de réputation (ex. : indice de
réputation des entreprises de Fortune) liés à la RSE sont plus fortement corrélés à la
performance financière que les autres mesures de la RSE. Plus récemment, Margolis
et al. (2007) ont réalisé une méta-analyse portant cette fois sur 167 études ayant
examiné la relation entre la RSE et la performance financière. Les résultats confir-
ment l’existence d’une relation positive, mais de faible ampleur. De plus, la force de
la relation diffère selon la dimension sociale considérée : elle est plus forte dans le
cas des dimensions liées aux contributions charitables et à la performance environ-
nementale ou lorsque des écarts de conduite sont révélés. Les auteurs ont également
observé une relation positive entre la performance financière de l’entreprise et la
responsabilité sociale. Ainsi, plus une entreprise obtient de bons résultats financiers,
plus elle est encline à accroître son implication sur le plan social.
Enfin, dans une étude longitudinale, Luo et Bhattacharya (2006) ont examiné la
relation entre la performance sociale et la performance financière de 113 entreprises
du Fortune 500 sur une période de trois ans, soit de 2001 à 2004. Leurs résultats
démontrent que cette relation est positive pour les entreprises offrant des produits de
qualité ou pour celles ayant une grande capacité d’innovation. En revanche, la rela-
tion est nulle pour les entreprises offrant des produits de faible qualité alors qu’elle
est négative pour les entreprises ayant une faible capacité d’innovation. Ces résultats
suggèrent que les entreprises doivent d’abord s’assurer de bien remplir leur mission
première – c’est-à-dire d’offrir des produits de qualité et innovateurs – avant de
mettre en valeur leur performance sociale.

90
Rapports de responsabilité sociale de l’entreprise

2 La responsabilité sociale et l’image de marque

Quelques études en marketing ont analysé la relation entre la performance sociale


de l’entreprise et l’image de marque. Ces recherches montrent toutefois que la rela-
tion n’est pas univoque et qu’elle est influencée par un grand nombre de variables.
Ainsi, Brown et Dacin (1997) ont examiné la relation entre la responsabilité
sociale et l’image de marque dans le cas d’un nouveau produit. Les résultats de leur
recherche montrent que la performance sociale de l’entreprise a une influence indi-
recte sur l’image de marque des produits : la performance sociale influence l’image
de marque de l’entreprise et cette dernière influence à son tour l’image de marque du
produit.
La relation entre la performance sociale de l’entreprise varie également en fonc-
tion du type d’initiative privilégié par l’entreprise. Sen et Bhattacharya (2001) ont en
effet constaté que la performance sociale de l’entreprise influence directement
l’image de marque d’un produit lorsque les actions sociales de la firme sont en lien
avec l’expertise commerciale de cette dernière. En revanche, dans le cas où la nature
des actions sociales ne correspond pas au domaine d’expertise de l’entreprise,
l’influence de celles-ci sur l’image de marque du produit est nulle.
Berens et al. (2005) ont quant à eux examiné la relation entre la performance
sociale et l’image de marque d’un produit lorsque l’entreprise utilise une stratégie de
marque « caution », c’est-à-dire une architecture de marques comportant deux
niveaux : une marque autonome et une marque du nom de l’entreprise. Ce type de
stratégie est utilisé par de nombreuses entreprises (ex. : Corn Flakes de Kellogg’s).
Les résultats de leurs travaux indiquent que la nature de la relation entre la perfor-
mance sociale et l’image de marque d’un produit dépend de la visibilité de la
marque caution dans la communication marketing du produit et du niveau d’implica-
tion envers le produit. La relation entre la performance sociale et l’image de marque
d’un produit (Corn Flakes) est positive uniquement lorsque la marque caution
(Kellogg’s) est peu visible dans la communication du produit et lorsque ce produit
est de faible implication. Lorsque la marque caution est très visible sur le produit, les
consommateurs considèrent l’expertise commerciale de l’entreprise et non sa perfor-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

mance sociale pour former leurs perceptions envers le produit.


Récemment, Madrigal et Boush (2008) ont examiné la relation entre la responsa-
bilité sociale et l’attitude envers la marque selon le degré de disposition des indivi-
dus à récompenser les entreprises engagées au plan social. Suite à deux
expérimentations au cours desquelles les répondants étaient exposés à des messages
publicitaires fictifs, les auteurs ont observé une relation positive entre la responsabi-
lité sociale et l’attitude envers la marque. De plus, cette relation est accentuée lors-
que les individus sont disposés à récompenser les entreprises engagées sur le plan
social.

91
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Section UNE ANALYSE DE CONTENU DES RAPPORTS


3 ANNUELS DES GRANDES ENTREPRISES

Devant l’importance que prend la responsabilité sociale pour le développement du


capital de marque, de plus en plus d’entreprises perçoivent le besoin de démontrer
leur performance sociale. Pour ce faire, plusieurs avenues s’offrent à celles-ci. Elles
peuvent notamment développer des campagnes publicitaires pour promouvoir leurs
actions sociales ou publier des rapports de responsabilité sociale 1. La première stra-
tégie est très dispendieuse et peu crédible auprès des diverses parties prenantes. Par
conséquent, de plus en plus d’entreprises recourent à la deuxième stratégie. Une
étude internationale réalisée en 2008 sur les pratiques de divulgation des rapports de
responsabilité sociale révèle que près de 80 % des 250 plus grandes entreprises à
l’échelle internationale publient un tel rapport, comparativement à 50 % en 2005
(KPMG, 2008).
La publication de rapports de responsabilité sociale est une stratégie d’autant plus
intéressante pour les entreprises qu’il existe actuellement des cadres reconnus inter-
nationalement pour structurer le contenu de ces rapports (ex. : Global Reporting
Initiative, le AA1000), que ceux-ci font souvent l’objet d’une évaluation externe et
qu’ils ont un impact important sur l’image de l’entreprise. Les rapports de responsa-
bilité sociale sont consultés non seulement par les actionnaires, mais également par
les agences de notation, les investisseurs et divers groupes de pression. Ils sont aussi
le support de nombreux classements, prix, titres ou récompenses de tout ordre.
Selon la théorie de la légitimité, le rapport de RSE est utilisé pour légitimer les
actions de l’entreprise face aux pressions de l’environnement externe (Guthrie et
Parker, 1989 ; Adams et al., 1998 ; Campbell et al, 2003 ; Neu et al., 1998). Compte
tenu de la nature de leurs activités, certaines entreprises ressentent davantage le
besoin de démontrer leur performance sociale. C’est le cas des entreprises très visi-
bles, de celles dont les activités ont un impact sur l’environnement où de celles qui
œuvrent dans des environnements légaux contraignants.
Afin de dresser le profil des entreprises qui publient des rapports de responsabilité
sociale, nous présentons une analyse du contenu des rapports annuels des entreprises
à l’échelle internationale. L’analyse porte sur le contenu des rapports des entreprises
qui adhèrent au cadre du Global Reporting Initiative (GRI). Il s’agit du cadre le plus
souvent utilisé : 62 % des entreprises du Fortune G250 publiant un rapport de RSE

1. Plusieurs appellations synonymes du rapport de responsabilité sociale sont employées par les
entreprises : bilan de responsabilité sociale, rapport de développement durable, bilan social et envi-
ronnemental, bilan environnemental, bilan de santé, sécurité et environnement, bilan social et autres.
Nous retiendrons ici l’expression rapport de responsabilité sociale de l’entreprise pour désigner
l’ensemble de ces documents.

92
Rapports de responsabilité sociale de l’entreprise

(KPMG, 2008) recourent à ce cadre. De grandes marques à l’échelle internationale


(ex. : Adidas Group, Coca-Cola Entreprises Inc., Ford Motor Company, Johnson &
Johnson, BNP Paribas, Shell, Dell, Colgate-Palmolive) déclarent leur adoption
volontaire au cadre GRI (GRI, 2010).

1 Le cadre d’échantillonnage

La population de cette étude est composée de l’ensemble des 500 plus grandes
entreprises selon le classement 2009 du Global 500 (Fortune Global 500, 2009).
Pour être retenues dans l’étude, les entreprises devaient répondre aux deux critères
suivants : 1) publier un rapport de responsabilité sociale sur le site Web de l’entre-
prise en 2009 et 2) utiliser le cadre GRI (G3). Au total, 254 entreprises correspon-
dant à ces critères ont été recensées après l’analyse de contenu des 500 sites Web. Le
tableau 6.3 présente le profil des entreprises à l’étude, le pourcentage d’entreprises
répondant aux deux critères mentionnés et le taux de publication.
Tableau 6.3 — Profil des entreprises
Ensemble des Entreprises publiant
Taux de
entreprises un rapport GRI
publication
n = 500 n = 254

Chiffre d’affaires 2009


Plus de 45 milliards 167 (33,4 %) 110 (43,3 %) 65,9 %

27 à 45 milliards 161 (32,2 %) 81 (31,9 %) 50,3 %

Moins de 27 milliards 172 (34,4 %) 63 (24,8 %) 36,6 %

Industries
Haut risque 114 (23,2 %) 67 (26,4 %) 58,8 %

Faible risque 386 (76,8 %) 187 (73,6 %) 48,4 %

Continents d’origine
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Amérique 166 (33,2 %) 64 (25,2 %) 38,6 %

Asie 140 (28,0 %) 65 (25,6 %) 46,4 %

Europe 184 (36,8 %) 117 (46,1 %) 63,6 %

Océanie 10 (2,0 %) 8 (3,1 %) 80,0 %

Pour les fins de l’analyse, les 500 entreprises ont été regroupées en trois classes
relativement égales selon leur chiffre d’affaires. On remarque que la publication
d’un rapport de responsabilité sociale selon le cadre GRI (G3) touche particulière-
ment les entreprises dont le chiffre d’affaires se situe entre 27 et 45 milliards

93
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

(50,3 %) ou est supérieur à 45 milliards de dollars (65,9 %). De même, les entrepri-
ses faisant partie des industries à haut risque publient davantage de rapport (58,8 %).
Les industries à haut risque regroupent les entreprises ayant une grande visibilité
auprès du consommateur, une influence négative sur l’environnement ou pour
lesquelles le niveau de concentration de la concurrence est très important. Confor-
mément à la classification de Hackston et Milne (1996), la présente étude compte six
industries à haut risque (industries aéronautiques, chimiques, minières, automobiles
ou pétrolières et de la fabrication du tabac) et 44 industries à faible risque (assuran-
ces, télécommunication, banques, etc.). Enfin, on remarque que le taux de publica-
tion des rapports de responsabilité sociale suivant le cadre GRI est particulièrement
élevé pour les entreprises en provenance de l’Océanie (80,0 %) et de l’Europe
(63,6 %).

2 Analyse des résultats

Les 254 rapports de responsabilité sociale recensés ont été analysés plus en détail
à partir du système des « niveaux d’application » du GRI (G3). Les entreprises qui
élaborent le contenu du rapport de responsabilité sociale selon le cadre GRI doivent
indiquer dans quelle mesure elles ont appliqué ce système. Celui-ci comporte trois
niveaux (C, B et A). L’entreprise peut ajouter un signe + lorsque le rapport a été véri-
fié par une tierce partie. Le tableau 6.4 présente une description de ces niveaux.
Tableau 6.4 — Critères des niveaux d’application du cadre GRI (G3)
C C+ B B+ A A+

Profil de Renseigner sur Tous les critères de C Mêmes critères


l’entreprise 1.1 ainsi que : qu’au niveau B
2.1 – 2.10 1.2
3.1- 3.8, 3.10-3.12 3.9, 3.13,
4.1 – 4.4, 4.14-4.15 4.5-4.13, 4.16-4.17
Rapport vérifié par une tierce partie

Rapport vérifié par une tierce partie

Rapport vérifié par une tierce partie

L’approche Facultatives Informations sur Informations sur


managériale l’approche l’approche
managériale pour managériale pour
chaque catégorie chaque catégorie
d’indicateur d’indicateur

Indicateurs Minimum de 10 Minimum de 20 Tous les


indicateurs dont indicateurs dont au indicateurs de
au moins un pour moins un par base du G3 et
chaque catégorie catégorie : indicateurs des
suivante : – économie suppléments
– économie – environnement sectoriels en
– environne- – emploi et travail respectant le
mental décents principe de
– social – droits de l’Homme pertinence et en
– société expliquant les
– responsabilité du raisons de sa non
produit prise en compte

94
Rapports de responsabilité sociale de l’entreprise

Le tableau 6.5 présente une analyse du niveau d’application du GRI en fonction du


chiffre d’affaires, du degré de risque du secteur industriel et du continent d’origine
de l’entreprise. La première colonne présente le pourcentage des rapports utilisant le
cadre GRI sans toutefois préciser le niveau d’application. Les six colonnes suivantes
correspondent au pourcentage des rapports dans lesquels l’atteinte de l’un des six
niveaux du cadre GRI est déclarée. La dernière colonne réfère au pourcentage des
rapports ayant déclaré un niveau d’application et qui ont fait l’objet d’une vérifica-
tion externe.
Tableau 6.5 — Nniveau d’application du cadre GRI selon le chiffre d’affaires,
le degré de risque des industries et le continent d’origine (%)
Ensemble des rapports % des
rapports
% avec niveau déclaré avec
% avec
niveaux
niveau
déclarés
non
C C+ B B+ A A+ qui sont
déclaré
vérifiés

Chiffre d’affaires 2009


+ de 45 milliards (n = 110) 40,0 4,5 0,9 13,6 10 7,3 23,6 57,5

27 à 45 milliards (n = 81) 49,4 4,9 1,2 7,4 9,9 3,7 23,5 68,4

- de 27 milliards (n = 63) 46,0 7,9 1,6 20,6 7,9 3,2 12,7 41,3

Secteur industriel
Haut risque (n = 67) 35,8 4,5 1,5 7,5 11,9 6,0 32,8 72,0

Faible risque (n = 187) 47,6 5,9 1,1 15,5 8,6 4,8 16,6 50,2

Continent d’origine

Amérique (n = 64) 40,6 10,9 1,6 20,3 4,7 6,3 15,6 36,9

Asie (n = 65) 72,3 1,5 0 7,7 6,2 4,6 7,7 36,9

Europe (n = 117) 33,3 4,3 1,7 13,7 14,5 5,1 27,4 65,4
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

2.1 Le chiffre d’affaires de l’entreprise

On remarque tout d’abord que le niveau d’application du cadre GRI varie considé-
rablement en fonction du chiffre d’affaires de l’entreprise. En effet, les entreprises
dont le chiffre d’affaires est de 27 milliards ou plus atteignent en plus grand nombre
le niveau d’application A. De plus, elles sont beaucoup plus enclines à recourir à une
vérification d’une tierce partie. Ces résultats sont conformes à la théorie de la légiti-
mité. Selon cette théorie, la pression pour se conformer à l’environnement externe
est plus importante pour les entreprises de grande taille et performantes financière-
ment (Cowen et al., 1987 ; Hackston et Milne, 1996 ; Patten, 1991). Ces dernières
regroupent un plus grand nombre de parties prenantes en raison de leur grand

95
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

nombre d’activités et elles ont un nombre plus important d’actionnaires qui peuvent
prendre en considération la performance sociale pour évaluer le capital de marque
de l’entreprise.

2.2 Le secteur industriel

Au tableau 6.5, on constate également que les entreprises œuvrant au sein d’indus-
tries à haut risque atteignent davantage le niveau d’application A du cadre GRI et
elles sont plus enclines à présenter des rapports vérifiés. Ce résultat est conforme
aux études antérieures qui ont démontré une relation entre la divulgation sociale et
l’appartenance à un secteur industriel (Adams et al., 1998 ; Deegan et Gordon,
1996 ; Hackston et Milne, 1996 ; Adams, 2002 ; Patten, 1992). La théorie de la légi-
timité apporte également une explication à ce phénomène. Les entreprises faisant
partie des industries à haut risque ont une plus grande visibilité étant donné que leurs
activités modifient l’environnement (Hackston et Milne, 1996). Elles ont donc plus
de pressions des parties prenantes (notamment les groupes de pression écologistes
et/ou environnementaux) pour légitimer leurs actions. Ces pressions sont exacerbées
par certains événements très médiatisés (ex. : l’échouement du pétrolier Exxon
Valdez) qui augmentent l’attention du public sur l’empreinte environnementale de
certaines industries (Adams 2002). Brown et Deegan (1998) ont d’ailleurs démontré
une relation positive entre le niveau de divulgation environnementale et la couver-
ture médiatique de l’impact environnemental de différentes industries.
Un autre facteur pouvant expliquer que les entreprises à haut risque ont un niveau
d’application du GRI plus élevé est la plus grande pertinence des indicateurs envi-
ronnementaux pour celles-ci. En effet, puisque les activités des entreprises à haut
risque ont un plus grand impact sur l’environnement, il est donc logique qu’elles
appliquent davantage les indicateurs environnementaux du GRI (ex. : émissions de
substances appauvrissant la couche d’ozone, émissions de NOx, SOx et autres émis-
sions significatives dans l’air, nombre total et volume des déversements accidentels
significatifs, etc.). Ces indicateurs s’appliquent moins à des entreprises des secteurs
à plus faible risque comme les banques et les compagnies d’assurance par exemple.

2.3 Le continent d’origine

Une tendance se dégage du tableau 6.5 relativement à la relation entre le niveau


d’application du cadre GRI et le continent d’origine des entreprises. Les entreprises
du continent européen se démarquent nettement de celles des continents américain
et asiatique. Elles sont beaucoup plus nombreuses à divulguer des données de niveau
A et à recourir à une vérification d’une tierce partie. Une explication de ce résultat
pourrait être l’environnement légal du pays d’origine des entreprises. Les entreprises

96
Rapports de responsabilité sociale de l’entreprise

domiciliées dans un pays où s’applique le droit commun (common law) ont un


modèle de gouvernance de type « orientation actionnaire » alors que les entreprises
de pays où s’applique le droit civil ont un modèle de gouvernance de type
« orientation parties prenantes » (Ball et al., 2000 ; Simnett et al., 2009). Dans
certains pays européens correspondant au modèle « orientation parties prenantes »
(ex. : Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Suède, Suisse) la
société perçoit qu’un large spectre de parties prenantes a des intérêts légitimes par
rapport aux activités de l’entreprise (Simnett et al., 2009). Au contraire, dans
certains pays américains (ex. : États-Unis et Canada) et asiatiques (ex. : Australie,
Inde, Malaisie, Singapour et Thaïlande) où le modèle « orientation actionnaire »
prévaut, les entreprises sont instrumentales à la création de valeur des actionnaires
(Simnett et al., 2009). La société accorde moins de légitimité aux autres parties
prenantes et, par ce fait même, ces dernières ont moins d’influence sur les activités
de l’entreprise dont la divulgation de rapports de RSE.
Ainsi, le contexte légal pourrait expliquer en partie le fait que les entreprises euro-
péennes de la présente étude atteignent davantage le niveau A d’application du GRI
et demande davantage une vérification d’une tierce partie de leur rapport. Ces résul-
tats sont cohérents avec la littérature. Holder-Webb et al. (2008) montrent que le
retard des entreprises américaines en matière de rapport de RSE s’explique par le
fait que ces dernières œuvrent dans un environnement culturel ayant une plus grande
orientation envers les actionnaires (Holder-Webb et al., 2008). Simnet et al. (2009)
ont démontré que les entreprises provenant de pays de type « orientation parties
prenantes » ont davantage recours à des firmes d’audit professionnelles (ex. :
Deloitte & Touche, Ernst & Young, KPMG, etc.) pour vérifier la qualité des rapports.

Conclusion
L’objectif de ce chapitre était de démontrer comment la mise en valeur de la performance
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

sociale de l’entreprise peut affecter le capital de marque. Nous avons d’abord défini la
marque et le capital de marque. Ensuite, une revue des recherches portant sur l’impact de
la performance sociale de l’entreprise sur le capital de marque a été présentée. Enfin, nous
avons montré que la publication d’un rapport de responsabilité sociale constituait une stra-
tégie de plus en plus utilisée par les entreprises pour mettre en valeur leur performance
sociale et ainsi accroître leur capital de marque. Il existe actuellement des cadres reconnus
internationalement pour structurer ces rapports, ce qui augmente leur crédibilité auprès des
diverses parties prenantes. Afin de dresser le profil des entreprises qui adoptent cette stra-
tégie, nous avons également présenté une analyse du contenu des rapports de responsabi-
lité sociale des plus grandes entreprises à l’échelle internationale.

97
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Il ressort de cette étude qu’il y a une relation entre la divulgation des rapports de responsa-
bilité sociale selon le cadre GRI (G3) et le chiffre d’affaires des entreprises, leur secteur
industriel et leur continent d’origine. La théorie de la légitimité nous a permis d’apporter
une explication à ce phénomène. D’abord, les très grandes entreprises sont plus enclines à
rapporter un niveau d’application élevé et à recourir à une tierce partie pour vérifier leur
rapport. Les pressions pour légitimer leurs actions sont plus fortes étant donné le plus
grand nombre de parties prenantes qui peuvent prendre en considération la performance
sociale pour évaluer le capital de marque de l’entreprise. Ensuite, les entreprises œuvrant
dans les industries à haut risque ont un niveau d’application du cadre GRI plus élevé
puisqu’elles doivent légitimer leurs actions qui ont un impact direct et médiatisé sur l’envi-
ronnement. Enfin, les entreprises du continent européen sont beaucoup plus avancées que
celles des continents américain et asiatique en matière de divulgation de leur performance
sociale selon le cadre du GRI. Nous posons l’hypothèse que leur environnement légal de
type « orientation partie prenante » fait en sorte qu’elles considèrent un plus grand spectre
de groupes d’intérêts comparativement à l’environnemental légal de type « orientation
actionnaire ».

98
Une approche
Partie pragmatique
des questions de
2développement
durable

I l apparaît que les entreprises sont actuellement particulièrement exposées, en


termes d’image de marque, de réputation, de risques juridiques et industriels, ce
qui les oblige indirectement à reconsidérer leurs stratégies de développement.
Dans cette deuxième partie consacrée au développement durable appliqué au mana-
gement des entreprises, nous allons évoquer successivement les différentes ques-
tions de stratégie liées à la prise en compte du développement durable. De même,
nous présenterons les principales manières de piloter ces stratégies, de gérer les rela-
tions avec les parties prenantes et, plus généralement, de gouverner l’entreprise.
Le premier chapitre de cette partie s’intitule « L’écologie industrielle : promesses
et limites d’une approche pratique du management durable ». Christoph BEY montre
comment nous pouvons repenser le fonctionnement de l’entreprise afin qu’elle soit
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

plus respectueuse de l’environnement. L’écologie industrielle est une discipline


récente qui a pour objet de rendre les systèmes économiques plus durables, de sorte
que la consommation des ressources naturelles diminue au profit de la valorisation
des déchets et des sous-produits. En relatant les principales expérimentations du
domaine, l’auteur dégage de réelles perspectives de création de valeur : exemples
des parcs éco-industriels ou des îlots de développement durable.
Annelise MATHIEU et Richard SOPARNOT nous présentent les différentes stratégies
adoptées par les entreprises lorsqu’il s’agit d’intégrer la dimension DD. Dans ce
chapitre intitulé « Les stratégies de développement durable », les auteurs observent
une hétérogénéité assez forte des comportements : entre absence de réponse –
comportement de défiance face à sa responsabilité sociale – indifférence et anticipa-
tion des demandes sociales et sociétales. Ainsi, dans ce huitième chapitre, les princi-

99
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

paux comportements stratégiques sont présentés pour être ensuite analysés de façon
plus détaillée – voir notamment le cas Lafarge.
Dans le neuvième chapitre, intitulé « Performance organisationnelle et responsabi-
lité sociale de l’entreprise », Jean-Yves SAULQUIN et Guillaume SCHIER évoquent la
question centrale du lien entre performance organisationnelle et RSE. Outre la diffi-
culté de définir la notion de performance en sciences de gestion, les auteurs propo-
sent de nombreuses réponses théoriques sur le domaine – voir, par exemple, les
travaux de Lynch et Cross (1991), Kaplan et Norton (1992), Atkinson, Waterhouse et
Wells (1997). Enfin, ils développent un modèle original mettant en parallèle percep-
tions managériales de la RSE et performance organisationnelle.
Enfin, cette deuxième partie s’achève sur le chapitre de Denyse RÉMILLARD inti-
tulé « La gouvernance d’entreprise et le développement durable ». L’auteure expli-
que et illustre la façon dont se prennent les décisions et sont répartis les pouvoirs au
sein de l’entreprise. Elle présente les principales évolutions connues ces dernières
années par la gouvernance d’entreprise et expose ses principales articulations avec le
DD. Ce dixième chapitre est ponctué de nombreux exemples pratiques illustrant
l’évolution des règles et des attentes des fonds de pension notamment, lorsqu’il
s’agit de piloter une entreprise.

100
L’écologie industrielle :
Chapitre
promesses et limites
d’une approche pratique
7 du management durable
en entreprise

Christoph BEY

L e domaine de l’écologie industrielle est une discipline de recherche récente


qui a pour objet de rendre les systèmes économiques plus durables, en trans-
cendant l’entreprise individuelle, de sorte que la consommation des ressources
naturelles diminue au profit de la valorisation des déchets et des sous-produits grâce
à la mise en réseau de ces dernières.
Ayant conscience que la manière actuelle de produire et de consommer, associée à
une croissance démographique galopante, soit en conflit avec le système naturel
environnant de la biosphère, les écologistes industriels s’attachent à étudier la nature
de la vie et la façon dont elle s’est développée depuis les origines. L’idée centrale de
l’écologie industrielle réside dans l’adaptation des processus humains socio-écono-
miques, en particulier la production industrielle, aux contraintes naturelles, que ce
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

soit au niveau mondial, local ou régional. Dans cette optique, l’écologie industrielle
effectue un important virage par rapport à la libération des sociétés humaines des
contraintes naturelles (que l’on peut considérer comme sous-tendant tous les déve-
loppements technologiques depuis le paléolithique). En « apprenant de la nature »,
l’écologie industrielle tente de renverser l’isolation croissante de l’humanité de la
base de ses ressources (y compris de la capacité d’assimilation des déchets de la
biosphère).
La relation linéaire entre exploitation des matières premières, processus de
production et création de déchets deviendrait ainsi systématique, et devrait faire
partie d’une véritable économie circulaire. Par conséquent, la croissance du PIB (un
but qui fait encore partie des objectifs économiques) serait beaucoup moins liée à
l’utilisation des ressources naturelles (largement finies). Quelques écologistes indus-
101
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

triels sont convaincus qu’un tel système économique « dématérialisé » devrait se


concentrer sur la production de services (cf. Stahel, 1994). Pour ses besoins énergé-
tiques enfin, ce système s’appuierait largement sur l’énergie solaire, comme les
écologistes industriels l’ont constaté pour les systèmes naturels.
Il n’est plus à nier que le concept de l’écologie industrielle est devenu une force
motrice pour l’industrie, démontré par le succès des initiatives comme le NISP
(National Industrial Symbiosis Program) au Royaume-Uni. On peut entrevoir la
raison de cette percée dans de nouvelles possibilités qui offrent aux entreprises de
dégager de réelles perspectives de création de valeur ajoutée, une fois les déchets et
sous-produits sans valeur devenus des ressources précieuses, si les systèmes de
production, de distribution et de consommation y sont adaptés. Le fait que la protec-
tion de l’environnement n’irait plus à l’encontre de l’objectif principal des entrepri-
ses – dégager des bénéfices – fait tout le charme de l’écologie industrielle : les
dirigeants d’entreprise qui se battent contre l’introduction de lois et de certifications
strictes (à cause de la perception de coûts potentiels) sont désormais devenus des
adeptes de l’écologie industrielle.
Le concept même de l’écologie industrielle s’est développé depuis sa démocratisa-
tion à la fin des années 1980. On constate toujours la volonté « d’apprendre de la
nature » et de traduire le fonctionnement des systèmes naturels, perçus comme
circulaires, dans notre système socio-économique. Ainsi, l’idée d’une « traduction »
ou d’un « copiage » de la nature différencie l’écologie industrielle d’autres appro-
ches. Pour autant, comme nous le développerons dans ce chapitre, il n’est pas si
évident que l’écologie industrielle puisse contribuer aux impératifs d’un développe-
ment durable : en d’autres termes, la conversion des relations linéaires entre utilisa-
tion des ressources et production de déchets aboutit-elle réellement à une réduction
absolue de l’impact productif sur la biosphère ou simplement à une réduction rela-
tive (par unité de production) potentiellement surcompensée par une croissance
absolue des niveaux de production des biens et services ?

Section 1 ■ Les concepts de base de l’écologie industrielle


Section 2 ■ Développements et applications
Section 3 ■ Les limites d’un système économique basé sur la dissipation

Section LES CONCEPTS DE BASE DE L’ÉCOLOGIE


1 INDUSTRIELLE

Les trois concepts fondamentaux en écologie industrielle – le métabolisme indus-


triel, les relations analogiques entre les systèmes naturels et socio-économiques et,
enfin, la symbiose industrielle – existaient bien avant que la discipline ne soit cons-

102
L’écologie industrielle : promesses et limites

tituée. Or, une des raisons qui nous pousse à les analyser plus en détail, c’est que
l’écologie industrielle a trop rapidement incorporé ces concepts, qui sont devenus le
cœur même de la discipline.
Nous expliquerons ci-dessous comment ces idées sont utilisées pour améliorer à la
fois la compréhension de l’écologie industrielle en tant que discipline scientifique, et
le processus de prise de décision dans la restructuration de l’industrie. L’écologie
industrielle veut en effet s’octroyer un rôle non seulement descriptif mais également
normatif. Ceci la démarque d’autres concepts, comme la prévention et le contrôle de
la pollution ; l’écologie industrielle tente premièrement de fournir un cadre de
travail pour l’analyse, un langage qui permet la compréhension des systèmes indus-
triels, deuxièmement de se donner un objectif à atteindre, et troisièmement de dispo-
ser des instruments nécessaires à la prise de décision pour atteindre cet objectif.

1 Le métabolisme industriel

Ce terme a été créé et disséminé par Robert Ayres, un ingénieur de formation


devenu professeur de management de l’environnement. Le terme en soi est antérieur
à la discipline de l’écologie industrielle, mais, depuis les débuts de cette discipline
en 1989, il a été directement associé et incorporé en tant que thème de recherche
cohérent par rapport à l’objectif global du domaine – comme discuté dans Ayres et
Ayres (1996).
R. Ayres définit le métabolisme industriel comme « l’ensemble des processus
physiques qui transforment les matières premières et l’énergie, plus le travail, en
produits finis et en déchets » (Ayres, 1994). Il est important de remarquer que, selon
cette définition, l’activité métabolique de l’industrie et donc l’analyse de celle-ci
s’arrête au niveau du produit fini – selon une perspective « du berceau à la tombe »
que nous étudierons plus en détail ci-dessous dans le contexte de la métaphore de
l’écosystème.
Le concept de métabolisme industriel tire sa valeur de l’idée de gaspillage dans les
systèmes : comme tous les systèmes complexes qui se sont auto-constitués (cf.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Nicholis et Prigogine, 1977), les systèmes naturels et industriels gaspillent de la


matière et de l’énergie par dégradation, dispersion et perte au cours de leur utilisa-
tion. Comprendre la théorie qui sous-tend les systèmes auto-constitués permet
d’apprendre du domaine des systèmes naturels et d’en utiliser des concepts et outils
pour le domaine des systèmes organisés par l’homme.
La recherche en métabolisme industriel dans le cadre de l’écologie industrielle
comprend l’étude des mouvements des matières et de l’énergie dans l’ensemble du
système industriel (essentiellement à travers les analyses du bilan matière et de
l’input-output).
L’activité métabolique est normalement associée aux organismes biologiques qui
survivent grâce à un apport nutritif stable. Ces organismes assimilent une part de cet

103
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

apport nutritif en masse corporelle, et en utilisent en partie l’énergie, pour finale-


ment secréter des déchets sous forme solide, liquide ou gazeuse. Le fait de comparer
les métabolismes des organismes biologiques aux activités des systèmes industriels
consiste à utiliser le concept de métaphore. Anderberg (1998) utilise le concept du
métabolisme industriel pour décrire les mouvements de matières dans le bassin
rhénan entre les années 1970 et 1988, où il a identifié que les émissions de pollution
provenant originellement des sources d’extraction s’étaient déplacées vers les lieux
de consommation. En commentant sa propre analyse, Anderberg suggère qu’il
faudrait développer davantage le concept de métabolisme industriel, car celui-ci ne
prend en compte ni les aspects spatiotemporels des flux des matières ni les aspects
sociaux et humains qui y sont liés (Anderberg, 1998). Et pourtant, Anderberg main-
tient que le concept de métabolisme industriel est incapable de fournir une analyse
complète qui aurait pour but de réduire l’ensemble des impacts sur l’environnement,
notamment les impacts qui résultent de la consommation et du commerce. À notre
connaissance, il est le seul chercheur qui a pleinement conscience du besoin de
transcender le point de vue dominant de l’ingénieur actuel, relativement à la recher-
che en écologie industrielle.

2 « L’analogie des écosystèmes » naturels ou biologiques1

Alors que le métabolisme industriel, avant qu’il ne soit étroitement associé à


l’écologie industrielle, envisageait une simple observation et une évaluation des flux
de matières et d’énergie à travers la totalité d’un système industriel, l’idée maîtresse
de « l’analogie de l’écosystème » englobe non seulement une métaphore mais aussi
un objectif, celui d’aboutir à un développement humain qui se conforme à un déve-
loppement durable. Cela donne à ce concept des qualités normatives prescrivant un
objectif à atteindre plutôt que d’être seulement la description d’un état présent,
comme c’est le cas dans le métabolisme industriel.
C’est la juxtaposition des systèmes élaborés par l’homme aux systèmes naturels
qui constitue aux yeux des divers universitaires et dirigeants l’intérêt de l’écologie
industrielle. Ceux-ci sont issus de milieux aussi variés que l’ingénierie, l’écologie, le
monde des affaires et la physique, ce qui a poussé Ehrenfeld (1997) à évoquer
encore un « changement de paradigme ».

1. L’utilisation des termes « métaphore » et « analogie » par les écologistes industriels reste
incohérente : le travail de recherche et d’application de l’écologie industrielle gagnerait beaucoup à
adopter une claire définition claire de ces termes. Cela permettrait aussi de distinguer entre méta-
phore et analogie et de mettre en valeur les usages corrects et incorrects qui en sont faits. C’est pour-
quoi le terme « analogie » est mis ici entre guillemets pour souligner le besoin d’une définition
appropriée.
104
L’écologie industrielle : promesses et limites

Cette comparaison de systèmes naturels et socio-économiques sert de justification


pour reprendre l’ensemble des concepts de l’écologie, comme la biodiversité, et de
tenter de les transposer dans l’organisation industrielle (Côté, 2000). Allenby et
Cooper (1994) ont précédemment tenté une transposition plus complète ; selon la
thèse des deux auteurs, la compréhension des dynamiques de l’écosystème naturel et
leurs transpositions pourraient stimuler le développement écologique de l’industrie.
Leurs transpositions sont basées sur le travail effectué par Odum (1969). 1
« L’analogie des écosystèmes » naturels ou biologiques se situe au cœur de la
discipline dans la mesure où pratiquement toutes les publications concernées par
l’écologie industrielle y font référence. Pour cette raison, l’analyse de « l’analogie »
permettra de savoir si elle a guidé et modelé les applications en écologie industrielle.
Ayres et Ayres (1996) décrivent le terme « écologie industrielle » comme étant :
« (…) un néologisme destiné à attirer l’attention sur une analogie biologique : le fait
qu’un écosystème tend à recycler les éléments nutritifs essentiels, en utilisant seule-
ment l’énergie solaire pour faire “fonctionner” le système (…). Dans un écosystème
“parfait”, le seul input est l’énergie solaire. Toutes les autres matières sont recyclées
de façon biologique, c’est-à-dire que les déchets produits par chaque espèce devien-
nent la “nourriture” d’autres espèces. » 2
Élargissant l’idée des systèmes biologiques telle qu’exposée par Frosch et Gallo-
poulos (1989), Graedel dans Socolow et al. (1994) analyse trois états dans un
système écologique, du « type I » au « type III ». Les systèmes de « type I » sont
caractérisés par un flux linéaire principal de matières et d’énergie (éléments nutritifs,
biomasse et énergie chimique corporelle) qui dépensent des ressources locales et
l’énergie et créent comme produits finaux des déchets. Les systèmes de « type II »
déploient un flux plus cyclique que linéaire dans les échanges de matières et
d’énergie ; le système repose largement sur l’énergie solaire reçue. Enfin, le système
de « type III » transforme toutes les matières de façon cyclique et repose complète-
ment sur l’apport constant de l’énergie solaire.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

1. “Exhibit 1” dans Allenby et Cooper (1994) est tiré de E. Odum (1969), sans cependant qu’il soit fait
explicitement référence à l’auteur ou à sa publication.
2. Traduction des auteurs.
105
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Développement du type I au type III (Graedel 1994) : du flux linéaire des matières dans les
systèmes de type I (a), en passant par le flux quasi-circulaire des systèmes de type II (b) pour
arriver au véritable flux circulaire dans les systèmes écologiques de type III.

Figure 7.1 — Les trois états supposés des systèmes écologiques

Selon Graedel, au cours de l’évolution sur terre, les écosystèmes sont passés de
l’état de type I à l’état de type III, au fur et à mesure que la terre était colonisée par
106
L’écologie industrielle : promesses et limites

des êtres vivants qui ont ultérieurement fondé des systèmes biologiques interdépen-
dants. Graedel affirme que « l’utilisation anthropogénique idéale des matières et des
ressources disponibles pour les procédés industriels (…) serait celle qui est identi-
que au modèle biologique dans son ensemble » 1, ce dernier résumé dans le système
écologique de type III, dans lequel la totalité du flux des ressources se fait de
manière entièrement cyclique. La description du système économique et sa transi-
tion voulue vers un système durable tel qu’il est développé par Graedel justifie à nos
yeux une analyse fine du sujet. Le concept de Graedel fournit une description
succincte de l’objectif que cherche à atteindre l’écologie industrielle : l’état de
type III appliqué aux systèmes économiques.
Alors que le métabolisme industriel ne s’intéresse qu’à analyser et mesurer les flux
des matières et de l’énergie à travers le système industriel, « l’analogie des
écosystèmes » naturels ou biologiques prend le système économique global à son
niveau systémique et considère qu’il devrait être restructuré avec l’aide de l’écologie
industrielle (Graedel, 1994). À cet égard, il est important de mieux comprendre les
systèmes analysés par l’écologie industrielle, et de distinguer d’une part le système
industriel, qui englobe l’extraction des ressources, la fabrication et l’approvisionne-
ment du marché en produits et services et, d’autre part, le système économique
global. Le système industriel doit être compris comme un sous-système de l’écono-
mie globale.
Une part importante de notre analyse consiste à argumenter sur le fait que la
restructuration du seul système industriel dans le dessein d’une meilleure perfor-
mance environnementale, même en suivant les préceptes de l’écologie industrielle,
ne permet pas forcément d’obtenir un système économique globalement « durable »,
c’est-à-dire un système conforme au système écologique de type III défini par Grae-
del.
Les spécialistes travaillant dans le domaine de l’écologie industrielle sont notoire-
ment imprécis lorsqu’ils mettent en lumière le système observé : il n’existe aucun
consensus sur le système précis – économique ou industriel – qui doit être étudié par
l’écologie industrielle. Frosch et Gallopoulos (1989), qui sont à l’origine du déve-
loppement de la discipline, analysaient un système de fabrication dont l’impact sur
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

l’environnement était très réduit après sa restructuration, montrant certaines caracté-


ristiques de l’écosystème. Parfois, les deux termes, système industriel et système
économique, sont indifféremment utilisés (Tibbs, 1993 ; Socolow, 1994), alors
qu’ils ne sont absolument pas synonymes. Seul Erkman (1997) parle de système
industriel tout au long de la revue de la discipline, même quand il analyse des publi-
cations qui ont pour sujet le système économique. Graedel (1994) fait de même :
pour cet auteur, le système industriel couvre tous « les usages anthropogéniques des
matières et ressources disponibles (…) qui comprennent l’agriculture, les infrastruc-
tures urbaines, (etc.) » (Graedel, 1994).

1. Traduction des auteurs.


107
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Le champ particulier où cette distinction entre les deux systèmes se révèle impor-
tante est l’adoption de l’approche « du berceau à la tombe » (cradle-to-grave) du
métabolisme industriel, c’est-à-dire que l’on considère le flux des matières de
l’extraction à la fabrication. Un système économique qui montre les mêmes forces
dynamiques que le système biophysique, comme cela est envisagé par les écologis-
tes industriels, devrait adopter une attitude « du berceau au berceau », où le recy-
clage, la réutilisation et la remanufacture des biens utilisés sont pris en compte dès
leur (éco-)conception. Il s’agit alors d’un flux « bouclé » de matières qui ferait
uniquement appel à l’énergie solaire : ces caractéristiques devraient simplement
transcender le système industriel de production et de fabrication.
Dans cette perspective, l’équipe de recherche auteur du Belgium ecosystem
(Billen, Toussaint, Peeters, Sapir, Steenhout, Vanderborght, 1983) a donné une
bonne définition des objectifs de l’écologie industrielle : « Pour prendre en compte
l’activité industrielle dans le champ d’une analyse écologique, il faut s’interroger sur
les relations de cette usine avec les centres de production de matières premières
consommées, avec les circuits de distribution dont elle dépend pour l’écoulement de
ses produits, avec les consommateurs qui les utilisent (…) Il faut en somme définir
la société industrielle comme un écosystème formé par l’ensemble de ses moyens de
production, de ses circuits de distribution et de consommation (…). Une description
en termes de circulation de matières ou d’énergie donne en effet une vision des acti-
vités économiques dans leur réalité physique et montre comment la société gère ses
ressources matérielles. ».

3 La symbiose industrielle

Ce dernier terme qui caractérise l’écologie industrielle a été introduit non pas par
la recherche sur les systèmes biologiques, mais par une mise en application de
l’organisation industrielle. Cette application a été reconnue comme étant l’une des
plus réussies de l’écologie industrielle, bien qu’elle ait été initiée avant que la disci-
pline de l’écologie industrielle ne soit acceptée en tant que telle. C’est le système
d’échanges de déchets et sous-produits de Kalundborg, au Danemark. Le terme de
symbiose industrielle a été créé par Valdemar Christensen, un des principaux archi-
tectes du système de Kalundborg et responsable de production de la centrale électri-
que qui se trouve au cœur du programme d’échanges de déchets (Gertler, 1995)
D’après Christensen, la symbiose en industrie est : « La coopération entre différen-
tes industries par laquelle la présence de chacune (…) augmente la viabilité de l’une
ou des autres tout en permettant de répondre aux besoins de la société – économie
des ressources et protection de l’environnement » (Engberg, 1993).
Depuis les années 1960, le parc de Kalundborg s’est développé au fur et à mesure
autour d’une centrale électrique à charbon, qui commençait à donner ou à vendre ses
sous-produits de la production d’électricité à des partenaires régionaux, comme de
la vapeur à une raffinerie de pétrole et une entreprise de biotechnologie, ainsi qu’à la

108
L’écologie industrielle : promesses et limites

ville de Kalundborg en tant que moyen de chauffage. La raffinerie fournit de l’eau à


la centrale électrique, ce qui réduit les besoins en eau venant de la nappe phréatique.
La centrale, après avoir installé un filtre contre le soufre, fournit le sous-produit de
plâtre à une entreprise de construction.
La symbiose industrielle en est venue à décrire les relations individuelles entre les
acteurs économiques du parc industriel de Kalundborg, les échanges de matières et
d’énergie pour leurs bénéfices mutuels, en particulier l’utilisation des déchets géné-
rés continuellement et des ressources énergétiques. L’ensemble du parc industriel de
Kalundborg, qui est formé de relations symbiotiques individuelles, a été baptisé
« écosystème industriel » (voir la discussion ci-dessous). Gertler suppose que la
prolifération de la symbiose industrielle aurait sans doute pour résultat une efficacité
optimale du flux des matières et de l’énergie dans les processus industriels à grande
échelle (Gertler, 1995).

Section DÉVELOPPEMENTS ET APPLICATIONS


2
Tibbs (1993) a fourni un premier éventail d’applications individuelles en écologie
industrielle lorsqu’il a défini les six domaines déjà mentionnés ci-dessus – la créa-
tion d’écosystèmes industriels, l’équilibre entre les inputs et les outputs en fonction
de la capacité naturelle de l’écosystème, la réduction physique des déchets indus-
triels, l’amélioration des voies d’utilisations des matériaux et des processus indus-
triels, la création de modèles de systèmes d’utilisation de l’énergie, et un alignement
des politiques dans une perspective à long terme de l’évolution du système indus-
triel.
Les instruments mentionnés par Tibbs et par Wernick et Ausubel (1997) englobent
l’analyse du flux des matières, l’analyse du cycle de vie, la dématérialisation des
processus industriels pour tendre vers une économie de services et de l’écoconcep-
tion, et enfin la conception d’écosystèmes industriels qui incorporent tous ces autres
concepts.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Tibbs souligne que le travail de l’écologie industrielle est d’abord et avant tout
concerné par l’étude précise de modèles dans les écosystèmes industriels, réels et
programmés.
Dans la lignée d’Erkman (1997), les pistes de travail mentionnées ci-dessus,
actuellement en cours de développement, pourraient être regroupées en deux princi-
pales trajectoires : d’un côté, l’analyse et la dématérialisation d’une économie
entière et une restructuration locale en parcs éco-industriels de l’autre.

109
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

1 Dématérialisation-décarbonisation et l’économie de services :


la perspective d’un système économique entier

L’analyse du système global observé (que ce soit le système industriel ou le


système économique global) tente de cerner les possibles moyens de réduire l’usage
des matières et de l’énergie par unité d’output, et également ce que l’on définit, en
termes absolus, comme la dématérialisation. Les instruments à disposition pour
mener à bien cette analyse comprennent l’analyse du flux des matières, l’analyse de
la durée de vie et les instruments d’études appartenant à ces types d’analyse (van
Berkel, Willems, Lafleur, 1997 ; van Berkel et Lafleur, 1997). Wernick et Ausubel
(1995) analysent une relation entre la consommation et l’élimination des matières, et
les mesures monétaires. Ruth et Dell’Anno (1997) étudient le cas de l’industrie du
verre aux États-Unis, et Ruth (1998) étudie le cas de l’industrie du métal toujours
aux États-Unis sous forme d’une comptabilité des flux matériels (Material Flow
Accounting).
En général, la décarbonisation est un type particulier de dématérialisation qui a
pour objectif spécifique la réduction des émissions de CO2 au niveau global, en
tentant de couper la relation qui existe entre l’output économique (probablement en
valeur, tel qu’il est mesuré en PIB) et l’émission de CO2. Erkman (1997) conjecture
que la mesure du flux total de matières et d’énergie dans l’économie se base large-
ment sur l’évolution technologique, ce qui laisse supposer que c’est le système de
production économique qui est le point de mire en écologie industrielle (Dobers et
Wolff, 1999). En fin de compte, l’obtention d’une dématérialisation et d’une décar-
bonisation à large échelle conduirait à une restructuration de l’activité industrielle
vers une « économie de services » (Stahel 1994). Dans cette perspective, les produits
de consommation seront intégrés dans des PSS, des Product-Service Systems (des
« systèmes intégrés de produits et de services »), qui donnent une vue globale de
l’utilité et de l’impact environnemental des produits lors de leur usage.

2 Des parcs éco-industriels aux « îlots de développement


durable »

Dans le domaine de l’écologie industrielle, les travaux concernant ces champs de


recherche sont les plus proéminents, quand on sait que les parcs éco-industriels sont
considérés comme les vedettes de la discipline. La recherche et les applications se
concentrent sur les zones industrielles, rééquipant ou concevant à nouveau des
processus industriels basés sur des échanges de déchets et de rejets. Ces parcs éco-
industriels sont aussi connus en tant qu’écosystèmes industriels, dans lesquels le
comportement de chaque entreprise participante est censé ressembler aux comporte-
ments des individus dans un écosystème biologique ou naturel.

110
L’écologie industrielle : promesses et limites

Quelques douzaines de parcs industriels sont en cours d’étude pour les possibilités
qu’ils offrent en matière d’échanges de déchets (Brullot, 2009). Ils sont pour la
plupart situés en Amérique du Nord, bien que certains se trouvent aussi en Europe
ou éparpillés partout dans le monde. Le site industriel de Kalundborg a fourni un
modèle pour la restructuration d’autres parcs. Comme décrit ci-dessus, les entrepri-
ses y ont organisé depuis longtemps des réseaux d’échanges de déchets et de sous-
produits, afin de créer un système au cœur duquel se trouve une centrale électrique
qui tire son énergie de la combustion du charbon. Ce système va jusqu’à doubler
l’efficacité des ressources et de l’énergie – en particulier pour la production d’élec-
tricité et le chauffage domestique (Gertler, 1995).
Ces études et ces tentatives pour mettre en application l’écologie industrielle
peuvent être élargies, au-delà des seuls parcs industriels, à des régions entières, les
soi-disant « îlots de développement durable » (Wallner et al., 1996 ; Erkman, 1997),
dont la région de Styria, en Autriche, semble pouvoir être un jour le premier exemple
(Wallner et al., 1996). En d’autres termes, une région durable saurait réduire les
entrées et les sorties des flux de matériaux et d’énergie grâce à une valorisation opti-
male des flux internes – de toutes les interconnexions internes entre unités de
production de biens et services.

Section LES LIMITES D’UN SYSTÈME ÉCONOMIQUE BASÉ SUR


3 LA DISSIPATION

L’analyse des deux parties d’un système économique – les parcs éco-industriels et
les analyses du métabolisme industriel d’un pays ou d’une région – et la comparai-
son avec des écosystèmes naturels se font sur une question implicite : le choix par
l’écologie industrielle d’analyser uniquement les systèmes industriels, c’est-à-dire
exclusivement le côté de la production (l’offre), est-il adapté pour poursuivre un
développement durable des systèmes socio-économiques entiers qui comprennent
aussi le côté de la demande ? Ruth (2006) s’inquiète du fait que les impacts environ-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

nementaux de la demande ne soient pas pris en compte – une erreur capitale, car une
augmentation absolue de la consommation surcompensera une diminution relative
des impacts environnementaux par unité produite. Par conséquent, la recherche en
écologie industrielle serait obligée de s’occuper aussi du rôle de la création et de la
satisfaction des besoins des consommateurs.
D’ailleurs, il semble impossible d’imaginer des flux matériaux vraiment circulai-
res dans des « écosystèmes industriels », si les déchets et sous-produits échangés ne
sont pas utilisés qu’à un niveau énergétique inférieur. Le contenu énergétique de ces
produits diminue à chaque étape d’utilisation – le cercle envisagé est plutôt une
cascade qui amène à une phase finale de déchet qui sera rejeté. Au fond, les pseudo-
cercles ne sont autres choses qu’un flux linéaire un peu plus efficace, qui transforme
des ressources naturelles de contenu énergétique important à travers plusieurs

111
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

processus d’utilisation en déchets de contenu énergétique faible. Un système circu-


laire qui mériterait ce nom serait celui qui recyclerait de la négentropie (O’Rourke et
al., 1996), c’est-à-dire qui restituerait aux déchets, lors de la phase de recyclage,
autant de leur contenu énergétique que nécessaire afin qu’ils redeviennent des
ressources de valeur et puissent être utilisés dans le processus de production
d’origine. Par exemple, une voiture devrait pouvoir être recyclée en nouvelle
voiture, et le plastique d’une bouteille PET ne serait plus utilisé comme matériau
pour la construction de routes, mais bel et bien pour fabriquer de nouvelles
bouteilles. C’est la raison pour laquelle O’Rourke et al. (1996) critiquent la focalisa-
tion trop exclusive, et à tort, de l’écologie industrielle sur la matière, où c’est le
contenu en énergie des matériaux qui est d’importance primordiale pour l’évaluation
des flux de matières dans l’écologie industrielle.
Un autre défi à relever pour les écologistes industriels travaillant sur la création des
systèmes de production durables est le rôle du commerce international et de la
mondialisation par rapport au bilan environnemental des biens et des services. La
mondialisation incessante des flux de matériaux est liée à une délocalisation de la
production, des sources d’approvisionnement et aboutit donc à une exportation de
pollution. Si aujourd’hui la Chine a doublé les États-Unis en émissions de CO2 –
depuis novembre 2008 – c’est parce qu’une grande partie des biens fabriqués est
destinée aux consommateurs occidentaux – le niveau toujours plus élevé de consom-
mation des pays industrialisés engendre une croissance du niveau de pollution en
dehors de leur territoire. La mondialisation contribue à ouvrir davantage un système
économique, au lieu d’encourager la création de structures circulaires. L’augmenta-
tion de la distance géographique entre les étapes de la production, de la vente et de
l’utilisation des biens rend beaucoup plus difficile l’établissement de relations étroi-
tes (feedback), sans lesquelles les systèmes de recyclage, comme l’écologie indus-
trielle les prône, ne peuvent fonctionner. Ensuite, l’écologie industrielle doit inclure
les coûts écologiques du transport international dans les bilans de matière et d’éner-
gie, afin de décrire correctement des systèmes de production et de distribution
modernes. Pour s’en convaincre, prenons l’exemple malheureusement célèbre du
discours de Watanabe et Zhu (1999) qui affirmaient qu’au Japon, la production
d’aluminium serait devenue beaucoup plus respectueuse de l’environnement ces
dernières années alors que la seule raison objective validant ces dires réside dans la
délocalisation des sites de production de ce pays. Après la fermeture au Japon de la
dernière usine d’aluminium, l’exploitation de la bauxite et son raffinage, deux
processus qui nécessitent l’emploi de beaucoup d’énergie, ne figurent plus dans
l’analyse japonaise des flux de matériaux et de l’énergie. Le Japon, sur ce point, ne
fait qu’importer l’aluminium « sale », ce qui équivaut à une délocalisation de la
pollution en dehors de son territoire. De fait, il apparaît que l’écologie industrielle
aurait besoin de résister à la tentation de décrire des systèmes économiques parfois
de manière tellement simpliste, afin de ne pas être la cause de non-sens pour un
développement durable.

112
L’écologie industrielle : promesses et limites

De nombreux bio-économistes comme Nicholas Georgescu-Roegen, Robert Ayres


et Matthias Ruth avancent l’argument selon lequel la plupart des étapes du système
économique global se comporte de manière dissipative. Selon ces auteurs, ce n’est
pas l’échange des biens et des services contre paiement qui caractérise les relations
économiques au niveau mondial, mais plutôt la dissipation de l’énergie, issue princi-
palement de sources non renouvelables, et des matériaux. La plupart des matières
premières commencent leur chemin à travers le système économique en tant que
ressources minérales récupérées de l’écorce terrestre, demeurent pendant un bref
moment dans le système économique et finissent comme déchets dispersés dans le
sol, l’eau et l’air partout sur le globe. Georgescu-Roegen (1971) pensait que la
matière serait dispersée de manière irréversible. Cette hypothèse est pourtant encore
critiquée. Malgré ces doutes, les processus de dissipation de matière ne peuvent être
neutralisés que si l’on utilise des quantités d’énergie très élevées (cf. Ayres 1998).
Selon l’approche thermodynamique, une réduction de la dissipation actuelle ne
pourrait être effectuée que si le montant des flux des ressources et de l’énergie, et
aussi la vitesse de ces flux baissaient considérablement. Ceci n’est possible que par
une réduction de l’activité économique, une « croissance négative », une idée encore
très critiquée. Malgré tout, cette notion fait son chemin et commence à interpeller les
sphères politiques les plus influentes : le rapport Stern – commissionné par le
gouvernement britannique et publié en octobre 2006 – stipule la limitation et même
la réduction du niveau de quelques activités économiques comme étant le seul
moyen pour éviter la menace du cercle vicieux du changement climatique.

Conclusion
L’écologie industrielle est une nouvelle approche importante pour atteindre le but d’une
économie durable, une approche qui dépasse la vision étroite d’une entreprise individuelle,
malgré ses faiblesses conceptuelles, ses imprécisions théoriques et des erreurs dans sa
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

mise en place. Le potentiel d’augmentation de l’efficacité de l’utilisation des matériaux


semble être plus important dans les réseaux éco-industriels qu’au sein d’une entreprise
individuelle. Les parcs éco-industriels peuvent ajouter l’efficacité financière à l’efficacité
écologique dans l’utilisation des ressources en réseau. Nous nous attendons donc à une
utilisation beaucoup plus répandue de ces concepts et outils qui pourraient donner lieu à un
cheminement intéressant pour l’organisation industrielle.
Une réduction de la pollution, de la dissipation de matière et de l’émission des gaz à effet
de serre, demandée par les climatologues, pourrait être obtenue partiellement par une
augmentation de l’efficacité de l’énergie dans la production, le transport, etc. Cette
augmentation de l’efficacité va pourtant atteindre un plafond relativement aux infrastruc-
tures déjà installées, énergétiquement peu efficaces et, malheureusement dotées de longue
durée de vie.


113
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

La nouvelle génération des infrastructures éco-industrielles devra tenir compte de ces
observations : notamment celles sur la durée de vie des équipements et les risques techno-
logiques liés à l’interdépendance des systèmes d’infrastructure (hard wiring). Cette
dernière remarque fait déjà l’objet d’études à Kalundborg au Danemark. En effet, au centre
de cet écoparc se trouve une centrale électrique à charbon, qui fournit à toutes les autres
entreprises des déchets et des sous-produits nécessaires à leur propre activité. Cette
centrale ne sera pas facile à remplacer par un autre moyen de production beaucoup plus
propre du fait de l’interdépendance des entreprises présentes sur cet écoparc. De fait, il
apparaît de manière prioritaire, à l’avenir, de tenir compte de cette expérience et donc de
savoir anticiper les évolutions technologiques.
Pour les chercheurs et les gérants d’entreprise intéressés par l’écologie industrielle, la
conséquence à tirer des erreurs précédentes réside dans la nécessité de faire prévaloir le
principe de précaution (Jonas, 1990), cher au développement durable, afin que les consé-
quences du développement technologique et économique soient beaucoup mieux appré-
hendées. Pour les prochains systèmes éco-industriels, cela veut dire que ces derniers
doivent être conçus de telle manière qu’il soit possible de les démanteler en cas de problè-
mes écologiques majeurs. Le hard wiring de nos systèmes actuels, principalement lié à la
longévité des installations, est le plus gros obstacle actuel pour un développement durable.
Heureusement, de nombreux contre-exemples existent. Prenons le cas des éoliennes pour
lesquelles les pylônes ont été conçus de telle manière qu’ils soient facilement démontables
(en termes de coût et de possibilité de recyclage) en cas d’analyse négative de leur bilan
écologique.
Au début de ce chapitre nous nous sommes interrogés sur les raisons qui font que l’écolo-
gie industrielle contribue à un développement durable. Trop souvent, on entend de la part
des écologistes industriels, que cela va de soi puisque l’écologie industrielle prône un
management basé sur des modèles proposés par la nature.
Au contraire, il semble que lorsqu’on évalue les applications de l’écologie industrielle sur
la base d’analyses d’impacts environnementaux globaux (empreinte écologique ou analy-
ses similaires), prenant en compte également les effets des délocalisations, les résultats ne
soient pas aussi évidents.
De même, il semble que l’écologie industrielle doive accepter que tout système économi-
que est cause de dissipation (de la matière et de l’énergie non renouvelable), et que la
croissance économique (PIB) ne puisse pas se poursuivre sans qu’elle soit liée à une crois-
sance de la dégradation environnementale et de l’exploitation des ressources naturelles.
Jusqu’alors, l’écologie industrielle s’est focalisée sur la meilleure part du gâteau, à savoir
les cycles des métaux ou la production d’électricité et de chauffage urbain. À cet égard, il
semble qu’en cédant à la généralisation de quelques cas isolés (à intérêt et utilité spécifi-
ques) l’écologie industrielle ait pris le risque d’être contredite en ce qui concerne son apti-
tude à proposer un système économique durable.
Dans tous les cas, il semble que le point faible de l’écologie industrielle réside dans son
absence de prise en compte des composantes sociales, du respect d’un accès juste à des
ressources naturelles, pour notre génération et toutes les générations à venir : idées fonda-
trices du développement durable.

114
Chapitre
Les stratégies de
développement
8 durable

Annelise MATHIEU
Richard SOPARNOT

S i la nécessité de prendre en compte les attentes écologiques et sociales dans le


management stratégique des entreprises a été amplement démontrée et est
entérinée par plusieurs travaux de recherche (Reynaud et Rollet, 2001 ;
Donaldson et Preston, 1995 ; Hart, 1995), on observe une hétérogénéité certaine
dans les choix qui s’offrent à l’entreprise en matière de mise en œuvre concrète
d’une stratégie de développement durable (Rugman et Verbeke, 1998 ; Carroll,
1979). Dans la réalité, on constate l’absence de réponse, qui se caractérise par un
comportement dit de défiance, c’est-à-dire le refus de reconnaître sa responsabilité
sociétale, l’indifférence et l’anticipation des demandes de l’environnement (Sharma
et Vredenburg, 1998 ; Azzone et Bertelè, 1994).
Ainsi, il existe de nombreuses typologies des réponses stratégiques de l’entreprise
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

en matière de développement durable (Boiral, 2005 ; Capron et Quairel-Lanoizelée,


2004 ; Martinet et Reynaud, 2004 ; Hart, 1995 ; Carroll, 1979). Si les plus classiques
d’entre elles (Martinet et Reynaud, 2004 ; Bensédrine, 2001 ; Hart, 1995 ; Carroll,
1979) mettent en avant l’existence d’un continuum sur lequel oscille une variété de
comportements stratégiques en matière de développement durable, d’autres cher-
chent à caractériser une dimension spécifique.
Dans ce chapitre, nous présentons donc dans un premier temps les typologies clas-
siques avant d’analyser chaque posture de façon plus précise.

115
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Section 1 ■ Les typologies traditionnelles des stratégies


de développement durable
Section 2 ■ Une faible intégration stratégique des variables DD au sein
de l’entreprise : entre attentisme et attitude adaptative
Section 3 ■ L’intégration stratégique du Développement durable
dans l’entreprise : l’attitude proactive

Section LES TYPOLOGIES TRADITIONNELLES DES STRATÉGIES


1 DE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Le positionnement stratégique de l’entreprise relève d’une réflexion ontologique


traduisant la volonté de l’entreprise de réfléchir sur ses propres nature, mission et
raison d’être, et exprime sa volonté de définir son identité (Capron et Quairel-Lanoi-
zelée, 2004). Quelle est en effet sa raison d’être ? Comment conçoit-elle sa place et
son rôle dans la société ? Dans la littérature, deux conceptions polaires dominent
(Rugman et Verbeke, 1998 ; Martinet et Reynaud, 2004). La première, dite utilita-
riste, assimile la durabilité à la pérennité financière. L’entreprise « financière »
n’accorde aucune importance aux externalités négatives, son objectif se réduisant à la
seule maximisation du profit pour l’actionnaire (Freeman, 1984). De fait, elle
n’octroie aucune importance à ses responsabilités vis-à-vis des autres parties prenan-
tes. Ainsi, l’enjeu de la réflexion est ici de cerner les actes pour lesquels les consé-
quences satisferont à cet impératif économique. Inscrire le développement durable
dans de telles considérations revient à considérer que la firme ne se préoccupera de ses
responsabilités sociales et environnementales dans la seule et unique situation où cette
prise en compte sera source d’utilité. La seconde, qualifiée de déontologique, conçoit
l’existence de la responsabilité morale des entreprises à l’égard de la société
(Sharma, 2001). Selon cette conception, « l’entreprise a, par nature, un statut
d’agent moral, capable de distinguer le bien du mal, donc ayant le devoir moral
d’agir de façon globale responsable » (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2004). Pour
l’entreprise durable (Schrivastava et Hart, 1996 ; Sharma, 2001), la création de
valeur financière est interdépendante de sa responsabilité sociale et écologique.
L’enjeu réside alors dans la capacité de l’entreprise à « endogénéiser » des paramè-
tres qui pourraient paraître, a priori, exogènes.
C’est sur cette tension que Martinet (1984), préfigurant d’ailleurs les développe-
ments les plus récents sur le sujet, dresse une typologie des réponses stratégiques de
la part des entreprises. Selon l’auteur, trois comportements stratégiques sont identi-
fiables en matière de développement durable : l’internalisation partielle ou totale des
coûts sociaux de façon anticipée ou réactive, l’inaction et l’attente et, pour finir, la
diversion ou le refus de prendre en compte ses responsabilités.
Cette typologie rejoint celle développée par Capron et Quairel-Lanoizelée (2004)
pour qui l’analyse des comportements socialement responsables met en avant l’exis-
116
Les stratégies de développement durable

tence de deux types de stratégies en matière de responsabilité sociale de l’entreprise


(désormais RSE) :
– la première, dite substantielle, se rencontre lorsque l’on observe une conforma-
tion effective des politiques et choix stratégiques, des processus et de l’organisa-
tion des activités de l’entreprise aux valeurs de la société. En d’autres termes,
l’entreprise qui observera ce type d’attitude pourra, le cas échéant, adapter ou
modifier tout ou partie de l’organisation en place si l’adéquation à la demande
sociétale le nécessite. On parlera alors de conciliation réactive, voire carrément
proactive des intérêts de l’entreprise avec ceux des parties prenantes ;
– la seconde, dite symbolique, s’assimile, d’après les auteurs, à un comportement
du type opportuniste de la part de l’organisation. L’idée développée ici est que,
loin de remettre en cause l’organisation en place, l’entreprise se doterait d’une
politique de RSE sans pour autant mettre en place un comportement socialement
responsable et des objectifs de long terme dans le domaine. Ce type d’attitude est
généralement mu par la recherche d’image et de notoriété visant à faire adhérer
les parties prenantes aux orientations de l’entreprise sans modification en profon-
deur de ses logiques sous-jacentes.

EDF obtient le prix Pinocchio du développement durable 2009


EDF, le premier producteur nucléaire mondial, affichant un chiffre d’affaires d’environ
64 milliards d’euros en 2008, revendique depuis quelques années un comportement responsa-
ble. Sa stratégie de développement durable vise, à réinventer le futur énergétique. Pourtant en
2009, une de ses campagnes a reçu le prix Pinocchio du développement durable 2009. Ce prix
offert par l’association Amis de la Terre « récompense » les entreprises utilisant le discours du
développement durable à des fins cosmétiques. Selon l’association, 7 500 internautes ont
choisi EDF comme pour sa campagne « Changer l’énergie ensemble », dont l’objectif était de
communiquer sur les efforts d’EDF pour « développer l’éco-efficacité énergétique et les éner-
gies renouvelables ».
Cette campagne, faisait appel à des témoignages de particuliers, de salariés et de personnalités
appréciées des Français. La réalité est moins flatteuse pour EDF. Dans son rapport de dévelop-
pement durable 2008, EDF affirme en effet que les « énergéticiens sont confrontés à la néces-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

sité de changer de modèle » pour répondre aux défis environnementaux, sociaux et


économiques de demain. Pour ce faire, le budget consacré par EDF à la recherche et au déve-
loppement (RD) en matière d’énergies renouvelables s’élevait en 2008 à 8,9 millions d’euros,
alors que le budget RD total d’EDF s’élevait à 421 millions d’euros : soit 2,1 % du budget total
alors que, selon le magazine Terra Éco, la campagne de publicité d’EDF « Changer d’énergie
ensemble » aurait coûté au total 10 millions d’euros…

Dans le prolongement, Hart (1995) identifie trois stratégies environnementales


distinctes. La première consiste à mettre en place une politique de prévention de la
pollution en cherchant à réduire les émissions polluantes générées par l’activité de
l’entreprise. Celle-ci concentrera alors l’essentiel de ses efforts sur la réduction des
pollutions émises. La seconde a pour objet la mise en place d’une politique de mana-
gement écoresponsable. L’entreprise cherchera alors à intégrer les critères environ-
117
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

nementaux dans sa stratégie industrielle en tentant de respecter les principes d’un


cycle de vie vert des produits (Martinet et Reynaud, 2004). Cela implique notam-
ment la prise en compte des parties prenantes dans le processus de conception des
produits. La troisième voie vise à mettre en place une stratégie de développement
durable par laquelle l’entreprise adopte une approche globale de long, voire très long
terme de réduction de ses externalités environnementales négatives.
Dans le prolongement, Perez (2005) propose une catégorisation qui permet de lier
l’approche par les référentiels et les valeurs organisationnelles avec la réponse des
entreprises aux problématiques de durabilité. D’après l’auteur, les comportements
stratégiques en matière de développement durable/RSE se différencient suivant leur
degré d’intégration à la stratégie globale. Deux catégories coexistent de ce point de
vue : la dissociation de la sphère business des activités sociales et l’intégration des
critères extra-financiers dans le système de management. Si la première permet de
gérer les problématiques extra-financières sans impacter directement les décisions
stratégiques, la seconde agit, quant à elle, par transformation du système de manage-
ment (Perez, 2005). Cette typologie est à rapprocher de celle de Martinet et Reynaud
(2004) ainsi que celle de Carroll (1979), considérées aujourd’hui comme les plus
englobantes dans le champ des sciences de gestion.
D’après Martinet et Reynaud (2004), deux logiques gestionnaires peuvent être
globalement observées. Si pour certains managers, le développement durable est
synonyme d’exigences contraignantes et coûteuses, pour d’autres, il s’assimile à une
politique socialement et écologiquement responsable, source d’opportunités et créa-
trice de valeur (Persais, 2002 ; Reynaud et Rollet, 2001). Tandis que certains adop-
tent une réponse adaptative aux contraintes sectorielles (pressions légales aux
niveaux national et local) leur permettant de s’aligner sur les exigences écologiques
et sociales, d’autres cherchent à devancer, voire dépasser le niveau des contraintes
dans une logique de choix discrétionnaire. Partant de ce constat, les auteurs identi-
fient les attitudes attentiste, adaptative et proactive. De même, Carroll (1979) recon-
naît l’existence de trois types de comportements en matière de respect de
l’environnement : l’écodéfensif qui privilégie les rendements économiques immé-
diats et considère les investissements environnementaux uniquement comme des
coûts ; l’écoconformiste qui se conforme aux exigences réglementaires sans aller
au-delà ; et enfin l’écosensible qui cherche à dépasser les exigences légales, la
donnée écologique étant considérée comme un élément clé de la pérennité de
l’entreprise.

Toyota crée le segment de la voiture verte


Toyota a misé très tôt sur le développement d’un véhicule peu polluant et peu gourmand. La
Prius est la première voiture de motorisation hybride à être produite en série. Ce véhicule
présente la caractéristique majeure de consommer jusqu’à 40 % d’essence en moins (par
rapport à un véhicule de même gabarit) et de rejeter moins de CO2 (104 g/km). D’abord lancée
au Japon en 1997, la Prius est vendue par la suite aux États-Unis et en Europe à partir de 2000.
Si les ventes de cette version sont restées modestes les premières années, elles se sont progres-

118
Les stratégies de développement durable
sivement développées notamment avec l’arrivée de la deuxième génération de la Prius. La
nouvelle version, plus performante, avec une ligne plus séduisante, des dimensions plus géné-
reuses et un tarif moins prohibitif, a connu un réel succès. Élue voiture de l’année par un jury
de 58 journalistes européens, loin devant la Citroën C4 et la Ford Focus, la Prius II est sans nul
doute la voiture qui offre le plus d’innovations techniques et surtout repose sur une technologie
résolument tournée vers l’avenir. La Prius II dispose ainsi d’un nouveau système hybride
développé selon le concept révolutionnaire baptisé Hybrid Synergie Drive.
L’année 2007 a marqué le dixième anniversaire du lancement de la première voiture hybride
de série ainsi que le leadership de Toyota sur le marché des voitures écologiques. Après avoir
vendu plus d’un million de véhicules hybrides dans le monde dont plus de 100 000 en Europe,
Toyota vise à présent des ventes annuelles d’un million dès 2010 dans le monde. Pour atteindre
de tels objectifs, Toyota propose aujourd’hui, via sa marque de luxe Lexus, différentes voitures
hybrides, du grand 4x4 routier (le R400 et le Highlander) à la limousine de grand luxe et enri-
chit la gamme de marque Toyota (notamment avec la Camry lancée en 2006). D’ici 2010,
l’ambition du groupe est d’équiper une quinzaine de modèles d’une motorisation hybride.
Enfin, la stratégie écologique de Toyota passe par le développement d’une voiture à pile à
combustible. Toyota prétend être très avancée sur ce modèle et prévoit sa commercialisation à
partir de 2010.
Source : extrait de E. Bonneveux, A. Rychalski et R. Soparnot,
« Les capacités et dilemmes de l’innovation : Toyota,
une longueur d’avance avec la Prius ? », La Revue des cas en gestion, n˚ 1, 2009.

Carroll (1999 et 1979) s’intéresse également, au-delà de la simple dimension envi-


ronnementale, au mode de réactivité sociale mis en œuvre dans le traitement de la
question sociétale. L’auteur définit à ce sujet quatre réponses possibles de l’entre-
prise aux attentes : réactive, défensive, d’accommodation et proactive. Ils peuvent
être placés sur un continuum allant de l’absence de réponse, aux approches incorpo-
rant des dimensions plus philanthropiques, telles que celles recommandées par le
référentiel durable. Ils oscillent entre une approche par la contrainte et une concep-
tion en termes d’opportunités offertes par l’intégration des intérêts externes (Azzone
et Bertelè, 1994). Les différences entre ces attitudes se mesurent à la nature des arbi-
trages opérés entre le social, l’écologique et l’économique.
Le croisement des typologies de Hart (1995), Perez (2005), Martinet et Reynaud
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

(2004) et Carroll (1979) permet de distinguer deux postures génériques. Elles sont
développées ci-après (cf. sections 2 et 3).

Section UNE FAIBLE INTÉGRATION STRATÉGIQUE


2 DES VARIABLES DD AU SEIN DE L’ENTREPRISE :
ENTRE ATTENTISME ET ATTITUDE ADAPTATIVE

Malgré l’effervescence actuelle autour de la nécessité d’un développement dura-


ble, une partie des entreprises considère les questions de durabilité sous l’angle de la
contrainte économique et sociétale. Dans ce cas, les attentes des parties prenantes de
119
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

la sphère interactionnelle de l’entreprise sont appréhendées sous l’angle de la


contrainte (Boiral, 2005). Elles constituent des menaces pour la bonne conduite des
activités qui se situent essentiellement au niveau de l’image de l’entreprise et dans le
renforcement des réglementations environnementales (Shrivastava et Hart, 1996). En
découle une attitude défensive. C’est, comme le note Bensédrine (2001), la première
réaction d’une organisation « rationnelle ». Dans la pratique, elle renvoie à deux
comportements en matière de responsabilité sociale : le comportement attentiste et
l’attitude adaptative (Martinet et Reynaud, 2004). Dans sa version radicale, le
premier consiste à se dérober et/ou à contester le bien fondé de l’intégration des inté-
rêts hors business dans les préoccupations stratégiques de l’entreprise tandis que la
seconde vise davantage à rechercher un compromis de court terme entre les différen-
tes attentes (Bensédrine, 2001).

1 Le comportement attentiste ou défensif

Un premier comportement peut être rencontré lorsque l’entreprise approche les


problématiques de durabilité sous l’angle le plus marginalisé : l’attentisme.
Cette attitude opère un arbitrage entre les trois dimensions de la durabilité à la
faveur de l’économique. Le social et l’écologique sont considérés comme des sour-
ces de contraintes légales fortes et de coûts importants pour y faire face. La recher-
che du profit et de la rentabilité conduit l’entreprise à penser les investissements
écologiques et sociaux comme des coûts inutiles, à limiter, voire antagonistes avec la
dimension économique. Dans cette situation, la logique financière et les résultats
économiques immédiats priment. Cela consiste à maintenir les pratiques actuelles
sans intégrer la donnée écologique au risque de se trouver hors la loi. Ici l’entreprise
reconnaît et assume ses seules responsabilités d’ordre économique au sens de
Carroll (1999).
Ce comportement peut être mu par différents points de vue (Martinet et Reynaud,
2004). Pour certaines entreprises, l’engouement récent des entreprises en faveur du
développement durable est plus l’expression d’une mode qu’un véritable problème
de gestion. Aussi, dans ce contexte, elles n’aspirent pas à s’engager dans des inves-
tissements de long terme, coûteux et contraignants. Dans d’autres cas où le secteur
d’activité ne subit pas ou peu de pressions à l’égard du caractère polluant des activi-
tés, certaines entreprises ne perçoivent pas leur activité comme polluante. L’impor-
tance de mener une politique de gestion des externalités négatives dans ce contexte
n’est pas une préoccupation centrale du management. D’autres entreprises encore
tentent la méthode du « passager clandestin ». Puisqu’il semble quasi-impossible, en
l’état actuel des débats, de parvenir à un consensus sur les conditions de mise en
place des principes du développement durable en entreprise, tant ce dernier renvoie
à une problématique macroéconomique, mieux vaut ne rien faire. Pour finir, les
entreprises qui adoptent cette attitude, peuvent également reconnaître l’intérêt de se
pencher sur la problématique mais optent pour un comportement prudent. Dans ce

120
Les stratégies de développement durable

cas, d’après Martinet et Reynaud (2004), « les entreprises ne réalisent pas d’investis-
sements en t0 pour garder une plus grande flexibilité, c’est-à-dire un plus grand
nombre d’options en tn. Non contraintes par la législation ni poussées par les deman-
des, elles considèrent qu’il est plus rentable d’attendre l’innovation majeure.
D’autres explorent les possibilités d’une technique “verte” sur une usine particulière
afin de permettre un délai d’adaptation plus court si la législation la rend obligatoire
et de ne pas pénaliser la totalité de l’entreprise en cas d’échec. »

Les constructeurs automobiles américains sur la défensive…


Le secteur automobile s’est progressivement engagé sur la voie environnementale. Et ces pres-
sions écologiques se sont avérées déterminantes dans l’évolution de la position des construc-
teurs. En effet, les difficultés actuelles de Ford et de General Motors (GM) sont pour partie
liées à des réglementations peu exigeantes dans les années 1990. Les constructeurs américains
ont pris du retard par rapport à leurs concurrents européens et japonais. Aujourd’hui, la pres-
sion écologique est relayée par l’augmentation du prix de l’essence (le prix de l’essence a
doublé ces deux dernières années), ce qui a pour effet de sensibiliser les acheteurs américains
à la consommation de leurs véhicules. Et c’est ce qui pénalise Ford et GM sur leur marché
d’origine, dont les parts de marché s’érodent au profit du rival japonais, Toyota.

Même si, d’un point de vue théorique, les entreprises adoptant ce type d’attitude
valorisent les critères économiques, parfois au détriment des enjeux écologiques et
sociaux, quels que soient les risques encourus, ce comportement tend à disparaître
dans les faits tant ces derniers (pécuniaires ou non) sont de plus en plus importants
(Martinet et Reynaud, 2004 ; Boiral et Joly, 1992). Comme le soulignent Boiral et
Joly (1992), « en l’absence de réponse (…) les réactions des acteurs vont entraver la
réalisation des projets et objectifs de l’entreprise, faire naître des mouvements
d’opinion, des critiques, des tensions, des conflits, porter atteinte à son image ou à
terme, attenter à sa légitimité. Or l’entreprise ne peut durablement conduire ses
opérations sans avoir le soutien des acteurs internes et externes ».

2 Le comportement adaptatif ou conformiste


© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Le second comportement, qualifié d’adaptatif, est adopté par des entreprises qui
cherchent à se conformer aux réglementations, à respecter les normes sans les
dépasser et limiter ainsi les risques d’infraction encourus en cas de non-respect des
lois en vigueur sur les thématiques qui couvrent le développement durable (écocon-
formité). Dans ce cas, l’entreprise cherche à minimiser les risques et les investisse-
ments en respectant au minimum les normes légales. Elle assume ses responsabilités
économiques et juridiques. L’objectif prioritaire de ce type de comportement réside
dans le maintien du profit optimal tout en préservant la légitimité des activités de
l’entreprise aux yeux des actionnaires et des clients (Martinet et Reynaud, 2004).

121
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Le point de départ de ce type de comportement est la prise de conscience de


l’évolution législative en faveur du respect de l’environnement qui va de pair avec
l’intensification des attentes sur le sujet. L’entreprise cherche dans ce cas avant tout
à réduire l’incertitude législative. Deux cas de figures sont observables : l’obligation
sociale et la responsabilité sociale.
Le premier caractérise le comportement de conformation minimale aux attentes. Il
consiste à se conformer strictement au cadre économique et réglementaire. En
s’adaptant aux lois et normes en vigueur, cette version minimale du comportement
permet à l’entreprise de se conformer a minima aux diverses attentes dont elle fait
l’objet, et d’assurer sa légitimité et son image d’un point de vue normatif, en
excluant toute forme d’engagement volontaire à l’égard des questions sociales
(Martinet et Reynaud, 2004).

Les Big Three au bord de la faillite


Ford, Chrysler et Général Motors, les Big Three, ont connu des années prospères en commer-
cialisant sur leur marché d’origine des véhicules de gros gabarit (4x4, pick-up, et grosse
berline), rustiques et très consommateurs d’essence. Portés par un crédit facile et un prix de
l’essence faible, les acheteurs étaient nombreux pour ces véhicules. Mais ce succès les a
conduits à leur perte. Deux des Big Three – essentiellement Général Motors et Chrysler – se
sont ainsi limités au marché américain (Chrysler réalise 90 % de son activité aux États-Unis)
et n’ont développé aucune réelle compétence en matière de conception et de fabrication de
véhicules de petit gabarit, à motorisation peu polluante et économique en termes de consom-
mation de carburant. Et de là vient leur vulnérabilité. Car l’augmentation progressive du prix
de l’essence et le resserrement du crédit ont eu pour conséquence un ralentissement du marché
américain - il s’élevait approximativement à 16 millions de véhicules en 2006, était de
13,2 millions en 2006 et d’environ 10 millions en 2008 - et une montée en puissance non
négligeable de la demande américaine de véhicules de petit gabarit. Prisonnier d’une expertise
en conception et fabrication de gros véhicules et quasi-absent des marchés étrangers, Chrysler
et Général Motors ne doivent leur survie qu’à un prêt de 13,4 milliards de dollars par la
Maison Blanche. Leur salut passe désormais par une remise en cause radicale de leur stratégie,
une stratégie qui doit désormais devenir plus responsable. C’est ainsi que le constructeur auto-
mobile américain General Motors a annoncé la commercialisation en 2011 de son modèle de
voiture électrique, la Chevrolet Volt, qui promet une consommation de carburant quatre fois
moindre que le modèle pionnier et leader, la Prius du japonais Toyota.

Dans le second cas de figure, l’attitude de l’entreprise vise essentiellement à régu-


ler ses actions en fonction des aspirations de son environnement. Prenant peu à peu
conscience de son intérêt à se conformer voire à anticiper la législation plutôt que de
se laisser surprendre par une rapide évolution, elle cherche ici à devancer légèrement
les exigences légales afin de bénéficier d’une petite avance sur la courbe d’expé-
rience d’un point de vue législatif. Elle s’intéresse dans ce cas à un groupe restreint
de parties prenantes (Azzone et Bertelè, 1994).
Dans les deux cas, le développement durable est perçu comme ne présentant aucun
avantage stratégique et ne créant pas de valeur (Martinet et Reynaud, 2004). Il crée

122
Les stratégies de développement durable

des contraintes techniques et organisationnelles et génère des coûts d’adaptation


supplémentaires. Sur le plan décisionnel, la politique responsable est une variable de
faible importance qui ne conduit généralement pas à modifier en profondeur l’orga-
nisation en place. L’entreprise considère les actions de développement durable
comme une assurance permettant de minimiser certains types de dommages ou de
risques générés par son activité, dans une logique de conformité et de légitimité
sociétale.
En somme, ces deux versions de l’approche non intégrée des questions de durabi-
lité au niveau stratégique constituent des degrés différents d’intégration des princi-
pes de RSE dans la stratégie des entreprises. Dans le premier cas, l’entreprise
s’oppose à la résolution des problèmes de durabilité par une stratégie d’évitement et,
dans certaines situations, peut contester la nécessité pour la sphère privée de les
résoudre, même si elle est l’objet d’une réglementation (Bensédrine, 2001). Dans le
second, compte tenu des risques importants encourus, notamment au niveau légal,
l’entreprise consent à traiter partiellement les problèmes par souci de protection de
ses intérêts économiques, et appréhende le phénomène sous l’angle de l’obligation
(Bensédrine, 2001).

Section L’INTÉGRATION STRATÉGIQUE DU DÉVELOPPEMENT


3 DURABLE DANS L’ENTREPRISE :
L’ATTITUDE PROACTIVE

À l’inverse des attitudes prônant une intégration faible des problématiques de


développement durable dans les choix stratégiques, nombre d’entreprises s’inscri-
vent davantage dans le cadre d’une approche proactive des questions de durabilité.
Dans ce cas, l’entreprise a une obligation non seulement de ne pas nuire à la société,
mais également de contribuer à gérer les problèmes sociaux. Dans cet esprit, une
stratégie de compromis entre les intérêts économiques et les attentes réglementaires
n’apparaît pas suffisante (Bensédrine, 2001). La recherche de satisfaction d’objectifs
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

multiples implique de passer d’une approche par le compromis à une stratégie de


satisfaction (Bensédrine, 2001). Il s’agit alors de rechercher la conformité mais
également le dépassement des attentes car, « l’engagement organisationnel dans la
durabilité nécessite une intention stratégique » (Sharma, 2001). Plus l’entreprise
adoptera une approche intégrée des responsabilités sociales qui se situent dans la
sphère hors business, plus elle ira dans le sens de l’exercice de ses responsabilités
discrétionnaires (Carroll, 1999, 1979). L’exercice simultané de ces formes de respon-
sabilités traduit une approche globale de la RSE par l’entreprise. Cette conception de
l’entreprise et de sa mission rejoint l’intégration des questions de durabilité par les
opportunités qu’elle dégage (Porter et Van der Linde, 1995). De ce point de vue,
comme le notent Egri et Herman (2000), les valeurs d’altruisme induisent des
comportements proactifs en matière d’environnement et une propension plus impor-

123
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

tante au changement. En ce sens, la proactivité constitue la phase la plus avancée du


traitement de la demande sociétale et constitue une démarche volontaire.
Le comportement proactif fait l’objet de nombreux développements théoriques
dans la littérature de gestion sur le volet environnemental (Martinet et Reynaud,
2004) et plus largement à propos du développement durable (Boiral, 2005 ; Martinet
et Reynaud, 2004 et 2000 ; Persais, 2002 ; Sharma et Vredenburg, 1998 ; Azzone et
Bertelè, 1994 ; Boiral et Joly, 1992). Cette stratégie se rencontre lorsque la politique
de développement durable est mise en œuvre dans le but d’influencer son environne-
ment industriel (clients, fournisseurs et pourquoi pas les concurrents) dans une pers-
pective volontariste. L’écosensibilité, prise au sens large, englobe l’engagement
éthique et discrétionnaire de l’entreprise au même titre que les autres types de
responsabilités. L’entreprise incorpore ici les dimensions philanthropiques dans ses
activités. Elle ne privilégie pas forcément la rentabilité financière immédiate, car les
investissements sociaux et écologiques seront rentabilisés dans une perspective de
long terme. Ces bénéfices se situent au niveau des coûts (réduction des coûts de
production), de la légitimité et de l’image (image véhiculée aux parties prenantes,
culture de l’entreprise) et de la différenciation (qualité des produits, labellisation…).
Ainsi, ces entreprises se distinguent par des engagements et des actions qui vont le
plus souvent au-delà des normes imposées par la réglementation. Le but est de
parvenir à atteindre un profit optimal, tout en améliorant la qualité et la performance
dans une optique de recherche de légitimité vis-à-vis d’un nombre élargi de stake-
holders.

Lafarge, pionnier et rupteur


En s’engageant précocement dans une politique de développement durable, Lafarge s’est
constitué avant ses concurrents un patrimoine de ressources. Il s’agit par exemple de ressour-
ces partenariales. Ainsi les relations privilégiées avec des ONG comme WWF et la Fondation
Nicolas Hulot permettent au groupe de légitimer ses actions. Ces partenariats contribuent à
forger des ressources identitaires : les valeurs écologique et sociale se diffusent dans l’organi-
sation comme à l’extérieur créant une réputation d’entreprise responsable auprès des parties
prenantes. Ces ressources participent au développement de certaines capacités. Il s’agit par
exemple de la réduction des coûts. Celle-ci serait liée à la baisse de la consommation de matiè-
res premières naturelles et de combustible. Également, la diminution de la production de
déchets et l’utilisation de produits dérivés (sous-produits) provenant d’autres industries
permettent la réduction des coûts. On peut également citer la capacité de management environ-
nemental. Ainsi la maîtrise des processus de certification peut permettre de répliquer la démar-
che de certification sur les multiples sites exploités par le groupe à travers le monde. La norme
ISO 14001 tend en effet à devenir une caution indispensable pour l’obtention d’autorisation
d’exploitation de carrières. Elle participe également de la légitimité du groupe face aux
nouvelles normes sociales et des affaires à travers le monde. Parmi les capacités, on trouve
également le développement de marché. Elle consiste en une capacité à conquérir de nouveaux
marchés. Car par ses engagements environnementaux et sociaux, le groupe Lafarge peut
désormais accéder à des sites d’exploitation plus facilement que ses concurrents. Les plans de
gestion des carrières de minerais sont un des exemples d’actions qui permettent d’obtenir des
zones d’exploitation que les concurrents se seraient vus refuser.

124
Les stratégies de développement durable
La rupture stratégique provient ici d’une modification des règles du jeu du secteur. Celle-ci
contraint les suiveurs (écodéfensifs) à devoir développer des compétences nouvelles consistant
en la maîtrise écologique et financière d’une chaîne de valeur responsable. Lafarge, maîtrisant
cette compétence pour l’avoir initiée, bénéficie d’un avantage compétitif. En effet, compte
tenu des obstacles à l’accès aux ressources et compétences qui composent le modèle respon-
sable, les PME du secteur sont d’emblée écartées de certains marchés et leur compétitivité est
affaiblie. Les grandes firmes subissent, quant à elles, un effet retard dans la construction des
compétences de ce modèle, voire risquent de se trouver dans l’incapacité de le reproduire. La
légitimité acquise par Lafarge lui permet d’imprimer un rythme aux évolutions des pratiques
responsables et d’inciter à l’adoption de ce mieux disant écologique, valorisant ainsi au niveau
sectoriel les dimensions responsables.
Source : à partir de S. Grandval et R. Soparnot, « Le développement durable
comme stratégie de rupture : une approche par la chaîne
de valeur intersectorielle », Management et Avenir, n˚ 5, 2005.

Conclusion
En résumé, trois types de stratégies responsables peuvent être observés :
– l’attentiste : ne respecte pas les normes légales au risque de se trouver hors la loi – ce
comportement tendant à disparaître sous l’effet des pressions et incitations croissantes ;
– l’adaptatif ou conformiste : respecte les exigences réglementaires sans aller au-delà
même si cela lui est possible et s’inscrit dans la volonté de dissocier la sphère business
et hors business ;
– le proactif ou écosensible : dépasse largement les exigences légales et la notion de
contrainte, perçoit la prise en compte des attentes des stakeholders comme un élément
clé de la pérennité et s’inscrit dans le cadre d’une association de la sphère business et
hors business dans les principes de management.
Le croisement des typologies de Martinet et Reynaud (2004), Perez (2005) et de Carroll
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

(1979) permet de réaliser la synthèse ci-après.

125
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Tableau 8.1 — Comparatif des stratégies de développement durable
Attentiste Adaptatif Proactif

Logique d’action Exclusion de la Conformation aux Dépassement des


responsabilité sociale exigences réglementations
réglementaires
Type d’arbitrage Privilégie les aspects Privilégie les aspects Privilégie la réduction
économiques économiques et la des coûts, la légitimité
légitimité vis-à-vis de la société
institutionnelle dans son ensemble et la
différenciation
Échelle du temps Court voire très court Court et moyen terme Long voire très long
terme terme

Conception de la Économique Économique et Économique et


responsabilité juridique juridique mais
également éthique et
discrétionnaire
Objectif (s) Profit Maintien du profit Profit optimal,
poursuivi (s) optimal amélioration de la
Préservation de la qualité et de la
légitimité performance sociétale
et recherche de la
légitimité
Perception des Coûts inutiles à éviter, Coûts nécessaires à Rentables
investissements liés antagonistes avec le minimiser
au DD profit

Perception de la Menace Contrainte Opportunité


responsabilité
sociale

Traitement de la Exclusion totale De l’exclusion au-delà Anticipation et


question sociétale (même de l’aspect purement prévention
réglementaire) réglementaire à la
régulation

Intégration de la Dissociation absolue Dissociation relative Association


sphère hors business
dans les principes de
gestion

126
Chapitre Performance
organisationnelle et
9 responsabilité sociale
de l’entreprise

Jean-Yves SAULQUIN
Guillaume SCHIER

C e chapitre questionne la performance organisationnelle et la responsabilité


sociale des entreprises. Ces deux concepts ont-ils un lien ? L’étude de leurs
fondements permet de pointer des différences conceptuelles, mais l’examen
de leurs portées pratiques montre qu’elles peuvent être étroitement liées.
Ces deux notions sont malléables, elles sont les fruits de nombreuses approches
qui laissent une grande liberté d’interprétation à leurs utilisateurs. Les entreprises
françaises ont quelque temps accusé un retard dans la façon dont elles mettaient la
RSE en pratique. Aujourd’hui, elles s’impliquent de manière plus large, sous la pres-
sion de la loi, des médias, des organismes régulateurs, mais aussi parce qu’elles sont
conscientes que la RSE peut devenir un levier de performance.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Pour illustrer les relations entre la performance organisationnelle et la RSE, nous


présenterons les pratiques RSE des PME/PMI qui sont perçues par les dirigeants
comme autant de facteurs de performance et nous proposerons un modèle percep-
tuel.

Section 1 ■ La représentation de la performance organisationnelle


Section 2 ■ La perception de la relation entre RSE et performance

127
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Section LA REPRÉSENTATION DE LA PERFORMANCE


1 ORGANISATIONNELLE

1 Le concept de performance organisationnelle et son


opérationnalisation

La performance est un construit qui débouche sur des divergences selon les
auteurs, un mot « valise » qui a reçu et reçoit toujours de nombreuses acceptions. En
gestion, la performance s’assimile à la réalisation des objectifs de l’organisation. La
performance est une notion polarisée sur le résultat annoncé, mais elle véhicule en
plus un jugement de valeur sur le résultat finalement obtenu (positif ou négatif) et la
démarche qui a permis de l’atteindre. Ainsi, par extension, elle peut désigner une
réussite.
L’absence de vision partagée sur la notion de performance laisse le champ libre à
des enjeux de pouvoir entre tous les partenaires de l’organisation. La performance a
longtemps été un concept unidimensionnel, mesuré par le seul profit, en raison du
poids des propriétaires dans le processus de décision. Dans cette perspective, la
mesure de la performance ne visait que la création de valeur pour les actionnaires.
Peut-on encore avancer que l’évaluation de la performance se résume à la mesure
du seul niveau d’enrichissement de l’actionnaire ? Ce serait nier le rôle actif des
salariés dans la création de valeur. Pour Charreaux (1998) la réponse est claire : « si
l’entreprise crée de la valeur, c’est qu’elle est à même de disposer de compétences
clés non facilement imitables, par exemple d’un savoir-faire qui “s’incarne” plus
vraisemblablement dans le capital humain ou organisationnel que dans le capital
financier ».
L’entreprise peut ainsi être analysée comme le lieu de rencontre des motivations
divergentes des acteurs qui participent à son développement. Dès lors, la perfor-
mance devient un concept multidimensionnel, tous les acteurs n’ayant pas la même
perception de la performance.
Ces divergences d’objectifs accentuent la difficulté d’évaluer la performance orga-
nisationnelle. Elles expliquent les nombreux conflits qui peuvent naître de la défini-
tion des critères de performance : sur quels critères s’accorder ? Comment les
mesurer ? Quelles seront les conséquences collectives ou individuelles des résultats
obtenus ?
Le concept possède ainsi autant de significations qu’il existe d’individus ou de
groupes qui l’utilisent. Pour un dirigeant, la performance pourra être la rentabilité ou
la compétitivité de son entreprise ; pour un employé, elle pourra être le climat de
travail ; et pour un client, la qualité des services rendus. La multiplicité des appro-
ches possibles en fait un concept surdéterminé, et curieusement, il demeure indéter-
miné en raison de la diversité des groupes qui composent l’organisation.

128
Performance organisationnelle et responsabilité de l’entreprise

Les chercheurs appartenant à des disciplines distinctes mesurent différemment la


performance des entreprises étudiées en raison des divergences tenant à leur objet
d’observation et aux questions qu’ils se posent. Les critères d’évaluation retenus
semblent dépendre de celui qui les définit, au niveau du nombre, de la forme, du
contenu, des priorités.
La performance sert de référentiel aux jugements de celui qui l’utilise. C’est pour
cela qu’elle ne peut être définie de manière précise et qu’elle possède un contenu
essentiellement normatif. Autrement dit, la performance est un construit proposé par
des théoriciens en organisation (Quinn et Rohrbaugh, 1983). Elle est souvent définie
par des critères conformes à la représentation que se font théoriciens et praticiens de
la performance et de sa mesure. Elle implique une évaluation formulée sur les acti-
vités, les résultats, les produits et les effets de l’organisation sur son environnement.

■■ Un concept surdimensionné
Le droit des affaires pose le principe que l’objectif de la firme consiste à maximi-
ser la satisfaction de l’actionnaire qui supporterait seul le risque final en cas de
faillite. Par suite, la recherche des performances financières produit une structure de
gouvernement et des processus de décisions qui reflètent la prédominance de la
dimension économique de la performance.
Malgré la prédominance des indicateurs et des critères financiers, la modélisation
de la performance a évolué et appelle désormais une vision plus large des résultats.
La perception change si on se place du point de vue des dirigeants, des salariés, des
clients, des banquiers, etc.
Nombreux sont les chercheurs qui ont voulu mesurer la performance organisation-
nelle. Ainsi, Campbell (1977) a recensé 30 critères de performance, puis Quinn et
Rohrbaugh (1983) ont poursuivi cette quête d’indicateurs et apuré ces critères en
proposant une modélisation avec 17 critères couvrant trois dimensions variant entre
deux bornes :
– l’intérêt organisationnel (allant de l’importance accordée au développement des
individus à l’intérêt porté au développement de l’organisation elle-même) ;
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

– les propriétés structurelles (allant de l’importance accordée à la stabilité à l’intérêt


porté à la flexibilité) ;
– les moyens et les fins (allant de l’importance accordée au processus à l’intérêt
porté au résultat final).
Pour illustrer les nombreux travaux sur la mesure de la performance, citons ceux
de Sveiby en 1998 sur l’évaluation de la performance des actifs intangibles
(tableau 9.1). L’auteur met l’accent sur trois dimensions : les compétences indivi-
duelles, la structure interne et la structure externe. Chaque dimension est évaluée par
des mesures se rapportant soit à la croissance et l’innovation, soit à l’efficience, soit
à la stabilité.

129
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Tableau 9.1 — L’évaluation de la performance des actifs intangibles

Dimensions
Compétences
Structure interne Structure externe
individuelles
Mesures

• Nombre d’années à • Investissement dans les • Ratio rentabilité/client


Croissance et l’emploi systèmes d’informations • Ratio croissance
innovation • Niveau d’éducation des destinés aux clients totale/croissance par
professionnels acquisition

• Quantité de • Proportion des employés • Satisfaction de la


professionnels pour de soutien par rapport au clientèle
supporter les employés personnel total • Ratio accroissement des
Efficience
• La capacité des • Attitude des employés ventes/quantité de clients
professionnels à générer face aux clients
un revenu supplémentaire

• Nombre moyen d’années • Âge de la firme • Proportion de gros


de présence du personnel • Loyauté des clients clients
Stabilité
• Taux de roulement • Quantité de ventes
multiples

Source : Sveiby (1998).

L’examen des travaux relatifs à la performance montre la richesse de ce concept.


Les critères utilisés pour l’appréhender sont multiples, ce qui en fait un concept
surdéterminé. Boulianne, dans le cadre sa thèse de doctorat sur la modélisation de la
performance en 2000, a répertorié plus de 150 indicateurs différents.

■■ Les logiques sous jacentes au concept


Le concept repose sur une tension entre une logique humaniste qui privilégie
l’épanouissement des individus et de la société et une logique économique axée sur
le profit. Comme nous le suggérons dans le tableau 9.2, ces logiques sont elles-
mêmes affectées par une vision fermée ou une vision ouverte vers l’extérieur de la
firme.
Tableau 9.2 — Les différentes approches de la performance
Vision fermée Vision ouverte

• Rendement et développement des • Image institutionnelle


ressources humaines • Responsabilité sociale et
Logique humaniste
• Motivation du personnel environnementale
• Implication des parties prenantes

• Rentabilité économique et création • Positionnement stratégique,


Logique économique de valeur pour l’actionnaire croissance et compétitivité
• Satisfaction des partenaires

130
Performance organisationnelle et responsabilité de l’entreprise

2 Les modèles de performance organisationnelle

Parmi les nombreux modèles de performance, sans viser l’exhaustivité, nous


avons choisi de présenter quatre modèles connus qui répondent à des logiques diffé-
rentes.

2.1 Le modèle pyramidal de Lynch et Cross (1991)

Ce modèle de performance (figure 9.1) intègre à la fois des indicateurs stratégi-


ques et opérationnels. La vision de l’entreprise est servie par des indicateurs du
marché (comme la satisfaction des clients), et des indicateurs financiers (comme la
productivité). Les indicateurs opérationnels renvoient aux critères qualité, livraison,
délai de transformation et coût.
Ce modèle souligne la hiérarchisation des indicateurs de performance. Il intègre à
la fois des indicateurs financiers et non-financiers. La principale critique formulée
envers ce modèle est qu’il reste trop conceptuel pour être opérationnel.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Figure 9.1 — Le modèle pyramidal de Lynch et Cross (1991)

2.2 Le modèle des parties intéressées d’Atkinson, Waterhouse et Wells


(1997)
Ce modèle (tableau 9.3) a été développé dans une banque canadienne et propose
une approche de la performance axée vers les parties prenantes. Il place ainsi
l’emphase sur les relations de l’organisation avec son environnement et facilite la
reddition de compte avec les parties prenantes.
131
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Pour ses auteurs, il convient à tous les types d’entreprises sans adaptation.
Les auteurs soulignent l’importance d’identifier les parties prenantes et les indica-
teurs de satisfaction qui leur sont associés. Ils proposent de retenir deux types de
mesures (primaires et secondaires) en fonction des objectifs (prioritaires ou moins)
de l’organisation. Les conflits d’intérêt entre parties prenantes sont pris en considé-
ration et résolus en théorie par des systèmes de pondération entre les catégories
d’indicateurs. Mais ce modèle connaît aussi des limites opérationnelles, car dans la
pratique, les concepteurs ont retenu peu de mesures primaires et secondaires.
Tableau 9.3 — Le modèle des parties intéressées d’Atkinson
Partie prenante Mesures primaires Mesures secondaires

• Retour sur investissement • Croissance des revenus


• Productivité
Actionnaires • Ratios de capital
• Ratios de liquidité
• Ratios de qualité des actifs

• Satisfaction de la clientèle • Enquêtes de satisfaction auprès de la


Les clients
• Qualité des services clientèle sur les produits et services

• Implication des employés • Enquêtes sur le service à la clientèle


• Compétence des employés (pour évaluer la compétence des
• Productivité des employés employés)
Employés • Indices sur différents éléments de
service à la clientèle
• Ratios financiers du coût des
employés par catégories de revenus

Communauté • Image publique • Enquêtes d’image externes

Source : Waterhouse et Wells (1997).

2.3 Le modèle du balanced scorecard de Kaplan et Norton (1992)

Ce modèle bien connu (figure 9.2) a fait l’objet d’une littérature abondante. Les
concepteurs ont eu le souci de lier la stratégie aux indicateurs de performance et de
faire aussi la relation avec les processus d’affaires. Le BSC fait l’objet de nombreu-
ses adaptations depuis sa genèse (Kaplan et Norton, 1993 ; 1996 ; 2001a ; 2001b).
S’appuyant sur une critique des outils de pilotage traditionnels les auteurs ont cher-
ché à développer un modèle tenant compte de la stratégie de l’entreprise et compor-
tant des mesures financières et non financières regroupées en quatre catégories de
critères :
– les critères financiers (reflétant les attentes des actionnaires) ;
– les critères liés à la satisfaction des clients (considérés comme un déterminant de
la performance financière) ;
– les critères liés aux processus internes (qualité des processus de production,
d’innovation et de service après vente) ;
132
Performance organisationnelle et responsabilité de l’entreprise

– les critères liés à l’apprentissage (traduisant les compétences et les motivations du


personnel ainsi que les capacités des systèmes d’information).

Figure 9.2 — Le modèle du balanced scorecard de Kaplan et Norton (1992)

Ce modèle prétend offrir une vision équilibrée (balanced) de la performance, non


limitée aux seuls éléments financiers. Cependant, force est de constater que les
quatre catégories de critères ont des relations étroites et sont orientées vers la perfor-
mance financière, confortant encore la représentation dominante de la performance.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

2.4 Le modèle de Morin et Savoie (2002)

Dans une vision ouverte de l’entreprise, de nombreux auteurs proposent aux diri-
geants une approche globale pour piloter la performance comprenant des indicateurs
qui se complètent et s’éclairent mutuellement et qui sont reliés à des objectifs multi-
ples.
Dans leurs récents travaux, Morin et Savoie (2002) suggèrent un modèle à voca-
tion universelle qui nous semble être une bonne tentative d’intégration des appro-
ches antérieures de la performance. Ce modèle (cf. tableau 9.4, page suivante)
retient quatre dimensions de la performance (expliquées par 12 critères et une batte-
rie d’indicateurs) :

133
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

– la pérennité de l’entreprise : qualité des produits et services, compétitivité, satis-


faction des partenaires (clients, fournisseurs, actionnaires, créanciers) ;
– l’efficience économique : économie des ressources, productivité, rentabilité ;
– la valeur du personnel : engagement des employés, climat de travail, rendement
des employés ;
– la légitimité organisationnelle : respect de la réglementation, responsabilité
sociale, responsabilité environnementale.
L’arène politique permet de souligner le jeu des acteurs et de prendre en compte
leur influence dans la hiérarchisation des priorités. La force du pouvoir d’un groupe
d’acteurs oriente les décisions et les actions vers tels ou tels dimension(s) ou
critère(s) de la performance qui devient un objectif premier. On peut imaginer qu’en
cas de crise sociale, par exemple, la priorité soit donnée à la valeur des ressources
humaines.
Tableau 9.4 — Jugement général sur la performance organisationnelle
Modèle révisé de Morin et Savoie (2002)
Valeur des ressources humaines Efficience économique

Jugement Jugement
Engagement des employés ❑ Économie des ressources ❑
Climat de travail ❑ Productivité ❑
Rendement des employés ❑
Compétences des employés ❑ Arène
politique
Légitimité de l’organisation Pérennité de l’organisation

Jugement Jugement
Respect de la réglementation ❑ Qualité des produits et services ❑
Responsabilité sociale ❑ Compétitivité ❑
Responsabilité environnementale ❑ Satisfaction des partenaires ❑

Les auteurs suggèrent des séries d’indicateurs pour chaque critère. La sélection
des indicateurs qui permettent d’évaluer chaque critère est un exercice délicat, car
ceux-ci doivent permettre de discriminer entre les différents écarts de performance
et clairement refléter une amélioration ou une détérioration de la performance orga-
nisationnelle. Il faut encore veiller à la fidélité (faible variance d’erreur) et à la vali-
dité des mesures.
Ainsi, il apparaît que la performance organisationnelle est riche de composantes
antinomiques. Elle se présente comme un ensemble de paramètres complémentaires
et parfois contradictoires. Cela se vérifie quand le dirigeant cherche à minimiser les
coûts, tout en veillant par exemple à améliorer la qualité des produits et à maintenir
le moral des salariés : exercice apparemment contradictoire mais pourtant respectant
une certaine logique si l’on recherche simultanément de meilleurs résultats finan-

134
Performance organisationnelle et responsabilité de l’entreprise

ciers et organisationnels. Ces critères imposent donc au gestionnaire des arbitrages


permanents. Toutes les composantes de la performance n’ont pas la même impor-
tance. Si la dimension économique reste dominante, une entreprise peut, à un stade
particulier de son évolution, ou selon la personnalité de son dirigeant, ou sous le
poids des contraintes, donner la priorité à telle ou telle dimension (ressources
humaines, légitimité…).
La performance a autant de facettes qu’il existe d’observateurs à l’intérieur et à
l’extérieur de l’organisation. Elle est ainsi définie par celui qui va utiliser l’informa-
tion, et n’a d’importance (de valeur) que par rapport à ce que l’utilisateur de cette
information en fera.
Dans une vision fermée de l’entreprise aux frontières bien délimitées, caractérisée
par des droits de propriétés formels définis dans les statuts, la mesure de la perfor-
mance renvoie principalement aux objectifs des actionnaires et donc à une perspec-
tive économique de la performance. L’extension du champ de la responsabilité de
l’entreprise vient modifier cet équilibre. La performance devient plurielle du fait de
la multiplicité des objectifs des parties prenantes.

Section LA PERCEPTION DE LA RELATION ENTRE RSE


2 ET PERFORMANCE

1 Les pratiques RSE et leur relation à la performance

Il est difficile de parler d’universalité des fondements et des pratiques RSE.


Considérons d’abord le cas des grandes entreprises. Une étude de Price Water-
House Coopers (2002), menée sur 140 entreprises internationales, s’est intéressée
aux raisons qui poussent les managers à initier une démarche de développement
durable. Malgré la difficulté que ressentent les dirigeants à faire le lien entre la dura-
bilité et leurs activités, 70 % d’entre eux mènent des actions en matière de RSE.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Pour les tenants de la démarche, la principale motivation est la recherche d’une


amélioration de l’image de l’entreprise (90 %), puis viennent : la recherche d’avan-
tages concurrentiels (75 %) et la réduction des coûts (73 %). L’étude montre encore
que les actions menées pour l’environnement et vers la société semblent prépondé-
rantes.
Ces résultats sont concordants avec ceux d’une étude comparative de Maignan et
Ralston (2002) visant à identifier les fondements, les parties prenantes et les prati-
ques de RSE aux États-Unis, en France, au Royaume Uni et aux Pays-Bas
(tableau 9.5). Les auteurs ont montré la très grande hétérogénéité des motivations et
des pratiques.

135
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Tableau 9.5 — Typologie de la RSE selon Maignan et Ralston (2002)


Trois fondements ou principes Cinq types de questions liées
Sept types de processus RSE
directeurs aux parties prenantes

– les valeurs – la communauté (art et culture, – les programmes


– les performances éducation, qualité de vie, philanthropiques
– les parties prenantes protection de l’environnement, – le sponsoring
sécurité) – le volontariat
– les clients : qualité des produits – les codes éthiques
et services, sécurité – les programmes qualité
– les salariés : traitement – les programmes de santé et de
équitable, santé et sécurité sécurité
– les actionnaires : – le management des effets
gouvernement d’entreprise, environnementaux
information des actionnaires
– les fournisseurs : opportunités
équitables, sécurité

En France, les motivations de la RSE renvoient à la notion de performance


(contrairement aux États-Unis où les valeurs fondent les démarches de RSE).
Ensuite, les programmes aux États-Unis concernent le plus souvent la communauté
(qualité de vie, éducation) alors que les actions menées par les entreprises françaises
concernent davantage les parties prenantes liées aux processus de production
(qualité des produits ou conditions de travail) et c’est l’État qui se charge du « bien
être » social. Tout ceci montre une conception assez étroite de la RSE en France, où
nous trouvons plutôt des programmes « qualité », des actions de santé et de sécurité.
Saulquin et Schier (2005) ont analysé les contenus des guides RSE proposés aux
PME/PMI (le bilan sociétal du CJDES, le diagnostic de la performance globale du
CJD, le guide de l’Association Nord-Pas-de-Calais « Alliances », le guide SD 21000
Afnor, le SME key). Chaque guide apporte une aide à la réflexion sur les enjeux et
implications de la RSE pour l’entreprise, les difficultés de gestion de la démarche,
les évolutions vers plus de formalisation des systèmes de gestion, l’ouverture de la
gouvernance vers les parties prenantes, la prise en compte de nouveaux risques,
l’élaboration d’un plan d’action, les méthodes d’évaluation, etc.
Nous proposons ci-après l’inventaire des principales pratiques RSE recensées
suite à la synthèse des guides étudiés (tableaux 9.6 à 9.12). Notons qu’il n’y a pas ou
peu de pratiques proposées en direction des actionnaires. Ce constat est lié à la taille
des entreprises et à la structure du capital. Celui-ci est concentré, avec le plus
souvent un actionnaire largement majoritaire.

136
Performance organisationnelle et responsabilité de l’entreprise

Tableau 9.6 — Pratiques RSE liées aux valeurs


Principe directeur Pratiques ou processus RSE

Valeurs de l’entreprise • Les valeurs de l’entreprise sont clairement affichées (engagements écrits,
charte éthique).
• Des engagements socialement responsables sont fixés et un outil de suivi
est mis en place pour suivre les objectifs (tableau de bord RSE, utilisation
d’indicateurs de mesure).
• L’entreprise informe ses partenaires (clients, fournisseurs, salariés,
associés) au sujet de ses valeurs et engagements (documents de diffusion de
l’information).

La pratique dominante affichée ici consiste à s’engager par écrit, sous forme de
charte éthique notamment, sur des valeurs socialement responsables.
Tableau 9.7 — Pratiques RSE liées aux salariés
Principe directeur Pratiques ou processus RSE

Parties prenantes • Réalité des préoccupations sociales (existence d’une fonction RH reconnue
(salariés) dans l’organigramme).
• Souci de concertation (entretiens individuels, enquêtes de satisfaction des
salariés, journal interne d’entreprise, réunions de service, présence
d’instances de représentation des salariés).
• Souci d’informer sur les projets, les enjeux et les résultats de l’entreprise
(livret d’accueil, procédure d’intégration du nouveau salarié, réunions
d’information et d’échange avec le personnel).
• Développer la formation (bilans de compétences, actions de formation,
actions de promotion interne par la formation).
• Protéger et maintenir l’emploi (travail à temps partiel choisi, actions de
reclassement interne, aide à la reconversion ou à la création d’entreprise en
cas de licenciement).
• Améliorer les conditions de travail (flexibilité du temps de travail, lutte
contre le bruit et autres nuisances, formations de secourisme, actions de
sensibilisation aux risques, affichage des procédures sur les postes à risque).
• Développer une politique salariale (primes ou intéressement aux résultats,
renforcement du régime de prévoyance entreprise, existence d’une mutuelle
santé, dispositif retraite au-delà des obligations légales).
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Les préoccupations liées aux salariés sont majoritairement explicitées dans les
guides. Les entreprises ont bien compris l’avantage qu’elles pouvaient tirer de la
diffusion d’informations sociales au niveau de leur notoriété. Les guides recomman-
dent ainsi aux dirigeants de développer des pratiques sociales en accord avec les
principes RSE : des actions de concertation et de dialogue social, d’information, de
formation, de protection de l’emploi, d’amélioration des conditions de travail (sécu-
rité et qualité), de rémunération et d’avantages sociaux.

137
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Tableau 9.8 — Pratiques RSE liées aux clients


Principe directeur Pratiques ou processus RSE

Parties prenantes • Suivi de la relation client (enquêtes de satisfaction des clients, rédaction et
(clients) diffusion d’une charte clients).
• Valider la dimension « RSE » du portefeuille clients (collecte de données sur
les critères sociaux, éthiques et environnementaux des clients).

Les pratiques RSE proposées en direction des clients sont peu développées dans
les différents guides. Il y est fait mention principalement du suivi de la relation client
et de l’orientation « RSE » du portefeuille client.
Tableau 9.9 — Pratiques RSE liées aux fournisseurs
Principe directeur Pratiques ou processus RSE

Parties prenantes • Valider la dimension « RSE » des fournisseurs (collecte de données sur les
(fournisseurs) critères éthiques, sociaux et environnementaux des fournisseurs).
• Suivi de la relation fournisseurs (suivi qualité des fournisseurs, cahier des
charges transmis aux fournisseurs, négociations équitables sur les prix et
délais de règlement aux fournisseurs).

À l’instar des clients, les propositions concrètes relatives aux fournisseurs sont peu
développées dans les guides. Il s’agit de vérifier la dimension « RSE » des fournis-
seurs et de maintenir la qualité des relations avec les fournisseurs.
Tableau 9.10 — Pratiques liées à la communauté (environnement)
Principe directeur Pratiques ou processus RSE

Parties prenantes • Actions de protection de l’environnement (programmes de réduction et de


(communauté- traitement des déchets, programmes de lutte contre la pollution de l’air ou des
environnement) sols, programmes de lutte contre les nuisances, programmes de tri sélectif,
programmes pour augmenter la durée de vie des produits).
• Actions pour économiser les consommations nécessaires à la production
(programmes de limitation des consommations d’eau, d’énergie, de matières
premières).
• Actions d’information des clients sur la nature et le bon usage du produit
(notices d’information sur la nature des produits, la manière optimale de les
utiliser, la manière de les recycler en fin de vie).

Les pratiques relatives au management des effets environnementaux sont assez


détaillées dans les principaux guides. N’oublions pas que la protection de l’environ-
nement est la première déclinaison du concept de développement durable. Des prati-
ques de lutte contre les déchets, rejets, nuisances, gaspillage sont donc fortement
encouragées. Parallèlement sont proposées des pratiques pour informer les clients de
la nature et du bon usage des produits, toujours dans l’optique de limiter le
gaspillage.
138
Performance organisationnelle et responsabilité de l’entreprise

Tableau 9.11 — Pratiques RSE liées à la communauté (implication sociétale)


Principe directeur Pratiques ou processus RSE

Parties prenantes L’entreprise a le souci d’aider le tissu économique et social local (existence d’un
(communauté- budget alloué aux actions locales, recrutements locaux, choix de fournisseurs
implication sociétale) locaux, aider à l’engagement des collaborateurs dans des associations locales,
mise à disposition de matériel ou infrastructures appartenant à l’entreprise,
aides financières à la création d’entreprises, dons/mécénat/sponsoring pour
des actions locales).

Un certain nombre d’actions sont proposées pour mieux ancrer l’entreprise dans sa
zone d’implantation et faire en sorte que son environnement proche bénéficie de sa
présence. Les retombées « économiques » pour l’environnement de proximité sont
déclinées sous forme d’aides matérielles financières et humaines pour la zone d’acti-
vité.
Tableau 9.12 — Pratiques RSE liées à la performance
Principe directeur Pratiques ou processus RSE

Performance • Formalisation de la stratégie (existence d’un plan formel)


• Veille économique (système d’information contenant des données sur les
marchés et les concurrents)
• Suivi des résultats (existence de prévisions budgétaires, présence de
tableaux de bord)
• Souci d’amélioration continue (démarche qualité/certification)
• Souci de concertation avec les partenaires extérieurs de l’entreprise
(réunions avec les clients, réunions avec les fournisseurs, réunions avec les
actionnaires)
• Prévention contre les crises (un processus de gestion de crise
sociale/économique est formalisé)

La recherche de la performance économique passe par un certain nombre de prati-


ques qui visent à fixer le cap et mesurer les résultats atteints.
Mais d’autres actions, telles que la démarche qualité, la veille économique, ou une
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

meilleure concertation avec les parties prenantes apparaissent encore comme des
gages de meilleure performance.

2 Représentation des liens entre la RSE et la performance

Que l’on retienne l’approche de la Global Reporting Initiative ou la loi sur les
nouvelles régulations économiques de 2001, la représentation de la RSE conduit à
étudier les actions des entreprises selon quatre domaines :
– environnemental (impact local de l’entreprise) ;
– économique (gouvernance, pratiques commerciales…) ;
139
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

– social (conditions de travail, formations et rémunérations…) ;


– civique (comportement responsable et qualité des relations avec les parties
prenantes).
Les dimensions et les critères recommandés pour l’élaboration du rapport RSE
permettent de construire le tableau de synthèse suivant (tableau 9.13) :
Tableau 9.13 — Évaluation de la responsabilité sociale des entreprises
Axe environnemental Axe économique

Évaluation Évaluation
Consommations de ressources ❑ Vision et stratégie de la firme ❑
Respect de l’environnement Gouvernance et Systèmes de gestion ❑
et efforts de la firme ❑ Pratiques commerciales ❑

Axe social Axe sociétal

Évaluation Évaluation
Pratiques sociales ❑ Responsabilité des produits et éthique ❑
Droits de l’Homme ❑ Engagements envers les parties prenantes ❑

La GRI (2002) incite les managers à « mettre en place un système de management


adéquat et compléter le système d’information afin de suivre régulièrement l’évolu-
tion des indicateurs de performance globale et faire en sorte que cette nouvelle
contrainte devienne un nouvel outil de pilotage pour l’entreprise et ce, selon une
logique d’amélioration continue ». Le rapport RSE doit être conçu et perçu comme
un nouveau tableau de bord de l’activité de l’entreprise et fournir des informations
cruciales sur la performance globale.
Sur ces bases, Saulquin et Schier (2005) ont essayé d’expliquer les comportements
managériaux en matière de RSE. Ils avancent l’idée selon laquelle le dirigeant défi-
nit différemment la RSE selon son degré d’ouverture externe (vision managériale
fermée ou ouverte de la firme) et son approche de la performance (approche statique
ou dynamique). Le dirigeant, face à la RSE, irait d’une attitude passive à une attitude
proactive.
Ainsi, selon cette représentation, il existe quatre perceptions différentes de la
notion de RSE qui traduisent des différences de maturité de l’entreprise au regard de
sa capacité d’appropriation du concept de RSE (figure 9.3).

140
Performance organisationnelle et responsabilité de l’entreprise

Figure 9.3 — Perceptions managériales de la RSE

Les différentes perceptions de la RSE renvoient à différentes conceptions existan-


tes de la performance :
– dans une vision instrumentale de la performance (approche statique centrée sur
des objectifs technico-économiques), la notion de RSE se confond (au sens de
confusion et de similarité) avec le concept de performance. La RSE est vue
comme une contrainte supplémentaire de type normatif. Il s’agit avant tout
d’apporter une réponse précise à chaque « critère RSE ». L’entreprise mène des
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

actions de réduction des coûts, de mise en conformité réglementaire des produits,


de gestion des déchets, etc. ;
– dans une vision opportuniste, la RSE devient un levier d’ouverture et de commu-
nication de l’entreprise. La démarche opportuniste passe par des stratégies de
communication et par une modification des rapports aux parties prenantes. Cette
posture ne remet pas en cause les modes de fonctionnement fondamentaux de la
firme, elle s’apparente à une approche « cosmétique » de la RSE. L’entreprise fait
alors de la communication environnementale, du sponsoring, des actions caritati-
ves, etc. ;

141
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

– dans une vision procédurale, la RSE est utilisée comme un levier de dynamique,
elle se rapproche des principes de la gestion par les processus tout en mettant
l’accent sur quelques processus clés. Une telle démarche accroît la dynamique
interne et permet d’associer les salariés à la stratégie RSE, de lancer des chantiers.
Elle fait par exemple de la certification, de l’écoconception, de la promotion de la
diversité ;
– dans une vision globale, la RSE est un processus de redéfinition de la vocation et
de la finalité de l’entreprise, plus en accord avec les nouvelles contraintes envi-
ronnementales et les nouvelles attentes des parties prenantes : la performance est
alors le fruit d’une co-construction sociale entre l’entreprise et ses parties prenan-
tes. D’un point de vue pratique, la RSE devient un objectif de gestion, une
réponse légitime aux attentes des partenaires. L’approche globale permet de défi-
nir des pistes d’amélioration, de repérer des opportunités et de prévenir des
risques financiers et médiatiques notamment.

Conclusion
L’étude des modèles de performance permet de mieux comprendre les attitudes managé-
riales face à la RSE. Le modèle que nous proposons ci-dessus permet de définir des
comportements types qui reflètent des postures mécanistes, cosmétiques, processuelles ou
engagées.
Nous avons constaté qu’il existe une grande hétérogénéité des pratiques en matière de
RSE. La richesse du concept de RSE permet des interprétations multiples et par consé-
quent une grande diversité d’actions. Tous les managers n’ont pas la même perception de
ce que recouvre la RSE, ce qui explique les débats et les conflits d’intérêts autour du
concept. Il est par ailleurs difficile d’être en bonne position sur toutes les dimensions à la
fois. Mais quand elle se limite à la stricte application des textes réglementaires, la RSE est
déséquilibrée et le concept s’appauvrit.
La RSE force les décideurs à s’interroger sur les pratiques sociales, sur la finalité réelle de
l’entreprise, sur la tension entre l’économique et le social, sur la légitimité des décisions et
des actions.
La RSE peut ainsi devenir une opportunité. En anticipant des contraintes ou en prévenant
des risques (sociaux, écologiques, juridiques), en réduisant les coûts liés à la consomma-
tion de certaines ressources, en augmentant son niveau de qualité de service, en différen-
ciant son offre sur le marché et en améliorant sa notoriété, les entreprises ne prennent
qu’un risque : celui d’augmenter globalement leur performance économique et financière.

142
Chapitre La gouvernance
d’entreprise et le
10 développement
durable

Denyse REMILLARD

L a gouvernance est un thème qui a fait couler beaucoup d’encre ces dernières
années 1. D’abord revendiquée par les grands investisseurs institutionnels, la
gouvernance est devenue, au fil du temps, un champ d’étude qui rallie bien
plus que les acteurs sur les marchés financiers. Il suffit d’observer les nombreuses
situations de conflits d’intérêt auxquelles s’ajoutent les pressions qui s’exercent de
toutes parts sur les décideurs dans les entreprises pour mesurer l’ampleur du phéno-
mène. Au fil du temps, la gouvernance est devenue un enjeu de grande importance
pour les équipes dirigeantes et l’ensemble des parties prenantes.
L’angle théorique privilégié pour l’étude de la gouvernance d’entreprise est celui
du contrôle et de la surveillance (Fama & Jensen, 1983 a et b). Dans cette optique,
une saine gouvernance implique la mise en place d’instances de surveillance et de
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

mécanismes de contrôle afin d’éviter les dérives des équipes dirigeantes et assurer la
protection des intérêts des actionnaires. Cette perspective « disciplinaire-
actionnariale » de la gouvernance (Charreaux, 2006) a donné lieu ces dernières
années à l’élaboration d’un ensemble de directives touchant la composition et le
fonctionnement des conseils d’administration et de ses comités spécialisés. Elle a
aussi justifié la mise en place d’une réglementation plus sévère à l’endroit des entre-
prises inscrites sur les marchés financiers.

1. Selon une étude de Enrione, Mazza et Zerboni, une requête avec le terme corporate governance
dans la BDDEBSCO Business Première, sur la période 1900 à juillet 2005, proposent 12 014 arti-
cles. Sur cela, deux tiers des articles sont apparus depuis la débâcle d’Enron en octobre 2001.
143
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Au-delà des changements visant une meilleure protection des intérêts des action-
naires, l’évolution de la gouvernance a aussi été alimentée par une réflexion sur
l’objectif de l’entreprise, notamment sur sa responsabilité sociale. La théorie des
stakeholders (Freeman, 1984) a grandement contribué à cette évolution, du fait
qu’elle amène une réflexion fondamentale sur la prédominance des intérêts des
actionnaires par rapport à ceux des autres parties prenantes.
Le régime de gouvernance actionnarial, fondé sur une vision contractualiste de la
firme (Jensen & Meckling, 1976) est construit sur l’objectif de maximisation de la
valeur des actionnaires. Dans cette perspective, la finalité de la gouvernance consiste
essentiellement à protéger les intérêts des actionnaires. Dans l’approche stakehol-
der, l’objectif de la gouvernance s’élargit et il s’étend désormais à la prise en compte
des intérêts des principales parties prenantes dans les décisions stratégiques des
entreprises. Ces deux approches ont longtemps été en opposition étant donné la diffi-
culté de satisfaire les intérêts des parties prenantes et les exigences financières des
actionnaires, cependant elles semblent enfin conciliées à travers le développement
durable. En effet, les trois piliers du développement durable que sont les considéra-
tions économiques, sociales et environnementales favorisent la prise en compte de
l’objectif financier de l’actionnaire tout en assurant le bien-être à long terme des
parties prenantes. Avec le développement durable, l’objectif de l’entreprise demeure
la création de la valeur à long terme, mais sa réalisation passe également par un
régime de croissance durable et équitable envers les parties prenantes. C’est en ce
sens que les questions liées à la gouvernance d’entreprise rejoignent celles liées à la
problématique du développement durable.
Dans ce chapitre, nous allons présenter succinctement l’évolution connue par la
gouvernance d’entreprise et discuterons de ses articulations avec le développement
durable. Nous traiterons ensuite des rôles et responsabilités des administrateurs et
des dirigeants ainsi que des principes de saine gouvernance au sein des entreprises
leaders en développement durable. Enfin, nous illustrerons brièvement cette évolu-
tion avec le cas de la compagnie Cascades Inc., leader dans la fabrication, la trans-
formation et la commercialisation de produits d’emballage et de papier tissu.

Section 1 ■ La gouvernance d’entreprise


Section 2 ■ Les instances de surveillance dans les entreprises cotées
Section 3 ■ Le développement durable et la gouvernance

144
La gouvernance d’entreprise et le développement durable

Section LA GOUVERNANCE D’ENTREPRISE


1
1 Définition de la gouvernance

Il existe encore un grand nombre d’individus pour qui la question de la gouvernance


d’entreprise se résume essentiellement à l’étude des mécanismes de contrôle qui assu-
rent une représentation équilibrée des intérêts des actionnaires auprès des équipes diri-
geantes d’entreprises. Si l’on se réfère aux travaux de nombreux auteurs et praticiens
dans le domaine de la finance, nous constatons que la représentation la plus répandue
de la gouvernance d’entreprise est l’étude des moyens de contrôle dont disposent les
pourvoyeurs de capitaux sur la rente économique générée par la firme. Cette concep-
tion s’apparente à celle de Sheifler et Vishny (1997), pour qui, « Corporate gover-
nance deals with the ways in which suppliers of finance to corporations assure
themselves of getting a return on their investment ». Cette définition puise sa légiti-
mité dans la réalité de la firme à contrôle managérial 1, caractérisée par un actionnariat
fortement dispersé avec des dirigeants dont les intérêts personnels priment sur ceux
des pourvoyeurs de fonds. Sous cet angle, il est préférable de mettre en place des
instances et des mécanismes de gouvernance internes et externes de manière à limiter
les coûts liés aux conflits d’intérêt entre les décideurs et les financeurs.
Cette perspective couvre assez bien les enjeux que connaissent les petits actionnai-
res. Elle rappelle aussi avec justesse la nécessité d’imposer des contrôles dans les
entreprises et de protéger les droits des petits porteurs. Elle est toutefois réductrice
lorsque l’on envisage les autres parties prenantes de l’entreprise. Elle occulte aussi
l’impact que peut avoir une trop grande prédominance des intérêts des financeurs sur
les décideurs et sur l’engagement des parties prenantes.
Partant de ce constat, nous suggérons d’élargir la définition comme suit : « Le
gouvernement (ou gouvernance) de l’entreprise est un ensemble de dispositions
légales, réglementaires ou pratiques qui délimitent l’étendue du pouvoir et des
responsabilités de ceux qui sont chargés d’orienter durablement l’entreprise. Orien-
ter l’entreprise signifie prendre et contrôler les décisions qui ont un effet déterminant
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

sur sa pérennité et donc sa performance durable » (Gomez, 2009).


D’après cette nouvelle définition, nous voyons qu’un système de gouvernance
d’entreprise s’apparente davantage à un système de pilotage ; il définit les grandes
règles du jeu à l’intérieur desquelles doivent opérer les décideurs. Il est important de
ne pas confondre gouvernance et gestion dans la mesure où la première met en place
les conditions d’exercice de la seconde, mais ne définit pas pour autant son contenu.
Un bon système de gouvernance devrait favoriser les bonnes décisions et pour cela,

1. La firme à contrôle managérial est caractérisée par la séparation de la propriété et du contrôle. Les
actionnaires, détenteurs du contrôle, sont en grand nombre et sont dispersés ils ne sont pas alors en
mesure de surveiller les conduites des dirigeants dans l’entreprise. Dans de telles circonstances, le
contrôle de fait résidera entre les mains des dirigeants (Berle et Means, 1932).
145
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

il devrait laisser suffisamment de latitude aux dirigeants pour qu’ils puissent assu-
mer leurs responsabilités en fonction des contingences. Par exemple, les administra-
teurs ont la responsabilité de mettre en place des mécanismes de contrôle pour
surveiller l’évolution financière de l’entreprise mais il n’est pas de leur ressort de
décider de la manière dont doit opérer l’entreprise au quotidien pour atteindre ces
mêmes résultats.

2 Évolution de la gouvernance : un bref historique


La gouvernance d’entreprise a connu une évolution importante au cours des
dernières décennies. D’abord, dans les années quatre-vingt, nous avons assisté à une
vague d’OPA, principalement animée par les investisseurs sur les marchés financiers
américains. Ensuite nous avons vu apparaître l’activisme institutionnel des grands
fonds de pension. Un des pionniers en la matière en Amérique du nord est sans
aucun doute le régime de retraite des employés de la fonction publique de la Califor-
nie (CalPERS – California Public Employees Retirement System). CalPERS a
d’abord usé de son influence en tant que grand actionnaire pour déloger des équipes
dirigeantes incompétentes parce qu’elles sous-performaient financièrement et pour
dénoncer publiquement les entreprises qui n’adoptaient pas de bonnes pratiques en
matière de gouvernance. L’objectif premier de CalPERS était de discipliner les diri-
geants tout en défendant les intérêts des clients de ce fonds de pension : c’est-à-dire
le niveau de valorisation de leur épargne. De nos jours, CalPERS utilise toujours son
pouvoir disciplinaire pour induire des pratiques de gouvernance exemplaires dans
les entreprises cotées. Les principes fondamentaux prônés par CalPERS 1 sont
présentés au Repères ci-dessous.

 Repères Les principes fondamentaux


pour un gouvernement d’entreprise
responsable selon CalPERS.

– Optimisation des performances des sociétés et de retour sur investissement pour les
actionnaires ;
– Responsabilité du directeur ;
– Transparence des informations concernant la société ;
– Un vote par action ;
– Documents pour les procurations ;
– Adoption d’un code des meilleures pratiques ;
– Vision stratégique à long terme ;
– Accès des actionnaires à la nomination des directeurs.

1. Site de CalPERS à l’adresse http://www.calpers-governance.org/docs-sof/marketinitiatives/french-


146 global-principles.pdf. (document mis à jour le 21 avril 2008).
La gouvernance d’entreprise et le développement durable

La caisse de retraite est très active auprès des entreprises dans lesquelles elle
détient une participation financière et elle n’hésitera pas à dénoncer publiquement
les entreprises qui ont des conduites non conformes à ses principes. À titre d’illus-
tration, elle publie annuellement une focus list identifiant les entreprises les moins
exemplaires en matière de gouvernance 1. Cette liste présente brièvement les entre-
prises en défaut et les reproches qui lui sont adressés. En 2009, la focus list ciblait
quatre grandes entreprises ayant sous-performé financièrement et dont les pratiques
de gouvernance ne respectaient pas les désirs et recommandations de l’investisseur.
D’après une étude récente menée par Andrew Junkin (2009) les initiatives de
CalPERS depuis 1987 ont porté leurs fruits. L’activisme de l’investisseur s’est
traduit par une amélioration notable du rendement pour les investisseurs 2 et les
droits des actionnaires sont davantage respectés par les équipes dirigeantes.
L’activisme des investisseurs institutionnels – appelé également activisme action-
narial – a favorisé un meilleur équilibre des pouvoirs entre les équipes dirigeantes
dans les grandes entreprises et les actionnaires/investisseurs en général. Il a contri-
bué à asseoir la légitimité des revendications de l’actionnaire au sein des grandes
entreprises cotées. Au Québec, dans les années quatre-vingt-dix, cette nouvelle
vague a ouvert la voie à un activisme accru des petits actionnaires, notamment
auprès des grandes banques canadiennes. Monsieur Yves Michaud, bien connu sous
le nom de « Robin des banques », avait alors mené une croisade auprès des grandes
banques canadiennes afin d’obtenir l’autorisation de voter dans les assemblées
annuelles d’actionnaires. Depuis ce temps, les petits porteurs, représentés par l’asso-
ciation de protection des épargnants et des investisseurs du Québec (APÉIQ) désor-
mais appelée la Médac (Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires),
peuvent plus aisément faire valoir leurs voix auprès des grands groupes cotés. Par
exemple, en 2009, les petits actionnaires ont obtenu un droit de parole - qu’ils
peuvent exercer via un vote consultatif - sur la rémunération des dirigeants des gran-
des banques canadiennes et de certaines entreprises cotées (BCE, Manuvie, la Sun
Life et Telus). Sur réception du rapport du comité de rémunération, ils peuvent
désormais exprimer leur accord ou leur désaccord avec les salaires payés aux diri-
geants. Cette possibilité constitue une avancée importante pour les petits porteurs et
montre une évolution quant à la prise en compte de leurs droits par les équipes diri-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

geantes.
L’activisme actionnarial a grandement contribué à l’amélioration de la qualité de
la gouvernance dans les grandes entreprises, mais cette forme d’autorégulation, de la
part des acteurs sur les marchés financiers, n’a pas pu, à elle seule, régler tous les
problèmes de gouvernance. De toute évidence, ces améliorations n’ont pas permis
d’éviter les scandales et les fraudes apparus au début des années 2000 – affaires

1. Site CalPERS : http://www.calpers-governance.org/


2. À ce sujet le lecteur est invité à prendre connaissance du rapport intitulé : « The CalPER’S effect on
targeted company share prices ». Site de CalPERS : http://www.calpers-governance.org/docs-
sof/focuslist/wilshire-rpt.pdf.
147
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Enron, Worldcom et Parmalat. L’autorégulation des marchés financiers a des limites


et celles-ci sont accentuées lorsque les marchés sont surévalués, comme ce fut le cas
dans la fin des années quatre-vingt-dix (Jensen, 2002). Il faut certes une surveillance
de la part des actionnaires et un dialogue des investisseurs avec les équipes dirigean-
tes, mais ceux-ci doivent être accompagnés de mécanismes de rémunération
appropriés, d’instances de surveillance compétentes et d’une réglementation
adéquate. En outre, et par-dessus tout, tous ces mécanismes doivent s’inscrire au
cœur d’une finalité partagée, soit la création de valeur à long terme et la performance
durable.

3 Les codes de conduites en matière de gouvernance

De nombreux codes de conduites suggérant « les meilleures pratiques de


gouvernance » ont été élaborés ces dernières années dans divers pays du monde 1. Au
Canada, les premières initiatives en ce sens remontent à 1994 avec le rapport Dey
intitulé « Où étaient les administrateurs ? ». Ce rapport a introduit les 14 premières
directives en matière de fonctionnement et de composition des conseils d’adminis-
tration. Celles-ci sont désormais reconnues comme des références au Canada.
Une deuxième vague importante de changements est associée à la parution en
2001 du rapport Saucier. Ce dernier est le fruit du travail des organismes d’autorégu-
lation, tels la bourse de Toronto (TSX) ainsi que l’Institut canadien des comptables
agrées (ICCA) et la Bourse canadienne de croissance (CDNX). Le rapport Saucier
rappelle surtout la nécessité de développer une culture de gouvernance au sein des
conseils d’administration. Cette considération se reflète dans le titre même du
rapport intitulé : « Au-delà de la conformité, la gouvernance ». Dès lors, il ne suffit
pas de se conformer aux règles mais il faut aussi se conformer à l’esprit des règles,
ce qui implique de voir au-delà de ce qui est dicté, pour assurer la bonne gouver-
nance des entreprises.
Plus récemment, en 2003, nous avons assisté à une troisième vague de réformes,
insufflée par la loi Sarbanes-Oxley 2 aux États-Unis, provoquant la publication de
nombreux règlements nationaux 3 précisant notamment les grandes lignes en matière
de gouvernance, la divulgation de l’information concernant les pratiques en matière
de gouvernance ainsi que les normes entourant les pratiques des comités de vérifica-
tion, la rémunération des dirigeants, etc. Au Canada, les investisseurs institutionnels,

1. Pour consulter l’inventaire des codes de conduite des différents pays, le lecteur est invité à consulter
le site Internet d’ECGI à l’adresse suivante : http://www.ecgi.org/codes/all_codes.php
2. Sarbanes-Oxley Act of 2002, 30 juillet 2002, H.R. 3763.
3. http://www.tmx.com/fr/pdf/NI58-101_DisclosureOfCGPractices_Apr15-05.pdf, http://www.lauto-
rite.qc.ca/userfiles/File/reglementation/valeurs-mobilieres/autres-reglements-texte-vigueur/infor-
mation-continue/58-201IGfr.pdf

148
La gouvernance d’entreprise et le développement durable

représentés par la coalition canadienne pour la bonne gouvernance (CCGG), ont


aussi élaboré leurs recommandations sur les meilleurs modes de fonctionnement des
conseils d’administration. Ceux-ci constituent désormais des références incontour-
nables pour les sociétés cotées. À titre indicatif, les douze grands principes qui
doivent guider la mise en place d’un conseil performant, 1 sont présentés au
Repères ci-dessous.

 Repères Principe de gouvernance d’entreprise


(CCGG, 2005)

Les administrateurs :un excellent conseil d’administration recrute des administrateurs


efficaces, dévoués et indépendants.
1er principe - S’assurer de la qualité des membres du conseil.
2e principe - Exiger des administrateurs une participation en actions.
3e principe - Nommer une majorité d’administrateurs indépendants.
Structureduconseil :dansunexcellentconseild’administration,lesrôlesetlesresponsa-
bilités sont clairement définis.
4e principe - Distinguer les fonctions de président et de chef de la direction.
5e principe - Établir l’indépendance et les mandats des comités du conseil.
6e principe - Respecter les « nouvelles » exigences inhérentes au comité de vérification.
L’activitéduconseil :unexcellentconseild’administrationcherchesanscesseàaméliorer
son rendement.
7e principe - Évaluer le rendement du conseil et des comités.
8e principe - Examiner le rendement des membres du conseil.
9e principe - Évaluer le chef de la direction et le plan de relève.
10e principe - Assurer la supervision de la direction et de la planification stratégique.
11e principe - Superviser l’évaluation et la rémunération de la direction.
12e principe - Rendre compte aux actionnaires des politiques et des initiatives en matière
de gouvernance.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

1. La Coalition canadienne pour la bonne gouvernance (CCGG) est un regroupement d’investisseurs


institutionnels et a comme mission de promouvoir les bonnes pratiques de gouvernance dans les
entreprises. Pour consultation : http://www.ccgg.ca/.

149
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Section LES INSTANCES DE SURVEILLANCE DANS


2 LES ENTREPRISES COTÉES

Qui dit bonne gouvernance dit forcément transparence, dialogue stratégique, inté-
grité et reddition des comptes. Une bonne gouvernance implique donc, entre autres,
des instances de surveillance composées d’administrateurs avisés, compétents, intè-
gres et loyaux. En tant que principales instances de gouvernance, le conseil d’admi-
nistration et ses divers comités spécialisés ont fait l’objet d’une attention soutenue
ces dernières années.

1 Les rôles du CA

Selon Johnson, Daily et Ellstrand (1996), les rôles du conseil d’administration


peuvent généralement être répartis en trois grandes catégories : le contrôle, le
conseil et l’accès aux ressources critiques. À l’égard de sa responsabilité de
contrôle, les administrateurs doivent surveiller la conduite de la haute direction afin
qu’elle agisse conformément aux intérêts de l’entreprise. Comme les actionnaires ne
sont pas à même d’observer les comportements des dirigeants, ils mandatent les
administrateurs afin qu’ils assurent cette surveillance et qu’ils veillent à leurs inté-
rêts ainsi qu’à ceux de l’entreprise. Le contrôle s’inscrit inévitablement dans une
visée disciplinaire et implique donc l’indépendance des administrateurs. Pour ce qui
est de son rôle de conseil, le CA vise plus précisément le support à l’équipe de direc-
tion dans le choix des grandes orientations stratégiques de l’entreprise : les adminis-
trateurs ont pour responsabilité d’approuver et de questionner ces choix. Pour ce
faire, ils doivent être informés et compétents. Finalement, les administrateurs, de par
leurs réseaux de contacts, sont souvent des courroies de transmission vers les
ressources externes à l’entreprise. Ils peuvent ainsi faciliter l’accès aux ressources
critiques. Par ressources critiques, nous entendons une ressource indispensable à la
bonne conduite de l’entreprise. Par exemple les ressources financières peuvent être
critiques pour l’entreprise en démarrage mais il peut aussi s’agir d’une expertise
externe dans le contexte où l’entreprise opère dans un secteur de pointe. En partant
de ces trois rôles, un certain nombre de principes visant la composition et les modes
de fonctionnement du conseil d’administration ont été élaborés.

2 La composition des conseils d’administration

Premièrement, pour être efficace, un conseil d’administration doit être de taille


raisonnable. Auparavant, certains conseils d’administration pouvaient compter plus
de 30 administrateurs, c’était le cas notamment de la Banque royale du Canada dont
le siège social est au Québec et qui comptait 37 membres en 1993. Heureusement, si

150
La gouvernance d’entreprise et le développement durable

l’on prend la taille moyenne des conseils d’administration des 50 plus grandes entre-
prises québécoises ouvertes en 2007, elle est actuellement de 11 membres 1. La taille
du conseil est généralement reliée au chiffre d’affaires de l’entreprise.
Deuxièmement, un conseil d’administration doit être composé d’un nombre suffi-
samment élevé d’administrateurs indépendants pour être en mesure d’exercer ses
responsabilités fiduciaires et disciplinaires à l’égard de l’équipe dirigeante. En géné-
ral, si l’on se réfère aux recommandations contenues dans les lignes directrices en
matière de gouvernance, le conseil d’administration devrait être composé d’une
majorité d’administrateurs indépendants, de manière à ce qu’ils puissent porter un
jugement objectif et impartial vis-à-vis de l’équipe de direction. Il est à noter cepen-
dant que l’indépendance ne doit pas être le seul attribut d’un administrateur et d’un
conseil d’administration.
Comme le précisent Allaire et Firsirotu (2003), si nous souhaitons mettre en place
un système de gouvernance créateur de valeur, un administrateur devrait posséder
deux principaux attributs : la légitimité et la crédibilité.
« En fait, des mandants légitimes et crédibles constituent une condition sine qua
non – une condition nécessaire, mais non suffisante – de la gouverne de création
de valeur (…)Malheureusement, on commet trop souvent l’erreur, dans le débat
sur la gouvernance, de laisser tomber les éléments de légitimité et de crédibilité,
et de mettre plutôt l’accent sur l’indépendance des administrateurs (…) » (ibid,
p. 18).
L’indépendance ne garantit pas à elle seule la légitimité mais elle la complète. En
plus d’être indépendant, l’administrateur légitime aura à cœur la défense des intérêts
des actionnaires et la performance durable de l’entreprise. Ses motivations seront
nobles et il sera en mesure d’engager et de soutenir un dialogue stratégique avec les
dirigeants.
Afin d’assumer correctement son rôle, l’administrateur doit aussi être crédible et
pour ce faire, « l’administrateur doit investir du temps pour bien saisir les enjeux
stratégiques et concurrentiels de l’entreprise, les sources de sa valeur économique, la
qualité de son leadership à divers niveaux, ses valeurs de gestion, les principaux
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

facteurs qui dictent la valeur de ses actions et ainsi de suite » (ibid, p. 21). Ces attri-
buts permettent aux administrateurs de jouer leur rôle conseil et de contribuer de
manière constructive à la stratégie de l’entreprise.

1. Dans « Les pratiques et tendances dans l’organisation et la rémunération des conseils d’administra-
tion des 50 plus importantes entreprises au Québec », p. 7.
151
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

3 Les comités spécialisés du CA

En termes de structure, le conseil d’administration devra s’appuyer sur les travaux


de divers comités spécialisés sur lesquels siègent des administrateurs indépendants.
Ces comités ont généralement un mandat écrit dont ils s’acquittent tout au long de
l’année et ils font ensuite un rapport au conseil. Ces dernières années, l’attention
s’est portée davantage sur le rôle et la composition du comité de vérification, étant
donné le mandat de ce dernier et les problèmes de transparence, de manipulation et
d’intégrité des informations financières apparues dans certaines entreprises. Des
réflexions ont aussi été menées sur la responsabilité du comité de rémunération.
C’est à ce dernier qu’incombe notamment de déterminer la rémunération de la haute
direction. Cet enjeu est crucial pour les entreprises et les parties prenantes. Pour sa
part, la rémunération des administrateurs est généralement assumée par le comité de
nomination. Comme son nom l’indique, celui-ci nomme, forme et détermine la
rémunération des administrateurs. Pour terminer, les entreprises ont souvent un
comité de régie d’entreprise – ou l’équivalent. Ce dernier élabore des pratiques de
saine gouvernance et diffuse les informations touchant la gouvernance aux instances
de réglementation. Ce comité veille au bon fonctionnement du conseil d’administra-
tion et il procède à son évaluation annuelle.

Section LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LA GOUVERNANCE


3
Dans les sections précédentes, nous avons présenté l’évolution qu’a connue la
gouvernance ces dernières années et les raisons qui ont mené à de tels changements.
Nous avons discuté des limites du modèle actionnarial et de l’essor du développe-
ment durable. Dans cette section, nous tentons de réconcilier les deux sujets à partir
d’une analyse de l’évolution de la gouvernance dans les entreprises leaders en déve-
loppement durable. Quels sont les aménagements apportés à la composition et au
fonctionnement du conseil d’administration et des comités spécialisés dans un
régime de croissance basé sur le développement durable plutôt que sur la création de
valeur pour l’actionnaire ? Comment les instances de gouvernance se sont-elles
ajustées afin de pouvoir intégrer ce nouveau mode de gouvernance et de gestion ?
L’essor du développement durable introduit des changements fondamentaux dans la
manière de conduire les entreprises, ce qui devrait inévitablement affecter leurs
systèmes de gouvernance.

1 Les ajustements aux systèmes de gouvernance en lien


avec le DD
Pour illustrer l’évolution de la gouvernance en lien avec l’essor du développement
durable, nous avons décidé d’utiliser les résultats d’une étude empirique menée par
152
La gouvernance d’entreprise et le développement durable

Ricart, Rodriguez et Sanchez (2005). Cette étude propose une analyse de la gouver-
nance de 18 grandes sociétés cotées reconnues comme des leaders par le Dow Jones
Sustainability World Indexes (DJSI).
D’après les résultats obtenus, voici les grands changements apparus ces dernières
années dans les systèmes de gouvernance de ces entreprises en réponse aux nouvel-
les prérogatives du développement durable.
– La référence à des valeurs : l’évolution amenée par le développement durable
provoque des changements fondamentaux qui se reflètent dans les discours des
entreprises et dans les valeurs qu’elles véhiculent. Partant de ce constat, les
auteurs relèvent, à partir des discours officiels des grandes entreprises leaders en
DD, les termes : « durabilité », « responsabilité » et « intégrité ». Ces valeurs se
transposent notamment dans les codes de conduite à l’interne et dans les grandes
politiques d’approvisionnement à l’externe.
– La composition des conseils d’administration : une entreprise engagée dans le
développement durable devrait avoir des administrateurs avisés et compétents en
la matière. L’étude rapporte que dans les grandes entreprises leaders en DD, tous
les administrateurs ont une bonne maîtrise des connaissances en DD et ils sont en
mesure de discuter et de débattre de questions de DD avec compétence. Pour
certains conseils d’administration, les administrateurs ont eu droit à une forma-
tion en DD.
Également, avec un nouveau modèle de croissance axé sur le DD, il y a lieu de
revoir les tableaux de bord de gestion afin d’y intégrer de nouveaux indicateurs.
Ricart, Rodriguez & Sanchez (2005) font remarquer que, sur ce dernier point, il
manque actuellement d’indicateurs pour rendre compte des performances de
l’entreprise à l’égard de facteurs intangibles propres au DD. L’élaboration de
nouveaux tableaux de bord DD sera certainement un défi pour de nombreuses
entreprises ces prochaines années.
– Des structures de gouvernance propre au DD : dans les entreprises recensées
dans l’étude, la plupart (10/18) dispose d’un comité spécialisé en DD. Plus de la
moitié d’entre eux est composée exclusivement d’administrateurs externes alors
que l’autre moitié est composée de membres de la haute direction. Certaines
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

entreprises (7/18) traitent plutôt des questions de DD à l’intérieur des activités des
comités existants en assignant ou non un administrateur spécifiquement à cette
responsabilité. Le changement de structure pour y ajouter un comité spécial en
DD apparaît comme un élément fondamental contribuant à l’intégration du DD
dans la stratégie de l’entreprise. Dans les grandes entreprises étudiées, les comités
de DD se rencontrent entre deux à quatre fois par année et des dispositifs de trans-
mission de l’information avec le conseil sont établis. Dans tous les cas, il n’est pas
tout d’avoir des structures en place, aussi faut-il avoir des procédures qui permet-
tent de discuter formellement des enjeux liés au DD dans la stratégie et les prati-
ques de l’entreprise. À cet égard, dans les entreprises étudiées, les discussions et
débats entourant les orientations stratégiques et les politiques en matière de DD
ont lieu au conseil d’administration à raison d’une fréquence moyenne de deux à
153
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

quatre fois par année. Certaines entreprises disent recourir à un expert externe
lorsque nécessaire.
– Le dialogue avec les parties prenantes : de cette étude, il ressort également que
les entreprises leaders en DD sont nettement plus ouvertes au dialogue avec les
parties prenantes. Plus de 50 % d’entre elles, disent être influencées par les inté-
rêts de ces dernières lors de décisions stratégiques. Parmi les parties prenantes
citées, les actionnaires arrivent en premier lieu (100 % des répondants) mais la
plupart considèrent fortement les communautés locales (94 %), les gouverne-
ments (83 %), les fournisseurs et les syndicats (61 %) ainsi que les ONG, les
groupes d’intérêts et les médias (plus de 50 %) dans leur prise de décision. Des
mécanismes formels tels des rencontres ponctuelles – via des réunions ou tout
autres formes de forum - des panels de parties prenantes, ainsi que des vecteurs de
communication spécifiques – via Internet, intranet, notamment – sont mobilisés
afin de maintenir le dialogue.

2 Le cas d’une entreprise québécoise : la compagnie Cascades


Cascades est une entreprise familiale, fondée en 1964 et spécialisée dans la fabri-
cation, la transformation et la commercialisation de produits d’emballage et de
papiers tissu faits à partir de fibres recyclées. Elle est une entreprise québécoise
cotée en bourse reconnue pour ses préoccupations environnementales et sociales.
Elle compte près de 13 000 employés et employées et est fortement implantée dans
son milieu. À ce titre, Cascades est un fleuron québécois en matière de développe-
ment durable.
Comme en témoignent les perspectives énoncées dans le rapport annuel 2008 :
« À moyen terme, le plan d’action stratégique de Cascades et la création de valeur
pour nos actionnaires devraient s’articuler principalement autour de deux axes : le
développement durable et l’amélioration continue de la flexibilité financière. Dans le
cas du développement durable, la stratégie est simple : poursuivre ce que nous
faisons depuis 45 ans et le mettre à l’avant-plan. En effet, comme nous l’avons fait
depuis les débuts de Cascades, nous continuerons d’innover de manière à dévelop-
per des produits toujours plus respectueux de l’environnement. Nous travaillerons
aussi davantage avec nos fournisseurs pour que ceux-ci progressent dans la même
direction que nous. Et comme nous l’effectuons davantage depuis quelques années,
nous poursuivrons les efforts de marketing et de ventes pour exploiter le plein poten-
tiel de notre expertise en développement durable. Dans les marchés compétitifs au
sein desquels nous évoluons, nous sommes d’avis qu’il est essentiel que Cascades
conserve son leadership dans l’emballage et les papiers verts. Cela nous permet de
nous démarquer, d’accroître nos ventes et de créer de la valeur pour nos
actionnaires. » 1

1. Rapport annuel 2008, p. 25.


154
La gouvernance d’entreprise et le développement durable

Lorsque nous analysons plus en détail le système de gouvernance de Cascades,


nous relevons les faits suivants.
En termes de composition de son conseil d’administration, 13 administrateurs
siègent au conseil de Cascades et parmi eux, 7 sont déclarés indépendants. Par
ailleurs, les administrateurs indépendants ont la possibilité de se réunir sans la
présence de la haute direction à la fin des chacune des réunions du conseil ou à un
autre moment, à raison d’une fois par année. Le conseil de Cascades est présidé par
un administrateur indépendant de la direction. L’entreprise compte sur plusieurs
comités, dont un comité d’environnement, de la santé et de la sécurité, composé de
trois membres externes. Le président de ce comité, Monsieur Martin Pelletier
semble détenir toutes les compétences nécessaires à cette fonction 1. Le comité
d’environnement, de la santé et de la sécurité possède un mandat clairement établi se
résumant comme suit : « Réviser régulièrement la performance de la Compagnie en
matière d’environnement pour vérifier que les opérations de la Compagnie soient
conduites selon les normes de l’industrie ainsi que les standards imposés par les lois
et les règlements sur la qualité de l’environnement. Il est également chargé de révi-
ser régulièrement la performance de la Compagnie en matière de santé et de sécurité
en milieu de travail pour vérifier que les opérations de la Compagnie atteignent ou
dépassent les normes de l’industrie et respectent les standards imposés par la loi. »
(circulaire de direction, p. 24). Ce comité s’est réuni quatre fois en 2008 et le taux de
présence, à chaque rencontre, était de 100 %.
L’entreprise a aussi un comité de régie d’entreprise et de mises en candidature,
lequel a pour responsabilité d’assurer la qualité de l’information divulguée en
matière de gouvernance et de voir au recrutement des administrateurs. Ce comité est
notamment responsable de l’évaluation du fonctionnement du conseil d’administra-
tion et il émet des recommandations concernant la rémunération des administra-
teurs. L’entreprise dispose d’un programme de formation pour les nouveaux
administrateurs afin de les sensibiliser aux enjeux et aux réalités de l’entreprise.
Les pratiques de gouvernance de l’entreprise semblent conformes aux grandes
lignes directrices en matière de gouvernance. L’intégration des considérations envi-
ronnementales et sociales, par les structures de gouvernance et la stratégie de
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

l’entreprise est attestée. Le conseil d’administration est composé de membres possé-


dant une expertise en matière d’environnement. Cascades est une entreprise sensible
au développement durable du fait que le marché des produits « verts » constitue un
de ses axes de développement. Toutefois, il semble que la compagnie Cascades ne
compte pas réellement de mécanismes de dialogue officiels avec ses parties prenan-
tes et bien que ce ne soit pas possible à valider à partir des documents publics, elle
ne semble pas disposer non plus d’un système de tableau de bord ajusté aux préroga-
tives du DD.

1. Monsieur Martin Pelletin, outre sa formation première, ingénieur et PhD, est également administra-
teur d’une entreprise de haute technologie dans le domaine du recyclage du gaz carbonique.
155
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Conclusion
En conclusion, nous avons assisté, depuis un certain nombre d’années, à une évolution
substantielle des systèmes de gouvernance des entreprises cotées. Ces changements se sont
d’abord produits en réaction aux pressions des grands investisseurs institutionnels et
actionnaires, mais ils se poursuivent actuellement afin de répondre aux nouvelles revendi-
cations des autres parties prenantes et prérogatives du DD. À travers l’adaptation qu’ont
connue les structures et pratiques de gouvernance de grandes entreprises cotées, nous
avons pu illustrer comment s’implantent graduellement les considérations environnemen-
tales, sociales et économiques dans les entreprises. À plus petite échelle, l’entreprise
québécoise Cascades a servi d’exemple pour rendre compte de cette évolution. L’entre-
prise se conforme aux grandes lignes directrices en matière de gouvernance et elle a aussi
adapté son « système de pilotage » au développement durable. Ces changements sont très
encourageants et ils démontrent une ouverture de la part des équipes dirigeantes à s’adap-
ter aux nouvelles réalités du DD.

156
Le développe-
Partie ment durable :
un paradigme
3appliqué à
la gestion

L ’évolution des mœurs, des comportements de consommation et plus générale-


ment les nouvelles attentes des citoyens font prendre conscience aux entrepri-
ses que leur responsabilité dépasse largement les cadres légaux et
réglementaires grâce auxquels elles pouvaient jusqu’alors légitimer leurs comporte-
ments. De fait, le mode de management des entreprises tend à s’adapter afin de tenir
compte de ce nouveau contexte.
Dans cette dernière partie, nous tenterons de décrire les meilleures approches,
méthodes et outils, permettant de prendre en compte le DD dans de nombreux
domaines de la gestion : GRH, marketing, comptabilité, etc.
Le premier chapitre s’intitule « Du concept de développement durable à la notion
de management ». L’auteur, Dominique WOLFF, présente le développement durable
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

comme étant une réponse consensuelle aux nouvelles attentes de la sphère politique
ou de la société civile en termes de protection de l’environnement, de valeurs, d’éthi-
que… Dans ce onzième chapitre, les principaux référentiels normatifs en faveur du
management durable sont présentés : notamment, le guide français SD 21000 pour
la prise en compte des enjeux de DD dans la stratégie et le management de l’entre-
prise.
Par ailleurs, il apparaît que même parmi les entreprises les plus avancées en
matière de DD, le marketing fait historiquement figure de « zone floue ». Les
rapports de DD donnent, par exemple, encore peu d’informations sur la façon dont la
politique générale de l’entreprise s’applique au marketing. Ainsi, l’auteure de ce
douzième chapitre, Élisabeth LAVILLE, fait le point sur les nouvelles attentes des
consommateurs en termes de marketing – bilan des opportunités et risques
157
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

nouveaux. Également, l’auteure explique comment l’entreprise peut différencier son


offre en valorisant, de manière novatrice, son image de marque grâce au marketing
« vert » ou au marketing social, par exemple.
Jacques IGALENS, dans un chapitre intitulé « La gestion des ressources humaines à
l’épreuve de la RSE », montre que la GRH est dorénavant confrontée à de nouvelles
problématiques – de nouvelles attentes – de la part des salariés et de leurs syndicats.
L’auteur constate que ces évolutions convergent pour « refaçonner » les rôles tradi-
tionnels du DRH : notamment, sa capacité à tenir compte des parties prenantes perti-
nentes, savoir les sélectionner, réussir à les mettre en situation de s’exprimer, leur
rendre des comptes, mesurer leur satisfaction, etc.
Pierre BARET présente de manière synthétique et didactique ce qu’est un
« Système de management de l’environnement (SME) », la manière de le mettre en
place, de l’évaluer, de le piloter, etc. De même, dans ce quatorzième chapitre,
l’auteur développe les principaux bénéfices attendus lors du déploiement d’une poli-
tique environnementale.
De ces différents chapitres, il apparaît que dans un contexte d’affaires en forte
mutation, les gestionnaires ont besoin d’outils comptables adaptés. Dans cette quin-
zième contribution, Hélène BERGERON identifie de nouveaux enjeux pour le contrôle
de gestion et les sciences comptables en général. Dans ce chapitre, intitulé
« Développement durable : les apports et les limites de la comptabilité », l’auteure
présente les principales méthodes comptables adaptées au contexte pouvant rendre
compte et permettre de piloter une stratégie de DD.
Enfin, étant donné le caractère stratégique des « achats », notamment dans le
secteur industriel, que ce soit du point de vue économique – image de marque et
amélioration des marges de l’entreprise – ou comme prescripteur de nouveaux
comportements – tout au long de la chaîne d’approvisionnement – nous avons choisi
d’adjoindre à la deuxième édition de ce manuel un dernier chapitre intitulé « Les
achats responsables en pratique ». Dans ce chapitre, Lucie BOYER et Dominique
WOLFF présentent les enjeux propres au déploiement d’une politique d’achats
responsables. Dans cette dernière contribution, les auteurs font une large place à
l’évolution des comportements dans le service achats et ce, grâce à une étude menée
dans le secteur automobile français sur la période 2004-2008.

158
Chapitre Du concept de
développement durable
11 à la notion de
management durable

Dominique WOLFF

L e principe de développement durable semble progressivement apparaître


comme une forme de consensus idéal permettant de croiser les préoccupations
de deux systèmes de valeur antagonistes : la logique de marché et les attentes
moralistes de la société civile. Dans ce chapitre seront présentés les principaux
guides et référentiels permettant à l’entreprise d’intégrer le concept de développe-
ment durable à son mode de management.

Section 1 ■ Une évolution inéluctable du comportement managérial


Section 2 ■ La matérialisation de l’idée d’un management durable
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Section 3 ■ Le guide SD 21000 en action…

159
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Section UNE ÉVOLUTION INÉLUCTABLE DU COMPORTEMENT


1 MANAGÉRIAL

1 Un contexte en forte mutation

L’interpénétration croissante des économies et l’émergence de nouveaux marchés


ont fortement modifié le champ traditionnel d’activité de l’entreprise. Par ailleurs, la
globalisation des marchés fut suivie d’une forte intensification de la concurrence qui
a obligé les firmes à faire face à un environnement de plus en plus complexe,
contraignant et en constante mutation. Cette mondialisation s’est également accom-
pagnée d’une baisse sensible des barrières douanières résultant des accords de
l’OMC. Ces différents bouleversements ont abouti à une modification radicale du
tissu économique : restructurations, fusions, acquisitions et délocalisations brutales.
La modification des périmètres de marchés fut certes riche en termes de croissance
économique et financière mais également source d’inquiétudes de la part de la
société civile. Ces sentiments furent notamment attisés par les quelques dérapages
retentissants qui ont fait grand bruit ces dernières années – affaires Enron, World-
com, WU, Parmalat, crise des subprimes, etc.

Exemple
La découverte d’irrégularités dans la comptabilité de la société Enron a provoqué la chute
vertigineuse de son cours le mardi 16 octobre 2001. De 85 dollars US, l’action est passée à 26
cents conduisant à la faillite de cette compagnie en moins de deux mois. Le cabinet Arthur
Andersen, qui certifiait les comptes de la compagnie, depuis plusieurs années, fit l’objet d’une
enquête de la Securities Exchange Commission (SE, Commission de sécurité des échanges
boursiers US) ; ce fut également le cas de plusieurs dirigeants d’Enron ayant dissimulé des
pertes et des dettes dans la comptabilité de cette compagnie.
Source : « Enron : faillite spectaculaire du courtier en énergie américain », www.novethic.fr

Ces mutations furent accompagnées d’une croissance de la pression exercée par la


société civile sur le comportement des firmes. Le pouvoir des médias, associé à
l’évolution des moyens de communication, a permis à une certaine forme de démo-
cratie directe de prendre une place de plus en plus importante sur l’échiquier politi-
que en s’octroyant le droit de réclamer directement des comptes aux acteurs
économiques les plus puissants (Wolff, 2007a). Ainsi, depuis quelques années,
jamais les questions relatives à la bonne gouvernance des entreprises ou à la transpa-
rence de la gestion n’ont été aussi nombreuses lors des assemblées générales des
grands groupes cotés en Bourse. De même, jamais les ONG n’ont eu aussi bonne
presse auprès de l’opinion publique que lorsqu’elles s’attachent à défendre des
causes liées à l’environnement, les droits de l’Homme ou la protection de la faune et
de la flore.

160
Du concept de développement durable…

L’influence des ONG est devenue plus prégnante dans notre société. Cette
nouvelle réalité s’explique, pour partie, par le désenchantement progressif des
citoyens face au manque d’initiatives et aux difficultés à retranscrire en actes les
décisions politiques prises au niveau international. Par ailleurs, ces dernières années,
les ONG ont su également faire évoluer leurs modes d’action. D’une logique pure-
ment radicale, comme c’est encore le cas pour Greenpeace - dénonciations retentis-
santes, appels à boycott, etc. – certaines d’entre elles – comme le WWF (cf. exemple
suivant) – ont choisi le dialogue et l’engagement auprès des décideurs économiques.

Exemple
Partenaire historique, Carrefour est engagé aux côtés du WWF depuis 1998. Cette collabora-
tion a débuté autour des enjeux de la protection des forêts notamment avec la promotion du
bois FSC (label garantissant une gestion des forêts respectueuse de l’homme et de la nature) et
s’est étendue rapidement à d’autres sujets : arrêt des sacs de caisse jetables, sensibilisation des
clients aux achats responsables, et surtout un travail de fond sur l’amélioration de certaines
filières d’approvisionnement : produits de la mer, huile de palme, soja, pesticides, emballages,
papier, fruits et légumes…
Source : www.wwf.fr/partenariats-entreprises/nos-partenariats-strategiques/carrefour

Toutes ces nouvelles contraintes pèsent de manière grandissante sur les modes de
gestion et les types de gouvernance des entreprises. Comme cela a été évoqué précé-
demment, par contrainte ou par opportunité, les modes de management des entrepri-
ses ont dû s’adapter pour tenir compte du concept de développement durable envers
lequel la société civile est de plus en plus sensible. De nombreux dirigeants d’entre-
prise l’ont bien compris. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler l’engouement
partagé par l’ensemble des firmes multinationales à ratifier le Global Compact,
proposé par Kofi Annan, à l’époque, secrétaire général de l’ONU. Début 2010, plus
de 7 700 chefs d’entreprises, parmi les plus puissants, et autres parties prenantes et
ce dans plus de 130 pays, se sont engagés autour du Global Compact. En quelques
mots, il s’agit d’un engagement contractuel par lequel des entreprises promettent de
respecter dix principes universellement acceptés touchant aux droits de l’homme,
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

aux normes du travail, à l’environnement et à la lutte contre la corruption.

 Repères Les dix principes du Global Compact

Droits de l’homme
1. Les entreprises sont invitées à promouvoir et à respecter la protection du droit interna-
tional relatif aux droits de l’Homme dans leur sphère d’influence ;
2. À veiller à ce que leurs propres compagnies ne se rendent pas complices de violations
des droits de l’Homme.

161
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Droit du travail
3. Les entreprises sont invitées à respecter la liberté d’association et à reconnaître le droit
de négociation collective ;
4. L’élimination de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire ;
5. L’abolition effective du travail des enfants ;
6. L’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession.
Environnement
7. Les entreprises sont invitées à appliquer l’approche de précaution face aux problèmes
touchant l’environnement ;
8. À entreprendre des initiatives tendant à promouvoir une plus grande responsabilité en
matière d’environnement ;
9. À favoriser la mise au point et la diffusion de technologies respectueuses de l’environne-
ment.
Lutte contre la corruption
10. Les entreprises sont invitées à agir contre la corruption sous toutes ses formes, y
compris l’extorsion de fonds et les pots-de-vin.
Source : www.unglobalcompact.org/Languages/french/dix_principes.html

Actuellement, pour faire suite à cette réussite, les Nations unies (ONU) s’attachent
à instaurer des principes pour les investissements responsables – notés PRI. Le
27 avril 2006, l’ONU a demandé aux fonds de pensions, assurances et institution-
nels publics de ratifier les PRI afin de les encourager à prendre systématiquement en
compte les problématiques environnementales, sociales et de bonne gouvernance –
notées ESG – pour l’évaluation des risques et opportunités de leurs placements
financiers. À l’origine, cette initiative a pour ambition de permettre aux entreprises
qui ont fait l’effort nécessaire, en prenant en compte les principes de responsabilité
sociale de l’entreprise (RSE) dans leurs modes de gestion, d’être valorisées en
conséquence par la communauté financière. Également, ces principes promouvant
les investissements responsables ont pour finalité de généraliser la prise en comptes
de critères extra-financiers dans les arbitrages financiers et/ou boursiers au-delà du
seul créneau de la finance socialement responsable.
Enfin, l’engagement des fonds de pension dans ce que l’on appelle l’activisme
actionnarial a continué d’accompagner le changement de comportement des entre-
prises sur les questions liées à l’environnement, le social et le type de gouvernance.
Lorsqu’on parle d’activisme actionnarial, il s’agit en réalité d’exercer systématique-
ment les droits associés à la qualité d’actionnaire – dépôts de résolutions, droits de
votes – afin de faire évoluer le comportement des sociétés cotées. Ces dernières
années, l’engagement actionnarial a pris une ampleur considérable dans les pays
anglo-saxons. Actuellement, les thématiques les plus sensibles sont relatives aux
droits de l’homme, au réchauffement climatique et aux questions liées à la gouver-
nance d’entreprise.

162
Du concept de développement durable…

2 Le cas de la société Nike

De ce premier bilan, il semble que l’on soit entré dans une nouvelle ère du mana-
gement. En effet, en liant court terme et long terme, action citoyenne, politique
publique et entrepreneuriale, le DD apparaît comme une évolution de notre projet de
société mettant au centre de nos préoccupations la notion de RSE. Sur ce point,
l’exemple de Nike est tout à fait significatif.
Malgré un dynamisme économique exceptionnel aux États-Unis, lors de la période
1990-2000, la société Nike vit son chiffre d’affaires diminuer de 10 % et le cours de
son action fortement menacé, passant de 76 $ à moins de 28 $, entre 1997 et 2000
(Mauléon & Wolff, 2005).
Tableau 11.1
1997 1998 1999 2000

Résultat net 795,8 399,6 451,4 579,1

CAHT Nike (USA) 5 538,2 5 460 5 042,6 5 017,4


CAHT Nike (Europe) 1 789,8 2 096,1 2 255,8 2 350,9

CAHT Nike (Asie) 1 241,9 1 253,9 844,5 955,1

CAHT Nike (Rdm) 616,6 743,1 634,0 671,7

CAHT consolidé Nike 9 186,5 9 553,1 8 776,9 8 995,1

CAHT consolidé Adidas 3 425 5 065 5 354 5 835

Sources : rapport d’activité 2000.

Sur cette période, Nike fit l’objet de campagnes de protestations de la part d’ONG
et de mouvements universitaires récusant les pratiques sociales douteuses des sous-
traitants de cette compagnie. Dans un premier temps, les dirigeants de Nike ont
préféré ignorer les critiques, considérant que vérifier les conditions de travail de la
sous-traitance n’était pas de leur responsabilité. D’un point de vue strictement juri-
dique, Nike était dans son « bon droit », toutefois, du point de vue de l’opinion
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

publique – et relativement à l’ampleur des mouvements contestataires et les risques


financiers et boursiers inhérents – l’équipementier fut obligé de composer avec ses
principaux détracteurs.
À compter de ces évènements, Nike comprit que la responsabilité sociale d’une
entreprise ne pouvait plus s’arrêter au seul périmètre de son capital social mais
devait également prendre en compte les attentes de ses principales parties prenantes.
De la sorte, en changeant de comportement, et en adoptant une conduite transpa-
rente, Nike réussit à transposer un certain nombre de contraintes internes – économi-
ques et financières – et externes – revendications des ONG et de l’opinion publique
– en opportunités de marché.

163
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Ainsi, la première disposition prise par Nike consista à réécrire le code de bonne
conduite « fournisseurs » datant de 1992 pour qu’il puisse servir de base à un enga-
gement contractuel. Globalement, cette charte oblige les sous-traitants à respecter
les principales recommandations de l’Organisation internationale du travail (OIT).
Afin de rassurer l’opinion publique, des audits « fournisseurs » furent réalisés et ces
rapports d’audits furent par la suite publiés : Nike est la première compagnie à
publier – depuis le rapport de RSE 2006 – la liste complète et les coordonnées de
tous ses sous-traitants.
Outre cette communication basée sur la transparence, Nike a également souhaité
techniquement repenser ses produits pour qu’ils soient plus respectueux de l’envi-
ronnement – notamment grâce à l’analyse du cycle de vie des produits (cf. chapitre
n˚ 14). En pratiquant de la sorte, Nike a pu diminuer ses coûts et gagner en compéti-
tivité. Au total, ces différentes initiatives ont offert un axe de communication supplé-
mentaire à Nike, répondant aux attentes d’une nouvelle tranche de consommateurs
très sensibles aux problèmes environnementaux et ce, en toute cohérence avec
l’image d’entreprise innovante cultivée par ladite marque (Mauléon & Wolff, 2005).
À la vue de cet exemple, nous pouvons dire qu’un certain nombre de firmes a doré-
navant compris que la notion de DD pouvait présenter une nouvelle forme de coor-
dination, un nouveau corpus de valeurs, susceptibles de compenser les divergences
entre d’une part, les attentes et préoccupations des parties prenantes et d’autre part,
la logique économique et financière des marchés. Certaines d’entre elles ont trouvé,
notamment dans la notion de RSE, un cadre de réflexion idéal, un référentiel huma-
niste, permettant de pallier l’asymétrie d’intérêts entre les différentes attentes des
parties prenantes et les règles de marché.

Section LA MATÉRIALISATION DE L’IDÉE


2 D’UN MANAGEMENT DURABLE

Ces dernières années, bon nombre de firmes ont pris conscience que leur responsa-
bilité ne s’arrêtait pas à la seule défense des intérêts de leurs propres actionnaires.
Toutefois, même si la prise de conscience semble être de mise, il n’en demeure pas
moins que la superposition de nouvelles approches et de référentiels pour un mana-
gement responsable, mis actuellement à la disposition des entreprises, a paradoxale-
ment tendance à entretenir le flou sur ce que nous pourrions appeler le management
durable. Qu’ils soient du registre privé, comme ce fut le cas pour le World Business
Concil of Sustainable Development (WBCSD) et la Global Reporting Initiative
(GRI), ou relatives à la contribution d’organismes de normalisation comme l’Inter-
national Standardization Intitute (ISO), ces dernières années, les guides et référen-
tiels attitrés au développement durable et à la manière d’intégrer les principes de
RSE ont fleuri un peu partout à travers le monde (cf. figure 11.1).

164
Du concept de développement durable…

Source : inspiré de K. Delchet (2006).

Figure 11.1 — La cartographie des principaux référentiels en lien


avec le management durable

Du point de vue social, la norme internationale OHSAS 18001 (pour Occupatio-


nal Health and Safety Assessment Series) est l’un des référentiels les plus répandus.
Cette norme a pour objet de valider le système de management de l’entreprise relatif
à la santé et à la sécurité des salariés sur leur lieu de travail. Elle permet de limiter les
risques d’accidents professionnels et précise les caractéristiques d’un environne-
ment professionnel sûr. Elle est validée par l’intermédiaire d’audits périodiques dans
une logique d’amélioration continue. Une autre famille de normes, SA 8000 pour
Social Accountability Standard 8000, basée sur les principes du Bureau international
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

du travail (BIT), de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et de la Décla-


ration universelle des droits de l’enfant, permet aux entreprises qui ont recours à la
sous-traitance de valider que les salariés travaillent dans des conditions descentes.
Les normes de la série SA 8000 visent à prohiber le travail des enfants, le travail
forcé, à garantir le droit de se syndiquer et à interdire les discriminations de tout
ordre.
D’un point de vue économique, l’organisation internationale pour la normalisa-
tion, ISO pour International Standardization Organisation, ne fut pas en reste. Sous
l’impulsion des entreprises, via leurs organismes nationaux de normalisation, l’ISO
décida de lancer dès 1992 une réflexion qui donna lieu à la publication d’un chapitre
de normes spécifiques sur le management environnemental des process mais égale-
ment des produits (analyse du cycle de vie des produits) : les normes de la série ISO
165
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

14000. Après quelques années de recul, il semble que la certification ISO 14001 soit
devenue un standard international à qui on prédit un même niveau de réussite que
celui de sa consœur ISO 9001 : actuellement plus de 950 000 sociétés à travers le
monde sont certifiées ISO 9001 et quelque 155 000 entreprises certifiées ISO 14001
(ISO, 2008). Outre son rôle environnemental, en validant la qualité des procédures
internes de management, elle est devenue un gage de compétitivité pour l’entreprise,
un atout incontestable pour l’obtention de marchés publics et, également, le passe-
port incontournable pour bon nombre de sous-traitants voulant travailler avec des
firmes industrielles internationales. Ainsi, on ne sera pas étonné d’apprendre que le
nombre de sociétés certifiées ISO 14001 croit actuellement de plus de 30 % chaque
année (cf. figure 11.2).

Source : ISO (2008).

Figure 11.2 — Évolution du nombre de sociétés certifiées ISO 14001 dans le monde

Cette demande de plus en plus forte d’un référentiel commun pour un manage-
ment durable mérite, pour autant, réflexion.
En effet, comme pour toute innovation technologique majeure, le management
durable est actuellement dans une phase d’émergence caractérisée par la cohabita-
tion de référentiels – nous parlerions de standards pour l’industrie – souvent concur-
rents, difficilement complémentaires et, dans tous les cas, souffrant d’un manque de
notoriété pour devenir la référence au niveau international. Par ailleurs, les quelques
documents précédemment présentés, même s’ils ont pour avantage de combler le
manque de repères légaux, lorsqu’il s’agit d’intégrer des pratiques responsables au
management de l’entreprise, proposent tous une vision segmentée du management
durable piloté autour des obligations légales : proposer des outils pour une politique
sociale ou pour une politique environnementale et non les deux.

166
Du concept de développement durable…

Pour répondre à ce constat, d’autres guides plus globaux ont été développés à
l’instar du plus ancien d’entre eux – le Guideline de la Global Reporting Initiative.
La GRI est une institution internationale privée soutenue par l’ONU, composée de
firmes multinationales, d’ONG et de chercheurs, qui a développé des lignes directri-
ces et des indicateurs adaptés aux entreprises afin qu’elles puissent rendre compte de
leurs performances économiques, environnementales et sociales. Actuellement, le
Guideline GRI G3 (G3 pour 3e édition) est devenu un standard international qui,
d’une part a su homogénéiser le contenu des rapports DD et d’autre part, a permis
une amélioration sensible de la précision et de la validité des indicateurs habituelle-
ment utilisés par les firmes multinationales. Outre son intérêt pour la retranscription
des efforts menés par les entreprises en termes de DD, les lignes directrices de la
GRI sont pour beaucoup dans l’amélioration de la qualité globale de la communica-
tion des entreprises à l’attention de leurs parties prenantes. Enfin, ce guide, en stan-
dardisant le contenu des rapports DD, a simplifié la comparaison des situations
sociales et/ou environnementales et a, indirectement, permis de récompenser et donc
encourager les bonnes pratiques.
Enfin, d’autres textes normatifs, comme le référentiel Sigma 1, pour la Grande
Bretagne, le fascicule de documentation SD 21000, en France, ou encore la norme
ISO 26000 – en cours de validation – furent développés afin d’appréhender le mana-
gement durable dans sa globalité.

Section LE GUIDE SD 21000 EN ACTION…


3
Ainsi, l’Association française de normalisation (Afnor) publia en 2003 un guide
proposant une réponse codifiée aux organisations afin de leur permettre d’« adapter
techniquement et culturellement leur système de management (et) d’intégrer
progressivement toutes les dimensions du développement durable » (Afnor, 2004).
Le SD 21000 se présente comme un recueil méthodologique, d’application volon-
taire, qui a pour objet de simplifier l’intégration du DD et de la notion de responsa-
bilité sociale à la stratégie des organisations, que ce soient des structures
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

commerciales ou non, privées ou publiques, de toute taille et pour tout secteur


d’activité.

1 L’approche SD 21000

L’approche proposée par le SD 21000 diffère des modèles préexistants et ce, à


plusieurs égards.

1. Le référentiel Sigma a été développé par The British Standard Institute, l’organisme national de
normalisation en Grande Bretagne.
167
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Tout d’abord, contrairement aux référentiels partiels précédemment présentés, ce


guide propose un cadre global pour la mise en œuvre du DD dans le management de
l’entreprise. En outre, l’Afnor s’est également donné comme objectif de développer
un cadre compatible avec les principales certifications internationales
préexistantes dans le domaine du management : ISO 9001 pour la qualité des
processus ; ISO 14001 pour le management environnemental.
Ensuite, ayant conscience de l’ampleur de la tache, l’Afnor a pris le plus grand
soin méthodologique afin que ce guide soit la résultante d’un travail de consultation
ambitieux. D’un point de vue général, cette précaution est nécessaire afin que le
texte définitif, pour une norme ou un fascicule de documentation, soit la résultante
du plus large consensus possible, gage d’une reconnaissance rapide et d’une forte
diffusion dudit document dans la sphère économique. D’un point de vue particulier,
face à la multiplicité des bonnes pratiques et l’hétérogénéité des approches théori-
ques relevant du DD, la commission en charge du dossier voulut prendre en compte
l’ensemble des sensibilités existantes auprès de toutes les parties intéressées par la
thématique. Ainsi, par exemple, le texte final fit l’objet d’un débat public, pendant
plus de quatre mois, puis fut expérimenté, pendant deux ans, auprès d’une centaine
d’entreprises nationales pour, enfin, donner lieu à une publication définitive courant
2006 (cf. Delchet, 2006 ; Afnor, 2006).
Le SD 21000 fut construit selon une double approche. L’approche par les parties
prenantes, habituellement privilégiée, fut considérée comme une condition néces-
saire à laquelle il était impératif d’y adjoindre une méthodologie centrée sur la
notion d’enjeux pour l’entreprise. Cette double réflexion a pour avantage de donner
un caractère dynamique au SD 21000. En effet, la prise en compte d’enjeux propres
à l’entreprise permet au dirigeant de se projeter dans l’avenir et d’intégrer plus faci-
lement le DD à la politique de développement de son entreprise – en fonction des
contraintes de son secteur, de la culture de l’entreprise, etc.

2 La méthodologie SD 21000

Le guide SD 21000 est construit sur la base d’un cadre d’auto-évaluation permet-
tant à l’entreprise :
– de prendre conscience de la variété et de l’importance des enjeux concernés par le
développement durable ;
– d’identifier et déterminer son niveau de performance sur chacun des enjeux –
échelle de Likert à 5 niveaux ;
– d’identifier les parties prenantes – notées PP – par enjeux afin de se rendre compte
de la qualité des relations qu’elle entretient avec ces dernières ;
– d’engager des actions correctives permettant d’accompagner la stratégie DD de
l’entreprise selon une logique d’amélioration continue.

168
Du concept de développement durable…

Cette méthodologie comporte trois étapes principales : un travail sur les enjeux
liés au DD appliqué à l’entreprise ; un audit des parties prenantes ; puis une hiérar-
chisation des enjeux proprement dits.

■■ Étape n˚ 1 : l’identification des enjeux


L’identification des enjeux s’appuie sur une liste préétablie constituée de trente-
quatre domaines présentés dans le fascicule SD 21000. On y retrouve :
– des enjeux transversaux : produits/écoconception, politique d’achat, gestion et
prévision des risques, stockage, intégration territoriale de l’organisme et gestion
des externalités, transports des salariés et accessibilité du site ;
– des enjeux économiques : relations commerciales, production et politique de tari-
fication, coûts et investissements, rentabilité et partage de la valeur ajoutée ;
– des enjeux sociaux : conditions générales et ambiance au travail, équité, emploi,
compétences, formation, hygiène-sécurité-santé ;
– des enjeux environnementaux/écologiques : eau (pollution et consommation),
énergie (consommation), air (pollution et gaz à effet de serre), gestion des
déchets, gestion et pollution des sols, biodiversité, bruits et odeurs, transports et
logistique ;
– des enjeux liés à la gouvernance et aux pratiques managériales : engagement de la
direction, stratégie, politique et objectifs, système de management, organisation
et responsabilités, participation et implication du personnel, communication
interne, communication externe, veille réglementaire, prise en compte d’autres
facteurs, identification des parties prenantes et lien entre les attentes des parties
prenantes et la politique de l’entreprise.
Tableau 11.2 — Exemple de grille pour l’évaluation de l’enjeu « Gouvernance »
1 2 3 4 5

Pas d’information Conseil Séparation des Idem + Comités Idem + Majorité


d’administration, fonctions de spécifiques (audit, d’administrateurs
président du nominations et indépendants
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

L’entreprise a conseil rémunérations,


défini des valeurs d’administration etc.) Références
en interne (code et de directeur régulières aux
de conduite…) général du groupe Dispositions valeurs du groupe
particulières pour (recrutement,
La stratégie de le droit de vote des arbitrages,
développement actionnaires management au
est claire, minoritaires lors quotidien…)
transparente et des AG
cohérente

Source : inspiré du fascicule SD 21000.

169
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Pour chacun de ces enjeux, d’une part, l’entreprise doit déterminer son niveau de
performance, relativement, par exemple, aux informations sectorielles disponibles,
ou à un échelonnage des meilleures pratiques sur une échelle de valeur allant de 1 à
5, comme spécifié dans le tableau 11.2. D’autre part, il est également préconisé
d’évaluer le niveau d’importance de chacun de ces enjeux relativement à la péren-
nité de l’activité de l’entreprise – selon une seconde échelle de valeur. Enfin, il
faudra que l’entreprise liste toutes les parties prenantes directement ou indirecte-
ment impliquées dans cet enjeu. En fonction de cette dernière information, l’entre-
prise sera en mesure de corriger le niveau d’importance de l’enjeu précédemment
établi (noté Ic). Pour exemple, si une entreprise X considère les questions de gouver-
nance comme mineures et qu’elle attribue à cet enjeu une note d’« importance » de
type I = 1 sur 4, et que pour autant à la fin de l’audit elle s’aperçoit qu’une vingtaine
de parties prenantes est concernée par les questions de gouvernance, il serait alors
conseillé de réévaluer la note d’importance dudit enjeu de telle sorte que I corrigée
(notée Ic) soit égale par exemple à 2 sur 4.

■■ Étape n˚ 2 : l’identification des parties prenantes


L’identification des parties prenantes consiste à répertorier l’ensemble des acteurs
socio-économiques, mais également les représentants de la société civile, en relation
directe ou indirecte avec l’entreprise. De même que précédemment, il faudra estimer
le niveau d’importance (Ip) de chaque PP et le type de relation entretenu par l’entre-
prise (noté R) avec chacune d’entre elles (cf. tableau 11.3).
Tableau 11.3 — Évaluation des critères Ip et R liant les PP à l’entreprise
Niveau d’importance
1 2 3 4 5
Parties prenantes (PP)

Relations entretenues avec les salariés ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ R


Niveau d’importance de cette PP ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ Ip
Nombre d’enjeux concernés par cette PP --/34
Relations entretenues avec les actionnaires ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ R
Niveau d’importance de cette PP ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ Ip
Nombre d’enjeux concernés par cette PP --/34
” ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ R
” ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ Ip
” --/34
Relations entretenues avec la PP… ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ R
Niveau d’importance de cette PP ❏ ❏ ❏ ❏ ❏ Ip
Nombre d’enjeux concernés par cette PP --/34

170
Du concept de développement durable…

Enfin, de manière identique, il faudra repérer les enjeux directement concernés par
telle ou telle partie prenante. Sur ce dernier point, il est également possible de corri-
ger le niveau d’importance des parties prenantes relativement aux enjeux – noté Ipc
– c’est-à-dire, la note Ip corrigée du nombre d’enjeux liés à une partie prenante
donnée (cf. tableau 11.4).
Tableau 11.4 — Importance corrigée des PP
Importance initiale d’une PP Importance corrigée de
Nb d’enjeux lié à cette PP
(Ip = 2) ladite PP (notée Ipc)

2 0–7 1

2 8 – 14 2

2 15 – 22 3

2 23 – 27 4

2 28 – 34 5

Source : FD X30-021.

■■ Étape n˚ 3 : hiérarchiser les enjeux


Après avoir dressé un bilan des pratiques de l’entreprise et estimé les performan-
ces de l’organisation, il sera possible de hiérarchiser les enjeux, les uns par rapport
aux autres, mais également de manière absolue, en utilisant le type de représentation
suivante (cf. figure 11.3).
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Source : FD X30-021.

Figure 11.3 — Matrice relative aux enjeux

En reprenant la totalité des trente-quatre enjeux du SD 21000 et en y associant les


notes de performance – notées P – et d’importance corrigée – notées Ic – pour
chacune des thématiques, l’entreprise sera en mesure de dresser une cartographie de
ses compétences en termes de responsabilité sociale. Cette représentation matricielle
du niveau d’intégration du DD au management de l’entreprise permet de dégager, de
171
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

manière globale et rapide, les futurs axes de progrès potentiel pour l’organisation :
repérés par les surfaces grisées « Réagir » et « Agir ».
Toutefois, il est important de remarquer que cette lecture directe des enjeux priori-
taires ne prend que partiellement en compte la question centrale des parties prenan-
tes. Il sera donc nécessaire d’effectuer une cartographie, selon les mêmes principes,
pour les critères « importances corrigées des PP » et « qualité de la relation de
l’entreprise avec ses PP » pour avoir une connaissance précise des problématiques et
de la manière de mener les actions correctives (cf. figure 11.4).

Source : FD X30-021.

Figure 11.4 — Matrice relative aux parties prenantes

Il faudra également identifier les interactions croisées entre chacun des enjeux
identifiés comme prioritaires et les parties prenantes afférentes par une étude plus
poussée de chacun de ces points. Cette étape donnera lieu à la rédaction de fiches par
enjeu qui serviront, ultérieurement pour la phase opérationnelle : actions à mener,
parties intéressées, indicateurs, systèmes de management et type de certification
pertinents.
Enfin, l’entreprise devra définir les objectifs à atteindre, qu’elle les retranscrive
dans sa stratégie et qu’elle identifie les leviers d’action pertinents afin de corriger la
situation initiale 1. Remarquons, qu’en délimitant de nouveaux enjeux et objectifs à
atteindre, l’entreprise doit implicitement corriger sa vision et les valeurs afférentes.
De fait, en toute cohérence, il est conseillé à la direction de l’organisation de s’enga-
ger formellement sur ces derniers points et de procéder à une communication interne
et externe adéquate.

1. La présentation qui a été faite du fascicule SD 21000 est une lecture simplifiée de ce guide sur l’inté-
gration du DD dans le management des entreprises. Pour une application précise de la méthode, se
référer au fascicule de documentation FD X30-021 publié par l’Afnor.
172
Du concept de développement durable…

Conclusion
Face à l’urgence, et relativement à la lenteur du monde politique à décliner les engage-
ments pris au niveau international sous forme de lois ou réglementations internationales,
de nombreuses initiatives privées ont vu le jour afin de rationaliser l’intégration du déve-
loppement durable au management des organisations. D’un point de vue général, que l’on
fasse référence aux travaux des organismes de normalisation (ISO, Afnor, BSI, etc.), ou
aux standards de facto (au sens de P. A. David) qui tentent actuellement d’émerger, on se
situe au niveau de la recherche de la satisfaction d’une nouvelle demande exprimée par
certaines entreprises, celle de pouvoir s’appuyer sur des principes codifiés permettant de
stabiliser le contenu opérationnel de ce que nous pourrions appeler un système de manage-
ment durable.
Les normes techniques, qu’elles soient officialisées par un organisme de normalisation ou
qu’elles émergent naturellement du comportement des acteurs ont su, par le passé, faire
montre de leur aptitude à coordonner les attentes du marché en situation d’asymétrie
d’information ou d’intérêts, en l’occurrence, entre la société civile et la sphère économi-
que.
De fait, relativement à la pression exercée par la société civile sur les entreprises et, au vu
du niveau d’engagement de ces dernières, notamment dans l’optique de produire un corpus
de normes en faveur du management de la responsabilité sociale – cf. travaux actuels
autour de l’ISO 26000 – il semblerait que nous soyons entrés dans une nouvelle ère du
management : celui d’un management durable !
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

173
Chapitre
La « nouvelle frontière »
du marketing
12 responsable

Rémi DEVEAUX
Élisabeth LAVILLE

L ongtemps, les entreprises ont concentré leurs efforts en termes de responsabi-


lité sociale et environnementale (RSE) sur leurs impacts directs : process de
production, éco-efficacité des sites, etc. Mais les techniciens, promoteurs de
l’analyse du cycle de vie, et les militants, soucieux de résoudre effectivement les
problèmes sociaux ou environnementaux, les poussent désormais plus loin :
souvent, les principaux impacts d’une entreprise ne sont pas directs mais indirects.
Ainsi, l’impact majeur d’une banque n’est évidemment pas dans les usines polluan-
tes qu’elle n’a pas… mais dans les critères utilisés pour choisir ou influencer les
projets industriels qu’elle finance, car toutes les usines (même les plus polluantes)
sont financées par une banque. De même, les impacts principaux d’une entreprise
agroalimentaire ne sont pas tant sur ses sites industriels (consommations d’eau ou
émissions de CO2 par exemple) qu’en amont (influence sur les pratiques agricoles,
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

fortement consommatrices d’eau et émettrices de CO2) et en aval (influence sur les


modes de nutrition et de consommation). Le problème est que souvent, les impacts
indirects de l’entreprise sont hors de sa sphère de contrôle mais relèvent de son
champ d’influence – et sont indéniablement plus complexes à appréhender, l’entre-
prise n’étant qu’un acteur parmi d’autres, avec des leviers d’action multiples.
Ceci explique que, même parmi les entreprises les plus avancées en matière de
RSE, le marketing ait fait historiquement figure de « zone floue » dans la démarche.
Les rapports de développement durable donnent encore peu d’informations sur la
façon dont la politique générale de l’entreprise s’applique au marketing (même dans
les secteurs où celui-ci joue un rôle prépondérant : alimentaire, textile, cosmétiques,
etc.), et d’ailleurs la Global Reporting Initiative, qui établit des lignes directrices
pour la production des rapports, n’a intégré que dans sa troisième version (toujours
175
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

actuelle) des indicateurs sur le marketing et la communication, qui portent encore


principalement sur la publicité, la promotion et le sponsoring… Les gros acteurs du
sujet (groupes de communication et de médias) semblent encore largement en retrait
des démarches de développement durable lancées dans les autres secteurs (industrie
notamment), avec peu de reporting sur le développement durable et des initiatives
encore modestes. Citons notamment les démarches de type bilan carbone entreprises
par France Télévision et TF1, ou encore la première charte sur le développement
durable et l’écoconception élaborée fin 2006 par les associations professionnelles du
secteur de l’événementiel (foires, salons, expositions, traiteurs, etc. – voir
www.anae.org). Mais ces initiatives restent en deçà des meilleures pratiques interna-
tionales sur le sujet.

Exemple : les meilleures pratiques responsables du secteur des médias


En Angleterre, un groupe de travail rassemblant des entreprises du secteur a été créé en 2003
(avec la BBC, Sky, EMI, The Guardian, ITV, Pearson, Reuters…) pour travailler sur les enjeux
du développement durable, et le cabinet SustainAbility a publié coup sur coup, en 2002
et 2004, deux rapports sur l’engagement nécessaire du secteur (« Good News & Bad – The
Media, Corporate Social Responsibility and Sustainable Development » puis « Though the
Looking Glass – Corporate Responsibility in the Media and Entertainment Sector », avec
WWF). Dans ce contexte, favorable, des bonnes pratiques sont apparues dans les entreprises
elles-mêmes : plusieurs entreprises dont The Guardian et la BBC publient désormais des
rapports très complets et transparents sur leur responsabilité sociale et environnementale,
abordant les dilemmes liés à leur activité (comme les conflits d’intérêt publicité/contenu édito-
rial), chiffrant leur performance sur des sujets aussi variés que le respect des codes de
conduite, la diversité des programmes ou les réclamations des publics… En mai 2007, Rupert
Murdoch, le PDG du géant News Corp. (qui possède notamment la chaîne Fox News, les
studios de cinéma 20th Century Fox, le fournisseur d’accès internet MySpace, de nombreux
journaux, studios et chaînes de TV aux USA, en Inde, en Chine, en Grande-Bretagne, en
Australie, etc.) a annoncé sa volonté de mettre au point une stratégie environnementale pour
l’ensemble de son groupe, en utilisant les stratégies mises au point par son fils James, à la tête
de la télévision par satellite BSkyB 1. Un revirement surprenant de la part du tycoon des médias
qui était plutôt connu comme un sceptique du changement climatique, s’affiche désormais aux
côtés d’Al Gore ! « Nous allons devenir absolument neutres en carbone en 2010, pour
l’ensemble de nos activités dans tous les pays », a déclaré Murdoch, reconnaissant ainsi
l’influence de son fils qui a fait de BSkyB la première chaîne neutre en CO2 début 2006, en
travaillant à la fois à réduire les émissions de l’entreprise (Murdoch junior s’est fixé comme
objectif de réduire les émissions de CO2 de 10 % par rapport au niveau de 2002-2003 à horizon
2010) et à compenser les émissions résiduelles en finançant des projets d’énergie renouvela-
ble, comme cela est détaillé dans les rapports de responsabilité sociale publiés par Sky depuis
2004. News Corps annonce des émissions de 642 000 tonnes équivalent CO2 en 2008.

Pour Alice Audouin, l’une des seules responsables du développement durable du


secteur (au sein du groupe d’achats d’espace MPG), les freins au développement de
la RSE dans le secteur média-communication sont multiples : d’abord, les consom-
mateurs responsables sont encore vus comme une « niche » qui ne justifie pas, aux

1. Voir http://www. grist.org/article/murdoch/


176
La « nouvelle frontière » du marketing responsable

yeux des non-experts, de généraliser le marketing et la communication responsables


pour saisir des opportunités de marché ; ensuite, la communication sur le développe-
ment durable implique de travailler sur les produits et services, mais aussi sur les
messages et les moyens de communication – cela représente un changement très
important pour le secteur, qui a besoin d’outils adaptés pour progresser, comme le
guide « Eco-communication » publié par l’ADEME en 2005 ou l’outil de mesure de
l’impact environnemental des publicités Eco-Publicité, lancé en 2006 par EcoBilan
avec MPG (www.ecopublicite.com) ; de surcroît, il est difficile de travailler sur du
symbolique et de l’intangible – ce qui explique sans doute que l’événementiel ait
été, en France, le premier secteur de l’industrie à s’interroger concrètement sur ses
impacts, puisqu’il produit des stands, des expositions, souvent éphémères et donc
destinés à être détruits et jetés ; enfin, la communication actuelle sur le développe-
ment durable utilise encore principalement le registre « prudentiel » (sur les petits
gestes au quotidien, précautionneux, sages pour réduire son impact sur l’environne-
ment), ce qui défausse en partie la responsabilité des annonceurs sur les consomma-
teurs.
Pourtant, les enjeux sont de taille. En effet, le marketing a une influence forte sur
l’évolution des modes de consommation et de vie en société, ce qui explique qu’il
soit de plus en plus mis en cause, notamment par les ONG qui interpellent de plus en
plus souvent les entreprises sur leur responsabilité.
Plus précisément, le marketing est au cœur des enjeux émergents du développe-
ment durable, s’il est vrai que la « prochaine frontière » sur le sujet consistera à faire
sortir l’offre « responsable » de l’ornière alternative où elle semble parfois enfermée
– à l’image d’un schneider Electric plaçant au cœur de sa stratégie son offe Éco-
Struxure visant à optimiser la consommation énergétique d’un bâtiment, d’un Gene-
ral Electric s’engageant sur Ecomagination en doublant ses efforts et ses ventes en
technologies « vertes », ou encore d’un Marks & Spencer s’engageant, sur son
« Plan A », à généraliser l’offre biologique, équitable et saine sur la plupart de ses
marchés.

Section 1 ■ Le marketing « classique » entre nouveaux risques et


© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

opportunités nouvelles
Section 2 ■ Le marketing est mort, vive le marketing (responsable) !

Section LE MARKETING « CLASSIQUE » ENTRE NOUVEAUX


1 RISQUES ET OPPORTUNITÉS NOUVELLES

1 Le marketing « classique » sur la sellette…

Depuis des années, les pratiques marketing de certaines entreprises font l’objet de
critiques de la part d’ONG militantes, de consommateurs et de législateurs. Ces 177
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

critiques ont pour origine les divers impacts forts, directs ou indirects, que peut avoir
le marketing sur l’état écologique de la planète, la santé et l’environnement visuel ou
mental.
Tout d’abord, les pratiques marketing ont un rôle déterminant dans l’évolution des
modes de consommation, grâce aux produits dont elles font la promotion et l’utilisa-
tion qui en est vantée dans les publicités. Comme l’explique Procter & Gamble dans
son rapport de développement durable 2003, « on reproche à la publicité de propa-
ger les modes de vie occidentaux à travers le monde et de promouvoir une consom-
mation excessive dans les pays développés ». L’association de défense des
consommateurs UFC-Que Choisir a mené en 2006 une étude mesurant l’influence
des publicités sur le comportement alimentaire des enfants (moins de 14 ans). Celle-
ci conclut que l’industrie agroalimentaire concentre ses moyens publicitaires sur des
produits à faible intérêt nutritionnel que les familles achètent majoritairement. Sur
les 217 spots alimentaires ciblant les enfants, relevés pendant 15 jours sur les plus
grandes chaînes de télévision à l’heure des émissions enfantines, 89 % concernaient
des produits très sucrés ou gras. Par ailleurs, l’exploitation inadéquate ou abusive de
l’image environnementale dans la communication des entreprises – le greenwashing
ou « blanchiment écologique » – peut fournir une mauvaise information aux
consommateurs sur les enjeux environnementaux et l’impact des modes de consom-
mation. Le collectif L’Alliance pour la planète (www.lalliance.fr) dénonce de son
côté des pratiques qui « minimisent et banalisent la nécessité impérative de changer
nos comportements de consommation ».
Ensuite, les choix marketing ont également une influence sur la santé, via les
produits proposés, les cibles visées, ainsi que les pratiques sociales et l’utilisation
associées aux produits. Les boissons « premix » (mélanges alcoolisés et sucrés)
ciblant les jeunes avec des publicités associant l’alcool à la fête peuvent les inciter à
des consommations excessives, augmentant le risque d’accidents de la route en fin
de soirée. Les boissons aromatisées pour les enfants, qui en termes de taux de sucre
se situent entre les sodas et l’eau minérale, sont pourtant vendues sous des marques
d’eau minérale, avec des codes identiques (boisson transparente et non colorée),
dans les linéaires d’eau minérale… et parfois avec des publicités d’eau minérale, au
grand dam des associations de médecins qui insistent sur le développement galopant
de l’obésité chez les enfants.
Enfin, les produits et leur publicité, en s’imposant dans l’espace public et indivi-
duel (télévision, marques…), proposent un univers fait de codes et de références
propres auquel il est difficile de se soustraire tant il est omniprésent. Par exemple,
l’abondance de messages pro-consommation ou l’image de la femme véhiculée dans
les publicités, orientent dans une certaine mesure les représentations et le mode de
vie des individus.
Différents groupes de pression réagissent donc aux excès des pratiques marketing
d’entreprises. Cette dénonciation, protéiforme et éclatée, porte sur de nombreux
sujets, allant de la représentation dévalorisante des femmes à l’impact des panneaux
publicitaires sur le paysage (cf. tableau 12.1).
178
La « nouvelle frontière » du marketing responsable

Tableau 12.1 — Les groupes de pression dénonçant les pratiques marketing


Organisations Moyens d’action Thèmes/cibles

Avocats activistes Actions collectives (USA)/ actions Défauts d’information sur la


en justice nocivité de produits (tabac, junk
food), droit à un environnement
sans pub, greenwashing.

Associations de défense des Campagnes de dénonciation Défaut d’information sur les


consommateurs (UFC-Que (Internet, presse), publications impacts des produits (obésité,
Choisir, CLCV, Which ?-GB, BEUC- d’études, actions en justice voitures, médicaments, OGM…),
Europe, Consumers publicité ciblant les
International…) enfants/jeunes et
consommation durable

Associations de protection de Actions en justice, campagnes de Allégations écologiques,


l’environnement (WWF, dénonciation (Internet, presse) consommation durable, non-
Greenpeace, Alliance pour la respect des codes
Planète…) d’autorégulation, risques
toxiques (pesticides, soins du
corps)…

Groupes anti-pubs (Adbusters- Dénonciations sur Internet Droit à un environnement sans


Canada, IBFAN-GB, RAP, La (détournements de pubs, publicité, droit à l’achat d’espace,
Meute, Commercial Free campagnes, etc.) et sur le terrain non-respect de la loi sur
Childhood campaign-USA, Media (tags dans le métro) l’affichage illégal par exemple,
Watch-USA/Canada, Scenic consommation durable et image
America, Paysages de France…) de la femme

Parmi les actions menées récemment en France, on peut citer :


– le classement des « voitures citoyennes » de 60 Millions de consommateurs avec
la Ligue contre la violence routière (depuis novembre 2005) ;
– les procès intentés par un collectif d’associations écologistes et le WWF contre la
campagne de communication sur les pesticides de l’Union des industriels pour la
protection des plantes (2006) ;
– la mise à l’index d’une publicité de Veolia sur les déchets (2004) par l’association
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

L’Alliance, jugeant cette dernière non conforme aux recommandations du BVP 1,


via la campagne « La publicité peut nuire gravement à l’environnement » (2007) ;
– à noter également la polémique déclenchée par les propos de l’ex-PDG de TF1
Patrick Le Lay, affirmant dans une interview que le métier de TF1 consistait à
« vendre à Coca-Cola du temps de cerveau humain disponible » (été 2004).
Ces groupes de pression font peser trois nouveaux risques principaux sur les entre-
prises.

1. Le Bureau de vérification de la publicité, devenu depuis juin 2008 l’ARPP (l’Autorité de régulation
professionnelle de la publicité), est l’organisme d’autodiscipline de la publicité en France :
www.arpp-pub.org
179
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

En premier lieu, les poursuites judiciaires peuvent amener les entreprises fautives
à payer des dommages et intérêts conséquents (246 milliards de dollars pour l’indus-
trie du tabac après 25 ans de procès), notamment lorsque :
– les pratiques marketing irresponsables dénoncées sont le fait d’un faible nombre
d’entreprises ;
– les consommateurs, et par là-même le système de santé publique, subissent des
coûts de santé très élevés (comme pour l’amiante et le tabac) ;
– la justice ou le législateur décide de changer soudainement de position.
Le second risque est réglementaire. Les campagnes de sensibilisation des associa-
tions de consommateurs et les alertes des scientifiques peuvent amener le législateur
à encadrer plus strictement les pratiques marketing. L’autodiscipline servait habi-
tuellement de cadre aux pratiques marketing, ce qui permettait aux entreprises de
s’adapter aux attentes de la société sans trop de contraintes (vérification, sanctions)
ni préjudice pour leur activité. À l’inverse, le renforcement de la législation actuelle,
ne prenant pas systématiquement en compte l’intérêt des entreprises, peut avoir des
répercussions importantes sur les ventes en limitant notamment la publicité sur
certaines cibles jugées « vulnérables »).
En France, par exemple, depuis février 2007, les annonceurs de certains produits
alimentaires doivent introduire des messages sanitaires dans leurs publicités et outils
d’information, du type « pour votre santé, mangez au moins 5 fruits et légumes par
jour » ou « pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé ». Le
BVP avait pourtant fixé des règles d’autodiscipline aux annonceurs pour ne pas
« encourager chez les enfants des comportements qui seraient contraires aux princi-
pes alimentaires couramment admis en matière d’hygiène de vie ». Mais des asso-
ciations de consommateur comme l’UFC-Que choisir critiquaient la non-application
de ces recommandations. L’agence de notation sociale EIRIS avait, de son côté, mis
en garde le secteur contre le risque de voir à terme des produits interdits par de
nouvelles législations sanitaires.
Autres exemple, la haute autorité de l’audiovisuel en Grande-Bretagne, l’Ofcom, a
décidé fin 2006 d’interdire les publicités pour les produits alimentaires les moins
« sains » lors des émissions destinées aux moins de 16 ans. Un règlement européen
sur les allégations nutritionnelles et santé est entré en vigueur le 1er juillet 2007 :
désormais, l’évaluation scientifique des allégations se fera au préalable et non plus a
posteriori, toutes les allégations autorisées et leurs conditions d’utilisation figure-
ront dans des listes et les allégations ne pourront être utilisées qu’à la condition que
l’aliment réponde à un profil nutritionnel défini.
Toujours en Angleterre mais sur un autre secteur, celui des produits cosmétiques,
la Commission de régulation de la publicité en Grande-Bretagne (Advertising Stan-
dards Authority) a demandé à L’Oréal en 2005 de stopper la diffusion sur le petit
écran d’une campagne publicitaire pour une crème antirides, où le mannequin
Claudia Schiffer affirmait que 76 % d’un échantillon de 50 femmes avaient témoi-
gné d’une « réduction visible des rides ». Les experts ont estimé que les preuves
180
La « nouvelle frontière » du marketing responsable

fournies par l’Oréal étaient insuffisantes pour justifier de telles affirmations et certai-
nes assertions ont été jugées trompeuses dans la mesure où elles ne précisaient pas
assez clairement que cet effet n’avait été constaté qu’en laboratoire et pas sur de
vrais visages… Le fabricant a fait savoir qu’il n’était pas d’accord avec ce verdict,
mais que ces publicités seraient amendées conformément aux remarques de la
commission. Laquelle avait également émis des demandes sur un autre spot du
groupe, pour un produit anticellulite cette fois mais s’appuyant également sur des
résultats de satisfaction des femmes. Ce cas est loin d’être unique : des publicités de
Procter & Gamble (pour un après-shampooing), d’Estée Lauder, Chanel et Dior
avaient déjà été contestées par le même organisme pour des raisons similaires 1.
Le troisième risque lié aux pratiques marketing est économique. Selon une
enquête menée en 2005 aux États-Unis 2, le marketing responsable et la publicité
arrivent en quatrième critère pour caractériser la responsabilité sociale des entrepri-
ses (cités par 40 % des sondés). Certaines entreprises subissent également des
campagnes de boycott – principalement dans les pays anglo-saxons –, comme
Nestlé depuis 1971 pour sa politique marketing sur le lait en poudre dans les pays en
développement ou Exxon en Angleterre en 2001 pour son lobbying contre la ratifica-
tion par les États-Unis du protocole de Kyoto et son absence d’investissement dans
les énergies renouvelables.
Les pratiques marketing, lorsqu’elles sont dénoncées par des groupes de pression,
peuvent engendrer des conséquences économiques importantes pour les entreprises,
notamment lorsqu’une industrie en particulier est accusée de vendre et promouvoir
des produits « à risques » pour la santé publique – comme dans le cas de l’obésité.
Ces risques sont aujourd’hui essentiellement circonscrits à quelques secteurs,
comme la vente d’alcool et l’agroalimentaire, mais pour autant obligent toute la
profession à élargir sa compréhension de la notion de responsabilité sociale relative-
ment aux nouvelles attentes sociétales.

2 La perspective d’une « croissance verte »


© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Si les risques liés aux pratiques marketing ne sont pas à proprement parler un
phénomène nouveau, l’intérêt grandissant des consommateurs occidentaux pour des
produits plus sains et respectueux de l’environnement semble marquer un tournant
pour les entreprises. Cet intérêt se remarque avant tout aujourd’hui dans les enquêtes
sondant les intentions des consommateurs : le Credoc, TNS Sofres ou Ethicity n’ont
de cesse de publier des sondages démontrant la volonté des consommateurs, mieux

1. En 2008, l’Advertising Standards Authority a reçu 26 453 plaintes et a fait changé ou retiré
2 475 publicités : www.asa.org.uk
2. Doing Well by Doing Good Survey, GolinHarris/InsightExpress (2005).
181
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

informés sur le développement durable, d’acheter des produits écologiques ou issus


du commerce équitable.
L’enquête « Conditions de vie et aspirations des Français » publiée par le Credoc
en 2007 retient par exemple que 44 % des consommateurs disent désormais prendre
en compte lors de leurs achats le travail des enfants, la souffrance des animaux et le
risque de pollution. Une frange active de ces consommateurs, dénommée
« consom’acteurs » ou « créatifs culturels », aurait même adopté une façon d’être et
de penser qui ne répond plus au modèle occidental « moderniste » – fondé sur l’indi-
vidualisme, le capitalisme et le divertissement. Selon le sociologue Paul Ray et la
psychologue Sherry Ruth Anderson, ces « créatifs culturels » s’écartent résolument
de la « pensée unique » en plaçant au cœur de leurs préoccupations l’éducation des
enfants, la spiritualité, la politique, les médecines alternatives, les produits équita-
bles ou bio… Et cette famille socioculturelle à la pointe du changement sociétal
représenterait déjà 17 % des Français et 24 % des Américains adultes.
Le citoyen-consommateur se sent également concerné par les démarches de sensi-
bilisation large menée par Al Gore (auteur du documentaire Une vérité qui dérange
sur le réchauffement climatique) ou Nicolas Hulot (auteur du Pacte écologique),
comme en témoigne la grande résonance médiatique dont ces initiatives ont bénéfi-
cié en France.
Dans les faits, la traduction en actes d’achats des déclarations d’intention affichées
dans les sondages se fait lente : la part de marché des produits « verts » se situe
généralement entre 1 et 4 % 1 et les faire sortir de produits de « niche » à produits
« grand public » est un défi difficile à relever pour les années à venir ! Les taux de
croissance de ces produits sont souvent très élevés, mais partent de volumes très
faibles.

Exemple : le succès du commerce équitable


Monoprix veut réaliser en 2010 15 % de ses collections textiles en coton biologique et équita-
ble. Les ventes de produits Monoprix bio ont augmenté de 25 % en 2008 2. Et Alter Eco, le
leader français du commerce équitable, a connu en 2006 une croissance de son CA de 74 %
avec des fortes hausses des ventes par produit à périmètre constant, tandis que les ventes de
produits labellisés Max Havelaar ont été multipliées par 14 en 5 ans en France, pour atteindre
166 millions d’euros 3.

Autre indicateur intéressant : des entreprises comme Patagonia (USA), Natura


(Brésil) ou Stonyfield Farm (USA), ont fondé leur succès sur des stratégies marke-
ting de rupture, en se positionnant de manière innovante sur les principaux enjeux
sociaux ou environnementaux de leur secteur – le coton biologique et les fibres texti-

1. Rapport « Talk The Walk », Utopies, PNUE et Global Compact (2005).


2. Rapport de développement durable 2008 de Monoprix, téléchargeable sur leur site Internet.
3. Le Monde du 5 mai 2007.
182
La « nouvelle frontière » du marketing responsable

les éco-responsables pour Patagonia, la protection de la biodiversité pour Natura et


les produits locaux, bios, sains et sans hormone de croissance pour Stonyfield Farm.
Ces entreprises internationales connaissent des taux de croissance et de notoriété
élevés et attirent souvent la convoitise de grands groupes « classiques » (voir les
rachats de Ben & Jerry’s par Unilever en 2000, de Stonyfield Farm par Danone en
2003, de The Body Shop et Sanoflore par L’Oréal en 2006 ou encore de Tom’s of
Maine par Colgate en 2006). Mais ces marques seront-elles, comme souvent affiché
lors des rachats, les laboratoires de pratiques innovantes faisant évoluer de l’inté-
rieur le modèle économique de leur nouveau propriétaire ?
On notera enfin que de nombreux produits écologiques apparaissent sur nos
rayons de supermarché (la marque Alter Eco, les gammes Monoprix Vert, Casino bio
ou Carrefour Agir par exemple) comme dans les services proposés par les banques
(crédit Développement Durable des Caisses d’épargne pour l’achat d’une voiture ou
d’un bien immobilier, prêt immobilier et épargne écologiques PREVair et CODE-
Vair du groupe Banque populaire 1) ou les énergéticiens (offre Juice d’énergie renou-
velable au même prix que les énergies classiques de NPower au Royaume-Uni).
La responsabilité du consommateur – cette idée que le consommateur peut peser
sur l’évolution de la société par ses achats – est devenue un thème récurrent ces
derniers mois : Consodurable est devenue une campagne d’intérêt général en 2005,
l’Ademe et le ministère de l’Écologie ont publié le guide Vivons ensemble autre-
ment, des livres sur la consommation responsable fleurissent 2… Le pouvoir conféré
par l’acte d’achat fonctionne sur le même principe que le vote en démocratie : 100,
1000, 10 000 personnes qui réduisent leur utilisation de sacs plastiques pousseront
les distributeurs à ne plus en proposer – ce que les Anglo-saxons appellent le ripple
effect (« effet de propagation »). Les consommateurs sont par ricochet de plus en
plus sensibilisés sur les impacts des produits. Leur engouement pour les produits
« verts » et leur attente d’une plus grande transparence sur les conditions sociales et
environnementales des produits qu’ils achètent amènent les entreprises à reconsidé-
rer leurs pratiques marketing. Satisfaire ces nouvelles attentes leur permet de se
positionner sur de nouveaux marchés, de se différencier sur des marchés souvent
arrivés à maturité ou fortement concurrentiels et de renforcer la valeur de leur
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

marque. Ainsi, des marques comme Toyota (avec le lancement du modèle hybride
Prius) ou General Electric (avec le programme Ecomagination) ont vu en quelques
années la valeur de leur marque, mesurée chaque année par Interbrand, s’envoler de
plus de 30 % (Toyota a progressé de la quinzième marque la plus cotée, en 2000, à la
huitième place, en 2009 – soit avant les problèmes de sécurité des véhicules Toyota
à la fin 2009 qui ont débouché sur le rappel de plus de 10 millions de véhicules dans
le monde).

1. http://www.amisdelaterre.org/article.php3?id_article=2215
2. Notamment Achetons Responsable, Elisabeth Laville et Marie Balmain, Le Seuil (2006).
183
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Section LE MARKETING EST MORT, VIVE LE MARKETING


2 (RESPONSABLE) !

1 Le marketing : un colosse aux « P » d’argile

Problème pour les enseignants du marketing : les cinq « P » qui le fondent tradi-
tionnellement sont remis en cause, ou en tout cas sérieusement décortiqués, au nom
de la RSE.
– D’abord, le Produit et son Positionnement doivent faire la preuve de l’utilité
intrinsèque de l’objet, dans un monde qui suffoque déjà sous le superflu, faute de
quoi sa création/production risque de ne pas justifier la consommation addition-
nelle de ressources naturelles et la production de déchets nouveaux qu’elle
entraîne, immanquablement. Il doit aussi, tout au long de son cycle de vie, réduire
son coût environnemental : nécessiter moins de ressources naturelles, être fabri-
qué localement ou acheminé par mode de transports « doux » pour réduire les
émissions de CO2 liées au transport, utiliser des matières recyclables ou biodégra-
dables pour réduire son impact en fin de vie. Le produit doit enfin être fabriqué
sur des sites proposant des conditions de travail décentes et respectant les droits
humains.
– Le Prix doit pour sa part se justifier par le fait qu’il permet de financer
« équitablement » les différents acteurs de la chaîne de valeur, et tout particulière-
ment les producteurs dans le cas de produits achetés sur marché spot (marché où
les prix se négocient au coup par coup en fonction de l’offre et de la demande). La
décomposition du prix doit d’ailleurs être autant que possible transparente pour le
consommateur.
– La Promotion et la Publicité du produit sont ensuite, on l’a vu, mises en cause
pour leur capacité à « créer un besoin » superflu ou inciter à une consommation
débridée : on attend d’elles désormais d’informer le consommateur de manière
transparente sur les qualités du produit et d’inciter à son utilisation appropriée
sans véhiculer de stéréotypes dépassés ou discriminants.
– Le Packaging, enfin, n’est de manière croissante acceptable que s’il réussit à
informer utilement le consommateur sur le produit et ses qualités, et s’il est réduit
au strict minimum pour éviter une accumulation de déchets inutile.
Mais il ne faut pas désespérer, le marketing n’est pas mort, il est juste à réinventer
autour de cinq nouveaux « P » : les Personnes, la Planète, les Profits, la prise en
compte des intérêts des Parties prenantes… et une démarche de Progrès. De toute
façon, comme le chantait Bob Dylan « tout ce qui n’est pas en train de naître est en
train de mourir ». Trois champs d’exploration différents nous semblent poser les
jalons de ce que pourrait être un nouveau « marketing responsable » :

184
La « nouvelle frontière » du marketing responsable

– le « marketing éthique » s’attache à prévenir les débordements du marketing – en


trouvant les moyens de s’assurer que les publicités sur un produit ne comportent
pas d’allégations excessives ou trompeuses, par exemple ;
– le « marketing vert » consiste à vendre avec un argumentaire éthique des produits
ayant une valeur ajoutée sociale ou/et environnementale sur leurs marchés ;
– le « marketing social » vise enfin à utiliser les moyens du marketing pour
promouvoir des comportements responsables pour réduire le coût environnemen-
tal ou social de la consommation – en amenant, par exemple, les particuliers à
mieux trier leurs déchets.

2 Le marketing éthique : comment prévenir les débordements du


marketing ?

Argumentaires manipulatoires et trompeurs, promesses excessives et irréalistes,


ciblage de populations fragiles et enclines à la dépendance sur certains produits (jeu,
alcool, tabac, friandises, etc.) : le marketing, s’il n’est asservi qu’à la seule augmen-
tation des ventes à tout prix, peut verser dans des excès dont les professionnels sont
conscients. Le code d’éthique de la Chambre de commerce internationale demande
ainsi à toute communication d’être en premier lieu « décente, loyale, véridique » et
conçue avec « un juste sens de la responsabilité sociale et professionnelle ». Pour
s’assurer que les publicités des entreprises respectent effectivement ces principes,
les professionnels de la communication se sont généralement dotés d’organismes
d’autorégulation chargés de « concilier liberté d’expression publicitaire et respect
des consommateurs » : Autorité de régulation professionnelle de la publicité en
France, Advertising Standards Authority en Grande-Bretagne, etc. Les entreprises
doivent donc, dans la plupart des pays occidentaux, faire en sorte que leurs publici-
tés respectent des codes de bonne conduite, ce qui implique de mettre en place des
systèmes de management spécifiques en interne.
La communication étant par définition sensée valoriser les qualités du produit pour
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

en maximiser les ventes, les arguments publicitaires utilisés peuvent être proches du
mensonge, comme ce fut le cas pour les premières publicités pour le yaourt Actimel.
Danone a depuis revu ses allégations publicitaires et a mis en place une procédure de
validation scientifique de ses allégations publicitaires.

Exemple : Danone et le cas de la publicité Actimel


Cherchant à valoriser un effet positif (léger) de renforcement du système immunitaire généré
par la consommation d’Actimel, l’annonceur et son agence ont poussé le bouchon un peu loin
dans la création de messages allant au-delà des bénéfices réels du produit. Le groupe a ainsi
diffusé en 2002 un spot publicitaire montrant un enfant faire tomber son gâteau dans un bac à

185
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
sable et le porter à nouveau à sa bouche ; sa mère expliquait alors que son enfant ne risquait
rien, puisqu’il buvait de l’Actimel, yaourt sensé renforcer ses défenses immunitaires. Or un
yaourt à boire ne saurait évidemment immuniser quiconque contre tous les risques de
bactéries ! Mis en cause par l’association de consommateurs CLCV, qui menait depuis des
années une campagne dénonçant les risques de contamination liés aux bacs à sable, Danone a
dû retirer sa publicité et faire amende honorable dans un communiqué commun avec la CLCV
soulignant « que les risques de contamination provenant des bacs à sable sont importants et
qu’une protection contre ces risques ne peut pas provenir de la seule pratique alimentaire
consistant en la consommation de ferments probiotiques ».

Dans le même esprit, et toujours sur ce marché des « alicaments » (des « aliments
santé », auxquels sont attribués des vertus médicales qui restent à démontrer, dans
un contexte où « la santé fait vendre, selon l’association de consommateurs CLCV.
Elle déclenche l’acte d’achat pour 88 % des consommateurs. »), quelques autres cas
récents ont mis en relief les limites éthiques du marketing : ainsi, toujours en 2002,
l’entreprise Cema, spécialisée dans la commercialisation de produits diététiques et
de « margarine anti-cholestérol », a-t-elle signé un accord stratégique avec l’Institut
Pasteur de Lille, celui-ci acceptant d’apposer son logo sur des barquettes de marga-
rine et sur des bouteilles d’huile diététique, en contrepartie d’un financement – un
contrat qui n’a pas manqué de susciter des critiques de nombreux nutritionnistes
mais aussi de la DGCCRF (Direction de la concurrence et des fraudes) puis de
l’AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) ; en 2005,
c’est le géant néerlandais de l’agroalimentaire Unilever qui a signé avec l’assureur
MAAF un partenariat visant à encourager la consommation de produits réputés anti-
cholestérol de la gamme Fruit d’Or pro-activ (lait, yaourts, margarine), au nom
d’une « campagne de prévention » prévoyant que plus les adhérents de l’assurance
consommeraient de produits de la gamme en 2006, plus leur cotisation santé 2007
serait réduite – un partenariat imité par Danone avec les AGF sur le produit Danacol,
et qui a valu à la MAAF d’être assignée en justice par l’UFC-Que choisir dénonçant
des « actions marketing scandaleuses », même si l’association de consommateurs a
finalement perdu le procès en 2006.
Si les allégations mensongères sont interdites par la législation, les annonceurs
sont confrontés à d’autres responsabilités sur les publicités qu’ils diffusent, notam-
ment les représentations, le marketing des produits « à risques » et le greenwashing.
Ces enjeux sont largement encadrés par l’autorégulation et touchent diversement les
secteurs.
Les principaux enjeux liés aux représentations sont les suivants :
– les représentations dénudées et suggestives jugées « dégradantes » : les publicités
représentant les femmes de façon dégradante ou stéréotypée constituent ces
dernières années le premier type de plaintes adressées aux organismes d’autoré-
gulation en Europe, et l’un des premiers facteurs de retrait anticipé d’une
publicité ;

186
La « nouvelle frontière » du marketing responsable

– la reproduction de stéréotypes qui touchent aussi bien les femmes (caricaturale-


ment représentées comme « ménagères ») que les minorités ethniques ou sexuel-
les (caricaturées ou non représentées) ;
– la place centrale attribuée à un stéréotype de beauté physique reposant sur
l’extrême minceur, notamment dans les secteurs des cosmétiques et des textiles.
Certaines associations les accusent de jouer un rôle dans la perte d’estime de soi
chez les femmes et dans le développement des phénomènes associés comme la
dépression ou les troubles du comportement alimentaire chez les jeunes femmes
(boulimie, anorexie) ;
– le marketing des produits jugés « à risques » (alcool, tabac, jeux, médicaments,
automobiles, téléphones…) pose la question pour l’annonceur de l’impact sur les
publics des messages, cibles et supports publicitaires qu’il utilise. Comment
vendre et mettre en avant mes produits sans mettre en danger les
consommateurs ? ;
– le greenwashing consiste à se donner une bonne image écologique sans être à la
hauteur de ses affirmations ou à utiliser l’environnement pour vendre un produit
insuffisamment écologique. Des ONG dénoncent cette pratique tentante pour les
entreprises cherchant à valoriser leurs efforts en matière de protection de
l’environnement : Greenpeace a même publié, peu de temps après le premier
Sommet de la Terre des Nations Unies à Rio (1992), un « kit de détection » du
greenwashing et Corpwatch aux États-Unis décerne des Greenwash Awards aux
pires annonceurs.
Pour encadrer leurs pratiques marketing, certaines entreprises sont amenées à
énoncer des codes de conduite internes – qui peuvent reprendre les codes de
conduite sectoriels ou des organismes d’autorégulation – et à mettre en place des
procédures pour les respecter. Les producteurs d’alcool comme Interbrew ou Allied
Domecq sont généralement les plus avancés dans la mise en œuvre de ces procédu-
res, leur démarche allant de l’identification formalisée des risques en amont à la
formation des équipes et au suivi formalisé de la performance en aval.
Les entreprises de l’agroalimentaire, de plus en plus exposées, commencent égale-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

ment à prendre des initiatives sans toutefois faire état de démarches systématiques
pour lutter contre l’obésité. Le fabricant de barres chocolatées Masterfoods (Mars,
Snickers, Twix, etc.) a ainsi annoncé en 2007 vouloir arrêter de faire en Europe des
publicités ciblant les enfants de moins de 12 ans, faisant ainsi écho, par exemple, aux
engagements similaires pris par la filiale de Coca-Cola France…

3 Le marketing vert : comment vendre des produits avec un


« plus » social ou environnemental ?

Le marketing vert consiste à mettre sur le marché puis à faire la promotion de


produits et services ayant une valeur ajoutée environnementale ou sociale. Il n’existe
187
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

pas de définition arrêtée du stade à compter duquel on peut parler de produit « vert »,
mais les produits revendiquant cette étiquette affichent généralement des améliora-
tions à une ou plusieurs étapes de leur cycle de vie, qu’il s’agisse d’achats écologi-
ques ou responsables, de processus de production propres, d’impacts diminués lors
de l’utilisation, d’un emballage minimisé, de la possibilité prévue de réutiliser ou
recycler le produit, des systèmes de récupération en fin de vie, etc. Progressivement,
de tels produits verts existent dans la plupart des secteurs : alimentation, papier,
textile, automobile, pneu, produits d’entretien, cosmétiques, produits financiers, etc.
Cette acception du produit « vert » peut même être élargie pour inclure les produits
et services ayant une valeur ajoutée sociale, comme le commerce équitable, les
produits fabriqués localement ou sweatshop-free (garantissant le respect des droits
fondamentaux des travailleurs et l’absence d’« ateliers de la sueur »). Les produits
verts sont également désignés, selon les cas, par les termes de produits « durables »,
« responsables » ou « éco-produits ».
Mais comment vendre efficacement un produit vert pour lui faire atteindre des
parts de marché significatives ? Les entreprises qui, les premières, ont proposé des
produits verts à leurs clients, ont historiquement adopté une approche du marketing
souvent originale : dans les premières années de leur développement, ces entreprises
ont fondé leurs décisions sur l’intuition et la vision de leur dirigeant-fondateur,
plutôt que sur des études de marché qui par définition valident rarement l’innovation
radicale, en rupture avec les habitudes du marché considéré. Ces dirigeants ayant
rarement suivi des études de commerce classiques (c’est le cas des fondateurs de
Patagonia, The Body Shop, Ben & Jerry’s, Aveda, Stonyfield, American Apparel,
etc.), ils n’ont d’ailleurs pas hésité à être iconoclastes dans leur approche, en ne
respectant pas les « règles du genre » qu’ils disent eux-mêmes avoir ignorées pour
ne les avoir jamais apprises…
Leurs entreprises ont ainsi pu lancer de nouvelles tendances de consommation sur
leurs marchés, faisant de leurs produits et de leurs magasins les premiers porte-
drapeaux de leur engagement, s’alliant à des ONG jusque-là perçues comme peu
compatibles avec le capitalisme (Amnesty International et Greenpeace pour The
Body Shop, Oxfam pour Stonyfield Farm…), et pratiquant, faute de budgets marke-
ting et publicité importants au départ, un « marketing de guérilla » 1 utilisant tous les
moyens « gratuits » possibles (Internet, emballages, sacs de caisse, magasins,
couvercles de pots de yaourt, campagnes de dégustation des produits doublées d’une
communication terrain sur les engagements et les valeurs, etc.) pour faire vivre la
différence de la marque et mener des campagnes pédagogiques sur les enjeux
sociaux et environnementaux sous-jacents à leur activité :
– contre l’utilisation d’hormones de croissance bovine pour Ben & Jerry’s et Stony-
field Farm ;

1. Voir par exemple Guerilla Marketing, Jay Conrad Levinson (1998).


188
La « nouvelle frontière » du marketing responsable

– contre les tests sur les animaux, pour les produits bio et le commerce équitable
pour The Body Shop ;
– pour le coton biologique pour Patagonia.
Ces campagnes sont en général accompagnées de marketing solidaire, directement
lié à l’achat des produits ou ancré dans le modèle économique même de
l’entreprise : Patagonia et Stonyfield Farm reversent par exemple 10 % de leurs
bénéfices à des ONG, de même que Nature & Découvertes. Ce marketing de guérilla
leur permet de bénéficier de nombreuses retombées presse gratuites et de communi-
quer un positionnement engagé facile à identifier pour les clients. Les magasins sont
également des lieux de communication et d’échanges privilégiés avec les consom-
mateurs, via la mise à disposition d’une information abondante non pas exclusive-
ment sur les choix et produits de l’entreprise mais davantage sur les enjeux généraux
qui fondent ces choix (voir notamment les brochures ou affiches de The Body Shop
sur les tests sur animaux dans l’industrie cosmétique, le commerce équitable ou
l’impact social des stéréotypes de minceur extrême de l’industrie). En contrepartie,
ces pionniers utilisent peu les médias traditionnels sur des marchés généralement
très voraces en publicité (alimentaire, distribution, textile) – la part du budget publi-
citaire d’American Apparel atteignait en 2004 0,7 % de leurs ventes, contre 3 et 4 %
pour Gap et H & M. Mais cette stratégie n’est pas moins efficace que la publicité
traditionnelle : en 2003, Ben & Jerry’s a ainsi calculé que ses activités et engage-
ments divers lui avaient valu plus de 8 000 articles, avec une couverture favorable
supérieure à celle de ses concurrents. Et lors du rachat de The Body Shop par
L’Oréal, la pionnière anglaise « pesait » quand même un dixième du chiffre d’affai-
res du leader mondial !

4 Le marketing social : comment utiliser le marketing pour


promouvoir des comportements responsables ?

Quel que soit le « plus » environnemental des produits vendus, les démarches de
développement durable menées par les entreprises peuvent être limitées par les
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

comportements d’utilisation des produits mis sur le marché. Un constructeur auto-


mobile qui veut réduire les émissions de CO2 de ses véhicules peut ainsi mobiliser
son département de Recherche et Développement sur l’amélioration de la perfor-
mance de ses moteurs ou la recherche de matériaux plus légers pour composer ses
voitures : au bout du compte, ses voitures consommeront à vitesse comparable
moins de carburant et émettront moins de CO2. Mais si, dans le même temps, les
utilisateurs de ses voitures ont plusieurs véhicules là où les foyers n’en avaient qu’un
historiquement, prennent de plus en plus le volant pour des trajets qu’ils pourraient
faire à pied ou en transport en commun, adoptent une conduite nerveuse et rapide et
se déplacent plus fréquemment seuls, les gains permis par la technologie au prix de
lourds efforts financiers seront certainement annulés. Autant dire que la crédibilité

189
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

des efforts de l’entreprise pour faire évoluer ses impacts est donc in fine dépendante
de sa capacité à modifier les habitudes et comportements de ses clients.
Le cas de l’automobile n’est pas isolé. Plusieurs secteurs ont des enjeux environ-
nementaux ou sociaux forts lors de l’utilisation des produits, comme par exemple :
– la restauration rapide, qui est parfois accusée de favoriser l’épidémie d’obésité
observée dans des pays développés lorsque ses clients consomment de façon
excessive des produits très caloriques ou peu nutritifs. Le choix des produits
proposés a également un impact environnemental certain : il faut par exemple sept
fois plus de surface agricole pour produire une calorie de viande que pour une
calorie de légume, de sorte que certaines ONG mettent désormais en cause le
hamburger, non plus tant pour ses impacts sur la santé mais pour ses impacts
environnementaux ;
– les lessives et autres détergents, qui ont également des impacts environnementaux
certains notamment du fait du surdosage encore pratiqué par beaucoup de
consommateurs ;
– sans parler, naturellement, de l’eau (préférence aux bains plutôt qu’aux douches,
robinets laissés ouverts pendant la douche ou le brossage des dents…), l’énergie
(appartements surchauffés, radiateurs chauffant une pièce dont les fenêtres sont
ouvertes…) ou les déchets (achats de produits suremballés puis mal triés…).

Exemple : l’impact environnemental du rasoir Bic


L’analyse du cycle de vie d’un produit réserve parfois quelques surprises : l’étude sur le rasoir
jetable commandée par le groupe Bic a ainsi conclu que l’eau consommée pour se raser était
le principal poste d’impact sur l’environnement ! Le changement des modes de production ou
des matériaux utilisés pour la fabrication du rasoir jetable compte donc finalement moins, au
regard du strict impact environnemental, que les moyens marketing à la disposition de Bic
pour inciter ses clients à ne plus faire couler l’eau inutilement pendant leur rasage.

Utiliser le levier marketing pour faire évoluer les pratiques est d’autant plus perti-
nent que les entreprises sont parfois confrontées à un « effet rebond », autrement dit
une augmentation de la consommation suite à l’introduction d’une technologie plus
éco-efficiente. Les acheteurs d’ampoules fluo-compactes – moins gourmandes en
énergie – semblent ainsi tentés de laisser allumées ces lampes, sachant qu’elles
consomment moins. Cet « effet rebond » est estimé entre 10 et 30 % pour le trans-
port et le chauffage individuels, et de 5 à 10 % pour l’éclairage résidentiel 1.
Rien d’étonnant, donc, à ce que les entreprises se lancent de manière croissante
dans des campagnes pour sensibiliser leurs clients à « mieux consommer » :

1. Rapport « Talk The Walk », Utopies, PNUE et Global Compact (2005).


190
La « nouvelle frontière » du marketing responsable

– EDF propose des conseils à ses clients pour réduire leurs consommations
d’électricité et communique sur les économies d’énergie, comme la loi contraint
désormais l’entreprise à le faire. En novembre 2006, une campagne de publicité
affichait même le message suivant : « Si vous ne préservez pas la nature en évitant
de laisser votre téléviseur en veille, qui le fera ? » ;
– Mc Donald’s veut depuis 2003 encourager le développement de modes de vie
« sains et équilibrés » : pour cela, le groupe a diversifié ses menus, a amélioré
l’information nutritionnelle et fait la promotion de l’activité physique ;
– l’Association internationale des fabricants de produits nettoyants (www.aise-
net.org) a lancé en Europe, en 1998, une grande campagne pédagogique « Dosez
juste » 1 pour sensibiliser les consommateurs à une utilisation responsable et au
dosage juste des lessives : brochures, publicités radio et presse mais aussi TV,
informations sur les emballages, etc. La campagne était dotée d’un budget de
10 millions d’euros par an pour l’ensemble des pays, modeste au regard des
dépenses publicitaires du secteur (la marque leader de lessives, en 2003, a investi
17 millions d’euros en publicité en France), mais important comparé à l’investis-
sement des pouvoirs publics sur ces sujets (l’Europe dépense généralement entre
3 et 4 millions sur ce type de campagne pédagogique) 2. Les études de l’AISE
montraient qu’il était nécessaire de s’attaquer aux problèmes environnementaux
majeurs qui surviennent lors de l’utilisation et de la fin de vie des produits :
économies d’emballage, pollution de l’eau, réduction de la consommation de
lessive et d’énergie par foyer – les deux premiers facteurs étant liés aux types de
produits vendus par les fabricants et les deux derniers au comportement des
consommateurs. Une campagne relativement efficace, d’après les études menées
par ses initiateurs : 81 % des consommateurs disent suivre les recommandations
de la campagne, 79 % en utilisant la température la plus basse possible, 76 % en
évitant de trop remplir la machine et 64 % en adaptant la quantité de produit à la
dureté de l’eau 3 ;
– le constructeur automobile Kia Motors a mené en 2002 en Angleterre une campa-
gne de communication incitant les consommateurs à utiliser les transports non
motorisés pour les courtes distances : la marque offrait un vélo à l’achat d’une
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

voiture Sedona, avec l’accroche « Pour les longs trajets, utilisez la Sedona, et
pour les courts trajets, prenez votre vélo » (en expliquant que les courts trajets
sont ceux qui génèrent le plus de consommation de carburant, d’émissions de CO2
et d’accidents de la route) et soutenait le lancement du Walking Bus – un réseau de
ramassage scolaire piéton organisé par les parents d’élèves.
L’objectif principal de ces initiatives peut être, selon les cas, de se démarquer
(Kia), de se protéger des risques de critiques et de procès (McDonald’s), de prévenir

1. www.washright.com
2. Étude « Talk the walk », Utopies pour Global Compact & PNUE, 2005, voir www.talkthewalk.net
3. Étude « Talk the walk », Utopies pour Global Compact & PNUE, 2005, voir www.talkthewalk.net
191
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

des réglementations plus contraignantes (Dosez juste) ou de respecter des accords


avec l’État (EDF).
Mais si ces nouvelles approches du marketing ouvrent des voies nouvelles et
prometteuses, sont-elles efficaces ? Chacun de ces domaines d’étude du marketing
responsable apporte évidemment son lot d’interrogations.
– Le marketing éthique permet-il de prévenir les crises et le renforcement des
contraintes réglementaires ?
– Comment distinguer les démarches opportunistes des entreprises lançant des
produits « verts » à forte visibilité de celles qui ont une réelle volonté d’améliorer
leurs impacts sur le long terme ? La stratégie de PSA, qui consiste à appliquer les
nouvelles technologies écologiques à tous ses segments de produits, pourrait au
final être plus efficace que celle de Toyota, qui consiste à mettre en avant un
produit vert particulièrement abouti, mais sans en faire bénéficier l’ensemble de
son offre : au global, la flotte de PSA consomme sans doute moins d’essence et
rejette moins de CO2 en moyenne que celle de Toyota. Faut-il considérer que PSA
tire plus le marché automobile vers le haut que Toyota ?
– Enfin, comment les entreprises qui ont mis en œuvre des démarches de marketing
social suivent-elles effectivement les résultats de leurs campagnes dans le
comportement de leurs clients ? Au bout du compte, arrivent-elles à inverser les
tendances par leurs actions marketing ?
Au-delà de ces questions, il semble bien que la perception par les consommateurs
de la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise soit la composante
de la valeur d’une marque qui progresse le plus vite, comme le montre une étude du
cabinet new-yorkais Z+ Partners. À condition, naturellement, que l’engagement
social et environnemental ne soit pas cantonné à la marge de l’offre et de la stratégie
de l’entreprise, mais qu’il soit placé au cœur de celles-ci. Autrement dit, l’adage « la
fortune sourit aux audacieux » est particulièrement vrai en matière de stratégie
marketing « responsable » : l’entreprise ou la marque proactive, qui place l’innova-
tion responsable au cœur de sa stratégie, a toutes les chances d’avoir un meilleur
retour sur sa démarche que celle, plus défensive ou réactive, qui demande davantage
d’efforts pour changer les pratiques internes sans réussir à galvaniser les énergies
internes. C’est également vrai en termes de différenciation et de leadership pris sur
son marché, puisque si elle s’engage de manière forte et visible, elle donne à ses
clients et aux consommateurs en général de nouvelles « lunettes » pour voir le
marché et de nouveaux critères pour analyser l’offre… ce qui a toutes les chances
d’être favorable à la sienne, revisitée à partir de ces critères ! Mais peu d’entreprises
françaises semblent pour l’instant avoir adopté cette approche : l’une des démarches
récentes les plus intéressantes dans ce sens est celle de l’enseigne de jardinage Bota-
nic, créée en 1995. D’abord réactive et progressive (arrêt de la commercialisation du
mobilier de jardin en PVC en 2001, arrêt des sacs de caisse gratuits en 2004,
suppression des prospectus publicitaires en 2005…), l’enseigne s’est lancée en 2006
dans une démarche plus radicale et proactive avec le programme Éco-jardinier

192
La « nouvelle frontière » du marketing responsable

consistant à sélectionner et labelliser plus de 700 produits de son offre permettant de


jardiner écologique – un engagement renforcé début 2007, avec le retrait de la vente
en libre-service de tous les engrais et traitements chimiques de synthèse, et la mise
en place d’un Point Conseil Éco-jardinier dans tous les magasins. Botanic signait
alors désormais ses prises de parole publicitaires sur sa nouvelle offre : « Botanic,
enseigne militante ». Une stratégie qui permet en tout cas à l’enseigne d’afficher une
croissance annuelle de 15 % avec 300 000 clients appartenant au club Botanic repré-
sentant plus de 50 % du chiffre d’affaires de l’enseigne. Puissent d’autres entreprises
avoir été convaincues par ces quelques pages et se lancer également dans cette aven-
ture aussi exigeante que gratifiante…
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

193
Chapitre La gestion des ressources
humaines à l’épreuve de
13 la responsabilité sociale
de l’entreprise

Jacques IGALENS

L ’histoire de la responsabilité sociale de l’entreprise est déjà ancienne. À la


suite d’une commande des Églises protestantes américaines, le professeur
d’économie d’obédience keynésienne, Howard R. Bowen écrivit en 1953 un
ouvrage consacré à la responsabilité sociale du businessman (Bowen, 1953). Dans
cet ouvrage, il défend l’idée selon laquelle les dirigeants doivent mettre en confor-
mité leurs actions et leurs décisions avec les valeurs de la société civile et qu’ils
doivent donc se conduire de façon non égoïste :
« La liberté unique de prise de décision économique dont bénéficient des
millions d’hommes d’affaires privés, qui caractérise notre système de libre
entreprise, est injustifiable si elle est uniquement favorable aux managers et aux
propriétaires de l’entreprise ; elle ne peut être justifiée que si elle est bonne pour
l’ensemble de la société » (p. 6).
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Ce concept ne s’imposa pas immédiatement et l’auteur lui-même reconnut, à la fin


de sa vie, qu’il avait fait preuve de naïveté en supposant que l’engagement volon-
taire des dirigeants suffirait à le faire triompher. Pour cette raison lorsqu’on reparle
de responsabilité sociale, dans les années quatre-vingt, il ne s’agit plus de celle du
« dirigeant » mais de celle de « l’entreprise ». Le concept se laïcise et il est revivifié
par des recherches universitaires puis remis au goût du jour par des organisations
internationales dégagées des influences religieuses qui l’avaient vu naître :
– au titre des recherches universitaires il convient de citer la théorie des parties
prenantes que Freeman formule en 1984 et qui place l’entreprise au centre d’un
réseau d’influences portées par des groupes de personnes concernées par son
activité ;
195
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

– concernant les organisations internationales, les travaux onusiens de Gro Harlem


Brundtland en 1987 (rapport intitulé « Our Common Future ») vont populariser le
concept de développement durable qui s’imposera rapidement comme un concept
ombrelle incluant celui de responsabilité sociale des entreprises.
À partir de cette époque les premières réalisations d’entreprises apparaissent mais
elles demeurent rares et relèvent encore davantage de la personnalité du dirigeant
que de la pression des marchés financiers. En revanche une accélération est percep-
tible au début de la décennie quatre-vingt-dix, elle est parfois consécutive à des
catastrophes écologiques (notamment les marées noires), à des scandales financiers
ou encore à des inquiétudes dues à des troubles sociaux et à des pandémies (notam-
ment celle du Sida). En 1999 le Secrétaire général des Nations unis lance un appel
aux dirigeants des entreprises multinationales réunis à Davos pour faire progresser
l’application de principes fondamentaux touchant aux droits de l’environnement, de
l’homme et du travail. En 2001, la Commission européenne publie un livre vert pour
inciter les entreprises européennes à s’engager dans la responsabilité sociale. À
partir de cette date, la RSE devient un sujet quasiment incontournable pour les entre-
prises cotées sur les marchés financiers.
Si pour certains il s’agit d’un phénomène de mode, la plupart des observateurs
préfèrent considérer la RSE comme une orientation de long terme comparable pour
les organisations à ce que fut le mouvement pour la qualité dans les années quatre-
vingt. Assez rapidement la fonction RH et le DRH ont été sollicités pour mettre en
pratique certains engagements qui avaient été pris dans le cadre de la RSE.
Aujourd’hui l’implication de la GRH dans la RSE revêt deux formes distinctes et
rejaillit sur la conception même du rôle du DRH. Dans une première partie nous
verrons que la GRH est confrontée à de nouveaux publics. Dans une deuxième partie
nous établirons que le public traditionnel de la GRH, c’est-à-dire, les salariés de
l’entreprise et leurs syndicats, est porteur de nouvelles attentes, en lien avec la RSE.
Enfin, dans une troisième partie nous constaterons que les deux mouvements précé-
demment étudiés convergent pour « refaçonner » les rôles traditionnels du DRH.

Section 1 ■ À l’heure de la RSE, la GRH est confrontée à de nouveaux publics


Section 2 ■ Les nouvelles attentes des salariés et de leurs représentants
face à la RSE
Section 3 ■ Les nouveaux rôles de la DRH à l’heure de la RSE

Section À L’HEURE DE LA RSE, LA GRH EST CONFRONTÉE À DE


1 NOUVEAUX PUBLICS

La théorie des parties prenantes met l’entreprise au centre d’un réseau formé de
groupes humains qui ont des attentes variées et parfois contradictoires. Spécialistes
196
La gestion des ressources humaines…

de l’écoute et de la négociation, la fonction RH est sollicitée pour passer du dissen-


sus sinon au consensus du moins au compromis. Deux exemples seront développés :
les sous traitants et les fournisseurs d’une part, les ONG d’autre part.

1 Le cas de la chaîne d’approvisionnement

La recherche et la sélection de fournisseurs ou de sous-traitants (le sourcing) ont


toujours été une préoccupation essentielle mais à l’heure de la globalisation, la
compétition internationale oblige les entreprises à nouer des relations commerciales
et de partenariat à l’échelle de la planète et notamment dans des pays à bas coût du
travail. Certains pays du Sud, bien qu’adhérents à l’Organisation internationale du
travail, n’appliquent pas les droits fondamentaux du travail. Adoptée en 1998, la
déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail est
l’expression de l’engagement des gouvernements, des organisations d’employeurs et
des organisations de travailleurs de promouvoir les valeurs humaines fondamentales.
Ces principes et droits concernent la liberté d’association et la reconnaissance effec-
tive du droit de négociation collective, l’élimination de toute forme de travail forcé
ou obligatoire, l’abolition effective du travail des enfants et enfin l’élimination de la
discrimination en matière d’emploi et de profession.
Tous les référentiels nationaux ou internationaux s’appuient sur ces conventions,
certains les dépassent et prennent en compte d’autres exigences (concernant le
temps ou les conditions de travail, la santé, la sécurité voire les rémunérations). Elles
constituent un socle de droit que l’on peut qualifier d’universel 1. Pour ne prendre
qu’un exemple, le décret de février 2002 pris en application de l’Article 116 de la loi
NRE (nouvelles régulations économiques) précise que les sociétés cotées sur le
marché financier français doivent faire respecter ces principes fondamentaux par
leurs filiales et promouvoir leur application auprès des fournisseurs et des sous-trai-
tants. Dès lors l’entreprise « socialement responsable » se trouve dans l’obligation
de rendre compte de la bonne application de règles de droit du travail dans des entre-
prises souvent fort éloignées de ses bases et surtout à l’égard de salariés qui ne sont
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

pas les siens.


Si, dans un premier temps, nombre d’entre elles se sont contentées de faire signer
des engagements par les dirigeants des sociétés concernées, assez rapidement il est
apparu que ces engagements n’étaient pas souvent suivis d’effet. Aux États-Unis, la
société Nike a été poursuivie en 2003 par un consommateur qui jugeait avoir été
trompé concernant le travail des enfants et elle a préféré transiger et payer
1,5 million de dollars avant que l’affaire soit portée devant la Cour suprême. Parfois
il a pu être demandé aux acheteurs d’effectuer eux-mêmes une surveillance des four-

1. Pour plus de détails sur ce point : Igalens J., Peretti J.-M. (2008), Audit social : meilleures pratiques,
méthodes, outils. Éd. d’Organisation.
197
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

nisseurs mais il est facile de comprendre pourquoi un acheteur qui négocie les prix
les plus serrés n’est pas toujours le mieux placé pour exiger le respect de conven-
tions dont l’application peut se révéler onéreuse.
L’audit social constitue le meilleur moyen pour assurer le respect des clauses
sociales qui accompagnent aujourd’hui nombre de contrats commerciaux internatio-
naux. L’audit social appliqué à la chaîne des fournisseurs et des sous-traitants repose
sur des entretiens avec de petits échantillons de travailleurs des usines des pays
concernés, de l’observation directe concernant les conditions de travail et de ques-
tionnaires reprenant chaque point du référentiel de façon à relever les éventuelles
non-conformités. Parfois les DRH d’un même secteur se sont regroupés afin de
pouvoir partager les résultats des audits sociaux qui concernent les mêmes fournis-
seurs. En France de nombreuses enseignes de la grande distribution (Auchan,
Casino, Carrefour, Galeries Lafayette, E. Leclerc, Leroy Merlin, Monoprix,
Système U, 3 Suisses) ont ainsi créé en 1998 un groupement sous le nom de
« Initiative clause sociale » 1.
Ainsi le DRH a pris conscience des difficultés d’application du droit social inter-
national dans des pays pauvres ou très pauvres. Très souvent, sous son influence, les
limites de l’audit social sont apparues car il ne suffit pas de constater telle ou telle
non-conformité par rapport à une charte ou un code de conduite. Que faire suite à ce
constat ? Mettre en demeure le fournisseur ou le sous-traitant ? Certes, mais si cette
injonction reste sans effet, le problème perdure. Différentes démarches pilotées par
la fonction RH sont progressivement mises en place, elles consistent à aider certai-
nes usines de pays en voie de développement, par de la formation adaptée ou de
l’accompagnement, pour qu’elles parviennent à se mettre au niveau des conventions
internationales fondamentales.
Deux bénéfices distincts sont attendus de telles actions. En premier lieu, l’amélio-
ration effective des conditions de vie et de travail des employés du Sud. En second
lieu, la disparition de risques de « dumping social » qui accompagnent souvent les
pires formes d’exploitation de la force de travail dans les pays en voie de développe-
ment ou les pays émergents.

2 Le cas des ONG

Les organisations non gouvernementales (désormais ONG) ont joué un rôle actif
au sein de l’Organisation des nations unies dès sa création mais il a fallu attendre
l’apparition de la responsabilité sociale de l’entreprise pour que les partenariats
entre entreprises et ONG se multiplient. Les ONG concernées relèvent de nombreux
domaines : la protection de l’environnement, l’aide au développement, la promotion

1. http://www.ics-asso.org/doc4/page1.htm
198
La gestion des ressources humaines…

des droits de l’Homme, de la santé, la lutte contre la pauvreté, la protection des


consommateurs, etc. L’ORSE 1 écrit à leur propos :
« Les ONG qui s’engagent dans un partenariat avec les entreprises attendent
une réelle intégration de leur projet dans leur stratégie de RSE. Ceci demande
un engagement de toutes les composantes de l’entreprise, un objectif et des
moyens clairement définis, et une auto-évaluation régulière du partenariat
débouchant parfois sur des audits extérieurs. Les ONG demandent donc de
pouvoir travailler en confiance sur le long terme avec des entreprises sincères,
dans une relation équilibrée. De leur côté, après les avoir d’abord perçues
comme un danger, les entreprises ont compris qu’elles ne pouvaient pas ignorer
les arguments des ONG. Elles y voient également une façon d’améliorer le
dialogue interne, leur image et leur crédibilité. Les entreprises recherchent
globalement une expertise et un savoir faire qu’elles n’ont pas l’habitude de
pratiquer. Par leur bonne connaissance de la société civile et du terrain, les
ONG agissent désormais comme guide et comme passerelle pour les entreprises
vers d’autres parties prenantes, comme les gouvernements et les collectivités
territoriales ». (Guide pratique du partenariat stratégique ONG-Entreprises,
p. 4)
L’implication de la fonction RH dans la mise en place et le développement des
relations avec les ONG débute par un état des lieux pour fixer les enjeux du partena-
riat, ainsi que pour apprécier la motivation des hommes et des femmes de l’entre-
prise par rapport à ces enjeux. Très souvent ces informations sont fournies par
l’exploitation de données d’enquêtes de climat social que les grandes entreprises
réalisent régulièrement (people survey). Ensuite la fonction RH doit trouver les
modalités adéquates pour que vive le partenariat ONG-entreprise. Pour le réseau
Entreprendre pour la Cité, connu également par le sigle IMS (réseau créé en 1986 et
qui fédère 200 entreprises), l’implication des collaborateurs dans un partenariat avec
une ONG repose sur les cinq facteurs ci-dessous :
– définir, au préalable, un cadre d’action sur le temps de travail. Ainsi, le statut du
« Collaborateur Citoyen » chez SFR permet aux salariés de disposer d’une partie
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

de leur temps de travail pour s’engager au sein d’une association ;


– bien orienter les salariés volontaires en fonction des missions. Algoé et son asso-
ciation de salariés, Algorev, utilisent des fiches de description de poste pour faire
correspondre compétences du salarié et besoins de l’association ;
– former les salariés volontaires. Les formations mises en place par la Fondation
des brasseries Kronenbourg permettent de mieux armer les salariés parrains d’une
association ;

1. Observatoire de la responsabilité sociétale de l’entreprise : www.orse.org


199
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

– suivre et évaluer la mission. « Eau de Paris » prend en compte le développement


des compétences du salarié volontaire lors des entretiens annuels d’évaluation ;
– utiliser au mieux les possibilités offertes par la loi Mécénat de 2003. Chez
Deloitte, un dispositif a été mis en place, sur les feuilles de temps des collabora-
teurs, pour comptabiliser et donc mieux défiscaliser les heures passées au service
d’une association.
La fonction RH doit créer des solutions techniques qui autorisent des salariés à
s’absenter pour donner du temps et des compétences, parfois pour donner de l’argent
à des causes. Elle doit aussi assurer un suivi en termes de formation. Elle doit effec-
tuer des opérations de communication interne, instaurer un système de reporting et
parfois elle est également sollicitée en termes d’évaluation des résultats. Ces enga-
gements qui sont essentiellement tournés vers la mobilisation des ressources humai-
nes sont très souvent doublés par d’autres qui s’adressent aux partenaires externes.
Compte tenu des habitudes de négociation et des capacités d’écoute qui sont les
siennes, la fonction RH est souvent mise en première ligne pour la formalisation
claire et précise de l’objet du partenariat. Le champ d’application, les objectifs, le
calendrier, les modalités d’exécution, le règlement des litiges et l’évaluation des
résultats du partenariat constituent autant de thèmes qui reposent en grande partie
sur la fonction RH.

Section LES NOUVELLES ATTENTES DES SALARIÉS ET


2 DE LEURS REPRÉSENTANTS FACE À LA RSE

Il est toujours difficile d’attribuer au développement de la RSE telle ou telle attente


des salariés dans la mesure où un DRH serait en droit d’évoquer l’antériorité de cette
attente. À titre d’exemple, la parité homme/femme, l’application du principe « à
travail égal salaire égal » sont des revendications qui ont plus d’un siècle. Cependant
les observateurs impartiaux relèvent qu’à défaut de nouveauté radicale, il existe une
vigueur accrue de certaines demandes sociales à l’heure de la RSE, que ces deman-
des se traduisent parfois par des ACI (accords cadres internationaux) ou par l’obten-
tion de labels ou encore par l’élaboration de chartes.

1 Les syndicats face à la RSE

Les syndicats ne sont pas toujours unanimes face à la RSE. Certains d’entre eux
considèrent que la RSE risque de les marginaliser en les considérant comme des
« parties prenantes » ordinaires. D’autres craignent la concurrence avec les ONG.
Tous redoutent qu’à travers la RSE on assiste à une privatisation du droit social et
que les entreprises utilisent la soft law (codes, chartes, labels et autres engagements
volontaires) pour atténuer le poids de la hard law (loi, décrets, règlements).
200
La gestion des ressources humaines…

Cependant plusieurs initiatives montrent que certains syndicats sont favorables


aux thèmes et aux préoccupations portées par la RSE.
La CGT, la CFDT, la CGC et la CFTC ont créé en 2002 un label syndical commun,
le CIES (Comité intersyndical de l’épargne salariale) dans le but de favoriser les
comportements des entreprises socialement responsables. Plus d’un milliard d’euros
ont été ainsi collectés au titre de l’épargne salariale et quatorze fonds ont été labelli-
sés.
Une quarantaine d’ACI ont été signés en France sur le thème de la RSE. Ces
accords sont négociés entre une entreprise multinationale et les fédérations syndica-
les internationales. Ils portent le plus souvent sur les enjeux sociaux du droit et des
conditions de travail (les droits fondamentaux de l’OIT servant de base aux négocia-
tions). En dehors des quatre droits sociaux fondamentaux, ce sont les dispositions
sur la santé et la sécurité d’une part, et les salaires d’autre part, qui sont les sujets les
plus traités dans les ACI. Certaines entreprises négocient ces accords avant tout par
nécessité : en cas de fusion pour accélérer l’harmonisation entre les pratiques des
différentes entités, pour affirmer des valeurs communes ou pour préserver l’accepta-
bilité des activités dans certaines régions du monde. D’autres entreprises engagent
ce type de démarche essentiellement pour prolonger un engagement antérieur et
mettre en avant la dimension humaine de l’entreprise. Plusieurs tendances récentes
rendent les ACI particulièrement intéressants. Ainsi, depuis 2003, de nombreux ACI
prennent en compte les salariés des sous-traitants. De même, de plus en plus d’ACI
associent les syndicats dans le suivi des accords signés.
Comparés à des codes de conduite unilatéraux, qui sont un autre type de normes en
matière de responsabilité sociale de l’entreprise, les ACI se caractérisent par un
contenu plus complet et plus précis.
Enfin il convient de signaler qu’en France, l’article 53 de la loi du 3 août 2009
consacre le dialogue social sur l’environnement naturel :
« Les organisations syndicales de salariés et d’employeurs seront saisies
conformément à la loi n˚ 2007-130 du 31 janvier 2007 de modernisation du
dialogue social sur la possibilité d’ajouter aux attributions des institutions
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

représentatives du personnel une mission en matière de développement durable,


d’étendre la procédure d’alerte professionnelle interne à l’entreprise aux
risques d’atteinte à l’environnement et à la santé publique et de faire définir par
les branches professionnelles des indicateurs sociaux et environnementaux
adaptés à leurs spécificités ».
Bien que cette loi issue du Grenelle de l’environnement soit trop récente pour
avoir produit des effets, il est probable qu’elle enrichira le contenu du dialogue
social et que, désormais, la négociation autour de la RSE, jusqu’ici plus sociale
qu’environnementale, sera rééquilibrée.

201
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

2 Les salariés face à la RSE

Les enquêtes prouvent que les salariés sont de plus en plus intéressés par les
thèmes de la RSE. Pour cette raison les entreprises font des efforts pour obtenir des
labels RSE qui sont consacrés aux ressources humaines. Elles sont également obli-
gées de consacrer une attention particulière au volet RH des démarches de RSE.
Le label Diversité est le témoignage de l’engagement des entreprises en matière de
prévention des discriminations, d’égalité des chances et de promotion de la diversité
dans le cadre de la gestion des ressources humaines. Son obtention nécessite le
respect d’un cahier des charges qui repose sur cinq domaines :
– état des lieux de la diversité dans l’organisme ;
– politique diversité : définition et mise en œuvre ;
– communication interne, sensibilisation, formation ;
– prise en compte de la diversité dans les activités de l’entreprise ;
– évaluation et axes d’amélioration de la démarche diversité.
Parmi les premières entreprises ayant obtenu le label on trouve PSA, BNP Paribas,
Eau de Paris, Vinci et L’Oréal.
Le label Égalité professionnelle est le témoignage de l’engagement des entreprises
et de la mise en place d’actions concrètes en matière d’égalité liée au genre, dans le
domaine professionnel. L’évaluation se fait sur plusieurs critères répartis en trois
champs :
– les actions menées dans l’entreprise en faveur de l’égalité professionnelle ;
– la gestion des ressources humaines et le management ;
– l’accompagnement de la parentalité dans le cadre professionnel.
Si les deux labels français, Égalité et Diversité sont récents, en revanche la norme
d’origine américaine SA 8000 est ancienne (1997), elle définit des exigences dans
un grand nombre de domaines relatifs à la GRH notamment le temps de travail et les
rémunérations. D’autres normes ou labels plus généraux présentent un volet relatif
aux ressources humaines, ainsi le label Good Corporation exige que l’entreprise
fournisse des conditions d’emploi claires et équitables, des conditions de travail
hygiéniques, saines et sûres, une politique de rémunération équitable et qu’elle
encourage les collaborateurs à développer leurs aptitudes et à progresser dans leur
carrière.
Au-delà de l’obtention de label ou de certificat, la fonction RH est souvent aux
avant-postes dans la mise en œuvre d’une politique RSE.
En premier lieu il s’agit de communiquer sur cette politique et il est bien connu
que souvent la communication interne relève de la fonction RH. Une enquête réali-
sée par Opinion Way pour DDB révélait en octobre 2009 que les salariés accordai-
ent, en moyenne une note de 5,4 sur 10 à leurs entreprises sur leur engagement en

202
La gestion des ressources humaines…

faveur de la RSE 1. Le cabinet Novethic synthétise ainsi les résultats de cette enquête
et met en évidence l’ampleur du travail de communication à entreprendre :
« Les salariés les plus jeunes sont davantage intéressés par le développement
durable que leurs collègues plus âgés, mais ils sont aussi plus critiques sur la
place que leur accorde leur entreprise. Les sociétés ont donc tout intérêt à
communiquer et impliquer ces jeunes salariés, car s’ils sont aujourd’hui les
moins informés et les moins sollicités sur les sujets, ils sont pourtant les plus
motivés… En plus de ce clivage générationnel, on note de profondes disparités
entre les secteurs : l’avance de l’industrie sur les services est palpable tant au
niveau des actions que de la communication interne. La formation par exemple,
y occupe une place beaucoup plus importante. Une différence qui peut notam-
ment s’expliquer par la prédominance des enjeux environnementaux dans le
domaine industriel et une exposition plus forte aux risques. Enfin, les cadres
sont beaucoup plus réceptifs au sujet : 42 % se déclarent intéressés par le déve-
loppement durable contre 25 % des employés ».
En second lieu, il s’agit de s’assurer que les hommes et les femmes de l’entreprise
respecteront des principes ou adopteront des comportements conformes aux exigen-
ces des politiques de RSE. Le cas le plus marquant est, sans aucun doute, celui de
l’éthique. Qu’il s’agisse de déontologie professionnelle (notamment dans les
banques), d’éthique commerciale, financière ou sociale, les obligations nouvelles
qui pèsent sur les employés se multiplient. Tel type de management qui pouvait être
toléré dans le passé devient susceptible aujourd’hui d’être qualifié de harcèlement
moral. Il s’agit donc d’une surveillance accrue des salariés au nom de la RSE.
La fonction RH est également sollicitée pour l’engagement des salariés dans de
grandes causes que l’entreprise a choisi de porter, au nom de la RSE. Lafarge
s’engage ainsi dans la lutte contre le Sida, SFR dans la protection de l’enfance,
Danone dans la lutte contre la pauvreté, etc. Dans ce cas, ce qui est demandé à la
fonction RH c’est de susciter la générosité voire l’enthousiasme des salariés pour
qu’ils prennent des initiatives, consacrent du temps ou de l’argent à ces causes. Il
s’agit là d’une action contraire à la précédente, on ne restreint plus, on ne surveille
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

plus mais au contraire on éveille, on accompagne, on encourage les salariés dans


leurs engagements plus ou moins volontaires.
On comprend donc que la direction des ressources humaines est mise à rude
épreuve. Pour cette raison nous proposons de reconceptualiser les rôles du DRH à
l’heure de la RSE.

1. Repères RSE, n˚ 82. Publication de l’agence Novethic disponible sur le site de cette dernière.
203
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Section LES NOUVEAUX RÔLES DE LA DRH À L’HEURE


3 DE LA RSE

En 1997 paraissait un ouvrage qui eût un impact important sur les DRH des pays
développés : Human Resource Champions de Dave Ulrich, professeur à l’Université
du Michigan. Cet auteur fut invité dans le monde entier et notamment en France
pour présenter ses travaux et nombre de grandes entreprises restructurèrent leur
fonction RH à l’aune de ses recommandations. Après avoir rappelé son cadre
d’analyse, nous proposerons une extension des quatre rôles proposés par Ulrich à
l’heure de la RSE.

1 Les rôles traditionnels de la DRH


Dave Ulrich part du constat selon lequel les DRH sont soumis à de nouveaux défis
et il assigne de nouveaux rôles à cette direction afin de les relever.
Les défis que cet auteur énumérait, il y a treize ans, sont toujours d’actualité :
– la mondialisation oblige l’entreprise à recomposer en permanence son offre à
l’échelle de la planète. Ceci impose à la DRH non seulement de gérer du person-
nel expatrié et des collaborateurs étrangers mais également à tenir à jour voire à
recomposer en permanence un portefeuille de compétences qui optimise le poten-
tiel de salariés de diverses cultures et nationalités ;
– la création de valeur, souci permanent de l’entreprise, inclut désormais la contri-
bution des services RH. Qu’il s’agisse simplement de réduction de coûts par une
meilleure efficience des process RH (recrutement, intégration, rémunération, etc.)
ou qu’il importe de contribuer directement à la satisfaction du client, la fonction
RH est en première ligne ;
– la préparation des esprits au changement, par la mobilité fonctionnelle ou géogra-
phique incombe aussi à la fonction ;
– la capacité à attirer, retenir et mobiliser les talents n’est pas un défi nouveau mais
le déclin démographique le rend plus aigu ;
– la succession de crises et de périodes de croissance oblige l’entreprise à devenir
flexible. Si la flexibilité technologique est rendue possible par un recours accru
aux technologies de l’information et de la communication, la flexibilité humaine
et sociale est plus difficile à assurer.
Face à ces défis, Dave Ulrich estimait, il y a quinze ans, que la DRH devait assu-
mer quatre rôles pour devenir un levier de performance de l’entreprise. Ces quatre
rôles étaient les suivants : partenaire stratégique, agent de changement, expert admi-
nistratif et champion des salariés.
De tous ces rôles, celui de « partenaire stratégique » apparaît comme le plus
important. Il implique non seulement que la DRH fournisse aux directions opéra-
204
La gestion des ressources humaines…

tionnelles les femmes et les hommes dont elles ont besoin mais également qu’elle
apporte sa contribution spécifique à la croissance (recherche de nouveaux clients,
fidélisation des clients actuels) et à la rentabilité. Dans un livre ultérieur, Dave
Ulrich précisait sa pensée sur ce point en proposant l’outil de la balance scorecard
adapté aux RH (Becker, Huselid, Ulrich, 2001). Il cherchait ainsi à établir des chaî-
nes causales (appuyées par des données appropriées) entre des facteurs de satisfac-
tion des employés et des indicateurs de réussite financière.
Par « agent de changement » l’auteur entendait que le DRH réussisse une double
adaptation. Qu’il prépare l’entreprise aux nouvelles caractéristiques de la main-
d’œuvre, en tenant compte notamment de l’état d’esprit des jeunes talents tout droit
issus des grandes écoles ou de l’Université et qu’il prépare également les employés
aux nouvelles technologies et aux changements permanents que connaissent les
organisations.
« Expert administratif » est le rôle le plus traditionnel car le DRH a toujours eu à
gérer des process qui supposent le plus souvent la manipulation de bases de données
administratives de grande taille. Ainsi comme d’autres responsables, notamment
dans la production et le commerce, il est soumis régulièrement à des tensions
touchant au réingeniering de ces process.
Le concept de « champion des salariés » renvoie au contexte des États-Unis car,
dans certains États, les syndicats ne sont pas admis dans l’entreprise tant qu’un vote
majoritaire des salariés ne l’a pas autorisé. Ainsi dans des entreprises dites « non
syndiquées », il appartient au DRH de porter les attentes parfois les revendications
du personnel devant les instances de direction. Plus largement, la motivation et
l’engagement des employés supposent que la DRH soit capable de proposer des
politiques sociales qui répondent aux besoins des personnes, qu’elle soit également
capable de fournir des services personnalisés à certaines catégories du personnel 1.
Récemment, en septembre 2008, Dave Ulrich, conscient que ce modèle devait
évoluer, proposait de lui faire subir quelques adaptations :
« À l’heure actuelle, nous considérons qu’il existe non plus seulement quatre,
mais bien cinq rôles en matière de RH. Le rôle de l’expert administratif a évolué
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

pour faire place à un rôle d’expert fonctionnel, qui vise non seulement la perfor-
mance des RH, mais aussi l’expérience correcte et utile. Quant au rôle de cham-
pion des salariés, il a été scindé en deux : d’une part, un rôle de développeur de
capital humain, car on met de plus en plus souvent l’accent sur le développe-
ment de talents pour le futur et, d’autre part, un rôle d’avocat des salariés, en
faveur des travailleurs que l’entreprise emploie actuellement.
D’après notre enquête, les rôles du partenaire stratégique et de l’agent de chan-
gement se confondent de plus en plus. À ce modèle, nous avons ajouté le rôle du
leader. Nous voyons ce rôle comme un rôle de leader des RH, et comme un

1. http://www.capsurlesrh.be/acerta/view/fr/extras/web_specials/les_rh_selon_ulrich
205
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

apport de leadership au sein de l’organisation, en vue de réaliser les objectifs


futurs. » 1
L’une des limites des modèles de base et du modèle adapté tient à l’articulation
entre l’organisation et ses environnements, entre l’interne et l’externe. Pendant très
longtemps le rôle de la DRH a été focalisé sur l’interne :
– les directions opérationnelles (considérées comme des clients internes) ;
– les cadres ou les catégories de salariés considérées comme sensibles, voire
stratégiques ;
– les syndicats dans le cadre des relations sociales ;
– les salariés.
La première formulation d’Ulrich présentait l’avantage d’ouvrir la DRH sur
l’externe en introduisant deux rôles, partenaire stratégique et agent de changement,
largement ouverts sur l’environnement d’affaire. Dans la version de 2005 (dévelop-
pée en collaboration avec Brockbank), ces deux rôles sont confondus mais
« l’orientation business » demeure, le DRH devant assurer un alignement de la GRH
sur la stratégie d’affaire. Ainsi dans une société commerciale, l’orientation de la
GRH sera tournée vers le commerce, le DRH devra attirer les talents des meilleurs
commerciaux et, compte tenu des caractéristiques de cette population, il devra
façonner une organisation dans laquelle les commerciaux se sentiront bien.
À l’heure de la RSE c’est ce type d’articulation qui doit être revisitée.

2 Les nouveaux rôles de la DRH à l’heure de la RSE


L’entreprise, à l’heure de la RSE est en quête de légitimité, c’est-à-dire qu’elle doit
être acceptée par des parties prenantes diverses et parfois contradictoires dans leurs
attentes (Igalens, Point, 2009). Il ne s’agit plus de les instrumentaliser pour relever
les défis d’affaire mais il s’agit bien de les satisfaire, de coordonner leurs intérêts et
de renforcer leur confiance. En d’autres termes les relations avec les parties prenan-
tes sont fondées sur des obligations morales et normatives (dialogue, transparence,
confiance, engagement, reddition de comptes, etc.). L’entreprise devient un lieu de
délibérations et de réconciliations d’intérêts fragmentés et c’est à la lumière de cette
fragmentation et de cette nécessaire réconciliation que les rôles de la DRH doivent
être réévalués.
Il est possible de représenter ces rôles à partir de deux axes, le premier a trait à
l’espace et le second au temps :
– Espace : interne vs. Externe.
– Temps : court terme vs. long terme.

1. L’ISO définit les organismes comme « compagnie, société, firme, entreprise, autorité ou institution,
ou partie ou combinaison de celle-ci, à responsabilité limitée ou d’un autre statut, de droit public ou
privé, qui a sa propre structure fonctionnelle et administrative » (NF EN ISO 14001:2004).
206
La gestion des ressources humaines…

Ainsi quatre cases sont définies, dont chacune correspond à un rôle particulier de
la DRH à l’heure de la RSE :
– Le DRH doit se préoccuper de l’externe, c’est-à-dire des parties prenantes et ceci
dans une optique de long terme. Il doit être celui qui fixe le cap du développement
durable et qui s’assure que ce cap est tenu. Pour sacrifier à la métaphore maritime
nous l’appelons la vigie du développement durable.
– Le DRH doit également gérer sinon le consensus, du moins le compromis entre
les parties prenantes. Il s’agit là d’une exigence de court terme, tournée vers
l’externe et ce rôle peut être dénommé le champion des parties prenantes pour
faire écho au premier ouvrage de Dave Ulrich.
– Le DRH concernant l’interne, c’est-à-dire les acteurs de l’organisation, doit être
un facilitateur de performance, il doit être celui qui, par de l’expertise fonction-
nelle mais aussi par le recours à des sous-traitants (outsourcing, netsourcing,
etc.), permet aux opérationnels de disposer en permanence des solutions RH
adaptées à leurs besoins.
– Le DRH doit également faire grandir à moyen et long terme les personnes en
développant les talents, il doit devenir un développeur de capital humain.
La vigie du développement durable (long terme et externe) repose sur la capa-
cité de la DRH à comprendre les facteurs de durabilité (et par opposition les risques
d’obsolescence ou de disparition) des affaires de l’entreprise. Ce rôle ne concerne
pas le même registre que celui des stratèges ou des spécialistes du marketing straté-
gique même si des recoupements peuvent exister. Être « vigie du développement
durable », c’est à la fois être un bon connaisseur du modèle d’affaire mais également
être capable d’aligner les stratégies et les outils RH sur ces stratégies et être en
mesure de faire évoluer ce modèle en fonction des contraintes environnementales et
sociales. Ce rôle inclut également la prise en compte de la mémoire organisation-
nelle et donc de la gestion des savoirs (knowledge management) nécessaire pour que
les connaissances relatives aux enjeux du développement durable soient conservées
et mises à la disposition de tous les membres de l’organisation auxquels elles
peuvent être utiles. Ce rôle n’est pas démesuré sur le plan des connaissances car il
nécessite de savoir relier, mettre en relation, raisonner globalement (voire systémi-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

quement) plus que de savoir approfondir les sujets techniques qui le composent.
Le champion des parties prenantes (court terme et externe) suppose de la part de
la DRH la capacité de savoir reconnaître les parties prenantes pertinentes puis de
savoir les sélectionner, les mettre en situation de s’exprimer, les écouter, les intéres-
ser aux programmes de l’entreprise, leur rendre des comptes, mesurer leur satisfac-
tion. L’une des difficultés du rôle tient dans le manque d’harmonie entre les parties
prenantes. Entre les demandes d’écologistes et celles de populations locales à la
recherche de revenus, des divergences d’intérêt peuvent apparaître, le rôle de négo-
ciateur, médiateur, accompagnateur, traducteur que le DRH maîtrise concernant les
acteurs de l’entreprise doit être mis au service des parties prenantes. Le champion
des parties prenantes n’est pas uniquement le porteur des intérêts externes dans les
instances de décision et de direction, il doit aussi intéresser les parties prenantes au
207
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

dessein de l’entreprise et parfois, tout en respectant leur personnalité, il est amené à


les faire évoluer.
Le facilitateur de performance (court terme et interne) qu’est le DRH doit être
capable de fournir aux opérationnels les solutions RH dont ils ont besoin. Deux
changements cependant distinguent le facilitateur de performance de l’expert admi-
nistratif de Dave Ulrich. En premier lieu, il s’agit de performance pluridimension-
nelle, c’est-à-dire économique (et financière) mais aussi sociale, sociétale et
environnementale. En second lieu, alors que l’expertise administrative reposait
essentiellement sur la connaissance des process RH, il s’agit ici de la connaissance
des solutions RH qui incluent aussi bien l’outsourcing que le netsourcing.
Le développeur de capital humain (long terme et interne) est inspiré à la fois par
la théorie du capital humain et celle de l’approche par les ressources. Concrètement
ce rôle consiste à préparer les hommes et les équipes non seulement pour qu’ils
demeurent performants à long terme mais aussi pour qu’ils constituent un avantage
compétitif en permettant à l’entreprise d’innover. Le souci de l’employabilité est une
composante essentielle de ce rôle relativement aux populations fragilisées. Le
coaching constitue un outil particulièrement adapté à l’exercice de ce rôle.

Conclusion
En conclusion, à l’épreuve de la RSE la DRH est soumise à de fortes pressions. Jusqu’ici
elle n’a nullement été moteur du changement car nombre d’entreprises se sont engagées
dans la RSE ou le développement durable à partir d’une impulsion venant de la direction
générale. L’exemple du Pacte mondial est très révélateur de ce type d’engagement. Mais
aujourd’hui la DRH est à la croisée des chemins et elle se trouve dans la même situation
que dans les années soixante-dix, lorsqu’elle n’était encore que la direction du personnel :
ou bien elle accepte de relever le défi de la RSE ou bien elle stagnera et régressera dans la
hiérarchie des responsabilités notamment au sein des grands groupes.
Au-delà de cet intérêt presque corporatiste, le DRH avisé sait qu’il peut utiliser la RSE
comme levier de motivation des hommes et des femmes au travail. Le salarié qui est
employé dans une entreprise ayant une bonne réputation sur ce sujet aura naturellement
tendance à s’identifier à son employeur. Il sera fier de dire qu’il travaille pour lui, il sera
prêt à donner un coup de collier en cas de nécessité. De même une entreprise qui souhaite
recruter de jeunes talents doit savoir combien les étudiants issus des meilleures formations
sont sensibles aux controverses relatives aux manquements de certains employeurs concer-
nant les thèmes de la RSE. Le salaire et les conditions de travail ne constituent plus les
seuls attracteurs, l’image d’employeur socialement responsable devient incontournable.
Au-delà de la sélection et du recrutement la place de la RSE commence également à
s’imposer dans les process de GRH les plus importants, Danone, par exemple, a introduit
une dimension relative à la RSE dans l’évaluation de tous ses managers. Il serait certaine-
ment exagéré de prétendre que l’apparition de la RSE a radicalement transformé la GRH,
il est plus juste de considérer qu’elle lui a permis de réaliser un certain nombre de poten-
tiels.

208
Chapitre
Le système de
management de
14 l’environnement (SME)

Pierre BARET

S i les dégradations environnementales ont commencé à émerger avec la révolu-


tion industrielle, leurs impacts n’ont cessé de s’accroître, notamment au cours
du XXe siècle. Progressivement les médias s’en sont fait l’écho. Notamment,
depuis le début des années soixante-dix, l’opinion publique est de plus en plus
fréquemment alertée sur des scandales environnementaux aux conséquences parti-
culièrement dramatiques (Seveso, Bhopal, Tchernobyl…) ou voyantes (la succes-
sion de marées noires : Amoco Cadiz, Exxon Valdez, Erika…). Parallèlement,
médias et ONG sensibilisent le public sur une multitude de pollutions locales
(métaux lourds, nitrates…) ou globales (gaz à effet de serre…).
Mieux informées, les parties prenantes des entreprises industrielles d’abord, puis
de l’ensemble des organismes 1 ensuite, exercent une pression croissante pour exiger
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

plus de responsabilité environnementale. Afin de préserver leur image, mais aussi


par conviction et par intérêt, un nombre croissant d’organisations adopte des politi-
ques « vertes ». En effet, les retombées sont multiples (Ambec & Lanoie, 2007) :
– réduction des coûts (gestion des risques et anticipation réglementaire ; optimisa-
tion des coûts d’énergie, de matériels et de services ; facilitation de l’accès aux
financements ; attraction, mobilisation et fidélisation des personnels) ;

1. L’ISO définit les organismes comme « compagnie, société, firme, entreprise, autorité ou institution,
ou partie ou combinaison de celle-ci, à responsabilité limitée ou d’un autre statut, de droit public ou
privé, qui a sa propre structure fonctionnelle et administrative (NF EN ISO 14001:2004).
209
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

– augmentation des revenus (accès à des marchés ayant des exigences


environnementales ; possibilité de différencier ses produits ; élaboration et vente
de technologies innovantes de maîtrise de la pollution).
Dans ce chapitre, nous verrons ce qu’est un système de management de l’environ-
nement (SME), la manière de le mettre en place, de l’évaluer et de le piloter. De
même, nous présenterons également les bénéfices qui peuvent être attendus par
l’entreprise lors du déploiement d’une politique environnementale.

Section 1 ■ SME et politique environnementale : éléments de définition


Section 2 ■ Processus d’audit du SME
Section 3 ■ Implémenter durablement un SME
Section 4 ■ Évaluer et piloter le SME

Section SME ET POLITIQUE ENVIRONNEMENTALE :


1 ÉLÉMENTS DE DÉFINITION

En juin 1993, la réglementation européenne a jeté les bases d’un système de mana-
gement environnemental et d’audit : l’EMAS (Environmental Management and
Auditing Scheme). La forme que doit prendre le SME est réglementée mais l’enga-
gement des entreprises repose sur le volontariat. L’objectif était d’homogénéiser les
différents cadres normatifs nationaux susceptibles de déconcerter les entreprises.
Dans cette perspective, les travaux de normalisation de l’ISO (International Organi-
zation for Standardization) ont débouché en 1996 sur la série des ISO 140XX, dont
l’ISO 14001 qui spécifie ce qu’est un SME, ainsi que les lignes directrices pour son
utilisation et les exigences auxquelles il doit satisfaire. Notons que ces exigences
peuvent être auditées dans un but de certification. L’EMAS a été révisé en 2001 afin
de rapprocher le règlement (EMAS) et la norme (ISO 14001).
Révisé à son tour en 2004 afin d’être plus compatible avec l’ISO 9001 :2000 1,
l’ISO 14001 définit ainsi le SME :
« Le SME est la composante du système de management d’un organisme utilisée
pour développer et mettre en œuvre sa politique environnementale et gérer ses

1. Selon le groupe technique de l’ISO, la version 2004 de l’ISO 14001, outre une meilleure compatibi-
lité avec l’ISO 9001 a eu pour vocation : de clarifier la finalité des exigences de la norme, afin de
faciliter sa traduction et sa mise en œuvre dans le monde ; d’améliorer la compatibilité des normes
ISO 14001 et 14004 (qui fixe les lignes directrices du SME concernant les principes, les systèmes et
les techniques de mise en œuvre) ; de rendre accessibles ces normes aux PME par l’utilisation d’un
langage approprié.
210
Le système de management de l’environnement (SME)

aspects environnementaux.
Note 1 : un système de management est un ensemble d’éléments liés entre eux,
utilisé pour établir une politique et des objectifs et atteindre ces objectifs.
Note 2 : un système de management comprend la structure organisationnelle,
les activités de planification, les responsabilités, les pratiques, les procédures,
les procédés et les ressources. »
Selon la norme NF EN ISO 14001:2004, la politique environnementale d’un orga-
nisme doit répondre à un certain nombre d’exigences qui, nous le verrons, condi-
tionnent l’efficacité du SME. Ainsi :
« La direction à son plus haut niveau doit définir la politique environnementale
de l’organisme et s’assurer, dans le cadre du domaine d’application défini de
son SME, que sa politique environnementale :
– est appropriée à la nature, à la dimension et aux impacts environnementaux de
ses activités, produits et services ;
– comporte un engagement d’amélioration continue et de prévention de la
pollution ;
– comporte un engagement de conformité aux exigences légales applicables et
aux autres exigences applicables auxquelles l’organisme a souscrit, relatives à
ses aspects environnementaux ;
– donne un cadre pour l’établissement et l’examen des objectifs et cibles
environnementaux ;
– est documentée, mise en œuvre, et tenue à jour ;
– est communiquée à toute personne travaillant pour ou pour le compte de
l’organisme ;
– est disponible pour le public. »
L’objectif de la mise en place d’un SME est d’appliquer la politique environne-
mentale. Si cette dernière est pertinente, le SME permet d’améliorer la performance
environnementale globale de l’organisation. Concrètement, comme le souligne la
norme NF EN ISO 14001:2004, un SME établit la structure organisationnelle, les
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

activités de planification, les responsabilités, les pratiques, les procédures et les


ressources nécessaires pour atteindre les objectifs environnementaux que se fixe
l’organisation au travers de sa politique. Il doit être compatible avec les autres systè-
mes de management fonctionnant dans l’organisme, et notamment avec le système
qualité.

211
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Section PROCESSUS D’AUDIT DU SME 1


2
1 Définition et formes d’audit de SME

L’audit peut se définir comme :


« Un processus systématique, indépendant et documenté permettant d’obtenir
des preuves et de les évaluer de manière objective pour déterminer dans quelle
mesure les critères d’audit sont satisfaits » (ISO 19011, 2002).
Ainsi, la preuve d’audit consiste en toute information, enregistrement ou déclara-
tion de faits vérifiables. Elle peut être quantitative ou qualitative. Elle s’obtient à
partir d’entrevues, d’observations in situ, d’examen de documents, de mesures et
d’essais. Elle vise à prouver que les critères d’audit sont respectés.
Il existe un grand nombre de types d’audits environnementaux en fonction de la
nature de la conformité recherchée : audits environnementaux de conformité ; après
accident ou incident ; de responsabilité ; de risque ; d’opérations de fusion,
d’absorption ou d’acquisition ; de site ; de filière de production ; de produit ; de
performance environnementale ; de vérification ; de qualité de l’environnement ; de
SME. C’est, bien sûr, ce dernier qui nous intéresse. L’audit du SME peut aussi servir
de base à l’attribution d’une certification environnementale (par exemple, une certi-
fication ISO 14001).
En Europe et dans les pays membres de l’ISO, l’audit du SME peut se faire selon
deux logiques :
– celle de l’ISO 19011, où l’audit de SME peut avoir plusieurs objectifs (confor-
mité du SME aux standards de gestion environnementale ; conformité du SME
aux exigences légales et réglementaires ; efficacité du SME à satisfaire des objec-
tifs spécifiques et/ou l’identification des améliorations potentielles du SME). Pour
ce qui est de la conformité du SME à la norme ISO 14001, l’accent sera mis sur
les processus d’amélioration continue du SME ;
– celle du règlement européen EMAS, où l’audit porte à la fois sur le SME, les
procédés et les résultats. L’objectif de l’audit est de vérifier la conformité aux
politiques environnementales et les modalités de contrôle opérationnel des prati-
ques ayant un impact sur l’environnement. Il évalue :
• la conformité à des standards de gestion environnementale,
• la performance environnementale par rapport à l’état de l’art (sur la filière de
production et le produit).

1. Pour plus de détail, le lecteur pourra se référer au chapitre 3 de l’ouvrage de Gallez et Moroncini
(2003), sur lequel nous nous sommes largement appuyés dans la rédaction de ce chapitre, ainsi
qu’aux ouvrages de Baron (2007) et Vaute et Grevêche (2009) pour une actualisation.
212
Le système de management de l’environnement (SME)

2 Méthodologie de l’audit de SME

En fonction du référentiel adopté (ISO ou EMAS) les obligations diffèrent quel-


que peu, mais la méthodologie des audits comporte trois temps (chacun pouvant se
subdiviser en plusieurs étapes).

2.1 Activités préparatoires

Pour l’EMAS, il s’agit de définir :


– des objectifs de l’audit (conformité avec la politique environnementale, respect
des réglementations environnementales, évaluation du système de management) ;
– la portée de l’audit (activités couvertes, critères environnementaux pris en
compte, période considérée) ;
– les moyens et temps consacrés à l’audit (proportionnels aux objectifs et à la
portée, soutenus par la direction, avec des auditeurs compétents et indépendants) ;
– la planification et la préparation de l’audit (s’assurer d’une attribution des
ressources appropriée ; que les rôles et responsabilités des auditeurs, du personnel
et de la direction soient clairs ; se familiariser avec l’activité de l’organisation et
son SME).
Les activités de pré-audit de l’ISO 19011 se décomposent en deux étapes :
1. Le déclenchement de l’audit qui vise à :
• définir les objectifs de l’audit (conformité du SME aux exigences spécifiques et
légales, efficacité du SME), son champ (étendue géographique, sites concernés,
activités, processus, période de temps) et ses critères (politiques, procédures,
normes, exigences légales, réglementaires, relatives au SME, contractuelles,
sectorielles),
• apprécier la faisabilité de l’audit (déterminée par le responsable du
programme),
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

• constituer l’équipe d’audit,


• prendre contact avec l’audité pour établir les circuits de communication, récu-
pérer la documentation nécessaire et mettre en place les dispositions de l’audit,
• réaliser la revue initiale des documents afin de s’assurer qu’ils sont suffisants et
pertinents pour permettre l’audit.
2. La préparation des activités sur site qui nécessite de :
• planifier l’audit, qui doit rester flexible et validé par le client afin de faciliter son
déroulement,
• attribuer ses missions à chaque membre de l’équipe d’audit (processus, fonc-
tion, sites, activités, etc.),

213
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

• se préparer individuellement pour chaque auditeur (révision des informations


pertinentes et préparation des documents de travail),
• mettre au point les documents de travail (procédures d’audit, liste de contrôle,
plans d’échantillonnage, etc.).

2.2 Activités d’audit sur site

Pour l’EMAS, l’opération d’audit se déroule en six étapes :


– compréhension du SME ;
– évaluation des forces et faiblesses du SME ;
– collecte des informations pertinentes (via entretiens avec le personnel, inspection
des conditions d’exploitation et des équipements, examen des documents, contrô-
les par sondages, etc.) ;
– évaluation des constatations de l’audit (afin de vérifier le respect des normes et
réglementations, des objectifs généraux et spécifiques, ainsi que l’efficacité et la
pertinence du SME) ;
– préparation des conclusions de l’audit ;
– rapport sur les constatations et conclusions de l’audit.
Pour l’ISO 19011, l’opération d’audit implique sept points :
– la réunion d’ouverture, qui marque le début des activités d’audit, en rassemblant
la direction et les responsables de fonctions à auditer ;
– la mobilisation de guides, garants de la régularité de l’audit ;
– le recueil et la vérification d’informations (les auditeurs doivent confronter diffé-
rentes sources d’informations pour apporter des preuves d’audit) ;
– établir un constat d’audit en évaluant les preuves d’audit par rapport aux critères
d’audit pour aboutir à des conformités ou des non-conformités (les non-conformi-
tés doivent être explicitées afin d’être comprises et acceptées par l’audité 1) ;
– communiquer pendant l’audit, afin d’informer l’audité de l’état d’avancement et,
le cas échéant modifier le déroulement de l’audit, voire – si les preuves d’audit
montrent que les objectifs sont irréalisables – en changer les objectifs ou cesser
l’audit ;
– préparation par les membres de l’équipe d’audit de la réunion de clôture ;
– la réunion de clôture, dirigée par le responsable de l’audit, avec la direction et les
responsables des fonctions auditées (les conclusions sont présentées et le respon-
sable de l’audit s’assure qu’elles sont comprises et acceptées par l’audité. Il peut

1. Si une non-conformité n’est pas admise par l’audité, il faudra enregistrer un « point non résolu ».
214
Le système de management de l’environnement (SME)

présenter des recommandations, mais les actions d’amélioration sont à déterminer


par l’audité).

2.3 Activités de post-audit

Pour l’EMAS, les activités de post-audit consistent en :


– un rapport rédigé par les auditeurs qui présente formellement et en totalité à
l’audité les constatations et conclusions de l’audit ;
– un plan de mesures correctives qui doivent être mises en place afin d’assurer le
suivi de l’audit.
Pour l’ISO 19011, les activités de post-audit consistent en :
– l’élaboration du rapport d’audit qui implique sa préparation (par le responsable de
l’équipe d’audit), un contenu complet et fidèle (incluant les conclusions), sa diffu-
sion auprès des destinataires désignés ainsi que la conservation de l’ensemble des
documents relatifs à l’audit ;
– le suivi de l’audit, laissé à la responsabilité de l’audité, afin de mettre en œuvre,
dans les délais prévus, les actions correctives nécessaires pour traiter les non-
conformités constatées (éventuellement assorti d’un rapport de suivi).

Section IMPLÉMENTER DURABLEMENT UN SME


3
1 Élaborer une politique environnementale claire et pertinente

La norme NF EN ISO 14001:2004 met l’accent sur les caractéristiques de ce que


doit être la politique environnementale (cf. § 1.). En effet, de la qualité de cette poli-
tique dépend l’efficience du SME. Il est nécessaire de revenir sur ces points 1 :
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

– La politique environnementale doit être définie par la direction à son plus haut
niveau. Cela permet de légitimer et d’impulser le SME auprès des personnels,
mais aussi, de l’assortir des moyens nécessaires (temps, financements).
– La politique environnementale doit être appropriée à la nature, à la dimension et
aux impacts environnementaux de l’organisation. Les axes d’actions prioritaires
doivent être cohérents avec les objectifs et cibles identifiés et pouvoir s’adapter à
leurs évolutions.

1. Pour plus de détails, voir Baron (2007).


215
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

– La politique environnementale doit s’inscrire dans une logique d’amélioration


continue, selon le principe de la roue de Deming (PDCA : Plan, Do, Check, Act).
Ainsi, des objectifs et cibles d’amélioration des résultats environnementaux sont
assignés au SME (Plan). Puis des moyens techniques, humains et financiers sont
alloués pour atteindre les objectifs fixés (Do). Les actions sont ensuite évaluées –
suivi d’indicateurs, audits de SME, etc.– (Check). Selon les résultats obtenus, sont
fixés des actions correctives, des nouveaux objectifs ou des évolutions de ceux-ci
(Act).
– La prévention de la pollution est l’objet même de la mise en place d’un SME.
Cela passe par du recyclage, des technologies propres, de la valorisation énergéti-
que, des économies de matières premières ou d’énergie, des modifications de
procédés, etc. Cela nécessite une veille technologique afin d’optimiser les résul-
tats, tout en s’assurant que le coût économique des solutions adoptées est viable.
– Le SME doit respecter la législation, la réglementation environnementale applica-
ble ainsi que toutes les autres exigences auxquelles il a souscrit. Cela implique
d’identifier les textes et seuils applicables et, bien sûr, veiller à leur respect.
– Les engagements pris dans le cadre de la politique environnementale doivent être
déclinés en objectifs et cibles pour le SME.
– La politique environnementale doit être régulièrement mise à jour et évaluée pour
s’adapter aux évolutions (contexte de l’entreprise, nouvelles technologies, etc.) et
fixer de nouveaux objectifs et cibles, lorsque les précédents sont atteints. Ceci est
formalisé lors des revues de direction.
– Pour être correctement mise en œuvre, la politique environnementale doit être
diffusée et comprise par l’ensemble du personnel, ainsi que par tous les sous-trai-
tants et prestataires qui interviennent sur des activités qui sont dans le champ du
SME. Ils doivent, bien sûr, s’y conformer. Notons que cette politique environne-
mentale doit pouvoir être accessible à l’ensemble des parties prenantes qui en font
la demande.

2 Proposition d’une méthodologie d’apprentissage et


d’appropriation du SME par l’ensemble des personnels

Élaborer une politique environnementale claire et pertinente, portée par la direc-


tion est un préalable indispensable, mais non suffisant pour concrètement implémen-
ter un SME sur site. Trop souvent, les acteurs en charge du SME dénoncent une
mobilisation « sinusoïdale » des personnels : aux phases de mobilisation fortement
impulsées par la direction (généralement avant le passage d’un certificateur ou suite
à une mobilisation de certaines catégories de parties prenantes : associations de
consommateurs, groupes écologistes…), succèdent des périodes longues de relâche-
ment, en attendant de nouvelles alertes… Il faut donc trouver des pistes pour mobi-
liser durablement les personnels, faire en sorte qu’ils « métabolisent » le SME.
216
Le système de management de l’environnement (SME)

Pour ce faire, nous avons utilisé, dans le cadre d’études empiriques, les outils
développés par les théoriciens de l’apprentissage organisationnel. En adaptant leurs
travaux 1 sur les principes et modalités du développement opérationnel d’une organi-
sation apprenante, on obtient six dispositifs caractéristiques du processus d’appro-
priation d’un SME par les personnels d’une organisation : le degré de formalisation
du SME ; les dispositifs de formation dédiés (sensibilisation, formations et
séminaires) ; la politique de gestion des connaissances en la matière (acquisition,
diffusion et capitalisation) ; l’intégration dans le système RH (évaluation et
rémunération) ; dans la culture d’entreprise ; enfin, la valorisation des initiatives
individuelles ou collectives via des récompenses significatives. S’inscrire dans cette
logique d’organisation apprenante pourrait permettre à une entreprise de mettre en
œuvre efficacement son SME.
À partir d’une série d’études empiriques longitudinales, portant sur une trentaine
d’organisations de tailles, de nationalités et de nature (publiques, privées) différen-
tes, nous avons pu montrer que les six dispositifs d’apprentissage organisationnel ne
se déploient pas de manière aléatoire au sein des entreprises 2. Quel que soit le stade
d’avancée du SME, le niveau de déploiement des dispositifs se fait systématique-
ment selon un ordre récurrent. Aucune des organisations rencontrées n’a eu, a priori,
la volonté de déployer ces dispositifs dans un ordre précis. Mais avec le temps, il
s’avère que ceux liés à la politique RH et à la culture d’entreprise ont systématique-
ment stagné tant que des avancées significatives n’ont pas eu lieu en matière de
formalisation du SME, d’action de formation et de gestion des connaissances. Ainsi
se dessine un parcours structurant l’apprentissage du SME à partir duquel il est envi-
sageable de construire une méthodologie qui permet d’optimiser l’implémentation
et l’efficience d’un SME au sein d’un organisme. Elle se décompose en six étapes :
1. Identifier clairement les enjeux environnementaux encourus et formaliser
une politique cohérente visant à les gérer.
C’est le point de départ, qui donne le cap et conditionne la capacité des entrepri-
ses à enclencher le mécanisme d’apprentissage. De fait, les préconisations de
l’ISO 14001 prennent toute leur importance pour amorcer le processus. Si elles
s’avèrent insuffisantes, il convient de mettre en œuvre une démarche de type SD
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

21 000 3.

1. Voir Argyris et Schön (1978), Senge (1992) et Belet (2002).


2. Pour plus de détails, voir Baret et Petit (2006).
3. Voir Baret et Petit (2008) pour plus de détails sur la mise en œuvre du SD 21000.
217
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

2. Organiser des formations adaptées.


Cela passe par des sensibilisations, des formations et des séminaires organisés en
interne, mais aussi externalisés. À ce niveau, la diffusion de la politique environ-
nementale préconisée par l’ISO 14001 est incontournable. Pour ceux qui auront
adopté une démarche de type SD 21000, l’équipe-projet constituera un important
relais interne de formation. Sinon, nous conseillons d’en constituer une. Cette
étape permet de diffuser un langage commun et de nouvelles perspectives au sein
de l’entreprise, bases indispensables à l’émergence d’initiatives (étape 4).
3. Gérer les connaissances (acquisition, diffusion et capitalisation).
Là encore, l’équipe projet, de par sa composition transversale, est appelée à jouer
un rôle central pour irriguer l’ensemble de l’entreprise, même si l’aspect acquisi-
tion et capitalisation des connaissances sera plus particulièrement l’apanage du
chef de projet. Cette étape permet de conforter, dans le temps, la phase précédente
de formation.
4. Valoriser les initiatives, individuelles ou collectives, contribuant au SME.
À ce stade il importe que le service RH prenne le relais de la dynamique insufflée
par l’équipe projet, notamment en dégageant des moyens financiers pour récom-
penser les initiatives pertinentes. Cette étape, en consacrant l’émergence de
nouvelles valeurs au sein de l’entreprise, rend possible l’évolution vers la
cinquième phase.
5. Intégrer la politique environnementale dans la culture d’entreprise.
Il s’agit, là, d’un travail de longue haleine qui doit être réalisé conjointement par
les membres de l’équipe projet, sensibilisés et mobilisés de longue date sur les
enjeux environnementaux, et les services RH, théoriquement directement impli-
qués dans la communication interne. Dès lors, reste à « matérialiser » cette évolu-
tion, c’est l’étape 6.
6. Intégrer la politique environnementale à la politique RH, notamment en
termes d’évaluation et de rémunération, mais aussi de gestion du temps.
Concrètement beaucoup d’entreprises sont réticentes à indexer un système de
prime sur les seuls enjeux environnementaux, préférant mettre l’accent sur la
productivité. Mais allouer du temps semble une solution transitoire acceptable et
assoit véritablement la contribution au bon fonctionnement du SME comme une
mission des salariés.
Au déroulé de cette méthodologie, on comprend que les premières étapes sont
relativement aisées à déployer, dans la mesure où, au préalable, on dispose d’une
politique environnementale claire et pertinente. On comprend aussi que les phases 5
et 6 sont infiniment plus complexes à déployer. D’où la difficulté des entreprises à
s’insérer dans une véritable logique d’organisation apprenante, garante de l’effi-
cience et de la pérennité du SME.

218
Le système de management de l’environnement (SME)

Nous avons observé que ces difficultés résultent de certains points d’achoppement
à prévenir : prévalence de la performance financière de court terme sur les enjeux
environnementaux ; insuffisance de moyens (manque de temps, de compétences…) ;
communication interne défaillante ; implication sporadique du management (rythmé
par les alertes) ; manque de responsabilisation des individus, de reconnaissance et de
valorisation des initiatives.
Symétriquement, quelques ressorts, semblent particulièrement efficaces :
– s’assurer du soutien constant de la direction aux risques, en lui rappelant réguliè-
rement l’intérêt économique de prévenir les dommages environnementaux via le
SME, plutôt que de les réparer ;
– le responsable du SME doit être systématiquement légitimé par la direction pour
impacter la totalité des personnels ;
– l’apprentissage par projets et en équipe semble particulièrement efficace pour
évoluer vers une appropriation profonde ;
– pour qu’il ne soit pas assimilé à un simple surcoût, évaluer les gains économiques
d’un SME (cf. § 4.2.) ;
– veiller constamment à ce que la politique environnementale ne soit pas vécue
comme une contrainte technobureaucratique.
Le tableau suivant présente quelques exemples de bonnes pratiques favorisant
l’apprentissage et l’appropriation d’un SME :
Tableau 14.1 — Types de bonnes pratiques permettant apprentissage
et appropriation d’un SME

Critères
d’apprentissage
Bonnes pratiques facilitant un apprentissage organisationnel de la
organisationnel de la
responsabilité environnementale en double boucle
responsabilité
environnementale

1˚) Degré de – Tendre vers un SMI (QHSEDD : Qualité, Hygiène, Sécurité, Environnement et
formalisation et Développement Durable) intégrant l’environnement en fonction des objectifs
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

d’utilisation des et contraintes spécifiques de l’entreprise.


référentiels – Formaliser des guides à destination des partenaires extérieurs.

2˚) Existence de – Réaliser des sessions de formation systématiques.


modes – Participer régulièrement à des forums et colloques.
d’apprentissage/form – Formaliser l’apprentissage par la résolution de problèmes « terrain ».
ations individuels et – Assurer un reccurent training.
collectifs – Profiter des audits croisés pour initier de la formation.
– Développer des supports : e-learning, vidéo, expositions thématiques…

3˚) Gestion des – Établir des appels à projets.


connaissances – Favoriser des concours sécurité, trophées QHSEDD…
– Mettre en place des « boîtes à idées » avec suivi et récompenses.
– Multiplier les visites « terrain » afin d’identifier les bonnes pratiques.
– Assurer la transition (transmission des connaissances/mémoire QHSE-DD)
lors des successions/changement de postes.

219
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

4˚) Exemplarité de la – Montrer un affichage fort de l’implication de la direction sur le QHSEDD.
direction et – Mettre en œuvre de façon effective, par la direction, le discours QHSEDD.
intégration dans la – Formaliser, par la DG, des schémas directeurs environnementaux.
culture d’entreprise – Créer et animer un réseau QHSEDD (échanges, résolution de problèmes).
– Systématiser la communication interne ‘QHSEDD’ (ex : slogan type « la
Prévention de la Pollution Paye »).
– Stimuler la proactivité sur les sites et à l’échelle de chaque collaborateur.
– Présenter la démarche de l’entreprise aux parties prenantes (notamment
collectivités locales).
– Organiser la structure pour faciliter une mobilisation du personnel sur la
connaissance et l’évolution des risques.

5˚) Cohérence du – Remettre un livret d’accueil QHSEDD au moment du recrutement.


dispositif RH avec la – Concevoir des critères EHS dans toutes les définitions de postes.
démarche – Mettre en place un système d’allocation de temps consacré à
l’environnement (environ 10 %).
– Réaliser des évaluations annuelles (EAO) intégrant les critères QHSEDD pour
tous les postes (notamment pour les managers).
– Prévoir des intéressements financiers liés à la certification et/ou au respect
de critères environnementaux.
– Proposer des trophées récompensant des performances collectives.

Source : d’après Baret et Petit (2006).

Section ÉVALUER ET PILOTER LE SME


4
Évaluer et piloter un SME peut s’entendre selon deux logiques :
1. sur un plan technique, afin de s’assurer que le SME fonctionne et permet de
réduire l’impact environnemental de l’organisation ;
2. sur un plan économique, où il s’agit d’évaluer combien coûte le SME et s’assurer
que cela est et reste adapté aux moyens de l’organisation et aux bénéfices que
retire l’ensemble des parties prenantes de cette réduction des dommages environ-
nementaux.
Nous allons développer successivement ces deux aspects. Nous serons relative-
ment brefs sur le volet technique qui est largement développé dans la norme et,
aujourd’hui, relativement établit. Nous serons un peu plus longs sur le volet écono-
mique qui est, à l’heure actuelle, le principal sujet de questionnement des entreprises
et qui, en l’état de l’art, reste principalement l’apanage de la recherche.

1 Évaluer et piloter le SME sur le plan technique

Selon la norme NF EN ISO 14001:2004 :


« L’organisme doit établir, mettre en œuvre et tenir à jour une (des) procédure(s)
pour surveiller et mesurer régulièrement les principales caractéristiques de ses
opérations qui peuvent avoir un impact environnemental significatif. Cette (ces)
procédure(s) doit (doivent) inclure la documentation des informations permet-
220
Le système de management de l’environnement (SME)

tant le suivi de la performance, des contrôles opérationnels applicables et la


conformité aux objectifs et cibles environnementaux de l’organisme. (…)
L’organisme doit s’assurer que des équipements de surveillance et de mesure
étalonnés ou vérifiés sont utilisés et entretenus, et doit en conserver les enregis-
trements associés. ».
Cela implique, pour l’organisme qui a identifié ses principales sources d’impacts
potentiels sur l’environnement et qui a élaboré un SME en conséquence, de contrô-
ler trois points :
– sa performance environnementale (les résultats mesurables de la gestion des
aspects environnementaux par l’organisme : réduction de déchets, réduction de la
consommation d’énergie, respect de la réglementation…) ;
– ses indicateurs de performance de management (fournissent des informations sur
les efforts réalisés par la direction pour améliorer la performance environnemen-
tale de l’organisme) ;
– ses indicateurs de performance opérationnelle (fournissent des informations sur la
performance environnementale même : consommation d’eau, rejet de déchets
toxiques, nombre de dépassements des seuils autorisés…).
L’entreprise doit donc se doter d’un tableau de bord pertinent pour gérer ses
impacts environnementaux, piloter et améliorer son SME. La norme ISO
14031:2000 préconise de se doter d’indicateurs de performance chiffrés et de les
communiquer de manière transparente à l’ensemble des parties prenantes (beaucoup
sont en attente d’informations précises) 1. Sans préétablir de niveau de performance
à atteindre, elle propose trois types d’indicateurs :
– les indicateurs de performance du management environnemental IPM (nombre
d’heures de formation, pourcentage des objectifs atteints, etc.) ;
– les indicateurs de performance environnementale IPE (production de déchets par
unité produite, consommation d’énergie par unité produite, etc.) ;
– les indicateurs de condition environnementale ICE (mg de métaux lourds/m3
d’eau, kilos de CO2 émis/heure de travail, etc.).
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

En cas d’écart par rapport aux seuils visés par le SME ou imposés par la réglemen-
tation, il convient de remplir une fiche de non-conformité. Celle-ci indique la nature
de la non-conformité (dommage environnemental, etc.), son type (réglementaire,
cible du SME, accidentel, etc.) et la personne destinataire (responsable environne-
ment, etc.). Bien évidemment, le suivi de la conformité doit être effectué régulière-
ment afin de s’assurer de l’efficacité du SME. De même, les équipements de
surveillance doivent être régulièrement surveillés, entretenus et étalonnés pour
garantir la fiabilité des mesures.

1. Notons que les sites classés pour la protection de l’environnement effectuent de nombreuses mesu-
res qu’ils sont tenus de remettre aux inspecteurs des installations classées. Dans ce cas, le SME vient
s’ajouter aux contrôles obligatoires. Par ailleurs, certains indicateurs peuvent être qualitatifs car
certains paramètres ne sont pas mesurables par des appareils. 221
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

2 Évaluer et piloter le SME sur le plan économique et comptable

Évaluer sur un plan économique et comptable une politique environnementale et le


SME qui lui est associé est une demande forte des entreprises. Pour autant, ce point
est aujourd’hui, encore extrêmement complexe à traiter. L’ISO comme l’EMAS n’y
apportent pas de solution et il reste l’apanage des chercheurs. Dans ce qui suit, nous
ferons, de manière exploratoire, un tour d’horizon des solutions comptables et
économiques qui peuvent être utilisées 1. Nous montrerons en quoi elles nous
semblent complémentaires pour justifier du niveau des moyens financiers accordés à
la mise en œuvre d’un SME.
Commençons avec la comptabilité environnementale qui, schématiquement,
relève de trois logiques :
1. Adapter la comptabilité générale, en intégrant la consommation du patrimoine
naturel dans le calcul du résultat comptable de l’entreprise via le mécanisme des
provisions pour risque et charge. Cela peut impliquer de développer de nouveaux
outils comme la valeur ajoutée négative (L’idée directrice de cet indicateur est de
retrancher la valeur attribuée aux impacts environnementaux à la valeur ajoutée
générée par l’entreprise. Dès lors, le passage de la production de l’exercice à la
valeur ajouté s’effectue en enlevant les consommations en provenance de tiers et
la valeur ajoutée négative), voire une normalisation comptable spécifique à l’envi-
ronnement. En assimilant la provision (comptes 15…) à une consommation du
patrimoine naturel (62…), la comptabilité permet de révéler le coût que devrait
supporter l’entreprise pour restaurer l’environnement qu’elle aurait dégradé. Ce
mécanisme permet donc d’intégrer la consommation du patrimoine naturel dans
le calcul du résultat comptable de l’entreprise).
2. Permettre une comptabilité analytique, en créant des cadres comptables pour
isoler l’information concernant les dépenses environnementales, via des
« comptes verts », des numéros de compte spéciaux, une identification des impôts
et taxes imputables à l’environnement, voire un système de comptabilité écono-
mique et environnementale intégré (SCEE). L’objectif de cette comptabilité est de
rassembler au sein d’un cadre commun des informations économiques et environ-
nementales dans le but de mesurer l’impact de l’économie sur l’environnement.
Pour cela quatre catégories de grands comptes sont créées : compte de flux pour
pollution, compte de dépenses de protection de l’environnement, compte de
ressources naturelles et l’évaluation des flux non marchands.
3. Obtenir un coût complet environnemental, via l’étude des coûts du cycle de vie
d’un produit : on intègre l’ensemble des dépenses environnementales associé à
chacune des phases du cycle de vie – extraction des matières premières, fabrica-
tion, distribution, utilisation, fin de vie – afin d’en améliorer la performance

1. Voir Baret et Dreveton (2007) pour plus de détails.


222
Le système de management de l’environnement (SME)

écologique. Concrètement, la méthodologie de l’analyse du cycle de vie (ACV) se


décompose en quatre étapes :
• détermination des objectifs (comparaison de plusieurs cycles de vie ainsi que
les étapes d’un même cycle de vie) ;
• réalisation d’un inventaire (identifier et quantifier les flux de matière et d’éner-
gie entrants et sortants de l’entreprise) ;
• évaluation des impacts (classer les flux identifiés par critère environnemental -
déchets, consommation de ressources naturelles, etc.-, les caractériser et enfin,
à les évaluer – par exemple, via la norme ISO 14042) ;
• interprétation des résultats (analyser et, éventuellement, agir pour réduire
l’impact environnemental).
Ces logiques se heurtent à une série de difficultés (subjectivité de la solution
analytique, mobilisation de compétences transversales pour l’analyse du cycle de vie
ACV, etc.). Mais la principale est que piloter la politique environnementale implique
d’évaluer monétairement les dommages causés par l’entreprise à l’environnement,
ce que ne permettent pas les techniques comptables. Dès lors, l’entreprise ne peut
connaître l’intérêt pour la société (i.e. l’ensemble de ses parties prenantes) d’un
effort de réduction, de sa part, des dommages environnementaux qu’elle génère.
Difficile, dans ces conditions, d’élaborer une véritable politique qui justifie le
SME… Pour autant, ce problème peut être, dans une certaine mesure, levé. En effet,
certaines méthodes économiques ont été élaborées pour approximer le coût des
externalités négatives.
En termes économiques, un dommage environnemental est assimilable à un effet
externe négatif. Ce dernier se définit comme un impact négatif généré par l’activité
d’une organisation, qui affecte tout ou partie de ses parties prenantes, sans être inté-
gré par le marché : aucun mécanisme de marché ne vient spontanément attribuer un
prix (un coût) à la nuisance qui engendre une perte de « bien-être » pour les parties
prenantes affectées. Par exemple, une papeterie qui dégrade la qualité de l’eau d’un
lac génère une perte de « bien être » (un coût social) pour les usagers de ce lac –
pêcheurs professionnels dans l’incapacité de travailler, baisse d’activité pour les
hôteliers, etc.. Pour autant, aucun mécanisme de marché ne vient répercuter le prix
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

de cette consommation de la qualité de l’eau à la papeterie. Elle la dégrade donc


gratuitement. Il appartient alors à la puissance publique de répercuter, via des méca-
nismes légaux, le coût de cette dégradation (droits à polluer, taxes, normes qui obli-
gent des investissements – station de traitement des eaux usées, par exemple –, etc.).
On parle, alors, d’internalisation des externalités, dans une logique de restauration
de l’optimum collectif.
Ainsi, si aucun mécanisme comptable ne le permet, ou légal ne l’oblige, l’entre-
prise ne supporte pas le coût des pollutions qu’elle génère. Elle peut « consommer »
quasi gratuitement du patrimoine naturel, au détriment de la société qui va en
supporter le coût. Dans notre perspective, mettre en œuvre une politique environne-
mentale, donc implémenter un SME, implique que l’entreprise se considère

223
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

« responsable » des externalités négatives qu’elle émet. Concrètement, il s’agira de


mettre en perspective le coût privé de la prévention, de la réparation ou de l’indem-
nisation (cf. infra) au regard du coût supporté par la société. Par là, elle pourra légi-
timer le coût du SME dans le cadre d’une politique environnementalement
responsable. Les économistes ont développé quatre grandes catégories de méthodes
permettant d’approximer le montant des externalités générées par les firmes.
1. Les méthodes de préférences révélées. Elles consistent à utiliser les données
monétaires fournies par l’observation de marchés de substitution. On distingue
notamment :
• la méthode des dépenses de protection qui examine les dépenses engagées par
les parties prenantes pour se prémunir d’un dommage environnemental (par
exemple, le coût du double vitrage pour se prémunir d’une nuisance sonore) ;
• la méthode des prix hédonistes qui consiste en la comparaison de la valeur de
biens immobiliers identiques, l’un étant soumis au dommage environnemental,
l’autre non (par exemple, la différence de prix entre deux maisons aux caracté-
ristiques identiques, l’une étant soumise à la pollution, l’autre non) ;
• la méthode des coûts de déplacement qui mesure combien l’usager d’une
ressource naturelle dégradée est prêt à investir en temps de déplacement et en
argent pour accéder à une ressource naturelle identique, mais non dégradée (par
exemple, le nombre d’usagers d’un lac désormais pollué qui effectuent 100 km
de plus pour accéder à un lac propre à la baignade).
2. Les méthodes de préférences exprimées (ou directes). Elles sont fondées sur
l’existence de marchés hypothétiques, ce qui permet d’estimer la variation de
bien-être sans passer par l’observation de marchés existants. La principale est la
méthode d’évaluation contingente (MEC). Elle s’appuie sur les déclarations
d’intention des parties prenantes, placées dans des situations hypothétiques, pour
déterminer leur consentement maximal à payer pour que l’entreprise gère son
impact environnemental. Schématiquement, on construit un scénario fictif, mais
suffisamment réaliste pour être plausible aux yeux des parties prenantes (par
exemple, la collectivité locale envisage de construire une station d’épuration pour
résoudre le problème de pollution de l’eau du lac. Pour la financer, combien
seriez-vous prêts à payer, en termes d’impôts locaux supplémentaires ?). Ce
scénario hypothétique est alors administré auprès d’un échantillon représentatif
des parties prenantes affectées par la pollution. Bien sûr, il importe de se prémunir
de toute une série de biais (cf. Baret, 2006).
3. Les méthodes indirectes – ou dose-effet. Elles établissent un lien quantitatif de
causalité entre une modification de l’environnement et son incidence sur différen-
tes parties prenantes, puis associent une valeur monétaire à ce lien. Par exemple,
on associe à des pics d’émissions de certains gaz polluants, une hausse des hospi-
talisations pour insuffisance respiratoire. On multiplie, alors, le nombre de
personnes hospitalisées par le coût moyen d’une journée d’hospitalisation. Les
principales sont les fonctions de dommage, les coûts de remplacement et le capi-
tal humain.
224
Le système de management de l’environnement (SME)

4. Les méthodes tutélaires. Elles renvoient aux montants fixés par la justice et plus
largement la puissance publique (indemnités compensatrices dédommageant les
victimes de pollutions, taxes environnementales, coûts implicites liés au respect
des normes…). Par exemple, il est possible de calculer l’indemnité moyenne
reçue par les victimes avérées de l’amiante, suite à une exposition dans le cadre de
leur travail. On multiplie alors le nombre de salariés exposé par le coût de cette
indemnité moyenne.
En permettant une mise en balance des coûts sociaux et privés, la complémentarité
des approches économiques et gestionnaires semble intéressante. Toutefois, le côté
exploratoire, complexe et les résultats relativement approximatifs peuvent laisser
perplexe le dirigeant. Ce constat ne doit pas pour autant paralyser l’action. Il semble
que ce soit dans la comparaison des coûts privés (méthodes gestionnaires) et des
coûts sociaux (méthodes économiques) que la plus value d’information apparaisse
pour le dirigeant. La mise en œuvre de ces différentes méthodes ne peut avoir
comme objectif de déterminer avec précision coûts et avantages du SME. Rappelons
que, quelle que soit la méthode employée, les normes comptables utilisées, le coût
juste n’existe pas. L’intérêt pour ceux qui décident de la politique environnementale
et de la mise en œuvre d’un SME réside, donc, davantage dans la plus value d’infor-
mation et l’aide que ces méthodes peuvent procurer au cours des processus de déci-
sion.
L’évaluation des coûts environnementaux peut donc trouver un écho favorable
dans la mise en place d’un SME. Elle peut même devenir indispensable en permet-
tant de réexaminer régulièrement la pertinence des moyens alloués au SME en
comparaison des gains obtenus par les parties prenantes et des capacités de finance-
ment de l’organisation. Ce sera alors un facteur clé de l’amélioration continue.

Conclusion
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Le SME est un moyen de traduire en actes le discours environnementalement responsable


d’une organisation. Pour être crédible aux yeux de ses parties prenantes l’entreprise peut
faire auditer son SME. Cela se fait selon des procédures précises qui ont été établies dans
le cadre de l’EMAS ou de l’ISO 19011, avec à la clé de possibles accréditations environ-
nementales de type ISO 14000.
Pour autant, l’instauration d’audits réguliers ne suffit pas à garantir l’efficience et l’amélio-
ration continue du SME. À cela, il faut adjoindre un ensemble de dispositions qui vont
permettre à la totalité des acteurs concernés par le SME de réellement s’en approprier les
enjeux et veiller continuellement à son bon fonctionnement, indépendamment de la « peur
du gendarme » (i.e. l’auditeur). Pour ce faire nous proposons une méthodologie qui insiste
sur l’apprentissage des valeurs environnementales et leur valorisation par l’entreprise.


225
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

S’assurer du fonctionnement du SME implique aussi de disposer d’une série d’indicateurs
pertinents qui informent sur la performance environnementale en tant que telle, mais aussi
sur la performance du management et sur les conditions environnementales. Enfin, il appa-
raît que les organisations ont aussi besoin d’évaluer et piloter leur SME sur un plan écono-
mique et comptable. Il n’existe pas encore de normes ou référentiels sur ce point. Aussi
avons-nous présenté, de manière exploratoire, des solutions comptables et des méthodes
économiques qui, si elles demeurent complexes et approximatives, apportent au dirigeant
un complément d’information utile pour justifier des investissements liés au SME, dans
une logique de responsabilité environnementale.

226
Chapitre
Développement durable :
les apports et les limites
15 de la comptabilité

Hélène BERGERON

D e nos jours, de plus en plus d’actionnaires, de gestionnaires et d’employés


savent que pour survivre, croître et prospérer, les entreprises doivent inté-
grer à leurs pratiques de gestion des considérations environnementales,
sociales et économiques. Les décideurs vont ainsi mettre en place des programmes
de développement durable. Diverses pressions ou facteurs les influencent dans cette
décision : le désir de dépasser les exigences réglementaires, la volonté d’améliorer
l’image de marque ou de créer un avantage concurrentiel, celle de satisfaire les
demandes des parties prenantes, ou tout simplement pour être en harmonie avec
leurs valeurs personnelles. Dans ce contexte, les gestionnaires doivent disposer d’un
système d’information qui d’une part, fournira des données pour guider les déci-
sions et qui, d’autre part, permettra de faire le suivi de l’atteinte des objectifs de
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

développement durable.
Actuellement, les entreprises réagissent fortement aux nouvelles exigences régle-
mentaires en essayant de trouver de nouvelles façons - plus créatives et efficientes -
de gérer leurs impacts environnementaux afin notamment, de limiter leurs émissions
de polluants ou à défaut, de minimiser le coût des amendes ou de toute autre taxe
écologique impactant leur activité économique. Les effets sont souvent directs,
tangibles et substantiels. Ces coûts jusqu’alors omis, ont un impact direct sur la
performance, et doivent maintenant être identifiés et intégrés aux coûts de revient ou
aux différents choix d’investissements de l’entreprise. Ces types d’informations et
d’autres encore, intéressent les parties prenantes et doivent leur être communiqués
afin d’éclairer leurs décisions au regard de leurs préoccupations liées au développe-
ment durable.
227
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

L’objectif de ce chapitre est de présenter les principaux concepts de la comptabi-


lité de développement durable – notée comptabilité de DD – et les divers outils et
techniques disponibles pour rendre compte des activités qui y sont liées.

Section 1 ■ La comptabilité de DD et les notions de coûts


Section 2 ■ Les outils et techniques de la comptabilité de DD

Section LA COMPTABILITÉ DE DD ET LES NOTIONS DE COÛTS


1
Il convient de commencer par définir un concept qui, encore aujourd’hui ne
semble pas très bien circonscrit. Par la suite, cette section présentera les diverses
approches rattachées à une notion qui occupe une place prépondérante dans la
comptabilité de développement durable, soit celle du coût.

1 Comprendre la comptabilité de DD

Définir la comptabilité de DD est un exercice ardu puisqu’il n’existe pas de


consensus dans le monde académique et professionnel sur ce que cela représente.
Une variété de termes est utilisée pour la désigner : comptabilité environnementale,
écocomptabilité, comptabilité du coût complet, comptabilité verte. Au sens large, la
comptabilité de DD pourra s’entendre comme la production de l’ensemble des infor-
mations liées à la prise en compte du développement durable dans la gestion de
l’entreprise. Dans d’autres cas, elle sera définie de façon plus limitée comme par
exemple l’établissement des coûts environnementaux internes intégrés aux états
financiers. La comptabilité de DD n’est pas un système comptable habituel et elle
requiert, de la part des professionnels un changement de paradigme. Ils doivent la
considérer comme une manière de tenir compte des effets des activités de l’entre-
prise sur l’environnement, la société et l’économie, en termes de coûts et d’avanta-
ges, afin de les intégrer aux décisions des gestionnaires et des parties prenantes. Les
informations produites par la comptabilité de DD pourront être financières ou non,
quantitatives ou qualitatives, internes ou externes, sur le court ou le long terme.
À l’inverse de la comptabilité de DD, il semble que la « comptabilité
environnementale » soit mieux connue et documentée. Elle se définit comme étant
l’identification, la collecte, l’analyse et l’utilisation de deux types d’information
pour la gestion de la performance environnementale et économique des organisa-
tions : 1) l’information quantitative de nature physique qui concerne l’usage, le flux
et la disposition de l’énergie, l’eau et les matières, incluant le gaspillage et, 2)
l’information financière sur les coûts environnementaux, les bénéfices et les écono-
mies (IFA, 2005). Cette définition, centrée sur les effets des activités de l’entreprise

228
DD : les apports et les limites de la comptabilité

sur l’environnement, se limite aux usages internes et elle ne tient pas compte des
besoins de toutes les parties prenantes. La figure 15.1 compare les deux définitions
présentées ci-dessus.

Figure 15.1 — Étendue de la comptabilité de DD et de la comptabilité


environnementale

L’Oréal, leader mondial de l’industrie cosmétique a comme objectif de devenir


l’un des groupes les plus exemplaires du XXIe siècle en matière de développement
durable. Dans cette société, les concepts de comptabilité de DD sont nécessairement
appliqués puisqu’au fil des ans, cette société a mis en place un système d’informa-
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tion performant capable d’intégrer d’une part, l’ensemble des informations nécessai-
res à la production de son rapport annuel de DD et, d’autre part d’accompagner les
décisions et faire le suivi de sa performance.

Exemple : la production d’information de développement durable chez L’Oréal


L’Oréal, dans sa politique Sécurité, Hygiène et Environnement (SH & E), énonce clairement
son engagement à mesurer et communiquer ses performances. Les sites de fabrication, les
centrales d’expédition et certains centres administratifs et de recherche disposent d’un
système complet de collecte de données et de reporting, qui permet aux gestionnaires de suivre
mensuellement leur performance et de se comparer entre sites. Depuis 2005, les données SHE
sont enregistrées, communiquées et consolidées mensuellement via un système informatique
partagé d’informations accessibles sur tous les sites de fabrication et centrales de distribution
du groupe. Pour la production de ces diverses informations de développement durable, la
229
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
société s’est dotée d’une politique de remontée d’informations qui inclut les indicateurs géné-
raux pertinents ainsi que certains indicateurs spécifiques.
Source : L’Oréal, rapport de développement durable 2007.

Le concept de comptabilité de DD englobe les trois volets du développement dura-


ble. De fait, la comptabilité de DD vise à guider les décisions des gestionnaires,
permettre l’évaluation de la performance de l’entreprise en regard du triple bottom
line et, également, permettre aux parties prenantes internes et externes d’être correc-
tement et efficacement renseignées.

2 Les notions de coûts appliquées à la comptabilité de DD

Parmi l’ensemble des données qui peuvent être produites pour répondre aux objec-
tifs de la comptabilité de DD, les coûts représentent sans doute l’aspect le plus aisé-
ment identifiable et quantifiable parce qu’ils se traduisent généralement en
opérations monétaires déjà enregistrées dans le système comptable. Le type de coûts
à considérer dépendra de l’utilisation que compte en faire l’entreprise ou des objec-
tifs qu’elle s’est fixés. Partant de ce critère, il est possible d’identifier deux grandes
catégories de coûts : les coûts internes et les coûts externes, chacun pouvant être
subdivisé en sous-catégories. Les définitions présentées ci-après sont tirées du
corpus de connaissance en matière de comptabilité environnementale qui, comme il
a été mentionné, est nettement mieux documenté. Ces concepts de coûts, bien qu’ils
traitent surtout des impacts des activités de l’entreprise sur l’environnement peuvent
facilement être transposés au volet social ou économique du développement durable.

2.1 Les coûts internes

Les coûts internes possèdent diverses caractéristiques. Certains coûts sont facile-
ment mesurables tels les coûts liés à la protection de l’environnement ou aux
respects des lois. Les sociétés peuvent assez facilement chiffrer ces coûts et les
divulguer, comme le fait Danone qui évalue à moins de 0,1 million d’euros en 2008
le paiement des amendes, pénalités et dédommagements versés à des tiers 1. D’autres
seront plus difficiles à identifier car ils sont cachés, c’est-à-dire qu’ils seront comp-
tabilisés dans les frais généraux de l’entreprise ou qu’ils feront partie des coûts
futurs ou éventuels. Pour l’Institut canadien des comptables agréés (ICCA, 1999) les
coûts internes, du point de vue de l’environnement, sont des coûts qu’une entité
engage pour prévenir, atténuer ou pallier ses impacts sur l’environnement. En cas de

1. Source : Danone, Document de référence 2008 disponible à www.danone.com


230
DD : les apports et les limites de la comptabilité

défaut d’agir en ce sens, y seront ajoutés les coûts pour obtenir l’autorisation de
poursuivre des activités susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur l’environne-
ment. Cette autorisation est obtenue auprès des gouvernements ou de la société en
payant par exemple des amendes, compensations ou taxes spécifiques.
Ils comprennent tous les coûts actuels et futurs encourus par l’entreprise. Ceux-ci
se matérialisent à un moment donné au cours du cycle de vie du produit et se reflè-
tent dans les états financiers. À cet égard, l’exemple de Baxter illustre bien comment
une organisation peut innover afin de concevoir un outil adapté à ses besoins.

Exemple : les coûts environnementaux de Baxter


Certaines entreprises ont développé des systèmes d’information sophistiqués qui permettent
d’identifier de façon détaillée leurs divers coûts internes. La société Baxter Internationale Inc.,
un des leaders mondiaux de l’industrie de la santé, est un modèle en la matière. Elle publie
depuis une dizaine d’années un état financier environnemental afin de démontrer à ses diverses
parties prenantes la valeur de son programme de gestion environnementale 1. En disposant de
cet outil, la société a pu estimer que dans la dernière décennie, elle a eu un retour sur investis-
sement moyen de trois dollars pour chaque dollar investi dans ses initiatives environnementa-
les. Cet état financier révèle que les coûts environnementaux de la société s’élèvent en 2008 à
26 millions de dollars US. Ces coûts comprennent les coûts annuels associés au programme de
gestion de l’environnement et les coûts des réparations, du gaspillage et des actions environ-
nementales entreprises. Au cours de la même année, 11,9 millions de dollars ont été générés
en bénéfices et économies grâce à ses initiatives ; la société chiffre à 91,9 millions les avanta-
ges accumulés depuis sept ans.

Pour mieux définir et comprendre les divers coûts on peut les subdiviser en six
catégories de coûts environnementaux internes (IFA, 2005). Voici une description de
ces catégories :
– Coûts des matières intégrées aux produits fabriqués : coût d’acquisition des
ressources naturelles, tel que l’eau ou autres matières qui sont intégrées au produit
fini ou qui servent à l’emballage et dont l’extraction, l’utilisation dans la fabrica-
tion, l’usage par le consommateur et sa disposition finale ont des impacts sur
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

l’environnement. L’information concernant le coût d’acquisition de ces ressour-


ces aide l’entreprise à gérer les coûts environnementaux des matières intégrées
dans les produits. Par exemple, l’entreprise pourrait décider de remplacer une
matière dommageable pour l’environnement par une autre moins nuisible même
si elle est plus coûteuse.
– Coûts des matières non intégrées aux produits : coût d’acquisition des ressources
naturelles telles que l’eau, l’énergie et autres matières qui se transforment en
déchets ou en émissions de polluants par suite des activités de production. Ces

1. Cet état financier peut être consulté à l’adresse suivante : http://sustainability.baxter.com/EHS/


2008_environmental_financial_statement.html
231
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

coûts comprennent par exemple du gaspillage d’énergie dû à l’usage d’équipe-


ment de production peu efficace. Ils incluront aussi les coûts de matière première
et de main-d’œuvre nécessaires à la fabrication de produits détruits car qualitati-
vement non-conformes.
– Coûts liés à la gestion des déchets et des émissions de polluants : coûts engagés
pour manipuler, traiter et disposer des rejets ou de l’émission de polluants prove-
nant du processus de production. Les coûts pour réparer les dommages faits à
l’environnement et les coûts pour se conformer aux exigences réglementaires font
partie de cette catégorie.
– Coûts de prévention et de gestion environnementale : coûts engagés pour prévenir
ou réduire l’impact environnemental des activités de l’entreprise. Par exemple,
font partie de cette catégorie les coûts liés à des ententes avec des fournisseurs
pour des approvisionnements « verts » et les coûts des équipements pour une
production « plus propre ». Cette catégorie comprend également les coûts géné-
raux liés à l’environnement comme la mise en place d’un système de management
environnemental (cf. chapitre 14).
– Les coûts de recherche et de développement : ils prennent en compte les coûts des
projets de recherche et de développement liés au domaine environnemental et
d’un point de vue plus général au domaine de l’écoconception.
– Les coûts éventuels : ils incluent des coûts souvent plus difficiles à mesurer mais
qui seront pourtant supportés par l’entreprise, comme par exemple les frais en
dommages et intérêts versés à la suite d’un accident, les coûts éventuellement
associés à une réglementation plus stricte, les coûts liés à la détérioration de
l’image de marque ou les relations avec les parties prenantes.
En résumé, les coûts internes sont des coûts engagés par une entreprise, de façon
volontaire ou involontaire, pour prévenir ou réduire les incidences environnementa-
les, mais également sociales ou économiques des processus et des produits ou servi-
ces, y compris les coûts engagés pour le non-respect des exigences légales. Ils
incluent également les coûts éventuels que l’entité pourrait subir, comme une
atteinte à l’image de marque ou d’éventuelles poursuites.

2.2 Les coûts externes

Du point de vue de l’environnement, les coûts externes concernent les coûts enga-
gés par des tierces parties suite aux impacts des processus, des produits ou services.
Ces coûts ne sont pas pris en compte dans le système comptable dit « classique ».
Un coût environnemental externe correspond à la valeur monétaire attribuée à la
diminution d’un avantage ou au préjudice subi par la société à cause d’une détério-
ration de la qualité de l’environnement qui n’a pas été prise en considération dans
une opération de marché (ICCA, 1999). Ceci implique d’une part, de déterminer

232
DD : les apports et les limites de la comptabilité

quels avantages ont été perdus ou quels préjudices ont été causés dans de vastes
domaines allant des droits des êtres humains à la santé, en passant par les effets sur
l’environnement. Ensuite, il faut établir une valeur monétaire qui, dans la majorité
des cas, ne peut être déterminée que de manière subjective. Ainsi, la plupart du
temps, l’entreprise devra se contenter, à titre de coûts externes, d’informations quali-
tatives car on comprend aisément que ces coûts sont difficiles à identifier, à mesurer
ou à valoriser en termes monétaires.
Afin de bien distinguer ce qui peut être considéré comme un coût interne d’un coût
externe, le tableau 15.1 présente et compare les caractéristiques les plus courantes de
ces deux grandes classes de coûts. Ce classement permet de saisir les difficultés
auxquelles font face les comptables lorsqu’il s’agit de produire des informations sur
les coûts en lien avec le développement durable.

Tableau 15.1 — Les caractéristiques du coût de développement durable


Coût interne Coût externe
Lorsque le coût identifié comme étant lié au développement
durable est…
Oui Non Oui Non

engagé par l’entreprise ✓ ✓

engagé par les parties prenantes externes ✓ ✓

directement associé à des processus, produits, services (*) ✓ ✓

associé à des processus, produits, services par un processus ✓ ✓


d’allocation ou de répartition (*)

le résultat d’activités passées ✓ ✓

le résultat d’activités futures ✓ ✓

facilement identifiable (tangible) (*) ✓ ✓

plus difficilement identifiable (*) ✓ ✓

la résultante d’une mesure financière ✓ ✓

la résultante d’une mesure quantitative ou qualitative ✓ ✓


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identifié distinctement dans les comptes comptables ✓ ✓

considéré comme un coût caché ou invisible ✓ ✓


engagé volontairement ✓ ✓
involontairement engagé ✓ ✓

(*) la plupart du temps.

233
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Section LES OUTILS ET TECHNIQUES DE LA COMPTABILITÉ


2 DE DD

Le rôle du comptable dans l’organisation consiste à produire de l’information utile


à la prise de décision et à la gestion de la performance. Dans ce contexte, la respon-
sabilité de l’évaluation, de la mesure et de la communication d’informations liées au
développement durable pourra lui être attribuée. Cette section présente les méthodes
et outils qui permettront au comptable qui en a la responsabilité, de produire l’infor-
mation qui répondra aux besoins des parties prenantes.

1 La méthode du coût complet du cycle de vie

Préalablement à l’application de cette méthode, l’entreprise devra procéder à


l’analyse du cycle de vie (ACV) de ses produits ou activités par exemple, en suivant
les principes de l’ISO 14040:2006. Cette démarche systématique évalue l’inventaire
environnemental et la consommation de ressources et d’énergie d’un produit, d’un
procédé ou d’une activité à toutes les étapes de son cycle de vie, c’est-à-dire « du
berceau à la tombe » (CMA Canada, 1999). Par exemple Cascades Inc., leader dans
les métiers de la pâte à papier, bien engagée dans le développement durable depuis
de nombreuses années s’intéresse grandement à l’ACV. Plusieurs de ses produits
sont dans ce sens à l’étude. Également, pour continuer à être leader dans le domaine,
Cascades Inc. s’est associée au CIRAIG – Centre interuniversitaire de recherche sur
le cycle de vie des produits, procédés et services de l’École polytechnique de
Montréal – afin de participer et encourager l’évolution des connaissances dans le
domaine 1.
Une fois l’ACV complétée, l’étape suivante consiste à estimer les coûts, les béné-
fices et les économies des incidences environnementales. Pour ce faire, il est possi-
ble d’utiliser la méthode du coût complet sur le cycle de vie (MCCCV). Cette
méthode comptable consiste à établir le coût de revient complet par la prise en
compte, au moyen d’affectation, de répartition ou d’imputation, de tous les coûts
associés – fixes ou variables – à un produit ou à un service et ce, tout au long du
cycle de vie de ce dernier.
La MCCCV va donc traduire, en termes monétaires, les effets des activités de
l’entreprise sur l’environnement et la consommation de ressources et d’énergie pour
ensuite les intégrer dans le coût des produits ou services. Les mesures physiques sur
la consommation d’énergie, d’eau et de matière ou sur les sources de gaspillage
viendront compléter les coûts de revient obtenus par la MCCCV.

1. http://www.cascades.com/developpement-durable/environnement/l--146-analyse-du-cycle-de-vie
234
DD : les apports et les limites de la comptabilité
Exemple : la gestion des véhicules fédéraux au Canada – programme IVF
De 1995 à 2007, le programme IVF – pour Initiative des véhicules fédéraux – visait la réduc-
tion des gaz à effet de serre et avait pour but d’aider les ministères de l’administration fédérale
à améliorer la gestion et l’exploitation de leurs parcs automobiles. Parmi les outils mis à la
disposition des différents ministères pour faire face à cet objectif majeur – limiter l’impact
environnemental de la flotte des véhicules fédéraux – IVF a fourni des outils et des méthodes
pour que les gestionnaires des parcs puissent établir la durée de vie optimale des véhicules et
utiliser la méthode du coût complet sur le cycle de vie de ces mêmes moyens de transport 1.

La MCCCV procédera par affectation, allocation ou imputation afin d’attribuer


des coûts aux produits ou services. Dans ce contexte, il apparaît utile de discuter de
la notion de coût direct et indirect d’une part et de l’allocation des coûts d’autre part.

1.1 Le rattachement des coûts à des objets de coût

Un produit, une activité ou un investissement représentent des exemples d’objets


de coût. Selon la MCCCV, les incidences environnementales devront être incluses
dans le coût des objets, en particulier les produits ou les services de l’entreprise.
Cela améliorera la qualité des décisions en matière d’établissement de prix de vente,
d’abandon ou de maintien des produits, de modification à apporter au produit ou
encore à son processus de fabrication. De la même façon, connaître le coût d’une
activité, comme par exemple le traitement des eaux usées, permettra d’analyser les
possibilités d’économie ou encore de surveiller la performance de cette activité en
suivant l’évolution de ses coûts. Pour certains types de coût, il est aisé de les associer
à un type de produit, de service ou d’activité. C’est le cas du coût des chutes de tissu
provenant de la fabrication d’un modèle de jeans, par exemple. On dit alors que le
coût est « direct ». Le lien causal est clairement identifié puisque ce coût est induit
par l’existence même dudit produit. Dans d’autres cas, notamment lorsque l’entre-
prise exerce plusieurs activités, fabrique plusieurs produits ou offre plusieurs servi-
ces, il est beaucoup plus difficile de procéder de la sorte. Dans ce cas, le
rattachement direct n’est pas possible, la relation causale étant largement atténuée.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Ces coûts, considérés comme « indirects » seront alors répartis à chacun des
produits qui en supporteront leur juste part. Les méthodes d’allocation des coûts
indirects permettront d’y parvenir.

1.2 L’allocation des coûts indirects

L’approche dite « classique » et la comptabilité par activités sont deux méthodes


largement connues des comptables pour attribuer des coûts indirects à des objets de
coûts. Avec l’approche classique, les coûts environnementaux indirects seront rare-

1. http://oee.rncan.gc.ca/communautes-gouvernement/transports/federal/mandat.cfm?attr=4
235
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

ment distingués des autres coûts liés à la fabrication dans les frais généraux.
L’ensemble de ces coûts sera alors réparti aux produits, la plupart du temps à l’aide
d’un taux unique de répartition, fondé par exemple sur les heures de main-d’œuvre
directe. Il en résulte que le produit qui consomme le plus d’heures de main-d’œuvre
directe supporte une plus grande part de l’ensemble des frais généraux de fabrica-
tion. Cette façon de procéder est souvent critiquée car elle ne tient pas vraiment
compte de la relation causale et que la répartition est souvent arbitraire. De plus,
certains coûts environnementaux pourront ne pas être attribués aux produits ou
services car le système comptable les enregistre à titre de charges administratives ou
commerciales. L’information sur le coût des produits, des services et des activités
établie avec l’approche classique risque souvent d’être trompeuse ou incomplète et
devenir inutile pour la prise de décisions. Ainsi, la recherche de solutions pour
améliorer la performance environnementale et réduire les coûts environnementaux
sera rendue infructueuse par une méconnaissance des coûts et de leurs inducteurs.
La comptabilité par activités (CPA) veut remédier aux faiblesses de l’approche
classique. Elle mettra l’accent sur les relations qui existent entre des activités,
notamment des activités ayant des effets sur l’environnement, et différents induc-
teurs de coûts – ou cause des coûts. Le coût des activités est dans une première étape
établi à partir de la relation causale entre les coûts et les activités. La deuxième étape
consiste à attribuer le coût des activités aux produits (ou services) sur la base des
activités consommées par ces produits, toujours en tenant compte de la relation de
cause à effet. Par exemple, on pourra établir le coût d’une activité de transport et
d’élimination des déchets dangereux en attribuant le salaire du camionneur et les
coûts de fonctionnement du camion (essence, amortissement, etc.) directement à
cette activité puisque la relation de cause à effet est clairement établie. Par la suite,
les coûts de l’activité seront attribués aux seuls produits qui génèrent des déchets
dangereux en utilisant un inducteur représentatif de la relation causale, par exemple
la quantité de matière première consommée par le produit. Par une meilleure alloca-
tion des coûts indirects, l’information obtenue sera davantage utile pour la gestion
de cette activité mais aussi pour les décisions concernant les produits. La CPA est
donc à privilégier quand il s’agit de tenir compte des coûts environnementaux.
En résumé, les activités de développement durable entraînent des coûts qui, à
l’aide de la MCCCV, pourront être attribués à des objets de coûts, ce qui améliorera
la qualité des informations de gestion. Cette méthode exige d’identifier l’ensemble
des coûts directs qui peuvent être associés à un produit ou une activité et, par un
procédé d’allocation, de rattacher à ces objets de coûts, une part des coûts indirects.
La capture de ces coûts devrait se faire dans un espace-temps correspondant au cycle
de vie du bien ou service considéré.

236
DD : les apports et les limites de la comptabilité

2 Les tableaux de bord

Le tableau de bord est un ensemble intégré de mesures de la performance qui


découle de la stratégie de l’organisation et qui la soutient (Bergeron, Roy, Garrison,
Noreen, Chesley et Carroll, 2004). Composé d’indicateurs financiers et non finan-
ciers, il permet de communiquer la stratégie à tous les niveaux de l’organisation, de
favoriser l’atteinte d’objectifs communs par une coordination des actions à travers
toute l’entreprise et de suivre les résultats par rapport aux objectifs et stratégies. Un
modèle de tableau de bord largement connu est celui de Kaplan et Norton (1996).
Ces auteurs proposent un tableau de bord comportant quatre dimensions : 1) les
aspects financiers ; 2) la clientèle ; 3) les processus internes et 4) l’innovation et
l’apprentissage. Ces dimensions sont inter-reliées dans le sens, par exemple, où la
performance au regard de la clientèle (satisfaction, rétention, etc.) affectera les résul-
tats financiers qui, à leur tour, permettront à l’entreprise de disposer de ressources
financières pour innover, ce qui aura des effets sur les processus et à nouveau sur la
clientèle.
Une stratégie de développement durable pourra être intégrée au tableau de bord et
devra être traduite en mesures précises de la performance. Il faudra choisir les indi-
cateurs de performance les plus pertinents et en lien avec les enjeux du développe-
ment durable et les regrouper de façon à faire ressortir, à la lecture du tableau de
bord, les relations de cause à effet entre les actions de développement durable et la
performance. Pour sélectionner les indicateurs et organiser leur mode de présenta-
tion, l’entreprise pourra s’inspirer des modèles et référentiels existants. Pour la
sélection des indicateurs financiers et non financiers, l’entreprise aura par exemple,
la possibilité de consulter les « lignes directrices pour le reporting du développe-
ment durable » de la Global Reporting Initiative (GRI), qui propose des indicateurs
de performance relatifs aux dimensions économique, sociale et environnementale en
tenant compte des parties prenantes. Pour l’organisation et le regroupement des indi-
cateurs dans un tableau de bord, un modèle comme celui proposé par Kaplan et
Norton pourrait être utilisé tel quel ou adapté.
Plutôt que de partir de cadres de référence connus, l’entreprise pourrait choisir de
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

créer de toutes pièces des indicateurs et de les présenter dans un format mieux
adapté à ses besoins et à ses objectifs. Le cas Schneider Electric est là pour en attes-
ter. Tel que présenté (cf. tableau 15.2), les objectifs stratégiques de la compagnie
Schneider Electric, pour 2009-2011, ont été transcrits sous forme de tableaux de
bord actualisés trimestriellement (cf. figure 15.2). Comme précisé, ces outils de pilo-
tage permettent de « mobiliser tous les collaborateurs à travers le monde autour de
grands engagements de développement durable et de partager le suivi des plans
d’actions avec l’ensemble de ses partenaires » 1.

1. Tiré de http://www.schneider-electric.com/sites/corporate/fr/groupe/developpement-durable-et-
fondation/strategie-developpement-durable/notre-strategie-de-developpement-durable.page
237
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Tableau 15.2— Objectifs développement durable du groupe Schneider Electric


Schneider Electric – Les 13 plans de progrès - 2009-2011

Les objectifs pour 2011 se déclinent dans les 3 domaines du développement durable : Environnement,
Économie et Société.
– 3/10 est la note de départ en 2009
– 8/10 est la note à atteindre en 2011
Environnement
– Réduire nos émissions de CO2 de 30 000 tonnes par an
– Réaliser 2/3 de notre chiffre d’affaires produit avec une offre Green Premium
– Permettre à 2/3 de nos salariés de travailler dans des sites certifiés ISO 14001
Économie
– Dépasser de 7 points la croissance moyenne du Groupe avec nos activités d’efficacité énergétique
– Mettre en place des filières de traitement du gaz SF6 dans 10 pays
– Contribuer à l’électrification d’1 000 000 de foyers de la « base de la pyramide »* grâce aux solutions
Schneider Electric
– Réaliser 60 % de nos achats avec des fournisseurs signataires du « Pacte Mondial »
– Assurer la présence de Schneider Electric dans les 4 familles majeures d’indices ISR
Société
– Diminuer de 10 % par an le taux de fréquence des accidents du travail
– Augmenter de 14 points le score de recommandation de l’entreprise par ses employés
– Former 2 000 salariés aux solutions de gestion de l’énergie
– Former 10 000 jeunes de la « base de la pyramide »* aux métiers de l’électricité
– Soutenir 500 entrepreneurs de la « base de la pyramide »* dans la création de leur activité dans le
secteur de l’électricité.

*Programme BipBop

Source : tiré du site Internet Schneider Electric.

Ainsi, on peut dire qu’un tableau de bord intégrant des indicateurs de performance
liés au développement durable permettra un meilleur suivi de l’impact des actions et
décisions, de mieux comprendre les liens de causalité entre les divers enjeux de
développement durable et la notion de performance – financière ou non d’ailleurs.
En procédant de la sorte, le gestionnaire s’assure d’un niveau minimum de cohésion
en interne, en l’occurrence au regard des objectifs stratégiques liés au développe-
ment durable. Enfin, outre un outil de gestion de la performance, un tableau de bord
lié au développement durable s’avérera être également un outil de communication
qui aidera l’entreprise à rendre compte auprès de ses parties prenantes du niveau de
réalisation effectif de sa politique de développement durable.

238
DD : les apports et les limites de la comptabilité

Source : tiré du site Internet Schneider Electric.

Figure 15.2 — Tableau de bord Baromètre Planète et Société de Schneider Electric


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3 Les rapports de développement durable

Les pressions des actionnaires et de diverses parties prenantes tels les clients, les
collectivités et les employés, font en sorte que de plus en plus d’organisations
publient de l’information économique, environnementale et sociale, soit dans leur
rapport de gestion ou, de manière distincte, dans un rapport de développement dura-
ble. Une récente enquête menée par KPMG révèle que 80 % des 250 plus grandes
sociétés de la liste Fortune 500 publient un tel rapport distinct et qu’un 4 % addition-
nel intègre cette information dans leur rapport de gestion (KPMG, 2008).

239
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

La consultation en ligne des rapports, par exemple de la société pétrolière fran-


çaise Total SA, de la société d’état Hydro-Québec, de la coopérative de plein air
Mountain Equipement Co-op ou du groupe Carrefour, permet de constater à la fois
la variété dans les approches et les contenus, la diversité des pratiques et des points
de vue sur la production des rapports de développement durable. Depuis la fin des
années 1990, on a vu apparaître diverses réglementations ou directives afin
d’améliorer la comparabilité et l’uniformité de ce type de rapports ou encore pour
contraindre les sociétés à certaines formes de divulgations.
Une des initiatives importantes en ce sens concerne les travaux de la GRI, qui
visent à guider les entreprises au sujet de la publication de rapports de développe-
ment durable. Ses objectifs sont d’élaborer un cadre généralement reconnu d’infor-
mations sur le développement durable ainsi que des lignes directrices pour la
production des rapports, incluant une liste d’indicateurs de performance.
Certains gouvernements ont également adopté des lois ou règlements pour obliger
les sociétés à publier des rapports développement durable. La France, en adoptant la
loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE), a été un des premiers états à
exiger que les sociétés cotées en bourse publient de l’information sur la manière
dont elles prennent en compte des conséquences sociales et environnementales de
leurs activités 1. Parmi les exigences d’information, notons par exemple, que l’infor-
mation sociale doit porter sur l’équité en matière d’emploi et la diversité de la main-
d’œuvre, sur les impacts sur les collectivités et sur l’adhésion aux normes internatio-
nales du travail. L’information environnementale doit couvrir entre autres, la
consommation d’énergie, d’eau et de matières premières, les rejets dans les sols, la
nappe phréatique ou dans l’atmosphère. Cette information, comme pour tout le
contenu du rapport de gestion, fera l’objet d’une attestation de sincérité du commis-
saire aux comptes et peut être soumise à un audit indépendant.
Au Canada, la publication d’informations sur la politique de développement dura-
ble des entreprises repose sur les exigences imposées par les normes comptables et
sur certaines lignes directrices 2 publiées par l’Institut canadien des comptables
agréés. À compter du 1er janvier 2011, les entreprises ayant une obligation publique
de rendre des comptes doivent appliquer les normes internationales d’information
financière (IFRS), comme le font déjà les pays membres de l’Union européenne et
plusieurs autres pays. Les normes comptables internationales (IAS) 19 et 37
couvrent principalement les questions de développement durable 3. En vertu de

1. À cela s’ajoute l’obligation pour les entreprise de plus de 300 salariés de soumettre un bilan social
au comité d’entreprise (loi 77-769 du 17 juillet 1977).
2. Pour plus de détails concernant ces directives, voir « Améliorer son rapport de gestion-Informations
à fournir sur le changement climatique pour aider les préparateurs de rapports de gestion et le
rapport de gestion, lignes directrices concernant la rédaction et les informations à fournir », Conseil
canadien de l’information sur la performance, http://www.icca.ca/recherche-et-recommanda-
tions/information-sur-la-performance/index.aspx
3. D’autres aspects liés à ces questions sont aussi couverts dans les IAS 2, 10, 16, 36 et 38
240
DD : les apports et les limites de la comptabilité

l’IAS 19, par exemple, les entreprises doivent refléter dans leurs états financiers
leurs obligations sociales liées aux avantages du personnel comme par exemple les
obligations créées par les régimes de retraite. La comptabilisation et les informa-
tions à fournir au regard des provisions, passifs éventuels et actifs éventuels qui
découlent des impacts des activités de l’entreprise sur l’environnement ou la collec-
tivité sont couvertes dans l’IAS 37.
Toutefois, ces normes sont loin de couvrir l’ensemble des informations liées au
développement durable, puisqu’elles se limitent à certains aspects bien précis des
activités sociales et environnementales. Les aspects sociaux et environnementaux
traités dans les normes sont ceux qui peuvent influencer la présentation fidèle de la
situation financière de l’entreprise au cours d’un exercice financier donné tel que
défini par le cadre conceptuel comptable. La note (voir ci-dessous) sur les engage-
ments et les éventualités apparaissant aux états financiers de Cascades Inc. fournit
un bel exemple de ce qui sera divulgué en respectant les principes comptables. Le
lecteur est informé d’une obligation éventuelle mais toute autre information en rela-
tion avec l’évènement, par exemple des données sur la qualité du sédiment n’appa-
raîtront pas dans les états financiers.

Exemple : les engagements et éventualités chez Cascades Inc.


Note 17d : « à la suite de discussions avec les représentants du ministère de l’Environnement
de l’Ontario (MEO) — Région du Nord, la Compagnie collabore présentement avec ces
derniers relativement à toute responsabilité éventuelle qu’elle pourrait encourir, liée à une
situation environnementale identifiée sur le site de son ancienne usine de Thunder Bay
(l’usine). Le MEO a demandé que la Compagnie se penche sur un plan de gestion sur la qualité
du sédiment adjacent aux étangs aérés de l’usine. Plusieurs réunions ont eu lieu au cours de
l’année avec le MEO et une autre partie potentiellement responsable (PPR), et une étude a été
entreprise sur la qualité du sédiment et les options de réhabilitation possibles. Il n’est pas
possible actuellement d’estimer l’obligation de la Compagnie, compte tenu de l’incertitude
entourant le réel enjeu de l’impact environnemental, l’allocation entre les PPR, les options de
réhabilitation possibles et l’accord du MEO. » 1
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

La valeur du rapport de développement durable ne réside pas seulement dans la


communication de l’information aux parties prenantes. L’entreprise pourra aussi
s’en servir à des fins internes comme outil de management qui fournira des informa-
tions utiles à la prise de décisions, qui permettra le suivi de la performance durable
collective mais également, en tout cas on est en droit de l’espérer, pourquoi pas
entrer en ligne de compte dans l’évaluation annuelle et la valorisation de chaque
salarié.

1. Extrait des notes aux états financiers du Rapport annuel 2008 de Cascades Inc., p. 72, disponible à
http://www.cascades.com/investisseurs
241
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Conclusion
Le comptable a la responsabilité de mettre en place des outils qui produiront des informa-
tions susceptibles de répondre aux besoins des divers utilisateurs. Il ne peut agir de façon
isolée et doit collaborer avec les gestionnaires et les employés de tous les niveaux pour
comprendre les principaux enjeux de développement durable de l’entreprise, pour identi-
fier les effets internes et externes des activités actuelles et futures, pour en évaluer les coûts
(internes, externes, cachés, à court et à long terme) et en apprécier les avantages, les effets
positifs ou les économies réalisées. Le défi est grand puisque les besoins varient selon les
diverses parties prenantes, les outils sont nombreux et les effets des activités de dévelop-
pement durable sont très variés et le plus souvent incertains. Le développement et la mise
en œuvre d’une comptabilité de DD, en plus de promouvoir la transparence en matière de
reddition de compte et la gouvernance responsable, permet à la direction de communiquer
sa vision et ses valeurs et d’améliorer ses performances par la réduction des coûts, par des
investissements responsables et plus généralement par une utilisation plus efficace de ses
ressources. Ce domaine de la comptabilité est encore trop peu développé et la profession
comptable doit s’appliquer à mieux définir le concept et à faire progresser cette discipline.
À l’ère ou la notion de responsabilité sociale est devenue un enjeu majeur pour la pérennité
des entreprises, la disponibilité d’informations de qualité, uniformes et comparables, cons-
tantes dans le temps, favorisera la prise de décisions éclairées de l’ensemble des divers
acteurs intéressés par les questions de développement durable.
Pour les organismes responsables de la normalisation comptable (IASB, FASB, ICCA,
ACCA…) la question de la divulgation obligatoire d’informations de développement dura-
ble normalisées, objectives et vérifiables reste entière. Bien que des efforts aient été faits
en ce sens, le cadre conceptuel de la comptabilité financière, centré sur une logique écono-
mique et des principes d’objectivité, de prudence et de comparabilité ne permet pas encore
de normaliser la publication d’informations de nature quantitative ou non financière.

242
Chapitre
Les achats
responsables
16 en pratique

Lucie BOYER
Dominique WOLFF

D u fait de sa dimension stratégique, la fonction achats est directement


concernée par le déploiement d’une démarche « développement durable »
au sein des entreprises. L’on peut simplement illustrer cette affirmation par
deux exemples. Premièrement, dans l’industrie, les achats doivent garantir le mode
de fabrication des produits, sur le plan éthique et social notamment, afin de préserver
la réputation de l’entreprise. Par ailleurs, pour respecter des normes environnemen-
tales, le choix des produits et des fournisseurs est désormais conditionné à leur
niveau de qualification - cahiers des charges, certifications, etc. Ces deux enjeux – la
réputation et le niveau de qualification des B & S – nous montrent que la fonction
achats est au centre des débats lorsqu’il s’agit d’intégrer et de diffuser les meilleures
pratiques sociales, environnementales ou liées à des règles de meilleure gouver-
nance.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Ce chapitre se focalisera sur les bonnes pratiques et les enjeux propres aux achats
responsables – ou achats durables. Nous nous concentrerons ici essentiellement sur
l’aspect pratique du domaine, en proposant des axes de réflexion stratégique, des
modèles d’application et des outils de gestion. Nous prendrons également l’exemple
de trois entreprises du Cac 40 que nous analyserons sur une période de quatre ans,
afin de comprendre comment s’est déroulée la mise en place des achats responsables
pour ce type de compagnie.

Section 1 ■ La fonction achats dans l’entreprise


Section 2 ■ L’intégration des achats responsables en entreprise
Section 3 ■ Quelques données concernant des sociétés du CAC 40
243
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Section LA FONCTION ACHATS DANS L’ENTREPRISE


1
Dans un objectif de recherche de la taille critique et de la satisfaction des action-
naires, les entreprises sont amenées à délocaliser et à pratiquer la sous-traitance.
Cette pression ne laisse pas indifférente la fonction achats, comme nous allons le
voir dans cette section.

1 Conséquences de l’évolution de la fonction achats

Traditionnellement, la fonction achats était peu technique, tournée exclusivement


vers la production et considérée comme faiblement stratégique dans l’entreprise.
Aujourd’hui, plusieurs évolutions majeures ont redessiné le profil de la fonction
achats et des acheteurs.
Tout d’abord, l’élargissement de la concurrence et la recherche de la production à
moindre coût ont amené les entreprises à se recentrer sur leur cœur de métier. Cela
s’est traduit au départ par l’accroissement de la sous-traitance de biens et services
peu techniques, puis par l’externalisation de services d’appui à la production
(restauration, gardiennage, etc.).
Dans le même temps, la relation entre l’acheteur et le fournisseur a tendance à
changer. Dans de nombreuses entreprises, pour les activités stratégiques, le rapport
de force « donneur d’ordre-exécutant » semble s’équilibrer. En effet, le travail sous
forme de partenariat entre l’acheteur et quelques fournisseurs clés s’est développé
afin, notamment, d’intégrer plus volontiers ces derniers dès la conception du
produit. Le cahier des charges est conçu conjointement, alliant les connaissances
techniques spécifiques de chaque partie en vue de réaliser des produits encore plus
performants. Ainsi, le service achats devient un facilitateur de l’amélioration techni-
que & technologique des produits : en externe, grâce au travail en équipes projets
avec les fournisseurs ; en interne, grâce au travail en équipes projets avec le bureau
d’études ou le service recherche et développement.
Sur le plan organisationnel, le service achats dépend de moins en moins de la
production – approche purement technique du domaine – mais de la direction géné-
rale. Le responsable des achats siège bien souvent au comité de direction (cf.
figure 16.1). Ces changements ont définitivement conféré à la fonction achats une
dimension stratégique.

244
Les achats responsables en pratique

Source : LDA/Cdaf.

Figure 16.1 — Autorité de rattachement de la fonction achats de production

Certes, cette tendance est visible de manière plus concrète dans les grandes entre-
prises, toutefois, les PME ont également compris l’intérêt qu’elles auraient à accroî-
tre la place dédiée à la fonction achats. Ainsi, il y a quelques années, la demande
d’acheteurs s’est envolée sur le marché de l’emploi, faisant apparaître de nombreux
Masters et autres diplômes spécialisés en achats et supply chain. Cela répond à un
besoin fort des entreprises de former rapidement des spécialistes aux nouvelles
tendances de gestion des achats. Parallèlement à cela, des outils informatiques de
travail ou de gestion de la performance ont également été développés (Hervier,
2003) : notamment l’aide à l’approvisionnement des produits via les systèmes MRP
(Material Requirement Planning) ou encore le développement des logiciels d’e-
achats. Les outils spécialisés – dont BravoSolution est un bon exemple – incluent
généralement le sourcing, l’approvisionnement et l’aide à la prise de décision. Cela
a rendu la fonction plus technique.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Enfin, en intégrant la démarche de « marketing achats », cette fonction est égale-


ment devenue tactique. Celle-ci est le pendant du marketing vente, en amont de la
fabrication, puisqu’elle intègre des questions de produits, marché, prix et communi-
cation dans le processus d’achats. R. Perrotin (2007) la définit comme « une recher-
che en vue de l’acquisition de produits sur le marché fournisseurs, en fonction des
besoins actuels et futurs, aux conditions optimales de rentabilité pour l’entreprise ».
En conséquence, de tous ces changements, la part des achats dans le chiffre
d’affaires a fortement augmenté. Une étude réalisée en 2005 par la Lettre des achats
et la CDAF – Compagnie des dirigeants et acheteurs de France – auprès de 113 PME
classait la part des achats relativement au CAHT des entreprises comme suit (cf.
figure 16.2).

245
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Source : LDA/Cdaf.

Figure 16.2 — Part des achats relativement au CAHT des entreprises

L’étude conclut que plus les entreprises se recentrent sur leur secteur d’activité,
plus elles externalisent leurs achats « non stratégiques » et plus la part des achats
dans le CAHT augmente.

2 Définitions et concepts relatifs aux achats

2.1 L’achat vs. l’approvisionnement

La mission première de la fonction achats consiste à mettre à disposition de


l’entreprise les produits et services nécessaires au bon fonctionnement de celle-ci,
selon un cahier des charges fixant au fournisseur des objectifs en termes de qualité,
de coût et de délais. Cela se concrétise au travers de différentes missions :
– l’analyse du besoin ;
– l’élaboration de la stratégie d’achats ;
– la prospection, la consultation et l’évaluation des fournisseurs ;
– la négociation, l’élaboration et le suivi des contrats.
À la suite, la phase d’approvisionnement peut commencer. De fait, nous pouvons
dire que, en entreprise, la fonction approvisionnement est le « client » interne des
achats. Le tableau ci-dessous synthétise les principales différences entre les fonc-
tions achats et approvisionnements.

246
Les achats responsables en pratique

Tableau 16.1 — L’achat et l’approvisionnement


L’achat L’approvisionnement

Gestion moyen et long terme Gestion court terme

Élaboration des contrats intégrant les quantités et Application des contrats, passation des
délais de livraison commandes, suivi des livraisons

Relation étendue avec le fournisseur Relation restreinte avec le fournisseur

Peuvent gérer le même produit et fonctionner par binôme

2.2 Une typologie des achats

Les formes d’achats étant variées – achats de matières premières, de sous-


traitance, de produits ou de services, d’investissements, sur plan ou sur catalogue –,
l’organisation de cette fonction pourra se faire selon plusieurs méthodes, dont nous
avons recensé les trois principales dans le tableau suivant inspiré de Perrotin &
Loubère (2005). On se tournera vers l’une ou l’autre en fonction du secteur d’acti-
vité ou du type de politique d’achats privilégié par l’entreprise.
Tableau 16.2 — Typologie d’organisations d’achats
Selon la matrice
Selon le type de produits (le plus fréquent) Selon la méthode d’achat
risque/profit

Achats de production/stratégiques/directs (75 % Achats projets Achats sous


des achats) contrats/récurrents

Achats de frais généraux/hors production/non Achats famille/Achats Achats spots (ponctuels)


stratégiques/indirects (25 % des achats) série

2.3 Enjeux financiers et commerciaux de la fonction

La fonction achats est stratégique à deux titres. D’abord, en tant que levier de
profit, elle représente un enjeu financier. En effet, on connaît la relation suivante :
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Prix de vente = Coût de revient + Marge


Ainsi, pour que l’entreprise préserve sa marge, il faut diminuer le coût de revient
en jouant notamment sur le coût d’achat des biens et services. On rappelle en effet
que le coût de revient – l’ensemble des charges supportées par un produit jusqu’à la
livraison du client final – est constitué à hauteur de 40 à 70 % de biens et services
achetés. L’impact financier des achats est déterminant : schématiquement, « 1 % de
gain sur les achats = 10 % de gains sur le résultat ». Le principal rôle des achats est
donc clairement d’acheter au meilleur prix afin de contribuer au bénéfice de l’orga-
nisation.

247
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Ensuite, la fonction achats se situe au cœur de la chaîne d’approvisionnement. De


ce fait, en plus de ses échanges externes avec les fournisseurs – ou les sous-traitants
– la fonction achats doit jouer un rôle de facilitateur de la communication interne,
d’amont – de la R & D – à l’aval – à la production. De ce fait, l’acheteur est en
contact direct avec :
– la logistique : gestion des conséquences des retards de livraison ;
– la qualité et la production : gestion des conséquences des produits défectueux ;
– les ingénieurs et le bureau d’étude : développement de produits ;
– le contrôle de gestion et la comptabilité : transmission d’information sur les prix
et quantités.

Section L’INTÉGRATION DES ACHATS RESPONSABLES


2 EN ENTREPRISE

L’externalisation de certaines activités ainsi que les délocalisations ont augmenté


le périmètre de responsabilité des achats. De ce fait, les risques encourus sont plus
grands, que ce soit dans le domaine de l’environnement, de la santé et sécurité au
travail ou des droits humains, ce qui expose directement l’entreprise à un risque
d’image. Le donneur d’ordre, en l’occurrence le service achats, se doit donc de
montrer l’exemple en adoptant un comportement responsable.
Selon une enquête concernant l’importance des questions de DD pour la fonction
achats, menée en 2008 par l’Observatoire des achats 1, 67 % des directions achats
déclarent cette question comme étant prioritaire ; pour 29 % d’entre elles, cette
question est même considérée comme primordiale.
Dans cette partie, nous allons donc aborder le sujet des achats responsables,
d’abord du point de vue théorique puis, plus longuement, d’un point de vue pratique.
Nous tenterons de répondre aux questions du « pourquoi » et surtout du
« comment » intégrer cette nouvelle dimension à la politique d’achats existante.

1 Un bref état de l’art de la recherche

Dans la littérature, on identifie très peu de contributions spécifiques sur le thème


des achats responsables. Toutefois, les travaux de Seuring et Müller (2008), nous
permettent d’identifier les éléments déclencheurs, légitimant la prise en compte
d’une démarche de DD dans la chaîne d’approvisionnement – et donc, dans la fonc-
tion achats. Selon eux, les principaux catalyseurs d’une telle approche sont d’ordre

1. Fondé par Microsoft, BearingPoint, l’Essec et Novamétrie.


248
Les achats responsables en pratique

externe : les réglementations légales (le gouvernement), la demande clients et la


réponse aux parties prenantes. Les groupes de pression environnementaux et sociaux
semblent, eux, moins incitatifs. Pour ce qui concerne les déclics internes, c’est
l’avantage compétitif qui motive le plus les entreprises et de façon minoritaire la
perte de réputation.
Par ailleurs, ces mêmes auteurs, ainsi que Walker et al. (2008), ont identifié les
moteurs et les freins internes et externes à la mise en place d’une politique de DD
dans la chaîne d’approvisionnement. Le tableau suivant récapitule les résultats de
leurs recherches.
Tableau 16.3 — Moteurs et freins à la mise en place des achats responsables
Moteurs Freins
Internes Système de management (ISO 14001, SA Pression sur les coûts
8000) Mauvaise coordination complexité/effort
Mentorat, évaluation, reddition, sanctions Manque de légitimité (de connaissance) du
Formation des acheteurs et des fournisseurs DD
Intégration à la politique du groupe

Externes Pression réglementaire Réglementation très stricte


Demande du client Faible engagement des fournisseurs
Compétitivité (avantage compétitif, Barrières spécifiques à certaines industries
performance)
Société (parties prenantes)
Fournisseurs (intégration, collaboration)

En conclusion, les études des chercheurs sont intéressantes puisqu’elles identifient


des moteurs venant soutenir l’intégration du DD dans les services achats des entre-
prises sur plusieurs plans : que ce soit au niveau organisationnel (SME), social
(formation), des parties prenantes (clients et fournisseurs). De plus, ceux-ci viennent
contrebalancer, voire apporter une solution aux freins distingués : l’intégration des
fournisseurs viendrait compenser le faible engagement de ceux-ci.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

2 Quelques exemples d’application

Sachant que chaque entreprise a une particularité qui tient à son secteur d’activité,
à sa culture d’entreprise ou au type de produit qu’elle fabrique, il paraît évidemment
complexe de donner une méthode d’application standard qui s’adapterait au service
achats de toutes les entreprises. En revanche, nous allons tenter de soulever les pistes
de réflexions possibles qui aideront le gestionnaire à choisir les enjeux stratégiques
de la démarche de DD qui seront appropriés à son service achats.

249
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

2.1 Quelle vision adopter ?

En ce qui concerne le DD, avant toute chose, l’équipe de gestion doit se convain-
cre du fait que l’on mise sur le long terme. Cela signifie que cette démarche doit
suivre un processus d’amélioration continue et s’ancrer dans la culture de l’entre-
prise et de fait, dans la culture dudit service achat. La problématique des achats
responsables suppose également une réflexion sur les motivations et donc les orien-
tations de la démarche. Une étude menée en 2009 par HEC-Paris et Ecovadis révèle
que les motivations des achats responsables – ou durables – sont de trois ordres :
– l’approche défensive – la plus prisée – motivée par la protection de l’image de
l’entreprise et le respect des réglementations environnementales par les
fournisseurs ;
– l’approche économique motivée par la réduction du TCO (voir ci-dessous) ;
– l’approche offensive – la moins développée – justifiée par l’innovation et la moti-
vation interne que cela engendre.
Voici également quelques pistes de réflexion formulées par l’ORSE (Observatoire
sur la responsabilité sociale des entreprises), pour savoir sur quel enjeu axer sa stra-
tégie d’achats responsables :
– amélioration de la qualité et de la performance globale ;
– création de chaînes de compétences et accompagnement des fournisseurs ;
– sauts technologiques – grâce à l’intégration de critères environnementaux ;
– création d’avantages concurrentiels.
Quelle qu’elle soit, la réflexion doit se positionner dans la continuité de la stratégie
globale de l’entreprise afin d’assurer une opérationnalisation efficace et réussie du
concept. Malgré tout, plusieurs obstacles à sa mise en place sont possibles. Il est par
exemple fréquent qu’à l’initiative du projet, la question du retour sur investissement
d’une politique d’achats responsable soit posée. Par ailleurs, si la fonction achats
n’est pas considérée comme une fonction stratégique au sein de l’entreprise, cela
pourrait constituer un frein à la mise en place d’une telle démarche, car elle suppose
comme préalable un soutien sans faille de la part de la direction générale.
En vue de donner des idées d’enjeux possibles que peut se fixer un service achats,
voici quelques exemples d’engagements pris par de grandes entreprises industrielles
françaises.
Le service achats de « Sanofi-Aventis s’est fixé les engagements suivants :
– partager les principes du Pacte mondial ainsi que les valeurs du groupe avec
l’ensemble des fournisseurs ;
– s’assurer du respect de ces principes et de ces valeurs dans la production et la
réalisation des biens et des services destinés à Sanofi-Aventis ;

250
Les achats responsables en pratique

– intégrer les éléments de respect de l’environnement dans le cahier des charges des
produits et des services achetés ».
Pour ce qui concerne Bouygues Construction : « La démarche Achats Responsa-
bles du GIE Achats est principalement organisée autour de trois axes :
– créer et diffuser une culture du développement durable ;
– référencer des produits socialement responsables ou à performances
environnementales ;
– revisiter la relation fournisseur dans une logique de partenariat ».
Dans un autre secteur, la première étape d’Alstom fut de proposer une charte des
achats responsables à ses fournisseurs : « Ce document exige le respect des princi-
pes de la Déclaration des droits de l’homme (…) et l’ensemble des valeurs énoncées
dans le Code d’Éthique d’Alstom. En mars 2009, plus de 580 fournisseurs se sont
engagés en signant cette charte. Pour généraliser l’adhésion de ses fournisseurs,
Alstom a commencé à l’intégrer dans ses conditions générales d’achat ». Cette
compagnie a également mis en place différents outils de suivi du procédé : un
module d’e-learning à l’attention des acheteurs et des fournisseurs, une démarche
d’évaluation DD des fournisseurs par un organisme externe spécialisé et des audits
sur les sites des fournisseurs 1.

2.2 Quelques pistes pour intégrer la problématique DD aux achats

Pour aider le lecteur à comprendre ce qui pourrait faire la différence entre une
politique d’achats « classique » et une politique d’achats responsable, nous allons
lister ici certaines bonnes pratiques pour asseoir une démarche durable, tout en
rappelant quelques principes de gestion, indispensables au bon déroulement d’un tel
changement dans une entreprise.
Tout d’abord, la stratégie de DD globale de l’entreprise doit être déployée à toutes
les fonctions de l’organisation et donc en particulier aux achats. Cela suppose,
comme nous l’avons vu précédemment, de revoir la politique d’achats en y intégrant
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

les exigences de DD et notamment des indications sur la manière de gérer les ques-
tions sociales et environnementales dans les processus de conception, de fabrication
et de transport des biens et services. Ainsi, le simple fait d’ajouter de nouveaux
objectifs sans revoir la politique d’achats, ne représenterait que peu d’intérêt. En
effet, la réécriture de la politique d’achats de l’entreprise est fondamentale puisque,
non seulement elle pilotera le service en question, mais elle pourra également être le
support de la communication interne ou externe afin de soutenir la démarche DD
globale.

1. Page « Achats responsables » de Sanofi-Aventis : http://www.sanofi-aventis.com/developpement-


durable/ethics/achats/etat/etat.asp
251
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Pour accompagner cette démarche, en vue de l’intégrer à la culture de l’entreprise,


le gestionnaire doit prévoir de gérer le changement par :
– la nomination, si possible, d’un « responsable DD » en interne : il peut être ratta-
ché hiérarchiquement à la qualité, aux RH, ou encore directement à la direction
générale ;
– la formation des acheteurs aux principes du DD appliqué à la gestion des organi-
sations. Par exemple, les former au SME (cf. chapitre 14.), les informer sur le
risque de greenwashing (cf. chapitre 12.) et sur les logiques des différentes
normes sur la thématique (cf. chapitre 11.), etc.
En support de la politique d’achats responsable, d’autres documents et procédures
peuvent être rédigés, indiquant plus précisément la manière de gérer certaines ques-
tions, comme par exemple les relations avec les fournisseurs ou le travail à l’interna-
tional. Idéalement, ces documents devraient être spécifiques aux achats, mais ils
peuvent également être à destination de tous les services de l’entreprise, tout en inté-
grant des critères d’achats. Ici, on retrouve souvent des codes de conduite ou des
chartes fournisseurs qui peuvent être de bons moyens de diffuser les valeurs de
l’entreprise. Attention toutefois à ne pas appuyer la politique uniquement sur le bon
comportement de ses fournisseurs !
La formation et l’accompagnement du fournisseur sont primordiaux, afin de conti-
nuer une relation sur un pied d’égalité. De ce fait des questionnaires d’auto-évalua-
tion et des audits doivent être réalisés afin de motiver ceux-ci à engager une
démarche DD.
Ensuite, afin de suivre l’avancée des actions, il est indispensable de réaliser un
tableau de bord recensant des indicateurs de DD qui soient chiffrés, mesurables et
dont on puisse contrôler les écarts. Ce type d’outil existe déjà dans bon nombre de
services. Il est alors recommandé d’y ajouter des critères de DD en lien avec les
enjeux prioritaires fixés auparavant.
Enfin, il est naturellement préférable de rester proactifs et à jour de sa veille régle-
mentaire. En effet, le DD est une pratique jeune et donc soumise à une forte innova-
tion. À titre d’exemple, en février 2010 « La charte des 10 engagements pour des
achats responsables » a été signée par les grands industriels français et le gouverne-
ment (cf. Repères ci-dessous).

 Repères Charte de bonnes pratiques selon


la Compagnie des dirigeants et
acheteurs de France

La « Charte des 10 engagements pour des achats responsables », dite Charte de bonnes
pratiques, rédigée conjointement par la Médiation du crédit et la CDAF (Compagnie des
dirigeants et acheteurs de France), a été signée par les grands donneurs d’ordre, en
présence de la ministre de l’Économie, Christine Lagarde, le 11 février 2010.

252
Les achats responsables en pratique

En effet, suite aux états généraux de l’industrie, lors desquels les acheteurs des grandes
firmes ont été montrés du doigt à propos de leurs relations difficiles envers leurs fournis-
seurs (majoritairement des PME), une vingtaine des plus grands acteurs de l’industrie fran-
çaise a souhaité prendre des engagements de bonne conduite.
La charte vise la pérennité de la relation en fixant des principes d’équité financière et de
relation partenariale entre les donneurs d’ordre et les fournisseurs. Par ailleurs, le dévelop-
pement durable est mentionné en deux points : d’une part le coût total (TCO) du bien ou
service doit être pris en compte par l’acheteur et d’autre part, le donneur d’ordre doit faire
preuve d’« exemplarité » en matière de problématique de DD.
Enfin, le dernier engagement prévoit l’intégration de ces bonnes pratiques, sous forme
d’objectifs, dans le calcul de la rémunération des acheteurs. Grâce à ce dernier point, on ne
peut qu’accorder à la charte un certain crédit, puisque les acheteurs seront financièrement
incités à la respecter.

2.3 Les outils des achats responsables

Les principaux supports que l’on peut recommander dans le cadre de la mise en
place d’une politique d’achats responsables sont de deux ordres : des guides techni-
ques ou des méthodes comptables.
En ce qui concerne les guides techniques, le SD 21000 est un outil d’auto diagnos-
tic créé par l’Afnor qui permet aux gestionnaires de déterminer les enjeux prioritai-
res d’une démarche de DD. Cet outil est décrit dans le chapitre 11. Nous pourrions
également citer par avance la norme ISO 26000, qui sera publiée fin 2010 et traitera
de l’application du DD à la gestion des organisations.
De même, lorsque nous parlons de guides techniques, il existe également toute la
littérature sur l’ACV – pour analyse du cycle de vie du produit – et l’écoconception.
L’ACV est une réflexion sur le produit de sa conception à son utilisation, voire à sa
réutilisation finale (cf. les normes ISO 14040 et les suivantes et le chapitre 14).
Celle-ci sert à étudier et chiffrer l’impact environnemental d’un produit ou d’un
service au cours de son cycle de vie. En identifiant les phases critiques de ce cycle, il
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

est alors possible d’intervenir pour limiter ou éviter les conséquences néfastes pour
l’environnement. L’une de ces phases sensibles est la conception du produit, car
c’est à ce moment que les possibilités techniques sont le plus grandes.
L’écoconception prévoit l’intégration de l’environnement lors de la conception des
produits, au même titre que les critères de qualité, coût, délai ou sécurité. L’objectif
de l’écoconception est donc la mise sur le marché de produits plus respectueux de
l’environnement. Le document XP ISO/RE 14062 est actuellement l’un des outils
normatifs dédiés à ce domaine. Mais la norme ISO 14006 – à paraître – donnera des
orientations plus exhaustives en matière d’écoconception. Lorsque l’entreprise a
choisi cette option, le service achats y prend part directement, puisqu’il travaille en
partenariat avec les services de R & D et les fournisseurs. Son rôle est alors de trou-
ver les fournisseurs qui seront capables de réaliser les produits avec des matières
alternatives – moins polluantes – à moindre coût.
253
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Enfin, certaines techniques comptables représentent des supports efficaces d’une


politique DD appliquée au service achats. Par exemple, le TCO – pour Total Cost of
Ownership, dit coût total ou coût complet – prévoit d’intégrer toutes les composan-
tes du coût, y compris certaines composantes habituellement considérées comme
exogènes par la comptabilité, dans le calcul du coût total. Ce calcul est généralement
effectué à l’achat du produit, lors de la comparaison des offres reçues de la part des
fournisseurs, et il prend en compte des données concernant le produit sur l’ensemble
de son cycle de vie.
Pour chaque produit stratégique, le TCO se calcule en ajoutant au prix du produit
lui-même, les coûts qui y sont rattachés. Par exemple :
– coûts de l’élaboration du produit ;
– coût de formation et temps d’adaptation du personnel ;
– transport (sous forme de matière première et de produit fini) ;
– stockage (sous forme de MP, d’en-cours et de PF) ;
– coût de maintenance prévue ;
– coût d’arrêts de machine prévus ;
– coût de modification du produit prévue ;
– coût des audits qualité et environnement prévus.
Il est également recommandé d’intégrer dans le TCO les frais des risques encou-
rus, sous forme de pondération en fonction du degré de risque :
– impacts sur l’environnement direct et indirect ;
– coût des ruptures d’approvisionnement ;
– conflits sociaux/grèves et ses impacts sur l’image de l’entreprise ;
– frais de gestion de litiges ;
– impact de fluctuations monétaires.
Cet outil est encore trop méconnu car il est lourd à mettre en place. L’intégration
du TCO nécessiterait de remettre en cause l’organisation et les outils des services
achats, puisque les outils actuels fixent leur attention sur les écarts de prix et non sur
les coûts réels. Pourtant, il serait intéressant, au moins pour les plus gros volumes,
de calculer le TCO par mesure préventive, afin de chiffrer les impacts financiers des
risques potentiels.

Section QUELQUES DONNÉES CONCERNANT DES SOCIÉTÉS


3 DU CAC 40
Dans cette section, nous allons étudier l’expérience accumulée en matière de DD
appliqué à la politique d’achats de trois entreprises du Cac 40 œuvrant dans le

254
Les achats responsables en pratique

secteur automobile : Michelin, PSA et Renault. Ce travail d’observation a été effec-


tué sur la période 2004-2008.

1 Déroulement de l’étude et description de l’outil d’analyse

1.1 Choix des entreprises

Nous avons choisi d’analyser les rapports d’activités d’entreprises du secteur auto-
mobile du Cac 40 pour deux raisons. Tout d’abord, d’après la loi NRE du 15 mai
2001, les entreprises cotées ont l’obligation de publier des informations sur la
manière dont elles prennent en compte les conséquences sociales et environnemen-
tales de leur activité. Ainsi, s’il y a lieu, nous devrions donc y trouver un résumé des
activités menées dans le domaine des achats responsables. Deuxièmement, la part
représentée par les achats dans le chiffre d’affaires des équipementiers et construc-
teurs automobiles est importante – jusqu’à 80 %. L’on peut donc s’attendre à ce que
les achats aient été pris en compte de façon prioritaire dans la démarche de dévelop-
pement durable, voire même, à ce qu’une véritable politique d’achats responsables
ait été élaborée dans le cas des trois compagnies étudiées.
Cette étude a été réalisée sur la base de questions objectives du type :
« L’entreprise procède-t-elle à des audits sociaux chez ses fournisseurs ? » ou encore
« La certification ISO 14001 est-elle un des critères de sélection dans le choix d’un
fournisseur ? ». Lorsqu’il n’est pas mention du sujet dans le rapport d’activité, il a
été considéré que la réponse était négative. A minima, elle a été considérée comme
non prioritaire – n’étant pas mise en avant dans le rapport.
Nous avons également choisi d’évaluer de manière dynamique le comportement
des entreprises étudiées. De la sorte, nous avons choisi de travailler sur la période
2004-2008 – soit quatre ans – période qui, nous l’espérons, sera suffisamment large
pour nous permettre de mesurer aisément des évolutions de comportement dans le
secteur automobile français. Au final, cette étude nous permettra de positionner
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

chaque entreprise sur une échelle de performance étalonnée sur cinq niveaux,
comme préconisé par le SD 21000 (voir description ci-dessous).

1.2 Description de l’échelle (basée sur le SD 21000)

Nous avons réalisé une échelle à cinq niveaux en vue de donner une note à la
démarche d’achats responsables de chaque entreprise. Pour cela, nous nous sommes
inspirés du guide SD 21000 développé par l’Afnor, et en particulier des enjeux de
DD « transversaux », entre autres, les enjeux « politique d’achats »,
« écoconception », « gestion des risques » et « pratiques managériales » soit, pour
ce dernier, l’engagement de la direction et la prise en compte du DD dans la stratégie
du groupe. Pour notre étude, nous avons complété les travaux du SD 21000 par les
255
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

recherches théoriques effectuées sur le sujet et notre expérience du terrain. Ainsi,


nous avons pu élaborer une échelle dont les cinq niveaux sont les suivants :
1. L’entreprise est peu concernée : aucune information n’est disponible sur le sujet ;
la politique d’achats se base exclusivement sur des critères de prix.
2. L’entreprise est réactive : elle réagit proportionnellement aux coûts engendrés par
l’enjeu ; elle identifie certaines actions de progrès.
3. L’entreprise est concernée : la politique d’achats est redéfinie en prenant en
compte les grands principes du DD ; mise en place d’actions visant à faire
progresser l’organisation.
4. L’entreprise est proactive : elle considère la gestion de la problématique liée à
l’enjeu selon une logique d’investissement et non plus de coût.
5. L’entreprise est engagée : elle innove sur la manière de gérer l’enjeu.

2 Analyse des résultats

2.1 Présentation des résultats

La moyenne des notes des trois entreprises est passée de 1,7/5 à 3,17/5 entre 2004
et 2008. Cela signifie que l’attitude globale vis-à-vis des achats responsables est
passée de « peu concernée » à « concernée ». En d’autres termes, cela confirme que
PSA, Renault et Michelin ont intégré les achats responsables à leur démarche de DD
(cf. figure 16.3).

Figure 16.3 — Note de la démarche achats de Michelin, Peugeot et


Renault de 2004 à 2008

En rentrant plus dans le détail, la figure 16.3 montre qu’au regard des achats
responsables, le positionnement et l’évolution de chacune des entreprises sont
différents :
256
Les achats responsables en pratique

– PSA est passé de 1,5 à 3,5. Il y a clairement eu une prise de conscience de la part
du groupe qui, en quatre ans, a mis en place une charte fournisseurs, a fait signer
aux fournisseurs les plus importants des engagements en termes de responsabilité
sociale et s’est fixé des indicateurs de performance d’achats responsables
ambitieux ;
– Renault a progressé de 1 à 2. Le groupe a engagé des actions telles que l’amélio-
ration de la relation de partenariat avec les fournisseurs – basée sur des valeurs –
mais les enjeux sont encore peu clairement identifiables. En 2008, la politique
d’achats ne semblait pas encore intégrer les principes du DD. Depuis, une
« Charte achats et DD » a été signée en juillet 2009 – elle n’est pas encore dispo-
nible en ligne – ce qui signifie qu’une étude ultérieure améliorerait certainement
les résultats ;
– Michelin est passé de 2,5 à 4. En 2004, l’entreprise venait de créer le « Code des
achats », intégrant notamment des indications relatives à la manière de gérer les
questions environnementales et sociales. Cela fait donc plusieurs années qu’une
démarche d’achats responsables est mise en place. En 2008, « Le message des
Gérants » laisse transparaître que la direction souhaite que cet enjeu soit intégré à
la culture de l’entreprise.
Ces résultats sont plutôt encourageants, puisque toutes les entreprises étudiées
semblent s’être engagées dans une démarche en faveur des achats responsables.

2.2 Quelques bonnes pratiques dans les faits

Suite à la présentation des résultats, nous abordons ici une section pratique mettant
en lumière les actions mises en place par Michelin, PSA ou Renault pour déployer la
démarche DD pour les achats.
Dans la partie « Quelques pistes… » vue plus haut, nous avons évoqué le fait que,
pour mettre en place une démarche d’achats responsables, la première étape devait
être de restaurer la politique d’achats elle-même. C’est ce que Michelin a fait grâce
à son « Code des achats » : la mission du service achats y est énoncée clairement
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

comme dans une politique d’achats classique, mais à ceci viennent s’ajouter :
– des références à la « Charte Performance et Responsabilité Michelin » qui, elle,
est généraliste au plan du groupe – démontrant par là même le lien avec la straté-
gie DD du groupe ;
– des orientations en termes de RSE appliquées aux achats, comme par exemple ce
que Michelin attend de ses fournisseurs et de leurs sous-traitants en termes de
respect de l’environnement.
Par ailleurs, cette étude fournit de bons exemples de documents et procédures
venant soutenir la Politique d’achats responsable des compagnies automobiles
étudiées. En voici les meilleurs exemples :

257
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

– « Guide des règles de déontologie et d’éthique dans les relations avec les
fournisseurs » (Michelin). C’est un document interne à l’attention des acheteurs
qui a l’avantage d’être également disponible en ligne :
– « Exigences de responsabilité sociale et environnementale de PSA vis-à-vis de
ses fournisseurs ». Dans ce document encadrant spécifiquement les processus
d’achats, PSA énonce les critères de RSE que les fournisseurs devraient respecter
et qui seront pris en compte lors de la sélection de ces derniers ;
– « Déclaration des droits sociaux et fondamentaux » (Renault). Cette politique est
généraliste mais il est formellement écrit que : « L’engagement des fournisseurs
et des prestataires dans cette politique est un critère de sélection. » ;
– « Travail des enfants et travail forcé » (Michelin) ;
– « Charte éthique » (PSA).
En ce qui concerne la mise en place de tableaux de bord de gestion, l’exemple le
plus transparent ici est celui de PSA qui, sur son site dédié au DD, liste les dix objec-
tifs de DD que le groupe s’est fixés et, pour chacun des objectifs, la ou les actions
prioritaires à mettre en œuvre. Plus concrètement, l’un des objectifs concerne direc-
tement les achats : « Déployer le référentiel “Exigences de responsabilités environ-
nementales et sociales” de PSA Peugeot Citroën » avec pour objectif d’« engager les
500 premiers fournisseurs dans la démarche d’ici à 2010 ».
Voici d’autres exemples d’actions d’achats responsables de la part des entreprises
étudiées :
– effectuer des audits sociaux chez les fournisseurs : Michelin contrôle les condi-
tions de travail dans les plantations d’hévéa pour y valider le respect des principes
de l’OIT. Dans un souci de pérennité des relations avec la population locale, les
équipes en profitent pour faire de la prévention contre le paludisme ;
– former les acheteurs en interne : En vue de respecter le droit à la formation des
acheteurs, les services achats de PSA et Michelin ont créé une structure de forma-
tion interne, spécifique aux acheteurs : la Purchasing Business School (PSA) et la
Michelin Purchasing University ;
– travailler en étroite coordination avec les fournisseurs : lors du développement de
nouveaux produits, PSA collabore avec ses partenaires en vue d’atteindre des
objectifs de réduction de la masse ou des coûts ;
– initier les fournisseurs au DD : Renault a formé aux réglementations environne-
mentales 250 fournisseurs majeurs 1 ;
– choisir des fournisseurs de proximité : PSA mesure son « taux d’intégration
locale » pour chacune de ses usines ;

1. http://www.renault.com/fr/groupe/developpement-durable/pages/developpement-durable.aspx
258
Les achats responsables en pratique

– promouvoir la diversité fournisseurs : Michelin a engagé un programme pour


favoriser les achats auprès des entreprises dirigées par des minorités.
Comme mentionné précédemment, la communication sur les actions menées peut-
être un soutient important pour l’entreprise. De fait, PSA a développé un site Inter-
net pour faire la promotion de sa politique DD, dans lequel il expose les actions
entreprises aux achats 1. De son côté, Michelin a développé un site à l’attention de
ses fournisseurs – spécialement dédié aux achats – sur lequel nous pouvons retrou-
ver le « Code des achats » de Michelin – politique d’achats responsables – mais
également les documents socialement responsables qui l’accompagnent 2.

Conclusion
Suite à notre étude, on constate qu’avec les années, la démarche DD globale s’est étendue
à la fonction achats. Certes, l’évolution est plus ou moins rapide selon les entreprises
étudiées, mais cela correspond à l’engagement de la direction et à l’importance que celle-
ci a donnée au DD.
De manière générale, la façon d’engager la démarche d’achats responsables n’est pas
uniforme. Par exemple, Michelin s’est davantage attaché à une modification de son
comportement interne avant de se tourner vers ses fournisseurs. Au contraire, Renault a
préféré former ses fournisseurs au DD avant de mettre en place une charte achats et DD en
interne. Cette différence peut s’expliquer de deux manières : d’abord, chaque entreprise
engage une démarche DD en fonction de la spécificité de sa stratégie globale et engagera
donc des actions potentiellement différentes de ses concurrentes ; ensuite, les achats
responsables sont une pratique nouvelle, de ce fait, chaque entreprise l’a intégré à son
rythme, parfois par obligation plus que par conviction, ce qui donne une diversité dans les
méthodes et le rythme de mise en œuvre.
Enfin, la fonction achats a évolué très vite ces dernières décennies. Il existe donc un écart
important entre les services achats « classiques » et ceux intégrant de nouvelles pratiques
de gestion. Cet écart est encore plus important si l’on y ajoute la dimension du DD. À ce
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

jour, les achats responsables sont surtout mis en place dans les grands groupes, dont le
capital « image » est important (cf. chapitre 10). Ceux-ci ont donc pris le temps d’effectuer
une réflexion stratégique dans le domaine des achats responsables et réclament maintenant
à leurs fournisseurs, des PME pour la plupart, de faire de même…

1. Site de PSA dédié au Développement durable : http://www.developpement-durable.psa.fr/


2. Site de Michelin dédié aux achats : http://www.michelin.com/purchasing/
259
Chapitre

Glossaire

ACTIVISME ACTIONNARIAL : Action consistant à utiliser les droits inhérents à la


qualité d’actionnaire, ceux notamment de disposer de droits de vote lors de l’assem-
blée générale annuelle afin d’accompagner et parfois obliger les sociétés cotées à
évoluer dans le sens d’un comportement éthique, social, environnemental ou dans le
sens de la promotion de nouvelles règles de gouvernance.
ALLOCATION DES RESSOURCES : L’allocation des ressources est un concept
économique qui concerne l’utilisation des ressources rares, notamment les facteurs
de production (travail, capital, matières premières), pour satisfaire à court et long
terme les besoins de consommation de la population.
ANALYSE DU CYCLE DE VIE : Méthode décrite dans la série des ISO 14040 et
consistant à évaluer les incidences environnementales qui découlent de la fabrication
d’un produit ou de la réalisation d’un processus pour toutes les étapes du cycle de
vie.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

AUDIT : Selon la norme NF EN ISO 19011:2002, l’audit se définit comme « un


processus systématique, indépendant et documenté permettant d’obtenir des preuves
et de les évaluer de manière objective pour déterminer dans quelle mesure les critè-
res d’audit sont satisfaits ». Ainsi, la preuve d’audit consiste en toute information,
enregistrement ou déclaration de faits vérifiables. Elle peut être quantitative ou
qualitative. Elle s’obtient à partir d’entrevues, d’observations in situ, d’examen de
documents, de mesures et d’essais. Elle vise à prouver que les critères d’audit sont
respectés.
BANQUES MUTUALISTES : Banque dont le capital est détenu sous forme de parts
sociales par des sociétaires selon le principe « un homme, une voix », indépendam-
ment du nombre de parts détenues. Il n’y a donc pas d’actionnaires.

261
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

CAPITAL DE MARQUE : Le capital de marque est défini comme étant la valeur


ajoutée qu’une marque apporte à un produit ou à une entreprise.
CERTIFICATION : L’Afnor (Agence française de normalisation) définit la certifica-
tion comme une « procédure par laquelle une tierce partie donne une assurance
écrite qu’un produit, une organisation, un processus, un service ou un personnel est
conforme à des exigences spécifiées dans un référentiel ». Ainsi, obtenir une certifi-
cation ISO 14001 garantit qu’une entreprise donnée a été auditée avec succès, par un
organisme certificateur externe accrédité, sur la mise en œuvre des exigences de la
norme ISO 14001. Bien sûr, la qualité de la garantie dépend de la qualité de l’audit.
COMPTABILITÉ DE DÉVELOPPEMENT DURABLE : Activité qui s’intéresse à la
détermination et la mesure des coûts et avantages, tant internes qu’externes, liés aux
pratiques de développement durable et qui vise la production de rapports quantitatifs
et/ou qualitatifs utiles à la prise de décision des gestionnaires et des parties prenan-
tes.
COÛTS EXTERNES : Coûts engagés par les parties externes par suite des impacts
des processus et des produits ou services sur l’environnement.
COÛTS INTERNES : Coûts engagés par une entreprise, de façon volontaire ou par
conformité, pour prévenir ou réduire les incidences environnementales de ses
processus et ses produits ou services, y compris les coûts engagés pour le non-
respect des exigences légales.
DÉCISION STRATÉGIQUE : Décision ayant une influence sur les métiers et les acti-
vités exercés par une entreprise et permettant de constituer un avantage concurren-
tiel face à ses concurrents.
DÉVELOPPEMENT DURABLE : Selon la commission Brundtland (1987), le déve-
loppement durable est « un développement qui permette aux générations présentes
de satisfaire leurs besoins sans remettre en cause les capacités des générations futu-
res à satisfaire les leurs ».
ECO-EFFICIENCE : Selon l’Afnor, l’éco-efficience d’une entreprise est atteinte par
la distribution de biens à un prix compétitif qui satisfasse les besoins humains et
apporte de la qualité de vie, tout en réduisant progressivement les impacts écologi-
ques et l’usage des ressources tout au long du cycle de vie.
ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE : Idée d’un management environnemental en réseaux
de dizaines, voire centaines d’entreprises. Son point fort serait à la fois d’améliorer
l’efficacité d’utilisation des matériaux et de l’énergie de manière bien plus impor-
tante que dans une approche individualiste du management environnemental - centré
sur une seule entreprise.
EFFICACITÉ ÉCONOMIQUE : État d’une économie qui obtient un rendement maxi-
mal de ressources limitées en considérant les coûts et les bénéfices découlant de
diverses décisions. C’est un concept plus général que l’efficacité technique.
EMAS (Environmental Management and Auditing Scheme) : L’EMAS est une
réglementation européenne élaborée en juin 1993. Elle pose les bases d’un système
262
Glossaire

de management environnemental (SME) et d’audit. La forme que doit prendre le


SME est réglementée mais l’engagement des entreprises repose sur le volontariat.
L’objectif était d’homogénéiser les différents cadres réglementaires et normatifs
nationaux susceptibles de déconcerter les entreprises. L’EMAS a été révisé en 2001
afin de rapprocher le règlement (EMAS) et la norme (ISO 14001).
EXCLUSION : Type d’analyse ESG – environnementale, sociale et de gouvernance
– qui consiste à filtrer les entreprises en fonction de leur implication dans une acti-
vité ou dans un pays, en général controversé, afin de générer une liste d’entreprises
qui seront exclues de l’univers d’investissement des gestionnaires de fonds.
EXTERNALITÉ : L’externalité ou effet externe désigne une situation économique
dans laquelle l’acte de consommation ou de production d’un agent influe positive-
ment ou négativement sur la situation d’un autre agent non impliqué dans l’action,
sans que ce dernier ne soit totalement compensé ou n’ait à payer pour les domma-
ges/bénéfices engendrés.
GLOBAL COMPACT ou PACTE MONDIAL : Initiative lancée par Kofi Annan, au
début de ce millénaire, ayant pour ambition de demander aux plus grandes firmes
multinationales de s’engager publiquement sur le respect de dix principes reposant
sur des normes internationalement reconnues telles les conventions de l’OIT, les
principes directeurs de l’OCDE, la Déclaration universelle des droits de l’Homme,
etc.
GLOBAL REPORTING INITIATIVE (GRI) : Initiative internationale visant à harmo-
niser des lignes directrices pour aider les entreprises à communiquer, dans leur
rapport annuel notamment, la manière dont elles intègrent le concept de développe-
ment durable à leur vision, leur mission, leur stratégie et à leur mode de manage-
ment.
GOUVERNANCE : Ensemble de dispositifs, règles, modes de fonctionnement déter-
minant la façon dont l’entreprise et ses dirigeants prennent les décisions. Elle est
symbolisée par la structure de l’actionnariat, la composition du conseil d’adminis-
tration et la direction exécutive et explique les comportements de ces différents
acteurs. Dans une conception plus large, les clients, les fournisseurs, les salariés,
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

l’état et la société en général influencent également la prise de décision.


GREENWASHING : Terme d’origine anglo-saxonne utilisé par les groupes de pres-
sion pour qualifier une entreprise communiquant fortement sur son positionnement
environnemental relativement aux résultats avérés.
INVESTISSEMENT SOCIALEMENT RESPONSABLE (ISR) : Investir de manière
« socialement responsable » consiste à intégrer des critères éthiques, sociaux, envi-
ronnementaux et/ou de gouvernance dans ses décisions d’investissement ou encore,
faire usage de ses droits de vote – directement ou indirectement – en tant que déten-
teur de titres ou gestionnaire de fonds afin de faire évoluer le niveau de RSE des
sociétés cotées.

263
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

MARKETING ÉTHIQUE : Le marketing éthique s’attache à prévenir les déborde-


ments du marketing en trouvant les moyens de s’assurer que les publicités sur un
produit ne comportent pas d’allégations excessives ou trompeuses.
MARKETING VERT : Le marketing vert consiste à mettre sur le marché des
produits et services ayant une valeur ajoutée environnementale ou sociale, puis à en
faire la promotion.
MARQUE : La marque se définit comme tout signe servant à distinguer les produits
et/ou services d’une entreprise de ceux proposés par ses concurrents.
MÉTHODE BIC (BEST-IN-CLASS) : Méthodologie d’analyse qui consiste à compa-
rer des entreprises et à les classer les unes par rapport aux autres au sein d’un même
secteur d’activité ; la proximité des métiers d’un secteur permettant de dégager des
enjeux communs et facilitant ainsi la comparaison entre les niveaux de performance
atteints.
NRE : L’article 116 de la loi sur les nouvelles régulations économiques – datant
du 15 mai 2001 – oblige les sociétés cotées à la Bourse de Paris à publier un rapport
sur la manière dont elles tiennent compte des considérations sociales et environne-
mentales de leurs activités.
PACTE MONDIAL : Voir GLOBAL COMPACT.
PARTIE PRENANTE (STAKEHOLDER) : Les parties prenantes se définissent comme
toute personne physique ou morale susceptible d’affecter ou d’être affecté par l’acti-
vité d’une organisation (Freeman, 1984). Il s’agit donc d’un ensemble très large
composé des salariés, des clients, des fournisseurs, des financeurs mais aussi des
pouvoirs publics, des médias, des associations et ONG, des riverains, etc.
PRI (PRINCIPLES FOR RESPONSIBLE INVESTMENT) : À la suite de l’initiative du
Global Compact, ensemble de principes proposés par les Nations unies pour les
investisseurs qui se veulent responsables. Les PRI ont pour ambition de permettre
l’intégration des critères ESG – environnementaux, sociaux et de bonne gouver-
nance – dans la finance traditionnelle et ainsi de leur faire dépasser le statut de niche,
qui est encore trop souvent le leur actuellement.
PRINCIPE DE PRÉCAUTION : Principe selon lequel l’absence de certitudes scienti-
fiques et techniques ne doit pas retarder l’adoption de mesures proportionnées visant
à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles pour l’environnement.
PRINCIPE POLLUEUR-PAYEUR : Le principe pollueur-payeur est un principe qui
consiste à faire prendre en compte par chaque acteur économique, les externalités
négatives de son activité : par exemple la pollution engendrée par la production d’un
bien. Son principe a été développé par l’économiste libéral A. C. Pigou au début des
années 1920 et l’idée du pollueur-payeur a été adoptée par l’OCDE en 1972.
RESPONSABILITÉ SOCIALE DE L’ENTREPRISE (RSE) : L’idée d’une RSE corres-
pond à une conception élargie de la responsabilité de l’entreprise qui s’exerce non
seulement vis-à-vis de ses actionnaires et de ses clients, mais plus globalement vis-
à-vis de l’ensemble de ses parties prenantes. Selon le livre vert des communautés
264
Glossaire

européennes (18/07/01), la RSE est considérée comme étant « l’intégration volon-


taire des préoccupations sociales et environnementales des entreprises à leurs activi-
tés commerciales et leurs relations avec les parties prenantes ». Il s’agit non
seulement de satisfaire pleinement aux obligations légales, mais aussi d’aller au-
delà et investir davantage dans le capital humain, l’environnement et les relations
avec les parties prenantes.
STAKEHOLDER : Voir PARTIE PRENANTE.
SYSTÈME DE MANAGEMENT ENVIRONNEMENTAL (SME) : Selon la norme NF
EN ISO 14001:2004, le SME se définit comme « (…) la composante du système de
management d’un organisme utilisée pour développer et mettre en œuvre sa politi-
que environnementale et gérer ses aspects environnementaux.
Note 1 : un système de management est un ensemble d’éléments liés entre eux,
utilisé pour établir une politique et des objectifs et atteindre ces objectifs.
Note 2 : un système de management comprend la structure organisationnelle, les
activités de planification, les responsabilités, les pratiques, les procédures, les procé-
dés et les ressources. ».
TAXE D’ÉMISSION : Une taxe d’émission est théoriquement la contrepartie moné-
taire pour chaque unité de polluant émise. Elle est payée à l’État afin de compenser
au moins une partie des dommages causés par le pollueur à la société.
TOTAL COST OF OPERATION (TCO) : dit coût total ou coût complet. Il prévoit
d’intégrer toutes les composantes du coût, y compris certaines composantes habi-
tuellement considérées comme exogènes par la comptabilité, dans le calcul du coût
total du bien ou du service. Ce calcul est généralement effectué par le service achat
lors de la comparaison des offres reçues de la part des fournisseurs, et il prend en
compte des données concernant le produit sur l’ensemble de son cycle de vie.
WBCSD : Le WBCSD est une association internationale permettant aux diri-
geants des 200 firmes multinationales, parmi les plus puissantes du monde, d’échan-
ger sur les expériences et manières d’envisager l’intégration des préoccupations DD
à leur politique de développement. Le WBCSD est également un organisme repré-
sentatif qui a pour mission de défendre les positions communes des FMN lors des
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

forums et sommets internationaux dédiés au DD.

265
Chapitre

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