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Diplôme national de master

Domaine - sciences humaines et sociales


Mention - histoire, histoire de l’art et archéologie
Spécialité - cultures de l’écrit et de l’image
Mémoire / juin 2011

Les romans-feuilletons dans la presse


lyonnaise (1870-1914).

Julie Salaün

Sous la direction de Monsieur Christian Sorrel


Professeur des universités – Université de Lyon 2, Directeur de la Recherche
Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier Monsieur Christian Sorrel qui m’a encadrée et
orientée tout au long de ce travail.

Je tiens également à remercier mes proches pour leurs conseils avisés et leur
relecture attentive.

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Résumé :

Ce travail porte sur l’étude des romans-feuilletons dans la presse lyonnaise.

Créés à l’origine par des journaux parisiens dans un but économique, ils

acquièrent progressivement une place dans la presse régionale. Les tendances

politiques des journaux imprègnent-elles la fiction ? L’écriture du roman-

feuilleton est-elle influencée par le support qui la contient ?

Descripteurs :
Presse au XIXe siècle ; Roman-feuilleton Paris ; Roman-feuilleton Lyon ; Troisième
République ;

Droits d’auteurs

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personnelles est prohibée.

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Sommaire

INTRODUCTION ..................................................................................................... 7
CREATION PARISIENNE ET PERENNITE LYONNAISE DU ROMAN-
FEUILLETON ........................................................................................................ 11
Des conditions de son émergence aux réactions des contemporains .................... 11
"Feuilleton" ou " roman-feuilleton" ? ................................................................. 11
Aux origines ...................................................................................................... 12
La réponse des autorités : du mépris à l'hostilité ............................................... 19
Le jugement esthétique ................................................................................... 19
La prise de position politique .......................................................................... 22
Importance quantitative du roman-feuilleton dans trois quotidiens lyonnais ..... 24
L'appropriation du roman-feuilleton par la presse lyonnaise ............................... 24
Étude quantitative .............................................................................................. 29
Le Salut public ............................................................................................... 30
Le Nouvelliste ............................................................................................... 33
Le Progrès ..................................................................................................... 37
Les titres des romans-feuilletons : une originalité ? ........................................... 43
UNE FICTION AU CONFLUENT DE LA LITTERATURE ET DU JOURNAL ... 47
Présentation des romans-feuilletons du corpus ................................................... 48
Résumés des neuf intrigues ................................................................................. 48
Étude des scénarios............................................................................................ 70
Le traitement des lieux dans les intrigues ............................................................ 72
Les incipits ........................................................................................................ 72
La pédagogie ..................................................................................................... 76
Un lien vivant entre les personnages et leur environnement ................................. 81
Les personnages ................................................................................................... 85
Les personnages principaux ............................................................................... 85
Le physique et le moral................................................................................... 86
Le passé des personnages ................................................................................ 96
Les protagonistes secondaires organisant l'intrigue .......................................... 100
La persécution ou l'affrontement inégal ......................................................... 100
De l'opposition des idéaux à l'association enrichissante ................................. 103
La rivalité amoureuse ................................................................................... 105
La place des personnages dans la hiérarchie sociale : une influence des
tendances politiques du journal ? ..................................................................... 112
La capture du lecteur ........................................................................................ 114
Un lectorat difficile à cerner ............................................................................ 115
"Pièges à lecteurs" ........................................................................................... 117
Les proverbes ............................................................................................... 117
Un univers saturé de signes ........................................................................... 118
Les répétitions et les rappels ou comment maintenir éveillée l'attention du
lecteur .......................................................................................................... 121
Adresses directes au lecteur .......................................................................... 125
CONCLUSION ...................................................................................................... 129
SOURCES ............................................................................................................. 131
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................ 133

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TABLE DES ANNEXES ........................................................................................ 139

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Introduction

Le XIXe siècle est marqué par un accroissement des titres de journaux. Au début de la
monarchie de Juillet, les journaux coûtent chers : il faut compter 80 francs pour un
abonnement annuel à un titre quotidien dans la capitale. Comparativement, le salaire d’un
ouvrier est à peine de 3 francs par jour. En parallèle, la loi Guizot du 28 juin 1833, qui
stipule notamment que « toute commune est tenue soit par elle-même soit en se réunissant
à une ou plusieurs communes voisines, d’entretenir au moins une école primaire
élémentaire »1, contribue à augmenter progressivement au cours des décennies suivantes le
nombre des lecteurs potentiels. Un problème se pose alors : comment permettre à toute une
frange de la population, qui a la pratique de la lecture, d’accéder à des journaux dont le
prix est trop élevé pour elle ? Deux hommes, qui ont conscience de ce marché à conquérir,
innovent en 1836 en utilisant l’engouement du public pour le roman, qui ne se dément pas
depuis le XVIIIe siècle : il s’agit d’Émile de Girardin et d’Armand Dutacq. L’équilibre de
leur formule repose sur un enchaînement de trois éléments : le roman-feuilleton séduit le
lectorat qui lui-même attire les annonceurs publicitaires qui financent en partie les
quotidiens. À l’origine, seules quelques nouvelles sont publiées de façon morcelée, mais
sans qu’elles acquièrent une réelle continuité. Chaque fragment se suffit à lui-même2.
Après quelques années, ce système, d’abord hésitant et réservé à quelques titres parisiens,
prend de l’ampleur. Le succès est au rendez-vous et avec lui le scandale : cette nouveauté
fait peur, indigne et réjouit tout autant. Ces réactions se poursuivent dans les décennies
suivantes et en 1856, dans une circulaire, le ministre de l’Intérieur considère toujours cette
littérature facile comme un danger : « les journaux sérieux se sont laissés aller à lui donner
asile ; elle pénètre avec eux jusque dans l’intimité du foyer domestique, et, une fois admise
ainsi dans la famille, ni la jeunesse, ni l’innocence n’y sont à l’abri de la contagion »3.
La période du Second Empire est un moment où la presse est entravée. En effet,
entre 1852 et 1868, tout nouveau titre avant de paraître devait obtenir une autorisation
préalable qui pouvait être refusée. Le droit de timbre, instauré en 1850, en élevant le
tarif des abonnements avait pour but de limiter l’accès à la presse au plus grand

1
Code de l'instruction primaire, Paris : P. Dupont, deuxième éd. 1834, partie 1, titre 3, article 9, p. 38.
2
Yvonne Knibiehler et Roger Ripoll, « les premiers pas du feuilleton : chronique historique,
nouvelle, roman » dans Europe : Le roman-feuilleton, n°542, juin 1974, p. 9.
2
Yvonne Knibiehler et Roger Ripoll, « les premiers pas du feuilleton : chronique historique,
nouvelle, roman » dans Europe : Le roman-feuilleton, n°542, juin 1974, p. 9.
3
Cité dans Frédéric Barbier et Catherine Bertho Lavenir, Histoire des médias : De Diderot à Internet,
Paris : Armand Colin, première éd. 1996, troisième éd. revue et complétée 2009 (U histoire), partie 1,
chap. 5, p. 122.

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nombre. Mais le roman-feuilleton, déjà bien installé dans le bas des pages des
quotidiens, perdure. Jusqu’à la fin du Second Empire de grands auteurs, comme
Honoré de Balzac ou Alexandre Dumas, vont ainsi publier leurs œuvres dans les
journaux, afin de se faire connaître et donc de vendre. En effet, la presse sert de
vitrine à une éventuelle publication en volumes. À partir de la décennie 1860, la
donne change et la presse peut retrouver une marge de manœuvre qu’elle n’avait pas
connue depuis la Seconde République. La Troisième République fonde ensuite son
triomphe sur une liberté presque totale de la presse périodique. La loi du 29 juillet
1881, qui instaure le régime le plus libéral de la presse existant alors en Europe ,
engendre une forte création de nouveaux titres. La presse lyonnaise, qui a une
influence importante à cette époque puisqu’elle se situe juste derrière la presse de la
capitale, s’empare de la formule du roman-feuilleton. Les quotidiens en province ne
sont pas récents puisqu’ils s’implantent dès la fin du Premier Empire 4. Mais le début
de la Troisième République est particulièrement favorable aux journaux des régions :
ils disposent d’avantages concernant les tarifs postaux, ce qui leur permet d’opposer
une concurrence sérieuse face aux titres parisiens.
La période qui court de 1870 à 1914 constitue ce que l’on peut considérer comme
étant l’âge d’or du roman-feuilleton. Sa place dans les journaux est désormais acquise
et les voix qui se sont élevées pour dénoncer cette « production à la vapeur »5 se sont
tues. Après 1914, avec l’importance grandissante du cinéma et d’autres modes
d’expression, le roman-feuilleton dans les journaux tend à décliner. Le cinéma
reprend d’ailleurs les grands succès des romans-feuilletons sous forme de « films-
feuilletons » avec des projections en épisodes hebdomadaires 6.
Mais cette production qui fait son apparition à l’origine dans un but économique
devient-elle un genre à part entière ? Le support acquiert-il une influence sur le roman-
feuilleton ou bien la fiction reste-t-elle entièrement détachée du média qui la diffuse ? Dans
les ouvrages que nous avons pu consulter sur le sujet, ces questions font polémiques. Pour
certains, il est inenvisageable d’extraire le roman-feuilleton du journal qui le contient et de
l’étudier en tant que tel, comme un roman7. Pour d’autres, le roman-feuilleton est une

4
Marc Martin, La presse régionale : des Affiches aux grands quotidiens, Paris : Fayard, 2002 (les
nouvelles études historiques), introduction, p. 10.
5
Alfred Nettement, Études critiques sur le feuilleton-roman. Deuxième série, Paris : Perrodil, 1846,
introduction, p. 12.
6
Anne-Marie Thiesse, Le roman du quotidien : Lecteurs et lectures populaires à la Belle Époque,
Paris : Le Chemin vert, 1984 (le temps et la mémoire), partie 1, p. 48.
7
Yvonne Knibiehler et Roger Ripoll, « les premiers pas du feuilleton : chronique historique,
nouvelle, roman » dans op. cit., p. 15.

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œuvre de fiction et qui par là même est détaché du monde journalistique et de la sphère des
informations qu’il véhicule8.
Pour tenter de répondre à ce questionnement, nous avons d’abord étudié dans quel
contexte le phénomène prenait naissance : nous avons donc analysé les différents
facteurs de l’émergence du roman-feuilleton dans la presse parisienne. Puis, pour
mesurer l’importance de la production du roman-feuilleton dans la presse lyonnaise,
nous avons réalisé une indispensable étude quantitative dans trois grands quot idiens
de tendances politiques différentes : Le Progrès, Le Nouvelliste, Le Salut public.
Notre but était de savoir si la place du journal sur la scène politique avait une
influence sur le fait de publier des romans-feuilletons. Ensuite, nous avons élaboré un
corpus de neuf romans-feuilletons afin d’étudier le contenu lui-même. Est-ce que
l’intrigue, ainsi que le choix des personnages mis en scène, dépendent des convictions
défendues par le journal ? Le roman-feuilleton serait-il une sorte de prolongement des
idées contenues dans les colonnes des journaux ? Pour sélectionner les six titres de
journaux dont les neuf romans-feuilletons sont issus, nous avons fait le choix de la
diversité. Nous devions en effet prendre en compte les différentes positions
politiques. Nous avons ainsi retenu : La Comédie politique, de tendance bonapartiste ;
L’Éclair, journal catholique et légitimiste ; Le Courrier de Lyon, titre orléaniste ;
L’Écho de Lyon ainsi que son successeur L’Écho du Rhône, de couleur républicaine ;
Le Peuple, quotidien socialiste. Nous avons choisi de sélectionner des titres plus
confidentiels que Le Progrès, Le Nouvelliste et Le Salut public. En effet, si les grands
journaux de la presse lyonnaise publient des romans-feuilletons, qu’en est-il des titres
à plus faible tirage ? Des difficultés d’ordre matériel, qui relèvent de l’objet étudié
lui-même ont pu survenir : rassembler les fragments d’une même fiction lorsque des
exemplaires sont manquants ou passablement détériorés relève de la gageure. De
plus, certaines fictions s’interrompaient avant la fin. En choisissant des titres
importants ainsi que des journaux ayant une envergure moindre, nous avons cherché à
représenter un panorama assez large de la presse lyonnaise de cette époque en vue
d’une étude des romans-feuilletons qui soit la plus représentative possible.

8
Marie-Ève Thérenty, « de la rubrique au genre : le feuilleton dans le quotidien » dans Marie-
Françoise Cachin, Diana Cooper-Richet, Jean-Yves Mollier, Claire Parfait (dir.), Au bonheur du
feuilleton : Naissance et mutations d’un genre, actes d’un colloque tenu en décembre 2004, Paris :
Créaphis, 2007 [s. c.], p. 68.

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Création parisienne et pérennité lyonnaise du
roman-feuilleton

DES CONDITIONS DE SON EMERGENCE AUX


REACTIONS DES CONTEMPORAINS

Avant d’étudier les romans-feuilletons publiés dans la presse lyonnaise afin


d’appréhender la place occupée par la fiction dans les journaux, nous devons évoquer
la naissance et le développement du phénomène en le replaçant dans son contexte de
création. Alors même que sa dénomination n’est pas encore fixée, le roman-feuilleton
subit déjà de virulentes attaques.

« Feuilleton » ou « roman-feuilleton » ?

En tout premier lieu, il nous faut définir les termes de « feuilleton » et de « roman-
feuilleton » afin de distinguer de façon claire ce que chacun de ces deux mots désignent. À
l’origine terme de typographie, le mot « feuilleton » sert à qualifier un « petit cahier
composé de huit pages »9 et de « format in-12 »10. Sa première utilisation est attestée, selon
le Dictionnaire historique de la langue française, vers 179011. En 1800, le Journal des
Débats publie un supplément littéraire quotidien intitulé Feuilleton du Journal des Débats.
C’est précisément le mode de publication particulier de ce supplément, qui va doter le
terme « feuilleton » de deux sens nouveaux. En effet, ce Feuilleton n’est pas un exemplaire
indépendant publié en plus du Journal des Débats : il vient s’insérer dans le bas des pages
du quotidien, ce qui conduit à un agrandissement du format de la feuille. Il existe ainsi
deux types d’exemplaires du Journal des Débats : l’un de format in-quarto sans le
Feuilleton ; l’autre de format in-folio avec le Feuilleton12. De plus, ce supplément publie
des articles qui traitent de théâtre. Ainsi, à partir de 1811, le terme « feuilleton » désigne à

9
Émile Littré, article « feuilleton », Dictionnaire de la langue française, tome 3, Chicago :
Encyclopaedia Britannica, 1991, p. 2467.
10
Paul Imbs (dir.), article « feuilleton », Trésor de la langue française, tome 8, Paris : Éd. du Centre
National de la Recherche Scientifique, 1980, p. 816.
11
Alain Rey (dir.), article « feuilleton », Dictionnaire historique de la langue française, Paris : Le
Robert, première éd. 1993, nouv. éd. 2010, p. 846.
12
René Guise, Le roman-feuilleton (1830-1848) : la naissance d’un genre, Lille : atelier de
reprographie des thèses de l’université Lille 3, 1985 (publications de l’A.N.R.T), 36 microfiches,
notes préliminaires, p. 32-33.

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la fois un « article de parution régulière au bas d’une page »13 et un « article de critique
littéraire paraissant régulièrement sous la signature du même auteur dans un journal »14.
Plus largement, il peut servir à désigner tout article non politique, traitant par exemple « de
philosophie ou de science »15, mais toujours publié dans l’espace du feuilleton.
Le terme de « roman-feuilleton » quant à lui, est forgé au moment de l’entrée de la
fiction dans la presse quotidienne. Lorsque ce phénomène prend de l’ampleur, il est
nécessaire de trouver un terme qui désigne cette nouvelle forme de publication, tout en
traduisant sa spécificité. « Roman-feuilleton » est ainsi choisi parmi d’autres néologismes,
comme par exemple le terme de « feuilleton-roman », employé par Alfred Nettement16.
Dans sa thèse, René Guise mentionne un article anonyme de l’Impartial, daté du 6
novembre 1833, qui décline les néologismes formés à partir du terme « feuilleton » : « le
feuilleton est une providence, le feuilletonisme, une religion, et le feuilletoniste, un apôtre
chargé de la plus belle mission envers la société »17. Le terme « roman-feuilleton » est par
la suite connoté négativement, puisqu’il désigne « tout récit d’aventures à rebondissements
imprévus, tout récit sentimental, conventionnel et mièvre, de caractère populaire et souvent
sans grande valeur »18.
La difficulté, pour la période qui nous intéresse, réside dans le fait que le « feuilleton »
peut être employé à la fois pour désigner l’espace typographique, mais aussi comme
synonyme de « roman-feuilleton », c’est-à-dire renvoyer à l’article qui se trouve dans cet
espace. Pour preuve, l’article intitulé « comment on lance un feuilleton »19, paru en 1907
dans L’Humanité et qui évoque la parution de romans-feuilletons. Le terme de « roman-
feuilleton », quant à lui, possède un sens plus restreint : il sert uniquement à qualifier une
œuvre de fiction publiée dans un journal, tout en mettant progressivement l’accent, au fil
des décennies, sur la faible qualité littéraire de cette œuvre.

Les origines

13
Alain Rey (dir.), op. cit., p. 846.
14
Pierre Larousse, Article « feuilleton », Grand Larousse universel, tome 6, Paris : Larousse,
première éd. 1983, éd. revue et corrigée 1989, p. 4238.
15
Paul Imbs (dir.), op. cit., p. 816.
16
Alfred Nettement, Études critiques sur le feuilleton-roman, Paris : Perrodil, 1847. L’ouvrage est
consultable sur Gallica.bnf.fr.
17
René Guise, Le roman-feuilleton (1830-1848) : la naissance d’un genre, Lille : atelier de
reprographie des thèses de l’université Lille 3, 1985 (publications de l’A.N.R.T), 36 microfiches,
notes préliminaires, p. 36.
18
Paul Imbs (dir.), op. cit., p. 816.
19
André Morizet, « Comment on lance un feuilleton », L’Humanité, 28 octobre 1907, p. 1. Ce numéro
est consultable sur Gallica.bnf.fr.

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Création parisienne et pérennité lyonnaise du roman -feuilleton

Le roman-feuilleton généralement considéré comme le tout premier du genre, est


La Vieille fille d’Honoré de Balzac, qui a été publié en 1836 dans un quotidien 20.
Pourtant, ce roman ne se situe pas dans l’espace du feuilleton 21, mais dans les
« Variétés » de La Presse, journal d’Émile de Girardin. Cette rubrique, qui s’étend de
la troisième à la quatrième page au-dessus des annonces publicitaires, appartient au
corps même du journal, c’est-à-dire à la partie dans laquelle se trouvent notamment
les articles politiques.
De plus, alors que 1836 est restée comme étant la date de consécration du roman -
feuilleton, Jean-Yves Mollier rappelle que dès 1830, La Revue des Deux Mondes,
fondée en août 1829, publie déjà des romans en livraisons 22 : il s’agit d’ouvrages
inédits qui paraissent intégralement mais de façon fragmentée. Ainsi, en 1831, cette
revue bimensuelle publie en deux livraisons 23 L’Enfant maudit de Balzac24. Le
Journal des Enfans, fondé en août 1832 par Lautour-Mézeray, publie dès le premier
mois d’existence de ce périodique mensuel, Les Aventures de Jean-Paul Choppart,
roman de Louis Desnoyers. Dans sa thèse, René Guise explique que le romancier
utilise déjà, pour susciter l’intérêt des lecteurs, des procédés qui seront employés par
les feuilletonistes quelques années après lui : il place par exemple les personnages
dans des situations problématiques qui ne seront résolues que dans les épisodes
ultérieurs, il fait des digressions pour allonger le récit ou résume longuement les
épisodes précédents25. Toutefois, même si cette fiction met en place des éléments
repris par la suite, Les Aventures de Jean-Paul Choppart n’a pas été retenue comme
première manifestation du roman-feuilleton. Ceci peut s’expliquer par le fait qu’il a
été publié dans un périodique s’adressant aux enfants : la formule devait encore être
étendue aux adultes.

20
Jean-Yves Mollier, « Aux origines du feuilleton dans l’espace francophone » dans Marie-Françoise
Cachin, Diana Cooper-Richet, Jean-Yves Mollier, Claire Parfait (dir.), Au bonheur du feuilleton :
Naissance et mutations d’un genre, Paris : Créaphis, 2007, p. 53.
21
Jacques Migozzi, « La révolution française du roman-feuilleton », dans op. cit., p. 82.
22
Jean-Yves Mollier, « Aux origines du feuilleton dans l’espace francophone » dans op. cit., p. 53.
23
Alain Vaillant et Marie-Ève Thérenty (dir.), Corinne Pelta (collab.) et al., « La fiction au-delà du
feuilleton » dans 1836 L’An I de l’ère médiatique : Étude littéraire et historique du journal La Presse
d’Émile de Girardin, Paris : Nouveau monde éd., 2001, partie 3, p. 240.
24
La Revue des Deux Mondes, Paris : au bureau de la Revue, 1831, t. 1, p. 134. Ce numéro est
consultable sur Gallica.bnf.fr.
25
René Guise, Le Phénomène du roman-feuilleton (1828-1848) : La crise de croissance du roman,
1975, partie 1, chap. 3, p. 331.

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Il faut attendre 1838 et la publication de Capitaine Paul d’Alexandre Dumas père
dans Le Siècle d’Armand Dutacq 26, pour voir le roman-feuilleton occuper l’espace du
rez-de-chaussée, autrement dit le bas de page, qu’il ne quittera plus jusqu’au XXe
siècle. Par conséquent, l’année 1836 qui a été retenue comme date des premières
manifestations du phénomène, ne marque pas le moment où les périodiques
entreprennent de publier une fiction divisée en épisodes, comme l’explique Louis
Desnoyers, rédacteur en chef chargé du domaine littéraire au Siècle : « ce mode de
publication par fragments successifs n’est pas un mode nouveau »27. En effet, ce
système est déjà connu et exploité essentiellement dans les revues. En revanche, « la
seule innovation, c’est de l’avoir appliqué en 1836 à la presse quotidienne » 28. De
plus, à partir de cette date, des fictions plus longues, c’est-à-dire dépassant la dizaine
29
d’épisodes, vont être publiées. Avec La Vieille fille, c’est un véritable « record »
qui est atteint : du 23 octobre 1836 au 4 novembre de la même année, le roman est
ainsi publié en douze livraisons dans La Presse.
Pourtant, l’idée de pouvoir concilier un long récit avec une présenta tion morcelée
n’émerge que lentement. C’est le roman-feuilleton Les Mystères de Paris d’Eugène
Sue, publié dans Le Journal des débats entre juin 1842 et octobre 1843, qui le
premier, fait l’expérience d’une « écriture de l’interminable » selon l’expression de
Jean-Claude Vareille 30. 1836 est aussi le moment où les fictions sont publiées avec
davantage de régularité : une seule interruption le 31 octobre pour La Vieille fille,
quand de longues absences sont à signaler pour Les Aventures de Jean-Paul Choppart
par Louis Desnoyers.
De 1838 à 1850 (et même un peu plus tard pour les journaux de province), romans
et articles de critique ayant pour thème la littérature, le théâtre ou les beaux-arts,
cohabitent ainsi dans l’espace du feuilleton, avant que les chroniques ne soient
définitivement chassées par des œuvres de fiction 31.

26
Frédéric Barbier et Catherine Bertho Lavenir, Histoire des médias : De Diderot à Internet, Paris :
Armand Colin, première éd. 1996, troisième éd. revue et complétée 2009 (U histoire), partie 2, chap.
2, p. 160. Capitaine Paul est publié du 30 mai au 23 juin 1838.
27
Louis Desnoyers, « Un peu d’histoire à propos de roman », article paru le 3 septembre 1847 dans
Le Siècle, et reproduit dans Lise Queffélec-Dumasy (textes réunis et présentés par), La Querelle du
roman-feuilleton : Littérature, presse et politique, un débat précurseur (1836-1848), Grenoble :
Ellug, 1999 (archives critiques), p. 126.
28
Ibid.
29
Alain Vaillant et Marie-Ève Thérenty (dir.), Corinne Pelta (collab.) et al., op. cit., partie 3, p. 240-
242.
30
Jean-Claude Vareille, Le roman populaire français (1789-1914) : idéologies et pratiques,
Limoges : Pulim, 1994 (littératures en marge), partie 3, chap. 2, p. 116.
31
Lise Queffélec-Dumasy (textes réunis et présentés par), op. cit., introduction, p. 6.

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Création parisienne et pérennité lyonnaise du roman -feuilleton

Il convient de s’interroger sur les conditions de l’émergence du roman-feuilleton,


qui naît au moment où une nouvelle formule de presse est créée, durant la décennie
1830.
Sous Charles X, le gouvernement du comte de Villèle (décembre 1821- janvier
1828), cherche à limiter la diffusion de la presse. Pour ce faire, il décide d’augmenter
de façon importante le tarif postal : la loi de 1827, qui entre en vigueur le 1 er janvier
1828, fait passer de deux à cinq centimes par feuille les frais de port pour les écrits
périodiques. Les journaux, pour continuer à exister, doivent augmenter le prix des
abonnements. Mais ils trouvent un autre moyen pour supporter cette nouvelle
dépense : augmenter le format de la feuille dans le but d’insérer davantage
d’annonces publicitaires dans le bas de la quatrième page 32. Cette pratique, qui paye
une partie du supplément imposé aux journaux, sera au cœur de la nouvelle formule
mise en place huit ans plus tard par Émile de Girardin.
Dans la décennie 1830, les contraintes techniques ne permettent pas encore
l’abaissement des coûts de production. À titre de comparaison, en 1856, les presses à
cylindres d’Hippolyte Marinoni effectueront le tirage de La Presse en deux heures33.
De plus, l’imprimeur doit utiliser des feuilles préalablement timbrées, en raison de la
législation qui impose aux journaux de payer un droit de timbre sur chacun des
exemplaires. Ainsi, ils doivent être imprimés séparément, ce qui augmente encore le
temps de production. Les transports restent aussi un obstacle : vers 1830, il faut 55
heures pour se rendre de Paris à Lyon. Ainsi, les journaux acheminés dans les villes
situées à plus de 400 kilomètres de Paris, arrivent avec deux jours de retard par
rapport à leur date de publication 34.
Du côté de la réception, le problème de l’agrandissement du lectorat se pose. Or, il ne
peut guère être étendu de façon importante : il y a 53 % d’analphabètes en 1832 en France,
et une partie de la population n’est pas francophone. La loi Guizot du 28 juin 1833 qui
stipule que « toute commune est tenue soit par elle-même soit en se réunissant à une ou
plusieurs communes voisines, d’entretenir au moins une école primaire élémentaire »35
n’aura une influence que quelques décennies plus tard. Certains ne peuvent s’abonner pour

32
Gilles Feyel (dir.), « La distribution des gazettes et des journaux » dans La distribution et la
diffusion de la presse du XVIIIe siècle au IIIe millénaire, Paris : Panthéon-Assas, 2002 (information
et communication), partie 1, chap. 1, p. 49.
33
Frédéric Barbier et Catherine Bertho Lavenir, op. cit., partie 2, chap. 2, p. 163.
34
Christophe Charle, Le siècle de la presse (1830-1939), Paris : Éd. Du Seuil, 2004 (l’univers
historique), chap.1, p. 28-29.
35
Code de l'instruction primaire, Paris : P. Dupont, deuxième édition 1834, partie 1, titre 3, article 9,
p. 38.

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des raisons financières. En majorité, les classes rurales sont ainsi exclues des abonnements,
alors qu’elles représentent 80 % de la population française36.
Par conséquent, au vu de ces contraintes d’ordre très différent, le seul élément qui
peut être modifié par les directeurs de journaux, et qui contribuerait à attirer de
nouveaux lecteurs, est le prix d’achat du journal. Jusqu’au Second Empire, la vente
au numéro est presque inexistante, car elle comporte un risque d’invendus, ce qui est
une charge trop importante pour les périodiques en raison du timbre apposé sur
chaque exemplaire. Les journaux sont donc diffusés majoritairement par abonnement,
les tirages étant limités au nombre d’abonnés 37. Mais pour diminuer le tarif de
l’abonnement, les journaux doivent trouver d’autres sources de financement, ce qui
implique de repenser tout le système.
C’est ce à quoi s’attelle Émile de Girardin (1802-1881), qui est considéré comme
le fondateur d’une nouvelle formule de presse. Le 5 avril 1828, il lance Le Voleur,
journal hebdomadaire à 22 francs par an, dont le titre énonce en quelque sorte le
programme : c’est ce que René Guise nomme un « journal reproducteur », et dont la
formule connaît un grand succès sous la monarchie de Juillet. Il se rédige « à coups
de ciseaux »38, autrement dit emprunte les articles publiés dans d’autres journaux.
Girardin fonde ensuite La Mode en octobre 1829, dont l’abonnement est déjà bon
marché puisqu’il est de 36 francs par an. Cette revue, comportant des gravures
lithographiques, publie des fictions ayant pour auteurs Eugène Sue ou Honoré de
Balzac, soit deux romanciers qui connaîtront le succès grâce notamment à la
publication de leurs œuvres en feuilletons.
Pour Émile de Girardin, le rôle de la presse doit être d’apporter une formation
politique à l’ensemble de la société. C’est pourquoi il cherche à créer une presse bon
marché qui peut toucher les classes sociales les moins aisées. Il lance ainsi en 1831 le
Journal des connaissances utiles, dont l’abonnement ne coûte que 4 francs par an39.

36
Christophe Charle, op. cit., chap. 1, p. 24.
37
Marc Martin, La presse régionale : des Affiches aux grands quotidiens, Paris : Fayard, 2002 (les
nouvelles études historiques), partie 1, chap. 6, p. 97.
38
René Guise, Le Roman-feuilleton (1830-1848) : La naissance d’un genre, Lille : atelier de
reprographie des thèses de l’université Lille 3, 1985 (publications de l’A.N.R.T), 36 microfiches,
notes préliminaires, p. 46.
39
Les informations biographiques concernant Émile de Girardin proviennent en majorité de l’ouvrage
d’Adolphe Bitard, article « Girardin », Dictionnaire général de biographie française et étrangère, p.
553-557.

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Girardin, grâce aux diverses publications qu’il a fondées, offre la possibilité


d’accéder à une culture, mais qui est essentiellement celle de la classe dominante 40.
Le lancement de La Presse, le 1 er juillet 1836, quotidien dont l’abonnement est de
40 francs par an (soit moitié moins que ceux des autres périodiques), parachève cette
forme d’éducation populaire. Mais divisé par deux, le prix d’achat de son nouveau
journal ne couvre même pas le prix de revient du quotidien 41. Ainsi, en prenant en
compte les frais de rédaction, de composition et d’administration, Girardin calcule
que 10 000 abonnements à 40 francs par an, produiront 360 000 francs de bénéfices,
mais coûteront, pour être produits, 510 000 francs. Soit une perte annuelle de 150 000
francs, qu’il faut combler 42. C’est pourquoi, Girardin compte sur les annonces
publicitaires pour compenser la perte de bénéfices liée aux abonnements. Mais pour
pouvoir exiger des annonceurs qu’ils versent des sommes plus élevées afin de figurer
dans le quotidien, La Presse doit leur assurer un « retour sur investissement » : le
journal doit leur offrir la garantie d’un lectorat plus vaste 43. Or, pour attirer les
lecteurs, rien de tel qu’un genre littéraire à la mode comme le roman. Le roman-
feuilleton fait donc partie intégrante de la nouvelle formule mise en place par Émile
de Girardin : c’est lui qui sert véritablement d’appât pour attirer les lecteurs et par
conséquent, les annonceurs 44.
Le choix de la fiction comme fondement de la nouvelle formule de presse est
facilité par la situation du roman sur le marché de la librairie. Certes, des éditions
abordables pour le plus grand nombre existent, mais elles sont réservées la plupart du
temps aux auteurs classiques du genre. Ce qui ne représente qu’une petite partie de la
production romanesque, qui dans son ensemble, n’est pas bon marché. Vers 1835, il
faut ainsi dépenser en moyenne 15 francs pour deux volumes in-octavo et 12 francs
pour quatre volumes in-12, sachant qu’un roman complet est souvent composé de
plusieurs volumes. Les romans restent chers car les entreprises d’éditions bon
marché, mises en place par certains éditeurs, sont infructueuses : ils ne parviennent
pas à faire connaître leur production à un public susceptible d’acheter les volumes. Il
existe aussi des revues qui publient déjà des œuvres de romanciers contemporains en
livraisons : La Revue des Deux Mondes ou La Revue de Paris. Mais le coût de leurs

40
René Guise, Le Phénomène du roman-feuilleton (1828-1848) : la crise de croissance du roman,
partie 1, chap. 5, p. 633.
41
Frédéric Barbier et Catherine Bertho Lavenir, op. cit., partie 2, chap. 2, p. 159.
42
Le numéro modèle de La Presse du 15 juin 1836, en p. 1 détaille ces chiffres. Cet exemplaire est
disponible sur Gallica.bnf.fr.
43
Christophe Charle, op. cit, chap. 2, p. 44.
44
Lise Queffélec-Dumasy (textes réunis et présentés par), op. cit., introduction, p. 6.

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abonnements les réserve à un lectorat aisé. Ainsi, les quotidiens prennent en charge
un marché délaissé par la librairie, ce qui facilite encore davantage la conquête des
feuilletons par le roman45.
Un autre journal est lancé sur le même modèle que celui de La Presse : il s’agit du
Siècle d’Armand Dutacq (1810-1856). Alors qu’il est avoué à Paris, Dutacq est
chargé de fonder un journal qui doit faire concurrence à La Gazette des Tribunaux : il
fait ainsi paraître Le Droit à partir de décembre 1835. Il s’associe ensuite avec Émile
de Girardin pour tenter de fonder un journal bon marché, mais les deux hommes
deviennent finalement rivaux 46. Dutacq, surnommé le « Napoléon de la presse »,
propriétaire du Charivari 47, fait paraître Le Siècle le 1 er juillet 1836, qui tout comme
La Presse, propose un abonnement à 40 francs pour Paris (48 francs en dehors).
Cette formule demande d’importants capitaux au départ, en raison des lois de
septembre 1835 qui imposent aux journaux un cautionnement élevé : « si le journal
ou écrit périodique paraît plus de deux fois par semaine […] le cautionnement sera de
cent mille francs »48. Ainsi, La Presse est une société au capital social de 800 000
francs en actions de 250 francs et Le Siècle a un capital de 600 000 francs en actions
de 200 francs49. Par là-même, l’entreprise est un pari audacieux, qui se révèle être une
réussite. En effet, La Presse tire à 23 000 exemplaires en 1845, tandis que Le Siècle
connaît un succès encore plus rapide avec 30 000 exemplaires dès 184050. Mais il faut
multiplier par trois ou par quatre le chiffre des abonnements pour obtenir celui des
lecteurs, car les abonnements sont souvent collectifs : toute une famille lit le même
journal. De plus, les cabinets de lecture, qui prêtent les exemplaires à de nombreux
lecteurs, ont aussi leurs propres abonnements. Ainsi, la naissance du roman-feuilleton
dans la presse quotidienne parisienne ne peut être dissociée de la création d’une
nouvelle formule de presse, qui elle-même résulte d’une prise de conscience d’un
marché à conquérir.

45
René Guise, Le Phénomène du roman-feuilleton (1828-1848) : La crise de croissance du roman,
1975, partie 1, chap. 5, p. 590-597.
46
François Montel, « Curiosités littéraires » dans le supplément littéraire du Figaro, n° 326, du
dimanche 4 juillet 1925, p. 2.
47
Gustave Bourdin, rubrique nécrologique à propos d’Armand Dutacq dans Le Figaro du jeudi 17
juillet 1856. Ce numéro ainsi que celui du supplément littéraire sont consultables sur Gallica.bnf.fr.
48
Henry Celliez, « Lois du 9 septembre 1835 », titre II, article 13, Code annoté de la presse en 1835,
Paris : Henriot, 1835, p. 87. Cet ouvrage est consultable sur Gallica.bnf.fr.
49
Christophe Charle, op. cit., chap. 2, p. 44.
50
Jean-Claude Yon, Histoire culturelle de la France au XIXe siècle, Paris : Armand Colin, 2010 (U
histoire), partie 1, chap. 3, p. 74.

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La réponse des autorités : du mépris à l’hostilité

La place de plus en plus importante que prennent les œuvres romanesques dans les
journaux, ainsi que le succès des quotidiens qui ont mis en place cette nouvelle
formule inquiètent les critiques littéraires et agitent la scène politique. Avant même la
fin de la décennie 1830, et alors que le roman-feuilleton ne touche pas encore un
public populaire, il subit déjà des attaques virulentes. Elles correspondent
principalement à deux grandes orientations, qui dépendent de la façon dont l’œuvre
romanesque est considérée : en tant que pratique publique ou comme pratique
esthétique 51. Cette intense polémique, à la tribune de la Chambre des députés ainsi
que dans les revues, dure jusqu’à la révolution de 1848 52. Nous nous proposons
d’étudier les principaux arguments avancés par les détracteurs du roman-feuilleton.

Le jugement esthétique

La Revue des Deux Mondes, qui défend une certaine culture des élites et du bon
goût, devient le fer de lance dans la contestation du roman -feuilleton53. Dirigée par
François Buloz, cette revue politique et littéraire la plus importante de la monarchie
de Juillet 54, accorde une large place aux articles de critique, afin de se démarquer des
autres magazines. Elle fait le lien entre monde des lettres et journalisme, en
rassemblant à la fois réflexions et critiques sur des sujets contemporains et sur des
discussions ayant trait à la littérature. Son rythme bimensuel lui permet de mener une
réflexion davantage en profondeur par rapport aux quotidiens, qui , par définition,
traitent surtout de l’immédiateté.
Sainte-Beuve (1804-1869), l’un des critiques les plus reconnus au XIXe siècle, met
sa plume au service de La Revue des Deux Mondes. Il est l’auteur notamment de
l’article intitulé « De la littérature industrielle », daté du 1 er septembre 1839, qui est

51
Lise Queffélec-Dumasy, « Du roman-feuilleton au feuilleton télévisé : mythe et fiction » dans
Jacques Migozzi (dir.), De l’écrit à l’écran : Littératures populaires : mutations génériques,
mutations médiatiques, Limoges : Pulim (Presses universitaires de Limoges), 2000 (littératures en
marge), p. 831.
52
Dominique Kalifa, La culture de masse en France, Paris : Éd. La Découverte, 2001 (repères), chap.
6, p. 100.
53
René Guise, Le Phénomène du roman-feuilleton (1828-1848) : la crise de croissance du roman,
partie 1, chap. 4, p. 389.
54
Gaschon de Molènes, « Revue littéraire » dans Lise Queffélec-Dumasy (textes réunis et présentés
par), La Querelle du roman-feuilleton : Littérature, presse et politique, un débat précurseur (1836-
1848), Grenoble : Ellug, 1999 (archives critiques), note de bas de page, p. 157.

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d’abord une réponse faite à la lettre adressée par Honoré de Balzac au rédacteur en
chef de La Presse, à propos de la défense de ses droits d’auteurs 55. Plus largement,
dans cet article, Sainte-Beuve dresse un panorama pessimiste de la littérature de son
temps. Toutefois, il expose de manière assez lucide les raisons qui ont encouragé les
journaux à s’emparer des œuvres romanesques. Trois ans avant le succès des
Mystères de Paris d’Eugène Sue, il perçoit ainsi l’action que le roman-feuilleton aura
sur la littérature.
Il nous faut rendre compte de toute la virulence que comporte le titre même de cet
article. L’adjectif « industriel », qui est employé pour qualifier la littérature contenue
dans la presse, a en effet un sens nettement plus péjoratif pour les contemporains de
Sainte-Beuve que pour nous aujourd’hui. Pour preuve, la définition qu’en donne le
dictionnaire de Napoléon Landais : les industriels sont « ceux qui s’adonnent à
l’industrie » c’est-à-dire les commerçants, pour qui « les moyens importent peu,
pourvu que ces moyens les fassent bien vivre »56. Ce que dénonce Sainte-Beuve en
employant cette expression, c’est la marchandisation de la littérature et la perte de
son caractère sacré, engendrées par la publication d’œuvres romanesques en
feuilletons. La littérature, tout comme les autres domaines artistiques, se veut
entièrement détachée de la question de la production et d’une conception mercantile
de l’œuvre 57. Or, le roman-feuilleton est précisément accusé de modifier le statut de
l’écrit, et de le changer en un simple objet industriel, dépourvu d’originalité. Le but
premier de cet objet, reproductible indéfiniment, serait ainsi d’assurer le succès
commercial. D’autres critiques vont dans le même sens que Sainte-Beuve.
Lise Queffélec-Dumasy a rassemblé dans un ouvrage intitulé La Querelle du
roman-feuilleton : Littérature, presse et politique, un débat précurseur (1836-1848),
les articles et discours des critiques littéraires, des romanciers et des hommes
politiques avançant des arguments pour ou contre cette nouvelle forme de production.
L’article de Jean-Baptiste Paul Gaschon, dit de Molènes (1821-1862), daté du 15
décembre 1841, y figure. Dans La Revue des Deux Mondes, le critique et romancier
55
La Presse du dimanche 18 août 1839, p. 3. Cette lettre de Balzac est mentionnée dans Isabelle
Tournier, « les livres de comptes du feuilleton (1836-1846) » dans Alain Vaillant (textes réunis et
présentés par), Mesure(s) du livre : colloque organisé par la Bibliothèque nationale et la Société des
études romantiques, Paris : Bibliothèque nationale, 1992 (les colloques de la Bibliothèque nationale),
p. 136.
56
Napoléon Landais, Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires français, Tome 2, Paris :
Didier, 1846, p. 77. Ce document est consultable sur Gallica.bnf.fr.
57
Lise Queffélec-Dumasy, « Du roman-feuilleton au feuilleton télévisé : mythe et fiction » dans
Jacques Migozzi (dir.), De l’écrit à l’écran : Littératures populaires : mutations génériques,
mutations médiatiques, Limoges : Pulim (Presses universitaires de Limoges), 2000 (littératures en
marge), p. 833.

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accuse les feuilletonistes d’être entrés dans une logique commerciale : « À présent
nos romanciers […] ont une nouvelle commencée dans un journal, une nouvelle à
moitié terminée dans un autre. Ils ressemblent à ces riches manufacturiers qui
surveillent à la fois plusieurs usines en pleine exploitation »58. Il donne la principale
raison qui, selon lui, pousse les auteurs à agir ainsi : « quel est donc le sentiment,
quelle est donc la pensée, qui chez les écrivains dont les tendances sont les plus
opposées s’expriment de la même manière, par une ardeur effrayante de production ?
C’est la pensée de l’argent, c’est l’amour du gain »59. Charles de Rémusat (1797-
1875), homme politique et écrivain, en arrive à la même conclusion : « las de voir que
tous les métiers enrichissaient, excepté le métier de l’esprit, il est trop certain que des
écrivains ont voulu prendre leur revanche »60.
Cette recherche par les feuilletonistes de la quantité, s’accompagne nécessairement
d’un abaissement de la qualité selon Paul Féval. Chargé de rendre compte , dans un
rapport présenté au ministre de l’Instruction publique, de la place et de l’influence du
roman dans la société, il explique : « en toutes choses, la loi est que l’élargissement
d’une surface amène l’abaissement proportionnel de son niveau »61. Cette nécessité
de produire vite, afin de suivre les rythmes de parution des journaux, conduit à
négliger le style, pour le député Chapuys-Montlaville : « on la [la langue] bouleverse,
on la surcharge, on ajoute des mots nouveaux, sonores mais vides, et, sans respect
pour la pudeur publique, on essaye d’introduire dans le dictionnaire l’argot du
bagne »62. Deux littératures sont ainsi distinguées : l’une légitime, qui se veut en
dehors des circuits commerciaux ; l’autre divertissante, de qualité moindre, et qui
envahit la presse63.
La virulence dont font preuves les critiques littéraires peut s’expliquer par le fait
que leur légitimité est directement remise en cause par le roman -feuilleton. En effet,
une forme de concurrence se développe autour de l’occupation de l’espace du

58
Gaschon de Molènes, « Revue littéraire » dans Lise Queffélec-Dumasy (textes réunis et présentés
par), La Querelle du roman-feuilleton : Littérature, presse et politique, un débat précurseur (1836-
1848), Grenoble : Ellug, 1999 (archives critiques), p. 181.
59
Gaschon de Molènes, « Revue littéraire » datée du 15 mars 1842 de La Revue des Deux Mondes
dans op. cit., p. 207.
60
Charles de Rémusat, « De l’esprit littéraire sous la Restauration et depuis 1830 » daté du 30 avril
1847 de La Revue des Deux Mondes dans op. cit., p. 252.
61
Sylvestre De Sacy, Paul Féval, Théophile Gautier, Édouard Thierry, Recueil de rapports sur les
progrès des lettres et des sciences en France : Rapport sur le progrès des lettres, Paris : Imprimerie
impériale, 1868, p. 44.
62
Chapuys-Montlaville, « discours à la Chambre des députés, le 6 avril 1847 » dans Lise Queffélec-
Dumasy (textes réunis et présentés par), op. cit., p. 109.
63
Lise Queffélec-Dumasy (textes réunis et présentés par), op. cit., introduction, p. 5.

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feuilleton, comme le constate Gérard de Nerval : « les journaux grandissent et la
critique s’amoindrit, l’espace lui manque, le sol se dérobe sous elle »64. Les critiques
littéraires ont de moins en moins l’occasion de s’exprimer dans les quotidiens et
doivent limiter leurs comptes-rendus aux revues. Une rivalité s’exerce également en
raison de la nature même des œuvres publiées : les articles de critique sont remplacés
progressivement par les romans d’auteurs contemporains, domaine jusque là réservé
aux seules revues.
Par conséquent, en attaquant ainsi l’aspect commercial de l’entreprise et en
dénonçant la médiocrité de la langue des feuilletonistes, les critiques littéraires visent
aussi à préserver leurs propres intérêts.

La prise de position politique

Dans la décennie 1840, un député se distingue par la véhémence de ses discours


contre le roman-feuilleton à la tribune de la Chambre. Il s’agit du baron Benoît-Marie
Chapuys-Montlaville (1800-1868), député de Saône-et-Loire de 1833 à 1848, et
appartenant à la gauche anti-dynastique. Dans son discours du 6 avril 1847, il
constate : « jusqu’à ce jour la presse était un pouvoir politique, un instrument de
règne à l’usage du peuple : on en a fait une industrie, on l’a mise en boutique, et, si ce
mouvement mercantile se continue, […] vous n’aurez plus ni presse sérieuse, ni
instrument politique, pour le service de l’opinion »65. Lise Queffélec-Dumasy, dans
son ouvrage, explique l’importance des journaux pour la parole politique, dans une
période où les partis politiques n’existent pas encore 66. La presse permet aux hommes
politiques de diffuser leurs idées bien au-delà de la sphère parlementaire, et de
toucher un vaste public. Ainsi, Chapuys-Montlaville considère le roman-feuilleton
comme une menace, car il concurrence cette parole politique, la seule qui soit
légitime : « est-il possible de tolérer que le choix de la feuille où l’on puise les
éléments de sa science ou de son opinion soit déterminé par un roman ? Ce serait le
moyen de mettre les romanciers au-dessus des hommes politiques ; ces messieurs
deviendraient les éducateurs de la société française »67.

64
Gérard de Nerval, « Sur la critique », L’Artiste : beaux-arts et belles-lettres, Tome 2, quatrième
série, Paris : aux bureaux de L’Artiste, 1844, p. 225. Ce document est disponible sur Gallica.bnf.fr.
65
Chapuys-Montlaville « discours à la Chambre des députés, le 6 avril 1847 » dans Lise Queffélec-
Dumasy (textes réunis et présentés par), op. cit., p. 105.
66
Lise Queffélec-Dumasy (textes réunis et présentés par), op. cit., introduction, p. 7.
67
Chapuys-Montlaville « discours à la Chambre des députés, 14 mars 1845 » dans Lise Queffélec-
Dumasy (textes réunis et présentés par), op. cit., p. 98.

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Autour des polémiques sur le roman-feuilleton, c’est donc plus largement la


concurrence entre sphère politique et monde littéraire qui se fait entendre. La pa role
politique étant celle qui fait appel à la raison, elle doit être davantage écoutée que la
parole romanesque, qui permet le développement d’une imagination sans limite, et
qui éloigne de la réalité : « l’illusion tue la réalité, enfante dans la pensée un monde
merveilleux qui dégoûte du monde réel » 68. Or, selon Chapuys-Montlaville, le roman-
feuilleton, qui est un divertissement quotidien, prime sur les informations politiques :
« aujourd’hui, en effet, on ne s’abonne plus à un journal à cause de son opi nion
semblable à la sienne : on s’y abonne, toutes couleurs indifférentes, suivant que le
feuilleton, passez-moi le mot, est plus ou moins amusant »69. Cette fiction dans la
presse quotidienne a pour conséquence de « détruire l’esprit politique en France » et
« de rendre les citoyens indifférents à la manière dont les affaires publiques sont
traitées »70.
Fondamentalement, le député n’accepte pas que le divertissement puisse s’insérer
dans la presse, au détriment de l’information politique. Il déplore que « le journal [ne
soit] plus ce qu’il était autrefois, une œuvre sérieuse, née d’une pensée politique »71,
avec une fonction essentiellement technique : celle d’informer de la marche du pays.
Il justifie sa prise de position en expliquant que « plus les mœurs d’un peuple sont
sévères, plus ses besoins sont simples, plus il lui est facile d’être paisible et libre. Et
c’est précisément parce que je désire sincèrement que ce pays entre […] dans les
voies pacifiques et profondes de la démocratie, et que la loi électorale réformée
appelle tous les citoyens à concourir directement ou indirectement au gouvernement,
qui doit être une œuvre commune, que je me préoccupe davantage de tout ce qui peut
altérer la sévérité des mœurs publiques » 72. Les héros de fictions détourneraient donc
les lecteurs de romans-feuilletons de l’espace politique, et les inciteraient à rester
passifs. L’imagination primant sur la raison, aurait ainsi la capacité de compromettre
leur avenir. L’ampleur prise par le roman-feuilleton inquiète les députés, qui
réclament des mesures contre les journaux publiant des fictions sous cette forme. Ils
obtiennent gain de cause avec l’amendement Riancey, daté du 16 juillet 1850, qui

68
Ibid.
69
Ibid.
70
Chapuys-Montlaville « discours à la Chambre des députés, le 6 avril 1847 » dans Lise Queffélec-
Dumasy (textes réunis et présentés par), op. cit., p. 106.
71
Eugène Hatin, Histoire politique et littéraire de la presse en France. Tome 8, Paris : Poulet-
Malassis et de Broise, 1861, p. 574. Ce document est consultable sur Gallica.bnf.fr.
72
Chapuys-Montlaville, « discours à la Chambre des députés, le 13 juin 1843 » dans Lise Queffélec-
Dumasy (textes réunis et présentés par), op. cit., p. 84-85.

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prévoit que « tout roman-feuilleton publié dans un journal ou dans un supplément
sera soumis à un timbre à un centime par numéro »73. Mais cet amendement sera
supprimé dès 1852.
Par conséquent, les principaux reproches adressés au roman-feuilleton, alors même
qu’il n’en est qu’à ses balbutiements, sont à la fois d’ordre littéraire et politique. Ils
mettent l’accent sur la marchandisation de la littérature et sur ses conséquences.
« Cette production à la vapeur »74 divertit, au sens étymologique, c’est-à-dire
détourne les lecteurs de préoccupations utiles à l’espace public. Le rôle même du
journal est bouleversé : il ne fait plus seulement appel à l’intelligence, mais il doit
aussi s’adresser à la sensibilité du lecteur75. Malgré ces violentes attaques, venant de
la scène politique comme du monde des critiques littéraires, le roman -feuilleton se
maintient dans l’espace du rez-de-chaussée et perdure pendant plusieurs décennies. Il
n’est plus réservé aux seuls journaux parisiens, et s’intègre progressivement aux
périodiques de province.

IMPORTANCE QUANTITATIVE DU ROMAN-


FEUILLETON DANS TROIS QUOTIDIENS LYONNAIS

Avant de mesurer la place prise par le roman-feuilleton dans les titres lyonnais,
nous devons nous interroger sur les différents facteurs qui ont permis aux journaux de
province de s’approprier le modèle parisien.

L’appropriation du roman-feuilleton par la presse


lyonnaise

Entre 1870 et 1914 à Lyon, le nombre de journaux augmente très fortement : 1297
nouveaux titres sont créés76. Alors que le département du Rhône compte moins d’un
million d’habitants en 1866 (700 000 habitants), il voit ainsi fleurir un nombre très

73
Article 14, titre 2 de l’amendement, cité dans Jean-Yves Mollier, La Lecture et ses publics à
l’époque contemporaine : essais d’histoire culturelle, Paris : Presses Universitaires de France, 2001
(le nœud gordien), partie 2, chap. 3, p. 87.
74
Alfred Nettement, Études critiques sur le feuilleton-roman, Deuxième série, Paris : Perrodil, 1846,
introduction, p. 12.
75
Gilles Feyel, La presse en France des origines à 1944 : Histoire politique et matérielle, Paris :
Ellipses, 1999 (infocom), partie 2, p. 111.
76
Marc Jampy, « La construction de frontières dans le milieu journalistique lyonnais aux débuts de la
Troisième République » dans Ivan Chupin et Jérémie Nollet (dir.), Journalisme et dépendances,
Paris : L’Harmattan, 2006 (cahiers politiques), p. 87.

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important de feuilles périodiques77. Cette diversité de titres à Lyon est une situation
qui est ancienne : dès 1847, Lyon propose entre cinq et huit journaux pour 100
habitants, tandis que la moyenne nationale est de 3,2 journaux pour 100 habitants 78.
De plus, les périodiques politiques sont très nombreux, et couvrent tout le spectre de
la vie publique lyonnaise 79. En parallèle, durant cette période, l’augmentation du
nombre de titres s’accompagne d’une hausse des tirages des journaux. C’est pourquoi
cette période est considérée comme un véritable âge d’or de la presse.
L’assouplissement de la législation est un des facteurs qui encourage la publication
de nouveaux titres. En effet, la loi du 11 mai 1868 marque une première étape dans la
libéralisation de la presse. Elle met fin à l’autorisation préalable, qui devait être
demandée lors de la création d’un journal et qui pouvait être refusée. Celle -ci est
remplacée par une simple déclaration. Le système des avertissements disparaît, et le
droit de timbre est réduit à trois centimes pour la publication des journaux grands
formats en province 80. Le cautionnement est malgré tout conservé 81. Il s’agit d’une
somme d’argent que les journaux doivent verser pour avoir le droit de paraître .
Instauré par la loi du 9 juin 1819, le montant du cautionnement diffère selon la
périodicité et les départements : il est, dans le Rhône, de 12 000 francs pour les
quotidiens et de 6000 francs pour les hebdomadaires. Supprimé en 1870, il sera remis
en place le 6 juillet 1871 82. Ainsi, la presse retrouve une certaine liberté, qui avait été
entravée durant le Second Empire. Mais cette période est de courte durée. En effet,
après la Commune, l’état de siège qui est maintenu à Lyon jusqu’au 4 avril 1876,
empêche toute création de nouveaux titres 83. De plus, la majorité des journaux sont
soumis à l’arbitraire des autorités militaires, qui peuvent contrôler la diffusion de la
presse84.

77
Bibliothèque nationale de France, département des périodiques, Bibliographie de la presse
française politique et d’information générale de 1865 à 1944. 69, Rhône, Paris : Bibliothèque
nationale, 1966, préface, p. 7.
78
Christophe Charle, Le siècle de la presse (1830-1939), Paris : Éd. Du Seuil, 2004 (l’univers
historique), chap. 1, p. 26.
79
André Pelletier, Jacques Rossiaud, Françoise Bayard (dir.) et al., Histoire de Lyon : des origines à
nos jours, Lyon : Éd. lyonnaises d’art et d’histoire, 2007, livre 4, chap. 3, p. 730.
80
Marc Martin, La presse régionale : des Affiches aux grands quotidiens, Paris : Fayard, 2002 (les
nouvelles études historiques), partie 2, chap. 8, p. 125.
81
Gilles Feyel, La presse en France des origines à 1944 : Histoire politique et matérielle, Paris :
Ellipses, 1999 (infocom), partie 2, p. 81.
82
Marc Jampy, « La construction de frontières dans le milieu journalistique lyonnais aux débuts de la
Troisième République » dans op. cit., p. 88.
83
Gilles Feyel (dir.), La distribution et la diffusion de la presse du XVIIIe siècle au IIIe millénaire ,
Paris : Panthéon-Assas, 2002 (information et communication), partie 2, chap. 1, p. 146.
84
Marc Martin, op. cit., partie 2, chap. 8, p. 129.

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Entre 1880 et 1890, le nombre de quotidiens à Lyon coûtant 10 ou 15 centimes
diminue de moitié, alors que dans le même temps, celui des journaux à 5 centimes
(soit 1 sou, la plus petite pièce de monnaie existante) triple, rendant plus facile
l’accès des classes les moins aisées à la presse. La multiplication des journaux durant
cette période s’explique par le fait que dans les départements, ce sont eux les acteurs
privilégiés des campagnes électorales 85. Cette floraison de périodiques est aussi la
conséquence directe de la loi du 29 juillet 1881, qui met en place la législation la plus
libérale existant alors en Europe. Pour la première fois en France depuis 1789, une loi
sur la presse est adoptée, non pas dans le but de limiter sa liberté d’expression, mais
seulement de fixer les règles propres à son exercice : avant de commencer à publier
un nouveau périodique, « il sera fait au parquet du Procureur de la République, une
déclaration contenant : le titre du journal ou écrit périodique et son mode de
publication ; le nom et la demeure du gérant ; l’indication de l’imprimerie où il doit
être imprimé »86. La presse ne dépend plus du ministère de l’Intérieur mais de la
Justice. Le cautionnement est supprimé, ce qui réduit les coûts de fondation du
journal. Les rôles sont redistribués : le gérant, considéré comme responsable devant
les tribunaux, devient la figure principale de la rédaction.
En 1914, il existe 252 titres régionaux contre 179 en 1874 87. Les journaux se
diversifient progressivement pour satisfaire une clientèle plus nombreuse et moins
homogène. On distingue alors deux types de presse : les petits et les grands formats.
La presse populaire ou petite presse non politique, naît avec Le Petit Journal, lancé le
2 février 1863. Fondé par Moïse Polydore Millaud (1813-1871), ce quotidien est
vendu au prix exceptionnellement bas de 5 centimes. L’autre innovation proposée par
ce titre, réside dans le fait de vendre le journal au numéro et non par abonnement,
comme c’était la règle jusqu’alors 88. Cette presse de divertissement est appelée petite
presse en raison de son format, qui à l’origine est de 30 x 43 cm, le texte se
répartissant sur quatre colonnes et sur quatre pages. À la fin de la décennie 1880, la
taille des exemplaires augmente et passe à 43 x 52 cm, avec cinq colonnes. Un
périodique de petit format présente l’avantage de pouvoir être lancé avec un faible

85
Ibid.
86
Loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, Paris : Dubuisson, 1881, chap. 2, art. 7, p. 5. Ce
document est consultable sur Gallica.bnf.fr.
87
Christophe Charle, op. cit., chap. 6, p. 137.
88
Jacques Migozzi, Boulevards du populaire, Limoges : Pulim (Presses Universitaires de Limoges),
2005 (Médiatextes), chap. 3, p. 73.

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capital et d’être moins cher ensuite à produire 89. De plus, un décret du 28 mars 1852
exempte du droit de timbre les journaux non-politiques90.
Cette petite presse s’oppose à la grande, qui diffuse des informations politiques et
qui doit donc s’acquitter du timbre. À la fin de la décennie 1830, ces feuilles
politiques mesurent 40 x 56 cm, et les informations s’étalent sur quatre colonnes et
sur quatre pages. Vers 1845, le format passe à 43 x 60 cm, puis en 1850, les pages
comportent six colonnes. Mais à partir de 1890, la plupart des journaux, avec des
augmentations successives à la fois de leur format et du nombre de pages pour
permettre de multiplier les rubriques et de diversifier le contenu, se rapprochent de la
taille de la grande presse. La petite se distingue alors de la grande par son style et son
contenu satirique91.
Progressivement, les journaux de province se confondent avec ceux de Paris :
format identique, mêmes nouvelles politiques, les informations locales occupa nt peu
de place92. Cette presse régionale peut ainsi, dès la fin du Second Empire,
concurrencer la presse parisienne qui est lue dans les grands centres régionaux, et
peut même la supplanter. Les journaux de province bénéficient pour ce faire d’un
avantage économique, puisque l’expédition des journaux des abonnés par la poste,
coûte deux fois moins chère pour les envois à l’intérieur du département, que les
envois des titres parisiens en province. Ainsi, à format et à contenu égal, les journaux
régionaux sont moins onéreux que ceux de Paris 93.
Les journaux des départements possèdent eux-aussi un espace du feuilleton voué à
des sujets non politiques. Sa taille est constante quelque soit le quotidien : il occupe
approximativement 25% de la surface de la page 94. Les directeurs de journaux de
province peuvent, comme les titres parisiens, insérer des articles de critique théâtrale.
Mais les événements de la vie culturelle locale sont souvent trop peu nombreux pour

89
Marc Martin, op. cit., partie 2, chap. 11, p. 172.
90
Gilles Feyel, La presse en France des origines à 1944 : Histoire politique et matérielle, Paris :
Ellipses, 1999 (infocom), partie 2, p. 80.
91
Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral, Fernand Terrou (dir.), Histoire générale de la
presse française. Tome 3. De 1871 à 1940, Paris : Presses Universitaires de France, 1972, partie 3,
chap. 2, p. 175.
92
Marc Martin, Médias et journalistes de la République, Paris : Jacob, 1997 (histoire, hommes,
entreprises), chap. 3, p. 92.
93
Ibid.
94
Anne-Marie Thiesse, Le roman du quotidien : Lecteurs et lectures populaires à la Belle Époque,
Paris : Le Chemin vert, 1984 (le temps et la mémoire), partie 2, p. 88.

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nourrir quotidiennement cette surface. La presse reprend donc le système du roman
publié en livraisons quotidiennes, soit le roman-feuilleton95.
Vers 1875, des maisons spécialisées dans la commercialisation des romans-
feuilletons aux journaux font leur apparition. Le rédacteur d’un journal régional
achète, sur catalogue, des fictions déjà parues dans les journaux parisiens, et profite
ainsi d’un tarif dégressif. Plus les republications pour un roman -feuilleton se
multiplient, et plus son prix baisse. Pour 320 à 400 francs par an, un titre de province
peut ainsi s’abonner pour 300 ou 400 feuilletons, ce qui représente entre six à dix
romans complets. Le rez-de-chaussée revient donc à environ 1 franc par jour, ou 2
francs s’il y a deux romans-feuilletons. Mais les noms d’Honoré de Balzac,
d’Alexandre Dumas ou d’Eugène Sue, n’apparaissent pas dans les feuilles de
province, car les éditeurs parisiens se réservent les éditions en volume après une seule
publication dans un journal 96. Ces maisons spécialisées fournissent aux acheteurs non
le texte, mais le clichage c’est-à-dire le texte composé, prêt à être utilisé par
l’imprimerie. Les rédactions régionales économisent ainsi le temps de composition.
Les plus connues parmi de nombreuses maisons, sont la Société des gens de lettres et
l’agence Havas.
La Société des gens de lettres, fondée par les journalistes eux-mêmes le 28 avril
1838, a pour objectif principal d’empêcher la reproduction incontrôlée de romans-
feuilletons dans des journaux de province 97. Pour être admis dans cette Société, les
auteurs doivent répondre à deux critères : la valeur littéraire de leurs œuvres, et la
« valeur sociale », c’est-à-dire l’importance des droits de reproduction qui leurs sont
consentis. La Société tire en effet ses ressources à la fois des cotisations versées par
ses membres, mais aussi des commissions proportionnelles aux droits de reproduction
touchés par les écrivains. Or, ceux qui bénéficient de droits de reproduction élevés,
sont précisément les romanciers qui destinent leurs œuvres à la presse, c’est -à-dire les
feuilletonistes. De plus, ces auteurs, qui cherchent à revendre leurs récits à des
journaux ne pouvant acheter les inédits, trouvent dans la Société des gens de lettres,
une instance qui contrôle les rééditions et les agissements des éditeurs98.

95
Marc Martin, La presse régionale : des Affiches aux grands quotidiens, Paris : Fayard, 2002 (les
nouvelles études historiques), partie 1, chap. 7, p. 110.
96
Ibid.
97
Frédéric Barbier et Catherine Bertho Lavenir, Histoire des médias : De Diderot à Internet, Paris :
Armand Colin, première éd. 1996, troisième éd. revue et complétée 2009 (U histoire), partie 1, chap.
5, p. 109.
98
Anne-Marie Thiesse, op. cit., partie 3, p. 230.

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L’agence Havas, fondée en 1835 par Charles Henri Havas, domine le marché grâce
au développement de deux branches d’activité : l’information et la publicité.
L’utilisation à grande échelle du télégraphe lui permet de recevoir rapidement les
informations. Elle sait se rendre indispensable et progressivement, « elle s’est
attachée la clientèle des journaux de tous pays et de toutes opinions »99. Pour éviter
que ses clients ne s’adressent à d’autres agences, Havas diversifie ses prestations en
créant un service de distribution de romans-feuilletons100. Avec l’entrée du roman-
feuilleton dans cette technique de commercialisation, la fiction devient une
information comme une autre.
Par conséquent, les journaux lyonnais, comme ceux des autres régions, ont pu
s’approprier le modèle des feuilles parisiennes, dans lequel le roman-feuilleton joue
un rôle essentiel, grâce à deux facteurs principaux : une législation qui facilite la
création et la publication de nouveaux titres ; un tarif postal avantageux qui permet
un développement de la concurrence entre la capitale et les régions, au profit de ces
dernières.

Étude quantitative

Afin de mesurer l’importance des romans-feuilletons dans la presse lyonnaise,


nous avons sélectionné trois grands titres de quotidiens : Le Nouvelliste, Le Progrès
et Le Salut public. Nous avons fait le choix de ces trois titres en raison de leurs
tendances politiques très opposées. En effet, Le Nouvelliste, est un organe catholique
et monarchiste, Le Progrès est un quotidien républicain et Le Salut public présente
une orientation politique conservatrice de centre droit. Ces journaux sont ainsi
représentatifs, pour l’époque, des grandes tendances politiques ayant une influence
dans la ville.
Ils ont été fondés durant trois décennies différentes, il a donc fallu trouver une
période de publication commune pour pouvoir comparer leurs romans-feuilletons,
tout en prélevant des échantillons suffisamment éloignés dans le temps pour
permettre de constater d’éventuelles évolutions. Ainsi, nous avons choisi d’ examiner,
pour chacun de ces quotidiens, tous les numéros publiés en 1880, 1896 et 1910 sur

99
Jules Lermina (dir.), article « Havas », Dictionnaire universel illustré, biographique et
bibliographique, de la France contemporaine, Paris : Boulanger, 1885, p. 752.
100
Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral, Fernand Terrou (dir.), op. cit, partie 3, chap. 2,
p. 288.

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l’année entière. 1880 se situe juste avant l’entrée dans l’ère industrielle de la presse
de province, et marque le moment où le journal quitte sa conception artisanale 101.
Après 1881, les rédactions s’étoffent (elles passent de deux ou trois rédacteurs à une
dizaine) et se professionnalisent, l’augmentation des tirages nécessite des moyens
techniques plus importants, et la presse devient une entreprise complexe qui se
confond avec la grande industrie 102. Après 1900, en ce qui concerne l’importance des
tirages de ces journaux, l’écart se creuse. Il peut donc être intéressant d’observer les
différents choix faits par les rédactions pour la publication des romans-feuilletons.
Nous avons recensé tous les romans-feuilletons, c’est-à-dire les œuvres de fiction
parues dans l’espace du feuilleton, publiés au cours de 1880, 1896 et 1910. Pour les
récits qui courent sur deux ans, nous avons décidé de tenir compte de ceux qui
commencent avant le 1 er janvier de l’année étudiée. Chaque épisode étant numéroté,
nous considérons que le nombre indiqué dans le dernier épisode publié correspond au
nombre total de fragments. Pour les romans-feuilletons se poursuivant après le 31
décembre de l’année étudiée, nous ne disposons pas du nombre total d’épisodes, c’est
pourquoi nous ne les prenons pas en compte.
Le but de cette étude quantitative est de mesurer l’importance du roman-feuilleton
dans ces trois quotidiens et d’observer les différences et similitudes qui peuvent
exister, aussi bien d’un quotidien à l’autre, que d’une décennie à l’autre pour un
même journal. Dans un second temps, nous nous intéresserons aux titres des fictions,
toujours dans le but de mettre à jour cohérence et disparité 103.

Le Salut public

Fondé le 13 mars 1848 à Lyon, ce quotidien conservateur vendu 15 centimes le


numéro, est imprimé par Jean-François Chanoine. Il porte comme sous-titre « journal
de Lyon, quotidien, politique et littéraire ». Ce « vieux journal d’affaires, organe de
la bourse et de l’évêché »104, défendant « l’ordre dans la liberté »105 a longtemps
comme directeur Max Grassie (1816-1871). Le Salut public succède au journal Le

101
Marc Martin, La presse régionale : des Affiches aux grands quotidiens, Paris : Fayard, 2002 (les
nouvelles études historiques), partie 2, chap. 11, p. 169.
102
Christophe Charle, Le siècle de la presse (1830-1939), Paris : Éd. Du Seuil, 2004 (l’univers
historique), introduction, p. 15.
103
Nous reproduisons en annexe 1 les informations relatives aux romans-feuilletons publiés durant
ces trois années dans les trois quotidiens.
104
Pierre Albert (présentés par), Documents pour l’histoire de la presse de province dans la seconde
moitié du XIXe siècle, Paris : Centre de documentation sciences humaines, Éd. du CNRS, [1973]
(documentation), p. 109.
105
Henri Avenel, Annuaire de la presse française et du monde politique, Paris : [Annuaire de la
presse], 1899, p. 656.

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Rhône fondé en 1841, et n’est distribué que dans l’agglomération lyonnaise 106. Avec
ses 7000 exemplaires par jour durant la décennie 1850, il représente le plus important
tirage de province 107. En 1859, les bureaux de la rédaction déménagent au 33 rue
Impériale, puis en 1892 au 71 rue Molière où la rédaction, l’imprimerie et la papeterie
sont rassemblées108. Au début des années 1880, le quotidien se dote d’une antenne
parisienne 109, et il est en lien avec la Société des gens de lettres 110. En 1885, au prix
de 10 centimes le numéro (ce sera 5 centimes en 1910), le tirage atteint 10 000
exemplaires par jour, avant de diminuer vers 1900. Il n’est plus alors qu’un journal
d’abonnés, destiné à la bourgeoisie commerçante et industrielle, soit un lectorat très
ciblé111. Le prix de l’abonnement entre 1880 et 1910 ne cesse de baisser : pour six
mois à Lyon il est d’abord de 20 francs, puis de 18 en 1896, et de 10 francs en 1910.
Ce quotidien du soir conserve malgré tout une place importante dans le paysage de
la presse lyonnaise, en raison de la qualité de ses chroniques politiques, littéraires et
surtout économiques et financières 112. Sous le Second Empire, le journal « a marché
d’accord avec la préfecture »113, c’est-à-dire qu’il a soutenu le régime en place. Puis il
a défendu la politique de l’Ordre moral. À la fin du siècle, il adopte une ligne
éditoriale conservatrice, proche des milieux d’affaires, tout en refusant les
extrêmes114. Il disparaît le 23 août 1944.
Du 1 er au 31 décembre 1880, dix romans-feuilletons sont publiés dans Le Salut
public, dont un se poursuit en 1881, et n’est donc pas pris en compte. Ces fictions ont
été écrites par neuf auteurs différents et occupent le feuilleton situé à la première
page. Sur ces dix récits, trois comportent moins de dix épisodes, cinq sont compris
entre dix et cinquante épisodes, un est composé de plus de cent épisodes. Nous
remarquons la présence de quelques articles de critique théâtrale dans l’espace du
feuilleton, le 20 et 28 janvier, ainsi que le 9 mars. L’existence déjà quasi nulle de la
critique, disparaîtra totalement dans la décennie suivante. Les romans-feuilletons sont

106
Patrice Béghain, Bruno Benoit, Gérard Corneloup [et al.], article « Le Salut public », Dictionnaire
historique de Lyon, Lyon : Bachès, 2009, p. 1205.
107
Marc Martin, op. cit., partie 1, chap. 6, p. 88.
108
Patrice Béghain, Bruno Benoit, Gérard Corneloup [et al.], article « Le Salut public », op. cit., p.
1205.
109
Marc Martin, op. cit., partie 2, chap. 10, p. 151.
110
Henri Avenel, op. cit., p. 656.
111
Marc Martin, op. cit., partie 2, chap. 11, p. 165.
112
Patrice Béghain, Bruno Benoit, Gérard Corneloup [et al.], article « Le Salut public », op. cit., p.
1205.
113
Pierre Albert (présentés par), op. cit., p. 110.
114
Patrice Béghain, Bruno Benoit, Gérard Corneloup [et al.], article « Le Salut public », op. cit., p.
1205.

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publiés de façon régulière : sur l’année, seuls neuf numéros ne comportent pas
d’épisode d’une œuvre de fiction. Ces interruptions se situent le plus souvent entre la
fin d’un roman-feuilleton et le début de l’histoire suivante. Ainsi, les fictions sont
publiées les unes après les autres, mais jamais simultanément. Chaque numéro ne
contient qu’un seul espace du feuilleton, matérialisé par une ligne horizontale
continue.
En 1896, onze romans-feuilletons sont publiés, dont un ne se termine pas avant le
31 décembre. Ils sont écrits par dix auteurs différents. Deux romans-feuilletons sont
composés de moins de dix épisodes, sept sont compris entre dix et cinquante
épisodes, un seul entre cinquante et cent. Ils sont publiés majoritairement en première
page, et plus rarement en page trois. Les romans-feuilletons sont toujours publiés à la
suite, mais les interruptions entre deux récits deviennent plus rares : nous n’en
remarquons que trois. En revanche, on note seize absences au cours des publications,
ce qui est davantage qu’en 1880. Dans ce cas, l’espace du feuilleton n’est pas
matérialisé, pour laisser la place libre à une actualité plus dense. Cela représente au
minimum un jour d’interruption par roman-feuilleton.
En 1910, dix-neuf romans-feuilletons, tous d’auteurs différents, sont publiés, dont
deux se poursuivent après la fin de l’année. Treize sont compris entre dix et cinquante
épisodes, quatre entre cinquante et cent. Il n’y a ni récit de moins de dix épisodes, ni
fiction de plus de cent épisodes. Onze d’entre eux paraissent en première page, huit
en page quatre. En effet, un système plus complexe de publication est mis en place :
deux romans-feuilletons sont désormais publiés simultanément, ce qui explique la
présence de l’espace du feuilleton sur deux pages à la fois. Ainsi, Les Chevaliers du
Brouillard par Pierre Luguet débute le 14 février en page quatre et s’achève le 28
avril, toujours à la même place. Dans le même temps, en première page, L’Armoire
au linge blanc d’Armand Delmas est publié du 18 février au 14 mars. Par conséquent,
avec cette alternance, au moins une œuvre de fiction est toujours présente dans le
quotidien, même en cas d’interruption de l’une d’entre elles. De plus, les romans-
feuilletons étant de longueur différente, le début et la fin de chacun des récits sont
décalés. Pourtant, sur les dix-neuf romans-feuilletons, deux se terminent le même
jour : La Perle du Grésivaudan par Lionel de Monet et La Croisée des chemins
d’Henri Bordeaux finissent le 25 juin.
Huit d’entre eux comportent des erreurs de numérotation. Six ont en effet un
nombre réel d’épisodes plus important que le nombre indiqué dans le dernier

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fragment du roman-feuilleton. Par exemple, La Perle du Grésivaudan comporte


cinquante-cinq épisodes effectifs, alors que la numérotation n’en mentionne que
cinquante-trois. Ainsi, deux épisodes différents portent souvent le même chiffre. Au
contraire, deux des dix-neuf romans-feuilletons publiés ont un nombre réel d’épisodes
inférieur au chiffre du dernier fragment. Ainsi, Les Deux Marquises par Champol est
un récit de trente-six épisodes quand le nombre trente-sept est noté. Ces erreurs de
numérotation, qui créent cependant un faible écart entre le nombre exact d’épisodes et
le dernier numéro indiqué dans le fragment final, sont inexistantes en 1880 et 1896, et
fréquentes en 1910. Elles semblent donc dues au fait de publier deux romans-
feuilletons simultanément. En effet, l’augmentation du nombre de fragments par
fiction, et le nombre plus important de romans-feuilletons complexifient la
publication.
Nous remarquons que d’une décennie à l’autre, le nombre de romans-feuilletons
augmente et a même quasiment doublé entre 1880 et 1896. De plus, en ce qui
concerne le nombre d’épisodes, il existe à l’origine une très grande disparité entre les
romans-feuilletons. Puis la production s’uniformise, avec une majorité de récits
compris entre dix et cinquante épisodes. Les interruptions se font plus rares, et la
fiction est toujours présente sur une ou deux pages. L’alternance entre les récits
conduit à un système complexe, qui n’est pas encore bien établi, ce qui amène des
erreurs.

Le Nouvelliste

Fondé le 14 mai 1879 à Lyon par Joseph Rambaud, ce journal politique quotidien
est l’organe du patronat catholique. Sa création est motivée par la volonté de rénover
la presse conservatrice et monarchiste, alors que la République s’installe de façon
plus solide, après la période de l’Ordre moral. De plus, il est lancé au moment où les
processions publiques sont interdites à Lyon : cet organe de défense religieuse
contribue donc à amplifier les récriminations des catholiques, qui voient leurs libertés
entravées115. Ce petit format, lancé à cinq centimes avec un faible capital (340 actions
de cent francs), parvient à toucher un important public populaire 116. Le prix des
abonnements ne change absolument pas durant les trois décennies : dans le
département du Rhône, il est de 10 francs pour six mois, 20 francs pour un an ; hors
115
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nos jours, Lyon : Éd. lyonnaises d’art et d’histoire, 2007, livre 4, partie 2, chap. 7, p. 813.
116
Marc Martin, La presse régionale : des Affiches aux grands quotidiens, Paris : Fayard, 2002 (les
nouvelles études historiques), partie 2, chap. 11, p. 172-174.

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du département 12 francs pour six mois et 24 francs pour un an. Le 1 er décembre
1886, Le Nouvelliste passe au grand format, en raison de la concurrence du Progrès,
titre républicain qui est aussi vendu 5 centimes et qui lui, est déjà un grand format. En
1906, le quotidien passe à six pages.
Rambaud (1849-1919), qui est le principal actionnaire du journal, en assume la
direction de sa création jusqu’en 1919. Issu d’une famille de commerçants, il a acquis
une fortune foncière et mobilière qui est évaluée à 1 500 000 francs et qu’il aurait pu
se contenter de gérer, tout en se consacrant à l’éducation de ses douze enfants. Mais il
croit en la nécessité du travail, et donne ainsi des cours d’économie politique aux
Facultés catholiques 117.
Il est soutenu dans son entreprise de presse par des banquiers et des soyeux, qui
forment un cercle puissant et fermé. Ces fondateurs partagent le même souci de
l’action religieuse, et se lancent dans ce qu’ils considèrent être une nouvelle bonne
œuvre. Le journaliste et polémiste royaliste Joannès Blanchon (1820-1898), Cyrille
Cottin (1838-1905) et Antonin Mathevon (1813-1895) deux soyeux, et l’industriel
François-Joseph Gillet (1813-1895) sont parmi les premiers souscripteurs. Le tirage
du journal, qui est de 2800 exemplaires par jour en 1879, atteint 80 000 en 1908118.
En 1888, les actionnaires reçoivent un dividende de dix francs, et douze francs
cinquante les années suivantes : Le Nouvelliste « d’une bonne œuvre est devenu une
bonne affaire » selon Régis Rambaud, fils de Joseph. Mais que de grandes fortunes
aient participé à la fondation du Nouvelliste relève de l’exception. En effet, la
bourgeoisie est réticente à investir dans la presse, secteur qui n’a pas encore prouvé
sa capacité à produire du bénéfice à une grande échelle. En septembre 1894, grâce à
son succès financier, le journal, jusqu’alors installé au numéro 37 de la place
Bellecour, peut emménager avec son imprimerie dans un nouveau bâtiment aux 12-14
rue de la Charité, dans un immeuble dont la façade est ornée d’une statue de Jeanne
d’Arc en armure 119. De plus, en 1895, le journal dispose de deux presses Marinoni 120.
La droite que défend Rambaud est plus cléricale que monarchiste, plus
conservatrice que réactionnaire. Pour lui, l’État se doit de respecter les grands

117
Patrice Béghain, Bruno Benoit, Gérard Corneloup [et al.], article « Le Nouvelliste », Dictionnaire
historique de Lyon, Lyon : Bachès, 2009, p. 913-914.
118
Ibid.
119
Ibid.
120
Henri Avenel, Le Monde des journaux en 1895 : organisation, influence, législation, mouvement
actuel, Paris, 1895, p. 249.

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principes sur lesquels se fonde la société chrétienne, et l’autorité doit émaner des
élites qui ont le droit et le devoir de l’exercer 121.
Par souci d’économie, les journaux vont se regrouper dans le but de partager leurs
informations. Le Nouvelliste est l’un des premiers en la matière à mettre en place, en
1880, un bureau parisien de rédaction, composé d’une équipe de cinq journalistes, qui
distribue les nouvelles à d’autres titres monarchistes et catholiques comme Le
Nouvelliste de Bordeaux, Le Nouvelliste de Bretagne, L’Express du Midi à Toulouse,
et L’Éclair de Montpellier. Ce dernier devient client du Nouvelliste de Lyon pour 800
francs par mois, ce qui revient à moins cher que de souscrire un abonnement à
l’agence Havas122. Ce groupement, grâce à son « fil spécial » c’est-à-dire le
télégraphe qui permet une transmission quasi instantanée, peut se détacher de cette
agence, et alimenter en informations les différentes feuilles de façon indépendante.
En revanche, c’est un client de la Société des gens de lettres 123. Le Nouvelliste est
ainsi le seul journal de Lyon à disposer d’un fil télégraphique entre Paris et Lyon en
1880124. Cette « feuille bien faite »125 marque la première réussite d’un quotidien
catholique populaire. Il disparaît le 27 août 1944, en raison de son attitude
collaborationniste.
En 1880, cinq romans-feuilletons, tous d’auteurs différents, sont publiés, dont un
se poursuit après le 31 décembre. Deux sont compris entre cinquante et cent épisodes,
et deux sont composés de plus de cent épisodes. Ils paraissent en page deux ou trois,
l’espace du feuilleton s’étendant parfois sur les deux pages dans un même numéro.
Les romans-feuilletons sont publiés l’un après l’autre, mais pour éviter une
interruption entre deux récits qui se suivent, le début d’une nouvelle fiction est
avancé de quelques jours par rapport à la fin de la précédente. Par exemple, Les Trois
Cercueils d’Alphonse Brot se termine le 21 juillet et L’Incendiaire d’Élie Berthet
débute le 12 du même mois. Ainsi, il n’y a pas de rupture, et le lecteur est sans cesse
tenu en haleine par de nouvelles péripéties. Les huit absences que nous notons se
produisent au cours des publications. Pendant environ une semaine, voire davantage,
nous observons une alternance entre l’ancien et le nouveau roman -feuilleton. Ainsi,

121
André Pelletier, Jacques Rossiaud, Françoise Bayard (dir.) et al., op. cit., livre 4, chap. 6, p. 793-
794.
122
Marc Martin, op. cit., partie 2, chap. 10, p. 151.
123
Henri Avenel, Annuaire de la presse française et du monde politique, Paris : [Annuaire de la
presse], 1899, p. 650.
124
Henri Avenel, Annuaire de la presse française, Paris : [Annuaire de la presse], 1883, p. 373.
125
Pierre Albert (présentés par), Documents pour l’histoire de la presse de province dans la seconde
moitié du XIXe siècle, Paris : Centre de documentation sciences humaines, Éd. du CNRS, [1973]
(documentation), p. 178.

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entre le 7 et le 14 octobre, L’Empoisonneuse par Pierre Ninous et L’Incendiaire
paraissent chacun un jour sur deux. Par conséquent, il n’y a qu’un seul roman-
feuilleton par numéro, même s’ils ne sont pas publiés à proprement parler à la suite.
En 1896, douze romans-feuilletons sont publiés par dix auteurs différents, dont un
se poursuit l’année suivante. Un seul récit est constitué de moins de dix épisodes,
neuf sont compris entre dix et cinquante épisodes, un entre cinquante et cent. Comme
pour l’année 1880, les romans-feuilletons sont publiés à la suite. Mais nous
remarquons une mobilité plus grande de l’espace du feuilleton, qui peut se trouver
aussi bien en page une, deux ou quatre, sans qu’une majorité se dégage de façon
nette. De plus, la moitié des romans-feuilletons publiés le sont une fois l’œuvre
précédente entièrement terminée. Les six autres commencent deux ou trois jours
avant que le récit précédent ne soit achevé. Ainsi, Le Drame de Rosmeur de Pierre
Maël commence le 15 décembre, alors que Le Monstre par Léon de Tinseau se
termine le 18 décembre. Le système en cours durant la décennie précédente n’est
donc plus la règle. Nous ne remarquons qu’une seule interruption, entre la fin du
Mariage de Clément par Mary Floran, et le début du Secret de la Mendiante, le 30
octobre. Nous notons onze numéros qui ne comportent pas de feuilleton, soit un
nombre légèrement supérieur à celui de 1880, souvent dû à une actualité chargée.
En 1910, les exemplaires du Nouvelliste sont constitués de six pages. Onze
romans-feuilletons sont publiés, tous d’auteurs différents. Deux récits se poursuivent
après le 31 décembre. Cinq sont compris entre dix et cinquante fragments, deux entre
cinquante et cent, deux sont composés de plus de cent épisodes. L’espace du
feuilleton se trouve autant en page deux qu’en page six. La publication des romans -
feuilletons est plus complexe, un numéro pouvant contenir un seul récit ou bien deux.
Ainsi, L’Aviateur du Pacifique par le capitaine Danrit et L’Héritier du crime par
Pierre Sales, qui sont tous les deux en cours de publication pendant le mois de
février, sont soit présents conjointement, l’un en page deux, l’autre en page six ; soit
paraissent en alternance. Cette distribution reste malgré tout assez aléatoire, ce qui
engendre de nombreuses interruptions : dans un exemplaire comprenant un seul
feuilleton, quand un récit est publié, l’autre ne l’est pas.
Alors que le nombre de romans-feuilletons publiés sur une année double entre
1880 et 1896, il stagne ensuite entre 1896 et 1910. Le nombre d’épisodes tend à
diminuer, et se resserre, pour la majorité des romans-feuilletons, entre dix et
cinquante épisodes. Aucun article de critique n’est présent durant ces trois années. Le

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journal met en place deux façons d’avoir toujours une fiction en cours de
publication : un roman-feuilleton peut être commencé avant que le précédent ne se
termine ; deux récits sont lancés sur une même période et une alternance est établie.
Mais dans les deux cas, le système n’est pas fixé.

Le Progrès

Le premier numéro est lancé le 12 décembre 1859, après obtention de


l’autorisation préalable délivrée par le préfet, et versement du cautionnement. Le titre
semble avoir trois fondateurs : Jean-François Chanoine (2 mai 1808 - 20 décembre
1864), Eugène Beyssac et Frédéric Morin (1823-1874). Morin, catholique, ancien
élève de l’École normale supérieure, est enseignant mais ne peut exercer, car il refuse
de prêter serment à l’Empereur. Ce parisien, lyonnais d’origine et issu de la
bourgeoisie locale, se tourne alors vers le journalisme 126. Beyssac, lui, a des origines
sociales plus modestes. Ils entrent en contact avec Chanoine, issu d’une famille
d’imprimeurs lyonnais, lui-même correcteur puis prote. Mais ce dernier considère
davantage l’entreprise comme une affaire commerciale, tandis que Morin et Beyssac
veulent créer un quotidien pour exprimer, dans une certaine indépendance, leurs
idées. Très rapidement Chanoine devient le seul propriétaire-gérant de ce quotidien
républicain radical à 15 centimes, dont le sous-titre est « journal de Lyon, politique,
quotidien ». Chanoine ne tient pas à être en opposition vis-à-vis de la préfecture, et
prétexte une menace de suppression du Progrès pour se séparer de ses deux
collaborateurs et en devenir le seul possesseur 127. Ainsi, il arrive souvent pour les
titres régionaux, que des imprimeurs se trouvent à l’origine à leur tête128.
En 1860, le journal a 1344 abonnés et devient, lors des élections législatives de
mai et juin 1869, le deuxième quotidien du Rhône derrière Le Salut public, avec 4000
exemplaires par jour 129. Mais le camp républicain dénonce ce journal « de l’union
démocratique, radical pour le public, mais susceptible d’accommodements pour
l’administration »130. Pourtant, les modérés comme les radicaux échouent dans leur
volonté de fonder une feuille concurrente. La veuve Chanoine, motivée par l’union de

126
Patrice Béghain, Bruno Benoit, Gérard Corneloup [et al.], article « Le Progrès », Dictionnaire
historique de Lyon, Lyon : Bachès, 2009, p. 1055-1060.
127
Kleinclausz Arthur, Histoire de Lyon : de 1814 à 1940, Tome 3, Marseille : Laffite reprints, 1978,
livre 3, chap. 2, p. 180.
128
Marc Martin, op. cit., partie 2, chap. 13, p. 195.
129
Marc Martin, op. cit., partie 1, chap. 6, p. 97.
130
André Pelletier, Jacques Rossiaud, Françoise Bayard (dir.) et al., Histoire de Lyon : des origines à
nos jours, Lyon : Éd. lyonnaises d’art et d’histoire, 2007, livre 4, chap. 3, p. 730.

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la famille républicaine et soucieuse de faire changer cet te situation, confie la
rédaction à Charles Noëllat en 1867. Il s’efforce d’attirer un public populaire en
adoptant un ton plus ferme, mais pour ne pas heurter de front la préfecture, le journal
porte ses attaques sur le terrain social et surtout religieux, évitant ainsi le terrain
politique, ce qui n’empêchera pas la suspension du journal pour deux mois en 1863,
ainsi qu’en 1873 131.
Le 2 juillet 1880, le parisien Léon Delaroche (17 mai 1837-11 novembre 1897)
rachète le journal aux enchères pour 150 000 francs à la veuve Chanoine. Il augmente
le tirage de ce grand format et fait passer le quotidien à 10 centimes le 1 er mars 1881,
puis à 5 centimes le 20 avril 1881, contraignant ses principaux concurrents à s’aligner
sur cette formule 132. L’abonnement baisse en conséquence : en 1880, il est de 20
francs pour six mois à Lyon, 22 francs dans le département et 25 en dehors. En 1896,
il est de 10 francs dans le département et de 14 en dehors. En 1910, le prix de
l’abonnement pour l’intérieur du département ne change pas, et il baisse pour
l’extérieur (12 francs).
Étranger au monde de la presse, Delaroche a exercé la charge d’agent de change à
la Bourse de Lyon jusqu’en 1872, avant d’être contraint de la quitter pour cause de
mauvais placements. Pour l’exploitation du journal, il crée une société en
commandite, dans laquelle se trouve l’imprimerie Chaix (le fabriquant des indicateurs
de chemins de fer), à qui Delaroche rachètera ensuite sa participation. Dans sa
volonté de changer ce grand journal en quotidien populaire, il reçoit aussi l’aide de
banques133. C’est lui qui donne véritablement au journal sa couleur de gauche
modérée134.
Plusieurs éditions par jour sont proposées du Progrès : elles comportent des
informations communes et des nouvelles propres à chaque ville ou à chaque
arrondissement. Ces éditions locales sont différentes d’une zone à l’autre du
département : L’Annuaire de la presse française et du monde politique de 1899
mentionne ainsi six éditions du Progrès, avec un tirage de 180 000 exemplaires, dont

131
Ibid.
132
Ibid.
133
Marc Martin, La presse régionale : des Affiches aux grands quotidiens, Paris : Fayard, 2002 (les
nouvelles études historiques), partie 2, chap. 13, p. 195.
134
Patrice Béghain, Bruno Benoit, Gérard Corneloup [et al.], article « Le Progrès », op. cit., p. 1055-
1060.

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75 000 sont destinés à la seule ville de Lyon 135. En septembre 1905, le quotidien
passe à six pages, et en 1914 à huit 136.
Le succès est rapide : au début de l’été 1881, un banquet est organisé pour fêter les
50 000 exemplaires quotidiens, et en 1912, ce sera 200 000 par jour137. À titre de
comparaison, en 1873 le tirage est de 5000 exemplaires 138. Au début de la décennie
1880, le journal se dote d’un bureau parisien relié par fil télégraphique à la rédaction
lyonnaise, ce qui lui permet d’obtenir plus rapidement des informations. De plus, son
succès économique lui permet de se doter de rotatives Marinoni, qui réduisent le
temps nécessaire au tirage des exemplaires. La première est mise en service le 17 mai
1881, et plusieurs autres seront achetées par la suite. En 1895, Le Progrès, avec ses
cinq rotatives, est ainsi le journal qui en a le plus à cette époque à Lyon 139.
En 1885, Le Progrès fonde avec d’autres quotidiens républicains l’Agence
républicaine, abonnée à Havas, qui redistribue les nouvelles ainsi que ses propres
articles à ses membres 140. Le quotidien lance le 21 décembre 1890, le premier numéro
du Progrès illustré, sous-titré « supplément littéraire du Progrès de Lyon ». À la fin
mai 1905, des photographies commencent à être insérées dans le quotidien141. Le
succès de ce journal régional est rendu visible par l’immeuble dans lequel se trouve la
rédaction du Progrès : tandis que l’atelier d’imprimerie est situé place de la Charité,
dans les sous-sols des bâtiments de l’hospice, les bureaux se trouvent au 61 rue
Impériale, dans l’ancien théâtre Bellecour. Occupant une position centrale dans la
géographie de la ville, « c’est la plus grandiose installation de France »142.
Dès l’origine du journal, l’espace du feuilleton est matérialisé. En 1880, Le
Progrès publie six romans-feuilletons, tous d’auteurs différents dont un se poursuit
après le 31 décembre. Un est compris entre dix et cinquante épisodes, quatre entre
cinquante et cent. Nous notons la présence de trente quatre articles de critique
théâtrale, intitulés « Les Théâtres », ainsi que de quatre articles « Revue des beaux-

135
Henri Avenel, Annuaire de la presse française et du monde politique, Paris : [Annuaire de la
presse], 1899, p. 652.
136
Patrice Béghain, Bruno Benoit, Gérard Corneloup [et al.], article « Le Progrès », op. cit., p. 1055-
1060.
137
Christophe Charle, Le siècle de la presse (1830-1939), Paris : Éd. Du Seuil, 2004 (l’univers
historique), chap. 7, p. 164.
138
Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral, Fernand Terrou (dir.), Histoire générale de la
presse française. Tome 3. De 1871 à 1940, Paris : Presses Universitaires de France, 1972, partie 3,
chap. 2, p. 237.
139
Henri Avenel, Le Monde des journaux en 1895 : organisation, influence, législation, mouvement
actuel, Paris, 1895, partie sur « Les Industries de la presse », p. 249.
140
Marc Martin, op. cit., partie 2, chap. 10, p. 151.
141
Marc Martin, op. cit., partie 2, chap. 12, p. 187.
142
Henri Avenel, op. cit., p. 652.

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arts, le salon lyonnais » consacrés à la peinture. Des articles, autres que la fiction,
occupent ainsi en moyenne trois fois par mois l’espace du feuilleton. Celui-ci se
trouve le plus souvent en page deux, mais peut-être aussi en première page ou en
page trois. Un nouveau roman-feuilleton commence quelques jours avant la fin du
précédent. Par exemple, Les Vierges russes par Gagneur débute le 20 mars alors que
Le Roi des limiers d’Eugène Chavette ne se termine que le 30 du même mois. Pendant
dix jours, les deux récits vont donc paraître ensemble, si deux feuilletons sont
ménagés dans les exemplaires, ou séparément. La durée de cet intervalle pendant
laquelle deux romans-feuilletons sont publiés simultanément varie de un à dix jours.
Quatre romans-feuilletons comportent des erreurs de numérotation, soit plus de la
moitié des fictions parues.
En 1896, Le Progrès publie huit romans-feuilletons de cinq auteurs différents, dont
deux se poursuivent après la fin de l’année. Quatre sont compris entre cinquante et
cent épisodes, deux sont composés de plus de cent cinquante fragments. Les articles
de critiques, désormais totalement absents, ont laissé la place libre aux œuvres de
fiction. L’alternance entre les romans-feuilletons est rendue complexe par le fait
qu’ils changent de place au fur et à mesure de l’avancée de la publication. Ainsi, un
nouveau récit est publié en première page, puis est relégué en page trois ou quatre,
au-dessus ou en-dessous des annonces publicitaires. Ce passage permet de libérer
l’espace du feuilleton en page une, pour la publication d’une nouvelle histoire. Par
exemple, Le Ventriloque de Xavier de Montépin commence à être publié le 22 mars
en première page, puis passe à partir du 29 juin en page trois ou quatre, jusqu’au 8
juillet. En effet, le 28 juin, Les Deux Berceaux d’Émile Richebourg occupe le
feuilleton de la première page. Ce qui complexifie encore davantage la situation, est
la présence d’un troisième roman-feuilleton, en l’occurrence Riches et pauvres de
Charles Mérouvel, publié jusqu’au 3 septembre 1896. Par conséquent, du 28 juin au 8
juillet, soit du début des Deux Berceaux à la fin du Ventriloque, trois récits se
partagent les deux espaces du feuilleton (l’un en page une, l’autre à la dernière ou
avant-dernière page). Une hiérarchie est ainsi créée, du roman-feuilleton le plus
récent au plus ancien. Durant cette période, Les Deux Berceaux occupe de manière
continue la première page, tandis que Riches et pauvres et Le Ventriloque sont
publiés un jour sur deux à proximité des annonces, avec par conséquent de
nombreuses interruptions. Cette technique multiplie les chances d’attirer de nouveaux
lecteurs, en proposant des récits qui conviennent au plus grand nombre. Ce passage

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de la première page à la page quatre s’effectue environ après deux mois de


publication. Chaque exemplaire contient ainsi au moins un roman-feuilleton.
En 1910, le quotidien se dote de deux pages supplémentaires. Dix romans -
feuilletons, tous d’auteurs différents, sont publiés, dont deux continuent après le 31
décembre. Un se situe entre dix et cinquante épisodes, quatre sont compris entre
cinquante et cent, trois sont composés de plus de cent épisodes. Le système déjà
existant en 1896 est toujours en vigueur : un nouveau roman-feuilleton est lancé alors
que deux autres sont en cours de publication. Ainsi, Les Amants de la frontière de
Jules Mary paraît le 5 juin, tandis que Petite Jeanne d’Henri Sébille et Moderne
Américaine par Louis Barron ne sont pas terminés. Du 5 au 12 juin, la fiction la plus
récente, c’est-à-dire Les Amants de la frontière, est en première page pour attirer
l’attention des lecteurs, alors que Petite Jeanne et Moderne Américaine alternent en
page cinq et six. La principale nouveauté consiste à introduire l’illustration dans
l’espace du feuilleton à partir d’octobre 1910. La publication de Zigomar par Léon
Zazie s’accompagne ainsi de vignettes placées au centre du feuilleton, encadrées par
le texte. Pour Zigomar, seuls les six premiers fragments sont illustrés. Mais le roman-
feuilleton suivant, L’Infortuné Plumard, est illustré au moins jusqu’au 31 décembre,
soit les trente cinq premiers épisodes.
De 1880 à 1910, le nombre de romans-feuilletons augmente faiblement, passant de
six à dix. En majorité, durant cette période, Le Progrès publie des fictions comprises
entre cinquante et cent épisodes. Alors qu’en 1880, le système de publication est
relativement linéaire, puisque le journal ne contient en général qu’un seul espace du
feuilleton par exemplaire, le système se complexifie durant la décennie suivante avec
une hiérarchisation créée entre les romans-feuilletons, et rendue visible par leur place
dans le journal. L’espace du feuilleton lui-même n’est pas fixe et change de page
suivant la quantité et la taille des annonces, mais il est toujours matérialisé sur une
page au minimum. Le fait de multiplier le nombre des fictions publiées
simultanément, permet une grande variation des intrigues et offre un vaste choix
susceptible de plaire au plus grand nombre.

Pour ces trois journaux, certaines caractéristiques communes sont observées. Entre
1880 et 1910, nous constatons plusieurs évolutions. Tout d’abord, pour les trois t itres,
l’espace du feuilleton occupe en 1910 le plus souvent le bas de deux pages, au lieu
d’une seule dans les décennies précédentes. Cette transition pour Le Progrès a déjà eu

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lieu en 1896, alors qu’elle est plus tardive pour Le Nouvelliste et Le Salut public.
Pour les trois quotidiens, le nombre de romans-feuilletons publiés augmente de façon
plus ou moins importante, tandis que les articles de critique, dès 1896 ou même avant
cette date, sont totalement absents. En 1910 comme en 1880, c’est Le Salut public qui
fait paraître le plus de romans-feuilletons entre les trois titres. On constate, pour Le
Salut public et Le Nouvelliste, une uniformisation du nombre d’épisodes, compris en
moyenne entre dix et cinquante fragments, soit un récit ne dépassant pas deux mois
de publication la plupart du temps, tandis que Le Progrès publie des fictions plus
longues, comprises entre cinquante et cent épisodes. Avec le passage à deux espaces
du feuilleton par exemplaire, les journaux adoptent des stratégies différentes pour
publier les fictions. Alors que Le Salut public fait une distinction entre les deux
espaces et publie un récit du début à la fin dans le même feuilleton, sans que la fiction
ne change de place, Le Nouvelliste fait alterner deux romans-feuilletons publiés sur
une même période, et dont les épisodes peuvent se trouver autant en deuxième qu’en
sixième page. Le Progrès établit, quant à lui, une hiérarchie entre les romans-
feuilletons, en fonction de leur ancienneté. La fiction la plus récente est ainsi mise en
avant en première page, dans le but d’attirer l’attention du lecteur. Le Progrès est
aussi le seul à insérer des illustrations dans l’espace du feuilleton.
Par conséquent, il est rare de trouver, parmi ces trois quotidiens lyonnais, un
exemplaire dans lequel le feuilleton n’est pas matérialisé. Ces journaux ont appliqué
la nouvelle formule de presse mise en place par Émile de Girardin, et ce plusieurs
décennies après 1836 : des annonces payantes sur la dernière page du journal et des
feuilletons progressivement accaparés par le roman. Les tendances politiques de ces
journaux ne semblent pas influencer la publication de romans-feuilletons : la fiction
est présente aussi bien dans le quotidien républicain, que dans Le Salut public. Et
malgré la réticence de l’Église vis-à-vis du roman-feuilleton, Le Nouvelliste
catholique en publie tout autant que Le Progrès. Ces grands titres provinciaux se
doivent avant tout de plaire en proposant un prix d’achat accessible au plus grand
nombre et en suivant les goûts du public. En effet, Le Progrès comme Le Nouvelliste
sont mus d’abord par la volonté d’être des quotidiens populaires.

Au terme de cette étude quantitative, nous remarquons que le fait de publier des
romans-feuilletons ne constitue pas une originalité permettant de se démarquer des

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autres journaux concurrents : les feuilles lyonnaises importantes suivent toutes le


même modèle.
Sans étudier le contenu de ces romans-feuilletons, nous nous proposons d’analyser
les titres de ces fictions parues. Le titre est, en effet, un élément essentiel : il
constitue le premier contact que le lecteur a avec l’œuvre et il doit provoquer la
curiosité pour susciter la lecture. Si l’originalité n’est pas dans la présence du roman -
feuilleton au sein d’un journal, existe-t-elle dans le choix des titres de ces fictions ?

Les titres des romans-feuilletons : une


originalité ?

Pour répondre à cette question, nous avons suivi la méthode utilisée par Anne-
Marie Thiesse dans son ouvrage Le Roman du quotidien : Lecteurs et lectures
populaires à la Belle Époque. Elle propose en effet d’analyser les titres selon deux
approches : l’une sémantique, qui s’attache à l’étude des termes employés ; l’autre
syntaxique qui observe la construction grammaticale de ces titres.
Concernant l’analyse sémantique, nous avons pu dégager six catégories
d’importance variée : le groupe qui, de loin, est le plus conséquent en nombre de
titres, rassemble ceux qui font référence à des personnages. Cette catégorie peut elle -
même être divisée en trois sous-groupes : les titres qui contiennent des noms propres ;
ceux mettant l’accent sur les liens qui unissent les différents protagonistes ; ceux
enfin qui expriment la fonction au sens large, occupée par les personnages.
Ainsi, Hélène Audrain ; Zigomar ; Tiburce Cordonnet ; Céphise ; Monsieur
Troubadin ; Nedjéma ; Cambriole et Markariantz sont composés d’un seul nom
propre. L’intrigue en elle-même n’est absolument pas dévoilée et le titre semble
présenter la figure principale du récit. D’autres intitulés, en revanche, donnent
quelques indications sur le personnage : L’Infortuné Plumard et Pauvre Jacques
tendent à faire de ces deux protagonistes des victimes. De même, Petite Jeanne et La
Petite Beaujard paraissent être des personnages vulnérables.
Certains titres traduisent des relations filiales et attribuent comme rôle premier aux
personnages, d’être mère, fils ou fille : Le Mari de la danseuse ; Mon mari ; Belle
Cousine ; Cousine Bas-Bleu ; Le Martyre d’une mère ; La Fille de la Sirène ; Le Fils
de d’Artagnan ; Les Frères Colombe.
Les titres de la troisième sous-catégorie ne comprennent pas de noms propres et
sont pour la plupart au singulier. Ils mettent l’accent sur la fonction occupée par les
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protagonistes, et par là même, présentent l’intrigue comme étant une étude en actes
des rôles attribués aux personnages : Le Roi des limiers ; Le Vieux juge ; Le
Ventriloque ; Le Péché de la Générale ; La Pécheresse ; L’Incendiaire ;
L’Empoisonneuse ; Le Monstre ; Le Secret de la Mendiante ; L’Aviateur du
Pacifique ; La Princesse verte ; Les Chevaliers du Brouillard ; L’Ouvrière ; Le Petit
roi ; Les Dames du palais ; Le Clown rouge ; Les Deux Marquises.
La deuxième catégorie, selon l’importance du nombre de titres, rassemble ceux qui
indiquent une origine géographique. Les lieux peuvent être identifiés par des noms
propres : Le Mystère de Kerhir ; La Folle de Virmont ; Le Drame de Rosmeur ; La
Perle du Grésivaudan ; Le Tambour de Montmirail ; La Villa-Bonheur. Certains
endroits sont présentés de façon plus vague comme La Croisée des chemins ou Les
Ronces du chemin.
La troisième catégorie par ordre d’importance quantitative, est celle qui regroupe
des titres contenant le vocabulaire de l’amour. Il peut être vu sous un angle négatif
(Les Martyrs du mariage ; L’amour vengeur ; Aimer quand même) ou positif (Idylle
Nuptiale). Le titre peut aussi insister sur une étape de la relation amoureuse : Aimée
ou la jeune fille à marier ; Les Fiançailles de Gabrielle ; Le Mariage de Clément.
La quatrième catégorie concerne la menace de la mort : Le Secret d’une tombe ; Le
Collier de la morte ; L’Héritier du crime ; Une Dette de sang ; Le Manoir sanglant ;
La Corde au cou. Ces titres promettent au lecteur une intrigue qui peut susciter la
peur. La mort est aussi présente dans Liens de haine et dans La Course à l’abîme,
comme résultat probable de l’intrigue.
Le cinquième groupe, qui comporte le même nombre de titres que la catégorie
précédente, rassemble ce qui a trait à des objets relativement communs : La Cage de
cuir ; L’Armoire au linge blanc ; La Barrière ; Un coup d’éventail ; L’Aiguille
creuse ; Les Deux Berceaux ; Les Trois Cercueils ; Le Glaive et le bandeau.
La dernière catégorie et la moins fournie regroupe quelques titres comprenant des
noms d’animaux : Une Chasse au loup ; L’Écureuil ; Les Oiseaux de proie.

Par conséquent, dans les titres de ces intrigues publiées en 1880, 1896 et 1910
dans trois quotidiens différents, nous remarquons de nombreuses similitudes dans le
vocabulaire employé. Ce sont d’abord les noms de personnages et de lieux qui sont
les plus fréquents parmi les titres sélectionnés. Il s’agit le plus souve nt de noms
propres, mais aussi de termes génériques qui renvoient à des fonctions ou bien à des

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Création parisienne et pérennité lyonnaise du roman -feuilleton

endroits non clairement identifiés. Plus généralement, excepté pour le vocabulaire qui
fait référence à l’amour et la mort, c’est l’aspect concret qui est privilégié.
En ce qui concerne l’analyse syntaxique, la plupart des titres, soit quarante-sept
d’entre eux, sont composés d’un groupe nominal, souvent au singulier, avec ou sans
article : Le Vrai Jean Valjean ; La Bohême tapageuse ; Idylle Nuptiale ; Moderne
Américaine. Sans article, Anne-Marie Thiesse précise que le titre a davantage une
valeur générique et peut traduire un stéréotype. Quelques-uns de ces groupes
nominaux sont construits avec la conjonction de coordination « et » qui sert à créer
une opposition entre deux entités contraires : Riches et pauvres ; La faim et la soif.
Trente-sept titres sont eux composés d’un groupe nominal avec un complément du
nom. Cette construction apporte une précision supplémentaire et peut servir à
exprimer des relations de tous types : une filiation (La Fille de la Sirène ; Le Fils de
d’Artagnan), le type de matériau pour un objet (La Cage de cuir), le lieu de l’intrigue
(Le Mystère de Kerhir ; Le Drame de Rosmeur).
Enfin, la structure d’un groupe nominal avec un verbe conjugué est plus rare. Seuls
trois titres sont construits sur ce modèle : Les Épines ont des roses ; Où le grain
tombe … ; La Race qui ne meurt pas. Ils se présentent comme des extraits d’un
dialogue ou d’une narration, ce qui plonge directement le lecteur dans l’action143.

Ainsi, nous constatons que la plupart des titres étudiés renvoient à une réalité
concrète, clairement définie : les personnages ou les lieux sont nommés, et les objets
sont mentionnés au singulier. Très peu de titres font appel à des notions abstraites
comme Vers l’idéal ou Mirage de bonheur. De plus, la construction de ces titres est
peu originale, puisque nous pouvons aisément établir de grandes catégories pour les
classer. Le titre idéal, c’est-à-dire celui qui est capable d’amener un très grand
nombre de lecteurs à se plonger dans le roman-feuilleton, serait donc formé de termes
qui intriguent pour créer la curiosité, mais avec une construction produisant une
impression rassurante de « déjà lu ». Le lecteur doit y trouver la promesse d’une
intrigue inédite, à travers un nom propre encore inconnu par exemple, mais aussi y
retrouver une forme familière. Les titres étudiés allient ainsi le sensationnel et le
familier.

143
Ces trois catégories de l’analyse syntaxique sont empruntées à Anne -Marie Thiesse, Le roman du
quotidien : Lecteurs et lectures populaires à la Belle Époque, Paris : Le Chemin vert, 1984 (le temps
et la mémoire), partie 2, p. 133-135.

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Une fiction au confluent de la littérature et du
journal

Après avoir mis en évidence la place importante que le roman-feuilleton occupe


dans quelques grands titres de la presse lyonnaise, il s’agit d’étudier le contenu même
des romans-feuilletons. Pour ce faire, nous avons sélectionné dans six journaux
différents, ayant des sensibilités diverses, neuf romans-feuilletons de tailles variées,
publiés entre 1875 et 1900. Nous cherchons à savoir si la couleur politique d’un
journal peut avoir une influence quant au choix du roman-feuilleton. En effet, les
réponses que nous avons pu trouver à cette question sont radicalement opposées. Pour
Marie-Ève Thérenty, le feuilleton occupe une place à part dans l’espace du journal 144.
La double ligne horizontale continue qui le sépare des articles marque alors tout
autant la rupture de l’espace, que celle du genre du roman-feuilleton par rapport au
reste du journal. À l’inverse, les auteurs d’un article contenu dans un numéro de la
revue littéraire Europe consacré au roman-feuilleton, expliquent que le choix des
intrigues des romans-feuilletons s’effectue bien en fonction des tendances politiques
des journaux145.
Toute la question va donc être de déterminer dans quelle sphère se situe le roman -
feuilleton. S’il est un genre littéraire à part entière et s’il dépasse les considérations
de couleurs politiques, alors des éléments similaires pourraient être mis en évidence.
Par exemple, la façon de décrire les lieux et les personnages, d’un récit à l’autre,
dépendrait d’un certain nombre de règles communes, propres à ce genre. Les opinions
politiques défendues par les journaux ne pourraient alors pas influencer ce monde
clos.
À l’inverse, s’il appartient pleinement au monde journalistique, le roman -feuilleton
ne pourrait pas être considéré en tant que genre, puisque chaque quotidien, lui -même
déterminé par un certain public, publierait un type précis de fiction dans l’espace du
feuilleton. Seraient alors regroupées, sous cette appellation de roman-feuilleton, des
fictions ayant de grandes disparités. Le choix et le traitement des personnages

144
Marie-Ève Thérenty, « de la rubrique au genre : le feuilleton dans le quotidien » dans Marie-
Françoise Cachin, Diana Cooper-Richet, Jean-Yves Mollier, Claire Parfait (dir.), Au bonheur du
feuilleton : Naissance et mutations d’un genre, actes d’un colloque tenu en décembre 2004, Paris :
Créaphis, 2007 [s. c.], p. 68.
145
Yvonne Knibiehler et Roger Ripoll, « Les premiers pas du feuilleton : chronique historique,
nouvelle, roman » dans Europe : revue littéraire mensuelle, p. 15.

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pourraient être très divergents entre deux feuilles de tendances politiques éloignées.
Par conséquent, aucune caractéristique commune ne pourrait être mise à jour.

PRESENTATION DES ROMANS-FEUILLETONS DU


CORPUS

Pour l’élaboration du corpus, nous avons fait le choix de la diversité : les intrigues
développées dans les fictions, la place des journaux sur la scène politique et la taille
des romans-feuilletons sont très variées. Ainsi, nous avons sélectionnés neuf romans -
feuilletons, allant de 8 à 156 épisodes, dans six titres différents : dans La Comédie
politique, de tendance bonapartiste, nous avons sélectionné Rosette Dory ainsi que
Poupard et Poupardin. Dans L’Éclair, journal catholique et légitimiste, nous avons
choisi Les Prétendants de Monique. Dans Le Courrier de Lyon, de tendance
orléaniste, nous avons retenu Le Baptême du sang. Dans L’Écho de Lyon, titre
républicain, nous avons sélectionné Passionnément ainsi que Pilleur d’épaves et Le
Krach. Dans L’Écho du Rhône, journal républicain qui fait suite à L’Écho de Lyon,
nous avons retenu Les Francs-Routiers. Enfin, dans Le Peuple, journal socialiste,
nous avons sélectionné La Chiffarde. Le choix des périodiques a été déterminé par la
volonté de sélectionner des journaux ayant une envergure moindre que celle du
Progrès, du Nouvelliste et du Salut public. Notre intention a été de nous éloigner,
pour mener une étude du contenu des romans-feuilletons, de ces grands quotidiens
lyonnais, afin d’avoir un paysage assez large de la presse lyonnaise de cette période.

Résumés des neuf intrigues

Nous commencerons d’abord par résumer les intrigues, et présenter les journaux
dont sont issus les romans-feuilletons, ainsi que les auteurs, lorsque cela est possible.
Nous présentons ces romans-feuilletons en respectant l’ordre chronologique des dates
de publication dans les titres lyonnais.

Le Baptême du sang a pour auteur Louis Énault, qui est le pseudonyme de Louis de
Vernon. Né à Isigny dans le Calvados en 1824, il fait des études de droits à Paris. Il
est arrêté après les journées de juin 1848, à cause de ses liens avec le parti légitimiste.
Il est ensuite libéré et voyage à travers l’Europe. À son retour en France en 1851, il
est reçu docteur ès lettres. Il fait ensuite carrière dans le journalisme en collaborant

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Une fiction au confluent de la littérature et du journal

au Constitutionnel et à la Gazette de France. Il publie essentiellement dans ces


journaux des articles de critique littéraire et artistique. Il meurt le 27 mars 1900 146. La
première partie du Baptême du sang est d’abord publiée en roman-feuilleton dans La
Presse, journal d’Émile de Girardin, du mercredi 6 juillet au samedi 17 décembre
1870. Puis la publication reprend le mercredi 13 décembre 1871. En 1873, la fiction
paraît en deux volumes.
Le Baptême du sang est publié en première page dans Le Courrier de Lyon, du
samedi 12 juin au mardi 23 novembre 1875, en 156 épisodes. De tendance orléaniste,
cet organe de la bourgeoisie conservatrice, qui est abonné à l’agence Havas, paraît du
24 décembre 1831 au 24 juin 1901 147. En 1862, des tableaux contenant des
informations sur les journaux politiques des départements, et qui sont établis par le
bureau de la presse dépendant du Ministère de l’Intérieur, comptabilisent 4777
abonnés pour ce quotidien. Ils précisent que le titre est dévoué à l’Empire, c’est-à-
dire tenu en main par le préfet 148. En 1874, le tirage chute à 2000 exemplaires 149 et en
1885, il s’élève seulement à 2500. Le Courrier de Lyon est alors le seul quotidien à
être vendu 15 centimes le numéro dans la ville de Lyon, l’abonnement dans le Rhône
étant de 44 francs par an et de 48 francs en dehors du département. L’asphyxie de ce
journal d’abonnés résulte du fait qu’il n’est plus adapté aux attentes du lectorat 150.
Élaboré pendant longtemps par les frères Jouve, le quotidien est rédigé, à partir de
1870, par Amy et par Barthens, dit Louis Sabatier, rejoints ensuite par Jules Coste-
Labaume 151. Ce dernier en est le directeur politique de 1884 à 1886, avant de devenir
président du conseil général du Rhône de 1897 à 1899. Il préside aussi l’Association
de la Presse Lyonnaise 152.

146
Roman d’Amat et Limouzin-Lamothe (dir.), article « Louis Énault », Dictionnaire de biographie
française. Tome 12, 1970, p. 1274-1275.
147
Bibliothèque nationale de France, département des périodiques, Bibliographie de la presse
française politique et d’information générale de 1865 à 1944. 69, Rhône, Paris : Bibliothèque
nationale, 1966, p. 30.
148
Pierre Albert (présentés par), Documents pour l’histoire de la presse de province dans la seconde
moitié du XIXe siècle, Paris : Centre de documentation sciences humaines, Éd. du CNRS, [1973]
(documentation), p. 38.
149
Supplément du Figaro « La Presse des départements » du 7 décembre 1874 reproduit par Pierre
Albert, op. cit., p. 109.
150
Marc Martin, La presse régionale : des Affiches aux grands quotidiens, Paris : Fayard, 2002 (les
nouvelles études historiques), partie 2, chap. 9, p. 143.
151
Ivan Chupin et Jérémie Nollet (dir.), « La construction de frontières dans le milieu journalistique
lyonnais aux débuts de la troisième République » dans Journalisme et dépendances, Paris :
L’Harmattan, 2006 (cahiers politiques), p. 92.
152
Adolphe Vachet, article « Coste-Labaume », Nos Lyonnais d’hier : 1831/1910, Lyon : chez
l’auteur, 1910, p. 107. Ce document est consultable sur Gallica.bnf.fr.

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L’intrigue se déroule en Normandie, dans le village de Vimeuse. Un berger,
nommé Pedro, vit chez Catherine et Jacques Lormeau, bien que ce couple de fermiers
ne soit pas ses parents. Un très long retour en arrière permet d’expliquer cette
situation. Jacques Lormeau, qui habite une ferme dépendant du château de Vimeuse,
veut acquérir une autre exploitation, mais ne dispose pas de l’argent nécessaire. Il
demande à l’usurier du village, un homme âgé et avare nommé Jollivet, de lui en
prêter. La vente est conclue et Jacques doit rembourser en plusieurs termes son
créancier. Mais il connaît bientôt des difficultés de paiement. Jollivet avoue alors à
Jacques l’amour qu’il porte à sa fille, Marthe Lormeau, et il lui propose un marché :
la ferme sera à lui sans payer davantage, si Marthe accepte d’épouser l’usurier.
Jollivet passe de longs moments chez les Lormeau pour voir Marthe. Mais la jeune
fille, irritée par la présence constante de l’usurier, apprend la raison de ses
nombreuses visites et refuse catégoriquement la proposition. Jollivet somme alors
Jacques de payer, mais celui-ci lui affirme, qu’avec de la patience, Marthe finira par
accepter. L’usurier se résigne et attend.
Au cours d’une fête paysanne, Marthe fait la connaissance du vicomte Octave de
Kergor, le cousin du marquis de Vimeuse. Ils dansent ensemble sous les yeux de
Jollivet plus jaloux que jamais. Durant les jours qui suivent cette rencontre, Octave
multiplie les sorties autour du village, afin de revoir Marthe. Ils se rencontrent bientôt
régulièrement et s’avouent leur amour. Mais Jollivet les surprend et informe Jacques
de ces entrevues. Le père empêche alors Marthe de se promener seule. Dans le même
temps, Octave de Kergor, qui est officier de marine, apprend qu’il doit repartir en
mer. Il parvient à faire prévenir Marthe, et ils se retrouvent durant la nuit. Mais ils
découvrent que Jollivet les suit et ils se réfugient dans une grotte pour lui échapper,
ainsi qu’à l’orage qui menace. Alors que les éléments se déchaînent, les deux amants
s’aiment pour la première et la dernière fois.
Plusieurs mois s’écoulent et Marthe comprend qu’elle est enceinte. Elle décide de
solliciter l’aide de Madeleine Trépied, qui passe pour être sorcière. Cette dernière lui
prédit qu’Octave reviendra mais pas avant la naissance de l’enfant. Jacques, qui a des
soupçons, interroge sa fille de façon toujours plus pressante. Marthe décide alors de
quitter la ferme de ses parents et retourne chez Madeleine Trépied. Cette dernière la
conduit à Cherbourg, où Marthe donne naissance à son fils. Jollivet, qui espère
toujours épouser la jeune femme, la retrouve et lui vient en aide. Mais lorsqu’il
réitère sa demande en mariage, Marthe refuse et quitte le logement qu’il louait pour

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Une fiction au confluent de la littérature et du journal

elle. Elle vit alors avec son fils dans un grand dénuement et, n e parvenant plus à se
nourrir, elle meurt après une longue agonie. Jéricho, l’homme à tout faire de
Madeleine Trépied, qui lui aussi découvre où la jeune femme se cache, prend en
charge son fils qu’il nomme Pedro. L’enfant grandit ainsi entre Jéricho et la sorcière,
les Lormeau ignorant l’existence d’un petit-fils.
Le récit reprend alors au début de l’intrigue, au moment où Pedro, devenu un jeune
homme, surveille son troupeau. Jacques, qui le rencontre par hasard, est frappé de sa
ressemblance avec Marthe et tente alors de connaître la famille de Pedro. Devant
cette insistance, Jéricho prend peur et quitte la Normandie, après avoir confié Pedro à
ses grands-parents, qui découvrent le lien de parenté qui les unit. Mais Jacques voit
en Pedro la faute de Marthe, et interdit à sa femme Catherine de lui révéler le secret
de ses origines.
En braconnant sur les terres du marquis de Vimeuse, Pedro se blesse : il est
conduit au château pour être soigné sur ordre de Blanche, la fille unique du marquis.
Il y reste plusieurs semaines, pendant lesquelles naît un amour pour la jeune fille.
Pedro reprend ensuite sa vie de berger et de braconnier, avant d’être appelé pour
faire son service militaire. Alors qu’il rejoint son régiment, il rencontre un groupe de
bohémiens, parmi lesquels se trouve Jéricho. Ce dernier propose à Pedro de rester
vivre avec eux, ce que le jeune homme accepte. Il tombe sous le charme d’une jeune
danseuse, Soledad, qui le fait souffrir en attisant sa jalousie. Jéricho révèle à Pedro
qui était sa mère, mais il ne peut le renseigner sur son père. Pour Jacques et
Catherine, qui constatent la disparition de leur petit-fils, l’histoire se répète : après la
fugue de leur fille, ils connaissent celle de Pedro.
Après une représentation donnée à Rennes par les bohémiens, Soledad échappe à la
surveillance jalouse de Pedro et disparaît dans la ville. Il la retrouve en compagnie de
jeunes hommes et tente de l’obliger à le suivre. Mais sa bruyante colère provoque
l’arrivée des gendarmes qui l’arrêtent. L’un d’eux l’identifie comme étant le
réfractaire de Vimeuse, d’après un signalement donné. Pedro reconnaît les faits et
doit quitter les bohémiens, pour être conduit à Vimeuse par les gendarmes. Sur la
route, il rencontre Blanche, qui demande aux gendarmes de conduire le prisonnier au
château. Elle veut plaider sa cause auprès du marquis. Jacques et Catherine, avertis du
sort de Pedro, sont présents lorsque leur petit-fils arrive au château : ils lui révèlent
alors leur lien de parenté.

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Le marquis de Vimeuse accompagne lui-même Pedro jusqu’à la caserne où il doit
effectuer son service. Le conseil de guerre décide de l’intégrer à son régiment sans
condamnation, et Pedro se plie aux exigences de la vie de soldat. Il adopte une
conduite exemplaire et se lance dans une carrière militaire. Il part faire la guerre en
Chine où il est gravement blessé en sauvant la vie de son commandant, qui n’est autre
qu’Octave de Kergor. Celui-ci, qui remarque une ressemblance troublante avec
Marthe, l’interroge sur ses origines. Pedro raconte ainsi toute sa vie depuis la mort de
sa mère. Octave est alors certain d’avoir en Pedro un fils et décide de l’adopter, sans
pourtant lui dire qu’il est son véritable père. De retour en France, les deux hommes se
rendent à Vimeuse et retrouvent Blanche et le marquis. Pedro, simple braconnier,
enfant naturel sans nom, devient le fils adoptif d’Octave de Kergor et épouse Blanche
de Vimeuse.

Le roman-feuilleton Les Prétendants de Monique, écrit par René Stine, est publié
du samedi 26 janvier au samedi 29 mars 1884 dans L’Éclair. Cet hebdomadaire
catholique et légitimiste, de grand format (50 x 32 cm), paraît du 2 novembre 1879 au
28 janvier 1888 à Lyon 153. Il porte comme sous-titre en 1884 : « journal catholique,
politique et littéraire ». Son propriétaire-gérant est alors Duvivier. Le numéro est
vendu 10 centimes, et l’abonnement est de 6 francs dans le département du Rhône et
de 7 francs en dehors. La rédaction et l’administration se situent 3 Place Bellecour.
Ce roman-feuilleton, composé de neuf épisodes, est toujours publié en page deux.
L’intrigue se déroule à la fin du Second Empire. Le marquis Jacques de Valmagny, le
héros du récit, est issu d’une famille noble des Vosges. Son père, le duc Henri de
Valmagny y possède un château. Jacques mène à Paris une vie oisive, grâce à
l’héritage que lui a laissé son oncle, le comte Godefroy de Valmagny. De plus, Henri
de Valmagny, fervent monarchiste, refuse de voir son fils servir l’empereur.
Jacques reçoit la visite de son ami le comte Georges de Marseuilles, après une
absence de plusieurs années, et les deux hommes évoquent le temps passé. Jacques
raconte à son ami comment sa tante Amélie, sœur cadette du duc, s’est mariée avec
« un roturier »154 Philippe Andercey, propriétaire d’une usine de verrerie dans le
Haut-Rhin. Ce mariage brouille pour un temps Amélie avec le reste de la famille de

153
Bibliothèque nationale de France, département des périodiques, Bibliographie de la presse
française politique et d’information générale de 1865 à 1944. 69, Rhône, Paris : Bibliothèque
nationale, 1966, p. 40.
154
L’Éclair du samedi 2 février 1884, épisode 2.

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Valmagny. Mais, réconciliés, le duc se rend chez Amélie et son mari : Jacques, resté
seul, voyage.
Le lendemain de cette discussion, Jacques reçoit une lettre de son père, lui
demandant de quitter Paris et de revenir au château familial, en raison d’une « affaire
grave »155. Le duc espère en effet pour son fils une union avec Monique Andercey, la
fille d’Amélie. Ce mariage doit servir à contrer les plans du sous -directeur de l’usine,
Hermann Stenner, qui veut épouser Monique pour se rendre maître du bien. C’est une
véritable tactique militaire qui est mise en place par Jacques, mais Monique fait état
de sa préférence pour Hermann Stenner. De plus, elle reproche à son cousin de mener
une vie inutile et n’a que peu de considération pour lui. Le mariage entre Monique et
Hermann est finalement décidé, même si Amélie et le duc n’y sont pas favorables.
Mais la guerre vient perturber ces projets. Alors qu’Hermann reste auprès de la
famille Andercey, Jacques et son ami Georges partent au combat. Monique admire
son cousin qui va « défendre la patrie menacée »156 et repousse Hermann, qu’elle
trouve lâche. Une fois la paix signée, les Andercey décide de migrer pour rester sur le
sol français. Ils s’installent au château des de Valmagny, tandis que Jacques et
Georges sont prisonniers en Allemagne. Le marquis, blessé au combat, envoie une
lettre à son père pour le prévenir qu’il est défiguré. Dans le même temps, le mariage
entre Monique est Hermann est définitivement abandonné, car le sous-directeur a
choisit de rester du côté allemand. De retour de la guerre, Jacques de Valmagny fait
sa demande en mariage à Monique et celle-ci répond favorablement.

Passionnément a pour auteur Albert Marc Adrien Delpit (30 janvier 1849 - 5
janvier 1893) né à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane, où son père tient une boutique
de tabac. Il fait ses études en France, puis retourne en Louisiane pour s’occuper du
commerce de son père. En 1868, il revient à Paris et se lance dans le monde des
lettres. Il envoie ses textes au D’Artagnan et au Mousquetaire, deux revues dirigées
par Alexandre Dumas père. Delpit, après le siège de Paris en 1871, pendant lequel il
combat contre les Communards, obtient la croix de chevalier de la Légion d’honneur.
En 1880, il obtient le prix Vitet, décerné par l’Académie Française, pour l’ensemble
de son œuvre. Il est naturalisé français en 1892 157.

155
L’Éclair du samedi 9 février 1884, épisode 3.
156
L’Éclair du samedi 1 er mars 1884, épisode 6.
157
Roman d’Amat et Limouzin-Lamothe (dir.), article « Albert Delpit », Dictionnaire de biographie
française. Tome 10, Paris, 1965, p. 915.

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Passionnément est publié en volume in-18 à 3 francs 50 chez Paul Ollendorff 158, et,
la même année, paraît dans L’Écho de Lyon du mercredi 18 septembre au mercredi 4
décembre 1889. Le roman-feuilleton est composé de soixante-deux épisodes, situés
en page trois ou quatre. Cette feuille grand format (62 x 46 cm) a pour sous-titre
« journal républicain quotidien » et paraît du 17 juillet 1889 au 5 février 1893 à Lyon.
L’administration et la rédaction se trouvent au 48 rue de la République. Le prix par
numéro est de 5 centimes, et l’abonnement pour un an est de 18 francs dans le Rhône,
et de 22 francs dans les autres départements. Après 1893, ce titre devient L’Écho du
Rhône159.
Un critique analyse ainsi le projet de l’auteur : « Sous ce titre générique : Un
Monde qui s’en va, Albert Delpit commence une série de volumes dans lesquels,
devançant la fin du siècle, il veut nous montrer où nous allons avec la modification de
nos mœurs »160.
L’histoire se déroule à Paris, dans une réalité directement contemporaine de celle
de l’auteur. Edmond Sorbier, qui appartient à la grande bourgeoisie, mène une vie
oisive dans la capitale. Il est l’amant de Maud Vivian, une veuve qui dit être issue de
la grande bourgeoisie britannique. L’intrigue s’ouvre sur les reproches faits par
Edmond à Maud : il est persuadé que sa maîtresse a d’autres amants, ce qui réveille
sa jalousie. Mais Maud parvient à dissiper ses soupçons et ils poursuivent tous deux
leur vie de plaisirs.
Edmond rencontre un ami de sa famille qui est de passage à Paris : Alfred La
Faurie, originaire comme lui des Cévennes, s’occupe de sa nièce orpheline,
Geneviève Coraize. Le but de son séjour à Paris est de trouver pour la jeune fille un
époux. Edmond et Geneviève, qui sont des amis d’enfance, retrouvent bientôt la
complicité qu’ils connaissaient lorsqu’Edmond était encore dans sa région natale.
Maud et Edmond, tout comme La Faurie, sont invités à un dîner chez Rixens, un
agent de change. La Faurie tombe alors sous le charme de Maud. Au cours du dîner,
Edmond entend des amis médire sur le compte sa maîtresse, et se met de nouveau à
douter de la fidélité de Maud. Il décide de la surveiller pour trouver des preuves
contre elle.

158
Gaston D’Hailly, A. Le-Clère, Henri Litou, Les livres en 1889 : études critiques et analytiques.
Tome 18 de juillet à décembre 1889, Paris : Le Soudier, 1889, tables des ouvrages, p. 332. Ce
document est disponible sur Gallica.bnf.fr.
159
Bibliothèque nationale de France, département des périodiques, op. cit., p. 38.
160
Gaston D’Hailly, A. Le-Clère, Henri Litou, op. cit., p. 19.

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La Faurie, qui poursuit sa quête d’un mari pour Geneviève, demande à Edmond s’il
veut jouer ce rôle, mais celui-ci refuse. Il veut en effet épouser Maud. Avant le
mariage, il effectue des recherches pour connaître la fortune réelle de sa maîtresse. Il
apprend qu’elle n’est pas riche, et que l’argent dont elle a besoin pour vivre lui vient
de Rixens, qui le lui donne en échange de son amour. Les soupçons d’Edmond se
révèlent donc justes, et il laisse éclater sa colère et son désespoir, devant celle qui
devait devenir sa femme. Maud ne nie pas les faits et l’union prévue est annulée.
Rixens et Edmond se rencontrent alors inopinément chez la jeune femme. Mais au
lieu de s’affronter, car ils savent maintenant qu’ils ont été trompés tous deux, ils
discutent de façon courtoise et ridiculisent par là-même Maud. Dès lors, celle-ci
n’aura de cesse d’assouvir sa vengeance à l’égard d’Edmond, qui a mis au jour ses
plans.
Elle commence par épouser La Faurie, qui ignore tout de sa relation avec Edmond.
Ce dernier accepte finalement d’épouser Geneviève. Mais Edmond est désespéré de
savoir qu’il reste lié à Maud par ces deux mariages : en raison d’abord du lien de
parenté qui unit La Faurie et Geneviève, ainsi que par son propre lien d’amitié avec
La Faurie. Au cours d’une entrevue où Edmond et Maud se trouvent seuls, celle -ci
menace de rendre publiques les lettres qu’Edmond lui a écrites pendant leur liaison.
Mais il lui explique qu’il ne la craint pas, et lui ordonne de respecter Geneviève.
Les deux couples se rendent dans les Cévennes pour célébrer le mariage d’Edmond
et de Geneviève, bientôt rejoints par un groupe d’amis parisiens. Edmond, persuadé
que Maud a oublié ses menaces et n’est plus un danger pour lui, décide de ne pas
parler de son passé à Geneviève, qui est particulièrement jalouse. À plusieurs
reprises, elle met d’ailleurs en garde Edmond contre cette jalousie, qui ne doit pas
être éveillée. Après le mariage, les deux époux font leur voyage de noce, puis
reviennent dans les Cévennes.
Fernand de Quinsac, l’un des amis parisiens, qui est resté chez les La Faurie,
déclare son amour à Maud. Elle profite de cet amour dans le but de se venger
d’Edmond. Elle utilise ainsi une ancienne lettre qu’Edmond lui a envo yée, dans
laquelle il lui donnait un rendez-vous, et parvient à ce que Geneviève la lise. Celle-ci
croit alors que Maud est toujours la maîtresse de son mari. Elle décide d’attendre le
jour du rendez-vous prévu, pour connaître la vérité. Par un concours de circonstances,
agencé une fois encore par Maud avec l’aide de Fernand, Geneviève surprend
Edmond et son ancienne maîtresse, seuls en pleine discussion. Elle laisse éclater sa

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colère, face à un Edmond qui se trouve dans l’incompréhension la plus complète.
Dans le même temps, La Faurie a des doutes quant à la fidélité de sa femme et pense
que Fernand est son amant. Mais Geneviève, après les souffrances subies à cause de
ce qu’elle croit être une infidélité de la part d’Edmond, ment à son oncle pour qu’il ne
connaisse pas le même sort.
Geneviève demande le divorce et l’obtient. Edmond voyage pour tenter d’oublier
sa femme qu’il aime toujours. Geneviève, elle aussi, connaît le désespoir car elle
n’est pas tout-à-fait certaine de l’infidélité d’Edmond. Alors qu’elles se rencontrent
seules à Paris, Maud avoue à Geneviève qu’Edmond n’est en rien coupable et que
c’est elle la seule responsable. Edmond, de retour de voyage, rend visite à Geneviève.
Elle lui explique alors qu’elle connaît la vérité et obtient d’Edmond son pardon pour
avoir douter de lui. Ils décident de se remarier, car ils se rendent compte qu’ils
s’aiment toujours.

Pilleur d’épaves, dont l’auteur est Pierre Maël, a d’abord était publié en volume
in-18 à 3 francs 50, chez L. Frinzine et Cie en 1887 161, puis dans L’Écho de Lyon du
dimanche 16 août au dimanche 18 octobre 1891, en soixante épisodes. Pierre Maël est
un pseudonyme sous lequel se cachent deux auteurs : Charles Causse (1862-1904) et
Charles Vincent (1851-1920)162. Il semble que ce nom soit emprunté à un lieu situé en
Bretagne : Maël Carhaix, à 44 kilomètres au Sud Ouest de Guingamp dans les Côtes
du Nord163. Causse, né à Lorient, ancien officier de marine, doit renoncer à la
navigation à cause d’une blessure. Il se lance alors dans le roman maritime et dans
164
des ouvrages pour la jeunesse . Charles Vincent collabore à ce projet, mais reste
davantage dans l’ombre. Pilleur d’épaves paraît d’abord en première page, puis passe
à partir du samedi 29 août en page trois ou quatre des numéros.
Un critique résume ainsi l’intrigue : « Pilleur d’épaves est un roman plein du
grondement des flots et des rugissements de la tempête, c’est la peinture des mœurs et
du caractère de ces gens qui vivent de la mer et de ses hasards »165.

161
Le Soudier, La Revue des livres nouveaux, volume 13, n° 149, 15 janvier 1887, Paris : [s. n.],
tables des ouvrages, p. 357. Ce numéro est disponible sur Gallica.bnf.fr.
162
Anne-Marie Thiesse, Le roman du quotidien : Lecteurs et lectures populaires à la Belle Époque,
Paris : Le Chemin vert, 1984 (le temps et la mémoire), partie 3, p. 213.
163
Jules Trousset (dir.), article « Maël », Nouveau dictionnaire encyclopédique universel illustré,
volume 3, Paris : librairie illustrée, [s. d.], p. 699.
164
Anne-Marie Thiesse, op. cit., partie 3, p. 215.
165
Le Soudier , La Revue des livres nouveaux, volume 13, n° 149, 15 janvier 1887, Paris : [s. n.], p.
136.

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Une fiction au confluent de la littérature et du journal

L’histoire s’ouvre en effet sur une tempête au large de la Pointe du Raz qui
provoque le naufrage d’un navire, à la grande joie des habitants du Cap. Ils sont pour
la plupart des pêcheurs vivant pauvrement, et s’empressent de voler la cargaison du
bateau. Les pillards trouvent, parmi les rescapés, deux enfants (un garçon et une fille)
qu’ils décident de sauver. Le jeune garçon est recueilli par Arc’han, un pêcheur, qui
le nomme Yân Ab Vor, c’est-à-dire Jean fils de la mer.
L’enfant grandit et le lecteur le retrouve à vingt-cinq ans, lorsqu’il revient chez
son père adoptif, après avoir effectué son service militaire. Arc’han l’encourage à se
marier et l’influence pour qu’il choisisse Gaïd, sa cousine. La date du mariage est
arrêtée, mais Yân change progressivement d’attitude vis-à-vis de sa famille et
recherche de plus en plus la solitude. Il a des visions qui s’avèrent être des souvenirs
du naufrage et s’isole pour tenter de comprendre qui est cette « femme jeune et
belle »166 qui se trouve sans cesse devant ses yeux. Plus largement, il veut connaître
ses origines car il sent qu’il est différent des pêcheurs de la côte mais ignore tout du
naufrage.
Il décide d’interroger Alain Kervarec (appelé aussi Lân) car celui -ci, lors d’une
fête, s’est moqué de Yân parce qu’il n’avait pas de famille. Il pense donc que Lân
doit connaître le mystère lié à ses origines. Mais lorsque les jeunes hommes se
rencontrent, la discussion dégénère en bagarre, au cours de laquelle Yân tue un des
compagnons de Lân. Blessé lui-même, il se cache alors dans des grottes pour
échapper aux gendarmes qui le recherchent, aidé dans sa fuite par sa fiancée Gaïd et
Ar Zod, un vieillard qui semble atteint de folie.
La petite fille du naufrage, quant à elle, s’appelle Marianna. Contrairement à Yân,
elle connaît l’histoire du naufrage. Gaïd est jalouse de cette jeune femme qui semble
si différente des habitants du Cap, et elle craint qu’elle ne séduise Yân. Sa peur se
révèle juste car Yân, qui est fasciné par Marianna, éprouve bientôt de l’amour pour
elle. Lors d’une sortie en mer où Gaïd et Marianna sont seules dans une embarcation,
Gaïd se venge en abandonnant sa rivale sur un îlot, alors que la mer monte. Marianna
manque se noyer, mais Yân, intrigué de voir Gaïd revenir seule au port, comprend la
situation et réussit à sauver Marianna. Celle-ci pardonne à Gaïd, qui regrette son
geste.
Les gendarmes poursuivent leurs recherches pour arrêter Yân mais sans aucun
succès. Ils se heurtent à l’hostilité des gens de la mer, qui protègent le jeune homme.

166
L’Écho de Lyon du vendredi 21 août 1891, épisode 6.

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En effet, alors qu’ils sont sur le point de l’arrêter, Lân et ses camarades, les ennemis
d’hier, s’interposent pour laisser le temps à Yân de s’enfuir. Les gendarmes se
rendent alors chez Kerzalé, maire de Plogoff, pour lui soumettre un nouveau projet :
puisque Gaïd aide Yân, elle est complice et doit être arrêtée. Ainsi, Yân serait
contraint de se rendre. Mais le maire, qui lui aussi aide le jeune homme, parvient à les
enivrer et les ridiculise devant tout le village.
Le temps passe et Yân regrette toujours davantage de s’être engagé à épouser
Gaïd. Alors qu’il est constamment contraint de se cacher, il poursuit sa quête des
origines en interrogeant Keinek, présent tout comme Arc’han lors du naufrage.
Keinek, devenu un vieillard, craint de parler mais il se décide enfin. Il lui raconte le
naufrage et le pillage du navire, pendant lequel Arc’han a tué la jeune femme qui
tenait Yân dans ses bras, pour lui voler ses bagues. Yân comprend alors que cette
jeune femme est celle de ses visions.
Après l’affront qu’ils ont subi chez Kerzalé, les gendarmes reprennent avec
davantage d’ardeur leurs investigations. Ils réussissent à cerner la grotte dans laquelle
Yân s’est réfugié, mais celui-ci, avec l’aide d’Arc’han, parvient une fois de plus à
s’échapper. Son père adoptif a déclenché un incendie dans la grotte en enflammant du
varech : trois des quatre gendarmes présents meurent asphyxiés.
Yân se rend chez Ar Zod, le vieillard fou, qui lui montre sa collection d’objets
ramassés sur la plage après des tempêtes. Yân est intrigué par des papiers conservés
intacts dans un tube de métal, ramassé précisément après le naufrage du navire sur
lequel il se trouvait. Les documents, qui ont donc vingt-trois ans, sont datés de 1859,
ce qui permet de savoir que l’histoire se déroule en 1882. Ces papiers contiennent les
noms des passagers qui étaient à bord du navire. Ar Zod retrouve alors la mémoire et
se souvient qu’il s’appelle en réalité du Gast, et que Marianna, de son vrai nom
Berthe du Gast, est sa fille. Il connaît aussi le véritable nom de Yân : Jean de Kerdaz.
Gaïd, que Yân fuit de plus en plus, souffre car elle comprend que son fiancé ne
l’aime plus. Dans le même temps, une épidémie de choléra se déclenche, provoquant
la mort d’Arc’han et de nombreux autres pêcheurs.
Marianna incite Yân, même si leur propre amour est réciproque, à épouser Gaïd.
Dans la nuit qui suit la cérémonie, une tempête se déclare et une embarcation est en
perdition. Yân décide alors de prendre la mer pour tenter de sauver les occupants. Il
est englouti par la mer déchaînée, tandis que les naufragés parviennent à regagner
sains et saufs le rivage. Gaïd, de désespoir, se jette d’une falaise.

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Une fiction au confluent de la littérature et du journal

Le Krach, écrit par B. Reytan, est aussi publié dans L’Écho de Lyon, du dimanche
15 novembre 1891 au vendredi 12 février 1892, en soixante -quinze épisodes. Il est en
première page du quotidien jusqu’au lundi 18 janvier, puis en page trois ou quatre,
cédant ainsi la place à un nouveau récit. Nous ne sommes pas parvenus à identifier
l’auteur de ce roman-feuilleton.
Le récit s’ouvre sur une présentation de la banque créée par Henri Martel-Chauvey
à Lyon en 1880. Ce veuf a une fille, Claire, dont l’institutrice et dame de compagnie
est une Anglaise qui se nomme Mary Percy. L’intrigue débute avec la découverte
d’un vol, commis dans cette banque, mais sans que le coffre-fort n’ait été forcé. Le
lendemain d’un bal donné chez le banquier, le caissier Drivon est le premier à
constater la disparition de ces trois millions de francs. Il en fait immédiatement part à
Martel-Chauvey, qui l’accuse aussitôt d’être l’auteur du vol. En effet, seuls le
propriétaire de la banque et le caissier possèdent la clé et connaissent le mot de la
combinaison pour ouvrir le coffre. Un commissaire de police, nommé Perraudin, est
chargé de l’enquête. Il interroge le personnel de la banque et constate la disparition
de François Dommartin, chargé de surveiller le coffre durant la nuit. Perraudin émet
alors l’hypothèse que celui-ci a été tué par le voleur parce qu’il constituait un
obstacle. Mais Perraudin ne parvient pas à démêler les fils de cette affaire.
Avant que ne se produise ce vol, Lyon est touchée par une frénésie de spéculation.
Martel-Chauvey, lui aussi, a succombé à « la fièvre de l’or »167, tout comme les
agents de change, qui prennent une importance grandissante, en même temps que le
prix des actions s’envole. L’un d’entre eux, Fortuné Prévost, a pour associé Raymond
de Staël. Ce dernier rencontre Claire au cours d’une des nombreuses réceptions
données par le banquier et devient l’intime de la famille.
Mary Percy, qui, elle, n’est pas insensible aux charmes de l’argent, parvient à
séduire Martel-Chauvey et à profiter de ces sommes colossales rapidement et
facilement acquises à la Bourse. Elle quitte sa place auprès de Claire, et déménage
pour occuper son propre appartement. Martel-Chauvey mène alors une double vie : il
est banquier et père de famille pour Claire ; amant de Mary Percy. Mais à la fin de
décembre 1881, la faillite de plusieurs banques lyonnaises entraîne celle de Martel -
Chauvey dans leur chute.

167
L’Écho de Lyon du samedi 21 novembre 1891, épisode 7.

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Le vol, parce qu’il a lieu au commencement de ce krach, est attribué par la rumeur
publique à Martel-Chauvey lui-même. Il est accusé de s’être volé en prévision de la
crise. Il annonce à Mary sa ruine : celle-ci décide alors de partir car son amant ne
peut plus subvenir à ses besoins. Lorsqu’il fait part de la même nouvelle à sa fille,
Claire cherche par tous les moyens à l’aider. Elle demande conseil à Raymond de
Staël, qui lui aussi est ruiné. Claire, qui possède un héritage laissé par sa mère, décide
de le donner aux créanciers de son père. Raymond de Staël tente de l’en dissuader. Il
est malgré tout ému par ce geste et demande à Claire de l’épouser. Elle accepte, mais
veut attendre que la crise soit passée.
Raymond de Staël décide de reprendre l’enquête laissée inachevée par Perraudin,
afin que cessent les rumeurs à l’encontre du banquier et de sa fille. Il fait appel à un
ancien agent de police, devenu commerçant à Paris, Aristide Mulot, qui a fait ses
preuves dans d’autres affaires. Celui-ci trouve, en inspectant l’appartement que Mary
Percy occupait avant son départ précipité, la correspondance de la jeune anglaise.
Plusieurs billets sont écrits par un baron italien, Angelo de Sora, qui a quitté Lyon en
même temps que Mary. Mulot comprend alors que ce baron doit être l’amant de
l’Anglaise et que ce sont eux qui ont volé le banquier avant de partir ensemble. Il fait
part de ses découvertes à Martel-Chauvey qui est atterré d’apprendre que Mary avait
un autre amant que lui. Il se souvient avoir dit, sans y prendre garde, le mot pour
ouvrir le coffre à sa maîtresse et se rend compte également qu’elle a pu avoir accès
facilement à la clé.
En interrogeant le concierge du banquier, Mulot apprend que le soir du bal, un
Italien, nommé Chipola, est venu chercher Dommartin, et que ce dernier n’a plus
reparu ensuite. Mulot pense alors que Chipola s’est chargé de tuer Dommartin pour le
compte de Sora, pendant que celui-ci commettait le vol. Sora a ensuite trompé son
complice en ne lui remettant qu’une infime partie du bénéfice. Pour confirmer ses
hypothèses, Mulot cherche Chipola afin de l’interroger, mais celui -ci a quitté Lyon
pour Paris.
Un retour en arrière dans le récit explicite les liens entre les personnages : Angelo
de Sora et Mary Percy se sont rencontré lors de promenades au parc de la Tête d’Or ;
Sora a fait la connaissance de Martel-Chauvey à la Bourse, avant d’être invité au bal
chez le banquier ; Chipola, était le compagnon de cellule de Sora dans une prison
napolitaine.

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Une fiction au confluent de la littérature et du journal

Arrivés à Paris, Aristide Mulot secondé par Raymond de Staël, retrouvent la trace
des amants, ainsi que de Chipola et de Lucia, la seconde maîtresse d’Angelo qui
habite avec lui. Mulot, déguisé en brigand, propose à Chipola de l’aider à retrouver
Angelo de Sora, moyennant une part du bénéfice de l’argent volé. Celui-ci tombe
dans le piège, et conduit Mulot chez Sora et Lucia. Avec l’aide de policiers, Mulot
fait arrêter les trois Italiens. Il trouve dans la maison les trois millions de francs
intacts.
Il se rend ensuite chez Mary Percy et lui explique que malgré sa complicité dans le
vol, elle peut éviter une condamnation. Elle doit pour cela lui révéler les éléments de
l’affaire qu’il ignore encore, ce qu’elle accepte de faire. Mary est ainsi appelée
comme simple témoin et non comme prévenue au Palais de Justice. Elle y rencontre
Chipola, Lucia et Angelo. La seconde maîtresse du baron italien, qui a appris par
Mulot que Mary était sa rivale, se venge en la tuant. Les trois Italiens sont
condamnés, tandis que la somme volée est restituée au banquier, et que Raymo nd et
Claire se marient.

L’auteur de La Chiffarde est Eugène Vachette, qui a choisi le pseudonyme


d’Eugène Chavette. Né à Paris en 1827, ce fils d’un grand restaurateur collabore très
tôt au Tintamarre. Il produit des récits « dans le genre comique, très gais et très
originaux »168 et il écrit des romans et des pièces de théâtres qui connaissent un
certain succès. Il meurt à Montfermeil le 16 mai 1902 169.
La Chiffarde est d’abord publié du samedi 10 juillet au samedi 25 septembre 1869
dans Le Gaulois, journal bonapartiste, fondé le 5 juillet 1868 par Edmond Tarbé des
Sablons et Henri de Pène 170. Puis le roman-feuilleton est repris par Le Peuple du
dimanche 19 juin au lundi 26 septembre 1892, en 95 épisodes. Ce quotidien socialiste
de grand format (60 x 45 cm), qui a pour directeur Marcel Villedary, est fondé à Lyon
le 14 mai 1892. Il est vendu 5 centimes le numéro, l’abonnement étant de 18 francs
par an dans le Rhône et de 22 francs en dehors. Le journal dispose de deux presses

168
Jules Lermina (dir.), « article Chavette », Dictionnaire universel illustré, biographique et
bibliographique de la France contemporaine, Paris : Boulanger, 1885, p. 301.
169
Roman d’Amat et Limouzin-Lamothe (dir.), article « Chavette », Dictionnaire de biographie
française. Tome 8, 1959, p. 947.
170
Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral, Fernand Terrou (dir.), Histoire générale de la
presse française. Tome 3. De 1871 à 1940, Paris : Presses Universitaires de France, 1972, partie 3,
chap. 2, p. 200.

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Marinoni171 et est abonné à la Société des gens de lettres 172. À partir du 22 juin 1902,
il devient un hebdomadaire 173.
L’histoire se déroule à Paris en 1816. La Chiffarde, une courtisane, est accusée
d’avoir tué le marquis Raoul des Gargins, neveu et unique héritier du duc de
Valdieuse, qui a disparu après avoir passé la nuit chez elle. La Chiffarde fait le récit,
devant le juge d’instruction, du début de cette intrigue : au cours d’un bal, un homme
masqué lui propose un défi. Elle doit réussir à séduire un homme qu’il lui désigne, et
qui semble être le marquis des Gargins. Le pari est gagné si elle arrive à l’attirer chez
elle, ce qu’elle parvient à faire. Lors du procès, le duc de Valdieuse, un vieillard
malade, est appelé à la barre pour apporter son témoignage. Il est accompagné de sa
femme : la Chiffarde reconnaît en la jeune duchesse Clara Paulmy, épouse Loarec,
une ouvrière, comme elle. La courtisane, qui est acquittée, salue la duchesse, mais
celle-ci n’est que mépris à son égard.
Bob, le domestique du marquis des Gargins disparu, poussé par sa volonté de faire
fortune, se rend chez la Chiffarde, qui habite à proximité de l’hôtel de la famille de
Valdieuse. Il lui propose, contre une importante somme d’argent, de lui révéler un
secret qui causera la perte de la duchesse. La Chiffarde, qui cherche à se venger de
l’affront fait par Clara, accepte l’offre du domestique. Ils s’associent avec
Cambournac, un bandit passé maître dans l’art du déguisement.
Durant la nuit, la duchesse qui attend Bob dans le jardin de l’hôtel pour lui
remettre une somme d’argent, trouve à sa place la Chiffarde. Clara devait en effet
rencontrer Bob, qui lui demande déjà de l’argent en échange de son silence. La
courtisane exige de la duchesse des excuses pour l’affront lors du procès, mais celle -
ci refuse. Chacune menace alors sa rivale de destruction. Dans le même temps, la
duchesse reçoit un billet lui annonçant le retour du marquis, ce qui l’affecte
profondément.
Un retour en arrière dans l’intrigue précise comment Clara a épousé le duc de
Valdieuse. Raoul des Gargins, qui craint pour son héritage, éloigne les femmes dans
l’entourage de son oncle. Mais Clara, qui est la lectrice du duc, est une femme
mariée, c’est pourquoi Raoul ne se méfie pas d’elle. En venant consulter le notaire

171
Henri Avenel, Le Monde des journaux en 1895 : organisation, influence, législation, mouvement
actuel, Paris, 1895, p. 249.
172
Henri Avenel, Annuaire de la presse française et du monde politique, Paris : [Annuaire de la
presse], 1899, p. 654.
173
Bibliothèque nationale de France, département des périodiques, Bibliographie de la presse
française politique et d’information générale de 1865 à 1944. 69, Rhône, Paris : Bibliothèque
nationale, 1966, p. 91.

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Une fiction au confluent de la littérature et du journal

Boniface Madoré, qui gère la fortune de la famille de Valdieuse, Raoul apprend que
son oncle retire d’importantes sommes d’argent qui, d’après le notaire, lui sont
destinées. Or, le marquis des Gargins n’a jamais reçu ces sommes. Il comprend alors
que c’est Clara qui les détient ; celle-ci ne nie pas et propose à Raoul un pacte : elle
lui rendra la moitié de l’argent amassé, s’il tue son mari, le capitaine Loarec. Bob,
alors domestique à l’hôtel de Valdieuse, entend cet entretien. Le marquis Raoul, pour
assassiner Loarec, utilise les charmes de la Chiffarde au cours du bal. Il est en effet
l’homme masqué qui la défiait, tandis que la victime de ce pari se révèle être Loarec.
Raoul des Gargins fait appel à Cambournac, qui doit tuer le mari Loarec lorsqu’il
sortira de chez la Chiffarde. Mais, si dans ces manipulations, le capitaine périt dans
un incendie, Raoul des Gargins disparaît lui aussi. Clara, devenue veuve, peut se
remarier avec le duc de Valdieuse.
Après ces précisions concernant Clara, l’intrigue se poursuit : au lieu d’un retour
du marquis, c’est Cambournac déguisé qui se présente chez la duchesse. Elle constate
aussitôt la supercherie, mais le bandit la menace de révéler son secret : grâce aux
informations données par Bob et au rôle qu’il a joué lui -même dans cette histoire, il
sait que Clara est à l’origine des deux disparitions. La duchesse prend peur et accepte
de reconnaître publiquement ce faux marquis comme étant le vrai. Celui -ci justifie
son absence en évoquant un long voyage qu’il a dû faire en Amérique. Il se rend chez
le notaire Madoré, qui ne peut se convaincre d’avoir Raoul des Gargins en face de lui.
Il tente de mettre en garde la duchesse contre cet usurpateur, mais elle le rassure elle -
même sur l’identité du marquis.
Cambournac, qui sert toujours les intérêts de la Chiffarde, décide d’éloigner Bob
de leurs projets. Il leur devient en effet inutile, car il a révélé ce qu’il savait. Le
domestique évincé veut se venger en proposant ses services à la duchesse.
Après sa visite chez le notaire, Cambournac rapporte son relatif échec à la
Chiffarde. Quant au notaire Madoré, il se rend chez la duchesse pour réitérer son
avertissement. Il veut prévenir la police, malgré les propos rassurants de Clara. Il
annonce à la duchesse qu’il existe deux testaments faits par le duc de Val dieuse :
l’un, établi avant son mariage, en faveur du marquis, l’autre cédant tous les biens à la
duchesse. Madoré craint que le faux marquis ne porte atteinte au testament qui est en
faveur de sa rivale. Ses soupçons se révèlent exacts : alors que le notaire, qui gère
aussi la fortune de la Chiffarde, rentre tard de chez la courtisane, il est enlevé par
Cambournac. Ce dernier prend sa place et fait croire qu’il est devenu fou. Il trouve

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chez le notaire les deux testaments et détruit celui qui destine l’héritage du duc de
Valdieuse à la duchesse. Il fait reprendre sa place au vrai Madoré, qui passe pour fou
lorsqu’il raconte son enlèvement et qui est emmené dans un asile d’aliénés. La
duchesse, qui ignore les agissements de Cambournac et qui est persuadée que la
fortune lui reviendra, provoque la mort du duc. Mais elle découvre la manipulation
lors de l’ouverture du seul testament restant, et est convaincue de perdre cet héritage
par la faute de la Chiffarde.
Bob, désormais du côté de la duchesse, lui propose de lui faire recouvrer sa
fortune. Cambournac, alors qu’il détient l’héritage du duc, meurt accidentellement.
Avec cette mort, maquillée en suicide, l’argent revient donc à la duchesse, puisque le
marquis n’a pas d’héritier. Mais Bob annonce à Clara, qui pense avoir définitivement
triomphé de ses ennemis, que Raoul des Gargins a été marié et qu’un enfant issu de
ce mariage vit toujours. De plus, la Chiffarde, que la disparition de son seul allié
affaiblie, jure de se venger.
La duchesse de Valdieuse recherche cet héritier qui menace sa fortune. Elle le
trouve sur les indications de Bob, en la personne de Louise, une fleuriste, qui habite
non loin de l’hôtel de Valdieuse. Cette jeune femme, qui ressemble au marquis, n’a
jamais connu son père. Clara l’attire dans un piège et avec l’aide de Bob, ils placent
la jeune femme endormie dans un coffre, afin de l’emmener dans un lieu isolé pour la
tuer. Pour le transport, le domestique sollicite l’aide de Beau -Bleu, un aveugle
accompagné de son chien, et qui loge dans la mansarde voisine de celle de Bob. Bob
est en effet persuadé que le vieil homme, ignorant toute l’affaire, ne déjouera pas
leurs plans. À la demande de l’aveugle, la duchesse les accompagne.
Ils arrivent dans une maison isolée et descendent dans une cave pour y déposer
Louise. Mais, lorsque la duchesse et Bob ouvrent la caisse, c’est la Chiffarde qui en
sort. Bob, profitant du trouble de Clara, enferme les deux rivales dans la cave. Elles
sont toutes les deux armées et se blessent mortellement. Beau-Bleu, resté à
l’extérieur, empêche Bob de s’échapper et de mettre la main sur l’héritage. Il lui
explique alors comment il a procédé à l’échange entre la Chiffarde et Louise dans le
coffre. Bob découvre que celui qu’il prenait pour un aveugle ne l’est pas. Il comprend
que c’est Loarec, le mari disparu de Clara, qui se cache sous ce déguisement.
L’homme qui a péri dans l’incendie ne peut donc être que Raoul des Gargins lui -
même. Clara, mourante et prisonnière, implore la pitié de son ancien mari. Loarec,
qui ne se méfie pas, s’approche d’elle : mais armée d’un pistolet, elle le tue. Bob, seul

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survivant, croit cette fois ne plus avoir d’obstacle. Mais, en tentant de sortir de la
maison, il est tué par le chien de l’aveugle. Louise, que ces manipulations ont pe rmis
de faire reconnaître comme étant la fille du marquis, retrouve ses droits et devient
propriétaire de l’héritage des de Valdieuse.

Les Francs-routiers, composé de dix-neuf épisodes, est écrit par François-Fortuné


Fernand-Michel dit Antony-Réal (1821-1896). Né dans le Var, il étudie le droit à Aix
et à Paris de 1840 à 1843. À partir de 1844, il collabore à plusieurs journaux lyonnais
auxquels il fournit romans et nouvelles en feuilletons. Il écrit aussi de la poésie.
Les Francs-Routiers est d’abord publié en volume in-18 en 1865174, puis dans
L’Écho du Rhône du jeudi 3 janvier au lundi 21 janvier 1895, et ce en première page.
Ce quotidien républicain indépendant est lancé le 6 février 1893 à Lyon, et fait suite à
L’Écho de Lyon. Ce grand format (62 x 46 cm) est vendu 5 centimes le numéro, et
l’abonnement est de 18 francs par an pour le Rhône, et de 22 francs par an en
dehors175.
Ce roman-feuilleton est un récit d’aventures dont l’intrigue commence « le soir du
10 février 1787 »176. Monsieur Rolland et sa fille Marie se trouvent à Marseille et
veulent se rendre à Toulon. Pour cela, ils doivent prendre une voiture dans laquelle
un mystérieux groupe d’hommes montent avec eux. Alors qu’ils traversent le bois de
Cuges, réputé pour être le repère de bandits, ils sont attaqués. Les auteurs de l’attaque
appartiennent au même groupe que les hommes qui se trouvent avec Marie et son
père. Tous ces brigands, ont pour chef Jean Camaille. Marie prend ce dernier, dans un
premier temps, pour son libérateur. Il enlève la jeune fille, tandis que son père est
contraint par les brigands de poursuivre sa route.
Marie est conduite au château de la Cadière, qui est le lieu de rassemblement des
membres appartenant à la Société secrète des Francs-Routiers. La jeune fille est
détenue mais bien traitée par Camaille, qui l’aime et qui le lui déclare. Cet amour
devient bientôt réciproque. Mais le chef des voleurs refuse de laisser partir Marie. Ou
plutôt, elle sera libérée si elle accepte d’entrer dans la Société et de commettre des
vols.

174
Jules Lermina (dir.), article « Antony-Réal », Dictionnaire universel illustré biographique et
bibliographique de la France contemporaine, Paris : Boulanger, 1885, p. 52.
175
Bibliothèque nationale de France, département des périodiques, Bibliographie de la presse
française politique et d’information générale de 1865 à 1944. 69, Rhône, Paris : Bibliothèque
nationale, 1966, p. 39.
176
L’Écho du Rhône du jeudi 3 janvier 1895, épisode 1.

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Après avoir repoussé cette offre, elle consent et passe l’épreuve initiatique qui fait
d’elle un nouveau membre. Elle est alors tiraillée entre son amour pour Camaille et sa
volonté de rester honnête. Elle apprend à mieux connaître le chef de la Société
secrète, qui se pose davantage en justicier réparant les torts, qu’en voleur dont le seul
but est de s’enrichir. Il donne ainsi à de pauvres fermiers l’argent nécessaire pour
payer leur maître, le comte du Regard, qui menace de les chasser de ses terres.
Camaille, accompagné de Marie et de trois autres brigands, décide de voler le
comte pour reprendre l’argent qui a été donné. Tous déguisés, ils opèrent sans que le
sang ne coule. Mais une nuit, le château de la Cadière est découvert et les membres
de la Société sont arrêtés. Lors du procès, seul Camaille est condamné à la peine de
mort, précédée de la torture. Marie, déguisée, est près de lui au moment où il est
conduit au supplice. Après la mort de son amant, elle se retire dans un couvent en
Italie.

Poupard et Poupardin est un roman-feuilleton écrit par Jean-Joseph-Adolphe


Ponet (10 janvier 1837- 1 er novembre 1900), qui entre dans le monde de la presse en
tant qu’ouvrier typographe, puis correcteur et enfin journaliste. Il collabore au
Progrès de Lyon, ainsi qu’au Courrier de Lyon et la violence de ses polémiques lui
vaut plusieurs duels. Il fonde ensuite La Comédie politique à Lyon, en 1871. Cet
hebdomadaire est un journal illustré de tendance bonapartiste, qui porte comme sous-
177
titre : « journal satirique hebdomadaire illustré politique judiciaire et financier » .
Le numéro est vendu 15 centimes dans le Rhône et 20 centimes au dehors.
L’abonnement s’élève lui à 11 francs par an. La rédaction du journal se trouve au
« 30 rue Impériale (provisoirement dénommée, rue de la République) »178. Cette
feuille, qui adopte plusieurs formats, est interdite par le préfet Joseph Ducros (1811-
1892), pendant la période de l’Ordre moral sous Mac-Mahon. Ce préfet est en poste
du 28 mai 1873 au 16 octobre 1875 à Lyon 179.
En 1885, un document rédigé par le cabinet du directeur de la Sûreté générale du
Ministère de l’Intérieur, à partir de rapports demandés aux préfets sur la situation de
la presse dans les départements, établit que La Comédie politique compte 4000

177
Bibliothèque nationale de France, département des périodiques, op. cit., p. 28.
178
Cette adresse est mentionnée de cette façon dans le haut de la première page du journal.
179
Patrice Béghain, Bruno Benoit, Gérard Corneloup [et al.], article « presse », Dictionnaire
historique de Lyon, Lyon : Bachès, 2009, p. 1045.

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abonnés et que « cette feuille est un organe de chantage »180. Le Grand dictionnaire
universel du XIXe siècle donne une image encore plus négative de ce journal : « sous
prétexte de représenter et de défendre l’opinion conservatrice , La Comédie politique
exerce un véritable et cynique chantage. Ce journal ne se borne pas à s’attaquer aux
riches ou à ceux qui ont intérêt à acheter le silence sur quelque faute par eux autrefois
commise ; il s’en prend à tous »181.
Adolphe Ponet est d’ailleurs condamné pour diffamation à cinq ans de prison, ce
qui arrête la publication du journal. Celle-ci reprend en 1894. Trois ans après, il est
de nouveau condamné à huit mois d’emprisonnement, pour des articles attaquant
l’administration militaire. Il est alors contraint de se réfugier à Genève, où il continue
de diriger son journal. 182
Poupard et Poupardin est publié en troisième page de La Comédie politique du
dimanche 17 février au dimanche 14 avril 1895. Ce roman-feuilleton, qui porte le
sous-titre de « nouvelle », est composé de huit épisodes. Lors de la mort d’Adolphe
Ponet, il est republié du dimanche 11 novembre au dimanche 9 décembre 1900, en
cinq épisodes.
Le premier fragment s’ouvre sur la description du capitaine Poupard. Ancien
soldat de Napoléon 1 er, il s’installe à Lyon après 1815 et, en raison de ses convictions
politiques, refuse d’occuper un emploi sous la Restauration. L’intrigue débute en
1847 : Poupard a alors un fils prénommé Toussaint (né en 1832), dont il supervise les
études. Celui-ci souhaite en effet entrer à Polytechnique. Mais en 1847, Poupard
change brusquement de comportement à l’égard de son fils, dont il délaisse les
études. Toussaint, intrigué et même inquiet, espionne son père et découvre que
Poupard se livre à l’activité de journaliste, et ce dans Le Courrier de Lyon. Poupard
néglige donc les études de son fils pour avoir « le bonheur de se voir imprimé »183.
Toussaint décide d’écrire un article en réponse à son père, dans lequel il le ridiculise.
L’article est signé « Parvulus » tandis que Poupard signe « Parvus ». Le père, furieux
de cette réponse, envoie deux autres articles, auxquels répond Toussaint, toujours

180
Ce rapport est reproduit dans Pierre Albert (présentés par), Documents pour l’histoire de la presse
de province dans la seconde moitié du XIXe siècle, Paris : Centre de documentation sciences
humaines, Éd. du CNRS, [1973] (documentation), p. 179.
181
Pierre Larousse, article « La Comédie politique », Grand dictionnaire universel du XIXe siècle.
Tome 17, suppl. 2, Paris : administration du grand dictionnaire universel, p. 871. Ce document est
disponible sur Gallica.bnf.fr.
182
Justin Brun-Durand, Dictionnaire biographique et biblio-iconographique de la Drôme, Tome 2,
Grenoble : Falque et Perrin, 1901, additions, p. 426-427. Ce document est disponible sur
Gallica.bnf.fr.
183
La Comédie politique du dimanche 24 février 1895, épisode 2.

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avec un humour piquant, qui ne fait qu’augmenter la colère de Poupard. Ce dernier ne
sait d’ailleurs pas qui se cache derrière le nom de « Parvulus ».
Poupard décide de provoquer en duel celui qui ose le ridiculiser par voie de presse.
Les témoins se rencontrent et entament alors des négociations, tandis que « Parvus »
ignore toujours qui sera son adversaire. La nuit qui précède la confrontation est sans
sommeil et pleine de doutes pour le capitaine Poupard. Il fait ses adieux à sa femme
et à son fils endormis. Mais Toussaint, qui ne fait que mimer le sommeil, est pris de
remords en entendant son père pleurer. Au matin, les protagonistes se retrouvent à la
lisière du bois de la Tête-d’or. Lorsque Poupard reconnaît son fils, le duel se change
en éclat de rire général. Le père accepte la leçon, et il reprend son rôle auprès de
Toussaint. Celui-ci entre finalement à Polytechnique. Le roman-feuilleton s’achève
sur la promesse faite par le narrateur de relater la suite des aventures de Poupardin.

Nous avons sélectionné un autre roman-feuilleton paru dans La Comédie politique


et lui aussi écrit par Adolphe Ponet : il s’agit de Rosette Dory. Il paraît du dimanche
28 janvier au dimanche 14 octobre 1900. Il est composé de trente huit épisodes sans
aucune interruption. Les cinq premiers numéros sont publiés en page trois, tous les
autres en page quatre. Le nom de l’auteur n’apparaît qu’au dernier épisode.
L’intrigue se déroule durant la décennie 1860. Le corps du père de Rosette Dory
est découvert à Clarette, près de Valence. Rosette, que les villageois ne tardent pas à
soupçonner d’être à l’origine du meurtre, est emmenée par les gendarmes à la prison
de Valence. Victor Fernel, son amant, avec lequel elle a passé la nuit précédant le
meurtre, est aussi arrêté car il est accusé d’être son complice. Commence alors pour
la jeune femme le cauchemar de la détention : elle est maltraitée par une religieuse
gardienne, sœur Gertrude, tandis que le juge d’instruction Ernest Corréard fait tout
pour obtenir des aveux de sa part. Alors que Rosette clame maladroitement son
innocence, Corréard décide de l’envoyer non pas en cellule mais au cachot pour la
forcer à avouer. A l’opposé, Victor Fernel, qui comparaît devant ce même juge
d’instruction, est certain que sa détention n’est qu’une simple erreur et parvient à
rester maître de lui. Il oppose argument contre argument pour démontrer son
innocence, mais il ne parvient pas à convaincre Corréard.
Rosette, affaiblie par le manque de nourriture et le froid du cachot, entend, peu de
temps après, des religieuses parler de Fernel, qui est malade. Pour qu’il soit libéré, il
faut que Rosette fasse des aveux et disculpe son amant. De plus, elle prend

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conscience qu’elle est enceinte et qu’un séjour prolongé au cachot risquerait de


mettre en danger la vie de son enfant. Une novice, qui constitue le seul soutien de
Rosette en prison, lui propose de s’évader pour prouver son innocence, en menant
elle-même les recherches. Rosette se trouve alors face à un dilemme : s’évader pour
protéger la vie de son enfant et la sienne conduirait son amant à être accusé seul du
crime ; avouer un meurtre qu’elle n’a pas commis innocenterait Fernel mais
l’exposerait à une lourde condamnation. Elle décide finalement de se rendre coupable
de parricide.
Son amant, une fois libéré, fait des recherches pour retrouver la montre ayant
appartenu au père de Rosette, volée lors du crime et qui, il en est persuadé, pourra
mener sur la piste du criminel. Pendant ce temps, le procès de Rosette a lieu : mal
défendue par un avocat ignorant de l’affaire, face à un président de Cour d’assises
ambitieux et corrompu, elle est condamnée aux travaux forcés à perpétuité. Victor
Fernel, après avoir épousé Rosette, s’installe dans la maison des Dory. En parlant
avec les habitants des alentours, il découvre l’existence de Jean Merlat et de
Lorenzino, deux hommes qui se produisent dans les foires et dont les agissements
semblent douteux. Alors que ces deux hommes se trouvent à proximité de Clarette, un
nouveau meurtre est commis. Fernel parvient à rencontrer Merlat et lui montre le lieu
où le père de Rosette Dory a été assassiné, pour tenter de le confondre. Mais celui -ci
ne laisse rien paraître.
Après une visite à Rosette qui vient de donner naissance à leur fils, Fernel décide
d’interroger plus directement Merlat, mais celui-ci est déjà reparti. Fernel se lance à
sa poursuite et le retrouve en compagnie de celui qui doit être Lorenzino non loin
d’une grotte, qui leur sert à entreposer les biens qu’ils ont volés. Victor Fernel décide
d’attendre la tenue d’une foire pour les prendre sur le fait. L’occasion se présente un
soir : Fernel se poste avec des gendarmes à proximité de l’entrée de la grotte, dans le
but d’arrêter les deux hommes. Mais Lorenzino et Merlat leur échappent et
parviennent à entrer dans la grotte pour s’y cacher. Fernel fait alors appel au colonel
Averton, présent au procès de Rosette et qui est convaincu de son innocence. Avec
ses hommes, celui-ci investit la grotte et arrête les deux fuyards, qui avouent le
meurtre du père de Rosette. La montre, qui est découverte parmi d’autres objets
volés, constitue la preuve de leur culpabilité. Après un second procès permettant de
faire reconnaître l’innocence de Rosette, la famille Fernel s’installe dans la maison du
défunt. Mais Rosette, très éprouvée par son séjour en prison, meurt de la tuberculose.

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Son fils Charles, inconsolable, meurt lui-même d’une méningite, tandis que Victor
Fernel, engagé comme soldat au côté de l’empereur dans la guerre de 1870, meurt au
combat.

Étude des scénarios

Après avoir présenté ces neuf romans-feuilletons dans leur ensemble, nous
pouvons comparer la trame de ces fictions et nous arrêter plus particulièrement sur
l’élément déclencheur de l’intrigue, ainsi que sur le dénouement de ces histoires.
Ce qui constitue l’origine de l’intrigue dans Le Baptême du sang, c’est la conduite
de Jacques Lormeau. En réalisant un achat inconsidéré et en devenant le débiteur de
Jollivet, il autorise en effet l’usurier à avoir des velléités de mariage à l’encontre de
sa fille Marthe. Dans Les Prétendants de Monique, le duc Henri de Valmagny décide
pour son fils Jacques d’un mariage avec sa cousine Monique Andercey. Dans Pilleur
d’épaves, la conduite du père adoptif de Yân Ab Vor, Arc’han, lors du naufrage, fait
peser un lourd secret sur les origines de cet enfant. C’est parce qu’Arc’han n’a jamais
parlé à Yân de son passé, que le jeune homme se lance dans des recherches qui
commencent par une bagarre avec Lân et ses compagnons. Avec Le Krach, c’est la
figure d’un homme trop faible pour résister à sa maîtresse qui est montrée à travers le
banquier Henri Martel-Chauvey. En effet, la trop grande confiance qu’il accorde à
Mary Percy, permet à cette femme de collecter des informations nécessaires au succès
du vol. Dans Les Francs-Routiers, Marie Rolland voyage seule avec son père
lorsqu’elle est enlevée par la bande des voleurs. Ce dernier ne tente pas de
s’interposer. De plus, il fait des recherches pour tenter de retrouver sa fille, mais les
interrompt lorsqu’un complice de Jean Camaille lui en donne l’ordre, laissant ainsi le
temps à Marie de partager les aventures de la société secrète. Dans Poupard et
Poupardin, le brusque changement de comportement du père à l’égard de son fils
constitue l’élément déclencheur. Enfin, dans Rosette Dory, la figure éponyme est
accusée du meurtre de son père par la rumeur publique, parce que celui -ci refusait de
voir sa fille épouser Victor Fernel, alors même qu’il est responsable de la rencontre
entre les amants. En effet, le père laisse sa fille rentrer seule après un bal, et c’est là
que Victor l’accompagne et lui déclare son amour. Ce mariage contrarié dote Rosette
d’une motivation suffisante pour la rendre coupable du crime.
Par conséquent, sur les neuf romans-feuilletons étudiés, sept ont pour élément
déclencheur de l’intrigue la conduite des pères. Seules l’intrigue de Passionnément,

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qui est déclenchée par le refus d’Edmond Sorbier d’épouser Maud Vivian et l’histoire
de La Chiffarde, qui commence par l’affront fait à la courtisane par la duchesse Clara
de Valdieuse, ne font pas intervenir les parents. Ce sont donc les pères qui sont en
majorité responsables des événements heureux ou non que vont vivre leurs enfants.
La façon dont se terminent ces intrigues présente aussi des éléments communs.
Dans Le Baptême du sang, la première partie de l’histoire relate le destin de Marthe
Lormeau selon une trajectoire descendante qui la conduit à la mort. La fin de la
seconde partie de l’intrigue montre Pedro rétabli dans le statut qui est légitimement le
sien, c’est-à-dire comme un membre de la famille de Vimeuse. Son mariage avec
Blanche de Vimeuse renforce ce lien. Mais ce qui semble être une ascension sociale,
n’en est pas véritablement une : le dénouement ne fait que restaurer l’ordre qui a été
troublé. Les Prétendants de Monique montre le parcours ascendant de Jacques de
Valmagny. Il quitte Paris pour ne plus y retourner et met un terme à sa vie oisive.
Mais cette évolution du personnage n’empêche pas la réalisation du projet initial, à
savoir le mariage avec Monique Andercey. Dans Passionnément, Edmond Sorbier
mène lui aussi une vie oisive. En épousant Geneviève Coraize, il connaît une
première stabilité, rapidement détruite par Maud Vivian. Mais après la victoire de
l’injustice, la vérité éclate et le second mariage marque le retour à l’ordre. Yân Ab
Vor, dans Pilleur d’épaves, même s’il parvient à connaître ses origines ne peut être
réintégré dans sa famille car celle-ci n’est plus. Sa mort marque le retour à un état
initial, comme s’il n’avait jamais vécu. Dans Le Krach, plusieurs intrigues se mêlent.
Le dénouement montre la résolution du vol, l’arrestation des coupables et la
restitution de l’argent volé, tandis que Raymond de Staël et Claire Martel-Chauvey se
marient. Dans La Chiffarde, les opposants se détruisent eux-mêmes et par leur
disparition, l’ordre peut être rétabli. Louise retrouve ainsi son nom et son héritage.
Comme pour Pedro, son ascension sociale n’est que le retour de la justice après le
désordre. Les Francs-Routiers s’achève par le triomphe de la morale avec la mort du
voleur Jean Camaille. Dans Poupard et Poupardin, le projet initial est réalisé, à
savoir la réussite au concours de Toussaint. Enfin, dans Rosette Dory, les criminels
sont condamnés, mais le retour à la situation initiale est rendu impossible par la mort
de Rosette.
Par conséquent, les dénouements de ces romans-feuilletons peuvent montrer une
restauration sociale accompagnée d’un certain optimisme, ou bien la mort des
protagonistes. Mais, que les issues de ces histoires aboutissent à un mariage ou à un

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décès, elles présentent un caractère définitif. Les péripéties vécues par les
protagonistes constituent un désordre dans une société bouleversée. Le dénouement,
quant à lui, marque un retour à la norme : les voleurs et criminels sont arrêtés, tandis
que les personnages dépossédés de leurs biens les retrouvent.

LE TRAITEMENT DES LIEUX DANS LES INTRIGUES

Ces neuf romans-feuilletons qui constituent le corpus, présentent comme décors


des lieux très divers de la France métropolitaine. Excepté Paris et Lyon qui
reviennent comme cadres de plusieurs fictions, ces zones géographiques sont très
éloignées les unes des autres et n’ont aucun point commun. Ainsi, l’intrigue de
Rosette Dory se déroule dans la région de Valence, celle de Pilleur d’épaves dans le
Finistère, et celle des Prétendants de Monique dans les Vosges.
Mais, dans toutes ces fictions, existe-t-il une façon commune de décrire les lieux ?
Autrement dit, nous cherchons à savoir si les romans-feuilletons sélectionnés
présentent un certain nombre de passages obligés dans la description du cadre de
l’intrigue, ou bien si chaque auteur expose de façon spécifique le décor dans lequel i l
fait évoluer ses personnages. Pour réaliser cette étude des lieux, nous prenons en
compte dans les fictions les éléments qui contribuent à déterminer un espace et à le
singulariser par rapport aux autres. Ainsi, nous nous intéresserons aussi bien à la
description des paysages qu’à celle du mode de vie propre à une région.

Les incipits

Nous commençons par une étude des incipits, c’est-à-dire des premiers
paragraphes de la fiction, afin de comprendre comment l’auteur installe le décor,
avant de faire vivre ses personnages sous les yeux du lecteur.
Trois romans-feuilletons ne présentent aucune description en guise d’introduction.
C’est le cas de Poupard et Poupardin, qui s’ouvre sur un portrait de Poupard :
« Volontaire et simple soldat en 1807, le conscrit Poupard était devenu et s’appelait
en 1814 « le capitaine Poupard ». Il avait, sept années durant, cheminé sur toutes les
routes et guerroyé sur tous les champs de bataille de l’Allemagne, de l’Autriche, de
l’Espagne et de la Russie » 184. Même si des lieux sont évoqués, ce ne sont pas ceux

184
La Comédie politique du dimanche 17 février 1895, épisode 1.

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dans lesquels l’intrigue va se dérouler. Il en va de même pour Passionnément, qui


présente sans introduction un dialogue entre Edmond et Maud : « -Vous m’aimez ? -
Coquette ! -C’est bien vite dit ! Vous savez comme je vous adore » 185. Cet échange
permet de donner le ton général de la fiction et d’orienter le lecteur sur l’intrigue à
venir, sans pour autant la situer spatialement. Dans le début de La Chiffarde,
l’histoire s’ouvre sur le seul nom de la capitale comme mention du lieu : « Les faits
les plus monstrueux ou les plus grotesques se produisent parfois à Paris sans que
l’attention publique s’en préoccupe ; puis, tout à coup, la curiosité parisienne
s’attache à un événement. Elle le dissèque dans ses plus minces détails, elle en creuse
les moindres circonstances et lui donne, pendant quarante huit heures, un retentissant
succès. Tel fut jadis le sort de l’Affaire de la Chiffarde » 186.
Ces trois fictions se déroulent, du moins à leur commencement, respectivement à
Lyon et à Paris. Poupard et Poupardin étant directement destiné à des lecteurs
lyonnais, il n’est aucun besoin de présenter longuement la ville. De plus, une
description superflue risquerait de ralentir l’intrigue, avant même qu’elle ne
commence réellement, et d’ennuyer le lecteur. L’absence de description pour la ville
de Paris tient à la même raison : mentionner le nom suffit à indiquer au lecteur qu’il
est en terrain connu.
La description est en revanche plus développée lorsqu’il s’agit de montrer au
lecteur une région plus reculée, que celui-ci peut avoir davantage de difficultés à
visualiser. De plus, cette peinture d’un décor vide, progressivement animé, doit faire
prendre conscience au lecteur de la mesure des éléments qui le composent. Ainsi,
dans Pilleur d’épaves, le calme qui règne est annonciateur d’une tempête : « La nuit
venait, pesante et chargée. Quand on regardait l’horizon, le bleu, déjà plus sombre,
avait à l’ouest, tout au fond de la voûte, des plaques fuligineuses renflées au ventre,
avec des reflets de cuivre. Pas un souffle d’air ne courait sur l’immensité glauque. De
Gorlé-Greiz à l’île de Sein, la mer, huileuse et calme, avait des lourdeurs
inconnues ». Et, plus loin : « le Raz, s’il n’était point tout-à-fait endormi, sommeillait
187
du moins d’étrange sorte » . Quelques noms de lieu sont mentionnés dans cette
description, mais il s’agit davantage pour l’auteur d’intégrer l’environnement à
l’intrigue et de lui laisser un rôle important. En effet, la mer joue un rôle crucial dans
cette fiction, puisque c’est elle qui apporte Yân Ab Vor avant de le reprendre.

185
L’Écho de Lyon du mercredi 18 septembre 1889, épisode 1.
186
Le Peuple du dimanche 19 juin 1892, épisode 1.
187
L’Écho de Lyon du dimanche 16 août 1891, épisode 1.

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L’incipit de Baptême du sang est, quant à lui, très didactique : « Tous ceux qui ont
jeté les yeux, ne fût-ce qu’une seule fois, sur une carte géographique de la France, ont
remarqué la longue péninsule par laquelle la Normandie pénètre dans les flots, entre
l’océan à sa gauche, et, à sa droite, le bras de mer qui nous sépare des Anglais. C’est
la presqu’île de la Manche. Son extrémité occidentale […] s’appelle la Hague. »
L’auteur commente la carte pour son lecteur, situe les lieux les uns par rapport aux
autres et les nomme. Cette entrée en matière, plus sobre que celle de Pilleur d’épaves,
est rehaussée par une observation de l’auteur : la Hague « est certainement une des
contrées les plus pittoresques et en même temps les plus originales de notre pays » 188.
Il éveille ainsi la curiosité du lecteur, en proposant une intrigue qui va se dérouler
dans un lieu insolite.
Dans Le Krach, la fiction a pour cadre la ville de Lyon. L’auteur ne présente pas le
lieu en lui-même, mais rappelle à son lecteur dans quel contexte la banque a été
fondée : « Les Lyonnais n’ont pas oublié la somptueuse et éphémère maison de
banque Martel-Chauvey et Cie. C’est en 1880, au moment où notre ville semblait
frappée d’un accès de folie financière, qu’au milieu de tant d’autres, s’était édifié ce
nouvel établissement de crédit. » Vient ensuite la description de l’intérieur du
bâtiment, rendue nécessaire par l’intrigue elle-même. En effet, le lecteur doit pouvoir
visualiser l’organisation des pièces pour comprendre comment le voleur a procédé :
« La banque Martel-Chauvey, plus connue du public sous le nom de Crédit du Sud-
Est, occupait tout le rez-de-chaussée et tout l’entresol du numéro 19 bis de la rue de
la République. Au premier étaient les appartements particuliers de M. Martel-
Chauvey. On se rappelle encore la disposition générale. La large porte cochère
s’ouvrait sur une allée conduisant à la cour où donnaient les remises et les écuries. À
droite, l’escalier desservant les bureaux de l’entresol, à gauche, le grand escalier des
appartements. La loge du concierge est sous ce dernier » 189.
Trois romans-feuilletons du corpus présentent une description dans laquelle
s’inscrivent dès l’origine des personnages. Ainsi, l’incipit des Prétendants de
Monique donne des informations, à travers la présentation d’une bâtisse, sur
Godefroy de Valmagny, son propriétaire : « Vers le milieu du Second Empire, les
habitants des Champs-Élysées ont pu voir, dans une rue avoisinant la superbe
promenade s’élever un charmant petit hôtel. Sa structure élégante indiquait que le
possesseur était homme de goût, mais les formes exiguës de cette construction
188
Le Courrier de Lyon du samedi 12 juin 1875, épisode 1.
189
L’Écho de Lyon du dimanche 15 novembre 1891, épisode 1.

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montraient qu’elle n’était point destinée à abriter une nombreuse famille »190. Une
fois encore, comme pour Le Krach, ce n’est pas la ville qui est décrite. L’auteur
mentionne uniquement les éléments qui font sens et qui contribuent à qualifier le
personnage.
L’incipit des Francs-Routiers informe le lecteur, dès la première phrase, du
contenu de l’intrigue : « Le bois de Cuges a été longtemps le rendez-vous des bandes
de voleurs qui, vers le milieu du dernier siècle, désolaient le midi de la France : là
Gaspard de Besse a fait ses premières armes, Mandrin y a tenu son quartier général et
Camaille y jeta longtemps l’épouvante » 191. L’auteur ne décrit pas l’endroit au moyen
d’éléments géographiques, mais mentionne les noms de célèbres brigands qui ont fait
l’histoire du lieu. En effet, ce qui permet de singulariser cet espace, tient davantage
dans les événements qui s’y sont déroulés, plutôt que dans tel ou tel élément visible
du décor. En faisant ce choix, l’auteur inscrit aussi le personnage principal, à savoir
Jean Camaille, dans une lignée.
Enfin, le début de Rosette Dory s’ouvre sur un échange entre deux personnages :
« -C’est ma fi ! ben le père Dory ! - Mais non, la barbe à Dory est plus blanche ! –
Souillée de sang et de boue, comme elle est, celle-ci n’a plus de couleur. Mais c’est
pour sûr le père Dory. Tiens, regarde son pendant d’oreille ! – Ah ! Puis son pouce
tordu, ma foi, oui… - Pauvre Père Dory ! Qui donc a ben pu le mettre dans cet
état ? ». C’est en fonction de ces deux hommes, que la courte description de
l’environnement s’organise ensuite : « Tel était le dialogue échangé le 20 septembre
186… sur les 8 heures du matin, entre Bézagut, le facteur rural, qui venait de
commencer sa longue tournée, et Breynat, le chevrier de la commune de Clarette,
habitué à hanter avec son troupeau les pentes de la colline de la Matrasse, alors non
192
boisée, comme elle l’est devenue depuis » . Le dialogue en lui-même peut déjà
donner un début d’information sur l’endroit, que vient compléter la présentation des
deux hommes : l’auteur reproduit le langage de deux protagonistes issus du monde
rural.

Par conséquent, les incipits des neuf romans-feuilletons du corpus ne présentent


pas les différents lieux de la même manière. Le seul point commun entre ces récits est
que les espaces, dans lesquels les histoires prennent place, existent tous réellement.

190
L’Éclair du samedi 26 janvier 1884, épisode 1.
191
L’Écho du Rhône du jeudi 3 janvier 1895, épisode 1.
192
La Comédie politique du dimanche 28 janvier 1900, épisode 1.

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En revanche, les descriptions ne se situent pas à la même échelle : l’auteur du
Baptême du sang commence par montrer une partie de la Normandie, tandis que celui
de Rosette Dory s’en tient à l’échelle d’une commune. De plus, alors que certains
auteurs se contentent de mentionner quelques noms propres, sans effectuer aucune
description, d’autres exposent de façon partielle l’environnement dans lequel des
personnages peuvent être déjà présents. Dans ces deux cas, le lecteur ne peut pas se
représenter le lieu d’après les éléments donnés par l’auteur. Mais ne pas décrire peut
aussi être un moyen de renvoyer le lecteur à ce qu’il connaît et à la vision qu’il se fait
de l’environnement mentionné.
Des descriptions plus fournies sont réalisées lorsqu’elles sont nécessaires ;
autrement dit, lorsque le lieu est éloigné de ce que peut connaître le lecteur. Ainsi, la
présence d’une description dans l’incipit n’est pas motivée par le seul plaisir
d’illustrer. Son but n’est pas de donner à voir, mais de traduire l’implication d’un
environnement dans le cours d’une intrigue, ou encore de présenter les éléments
nécessaires à la compréhension de l’histoire. Avant tout, la peinture d’un lieu est
réalisée dans un but utilitaire. Pourtant, au vue de cette étude, nous ne pouvons pas
mettre en évidence un modèle d’incipit qui serait propre au roman-feuilleton. En
effet, la diversité contenue dans les premiers paragraphes des fictions montre que les
auteurs ne suivent pas un modèle unique, mais adaptent l’importance quantitative des
descriptions aux lieux eux-mêmes.

La pédagogie

Nous avons pu voir que Le Baptême du sang s’ouvrait sur un exposé didactique,
présentant le lieu de l’intrigue. Nous nous proposons d’étudier, dans le cours des
fictions, d’autres explications que nous avons relevées et qui présentent un caractère
pédagogique. Nous désignons à travers ce terme de pédagogie, des éléments qui ne
sont pas déterminants de façon directe pour comprendre les événements de l’intrigue,
mais qui contribuent à faire découvrir un lieu au lecteur. Nous cherchons à savoir s’il
s’agit là d’un trait caractéristique, propre au roman-feuilleton.
Nous avons ainsi constaté que certaines descriptions de lieux peuvent être
considérées comme de véritables leçons de géographie. Dans Pilleur d’épaves, la
« Baie des Trépassés » est le lieu du naufrage pour le navire qui transporte Yân et
Marianna. Elle se situe « sur l’extrémité la plus occidentale de la Bretagne, au nord
de la baie d’Audierne, au sud de celle de Douarnenez », « entre la pointe du Van et la

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Une fiction au confluent de la littérature et du journal

pointe du Raz ». L’auteur poursuit en réalisant une étude topographique de l’endroit,


ce qui contribue à renforcer l’effet de réel : « la crique s’ouvre en un demi-cercle,
dont le plus grand rayon aboutit à une plage de sable resserrée entre les rochers
gigantesques. L’altitude des masses granitiques varie de 60 à 80 mètres. Ce sont de
véritables falaises, perpendiculaires pour la plupart, mais corrodées ça et là par les
assauts de l’Océan et du vent »193.
D’autres fictions mêlent à ces descriptions des informations sur l’histoire du lieu.
Dans Passionnément, Edmond Sorbier est originaire de Valleraugue, qui se situe dans
les Cévennes. C’est « une jolie ville située dans une espèce d’entonnoir, le long d’une
petite rivière au cours rapide qui se jette dans l’Hérault ». La description est menée de
telle sorte que le lecteur ait l’impression d’avancer lui-même dans ce décor : « la
route traverse un pont vermoulu […] puis la montée s’accentue. […] Entre les arbres
serpentent des bruyères sombres avec des reflets d’émeraudes brunies. […] La route
monte encore ». Puis le cadre se resserre lorsque le lecteur est arrivé au terme de son
voyage : « soudain, sur cet immense plateau, s’ouvre une allée de châtaigniers, une
allée toute droite, unie et sablée, aboutissant à un château à tourelles qui date du
premier Empire. C’est le Valdeyron, la demeure de la famille Sorbier. Une esplanade
carrée s’étale devant le perron […] deux escaliers parallèles, taillés aux extrémités
entourent un bassin circulaire ». Les éléments architecturaux du domaine sont
longuement décrits et suffisent à faire appréhender le lieu au lecteur. Mais l’auteur
poursuit en détaillant toute l’histoire de la bâtisse : « le château était jadis une
hautaine forteresse protestante », puis « à la révocation de l’Édit de Nantes, la famille
d’Ars se réfugia en Suisse ». « Au commencement du Consulat, un petit bourgeois
huguenot de Valleraugue, Denis Sorbier […] construisit le château moderne » 194.
Cette énumération des événements historiques liés à la demeure, n’est d’aucune aide
pour visualiser l’endroit. En revanche, elle joue un rôle de justification en expliquant
comment ce domaine est devenu la propriété de la famille Sorbier. Ces explications
ont donc pour fonction de ne laisser aucun élément dans l’ombre : pour cela, elles
doivent remonter jusqu’aux origines du lieu.
Les auteurs procèdent de même en étudiant minutieusement les individus vivant
dans des régions qui sont éloignées de ce que peut connaître le lecteur. Ainsi, dans Le
Baptême du sang, Louis Énault commence par expliquer à quel moment s’est effectué
le peuplement de la Normandie : « vers les premiers siècles du moyen âge, quand les
193
L’Écho de Lyon du lundi 17 août 1891, épisode 2.
194
L’Écho de Lyon du vendredi 11 octobre 1889, épisode 23.

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Scandinaves, chassés par les glaces du pôle et déjà ne pouvant plus contenir dans des
frontières trop étroites leur population débordante, descendirent vers le soleil […] ils
n’oublièrent point la Hague ». Il donne la raison de ce choix : « avec ses fiers rivages,
son sol rude, sa mer souvent inclémente, elle était pour eux comme une image de leur
âpre patrie ». Puis il examine les caractéristiques spécifiques que possèdent les
habitants de la Hague : « le croisement celte et scandinave a produit ici un résultat
que, peut-être on ne retrouverait point ailleurs, et qu’il est bon d’étudier. C’est
toujours la haute taille, c’est toujours la large carrure du Norvégien ; mais sa masse
lymphatique s’est animée du feu sacrée d’une vie plus intense. » 195.
Dans Pilleur d’épaves, Pierre Maël se livre à un examen anthropologique encore
plus détaillé, pour les habitants du Finistère, cette « race de héros, par nature, et de
bandits inconscients »196 : « ils se divisent en trois familles bien distinctes : la
Léonarde, Montagnarde, Cornouaillaise. La première […] se distingue par une taille
élevée, un air dégagé, libre et fier, plein de distinction et de dignité calme. Le
Léonard semble taillé pour la course. Ses jambes sont longues, sa taille est svelte, et
ses traits réguliers dénotent une grande intelligence. Le Montagnard […] est d’une
taille moins élevée que le Léonard, mais il est plus fort et plus trapu. Ses traits sont
beaux, sans avoir la même régularité. Il paraît aussi moins intelligent et plus
routinier. Le Cornouaillais, moins beau que les précédents, […] se distingue des
autres par une tête oblongue, un nez assez gros, très rapproché du menton. Il est
d’humeur joviale, aime la danse, le chant, les liqueurs fortes, les vêtements bariolés
de couleurs très tranchées. À ces trois types il convient d’en ajouter un quatrième,
celui des Capistes, [qui] réunit toutes les qualités physiques du Léonard et du
Montagnard »197.
Louis Énault et Pierre Maël décrivent ainsi les traits des habitants qui sont propres
à un espace : respectivement celui de la Hague et du Finistère. Mais tout en donnant
une vue d’ensemble de cette population, ils limitent la variété de leurs
caractéristiques physiques et réduisent leur physionomie à quelques traits possibles.
Ils opèrent de même en énonçant un certain nombre de lieux communs sur le
tempérament des habitants : le Breton est « aussi audacieux que têtu »198 ; « le
paysan, je parle surtout du paysan de Normandie, alors même qu’il souhaite le plus

195
Le Courrier de Lyon du samedi 12 juin 1875, épisode 1.
196
L’Écho de Lyon du lundi 17 août 1891, épisode 2.
197
L’Écho de Lyon du jeudi 27 août 1891, épisode 12.
198
L’Écho de Lyon du samedi 3 octobre 1891, épisode 45.

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vivement une chose, ne se détermine pas tout de suite à la faire. Il faut qu’il y
revienne à plusieurs reprises, qu’il réfléchisse, qu’il calcule, balance, pèse et soupèse
longtemps le pour et le contre ; c’est seulement après une longue délibération qu’il se
décide à prendre, en général, la plus mauvais parti »199. Ces affirmations, qui se
veulent définitives, ont valeur d’explication pour le lecteur car elles lui permettent
d’appréhender, de façon générale, les réactions et les décisions prises par les
personnages. Par conséquent, les habitants de ces deux régions constituent eux -
mêmes un paysage, dans lequel viendront s’inscrire les protagonistes de l’intrigue. Ils
font partie intégrante de cette toile de fond, avec un nombre limité aussi bien
d’attributs physiques que de traits de caractère, ce qui définit un cadre.
Les auteurs complètent le décor en donnant des informations sur la façon de vivre
de ces habitants. Dans Pilleur d’épaves, Pierre Maël décrit « le costume des marins
de la côte » qui portent « la vareuse de grosse laine, le bonnet penché sur l’oreille, les
pantalons de toile grise relevés jusqu’au genou »200. Il évoque aussi l’alimentation :
les Capistes « se sustent[ent] avec la soupe au poisson quotidienne, soupe assaisonnée
de gros sel ». Pierre Maël justifie le choix de cet aliment en expliquant que le
poisson, parce qu’il est « chargé d’iode et de phosphore » est une « nourriture
destinée à ceux-là seuls, parmi les hommes, qui doivent survivre et vaincre dans le
combat pour l’existence »201.
Tandis qu’en Normandie, « dans sa double métamorphose, en galette et en bouillie,
le blé noir fournit au paysan son alimentation la moins coûteuse et la plus
abondante ». Louis Énault décrit la fête qui met à l’honneur le sarrasin : « chaque
automne, à l’époque où s’achève la récolte normande […] la batterie du sarrasin,
comme on l’appelle, devient […] pour les cultivateurs l’occasion d’une suite de
réjouissances qui les conduisent les uns chez les autres, et se prolongent une semaine
ou deux, comme une sorte de carnaval anticipé, devançant dès octobre les longues
ripailles de février, où l’on reste à table dix-huit heures de suite »202. Il va plus loin en
prenant en compte la façon même de manger des habitants : « le paysan mange
lentement, surtout en Normandie, où la lenteur semble être un trait distinctif de son
caractère »203.

199
Le Courrier de Lyon du vendredi 18 juin 1875, épisode 7.
200
L’Écho de Lyon du dimanche 16 août 1891, épisode 1.
201
L’Écho de Lyon du mercredi 19 août 1891, épisode 4.
202
Le Courrier de Lyon du dimanche 4 juillet 1875, épisode 24.
203
Le Courrier de Lyon du dimanche 27 juin 1875, épisode 17.

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Par conséquent, les auteurs livrent des explications d’ordre vestimentaire,
alimentaire, ou liées à des coutumes locales qu’ils présentent comme authentiques. Ils
ne se contentent pas de narrer une fiction qui se déroule au présent, mais l’inscrivent
dans des traditions et des croyances. De plus, l’importance quantitative des
informations qu’ils transmettent sur les lieux, est inversement proportionnelle à la
connaissance que peut en avoir le lecteur. Ce sont ainsi les régions les moins
familières qui sont les plus longuement étudiées.
Pour Jacques Migozzi, les descriptions contenues dans les romans-feuilletons sont
menées comme « une visite dans le musée des Arts et Traditions populaires » 204. En
effet, les descriptions dans les fictions peuvent être rapprochées, par leur contenu, des
guides touristiques en ce qu’elles attirent l’attention du lecteur sur les élément s du
paysage qui fondent sa spécificité, ainsi que sur le mode de vie des habitants : Pierre
Maël et Louis Énault distinguent des pratiques propres, respectivement, au Finistère
et à la Hague. Quant à Albert Delpit dans Passionnément, il décrit la propriété des
Sorbier, au terme d’un cheminement dans Valleraugue. Il commence par l’identifier,
avant de livrer des explications sur l’origine de sa construction. De plus, les auteurs
proposent au lecteur de suivre le rythme du voyage et de le faire entrer
progressivement dans une autre réalité, tout en l’accompagnant dans ses découvertes.
Pierre Maël incite même son lecteur à se rendre physiquement sur place, pour attester
de la véracité des informations : « si les lecteurs veulent s’assurer de notre dire, ils
n’ont qu’à prendre, aux premières chaleurs de l’été, la route d’Audierne. Ils
entendront gronder le Raz au visage impassible et hurler le vent sous les cavernes de
la baie des Trépassés »205. Cette adresse directe renforce le réalisme que les auteurs, à
travers la représentation des us et coutumes, insufflent à leur récit.
Ce travail de justification et d’explication auxquels se livrent les auteurs, peut
aussi contribuer à rapprocher les romans-feuilletons du contenu des manuels
scolaires. En effet, ils transmettent des informations sur des pratiques originales
propres à un espace, comme « la batterie du sarrasin » 206, en adoptant un ton neutre,
qui se veut celui d’un observateur extérieur. Sans donner leur avis, ils constatent des
pratiques qu’ils tiennent pour vraies, et exposent leurs causes. Pour Jean-Yves
Mollier, les passages didactiques des romans-feuilletons ressemblent à ce qui est

204
Jacques Migozzi, Boulevards du populaire, Limoges : Pulim (Presses Universitaires de Limoges),
2005 (Médiatextes), chap. 5, p. 151.
205
L’Écho de Lyon du dimanche 18 octobre 1891, épisode 59.
206
Le Courrier de Lyon du dimanche 4 juillet 1875, épisode 24.

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exposé dans les manuels scolaires : ils montrent tous les deux le même refus de
l’incertain et de l’ouvert 207. Ils définissent un cadre des possibles, qui contient des
éléments rationnels pour le lecteur parce qu’ils sont expliqués. Ces éléments, à
travers les explications de l’auteur, intègrent le domaine de ce qui est connu. Au -delà
du cadre posé par les auteurs, se trouvent l’insolite et l’inexpliqué, autrement dit
l’inconnu pour le lecteur. C’est pourquoi Louis Énault et Pierre Maël livrent au
lecteur de nombreux éléments qui ne semblent pas, au premier abord, indispensables
à la compréhension de l’intrigue : ils définissent minutieusement ce qui sera le cadre
de la fiction.

Un lien vivant entre les personnages et leur


environnement

Ces descriptions didactiques, qui sont essentiellement le fait d’un narrateur


omniscient, présentent des paysages souvent figés et des coutumes immuables. Mais
nous remarquons qu’il existe une autre façon de décrire. En effet, les éléments du
décor peuvent s’animer en fonction de l’état de santé des protagonistes et de leurs
sentiments. Ainsi, dans Rosette Dory, lorsque le personnage éponyme est sur le point
de mourir, c’est toute la nature elle-même qui est en deuil : « le ciel, gris et bas, était
encore sali par l’écume mouvante des nuages, que le vent chassait devant lui comme
un troupeau de fantômes. Un saule, là-bas, au-delà de la serre, tordait en frissonnant
ses branches, qui se dépouillaient d’un feuillage jauni. C’était justement près de cet
arbre que Victor lui [Rosette] avait pour la première fois murmuré des mots d’amour.
– Quelle tristesse !... Quel deuil !... dit-elle en voyant disparaître, secoué par le vent,
la dernière feuille du saule »208. De même, dans Passionnément, lorsque Geneviève et
Edmond se déclarent mutuellement leur amour, la nature le célèbre : « le soleil clair
et gai jetait à travers les branches de longs fils de lumière blonde ; les oiseaux
chantaient éperdument dans les arbres ; sous les oliviers courait une brise tiède, qui
semait de parfums pénétrants cette paisible journée estivale »209. Dans ces deux cas,
l’environnement est en parfaite adéquation avec les événements de l’intrigue : il fait
sens et contribue à créer un univers clos.

207
Jean-Yves Mollier, La Lecture et ses publics à l’époque contemporaine : essais d’histoire
culturelle, Paris : Presses Universitaires de France, 2001 (le nœud gordien), partie 2, chap. 3, p. 92.
208
La Comédie politique du dimanche 7 octobre 1900, épisode 37.
209
L’Écho de Lyon du mardi 15 octobre 1889, épisode 26.

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Les éléments peuvent aussi influencer directement le cours de l’intrigue. Dans Le
Baptême du sang, l’orage qui se déclare alors que Marthe Lormeau est en compagnie
de son amant, Octave de Kergor, contribue à la pousser à la faute. Après avoir fait ses
adieux à celui qui doit reprendre la mer, et alors qu’elle veut rentrer chez elle « les
nuages sombres étaient déjà plus près de terre, et les éclairs livides se multipliaient ».
Les deux amants se réfugient alors dans une grotte pour échapper à l’orage qui « se
déchaîn[e] avec une violence sans pareille, bouleversant dans sa fureur le ciel
tourmenté, la terre ébranlée jusque dans ses fondements, et la mer fouettée par
l’ouragan. […] Jamais peut-être dans nos climats où tout est tempéré, la nature livrée
à d’aussi effrayantes convulsions, n’[a] présenté un spectacle à la fois plus grandiose
et plus terrible »210. Cette tempête, par son caractère exceptionnel, est à la mesure des
conséquences engendrées par l’événement. Elle traduit la menace qui va peser sur
l’existence de Marthe, et annonce sa destruction.
De même dans Pilleur d’épaves, le destin de Yân est lié à la mer puisque c’est elle
qui l’abandonne sur la côte. Elle paraît douée de vie et réagit en fonction des actions
des personnages. Elle est tour à tour séductrice, pleine de « beautés merveilleuses » et
accompagne Yân dans ses réflexions : « des alanguissements la rendaient molle et
chatoyante. Elle écartait la chevelure touffue des algues »211. Mais elle est aussi un
agent de la destruction dans la vengeance mise en place par Gaïd contre Marianna :
« l’eau la [Marianna] suivit, doucement sans effort, la raillant, sachant bien que cette
proie lui appartenait, qu’elle ne s’enfuirait point de ce pilori naturel »212. Avec la
tempête finale, la mer « forcenée » et « brisant, à vingt mètres de hauteur, les bateaux
qui se croyaient à l’abri » vient reprendre Yân après l’avoir amené : « un vieillard
disait en se signant : - C’est terrible ! Je n’ai vu pareille chose qu’une fois. C’était le
25 septembre, la nuit où l’on a ramassé Ar Zod et les deux enfants . […] Le Raz
réclame quelqu’un »213.
La description des lieux peut anticiper les événements à venir. Ainsi, toujours dans
la fiction de Pierre Maël, le naufrage initial avec son cortège de morts est rendu
visible, avant même qu’il ne se produise, au travers des couleurs du ciel : « la tache
du soleil disparu n’était plus rouge mais pâle, pâle, presque verte, de ce vert des
cadavres de noyés »214. De même, le profond malaise ressenti par Rosette Dory lors

210
Le Courrier de Lyon du mercredi 21 juillet 1875, épisode 41.
211
L’Écho de Lyon du mercredi 19 août 1891, épisode 4.
212
L’Écho de Lyon du jeudi 3 septembre 1891, épisode 17.
213
L’Écho de Lyon du vendredi 16 octobre 1891, épisode 57.
214
L’Écho de Lyon du dimanche 16 août 1891, épisode 1.

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de sa première nuit en prison, dans le roman-feuilleton du même nom, annonce les


persécutions faites par le système judicaire et pénitentiaire, dont elle sera la victime :
« elle étouffait. Elle suffoquait. L’air qu’elle respirait était irrespirable ». Cette
« atmosphère viciée » met en péril sa « vie, quasi prête à lui échapper ». Rosette Dory
est absolument seule et ne parvient pas à se faire entendre pour demander de l’aide :
« elle poussa un cri, une sorte d’appel de détresse. Sa voix, affaiblie, ne rendit qu’un
son mat »215. Ce qui augure de son incapacité à clamer son innocence, de telle sorte
qu’elle soit entendue.
Enfin, comme dans l’incipit des Prétendants de Monique, le lieu peut renseigner
sur son propriétaire. C’est le cas pour la sorcière Madeleine Trépied, dans Le
Baptême du sang, qui vient en aide à Marthe. Elle « vivait à l’extrémité de la bruyère
de Vimeuse, au fond d’une enceinte de rochers tourmentés par je ne sais qu’elle
révolution volcanique, que recouvraient à demi, comme une tenture en lambeaux, des
bruyères pourpres, des lichens verdâtres et des mousses desséchées. » Elle habite
ainsi un lieu à son image : « la mer, presque toujours agitée à cet endroit de la côte,
complétait, par la terreur de ses tempêtes, l’impression saisissante et pénible que
produisait de lui-même un pareil lieu »216.
Dans Les Francs-Routiers, Camaille, lorsqu’il rencontre les fermiers auxquels il
donne de l’argent, demande à être conduit chez eux avant de leur venir en aide. Il
peut alors observer que « la petite ferme [est] propre et bien rangée » et que « tout y
respir[e] le bonheur et l’honnêteté »217, ce qui le convainc de secourir cette famille.
Le chef des voleurs lui-même, habite une « mystérieuse demeure » dans laquelle les
portes s’ouvrent « comme par enchantement »218. À un personnage unique, qui est en
dehors de la société et qui a créé une communauté avec ses propres règles et ses
membres, correspond un lieu singulier. Dans Les Prétendants de Monique, la jeune
fille du même nom présente à son cousin Jacques de Valmagny l’influence que sa
famille a eu sur le paysage : « n’apercevez-vous pas dans un large rayon autour de la
fabrique les maisonnettes de nos ouvriers, l’église, la maison d’école ? Il y a
cinquante ans tout cela n’existait pas, tout cela est l’œuvre de mon grand -père et de
mon père. Le pays était pauvre, il est riche maintenant »219. Le lecteur peut ainsi, tout

215
La Comédie politique du dimanche 18 février 1900, épisode 4.
216
Le Courrier de Lyon du dimanche 25 juillet 1875, épisode 45.
217
L’Écho du Rhône du vendredi 11 janvier 1895, épisode 9.
218
L’Écho du Rhône du samedi 5 janvier 1895, épisode 3.
219
L’Éclair du samedi 16 février 1884, épisode 4.

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en mesurant l’importance des personnages qui occupent les lieux, trouver des indices
sur leur influence positive ou négative dans le cours de l’intrigue.
Nous remarquons qu’un espace sert de décor aux événements de plusieurs
fictions : il s’agit de la grotte. C’est un lieu ambivalent, qui assure une protection
mais qui peut aussi être le cadre d’une destruction. Si Yân y trouve refuge pour
échapper aux gendarmes dans Pilleur d’épaves, ces derniers vont y périr. Dans Le
Baptême du sang, Marthe Lormeau, y est à l’abri de l’orage, mais non de l’amour
d’Octave de Kergor. Dans Rosette Dory, la grotte est d’abord investie par des
personnages négatifs, avec Lorenzino et Jean Merlat. Mais c’est aussi dans ce lieu
que les auteurs du crime sont arrêtés et que l’innocence de Rosette Dory est prouvée
grâce à la montre de son père défunt, retrouvée dans le butin des deux voleurs.

En conclusion, les lieux dans les romans-feuilletons sont traités de diverses


manières. Certains auteurs ne mentionnent que des noms propres, ce qui ne permet
pas de visualiser l’espace. D’autres, au contraire, prennent leur lecteur par la main et
lui font découvrir le lieu en même temps que le quotidien de ses habitants. Les
auteurs jouent ainsi le rôle d’intermédiaire en livrant à leur lecteur à la fois un exposé
didactique qui rationnalise les pratiques liées à un endroit, et la visi on d’un espace en
mouvement. Certaines fictions, comme Le Baptême du sang et Pilleur d’épaves, sont
alors tendues entre deux exigences : une représentation réaliste de la vie quotidienne
dans ces endroits, et une figuration dans laquelle le mystère trouve sa place.
Les différences de traitement des lieux que nous avons pu relever, semblent
dépendre des espaces eux-mêmes. Plus l’endroit est isolé et donc potentiellement
inconnu du lecteur, plus les auteurs étoffent leurs descriptions. De plus, dans les
quatre romans-feuilletons dont les intrigues se déroulent en partie ou entièrement à
Lyon et à Paris, à savoir Le Krach, Poupard et Poupardin, Passionnément et La
Chiffarde, les lieux ne jouent pas un rôle actif. Ils sont mentionnés pour les besoins
de l’intrigue mais le décor reste fixe et n’est pas doué de vie. En revanche, dans le
monde rural du Baptême du sang, et dans celui de Rosette Dory, ainsi que dans le
paysage maritime de Pilleur d’épaves, la vie est insufflée aux éléments. Les grands
centres urbains, qui sont des espaces maîtrisés par l’homme, ne semblent donc pas
constituer une menace pour ses habitants, contrairement à des lieux isolés, et qui
peuvent être parfois les profondeurs de la terre elle-même. Ces espaces, environnés
par une nature indomptée, représentent ou contiennent un danger.

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Par conséquent, nous pouvons apporter un premier élément de réponse à notre


questionnement initial. En ce qui concerne l’étude des lieux, il n’est pas pertinent de
considérer que leur traitement peut être influencé par les tendances politiques des
journaux. En effet, Pilleur d’épaves qui est publié dans L’Écho de Lyon, un journal
républicain, et Le Baptême du sang, publié dans Le Courrier de Lyon, un titre
conservateur, présentent des caractéristiques semblables da ns la figuration des lieux.
De même, La Chiffarde qui paraît dans Le Peuple, un journal socialiste, et Poupard et
Poupardin, publié dans La Comédie politique de tendance bonapartiste, présentent un
incipit similaire, en ce qu’il est dépourvu d’éléments descriptifs. Nous remarquons
donc des similitudes dans le traitement des lieux, moins selon les tendances politiques
des journaux, qu’en fonction des intrigues elles-mêmes.

LES PERSONNAGES

Le but de ce chapitre est de confronter les différents personnages des fictions, afin
de savoir si des correspondances peuvent être mises au jour entre eux. Les traits
physiques des personnages sont-ils décrits de la même façon d’une intrigue à l’autre ?
Les protagonistes se divisent-ils en grandes catégories ou bien sont-ils clairement
singularisés ? Autrement dit, existe-t-il des types de personnages dans le roman-
feuilleton ? Nous tenterons de répondre à ces questions.

Les personnages principaux

Il nous faut, en premier lieu, définir quelles sont les figures principales de ces
récits et étudier les éléments qui les caractérisent. Tout d’abord, il n’est pas toujours
aisé de déterminer, pour chacune des fictions du corpus, le personnage qui détient le
rôle principal. Ainsi, dans Rosette Dory, le personnage éponyme est bien celui qui est
présent dans presque tous les épisodes du récit, et dont le lecteur suit le destin. Il en
va de même pour Yân Ab Vor dans Pilleur d’épaves. Mais dans Poupard et
Poupardin, c’est le couple père-fils lui-même qui constitue l’entité principale. Les
couples antithétiques se retrouvent aussi dans Passionnément, avec Edmond Sorbier
et Maud Vivian, ainsi que dans La Chiffarde, avec la duchesse Clara de Valdieuse et
la courtisane. C’est autour de ces personnalités contraires, ayant des résolutions
différentes, que l’intrigue se fonde. Le Baptême du sang, dont l’histoire se développe

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sur plusieurs générations, voit deux figures principales se succéder : Marthe Lormeau
puis son fils Pedro.
D’autres intrigues exposent des personnages principaux, qui se construisent grâce
à l’intervention de figures secondaires : Jacques de Valmagny, dans Les Prétendants
de Monique, prend en compte les propos tenus par sa cousine et connaît une évolution
morale. Celle-ci lui montre en effet l’aspect négatif de la vie oisive qu’il mène. Jean
Camaille, dans Les Francs-Routiers, reste voleur mais devient moins violent grâce à
Marie Rolland, qui l’empêche de tuer le comte du Regard lors du pillage de son
château. Dans Le Krach, le rôle principal est tour à tour attribué à divers personnages,
en fonction de la priorité donnée à certaines péripéties par rapport à d’autres :
Aristide Mulot est la figure principale dans la seconde enquête menée pour trouver le
coupable du vol ; Angelo de Sora, le voleur, est primordial dans l’intrigue qui
explicite les tenants et les aboutissants de l’affaire ; Raymond de Staël est celui qui
évolue dans la sphère proche du banquier et qui est à l’initiative de la relance de
l’enquête.
Nous étudierons donc ces différents personnages principaux, en commençant par
analyser ce qui relève de leur aspect physique et de leur tempérament, puis nous nous
intéresserons à leur passé.

Le physique et le moral

Nous remarquons que les auteurs des neuf romans-feuilletons du corpus décrivent
les figures principales de manières diverses. Certains livrent un portrait très détaillé
des protagonistes, quand d’autres se contentent d’exposer les éléments qui rendent
compte d’une opposition. Pour certains personnages principaux, les informations les
concernant sont davantage parcellaires, voire inexistantes.
Pierre Maël dans Pilleur d’épaves présente Yân à son lecteur en le décrivant d’une
façon qui se veut complète et objective : il a « vingt-cinq ans » et « domine du front
la tête de ses camarades » avec « sa stature, haute de cinq pieds six pouces ». « Ses
épaules énormes, arrondies en boulets, rend[ent] plus frappant le contraste de sa taille
de jeune fille ». Il a « des mains blanches et fines, aux attaches délicates, des pieds de
femme sous des chevilles étroites, une forêt de cheveux noirs bouclés, une peau
lisse »220. Une grande force ainsi qu’une grande sensibilité sont présentes dans ses
attributs physiques. Son tempérament est double lui aussi : Yân est « un rêveur » et

220
L’Écho de Lyon du mardi 18 août 1891, épisode 3.

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« pour rêver, il s’éloign[e], il s’isol[e] » des autres221. Mais il est aussi capable de
cherche l’affrontement, comme avec Alain Kervarec, et de laisser éclater des
« colères soudaines »222. Cette ambivalence est à l’image de la mer qui l’environne :
quelquefois douce, parfois violente. Pierre Maël indique l’impression produite par les
traits de Yân : il possède une « distinction naturelle » et un « charme
223 224
inexprimable » qui ne sont pas ceux d’« un simple matelot » .
La description de Rosette Dory, que propose Adolphe Ponet, est davantage
subjective. Rosette est une « belle fille de vingt ans, au nez droit, aux joues peut-être
un peu trop roses eu égard à la délicatesse des traits du visage, aux yeux tendrement
ciliés des madones de Raphaël, à la taille bien prise, quoiqu’elle dépassât un peu la
taille moyenne des femmes »225. L’auteur fait part de son avis et commente les
caractéristiques physiques de son personnage, comme s’il n’en était pas l’inventeur. Il
se place davantage comme un observateur, qui fait un constat. Cette description fait
de Rosette Dory une « belle fille […] si douce et si aimante »226 qu’elle semble
incapable d’être l’auteur du parricide.
Marthe Lormeau, qui est la figure principale de la première partie du Baptême du
sang, est « la plus jolie fille du village »227 avec « sa belle taille, flexible et droite
comme un jonc ». Louis Énault concentre sa description sur le visage de la jeune
femme et dépeint « ses yeux bruns pleins de douceur et de feu », « la fraîcheur suave
et veloutée de ses joues », « ses cheveux noirs » encadrant « son front blanc »228. Ces
attributs sont le signe que « la fleur de ses dix-huit ans brill[e] sur son visage »229.
Comme pour Yân, les attributs de Marthe Lormeau, en particulier ses yeux,
promettent un tempérament tout à la fois calme et violent. Cette « fille de paysan »,
qui est « douée d’une distinction naturelle incontestable », a « des airs de
princesse »230. Sa « nature aimable, tendre et sympathique »231 en fait tout à la fois un
personnage positif et une figure vulnérable : elle est en effet « naïve »232.

221
L’Écho de Lyon du mercredi 19 août 1891, épisode 4.
222
L’Écho de Lyon du mardi 8 septembre 1891, épisode 21.
223
L’Écho de Lyon du mardi 18 août 1891, épisode 3.
224
L’Écho de Lyon du samedi 12 septembre 1891, épisode 24.
225
La Comédie politique du dimanche 28 janvier 1900, épisode 1.
226
La Comédie politique du dimanche 18 février 1900, épisode 4.
227
Le Courrier de Lyon du mardi 22 juin 1875, épisode 11.
228
Le Courrier de Lyon du jeudi 17 juin 1875, épisode 6.
229
Le Courrier de Lyon du mardi 29 juin 1875, épisode 19.
230
Le Courrier de Lyon du jeudi 8 juillet 1875, épisode 28.
231
Le Courrier de Lyon du samedi 17 juillet 1875, épisode 37.
232
Le Courrier de Lyon du samedi 10 juillet 1875, épisode 30.

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Son fils Pedro a une « figure un peu bistrée par le hâle et le soleil, mais
intelligente, énergique et fière », entourée par « les boucles brunes et flottantes d’une
abondante et soyeuse chevelure »233. Son « front annonc[e] une intelligence singulière
et une audace peu commune »234. Une seconde description est menée à travers le
regard d’Octave de Kergor, après que Pedro lui a sauvé la vie : le jeune homme
« avait pris de sa mère ses tempes fines, délicatement modelées, sa riche chevelure
[…] son nez à la courbe légère. Mais c’était bien de lui qu’il tenait ce menton
nettement arrêté, cette bouche formant un arc correct »235. Ses traits l’inscrivent ainsi
dans une famille et sont le témoin de ses origines, pour qui sait les lire. C’est en effet
simplement en regardant Pedro que Jacques Lormeau devine un lien de parenté entre
eux. De plus, les attributs physiques du personnage laissent paraître à la fois la
volonté et la sensibilité qui l’animent. L’auteur déchiffre les traits du protagoniste :
« on voyait tout de suite qu’il ne devait point appartenir à la classe sociale au milieu
de laquelle un caprice de la destinée le contraignait à vivre »236. Comme Yân Ab Vor,
Pedro « song[e] à sa mère » lorsqu’il est seul avec son troupeau « et parfois sa fixe
pensée prenait un tel caractère d’intensité qu’il lui semblait que sa chère personne
allait apparaître devant lui »237.
La description de ces quatre personnages principaux, met l’accent sur la distinction
contenue dans leurs attributs physiques : Yân Ab Vor et Rosette Dory dominent les
autres personnages par leur haute taille, Marthe Lormeau se distingue par sa beauté,
tandis que pour qualifier Pedro, Louis Énault insiste sur la « finesse véritablement
remarquable de ses attaches »238. La distinction elle-même devient alors la règle, tel
un élément constitutif de ces figures principales. L’autre élément qui les unit est la
solitude qu’ils connaissent. Ils peuvent rechercher eux-mêmes l’isolement afin de
laisser libre cours à leurs réflexions, comme pour Yân Ab Vor et Pedro, ou pour
cacher une faute : c’est le cas de Marthe Lormeau. Rosette Dory est mise à l’écart par
le groupe auquel elle appartient et placée en prison. Mais, par leur constitution
physique même, ils se distinguent déjà des autres personnages, bien qu’ils n’en aient
pas tous conscience. Ainsi, Yân Ab Vor, même s’il ignore l’histoire du naufrage,
remarque qu’il est différent des marins du Cap, c’est pourquoi, il dit à Gaïd : « je ne

233
Le Courrier de Lyon du jeudi 30 septembre 1875, épisode 108.
234
Le Courrier de Lyon du samedi 4 septembre 1875, épisode 84.
235
Le Courrier de Lyon du lundi 8 novembre 1875, épisode 142.
236
Le Courrier de Lyon du dimanche 13 juin 1875, épisode 2.
237
Le Courrier de Lyon du mardi 5 octobre 1875, épisode 112.
238
Le Courrier de Lyon du jeudi 30 septembre 1875, épisode 108. Nous soulignons.

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suis pas des vôtres »239. Les auteurs, comme pour la description des lieux, déchiffrent
les signes en même temps qu’ils les montrent. En effet, les traits d’un visage sont les
témoins du tempérament d’un personnage. Les descriptions de ces quatre
protagonistes, pour faire ressortir ce qui les différencie des autres, sont donc très
détaillées.
En revanche, certaines descriptions ne retiennent que les éléments qui servent à
comparer entre eux les personnages principaux. Dans Passionnément par exemple,
Edmond Sorbier et Maud Vivian constituent les deux entités autour desquelles
gravitent les personnages secondaires. « Le jeune homme » est « de taille moyenne »,
il porte « sa moustache, blonde comme les cheveux, très longue et tombante ». Avec
un « visage mince et pâle, éclairé par de grands yeux bleus, à la fois éner giques et
doux », Albert Delpit dote « ce Parisien d’une belle tête de Gaulois farouche »240.
Maud Vivian, qui est « très grande, d’une élégance exquise », montre « une beauté
irrégulière ». Elle ment en « se donn[ant] vingt-huit ans : mais l’implacable patte
d’oie, griffant légèrement les tempes, indiqu[e] que la jeune femme dépass[e] un peu
la trentaine »241. L’auteur dessine quelques traits et les interprète : « le teint pâle, les
lèvres un peu fortes, les yeux cernés, et surtout la flamme chaude du regard,
annonc[ent] une créature nerveusement sensuelle »242. Alors qu’Edmond est dépeint
comme un personnage franc, cette description fait de Maud une femme doublement
dangereuse, par sa capacité à mentir et à séduire, ce que confirmera la suite de
l’intrigue.
De même, dans La Chiffarde, la description de la courtisane et de la duchesse se
résume à une esquisse. La Chiffarde, « âgée de vingt-trois ans » et qui a pour
véritable nom « Pauline Mandrieux »243 est une « femme galante » qui utilise ses
charmes à bon escient. Elle tente ainsi de séduire le notaire Madoré, afin de connaître
la fortune exacte de sa rivale, la duchesse Clara de Valdieuse : « la belle blonde
s’était couchée sur un divan, dont le satin noir faisait mieux ressortir ses harmonieux
contours qui s’y détachaient en clair ». Elle parvient à ce que son « peignoir
découvr[e] un bas de jambe » et « en se retournant d’un gracieux mouvement » elle
244
fait « saillir son buste sous sa mince enveloppe » . Comme Maud Vivian, elle

239
L’Écho de Lyon du jeudi 20 août 1891, épisode 5.
240
L’Écho de Lyon du jeudi 19 septembre 1889, épisode 2.
241
L’Écho de Lyon du jeudi 19 septembre 1889, épisode 2.
242
L’Écho de Lyon du mercredi 18 septembre 1889, épisode 1.
243
Le Peuple du jeudi 23 juin 1892, épisode 4.
244
Le Peuple du samedi 25 juin 1892, épisode 6.

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utilise la séduction comme une arme pour parvenir à ses fins. La duchesse Cla ra de
Valdieuse est décrite comme étant une jeune femme « âgée de vingt-quatre ans […]
brune aux yeux de velours, mignonne et gracieuse »245. L’opposition qui va conduire
les deux femmes jusqu’à la destruction, est, dès les premiers épisodes, rendue visible
par la couleur de leur chevelure. Ces deux figures ne sont pas décrites pour elles -
mêmes, mais en fonction d’une opposition qui, paradoxalement, les associe dans la
narration : « autant la beauté de la Chiffarde était resplendissante et fière, autant celle
de la duchesse était suavement délicate »246. Et, « de même que leur resplendissante
beauté, la nature de ces deux femmes était différente. L’une [la Chiffarde] téméraire,
bruyante, irascible et capable d’un crime en plein jour. L’autre [la duchesse] froide ,
calme et brave de ce courage qui ne court pas au danger, mais qui fait face au péril
venu »247. Seules les différences qui permettent de définir clairement les deux entités
sont retenues dans cette description. Leurs destins ne sont pas dissociables, parce que
ces deux femmes constituent une opposition parfaite. Lors de leur première
confrontation en pleine nuit dans le jardin des Valdieuse, la Chiffarde dit à Clara :
« je te sais une adversaire digne de moi »248. Ces deux entités, positive et négative,
s’annulent au moment même, où elles s’entretuent dans la cave destinée à faire
disparaître la fleuriste Louise : « dans la lutte, [la duchesse] avait brûlé la cervelle à
la Chiffarde, mais celle-ci lui avait enfoncé son poignard jusqu’à la garde en pleine
poitrine »249. De force égale, elles ne peuvent être détruites que par leur propre
double.
D’autres fictions contiennent des informations plus parcellaires encore. C’est le
cas dans Le Krach, où le lecteur ne peut visualiser que quelques traits des trois
figures principales. Angelo de Sora est « un beau brun un peu maigre » avec « des
cheveux frisés »250, qui a « une jolie voix à la fois douce et profonde »251. Raymond
de Staël, « un tout jeune homme, presque un adolescent »252, est un « grand garçon
mince, élégant, un peu nonchalant, au nez très aquilin, à la tête très aristocratique
dont la fine moustache noire estomp[e] à peine la bouche un peu grande, mais rouge

245
Le Peuple du vendredi 24 juin 1892, épisode 5.
246
Ibid.
247
Le Peuple du mercredi 6 juillet 1892, épisode 17.
248
Le Peuple du jeudi 7 juillet 1892, épisode 18.
249
Le Peuple du jeudi 22 septembre 1892, épisode 93.
250
L’Écho de Lyon du mercredi 16 décembre 1891, épisode 31.
251
L’Écho de Lyon du mardi 29 décembre 1891, épisode 45.
252
L’Écho de Lyon du dimanche 22 novembre 1891, épisode 8.

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de santé et meublée de dents magnifiques »253. Claire Martel-Chauvey, qui demande à


sa nourrice de remettre un billet à Raymond de Staël, veut s’assurer que Catherine le
reconnaîtra. La nourrice la tranquillise en traçant en quelques traits le portrait de son
fiancé : « un joli brun, mince, avec le nez un peu crochu et une petite moustache
noire »254. Le portrait de ce personnage masculin est complété par la mention de son
tempérament, qui en fait un protagoniste positif : ce « grand garçon » est « plein de
bonne humeur et de chic »255. Aristide Mulot, l’ancien agent de police, est lui aussi
« toujours de bonne humeur »256. C’est un homme âgé qui a « un peu bedonné » avec
le temps, mais qui n’est pas « trop empâté ». Avec l’emploi des adverbes de quantité,
le lecteur peut constater que les capacités physiques du protagoniste lui permettent de
reprendre l’enquête, laissée inachevée par Perraudin. Il est « toujours agile », et son
« nez en vrille » ainsi que ses « yeux fureteurs »257 laissent présager de ses
compétences, et montrent combien ses facultés sont intactes.
Jean Camaille, dans Les Francs-Routiers, est lui-aussi présenté comme une figure
positive dans l’intrigue. C’est « un beau jeune homme, à la taille élancée, à l’œil
mélancolique »258 et doté d’une « douce voix »259. « Sa physionomie ouverte et
intelligente [a] un caractère à la fois énergique et charmant »260. Mais Antony Real,
en déterminant plus précisément sa beauté, qui est celle d’un « homme de trente
ans », instaure une ambivalence dans le personnage : il peut « inspirer à la fois
l’amour et la terreur »261.
Dans certaines intrigues, les descriptions physiques des personnages principaux
sont inexistantes. C’est le cas pour Jacques de Valmagny, dans Les Prétendants de
Monique, qui est uniquement caractérisé en fonction de la vie oisive qu’il mène à
Paris : « le jeune marquis » a « une véritable réputation (réputation dont il n’[est] pas
peu fier) pour la manière brillante dont il condui[t] un cotillon »262. La seule mention
de son visage qui est faite, apparaît dans la lettre que Jacques écrit à son père. Il
prévient le duc que les stigmates de la guerre sont désormais inscrits dans ses traits :
« une virgule qui part de la racine des cheveux (côté gauche) pour aboutir à la joue

253
L’Écho de Lyon du vendredi 27 novembre 1891, épisode 13.
254
L’Écho de Lyon du vendredi 4 décembre 1891, épisode 20.
255
L’Écho de Lyon du vendredi 27 novembre 1891, épisode 13.
256
L’Écho de Lyon du lundi 7 décembre 1891, épisode 23.
257
Ibid.
258
L’Écho du Rhône du jeudi 3 janvier 1895, épisode 1.
259
L’Écho du Rhône du dimanche 6 janvier 1895, épisode 4.
260
L’Echo du Rhône du samedi 19 janvier 1895, épisode 17.
261
L’Écho du Rhône du dimanche 6 janvier 1895, épisode 4.
262
L’Éclair du samedi 26 janvier 1884, épisode 1.

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droite, en passant au-dessus de l’arcade sourcilière »263 le défigure. Mais cette
blessure devient par là-même constitutive d’un personnage nouveau, et témoigne de
l’évolution de Jacques de Valmagny.
Dans Poupard et Poupardin, le capitaine Poupard n’a ni prénom, ni visage. Il est
seulement défini par ses convictions politiques : étant bonapartiste et d’une « nature
indépendante et fière », il ne recherche « aucun emploi public sous le gouvernement
des Bourbons »264. Il se marie en 1830, à l’âge de quarante ans, et a donc cinquante -
sept ans en 1847, au moment où l’intrigue se déroule. De même, le lecteur ne connaît
de son fils, Toussaint Poupard, que son âge : puisqu’il est né en 1832, Toussaint a
quinze ans en 1847.

Après avoir relevé les indications caractérisant les personnages principaux, nous
constatons qu’il existe un certain nombre de similitudes entre ces figures. Les
premiers rôles sont majoritairement attribués à des sujets jeunes : Yân Ab Vor,
Rosette Dory, la Chiffarde, Toussaint Poupard, Marthe Lormeau, Clara de Valdieuse
et Pedro, ont entre quinze et vingt-cinq ans. Maud Vivian et Jean Camaille ont
environ trente ans. Les descriptions d’Edmond Sorbier, de Raymond de Staël,
d’Angelo de Sora, et de Jacques de Valmagny, ne donnent pas précisément l’âge des
protagonistes, mais font mention de leur jeunesse. Seuls Poupard et Aristide Mulot,
qui apporte son expérience nécessaire à la résolution du vol, sont plus âgés.
La beauté est aussi un trait commun pour huit des quinze figures importantes dans
les différentes fictions, aussi bien pour les hommes que pour les femmes : Rosette
Dory, Marthe Lormeau, Maud Vivian, la Chiffarde, Clara de Valdieuse, Angelo de
Sora, Raymond de Staël et Jean Camaille. Plus généralement, l’exceptionnel semble
être un élément constitutif de la figure principale : belle, grande ou sensuelle, elle
dispose d’un atout remarquable, dont les adverbes superlatifs « plus » et « très »
renforce l’aspect particulier. Des similitudes sont à noter dans le vocabulaire utilisé
pour réaliser ces descriptions. Les mêmes adjectifs sont en effet employés dans
plusieurs portraits. Ainsi, le qualificatif « grand » est utilisé pour décrire Edmond
Sorbier, Maud Vivian et Raymond de Staël ; « énergique » pour présenter les traits de
Pedro, d’Edmond Sorbier et de Jean Camaille ; « fin » pour décrire Yân Ab Vor,
Pedro et Raymond de Staël. D’autres adjectifs, synonymes des premiers, comme
« élancé » ou « délicat », peuvent être employés. Même si chacun des personnages
263
L’Éclair du samedi 22 mars 1884, épisode 8.
264
La Comédie politique du dimanche 17 février 1895, épisode 1.

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décrits possède un attribut particulier, les termes employés pour le définir sont
communs à plusieurs figures. Par conséquent, ce qui est rare semble être ainsi l a règle
pour les personnages des romans-feuilletons.

Pourtant, ces descriptions la plupart du temps succinctes, ne déterminent que des


contours et ne dotent pas les personnages d’une réelle profondeur. Les protagonistes
acquièrent davantage une consistance à travers la description de leurs réactions.
Ainsi, lorsqu’ils sont confrontés à un événement pénible ou au contraire favorable,
leurs traits s’altèrent et leur physionomie change.
Rosette Dory, qui est décrite comme étant une « belle fille »265 connaît un
changement physique progressif et irréversible. Après la découverte du cadavre de
son père, son visage devient « blanc comme la cire »266. Puis son séjour prolongé en
prison, alors qu’elle est innocente, fixe sur sa figure « une pâleur mate » qui remplace
« tout l’incarnat de l’adolescence »267 : son visage prend « une teinte terreuse, […] le
tour des yeux [est] bistré »268. Après s’être rendue coupable de parricide aux yeux de
Corréard, Rosette Dory s’achemine davantage vers la mort : « la pâleur de son front
était terreuse. Ses joues étaient plus décolorées encore, et de chaque côté de sa
bouche l’ongle bleu de la mort avait creusé déjà ce trait grimaçant et hideux, spectre
moqueur des sourires éteints »269. Enfin, la maladie qui précède son décès marque « le
visage de la malade ». « Les pommettes sont saillantes », « ses yeux » sont
« creusés », « sa peau [a] maintenant une teinte blafarde et terreuse »270. L’altération
physique de Rosette Dory s’accentue à mesure que s’accumule la souffrance subie et
que se multiplient les épreuves : un nouveau malheur s’imprime immédiatement sur
son visage. Comme pour les descriptions qui dessinent les contours des personnages,
nous remarquons une faible variété dans les termes employés pour rendre compte des
changements physiques : la « pâleur » est mentionnée à deux reprises et la carnation
« terreuse » à trois reprises. Ces seuls termes ne permettent donc pas de traduire
l’évolution de l’état de santé du personnage. Ce qui rend compte de la déchéance
physique progressive de Rosette Dory, est la combinaison avec d’autres termes :

265
La Comédie politique du dimanche 28 janvier 1900, épisode 1.
266
La Comédie politique du dimanche 28 janvier 1900, épisode 1.
267
La Comédie politique du dimanche 18 mars 1900, épisode 8.
268
La Comédie politique du dimanche 25 mars 1900, épisode 9.
269
La Comédie politique du dimanche 6 mai 1900, épisode 15.
270
La Comédie politique du dimanche 7 octobre 1900, épisode 37.

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« blafarde » ajouté à « terreuse » pour qualifier le visage de l’agonisante ; l’emploi du
comparatif de supériorité « plus », pour accentuer la pâleur déjà visible.
De même le visage de Marthe Lormeau a, comme celui de Rosette Dory, « la
pâleur de la cire »271, après la nuit passée avec Octave de Kergor. Cet événement
marque le début d’« un changement physique et moral tout à la fois ». Elle connaît le
même déclin physique que celui de Rosette Dory : « elle maigr[it] de jour en jour et
pâl[it] d’heure en heure »272. « La plus jolie fille du village »273, qui a quitté la ferme
familiale et qui ne dispose d’aucun soutien après la naissance de son fils, ne parvient
pas à se rétablir. Alors qu’elle est à l’agonie, « ses grands yeux noirs, brûlant d’un feu
sombre, sembl[ent] tenir la moitié de ses joues pâles de cette pâleur livide sur
laquelle s’étend l’ombre de la mort prochaine. La douleur [a] posé ses stigmates sur
chacun des traits de son visage »274. Ces deux jeunes femmes, l’une, victime du
système judiciaire et pénitentiaire, l’autre, fragilisée par l’absence de son amant qui
pourrait constituer son seul soutien, ne peuvent dépasser les épreuves qui les mettent
en péril. Parce qu’elles ne parviennent pas à s’affirmer davantage, et ne font
qu’opposer une résistance momentanée aux épreuves qui se présentent à elles, ces
deux figures sont vouées à disparaitre.
Quant à Yân Ab Vor, il est sous le coup d’une grande colère, lorsque Gaïd, sa
fiancée, fait allusion au secret de ses origines : son « pâle visage » est alors « plus
blanc, plus marmoréen sous l’épaisse couronne des cheveux rejetés en arrière » 275. De
même, après son affrontement avec Alain Kervarec, nommé aussi Lân, Yân est
« pâle, amaigri » et a « les yeux cernés ». Cette pâleur résulte de la fatigue ressentie,
engendrée elle-même par la nécessité permanente de se cacher pour échapper aux
gendarmes, alors que le jeune homme est blessé. Enfin, quand Yân Ab Vor comprend
que les papiers retrouvés par Ar Zod, le vieillard fou, contiennent la réponse à sa
quête des origines, il devient « pâle comme un cadavre »276. Ces trois exemples, qui
traduisent trois états différents, ont une manifestation commune, à savoir l’extrême
pâleur. La colère, la fatigue et la grande surprise sont ainsi rendu es visibles par le
même signe. Cette pâleur sert donc davantage à signifier que le personnage connaît
un grand trouble, plutôt qu’à spécifier l’émotion ressentie.

271
Le Courrier de Lyon du vendredi 23 juillet 1875, épisode 43.
272
Le Courrier de Lyon du vendredi 23 juillet 1875, épisode 43.
273
Le Courrier de Lyon du mardi 22 juin 1875, épisode 11.
274
Le Courrier de Lyon du dimanche 8 juillet 1875, épisode 59.
275
L’Écho de Lyon du jeudi 20 août 1891, épisode 5.
276
L’Écho de Lyon du vendredi 25 septembre 1891, épisode 37.

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Pedro ressent lui aussi une grande colère lorsqu’il rencontre Blanche de Vimeuse
alors qu’il est prisonnier, et que les gendarmes, interrogés par la jeune fille pour
connaître la cause de son arrestation, l’accablent sans réserve. Le fils de Marthe
Lormeau doit garder le silence, mais devient « pâle comme un linceul »277.
À l’inverse, Edmond Sorbier, lui, laisse éclater sa fureur à l’encontre de Maud
Vivian, lorsqu’il découvre qu’il a été trompé. Après avoir expliqué à sa maîtresse
comment il a constaté le mensonge, « tout en lui cri[e] la douleur » : il montre un
« visage blême », des « yeux ardents » et des « lèvres serrées ». Maud Vivian écoute
278
alors son amant, elle-même « immobile, blanche, terrifiée » . Après son divorce
avec Geneviève Coraize, la tristesse donne à Edmond Sorbier un « visage pâli » aux
« traits creusés »279. La pâleur sert à désigner, comme dans les autres fictions, aussi
bien chez l’homme que chez la femme, des émotions diverses comme la colère, la
peur et la tristesse.
Seul Poupard, parmi les personnages principaux, connaît une grande joie. En effet,
lorsqu’il découvre son article publié dans Le Courrier de Lyon : « le front du
capitaine Poupard s’illumin[e], ses yeux pétill[ent], ses narines se gonfl[ent], sa lèvre
inférieure trembl[e] et sa poitrine se soulèv[e] pour laisser échapper comme un
soupir »280. Nous avons déjà remarqué qu’il n’existait pas, dans Poupard et
Poupardin, de description des attributs physiques de Poupard. Le seul portrait de sa
physionomie, qui est donné à voir au lecteur, est donc ce bonheur peint sur le visage
du protagoniste. Cette joie, qu’il ressent à la lecture de son article, est tout à la fois ce
qui le qualifie et ce qui lui donne vie.
Les sensations sont donc suivies de manifestations physiques pour toutes ces
figures principales. La pâleur, qui est synonyme d’un grand trouble, traduit le plus
souvent chez les hommes la colère, tandis que pour les femmes, elle représente le
désespoir lié à l’incapacité d’agir. En effet, la colère fait réagir les personnages
masculins à plus ou moins longue échéance : Yân n’attend même pas la fin de
l’échange avec Gaïd, pour prendre la résolution de quitter définitivement la Pointe du
Raz, s’il n’est pas le lieu de sa naissance. Tandis que Pedro donne tort aux gendarmes
plusieurs années après son arrestation, en se conduisant de façon exemplaire et en
faisant une brillante carrière militaire. Les protagonistes masculins, une fois

277
Le Courrier de Lyon du samedi 16 octobre 1875, épisode 122.
278
L’Écho de Lyon du mardi 8 octobre 1889, épisode 20.
279
L’Écho de Lyon du mardi 3 décembre 1889, épisode 60.
280
La Comédie politique du dimanche 24 février 1895, épisode 2.

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l’émotion passée, peuvent avoir une influence sur le cours des événements, ce qui
n’est pas le cas des personnages féminins. Le visage de Rosette Dory et de Marthe
Lormeau garde l’empreinte des souffrances endurées et ce, jusqu’à la mort, qui est la
seule issue possible. Lorsque la pâleur altère leurs traits, il est déjà trop tard et les
événements ne peuvent que se réaliser.
Plus généralement, les changements physiques sont des signes pour le lecteur : ils
annoncent que le cours des événements est sur le point de changer et ce, de façon
radicale. Par exemple, la fureur d’Edmond Sorbier met un terme à sa relation avec
Maud Vivian. Quant à Rosette Dory, après avoir fait des aveux au juge d’instru ction
et pris la décision de protéger son amant, Victor Fernel, elle est méconnaissable parce
qu’elle est une autre femme : « qui eût vu le lendemain la pauvre fille ne l’eût plus
reconnue »281. Un grand trouble est donc le signe qu’une étape est franchie, et que
tout retour en arrière est impossible. La description de ces émotions constitue des
repères, qui indiquent au lecteur qu’une section est terminée et que l’événement qui a
produit le trouble ne peut être annulé. Par conséquent, comme pour les lieux, l a
description des altérations physiques des personnages n’a pas pour but premier de
constituer une illustration. Cette description doit avant tout être efficace et servir
l’action en diffusant un certain nombre de signes facilement compréhensibles pour
l’intrigue.

Le passé des personnages

Le passé des protagonistes principaux est évoqué dans tous les romans -feuilletons
du corpus. Nous nous proposons d’étudier les éléments qui traitent de cette question
des origines, afin de connaître leur rôle dans les différentes fictions. Les événements
vécus durant l’enfance ou la jeunesse peuvent expliquer le comportement des
protagonistes principaux devenus adultes. Certains personnages veulent mettre à
distance leur passé, quand d’autres s’y conforment.
Le père dans Poupard et Poupardin est « apprenti chapelier au moment de son
départ comme simple soldat, en 1807 » et il revient « en 1814, non seulement
capitaine, mais mathématicien, littérateur et polyglotte »282. Les connaissances
apprises alors qu’il est soldat, lui permettent de superviser lui-même les études de son
fils par la suite. Ce rappel du passé a pour but de rendre vraisemblable le destin de
Poupard. Adolphe Ponet tente en effet de justifier cette évolution aux yeux du lecteur,

281
La Comédie politique du dimanche 6 mai 1900, épisode 15.
282
La Comédie politique du dimanche 17 février 1895, épisode 1.

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mais sans véritable argument : « voilà ce que le lecteur trouvera tout aussi impossible
que je l’ai trouvé moi-même. Et pourtant cela fut »283.
Pour d’autres protagonistes, les événements traversés durant leur enfance ou leur
jeunesse, expliquent leur comportement une fois adulte. Ainsi , Rosette Dory, « privée
de mère de bonne heure, dès l’âge de sept ans, puis revenue de pension à l’âge de
quatorze ans » doit s’occuper de « la direction du ménage pendant que son père [est]
aux champs ou à ses affaires ». « Dans l’habitude d’être laissée seule maîtresse au
logis », Rosette prend « des allures assez indépendantes ». Ce tempérament
l’empêche de se plier à « des idées toutes faites » et à « des projets arrêtés
d’avance »284. C’est pourquoi elle s’oppose à son père, concernant le mariage avec
Victor Fernel, ce qui en fait une coupable toute trouvée dans le meurtre de son père.
Dans Le Krach, le passé d’Angelo de Sora peut aussi expliquer son destin : « né à
Naples », dès « dix-huit ans, il commenc[e] à mériter la réputation du plus déterminé
coquin de la ville » lorsqu’il tue un homme pour lui voler son argent d’un « magistral
coup de couteau »285. Le lecteur comprend alors que s’il a été capable de tuer pour de
l’argent dans sa jeunesse, il peut recommencer.
Certains personnages principaux tentent de se détacher de leur passé, parce que le
commencement de leur histoire est attaché à un milieu social qu’ils veulent quitter.
Mais leur passé ne fait que se rappeler à eux avec davantage de violence. Ainsi, Maud
Vivian, lorsqu’Edmond Sorbier lui demande de l’épouser, livre sa propre version de
son passé pour lui expliquer d’où provient sa fortune : « Mon père, industriel du pays
de Galles, fut ruiné et mourut de chagrin. Un de nos voisins, M. Vivian, déjà veuf
avec un fils, me demanda de m’épouser. […] Quand j’eus le chagrin de le perdre,
j’appris qu’il me laissait 40 000 livres sterling, un million de francs. C’était déjà fort
beau pour une orpheline dénuée de tout. […] Par un accord intervenu entre son fils et
lui, il m’abandonna, pendant vingt ans, les revenus d’une mine de houille dans le
pays de Galles. »286. Mais Edmond, de retour de Grande-Bretagne où il a entrepris des
recherches, donne une autre version : « vos propriétés du pays de Galles ne valent pas
un morceau de pain. Ce sont de vastes landes désolées qui ne contiennent ni houille ni
produit d’aucune sorte. […] Par contre, vous n’avez pas mentionné dans
l’énumération… discrète de votre fortune, une maison sise à Londres [qui] vous a été

283
La Comédie politique du dimanche 17 février 1895, épisode 1.
284
La Comédie politique du dimanche 4 février 1900, épisode 2.
285
L’Écho de Lyon du jeudi 31 décembre 1891, épisode 46.
286
L’Écho de Lyon du samedi 5 octobre 1889, épisode 17.

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donnée par sir Charles Gregory, votre premier amant »287. La disparité entre ces deux
récits, permet au lecteur de mesurer la capacité de Maud Vivian à jouer la comédie.
Le mensonge à propos de son passé rend donc vraisemblable la manipulation très
complexe à laquelle se livrera la jeune femme dans la suite de l’intrigue.
La duchesse Clara de Valdieuse, ancienne épouse Loarec, « née simple ouvrière »
veut aussi oublier son passé, qui se présente à elle en la personne de la Chiffarde,
« simple ouvrière brunisseuse »288 elle aussi. « Possédée d’une ambition démesurée
de fortune et d’honneurs »289, Clara de Valdieuse se détourne de ses origines pour
mieux progresser dans la société.
Au contraire, d’autres protagonistes se conforment aux volontés de leur famille.
Edmond Sorbier marche dans les pas de son père : « M. Sorbier père eut son paradis
ici-bas : il ne faisait rien. Riche de son patrimoine, Edmond trouva l’exemple bon à
suivre »290. Tout comme Raymond de Staël, dont le père « avait arrondi une très belle
fortune en remplissant la charge qu’ensuite il avait vendue à Fort uné Prévost.
Seulement il avait exigé que son fils restât là comme associé du nouveau titulaire »291.
Jacques de Valmagny est oisif grâce à son oncle, le comte Godefroy de Valmagny,
qui laisse en héritage « à son neveu le tiers de sa fortune et son élégante demeure »292.
Mais ces trois protagonistes bénéficient de situations confortables, contrairement à
Maud Vivian et à Clara Loarec. Ils n’ont aucun besoin ni intérêt de s’élever dans la
hiérarchie sociale, puisqu’ils sont déjà proches du sommet.
Jean Camaille, lui, ne suit pas le chemin tracé par son père : « fils unique d’une
riche famille, il avait reçu assez d’instruction pour suivre une carrière libérale. Ses
parents l’avaient destiné à la magistrature ; mais lui, d’un caractère aventureux et vif,
préféra être militaire ». « Mais son insubordination ne lui permit pas de rester
soldat ». Son père mort, il ruine la « fortune considérable » dont il a hérité, par « la
fréquentation des maisons de jeu » ce qui le conduit à perpétrer « ses crimes »293.
Le passé de Pedro, dans Le Baptême du sang, est expliqué par la première partie de
l’intrigue qui relate l’histoire de Marthe Lormeau. Enfin, Yân Ab Vor doit lui -même
découvrir ses origines, à travers les démarches qu’il entreprend. Pour ces deux
protagonistes, le passé constitue donc l’enjeu de l’intrigue.

287
L’Écho de Lyon du mardi 8 octobre 1889, épisode 20.
288
Le Peuple du mercredi 6 juillet 1892, épisode 17.
289
Le Peuple du vendredi 22 juillet 1892, épisode 33.
290
L’Écho de Lyon du jeudi 19 septembre 1889, épisode 2.
291
L’Écho de Lyon du dimanche 22 novembre 1891, épisode 8.
292
L’Éclair du samedi 26 janvier 1884, épisode 1.
293
Le Courrier de Lyon du vendredi 4 janvier 1895, épisode 2.

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La question du passé joue un rôle important dans les intrigues de ces romans -
feuilletons. On se souvient tout d’abord que l’élément déclencheur de sept fictions sur
les neuf étudiées était provoqué par les décisions prises par les pères des
protagonistes principaux. Ces pères, même s’ils ne sont pas présents directement dans
le cours de l’intrigue ont une influence décisive sur les actions à venir de leurs
enfants. De même, les origines ont une fonction importante. Ce passé peut être
rappelé brièvement en quelques paragraphes et dans ce cas représenter un point de
départ, à partir duquel les actions à venir seront expliquées. Ainsi, le mensonge de
Maud Vivian à Edmond Sorbier annonce la machination dont son ancien amant sera
la victime. L’attrait de l’argent pour Angelo de Sora le pousse au meurtre dès son
jeune âge, ce qui en fait un voleur à la mesure du vol commis chez le banquier
Martel-Chauvey. Les origines, tout en rendant vraisemblables les actions à venir,
déterminent les personnages : ils sont le résultat d’une histoire, qui les pousse à agir
dans une direction définie. Les origines peuvent aussi constituer le but de l’intrigue :
Yân Ab Vor vit de nombreuses aventures parce qu’il recherche son passé. Dans ce
cas, les origines représentent le terme d’un long cheminement. Nous remarquons que
les personnages qui se détachent de leur passé, comme Clara Loarec et Maud Vivian,
sont des personnages négatifs. En revanche, ceux qui respectent l’héritage familial,
comme Raymond de Staël et Edmond Sorbier, sont des personnages positifs. De plus,
avoir un passé relève de la nécessité, puisqu’il détermine socialement les
protagonistes. Ceux qui sont dépourvus d’une histoire ne peuvent trouver leur place
dans la société. Les personnages qui sont issus d’un milieu aisé et qui respectent la
volonté familiale peuvent mener une existence relativement calme. Ceux qui, en
revanche, tentent une ascension sociale et effacent leur milieu d’origine pour mieux y
parvenir, ne retombent que plus bas.
Les personnages principaux sont définis selon leurs attributs physiques, leur
tempérament et leur passé. À travers la description de leurs traits, le lecteur, grâce à
un travail de déchiffrage fait par les auteurs, a accès au tempérament des
protagonistes. Leur caractère est en effet inscrit dans leurs traits. La mention de leur
histoire personnelle et familiale contribue à les déterminer davantage et à réduire le
champ des possibilités concernant leurs actions et réactions. En effet, le passé situe
socialement les différents personnages, et par là même, détermine leurs aspirations.
Nous remarquons, après avoir étudié ces trois catégories d’éléments, que chacun des

SALAÜN Julie | Master 1 Cultures de l’Écrit et de l’Image | Mémoire | Juin 2011 - 99 -


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protagonistes est composé d’un faisceau de signes. Et c’est cet ensemble de sign es
qui catégorise les personnages en opérant des distinctions entre figures positives et
négatives. Ainsi, Maud Vivian par exemple, a tout d’abord des traits qui, en trahissant
sa sensualité, la définissent comme étant une femme dangereuse. Le fait qu’elle
mente sur son passé confirme le caractère négatif du personnage. Au contraire,
Raymond de Staël qui possède une physionomie agréable et qui se conforme aux
volontés de son père est un protagoniste positif. Par conséquent, selon Jean -Claude
Vareille, les descriptions des protagonistes ne servent pas à les particulariser, mais au
contraire, à les faire entrer dans des modèles 294. Nous pouvons dégager certains types
de personnages présents dans les neuf romans-feuilletons étudiés : Yân Ab Vor,
Rosette Dory, Marthe Lormeau et Pedro (dans la première partie de son existence)
sont le modèle des victimes solitaires. Maud Vivian, Clara de Valdieuse et la
Chiffarde sont le modèle des femmes manipulatrices qui causent la destruction autour
d’elles. Angelo de Sora dans Le Krach et Jean Camaille dans Les Francs-Routiers
sont le type du voleur, l’un négatif parce que le vol est intéressé, l’autre positif parce
qu’il est réalisé dans le but d’aider les plus faibles.

Les protagonistes secondaires organisant


l’intrigue

Après avoir mis en évidence l’existence de catégories pour les personnages


principaux, nous nous intéressons aux protagonistes secondaires, c’est-à-dire à ceux
qui contribuent à faire progresser l’intrigue, mais dont le destin n’est pas suivi dans
son ensemble par le récit. Nous nous proposons d’étudier la façon dont ces
personnages s’organisent autour de la figure principale, d’analyser les rapports de
force qui les lient et de présenter ces personnages en fonction des différents types de
liens observés avec les personnages principaux. Constituent-t-ils eux aussi des types ?

La persécution ou l’affrontement inégal

Dans Rosette Dory et Le Baptême du sang, les figures principales voient leur
destin bouleversé par des protagonistes secondaires très influents. Marthe Lormeau
doit accepter la présence incessante de l’usurier Jollivet chez ses parents, parce qu’il

294
Jean-Claude Vareille, Le roman populaire français (1789-1914) : idéologies et pratiques,
Limoges : Pulim (Presses Universitaires de Limoges), 1994 (littératures en marge), avant -propos, p.
14.

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est le créancier de son père. Rosette Dory subit les persécutions venant du système
judiciaire et pénitentiaire, représenté par trois protagonistes : sœur Gertrude, Ernest
Corréard et Jacquot de la Martinette.
Marthe Lormeau a « dix-huit ans »295, tandis que Jollivet, qui veut épouser la fille
de Jacques, « n’[a] plus l’âge de la patience »296. De même, Rosette Dory est âgée
« de vingt ans »297 lorsqu’elle est suspectée d’avoir commis un parricide, alors
qu’Ernest Corréard, le juge d’instruction est un « homme de quarante-cinq années »298
et que Jacquot de la Martinette, le président de la Cour d’assises qui va juger Rosette
Dory est âgé de « cinquante-cinq ans »299. Les personnages masculins sont décrits au
moyen de métaphores animales. Jollivet, qui subit un refus de la part de Marthe,
concernant sa demande en mariage, décide d’attendre : « j’ai vu pas mal de gens qui,
après avoir commencé par être fiers et superbes avec moi, ont fini par se traîner à mes
pieds […] elle en viendra là […] comme je la punirai du mal qu’elle me fait
maintenant ! »300. Il est « comme l’araignée tapie au centre de sa toile mobile et
frémissante [qui] surveille le vol imprudent du moucheron »301. Il pose sur Marthe
« son froid regard de vipère »302 et il est « comme l’épervier »303 qui considère sa
proie. Ernest Corréard, qui est « froidement cruel, bêtement emporté, niaisement
susceptible » est « un tigre sous les apparences d’un mouton ». Convaincu de la
culpabilité de Rosette Dory, il lui pose comme première question : « quelle heure
était-il quand vous avez frappé votre père ? ». Lorsqu’il l’interroge, il est transfiguré :
il n’est « point encore le tigre mais ce n’[est] plus le mouton. Il y [a] déjà du loup
dans cette physionomie »304. Jacquot de la Martinette, même s’il fait preuve d’une
« affabilité » à l’égard de Rosette, il lui montre davantage celle « du chat à la souris
qu’il veut croquer »305. Par conséquent, les traits de ces personnages masculins ne
sont pas décrits pour eux-mêmes, mais servent à traduire l’impression qu’ils
produisent ainsi que l’influence qu’ils peuvent avoir sur les figures principales.
Les deux jeunes femmes, face à ces hommes puissants, ne peuvent opposer qu’une
résistance à leur mesure, c’est-à-dire faible. Marthe, qui a conscience de l’importance
295
Le Courrier de Lyon du mardi 29 juin 1875, épisode 19.
296
Le Courrier de Lyon du jeudi 1 er juillet 1875, épisode 21.
297
La Comédie politique du dimanche 28 janvier 1900, épisode 1.
298
La Comédie politique du dimanche 11 mars 1900, épisode 7.
299
La Comédie politique du dimanche 20 mai 1900, épisode 17.
300
Le Courrier de Lyon du vendredi 2 juillet 1875, épisode 22.
301
Le Courrier de Lyon du samedi 19 juin 1875, épisode 8.
302
Le Courrier de Lyon du jeudi 29 juillet 1875, épisode 49.
303
Le Courrier de Lyon du mercredi 28 juillet 1875, épisode 48.
304
La Comédie politique du dimanche 11 mars 1900, épisode 7.
305
La Comédie politique du dimanche 20 mai 1900, épisode 17.

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de l’usurier pour les affaires de son père, ne peut que contrarier modérément les
assiduités de Jollivet. Lorsqu’ils sont seuls, l’usurier déclare son amour à Marthe :
celle-ci n’est « par malheur, pas assez forte pour [l’]en empêcher »306. Alors qu’elle
est enceinte et qu’elle a quitté ses parents, Jollivet la retrouve et lui propose son aide.
Mais lorsqu’il laisse voir « la bassesse de son âme et l’inguérissable égoïsme de sa
nature », c’est-à-dire lorsqu’il réitère sa demande en mariage, Marthe est « plus
orgueilleuse, plus implacable que jamais » alors même qu’elle se trouve dans « une
position misérable »307. Marthe, si elle dispose d’une grande volonté et ne craint pas
l’usurier, ne parvient pas à faire cesser les persécutions, parce qu’elle est dépourvue
du pouvoir de l’argent que Jollivet, lui, détient.
Arrêtée et placée dans la prison de Valence, Rosette Dory doit faire face aux
brimades de sœur Gertrude qui est une « geôlière revêche, endurcie et fanatique »308.
Sœur Gertrude adopte un « ton rogue »309 lorsqu’elle parle à Rosette, qui lui demande
des explications sur sa détention. La geôlière accuse la prisonnière du meurtre de son
père, avant même que le procès n’ait lieu : « ce que vous avez fait, vous le savez bien,
et vous ne seriez pas ici si vous n’aviez rien fait »310. Lorsque Rosette la supplie de la
faire changer de cellule parce que dans la sienne elle souffre de « l’air
irrespirable »311, la religieuse, « la foudroyant du regard » lui répond « avez-vous eu
pitié de votre père ? ». Rosette Dory est « anéantie »312 par ce premier contact avec le
monde pénitentiaire. Jacquot de la Martinette, le président de la Cour d’assises, est
présenté comme étant un homme corrompu qui « trafiqu[e] de la justice » en
proposant d’« offrir aux familles des accusés des acquittements ou des circonstances
atténuantes » en échange de « lucratives transactions »313. Rosette Dory est donc
condamnée d’avance puisqu’elle ne dispose pas de la somme nécessaire pour
corrompre le président de la Cour d’assises. Seule, elle ne peut s’opposer à
l’oppression exercée à la fois par le système judiciaire et pénitentiaire. C’est donc son
amant, Victor Fernel, qui va découvrir la vérité et parvenir à surmonter cet obstacle.
Ces deux fictions montrent des rapports de force inégaux entre des personnages
secondaires négatifs, qui ont le pouvoir et l’expérience, et des jeunes femmes

306
Le Courrier de Lyon du vendredi 2 juillet 1875, épisode 22.
307
Le Courrier de Lyon du jeudi 5 août 1875, épisode 56.
308
La Comédie politique du dimanche 25 mars 1900, épisode 9.
309
La Comédie politique du dimanche 4 mars 1900, épisode 6.
310
Ibid.
311
La Comédie politique du dimanche 18 février 1900, épisode 4.
312
La Comédie politique du dimanche 4 mars 1900, épisode 6.
313
La Comédie politique du dimanche 20 mai 1900, épisode 17.

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victimes. Malgré la volonté dont elles font preuve pour résister à leurs opposants, il
leur manque l’essentiel pour les faire sortir de leur situation de victime : l’argent.
Dans la description de ces personnages secondaires, chaque trait décrit, physique ou
moral, leur donne un aspect négatif. Aucun élément positif ne vient ainsi nuanc er cet
aspect défavorable. Ils sont donc immédiatement reconnaissables par le lecteur,
comme occupant la fonction d’opposant.

De l’opposition des idéaux à l’association


enrichissante

Dans deux romans-feuilletons, le parcours du personnage principal est influencé


par une coopération avec un personnage secondaire : Marie Rolland seconde Jean
Camaille dans Les Francs-Routiers ; Monique Andercey influence les décisions de
Jacques de Valmagny dans Les Prétendants de Monique.
Marie Rolland, enlevée par Jean Camaille avec l’aide d’autres voleurs, est une
« belle personne de vingt-deux ans, douée d’un caractère énergique »314. Monique
Andercey, la « très jolie » cousine de Jacques de Valmagny, a « dix-neuf ans » et
« des allures d’indépendance »315. Jacques découvre, alors qu’il est auprès des
Andercey sur ordre de son père pour empêcher Hermann Stenner d’épouser Monique,
que sa cousine n’est « pas du bois des jeunes filles qui se laissent imposer un
mari »316. Les auteurs ne donnent pas à voir les attributs physiques de ces deux
femmes, mais René Stine et Antony Real mettent l’accent sur leur jeunesse et sur leur
beauté. Leur détermination se traduit par la colère que connaissent ces figures
féminines, lorsqu’elles sont empêchées dans leurs projets. Marie Rolland est d’a bord
mise à l’écart par ses ravisseurs, puis Jean Camaille lui apprend qu’elle restera sa
prisonnière, parce qu’elle a été témoin des agissements des voleurs. Il ne lui laisse
qu’une seule possibilité pour recouvrer en partie la liberté : elle doit s’associer aux
membres de la société secrète et participer aux vols. Devant cette absence de choix,
Marie Rolland, « si belle et si fière »317, devient « pâle de colère »318 et refuse. Quant
à Monique Andercey, elle commence par argumenter elle-même en faveur de son
mariage avec Hermann Stenner auprès de ses parents : « si j’épousais mon cousin, il
m’emmènerait aussitôt à Paris […] tandis qu’avec M. Stenner, je reste ici pour

314
L’Écho du Rhône du vendredi 4 janvier 1895, épisode 2.
315
L’Éclair du samedi 2 février 1884, épisode 2.
316
L’Éclair du samedi 9 février 1884, épisode 3.
317
L’Écho du Rhône du mardi 8 janvier 1895, épisode 6.
318
L’Écho du Rhône du dimanche 6 janvier 1895, épisode 4.

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toujours »319. Devant la détermination de la jeune fille, l’union est décidée. Mais
lorsque Hermann Stenner rassure sa fiancée en lui indiquant qu’il n’ira pas combattre
« quoi qu’il arrive »320, Monique devient « blanche comme un lis »321. Sa réaction est
à la mesure de la déception subie : « suffoquée par l’indignation et la colère, elle pâlit
et s’affaiss[e] dans les bras de sa mère » 322. En effet, Hermann ne correspond plus aux
idéaux que veut défendre Monique.
Après la colère, vient l’action pour les deux femmes : Marie Rolland accepte
finalement d’entrer dans la société et obtient du chef des voleurs la promesse que le
sang ne coulera pas lors des exactions. Camaille prévient alors ses complices qui
l’accompagnent chez le comte du Regard : Marie « sera avec nous, je ne veux pas de
sang versé en sa présence »323. Alors que lui-même est sur le point d’oublier sa parole
donnée en « bondissant comme un lion » et en « se précipit[ant] sur le comte un
poignard à la main », Marie n’hésite pas à la lui rappeler : « arrêtez, vous avez promis
de ne pas tuer »324. Quant à Monique, elle agit en expliquant à Jacques quelles sont
les priorités : « j’aime le plaisir à certaines heures mais ce n’est pas […] le but de la
vie. Si j’avais été homme, […] aux jours de grandes guerres […] mon épée ne m’eut
quitté qu’à mon dernier soupir »325. Par comparaison, elle fait donc prendre
conscience à son cousin de l’inutilité de son existence. Elles sont toutes deux
écoutées par les personnages masculins : « c’est vrai, dit Camaille, écumant de
colère »326 qui se ravise devant le rappel de Marie. Il se contente de ligoter le comte
du Regard pour procéder au pillage. Lorsque la guerre de 1870 est déclarée, Jacques
de Valmagny, avant d’aller combattre, remercie sa cousine de l’avoir éclairé sur son
existence par de justes propos : « vous ne m’avez dit que des vérités »327.
Ce qui motive ce comportement des personnages principaux à l’encontre des
figures secondaires, est l’amour qu’ils espèrent faire naître chez les jeunes femmes.
En effet, Jacques de Valmagny doit épouser Monique Andercey, mais celle -ci le
méprise en raison de sa vie oisive. L’amour naît en Monique lorsqu’elle voit Jacques
en uniforme de soldat : « elle se dressa frissonnante ; ses joues devinrent pourpres, un

319
L’Éclair du samedi 23 février 1884, épisode 5.
320
Ibid.
321
L’Éclair du samedi 1 er mars 1884, épisode 6.
322
L’Éclair du samedi 22 mars 1884, épisode 8.
323
L’Écho du Rhône du dimanche 13 janvier 1884, épisode 11.
324
L’Écho du Rhône du mardi 15 janvier 1895, épisode 13.
325
L’Éclair du samedi 16 février 1884, épisode 4.
326
L’Écho du Rhône du mardi 15 janvier 1895, épisode 13.
327
L’Éclair du samedi 1 er mars 1884, épisode 6.

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éclair brilla dans ses yeux »328. Les trajectoires des deux personnages se rejoignent,
ce qui rend alors le mariage possible. Quant à Camaille, il a conscience de la distance
qui le sépare de Marie Rolland : « mon cœur est indigne du vôtre »329. Pour effacer
cette distance et rendre cet amour réciproque, il modifie sa conduite. Il y parvient
puisque lors de son procès, auquel assiste Marie Rolland, les deux Francs-Routiers
échangent un regard qui, pour Marie, fait « rentrer l’âme de son amant dans la
sienne »330.
Par conséquent, même si les intrigues des Prétendants de Monique et des Francs-
Routiers sont différentes, même si ces fictions n’ont pas un cadre similaire et mettent
en scène des personnages principaux dissemblables, l’influence des personnages
secondaires est comparable. En effet, ces figures féminines positives modifient le
destin des deux hommes grâce à leur détermination et à leur amour, qui dans ces deux
récits joue un rôle bénéfique.

La rivalité amoureuse

L’amour peut aussi créer des oppositions entre des personnages secondaires et peut
les conduire jusqu’à la destruction. Nous avons ainsi relevé, dans les cinq rom ans-
feuilletons suivants, la présence de couples antithétiques : Pilleur d’épaves ;
Passionnément ; Le Krach ; La Chiffarde ; Le Baptême du sang. L’opposition entre
les différents protagonistes est motivée par le fait qu’ils veulent chacun obtenir
l’amour d’un même personnage.
Dans Pilleur d’épaves, le récit de Pierre Maël, Gaïd et Marianna (de son vrai nom
Berthe du Gast) aiment toutes les deux Yân Ab Vor. Elles ont presque le même âge :
Gaïd est « à peine âgée de vingt ans »331, Marianna a « vingt-deux ans »332. Mais leurs
attributs physiques les opposent : tandis que Gaïd est « mince de taille, sans être trop
grande », a une « chevelure d’or » et des yeux couleur de « l’onde verte »333,
Marianna est « une grande jeune fille » dont « la tête, d’une idéale perfection » est
entourée par « une forêt de cheveux si noirs qu’ils bleuiss[ent] la mate blancheur des
tempes. Les yeux aussi noirs que la chevelure, [ont] des regards d’une profondeur
attirante, doux comme des caresses »334. Une « mâle énergie »335 se dégage des traits

328
L‘Éclair du samedi 1 er mars 1884, épisode 6.
329
L’Écho du Rhône du dimanche 6 janvier 1895, épisode 4.
330
L’Écho du Rhône du jeudi 17 janvier 1895, épisode 15.
331
L’Écho de Lyon du jeudi 27 août 1891, épisode 12.
332
L’Écho de Lyon du mardi 8 septembre 1891, épisode21.
333
L’Écho de Lyon du mercredi 19 août 1891, épisode 4.
334
L’Écho de Lyon du lundi 31 août 1891, épisode 15.

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de Gaïd, qui n’a « point dans le regard et dans la démarche cette grâce ondoyante et
féline qui est le charme de la femme » 336. « Il y [a] donc un peu à reprendre aux
charmes de Gaïd »337, tandis que Marianna est « la beauté vivante »338.
En venant voir Yân qui est réfugié chez Ar Zod, le vieillard fou, après son
altercation avec Alain Kervarec, les deux jeunes femmes se rencontrent. Le jeune
homme les compare : Marianna « donn[e] la religieuse image de quelque créature
supra-terrestre » avec « sa robe montante boutonnée jusqu’au menton » tandis que
Gaïd incarne « toutes les séductions de la chair » en se présentant « les manches
retroussées jusqu’aux épaules » et « le col et le haut de la gorge nus ». Yân est
« séduit dans l’âme par Marianna, dans les sens par Gaïd » 339. Cette rencontre entre
les trois personnages marque le moment où Yân commence à douter de son amour
pour celle qui est sa fiancée. Les deux femmes peuvent être vues comme l’incarnation
de la violence et de la douceur, soit les deux pôles qui constituent le tempérament
ambivalent de Yân Ab Vor. Gaïd, en tentant de tuer sa rivale, représente le côté
violent. Marianna, sauvée par Yân, et qui ne reproche pas son geste à Gaïd, figure
l’aspect tempéré : « je te pardonne ma pauvre Gaïd, tu ne savais pas ce que tu
faisais »340. Elles incarnent aussi deux aspirations impossibles à concilier pour Yân :
vivre auprès de Gaïd signifie mener la vie rude des pêcheurs de la côte ; vivre avec
Marianna c’est se conformer à son milieu social d’origine. Cet amour est exclusif :
lorsque Yân aime Marianna, il délaisse Gaïd.
Dans Passionnément, Maud Vivian et Geneviève Coraize s’affrontent pour l’amour
d’Edmond Sorbier. Tout d’abord, une différence d’âge les sépare : Geneviève a « dix-
neuf ans »341 et Maud, qui ment sur son âge doit avoir plus de trente ans. Maud est
« très grande »342 tandis que Geneviève n’est « pas grande mais d’une exquise
harmonie de formes. La tête, d’une singulière finesse, s’ombrag[e] de cheveux
noirs »343. Comme pour Gaïd et Marianna, la couleur des chevelures s’oppose : Maud
a « les cheveux roux »344. Geneviève, qui n’est « point du tout timide ; décidée

335
L’Écho de Lyon du jeudi 27 août 1891, épisode 12.
336
L’Écho de Lyon du mercredi 19 août 1891, épisode 4.
337
L’Écho de Lyon du jeudi 27 août 1891, épisode 12.
338
L’Écho de Lyon du lundi 31 août 1891, épisode 15.
339
L’Écho de Lyon du mardi 1 er juillet 1891, épisode 16.
340
L’Écho de Lyon du mardi 8 septembre 1891, épisode 21.
341
L’Écho de Lyon du samedi 21 septembre 1889, épisode 4.
342
L’Écho de Lyon du mercredi 18 septembre 1889, épisode 1.
343
L’Écho de Lyon du dimanche 22 septembre 1889, épisode 5.
344
L’Écho de Lyon du mercredi 25 septembre 1889, épisode 7.

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même » est « franche, loyale, droite » et « répugn[e] au mensonge et à la


duplicité»345, tandis que Maud est désignée comme étant « la magicienne »346, en
raison de sa capacité à tromper ceux qui l’entourent. Ces deux figures féminines
forment donc un contraste qui est visible au travers de leurs attributs physiques et de
leur tempérament.
Les deux femmes s’affrontent de façon directe : Geneviève, de retour d’une
promenade à cheval, surprend celle qu’elle considère à tort comme « sa rivale » en
compagnie d’Edmond, devenu son mari. « Mme Sorbier march[e] la cravache haute.
Les yeux de Geneviève lanc[ent] des flammes. D’un geste souverain, elle frapp[e] les
épaules de Maud »347 qui prend la fuite. Ces deux femmes représentent à la fois deux
moments distincts dans l’existence d’Edmond, ainsi que deux types d’amour. Maud
Vivian incarne des « amours dégradées » 348 en même temps que la vie frivole à Paris,
alors que Geneviève lui offre la possibilité de connaître l’« amour noble et fier »349
dans les Cévennes, lieu de ses origines. Ces deux amours s’excluent absolument,
comme pour Yân Ab Vor. Même si Maud ne meurt pas physiquement, elle doit subir
une mort sociale en quittant Paris pour vivre au côté de son époux Alfred La Faurie.
Une autre opposition s’organise, dans le même roman-feuilleton, autour de Maud
Vivian elle-même, entre Rixens, l’agent de change qui subvient à ses besoins et
Edmond Sorbier. La jeune femme résume ainsi les aspirations que chacun des deux
hommes représentent pour elle : « Edmond, l’amour ; Rixens, l’argent… Chacun son
rôle ! »350. Rixens a une « tête brune, olivâtre, coupée par une épaisse moustache
noire »351 quand Edmond Sorbier a une « moustache blonde comme les cheveux » et
« de grands yeux bleus »352. Les deux protagonistes, lorsqu’ils comprennent qu’ils
sont rivaux, ne montrent aucune colère et ne s’affrontent pas. Bien au contraire, ils
restent courtois : « Edmond demeure complètement maître de lui » tandis que Rixens
trouve son rival « très spirituel »353. Par là même, au lieu de se détruire mutuellement,
les deux hommes se mettent d’accord tacitement pour délaisser Maud.
Dans Le Krach, deux couples antithétiques s’affrontent autour de personnages
différents. Une première opposition, même s’il ne s’agit pas à proprement parlé d’une

345
L’Écho de Lyon du dimanche 22 septembre 1889, épisode 5.
346
L’Écho de Lyon du lundi 7 octobre 1889, épisode 19.
347
L’Écho de Lyon du mercredi 13 novembre 1889, épisode 47.
348
L’Écho de Lyon du samedi 12 octobre 1889, épisode 24.
349
L’Écho de Lyon du lundi 14 octobre 1889, épisode 26.
350
L’Écho de Lyon du mercredi 2 octobre 1889, épisode 14.
351
L’Écho de Lyon du mardi 1 er octobre 1889, épisode 13.
352
L’Écho de Lyon du jeudi 19 septembre 1889, épisode 2.
353
L’Écho de Lyon du jeudi 10 octobre 1889, épisode 22.

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rivalité amoureuse, existe entre Mary Percy, qui est la maîtresse d’Henri Martel-
Chauvey et Claire Martel-Chauvey, la fille du banquier. Claire a « dix-neuf ans »354 et
Mary Percy « di[t] vingt-six ans »355, mais la formulation laisse planer le doute.
Claire est « une belle jeune fille brune, mince, grande »356. Mary Percy est « aussi
brune, mais avec cette particularité qu’à l’âge de quinze ans ses cheveux avaient tout
à coup blanchi »357. Cette caractéristique permet de créer une opposition physique
entre les deux femmes. Comme Maud Vivian, la maîtresse du banquier ment sur son
passé : elle passe pour être une « anglaise de bonne famille, orpheline ruinée ». Mais
« ce qu’elle ne disait pas, c’est que cette famille ne la comptait plus comme sienne
depuis, qu’à dix-huit ans, elle avait été l’héroïne d’un abominable scandale » en
partant « un jour pour l’Italie »358 avec son amant. Henri Martel-Chauvey ne peut
s’empêcher de comparer la réaction des deux femmes lorsqu’il leur annonce sa ruine :
il trouve que Claire est une « charmante fille, dévouée, vaillante, gaie, honnête » et
que Mary Percy est « froide comme un chiffre… insensible comme un marbre »359.
Cette dernière représente l’amour intéressé, qui est motivé par l’argent, tandis que
Claire consent à perdre sa fortune pour aider son père et se montre ainsi
désintéressée. Les deux figures féminines ne s’affrontent pas directement, puisque
Claire apprend ultérieurement que Mary a été la maîtresse de son père.
Dans la suite de l’intrigue, le lecteur apprend que Mary Percy a une rivale en la
personne de Lucia, la première maîtresse d’Angelo de Sora, qu’il a connu à Naples et
qui vit avec lui. Cette fois-ci l’opposition est bien une rivalité amoureuse. Lucia « une
magnifique créature, un de ces types d’italiennes aux yeux de velours, aux lèvres
empourprées sous le duvet noir qui en ombre les coins, aux seins lourds, au cou de
statue »360 incarne la sensualité. Mary est une « créature fine, souple, féline –
l’opposé de cette Lucia »361. L’Italienne tue l’Anglaise de ses propres mains, alors
qu’elles se trouvent au Palais de Justice. Le rôle de Mary n’est plus le même avec
Angelo de Sora : tandis qu’elle est la maîtresse du banquier par intérê t, l’Italien
représente pour elle un amour véritable. Alors que pour Sora, Mary Percy ne fait que
servir ses intérêts.

354
L’Écho de Lyon du dimanche 15 novembre 1891, épisode 1.
355
L’Écho de Lyon du mardi 24 novembre 1891, épisode 10.
356
L’Écho de Lyon du dimanche 15 novembre 1891, épisode 1.
357
Ibid.
358
L’Écho de Lyon du lundi 23 novembre 1891, épisode 9.
359
L’Écho de Lyon du jeudi 3 décembre 1891, épisode 19.
360
L’Écho de Lyon du vendredi 1 er janvier 1892, épisode 47.
361
L’Écho de Lyon du samedi 2 janvier 1892, épisode 48.

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Bob et Cambournac dans La Chiffarde constituent, respectivement, le


prolongement de la duchesse Clara de Valdieuse et de la courtisane. Bob sert la cause
de la duchesse après avoir été évincé par la Chiffarde, alors qu’il était du côté de la
courtisane au commencement de l’intrigue. Bob présente « une figure pointue,
accentuée par deux favoris du plus beau roux qui se découp[ent] en minces virgules
sur les joues, une bouche presque sans lèvres, un nez mince et recourbé » ce qui lui
donne « une physionomie qui t[ient] à la fois du renard et de l’oiseau de proie ». Ses
« deux petits yeux gris, sans cesse en mouvement » traduisent « la cupidité, la ruse, et
au besoin la cruauté »362. Pour Cambournac, Eugène Chavette ne présente pas de
description physique, mais interprète directement ses traits : « tout ce qu’un visage
peut exprimer de bassesses, de mauvais instincts et de vices crapuleux se li[t] sur la
face de cet homme »363. Les deux personnages masculins sont manipulés par les deux
femmes pour assouvir leur vengeance. Par conséquent, la destruction des deux
hommes résulte de celle de Clara de Valdieuse et de la Chiffarde. Ils ne peuvent
subsister alors que les personnages principaux, auxquels ils ont lié leur destin,
meurent.
Dans Le Baptême du sang, Blanche de Vimeuse et Soledad sont les deux femmes
aimées par Pedro. Blanche, la fille unique du marquis de Vimeuse, est « une toute
jeune fille, blonde, blanche et rose »364. Soledad, que Pedro rencontre alors qu’il
s’apprête à effectuer son service militaire, est une jeune fille qui appartient au groupe
de bohémiens, dans lequel se trouve aussi Jéricho. La bohémienne est « plus grande
que les autres femmes de sa troupe ». Elle a « une chevelure d’une abondance presque
invraisemblable » et des yeux qui contiennent « l’éclat sombre du diamant noir » et
qui lui donnent un « regard à la fois brûlant et profond »365. Mais ses traits
contiennent aussi une menace : « elle rappel[le] le faucon ou l’épervier, bien plus que
la colombe »366. À l’inverse, Blanche a un « joli visage plein de candeur et
d’innocence »367. Soledad est une « étrange créature » qui « ne veut autour d’elle que
des esclaves » et qui « a un charme »368, alors que Blanche est une « charmante image
de la grâce qui s’ignore »369. « Placées aux deux pôles du monde féminin, également

362
Le Peuple du jeudi 23 juin 1892, épisode 4.
363
Le Peuple du mardi 29 juin 1892, épisode 10.
364
Le Courrier de Lyon du mardi 24 août 1875, épisode 74.
365
Le Courrier de Lyon du dimanche 19 septembre 1875, épisode 98.
366
Le Courrier de Lyon du mercredi 22 septembre 1875, épisode 101.
367
Le Courrier de Lyon du mercredi 1 er septembre 1875, épisode 81.
368
Le Courrier de Lyon du jeudi 23 septembre 1875, épisode 102.
369
Le Courrier de Lyon du mardi 24 août 1875, épisode 74.

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belles, mais belles différemment, les deux jeunes filles n’[ont] entre elles aucun
rapport »370. Pedro ne peut donc concilier ces deux amours et doit faire un choix :
« par respect pour l’une, il devait bannir l’autre de sa pensée »371. La séduction de
Soledad finit par se retourner contre elle : Jéricho, présent au mariage de Pedro et de
Blanche apprend à celui qu’il a élevé, que Soledad a été retrouvée « la face contre
terre avec un stylet planté droit entre les deux épaules » et que le suspect est un jeune
homme « qui la suivait depuis quelque temps déjà »372. Pour Pedro, ces deux femmes
incarnent deux moments de son existence : Soledad le rapproche de son enfance. Elle
est comme lui, sans véritable nom qui l’inscrive dans une famille. Le mariage avec
Blanche de Vimeuse, au contraire, le lie à ses origines.

Les personnages secondaires organisent ces neuf intrigues selon trois grands
schémas. Tout d’abord, les rapports de force peuvent être déséquilibrés entre un
personnage principal plus faible que le protagoniste secondaire ; dans ce cas, les
persécutions subies par la figure principale font avancer l’intrigue. Ce déséquilibre
fait naître de la pitié pour le personnage principal qui devient une victime.
Le second schéma qui organise l’intrigue est une association entre un personnage
principal et une figure secondaire : le destin du personnage le plus important s’en
trouve alors changé grâce à l’influence de cette dernière.
Le troisième schéma, combinaison la plus fréquente dans les romans-feuilletons du
corpus, est une opposition, la plupart du temps amoureuse, entre deux rivaux de force
équivalente : soit les deux personnages se considèrent mutuellement comme étant
ouvertement rivaux, soit l’un des deux ignore l’existence de son adversaire. Ces
couples antithétiques forment avec les personnages principaux différents pôles entre
lesquels les relations évoluent : l’être d’abord pleinement aimé est ensuite
complètement haï en raison du caractère négatif de ses actions. Les nuances sont
absentes de ces rapports de force, et le juste milieu n’existe pas. Par exemple, un
personnage ne peut continuer à avoir de l’estime pour celui ou celle qui a mal agit.
Ainsi, Monique, très déçue par Hermann Stenner, change son amour en haine pour
celui-ci, tandis qu’elle reporte cet amour sur son cousin qu’elle méprisait auparavant.
De même, Edmond Sorbier, trahi par Maud Vivian, la délaisse pour épouse r
Geneviève Coraize. Pour mettre un terme à l’affrontement, la mort physique ou

370
Le Courrier de Lyon du vendredi 15 octobre 1875, épisode 121.
371
Ibid.
372
Le Courrier de Lyon du lundi 22 novembre 1875, épisode 155.

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symbolique est nécessaire chez les femmes : les deux entités ne peuvent subsister,
l’une doit être détruite. Au contraire, pour les personnages masculins, l’éloignement
physique et la conservation de leurs intérêts suffisent à faire cesser les hostilités :
Henri Martel-Chauvey retrouve son argent volé, Hermann Stenner obtient l’usine
qu’il convoite sans épouser Monique Andercey, et Edmond Sorbier retrouve sa
femme. Par conséquent, les deux entités opposées de ces couples ne peuvent être
conciliées et les personnages principaux doivent choisir entre l’une des deux. Ce sont
précisément ces choix qui font prendre à l’intrigue une certaine orientation.

Tout comme pour les figures principales, nous pouvons mettre en évidence
différents types de personnages secondaires. En effet, ces protagonistes, qui ne sont
pas présents dans tous les épisodes des fictions, se composent de quelques traits,
choisis de telle sorte que l’opposition avec les personnages principaux ou bien avec
d’autres figures secondaires, soit immédiatement rendue visible. Les personnages
négatifs, tels Ernest Corréard, Jollivet ou Soledad, sont ainsi comparés à des animaux
nuisibles : faucon, épervier, vipère, ils observent leur proie avant de se jeter sur elle.
Le lecteur peut voir rapidement se dessiner les rapports de force entre les
protagonistes. En effet, un contraste entre des attributs physiques signifie une
différence entre les tempéraments des personnages et annonce par là même une lutte
entre des aspirations diverses. Ces personnages secondaires, tout en faisant avancer
l’intrigue, peuvent aussi symboliser l’ambivalence qui existe dans le caractère des
personnages principaux. Ainsi, Gaïd, Soledad et Maud Vivian représentent l’amour
charnel, celui qui parle aux sens respectivement de Yân Ab Vor, de Pedro et
d’Edmond Sorbier. À l’inverse, leurs antagonistes, c’est-à-dire Marianna, Blanche de
Vimeuse et Geneviève Coraize constituent un amour idéalisé pour les figures
masculines. Les personnages principaux oscillent entre ces deux groupes d’entités,
avant de faire un choix.

Les personnages, aussi bien principaux que secondaires, ne sont donc pas
singularisés, c’est-à-dire qu’ils ont des éléments en commun, même si certaines
descriptions mettent l’accent sur un aspect exceptionnel des protagonistes. En effet,
les adjectifs choisis et les superlatifs qui les accompagnent se retrouvent d’une
description à l’autre. C’est pourquoi, nous pouvons considérer que l’aspe ct
exceptionnel lui-même, contenu dans les traits physiques par exemple, contribue à

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catégoriser les différentes figures. Les auteurs livrent avec une grande lisibilité le
panorama composé par les personnages, même si les descriptions sont le plus souvent
succinctes et se concentrent sur l’essentiel. Ainsi, les protagonistes secondaires se
distinguent principalement par la couleur de leur chevelure, l’un ayant toujours des
cheveux de teinte claire, l’autre des cheveux de couleur sombre. Les auteurs se
concentrent sur les éléments nécessaires à la compréhension de l’intrigue et
privilégient l’action sur la description. L’organisation des romans-feuilletons du
corpus repose donc davantage sur le combat d’entités contraires, que sur le parcours
d’individus singularisés.

La place des personnages dans la hiérarchie


sociale : une influence des tendances politiques
du journal ?

Les personnages se divisent en deux grands groupes : les figures positives et


négatives, autrement dit les innocents et les coupables. Le dénouement de toutes ces
fictions montre soit une société, soit un groupe d’individus ayant retrouvé une
stabilité après le triomphe plus ou moins long de l’injustice et du chaos. Pour Jean -
Claude Vareille, créer des types de personnages rejoint l’idée d’ une société ordonnée.
En effet, catégoriser les protagonistes conduit à les ranger et à leur attribuer une place
définie. L’opposant est donc celui qui menace l’ordre d’une société voulant rester
close373.
La question que nous pouvons nous poser, après avoir mis en évidence la présence
dans les romans-feuilletons de catégories de personnages, concerne la place occupée
par ces protagonistes dans la hiérarchie sociale. Les personnages négatifs
appartiennent-ils toujours à la même classe sociale dans toutes les fictions ? Nous
avons distribué les personnages précédemment étudiés en deux groupes : l’un réunit
les protagonistes positifs, l’autre les personnages négatifs.
Nous avons considéré comme figures positives : Poupard, Poupardin, Rosette
Dory, Edmond Sorbier, Geneviève Coraize, Rixens, Yân Ab Vor, Marianna,
Raymond de Staël, Claire Martel-Chauvey, Aristide Mulot, Jean Camaille, Marie

373
Jean-Claude Vareille, Le roman populaire français (1789-1914) : idéologies et pratiques,
Limoges : Pulim (Presses Universitaires de Limoges), 1994 (littératures e n marge), partie 3, chap. 1,
p. 104.

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Rolland, Jacques de Valmagny, Monique Andercey, Marthe Lormeau, Pedro, Blanche


de Vimeuse.
Dans le groupe des personnages négatifs, nous avons placé : Corréard et plus
généralement le système judiciaire et pénitentiaire, Maud Vivian, Gaïd, Mary Percy,
Angelo de Sora, Lucia, Hermann Stenner, Jollivet, Soledad, Clara de Valdieuse, Bob,
Cambournac, la Chiffarde.
Nous remarquons que les personnages positifs appartiennent à toutes les strates de
la société : du paysan ou du pêcheur jusqu’au rentier oisif, en passant par d’actifs
entrepreneurs. Une caractéristique propre aux personnages négatifs peut être perçue :
sur les treize protagonistes qui composent ce groupe, six sont des étrangers. En effet,
Maud Vivian, Mary Percy et Bob sont britanniques, Angelo de Sora et Lucia sont
italiens, Soledad est espagnole. De plus, Hermann Stenner, même s’il est français,
passe du côté de l’ennemi après 1870. L’étranger représente donc le danger, il est
celui qui crée le désordre dans un univers clos : par définition, il est celui qui vient de
l’extérieur et, par là même, trouble une société où chacun est à sa place. Ces
personnages négatifs sont en effet muent par une ambition plus ou moins dévorante
d’accéder à une place supérieure dans la société. Certains d’entre eux se trouvent
dans une situation précaire et cultive l’illusion de leur richesse, pour les autres
protagonistes qui les entourent. Ils cherchent donc à consolider leur situation et à
entrer dans cette société qui les chasse, par exemple par un mariage pour les femmes.

Est-ce que les tendances politiques des journaux influencent le choix de ces
personnages ? Autrement dit, est-ce que l’appartenance des personnages négatifs à
une certaine classe sociale varie selon la couleur politique des journaux ?
Les personnages des romans-feuilletons peuvent adopter les convictions politiques
qui correspondent aux tendances du journal dans lequel la fiction est publiée : ainsi,
Poupard est en conformité avec la couleur politique de La Comédie politique
puisqu’il est bonapartiste. En revanche, l’appartenance à une classe sociale des
personnages positifs ou négatifs n’est pas privilégiée selon les t endances politiques
des journaux. Le meilleur exemple du corpus est sans doute La Chiffarde, publié dans
Le Peuple, journal socialiste, et qui met en scène comme personnages principaux
deux anciennes ouvrières qui sont capables des pires manipulations. Par conséquent,
dans ces fictions ce n’est pas la place en elle-même occupée par les personnages
négatifs dans la hiérarchie sociale qui est condamnée, mais bien leur volonté de voir

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leur statut évoluer. Ainsi, Clara de Valdieuse fait preuve d’une déterminati on sans
borne pour s’élever socialement. Ce n’est pas tant la question de l’appartenance à une
classe sociale qui importe, que le respect de l’ordre établi. En effet, celui ou celle qui
aspire à changer de classe sociale est détruit. Nous remarquons donc un certain
conformisme et un ralliement à une idée force : l’ascension sociale est répréhensible
parce qu’elle bouleverse l’ordre établi de la société. Chacun se doit de rester à sa
place. Ce même message est présent aussi bien dans Rosette Dory, publié dans La
Comédie politique, journal bonapartiste, que dans Le Baptême du sang, paru dans Le
Courrier de Lyon, de tendance orléaniste. Rosette Dory et Marthe Lormeau peuvent
en effet espérer accéder, à travers leur amour, à une autre condition : Rosette Dory
veut épouser Victor Fernel, « ce beau Monsieur de la ville »374 qui est le cousin d’un
percepteur. Marthe, fille de paysan, en aimant le vicomte Octave de Kergor est bien
au-dessus de sa condition. Même si Rosette Dory parvient finalement à épouser
Victor Fernel, la mort, tout comme pour Marthe, mettra un terme à cette tentative
d’ascension sociale.
Par conséquent, les types de personnages mis en scène dans les diverses intrigues
ne dépendent pas de la couleur politique du journal. De plus, nous observons une
uniformisation des dénouements avec un rétablissement systématique de l’ordre. Ce
retour à la norme est réalisé, selon Anne-Marie Thiesse, dans le but de répondre à une
demande du public 375.

LA CAPTURE DU LECTEUR

Il ne faut pas perdre de vue que le but premier du roman-feuilleton est de plaire
pour attirer un lectorat nombreux, afin d’inciter les annonceurs publicitaires à envahir
la quatrième page des journaux. Du côté de la réception, c’est -à-dire des lecteurs de
ces fictions, nous disposons de peu d’informations pour définir le public, compte tenu
de l’absence de sondages par exemple. En revanche, en nous plaçant du côté de la
production, nous pouvons étudier les techniques utilisées par les auteurs pour captiver
le lectorat.

374
La Comédie politique du dimanche 4 février 1900, épisode 2.
375
Anne-Marie Thiesse, Le roman du quotidien : Lecteurs et lectures populaires à la Belle Époque,
Paris : Le Chemin vert, 1984 (le temps et la mémoire), partie 2, p. 127.

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Un lectorat difficile à cerner

En comparant les prix des abonnements des journaux et en les rapportant à certains
salaires de l’époque, Gilles Feyel, dans son ouvrage La Presse en France des origines
à 1944 : Histoire politique et matérielle, montre que toute une frange de la population
ne pouvait pas accéder à la presse. En 1828, pour un abonnement annuel, il fallait
compter 80 francs, ce qui représentait 421 heures de travail pour un ouvrier
manœuvre de province. En 1836, année qui voit la création du journal La Presse
d’Émile de Girardin et du Siècle d’Armand Dutacq, l’abonnement passe pour ces
quotidiens à 40 francs par an, soit 210 heures de travail pour le même ouvrier. À la
fin de la monarchie de Juillet, un instituteur gagnait en moyenne 500 francs par an,
puis 700 francs à la fin de la décennie 1860. Feyel en conclut qu’il était impossible
pour un instituteur, et à plus forte raison pour un ouvrier, de s’abonner à un quotidien
parisien. En 1871, l’abonnement à un journal grand format, c’est -à-dire à la presse
politique, coûtait 36 francs par an soit 164 heures de travail d’un manœuvre, alors
que la petite presse populaire était vendue 5 centimes le numéro depuis 1863, date de
la création du Petit Journal de Moïse Polydore Millaud. Un sou par numéro
représente un abonnement annuel d’environ 24 francs, soit 96 heures de travail du
manœuvre en 1889, et seulement 73 heures en 1900 376. 5 centimes c’est aussi huit fois
moins que le prix du kilo de pain en 1900 377.
Par conséquent, sous la monarchie de Juillet, le roman-feuilleton ne touche pas un
public populaire, car son support, le journal, reste un bien inaccessible. Durant les
premières décennies de l’existence du roman-feuilleton, c’est principalement la petite
et moyenne bourgeoisie qui progressivement a accès à la presse. Elle devient ainsi le
lectorat dominant des journaux grands formats. Mais à la fin du Second Empire, les
lecteurs issus des milieux populaires urbains, qui pour certains lisent la petite
presse378, commencent à acheter régulièrement les quotidiens grands formats 379. Il
subsiste cependant une différence majeure entre les lecteurs issus de la bourgeoisie et

376
Gilles Feyel, La presse en France des origines à 1944 : Histoire politique et matérielle, Paris :
Ellipses, 1999 (infocom), partie 2, p. 67.
377
Marc Martin, La presse régionale : des Affiches aux grands quotidiens, Paris : Fayard, 2002 (les
nouvelles études historiques), partie 2, chap. 9, p. 146.
378
Christophe Charle, Le siècle de la presse (1830-1939), Paris : Éd. Du Seuil, 2004 (l’univers
historique), chap. 4, p. 103.
379
Anne-Marie Thiesse, op. cit., partie 2, p. 84.

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ceux venant du peuple : les premiers ont d’autres lectures, quand les classes les moins
aisées ne peuvent lire que le journal 380.
Anne-Marie Thiesse dans son ouvrage Le Roman du quotidien : Lecteurs et
lectures populaires à la Belle Époque, expose les résultats d’une enquête qu’elle a
menée auprès de personnes issues de classes populaires nées vers 1900. Lorsqu’elle
demandait aux femmes interrogées si leurs pères lisaient des romans-feuilletons, sa
question provoquait des rires, car elle était considérée comme incongrue. Anne -Marie
Thiesse en conclut que des hommes pouvaient très bien lire les œuvres de fiction des
journaux mais que cette pratique était tue car non convenable. Les hommes interrogés
reconnaissent eux-mêmes très rarement en avoir lus 381. De plus, les lectrices
« conscientes de leur rang », c’est-à-dire les femmes issues de la bourgeoisie et de la
petite bourgeoisie en cours d’ascension sociale, rejetaient le roma n-feuilleton. En
effet, les femmes d’employés ou d’instituteurs ne considéraient pas ces lectures
comme une activité culturelle valorisée et valorisante 382.
Par conséquent, entre 1870 et 1914, il semble que le lectorat dominant des romans -
feuilletons soit les femmes issues des couches populaires, c’est-à-dire du milieu
ouvrier et de l’artisanat. Ces femmes, qui pouvaient lire rapidement un épisode entre
deux tâches ménagères, découpaient ensuite et cousaient les bandes de papier pour
composer un semblant de volume. Ce bien obtenu après un léger travail manuel, et
qui peut donc avoir une apparence de bien gratuit, avait d’autant plus de valeur pour
les classes populaires, qui ne pouvaient pas s’acheter le volume en raison du prix. De
plus, acheter un journal au numéro constitue une dépense régulière, qui ne grève pas
le budget de façon importante, contrairement à l’achat de volumes 383.
Les commentaires qui pouvaient être faits par les femmes autour de l’orientation
de l’intrigue par exemple, constituaient le pendant des discussions politiques entre
hommes384. Les romans-feuilletons servaient donc de support aux diverses formes de
la sociabilité féminine. Un article d’André Morizet intitulé « Comment on lance un
feuilleton » dans le journal L’Humanité s’ouvre ainsi sur un dialogue imaginé entre
deux lectrices de ces fictions : « « oh ! ma chère, crois-tu ? C’était le fils de la
comtesse ! » « - Le misérable ! dis, penses-tu qu’elle finira par l’épouser ? » Il faut

380
Jacques Goimard, « Quelques structures formelles du roman populaire » dans Europe : Le roman-
feuilleton, n°542, juin 1974, p. 24.
381
Anne-Marie Thiesse, op. cit., partie 1, p. 20.
382
Anne-Marie Thiesse, op. cit., partie 1, p. 44.
383
Anne-Marie Thiesse, op. cit., partie 1, p. 28.
384
Anne-Marie Thiesse, op. cit., partie 1, p. 21.

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avoir entendu ces conversations des « arpètes » dans l’omnibus matinal qui les mène
à l’atelier ou chez le bistro […] pour savoir toute l’importance du roman -feuilleton
dans la vie ouvrière. Le feuilleton, dans le journal, c’est la part de la femme. C’est le
sujet palpitant dont on cause sur le pas des portes. C’est le mélo qui rompt la
monotonie des existences travailleuses »385. C’est pourquoi, Jacques Migozzi
considère que le roman-feuilleton consacre les goûts nouveaux d’un lectorat
récemment alphabétisé et « illettré » au sens élitiste du terme 386. Autrement dit, ces
lecteurs, parce qu’ils n’ont pas de culture littéraire, doivent être guidés dans leur
lecture. Il faut attiser leur curiosité mais sans les perdre dans des méandres de détails.

« Pièges à lecteurs »387

Les auteurs adoptent ainsi un certain nombre de techniques pour capturer leur
lectorat. Dans les romans-feuilletons étudiés, nous pouvons mettre en évidence quatre
procédés : les proverbes présents dans la bouche des personnages ; les indices
disséminés dans les fictions par les auteurs ; les répétitions qui résument ou
rappellent des informations que le lecteur a pu oublier ; les adresses directes au
lecteur.

Les proverbes

Ces formulations stables qui contiennent des vérités qui se présentent comme
toujours vraies, créent un aspect rassurant pour le lecteur : ces expressions le
renvoient à ce qu’il connaît. Ainsi, dans Le Krach, Aristide Mulot, qui se fait passer
pour différents personnages afin d’interroger les individus susceptibles de faire
avancer son enquête, dit par deux fois à ceux qu’il interroge « l’habit ne fait pas le
moine »388. Dans Le Baptême du sang, lorsque Jollivet fait remarquer à Jacques
Lormeau qu’il n’est pas prudent que Marthe danse avec Octave de Kergor, lors de la
fête du sarrasin, Jacques lui répond : « comme dit le proverbe : il faut bien que

385
André Morizet, « Comment on lance un feuilleton » dans L’Humanité du lundi 28 octobre 1907, p.
1. Cet exemplaire est disponible sur Gallica.bnf.fr.
386
Jacques Migozzi, « La révolution française du roman-feuilleton » dans Marie-Françoise Cachin,
Diana Cooper-Richet, Jean-Yves Mollier, Claire Parfait (dir.), Au bonheur du feuilleton : Naissance
et mutations d’un genre, actes d’un colloque tenu en décembre 2004, Paris : Créaphis, 2007 [s. c.], p.
90.
387
Expression empruntée à Jean-Claude Vareille, Le roman populaire français (1789-1914) :
idéologies et pratiques, Limoges : Pulim (Presses Universitaires de Limoges), 1994 (littératures en
marge), titre de la partie 4, p. 161.
388
L’Écho de Lyon du dimanche 13 décembre 1891, épisode 28 et du jeudi 21 janvier 1892, épisode
65.

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jeunesse se passe ! »389. Il peut être appliqué au tempérament d’un personnage comme
dans Le Baptême du sang : « ce n’est pas à lui [Jollivet] que l’on aurait jamais
appliqué ce beau proverbe « plaie d’argent n’est pas mortelle ». On eût au contraire
été tenté de croire que c’était là l’unique plaie dont il eu pu souffrir et mourir »390.
Dans La Chiffarde, alors que les protagonistes sont rassemblés dans la maison isolée
où ils vont trouver la mort, le capitaine Loarec, qui se révèle sous les traits de Beau-
Bleu, explique que pour lui « la vengeance est un plat qu’on peut manger froid »391.
D’une fiction à l’autre, les mêmes proverbes se retrouvent : Jacques Lormeau, dans
Le Baptême du sang, prend peur quand il se rend compte de l’achat inconsidéré qu’il
a fait, mais « le vin est tiré il faut le boire »392, de même que dans Le Krach, « le vin
était tiré, il fallait le boire »393. Des expressions peuvent aussi être adaptées aux lieux
dans lesquels l’intrigue se déroule. Ainsi, dans Pilleur d’épaves, lorsque Marianna
reproche à Yân son altercation avec Alain Kervarec, celui-ci lui répond : « je ne suis
pas méchant. Je n’ai jamais fait de mal à une mouette »394. Ces différents exemples
montrent que les auteurs donnent à lire au lecteur ce qu’il connaît.

Un univers saturé de signes

Les auteurs dispersent des indices dans leurs textes pour orienter l’interprétation
du lecteur. Ce dernier doit pouvoir deviner le coup de théâtre qui est sur le point de se
produire, avant même que les auteurs ne livrent l’information de façon explicite.
Dans La Chiffarde, lorsque Bob demande à Cambournac de se faire passer pour le
faux marquis auprès de la duchesse de Valdieuse, il « caress[e] ses favoris, ce qui,
chez lui, [est] le signe d’une grande préoccupation »395, parce qu’il n’est pas certain
de la réussite du projet. Lorsque Cambournac prend la place du notaire Madoré, il se
demande comment faire pour que les domestiques et les relations de Madoré ne
soupçonnent pas l’enlèvement : « l’idée qu’il cherchait lui arriva sans doute au
cerveau car il se mit à sourire »396. Le lecteur comprend ensuite qu’il le fait passer
pour fou. Dans Le Baptême du sang, Pedro fait part des quelques informations dont il
dispose concernant son père au commandant dont il vient de sauver la vie : « c’était

389
Le Courrier de Lyon du jeudi 17 juin 1875, épisode 6.
390
Le Courrier de Lyon du mercredi 23 juin 1875, épisode 13.
391
Le Peuple du mardi 20 septembre 1892, épisode 92.
392
Le Courrier de Lyon du lundi 21 juin 1875, épisode 10.
393
L’Écho de Lyon du dimanche 20 décembre 1891, épisode 35.
394
L’Écho de Lyon du lundi 31 août 1891, épisode 15.
395
Le Peuple du vendredi 8 juillet 1892, épisode 19.
396
Le Peuple du vendredi 19 août 1892, épisode 61.

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un officier de marine, comme vous mon commandant… »397. La seconde partie de


cette phrase invite le lecteur à faire un rapprochement entre la figure du commandant,
dont il ignore alors le nom, et Octave de Kergor. Ces indices peuvent être malgré tout
difficiles à percevoir, en raison du caractère fragmenté de l’œuvre, qui implique une
lecture sur le long terme. C’est pourquoi certains auteurs n’hésitent pas à traduire les
signes.
Dans La Chiffarde, lorsque le faux marquis Raoul des Gargins et la duchesse Clara
de Valdieuse se trouvent chez le notaire Madoré, et que celui -ci ne parvient pas à
considérer Cambournac déguisé comme le véritable marquis, la duchesse tente de le
convaincre. « Cambournac adressa à la duchesse un geste de remerciement qui
signifiait clairement : - Merci mon ennemie »398. Dans Passionnément, le déchiffrage
est davantage détaillé. Edmond Sorbier et Rixens prennent congé de Maud Vivian
après que la vérité concernant ses mensonges a éclaté : « le premier adieu [celui
d’Edmond] voulait dire : « oui, je pars et je ne vous reverrai plus. Mais je vous aime
encore en vous méprisant » le second [Rixens], au contraire, tintait comme un
persiflage : « - Ma belle, vous m’avez joué ; chacun son tour. Cherchez un autre qui
vous croie » »399.
Certains indices ont pour but d’anticiper les événements à venir. Dans Le Baptême
du sang, le destin malheureux de Marthe Lormeau est annoncé : « elle avait eu
beaucoup d’ennuis depuis quelques temps ; elle devait en avoir beaucoup
encore ! »400. De même, Pedro « avait je ne sais quelle vague perception des
difficultés sans nombre qui attendaient son avenir »401. Dans Passionnément,
lorsqu’Edmond Sorbier rencontre Alfred La Faurie à Paris, « il ne se doutait pas de
l’influence que ce hasard aurait sur sa vie »402. La Chiffarde, lors du bal au cours
duquel un homme masqué lui propose un défi, observe celui qu’elle doit séduire :
« un pressentiment vint l’avertir que cet inconnu lui devait être funeste, et qu’en
allant à sa rencontre elle marchait droit à un danger »403. Le lecteur voit s’accomplir,
dans la suite de l’intrigue, l’événement heureux ou non qui est annoncé dès les
premiers fragments du récit. Dès le début, il est averti de la tonalité que va prendre
l’intrigue. Ainsi, les trajectoires des personnages principaux sont connues d’avance.

397
Le Courrier de Lyon du samedi 6 novembre 1875, épisode 140.
398
Le Peuple du jeudi 4 août 1892, épisode 46.
399
L’Écho de Lyon du jeudi 10 octobre 1889, épisode 22.
400
Le Courrier de Lyon du vendredi 9 juillet 1875, épisode 29.
401
Le Courrier de Lyon du dimanche 3 octobre 1875, épisode 111.
402
L’Écho de Lyon du samedi 21 septembre 1889, épisode 4.
403
Le Peuple du lundi 20 juin 1892, épisode 2.

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Des questions ouvertes posées par les auteurs à l’attention du lecteur l’orientent à
la fois sur la possible trajectoire de l’intrigue et sur les explications probables qui
peuvent justifier un comportement. Ainsi, dans Poupard et Poupardin, Adolphe Ponet
émet des hypothèses quant au brusque changement de comportement de Poupard à
l’égard de son fils : « était-il devenu un pilier de café ? Avait-il pris le goût de la
pêche à la ligne ? Ou le goût de regarder pêcher à la ligne, ce qui est une passion pire
encore ? À son âge, cinquante-sept ans, s’était-il avisé d’entretenir une
danseuse ? »404. Dans La Chiffarde, lorsque Cambournac enlève le notaire Madoré,
les questions laissent planer le doute : « vivait-il encore ? Était-ce son cadavre que le
mystérieux ennemi venait d’emporter ? Nous l’ignorons jusqu’à présent »405. Dans Le
Baptême du sang, Louis Énault insiste sur la joie que connaît Blanche de Vimeuse qui
passe tout son temps avec Pedro, de retour du service militaire. Il cherche la cau se de
ce bonheur : « n’était-ce point elle qui lui avait ouvert jadis la carrière dans laquelle il
marchait aujourd’hui si glorieusement ? ». Mais « était-ce donc là l’unique cause de
la sympathie bienveillante de Blanche pour le jeune officier ? Je ne prendrai pas sur
moi de l’affirmer »406. Le fait de ne pas répondre clairement à cette question laisse
par là même la possibilité au lecteur d’envisager qu’il existe une autre raison qui
n’est pas évoquée, comme par exemple les prémices d’une relation amoureuse .
Les indices les plus manifestes et qui ne nécessitent aucun travail de conjecture de
la part du lecteur sont rendus visibles par l’adverbe « évidemment ». Aristide Mulot,
dans Le Krach, lorsqu’il apprend l’existence de Lucia se demande qui elle peut être :
« évidemment une maîtresse amenée d’Italie en France »407. Dans Rosette Dory : « le
père Dory, évidemment, n’avait pas été frappé à la place où gisait maintenant son
cadavre »408. Lorsqu’un outil sanglant est découvert non loin du corps, « c’était
évidemment bien là l’instrument du crime »409. Rosette, une fois en prison, se trouve
dans une cellule plongée dans l’obscurité et elle en fait le tour à tâtons : « il y avait
là, évidemment, quelque chose comme un fenêtre »410. Quand Rosette Dory entend
deux religieuses parler d’un prisonnier malade : « c’était évidemment de Fernel qu’il
s’agissait »411. Ces formulations ne laissent aucun doute possible.

404
La Comédie politique du dimanche 17 février 1895, épisode 1.
405
Le Peuple du jeudi 18 août 1892, épisode 60.
406
Le Courrier de Lyon du samedi 20 novembre 1875, épisode153.
407
L’Écho de Lyon du jeudi 24 décembre 1891, épisode 40.
408
La Comédie politique du dimanche 28 janvier 1900, épisode 1.
409
La Comédie politique du dimanche 18 février 1900, épisode 4.
410
Ibid.
411
La Comédie politique du dimanche 29 avril 1900, épisode 14.

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Par conséquent, en dispersant dans les fictions des indices plus ou moins aisément
repérables, et en déchiffrant partiellement ces signes, les auteurs créent une
complicité avec le lecteur. En effet, lorsqu’ils suggèrent par exemple que certains
événements sont sur le point de se produire, mais sans les dévoiler de manière
totalement explicite, ils n’imposent pas la construction du récit. Le lecteur qui
parvient néanmoins à percevoir ces signes peut anticiper la suite de l’intrigue. Ainsi,
cette technique flatte la perspicacité du lecteur, qui est parvenu, croit -il, à déchiffrer
seuls ces indices et le conforte dans l’idée qu’il doit poursuivre la lecture des
épisodes suivants412.

Les répétitions et les rappels ou comment maintenir


éveillée l’attention du lecteur

Ces répétitions sont de deux ordres : soit elles peuvent être des phrases ou des
formules figées employées à plusieurs reprises ; soit de longs passages qui
récapitulent un moment précédent de l’intrigue et qui ont pour but d’informer un
nouveau protagoniste. De plus, les auteurs font de nombreux rappels dans ces
intrigues.
Tout d’abord, les mêmes phrases peuvent être reprises par des personnages
différents à plusieurs épisodes d’intervalle. Dans Le Krach, le caissier Drivon
explique au banquier Henri Martel-Chauvey qu’un vol a été commis et conclut par
« vous en savez maintenant aussi long que moi »413. Il raconte de nouveau l’histoire
du vol à Perraudin, le premier commissaire chargé de l’enquête, et conclut par « vous
en savez, maintenant, monsieur, aussi long que moi »414. Lorsque Catherine est
chargée d’expliquer à Claire Martel-Chauvey que Mary Percy a été la maîtresse de
son père, elle emprunte à Drivon sa formule de conclusion : « tu en sais maintenant
aussi long que moi ». Claire lui répond alors « j’avais vu se dresser entre cette fille et
moi un mur de glace »415 qui est le pendant de : « il s’éleva tout de suite entre l’Italien
et Claire une barrière de glace »416. Dans la même fiction, quand Claire veut donner
l’argent qui lui vient de sa mère aux créanciers de son père, ils considèrent que c’est

412
Jean-Claude Vareille, Le roman populaire français (1789-1914) : idéologies et pratiques,
Limoges : Pulim (Presses Universitaires de Limoges), 1994 (littératures en marge), partie 4, chap. 5,
p. 191-192.
413
L’Écho de Lyon du mardi 17 novembre 1891, épisode 3.
414
L’Écho de Lyon du jeudi 19 novembre 1891, épisode 5.
415
L’Écho de Lyon du dimanche 20 décembre 1891, épisode 36.
416
L’Écho de Lyon du mardi 29 décembre 1891, épisode 45.

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« un moyen de rendre un œuf pour garder un bœuf »417 et que Claire est en possession
d’une fortune encore plus importante. « Ceux qui avaient engagé un œuf » dans les
banques avant la faillite « y avaient récolté un bœuf »418. Dans La Chiffarde, il est
précisé que le duc de Valdieuse a « soixante-douze ans »419 et plus loin : le duc « était
à l’époque de notre histoire un vieillard de soixante-douze ans »420. Dans Le Baptême
du sang « la gentille Geneviève, femme de chambre de Melle de Vimeuse » 421 est
présentée de même quelques épisodes après : « Geneviève, la gentille femme de
chambre de Melle de Vimeuse »422. Dans Les Francs-Routiers, la répétition a lieu
dans le même épisode : « comme par enchantement une porte s’ouvre dans la
tapisserie » et « comme par enchantement, la tapisserie s’ouvrit »423.
Ces répétitions évitent au lecteur de perdre la trame de l’intrigue. Mais elles
peuvent aussi être le fait d’une écriture rapide, imposée par la périodicité du journal
qui publie la fiction. Nous avons ainsi relevé trois erreurs dans trois fictions
différentes.
Tout d’abord, dans Les Prétendants de Monique, Georges, l’ami de Jacques de
Valmagny, est d’abord « comte de Marseuilles »424, puis « Georges de
425
Marseuille » . Puis, dans Rosette Dory, Mariette Giroud qui s’occupe de Rosette
durant son enfance parce qu’elle a perdu sa mère est « plus âgée que Rosette de 10
ans » et Rosette est « privée de mère de bonne heure, dès l’âge de sept ans »426.
Mariette Giroud doit donc avoir dix-sept ans lorsqu’elle commence à s’occuper de
Rosette. Or, Mariette Giroud « avait douze ans quand la mère de Rosette mourut »427.
La différence d’âge effective est donc de cinq ans au lieu des dix ans indiqués dans la
fiction. Enfin, dans Le Krach, Aristide Mulot interroge le concierge des Martel-
Chauvey, nommé le père Vincent, à propos de la disparition de François Dommartin.
Or, dans le texte il est écrit : « Mulot ne put s’empêcher de saisir le bras du père
Dommartin »428. Il ne peut pas être en face de lui, puisque c’est précisément ce
personnage qu’il recherche, il faudrait donc lire « le bras du père Vincent ».

417
L’Écho de Lyon du dimanche 6 décembre 1891, épisode 22.
418
L’Écho de Lyon du samedi 21 novembre 1891, épisode 7.
419
Le Peuple du vendredi 24 juin 1892, épisode 5.
420
Le Peuple du samedi 9 juillet 1892, épisode 20.
421
Le Courrier de Lyon du lundi 6 septembre 1875, épisode 85.
422
Le Courrier de Lyon du samedi 11 septembre 1875, épisode 90.
423
L’Écho du Rhône du samedi 5 janvier 1895, épisode 3.
424
L’Éclair du samedi 26 janvier 1884, épisode 1.
425
L’Éclair du samedi 1 er mars 1884, épisode 6.
426
La Comédie politique du dimanche 4 février 1900, épisode 2.
427
La Comédie politique du dimanche 1 er avril 1900, épisode 10.
428
L’Écho de Lyon du lundi 21 décembre 1891, épisode 37.

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De même que des phrases identiques peuvent être reprises par des personnages
différents, les répétitions de formules figées existent d’un récit à l’autre. Ainsi, dans
Le Krach : « is fecit cui prodest. Le crime a été commis par celui qui en a profité »429.
La même expression est employée dans Rosette Dory, par le maire du village qui,
accompagné des gendarmes, vient pour arrêter Rosette : « is fecit cui prodest »430.
Dans trois romans-feuilletons, nous avons pu relever des phrases similaires : dans Les
Prétendants de Monique, Monique Andercey « levant vers son fiancé ses beaux yeux,
noyés de larmes »431 lui demande s’il partira combattre. Dans Les Francs-Routiers,
Marie Rolland lorsqu’elle déclare son amour à Jean Camaille, « ses beaux yeux se
lèvent vers le ciel comme pour le prendre à témoin de son amour »432. Dans Rosette
Dory, le personnage éponyme, devant la rudesse de sœur Gertrude, « se borna à lever
sur la religieuse ses grands yeux, qu’un voile de larmes rendait plus doux encore »433.
Dans Les Francs-Routiers Jean Camaille s’adresse à Marie pour lui signifier combien
son amour est coupable : « mon cœur est indigne du vôtre »434, et dans le même
épisode, « vous croyez mon amour indigne du vôtre », « mon cœur, indigne du
vôtre » et « vous me croiriez indigne de votre amour »435.
Le deuxième grand type de répétition correspond au fait que lorsqu’un nouveau
protagoniste fait son apparition dans l’intrigue et va jouer un rôle actif, les autres
personnages se doivent de l’informer des événements précédents qu’il ne peut
connaître. Ainsi, dans Le Krach, Raymond de Staël raconte à Aristide Mulot l’histoire
du vol : « Raymond lui raconta rapidement le vol de l’hôtel Martel-Chauvey. […] -On
prétend que tout cela est une comédie, que c’est M. Martel -Chauvey qui s’est volé
lui-même, que les trois millions sont bien cachés »436. Dans la même fiction, Angelo
de Sora explique à Mary Percy comment elle-même et sa femme de chambre doivent
procéder pour lui permettre de prendre l’empreinte de la clé du coffre : « -Qu’est-ce
qu’elle devra donc faire, Louise ? –M’introduire dans la maison, m’y cacher […] –
Alors il faudra qu’elle t’établisse dans sa chambre »437. Dans l’épisode suivant, Mary
explique elle-même à sa femme de chambre ce qu’elle doit faire lorsque Sora viendra

429
L’Écho de Lyon du mardi 1 er décembre 1891, épisode 17.
430
La Comédie politique du dimanche 11 février 1900, épisode 3.
431
L’Éclair du samedi 23 février 1884, épisode 5.
432
L’Écho du Rhône du mardi 8 janvier 1895, épisode 6.
433
La Comédie politique du dimanche 4 mars 1900, épisode 6.
434
L’Écho du Rhône du dimanche 6 janvier 1895, épisode 4.
435
L’Écho du Rhône du mardi 8 janvier 1895, épisode 6.
436
L’Écho de Lyon du mardi 8 décembre 1891, épisode 24.
437
L’Écho de Lyon du lundi 4 janvier 1892, épisode 50.

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chez elle : « je le recevrai, nous l’installerons dans ta chambre »438. Dans Le Baptême
du sang, Marthe Lormeau raconte à Octave de Kergor, lors de leurs entrevues, les
persécutions qu’elle subit de la part de Jollivet : « elle dit comment le créancier de
son père - cet odieux usurier - se montrait de plus en plus pressant »439. Pedro, alors
qu’il est blessé après avoir sauvé la vie de son commandant, lui raconte, à sa
demande, son histoire et celle de sa mère : « il dit sa première enfance, écoulée au
milieu de scènes bizarres […] il esquissa la silhouette amusante de Jéricho […] il se
rappelait comment [il] l’avait pris un soir par la main et sans lui demander son avis
l’avait conduit chez les Lormeau » 440. Cet épisode constitue un bilan pour le lecteur
avant le dénouement. Puis, de retour à Vimeuse, il raconte à Blanche son service
militaire : « pour moi, dit-il qui n’avait jamais connu la famille, le régiment devint
une famille véritable. Ce fut mon école »441. De son côté, Octave de Kergor, après
avoir eu connaissance de l’histoire de Marthe par Pedro, la raconte à son tour à son
cousin le marquis de Vimeuse : « elle se vit abandonnée, elle n’eût d’autre
perspective que la honte pour elle, et la misère pour son enfant… Le désespoir la prit
et l’emporta »442. Ces épisodes constituent des bilans avant le dénouement. Ils sont
utiles à la fois au lecteur qui n’aurait pas connaissance des premiers fragments, ainsi
qu’à celui qui, après plusieurs mois de publication, aurait oublié certains éléments
nécessaires pour comprendre la fin de l’histoire.
Le troisième type des répétitions concerne les rappels de l’intrigue. Dans Pilleur
d’épaves, l’élément fondamental pour comprendre tout le déroulement de l’intrigue
est le naufrage initial qui précipite Yân Ab Vor et Marianna sur les côtes du Finistère,
ainsi que le geste criminel d’Arc’han qui tue la mère de Yân pour s’emparer de ses
bijoux. Or, cet événement est raconté dans les premiers épisodes du roman -feuilleton.
Pierre Maël fait donc de fréquentes allusions au naufrage pour que le lecteur n’oublie
pas l’essentiel. Ainsi, Ar Zod, lorsqu’il soigne Yân blessé après l’altercation avec
Alain Kervarec, lui fait une saignée : « vingt trois ans plus tôt, c’était des doigts
mutilés de la mère qu’il coulait, ce sang »443. Ce vieillard qui passe pour fou, ne fait
en réalité que ressasser le naufrage auquel il a assisté : « je dis que ta mère n’était pas
morte, que j’ai entendu son cri d’agonie, quand ton père Arc’han lui a coupé les

438
L’Écho de Lyon du mardi 5 janvier 1892, épisode 51.
439
Le Courrier de Lyon du jeudi 15 juillet 1875, épisode 35.
440
Le Courrier de Lyon du dimanche 7 novembre 1875, épisode 141.
441
Le Courrier de Lyon du lundi 15 novembre 1875, épisode 148.
442
Ibid.
443
L’Écho de Lyon du jeudi 27 août 1891, épisode 12.

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Une fiction au confluent de la littérature et du journal

doigts »444. Yân Ab Vor, pourtant en quête de ses origines ne tient pas compte de ces
propos. Lorsque Gaïd, dévorée par la jalousie à l’encontre de sa rivale, abandonne
Marianna sur un îlot alors que la mer monte, l’auteur indique qu’« elle rendait à la
mer l’épave vivante que celle-ci avait jetée vingt-trois ans plus tôt à la grève »445. Yân
Ab Vor, après avoir sauvé Marianna, se trouve avec elle dans l’embarcation et Pierre
Maël les désigne comme : « les deux enfants de l’épave »446. Dans Le Baptême du
sang, les qualificatifs pour désigner Pedro varient en fonction des aventures qu’il vit :
il est d’abord « le fils de Marthe et du vicomte Octave de Kergor »447 puis
« l’aventureux dénicheur d’écureuils qui se laissait si bien dégringoler du haut des
grands hêtres »448 après sa chute survenue alors qu’il braconne sur les terres du
marquis. Enfin dans La Chiffarde, lorsque Clara de Valdieuse accompagne Bob et
Beau-Bleu qui transportent la caisse dans laquelle doit se trouver Louise, « elle glissa
dans sa poche un certain mignon pistolet à deux coups que nous avons déjà vu figurer
dans les premiers chapitres de cette histoire »449.
Par conséquent, dans des romans-feuilletons atteignant ou dépassant la soixantaine
d’épisodes, soit une publication qui court sur environ deux mois ou plus, les auteurs,
dans le but de ne pas égarer leur lecteur, font un certai n nombre de rappels tout au
long du récit.

Adresses directes aux lecteurs

Le meilleur moyen de conserver l’attention du lecteur dans le but qu’il continue à


acheter le journal dans lequel le roman-feuilleton est publié, est de s’adresser
directement à lui. Les auteurs prêtent un grand intérêt à leur lecteur, le ménagent en
le lui disant et n’hésitent pas à le flatter. Ainsi, dans La Chiffarde, la courtisane
raconte au juge d’instruction l’épisode du bal, mais Eugène Chavette précise : « nous
venons de tout conter d’un trait, pour éviter à nos lecteurs l’ennui d’apprendre, par
questions et réponses cette histoire »450. Dans Pilleur d’épaves, l’un des gendarmes
qui poursuit Yân Ab Vor, a un « accent fortement tudesque que nous ne reproduirons

444
L’Écho de Lyon du lundi 31 août 1891, épisode 15.
445
L’Écho de Lyon du jeudi 3 septembre 1891, épisode 17.
446
L’Écho de Lyon du vendredi 4 septembre 1891, épisode 18.
447
Le Courrier de Lyon du jeudi 30 septembre 1875, épisode 108.
448
Le Courrier de Lyon du jeudi 11 novembre 1875, épisode 145.
449
Le Peuple du dimanche 18 septembre 1892, épisode 90.
450
Le Peuple du mardi 21 juin 1892, épisode 3.

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pas, pour ne point fatiguer le lecteur » 451. Louis Énault dans Le Baptême du sang
décrit les activités de la sorcière Madeleine Trépied et conclut en flattant celui qui le
lit : « Eh ! que le lecteur, esprit fort, ne se récrie point contre l’invraisemblance ou
l’exagération de ce que nous lui disons là »452. Il s’adresse plus précisément à ses
lectrices : « nos belles lectrices- car nous nous plaisons à penser que nos lectrices
sont belles » doivent être remerciées « des instants qu’elles veulent bien nous
accorder »453. Ainsi, l’auteur, par une formule qui ne sert en aucun cas à faire avancer
l’intrigue, fait en sorte de plaire à son lectorat et l’amadoue pour qu’il soit bien
disposer à son égard.
En opposition à ces phrases inutiles pour le récit, certaines adresses directes
peuvent, en revanche, constituer des points de repères. Elles peuvent préciser un
élément antérieur, comme dans La Chiffarde : « comment la Chiffarde avait-elle pris
dans le coffre la place de la gracieuse Louise ? Il nous faut l’expliquer »454. Ou
encore, « pour bien comprendre le drame qui va suivre, il nous faut revenir sur
certains détails que nous avons donnés »455. Elles peuvent être aussi une projection :
« la suite de ce récit nous apprendra sans doute comment le marquis s’était débarrassé
du capitaine Loarec »456. Toujours dans La Chiffarde, Eugène Chavette accompagne
son lecteur dans les nombreux retours en arrière de la narration : « pour l’intelligence
des faits qui vont suivre […] il est temps de faire enfin pénétrer le lecteur dans cet
hôtel de Valdieuse, que jusqu’à présent nous avons seulement aperçu par-dessus les
murailles »457. Après cette digression qui explique comment Clara Loarec a
manœuvré pour épouser le duc de Valdieuse « nous allons reprendre notre récit au
point où nous l’avions laissé et retourner dans la maison de la Chiffarde »458. Dans Le
Baptême du sang, l’auteur définit dès l’origine du récit l’importance des personnages.
En décrivant Pedro qui contemple la mer tout en gardant son troupeau, il précise : « je
vous préviens, lecteurs, que ce berger est mon héros »459. En interpellant ainsi son
lecteur, il le convoque dans la fiction 460. En effet, il lui propose d’avancer aux côtés

451
L’Écho de Lyon du samedi 6 septembre 1891, épisode 19.
452
Le Courrier de Lyon du dimanche 25 juillet 1875, épisode 45.
453
Le Courrier de Lyon du jeudi 23 septembre 1875, épisode 102.
454
Le Peuple du lundi 19 septembre 1892, épisode 91.
455
Le Peuple du vendredi 26 août 1892, épisode 68.
456
Le Peuple du jeudi 21 juillet 1892, épisode 32.
457
Le Peuple du vendredi 8 juillet 1892, épisode 19.
458
Le Peuple du lundi 18 juillet 1892, épisode 29.
459
Le Courrier de Lyon du dimanche 13 juin 1875, épisode 2.
460
Jean-Claude Vareille, Le roman populaire français (1789-1914) : idéologies et pratiques,
Limoges : Pulim (Presses Universitaires de Limoges), 1994 (littératures en marge), partie 4, chap. 5,
p. 186.

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Une fiction au confluent de la littérature et du journal

des personnages : « accompagnons jusqu’à la métairie l’homme aux cheveux


blancs »461, « entrons sans crainte dans l’antre de la sibylle »462 c’est-à-dire chez
Madeleine Trépied. Lorsque Pedro se trouve en compagnie des bohémiens, Louis
Énault propose de « jet[er] un coup d’œil sur les étranges compagnons que le hasard
vient de lui donner »463. Les auteurs accompagnent le lecteur dans la découverte des
différentes étapes de l’intrigue et distinguent clairement les péripéties, et ce toujours
dans le but de faire plaisir au lecteur, pour qu’il continue à acheter le journal.

Par conséquent, le support influence la façon d’écrire de ces auteurs, et cela


quelque soit la tendance politique du journal. En effet, Louis Énault dans Le Baptême
du sang, qui est une fiction publiée dans Le Courrier de Lyon, journal de tendance
orléaniste, tout comme Eugène Chavette dans La Chiffarde, une histoire publiée dans
Le Peuple, titre socialiste, adoptent les mêmes procédés. Parce qu’il faut avant tout
plaire pour vendre, le lecteur est invité à entrer dans les intrigues, au moyen
d’adresses à son attention. Les auteurs, soucieux de divertir le lecteur sans l’ennuyer
ou le perdre, vont même jusqu’à le séduire parfois. Les auteurs flattent son sens de
l’observation et du discernement en dispersant des indices. Quant aux répétitions,
elles servent d’invitation à ceux qui n’ont pas suivi la publication d u roman-feuilleton
depuis ses premiers épisodes, et d’aide-mémoire aux autres. Le feuilletoniste, qui doit
présenter un produit consommable rapidement et ce par un large public, doit en effet
penser à tous ceux qui ont entrepris la lecture du roman-feuilleton, alors que celui-ci
était déjà commencé. Les répétitions ont aussi pour but de créer un effet de vérité 464.
Ainsi, un nouveau protagoniste à informer ou une confidence à faire peuvent créer
toute une chaîne d’épisodes qui ne fait pas avancer l’intrigue, mais qui contribue à
produire une apparence de réalisme. Et c’est précisément cette illusion de la réalité
qui conduit le lecteur à l’émotion 465.
L’originalité, une fois encore, ne réside donc pas dans l’invention de motifs mais
dans la modulation d’éléments existants, afin de procurer au lecteur le plaisir du
familier avec, en même temps, une pointe d’inattendu 466. L’auteur n’a pas un statut
tout puissant : il ne se place pas au-dessus de ses personnages mais à côté, et pourrait

461
Le Courrier de Lyon du mercredi 16 juin 1875, épisode 5.
462
Le Courrier de Lyon du jeudi 12 août 1875, épisode 63.
463
Le Courrier de Lyon du jeudi 23 septembre 1875, épisode 102.
464
Jean-Claude Vareille, op. cit., partie 5, chap. 4, p. 228.
465
Jean-Claude Vareille, op. cit., partie 4, chap. 2, p. 169.
466
Jean-Claude Vareille, op. cit., partie 5, chap. 1, p. 207.

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tout-à-fait les rencontrer sur son chemin467. Ainsi, dans Le Baptême du sang, Louis
Énault fait la connaissance des divers protagonistes en même temps que ses lecteurs :
« Pedro - puisque ainsi l’appellent des gens qui paraissent le connaître mieux que
nous »468. Adolphe Ponet dans Poupard et Poupardin, se dit même « l’ami »469 de
Toussaint Poupard. Avec ces techniques, les auteurs laissent la possibilité au lecteur
de percevoir la trame de l’intrigue pour créer chez lui le plaisir de connaître la suite,
même s’il la pressent.
Par conséquent, nous pouvons considérer que le roman-feuilleton est une œuvre
populaire, selon la définition qu’en donne Jean-Claude Vareille, c’est-à-dire une
œuvre ayant une large diffusion et s’adressant aux couches sociales nouvellement
acquises à la lecture 470. Les auteurs de ces fictions étudiées, en utilisant une écriture
très codifiée, créent un confort de lecture, et ce, indépendamment des questions de
couleur politique des journaux qui les publient. Les quatre grands procédés, à savoir
placer dans la bouche des personnages des proverbes appartenant au quotidien des
lecteurs, disperser des indices, rappeler des événements antérieurs et s’adresser
directement au lecteur, constituent un modèle qui, en se reproduisant d’une intrigue à
l’autre, facilite la lecture.

467
Jean-Claude Vareille, op. cit., partie 4, chap. 5, p. 190.
468
Le Courrier de Lyon du mercredi 16 juin 1875, épisode 5.
469
La Comédie politique du dimanche 14 avril 1895, épisode 8.
470
Jean-Claude Vareille, op. cit., avant-propos, p. 18.

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Conclusion

Le développement de la presse et l’arrivée progressive de la fiction dans l’espace


du feuilleton sont liés. Ainsi, c’est en premier lieu dans un but économique que des
romans vont être morcelés pour entrer dans l’espace du feuilleton des journaux
parisiens. Mais la fiction, qui à l’origine est au service de la presse, prend son
indépendance. Le roman-feuilleton acquiert un fonctionnement propre et se détache
des questions de tendance politique des journaux. Cependant, il reste attaché au
support lui-même.
Il constitue ainsi un véritable genre qui se situe à la frontière entre le monde des
lettres et celui du journalisme. En effet, le roman-feuilleton appartient à la famille des
formes journalistiques en ce qu’il doit suivre la périodicité de son support. Ce rythme
imposé influence l’écriture, qui en devenant plus rapide, contient des maladresses
mais fixe aussi des formules et des schémas qui contribuent à uniformiser la
production. De même, dans les neuf romans-feuilletons que nous avons étudiés, la
façon de décrire les personnages et les lieux, ou encore de présenter l’élément
déclencheur et le dénouement des intrigues comportent certaines caractéristiques
communes. Les auteurs manient l’art de mêler le sensationnel et le familier, mais
toujours en avertissant le lecteur. Le fait d’inviter le lecteur à entrer dans l’intrigue et
le découpage en fragments des fictions dotent ainsi l’œuvre d’une force plus grande
qu’une publication en volume : le lecteur vit avec le roman-feuilleton, il suit les
aventures des protagonistes au plus près. Par conséquent, la question n’est pas de
classer les romans-feuilletons selon les tendances politiques des journaux, mais plutôt
de voir que les fictions présentent à un public populaire le rêve d’un monde clos, et ce
malgré des variantes en terme d’intrigue471.
Nous avons conscience que cette étude est loin d’être exhaustive, et ce en raison de
l’importance de la production des romans-feuilletons entre 1870 et 1914 dans la
presse lyonnaise. Mais ce travail, en faisant le choix de la diversité, à la fois dans la
sélection des intrigues et dans celle des titres des journaux, a permis de dégager un
certain nombre de caractéristiques communes propres aux romans-feuilletons de cette
période.

471
Jean-Claude Vareille, Le roman populaire français (1789-1914) : idéologies et pratiques,
Limoges : Pulim (Presses Universitaires de Limoges), 1994 (littératures en marge), partie 3, chap. 1,
p. 98.

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L’intérêt de ce travail réside aussi dans le fait que certains objets culturels, très
décriés aujourd’hui, subissent les mêmes attaques qui étaient lancées dès la décennie
1830 à l’encontre du roman-feuilleton. Les séries télévisées ou les films « grand
public » par exemple, sont accusés, par une culture des élites, d’être d’une qualité
médiocre et d’offrir la facilité à des spectateurs passifs. Ces critiques ne sont en
réalité qu’un écho des reproches faits au roman-feuilleton472.
Pour poursuivre la réflexion, il serait pertinent de s’intéresser aux autres supports,
qui après 1914, reprennent la formule du roman-feuilleton et concurrencent le
journal. Ainsi, à ses origines, le cinéma par exemple s’est approprié les grands succès
des romans-feuilletons. Il s’agirait d’étudier alors, parmi le très grand nombre de
héros de romans-feuilletons existants, les sélections qui ont été faites.

472
Lise Queffélec-Dumasy (textes réunis et présentés par), La Querelle du roman-feuilleton :
Littérature, presse et politique, un débat précurseur (1836-1848), Grenoble : Ellug, 1999 (archives
critiques), introduction, p. 5.

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Archives départementales du Rhône (ADR), PER 274/10, L’Écho du Rhône
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Archives départementales du Rhône (ADR), PER 188/37 à 188/40, Le Courrier de
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Archives départementales du Rhône (ADR), 2MI 106R2, 2MI 106R3, 2MI 106R34,
2MI 106R35, 2MI 106R62, 2MI 106R63, Le Nouvelliste

Bibliothèque municipale de Lyon (BML), Jo B 24, Le Progrès


Bibliothèque municipale de Lyon (BML), F 146, Le Salut public

Sur le site Internet de la bibliothèque municipale de Lyon (BML) :


http://collections.bm-lyon.fr/PER003185, L’Éclair
http://collections.bm-lyon.fr/PER003184, L’Écho de Lyon

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Pelletier André, Rossiaud Jacques, Bayard Françoise (dir.) et al., Histoire de Lyon :
des origines à nos jours, Lyon : Éd. lyonnaises d’art et d’histoire, 2007 [s. c.], 955–
[64] p.

Vachet Adolphe, article « Coste-Labaume », Nos Lyonnais d’hier : 1831/1910, Lyon :


chez l’auteur, 1910, p. 107.

Ouvrages sur la littérature populaire :

Angenot Marc, Le Roman populaire : recherches en paralittérature, Montréal :


Presses de l’université du Québec, 1975 (genres et discours), 145 p.

Bellet Roger et Régnier Philippe (dir.), Problèmes de l’écriture populaire au XIXe


siècle, Limoges : Pulim (Presses Universitaires de Limoges), 1997 (littératures en
marge), 285 p.

Frigerio Vittorio, Les Fils de Monte-Cristo : Idéologie du héros de roman populaire,


Limoges : Pulim (Presses Universitaires de Limoges), 2002 (mediatextes), 358 p.

Migozzi Jacques, Boulevards du populaire, Limoges : Pulim (Presses Universitaires


de Limoges), 2005 (Médiatextes), 243 p.

Migozzi Jacques (dir.), « Du roman-feuilleton au feuilleton télévisé : mythe et


fiction » dans De l’écrit à l’écran : Littératures populaires : mutations génériques,
mutations médiatiques, Limoges : Pulim (Presses Universitaires de Limoges), 2000
(littératures en marge), p.831-850.

Nathan Michel (textes réunis et présentés par Colin René-Pierre, Guise René et
Michel Pierre), Splendeurs et misères du roman populaire, Lyon : Presses
Universitaires de Lyon, 1990 (littérature et idéologies), 236 p.

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Droits d’auteur réservés.
Thiesse Anne-Marie, Le roman du quotidien : Lecteurs et lectures populaires à la
Belle Époque, Paris : Le Chemin vert, 1984 (le temps et la mémoire), 272 p. [nouv.
éd. Paris : Éd. Du Seuil, 2000 (points histoire), 283 p.]

Vaillant Alain (textes réunis et présentés par), Mesure(s) du livre : colloque organisé
par la Bibliothèque nationale et la Société des études romantiques, Paris :
Bibliothèque nationale, 1992 (les colloques de la Bibliothèque nationale), 301 p.

Vareille Jean-Claude, Le roman populaire français (1789-1914) : idéologies et


pratiques, Limoges : Pulim (Presses Universitaires de Limoges), 1994 (littératures en
marge), 349 p.

Ouvrages sur le roman-feuilleton :

Cachin Marie-Françoise, Cooper-Richet Diana, Mollier Jean-Yves, Parfait Claire


(dir.), Au bonheur du feuilleton : Naissance et mutations d’un genre, Paris : Créaphis,
2007 [s. c.], 320 p.

Europe : Le roman-feuilleton, n°542, juin 1974.

Guise René, Le roman-feuilleton (1830-1848) : la naissance d’un genre, Lille : atelier


de reprographie des thèses de l’université Lille 3, 1985 (publications de l’A.N.R.T),
36 microfiches [contient aussi Guise René, Le Phénomène du roman-feuilleton (1828-
1848) : la crise de croissance du roman, première partie (1828-1835), 1975]

Queffélec-Dumasy Lise (textes réunis et présentés par), La Querelle du roman-


feuilleton : Littérature, presse et politique, un débat précurseur (1836-1848),
Grenoble : Ellug, 1999 (archives critiques), 278 p.

Queffélec-Dumasy Lise, Le roman-feuilleton français au XIXe siècle, Paris : Presses


Universitaires de France, 1989 (Que sais-je ? n° 2466), 126 p.

Morizet André, « Comment on lance un feuilleton », L’Humanité, n° 1289, 28 octobre


1907, p. 1.

Vaillant Alain et Thérenty Marie-Ève (dir.), Pelta Corinne (collab.) et al., « La fiction
au-delà du feuilleton » dans 1836 L’An I de l’ère médiatique : Étude littéraire et
historique du journal La Presse d’Émile de Girardin, Paris : Nouveau monde éd.,
2001 [s. c.], p.230-247.

La vision des contemporains sur le monde des lettres et du journalisme :

Bourdin Gustave, « rubrique nécrologique » dans Le Figaro, n° 148, 17 juillet 1856,


p. 5.

Hailly Gaston De, Le-Clère A., Litou Henri, Les livres en 1889 : études critiques et
analytiques. Tome 18 de juillet à décembre 1889, Paris : Le Soudier, 1889, 333 p.

Le Soudier H., La Revue des livres nouveaux, volume 13, n° 149, 15 janvier 1887,
Paris : [s. é.], 359 p.

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Montel François, « Curiosités littéraires » dans Le Figaro : Supplément littéraire, n°
326, 4 juillet 1925, p. 2.

Nerval Gérard de, « Sur la critique », L’Artiste : beaux-arts et belles-lettres, Tome 2,


quatrième série, Paris : aux bureaux de L’Artiste, 1844, p. 225-226.

Nettement Alfred, Études critiques sur le feuilleton-roman. Deuxième série, Paris :


Perrodil, 1846, 510 p.

Sacy Sylvestre De, Féval Paul, Gautier Théophile, Thierry Édouard, Recueil de
rapports sur les progrès des lettres et des sciences en France : Rapport sur le
progrès des lettres, Paris : Imprimerie impériale, 1868, 184 p.

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Table des annexes

LES ROMANS-FEUILLETONS DE L’ETUDE QUANTITATIVE ...................... 140

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Annexe 1

Romans-feuilletons publiés dans Le Salut public durant l’année 1880

Nombre Place dans


Du Au Auteur Titre
d’épisodes le journal
Claire de L’Honneur des
4/1 41 P. 1
Chandeneux Champavayre
Tiburce
5/1 11/2 Jean Guillaume 36 P. 1
Cordonnet
Mémoires du
13/2 21/3 Lucien Biard docteur 37 P. 1
Bernagius
Un Coup
23/3 29/3 Louis Depret 6 P. 1
d’éventail
31/3 25/4 Évangéline d’Orr Pauvre Jacques 26 P. 1
La Princesse
27/4 10/5 André Theuriet 13 P. 1
verte
Armand de Le Vrai Jean
11/5 14/5 4 P. 1
Pontmartin Valjean
Xavier de
16/5 9/12 Justice ! 199 P. 1
Montépin
12/12 18/12 André Theuriet L’Écureuil 7 P. 1

20/12 J. de Fontanes Nedjéma P. 1

Romans-feuilletons publiés dans Le Salut public durant l’année 1896

Nombre Place dans


Du Au Auteur Titre
d’épisodes le journal
Les Fiançailles
4/2 Jeanne Schultz 40 P. 1
de Gabrielle
La Petite
5/2 9/3 Gilbert Stenger 31 P. 1
Beaujard
Georges Les Frères
10/3 21/3 11 P. 1
Peyrebrune Colombe
Monsieur
23/3 31/3 Mme E. Caro 8 P. 1
Troubadin
Une Chasse au
1/4 3/4 H. Lafontaine 3 P. 1
loup
4/4 12/5 Henry Gréville Céphise 35 P. 1

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Nombre Place dans
Du Au Auteur Titre
d’épisodes le journal
Fortuné de Le Tambour de
13/5 25/7 71 P.1
Boisgobey Montmirail
27/7 14/9 Pierre Maël Petit Ange 49 P. 1
Cousine Bas-
15/9 9/10 Roger Dombre 22 P. 1
Bleu
10/10 21/11 Georges Baume Rosière et moi 39 P. 1
23/11 Mme E. Caro Idylle Nuptiale P. 1

Romans-feuilletons publiés dans Le Salut public durant l’année 1910

Nombre Place dans


Du Au Auteur Titre
d’épisodes le journal
La Course à
12/1 Ernest Daudet 31 P. 1
l’abîme
14/1 Jules Pravieux Mon mari 33 P. 4
Les Deux
13/1 17/2 Champol 36 P. 1
marquises
15/1 12/2 Pierre Maël Cambriole 27 P. 4
Les Chevaliers
14/2 28/4 Pierre Luguet 65 P. 4
du Brouillard
L’Armoire au
18/2 14/3 Armand Delmas 25 P. 1
linge blanc
La Fille de la
15/3 18/4 Mathilde Alanic 34 P. 1
Sirène
Aimée ou la
19/4 16/5 Albert Boissière jeune fille à 26 P. 1
marier
La Perle du
29/4 25/6 Lionel de Movet 55 P. 4
Grésivaudan
La Croisée des
17/5 25/6 Henri Bordeaux 40 P.1
chemins
27/6 29/7 René Bazin La Barrière 33 P. 1
Le Fils de
28/6 6/10 Paul Féval fils 93 P. 4
d’Artagnan
Les Dames du
30/7 23/9 Colette Yver 56 P. 1
palais
André
24/9 27/10 Le petit roi 22 P. 4
Lichtenberger
7/10 1/11 La comtesse Clo À qui la faute ? 22 P. 4
29/10 29/11 Aigueperse Le Mal du pays 32 P. 1
Stanislas de Saint-
2/11 5/12 L’Ouvrière 31 P. 4
Loup
Le Glaive et le
30/11 Édouard Rod P. 1
bandeau
La Cage de
6/12 Georges Pradel P. 4
cuir

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Romans-feuilletons publiés dans Le Nouvelliste durant l’année 1880

Nombre Place dans


Du Au Auteur Titre
d’épisodes le journal
21/1 Émile Gaboriau La Corde au cou 160 P. 2
1/3 Paul Féval La Pécheresse 62 P. 3
22/2 21/7 Alphonse Brot Les Trois cercueils 140 P. 2 ou p. 3
12/7 14/10 Elie Berthet L’Incendiaire 83 P. 3
7/10 Pierre Ninous L’Empoisonneuse P. 1 ou p. 3

Romans-feuilletons publiés dans Le Nouvelliste durant l’année 1896

Nombre Place dans


Du Au Auteur Titre
d’épisodes le journal
Le Martyre d’une
4/2 Georges Pradel 69 P. 1, 2 ou 4
mère
5/2 12/3 Léon de Tinseau Vers l’idéal 36 P. 2 ou 4
13/3 21/4 Mary Floran La faim et la soif 37 P. 1, 2 ou 4
Le Collier de la
19/4 5/6 Henri Demesse 47 P. 1, 2 ou 4
morte
6/6 1/7 Alphonse Poirier Hélène Audrain 26 P. 4
30/6 10/8 M. Maryan Le Mystère de Kerhir 42 P. 2 ou 4
11/8 28/8 Jean Barancy La Folle de Virmont 18 P. 2 ou 4
Les Épines ont des
29/8 2/10 Alfred de Ferry 35 P. 2 ou 4
roses
Le Mariage de
3/10 29/10 Mary Floran 23 P. 1, 2 ou 4
Clément
Le Secret de la
31/10 13/12 Paul de Garros 41 P. 2 ou 4
Mendiante
11/12 18/12 Léon de Tinseau Le Monstre 7 P. 1, 2 ou 4
Le Drame de
15/12 Pierre Maël P. 1, 2 ou 4
Rosmeur

Romans-feuilletons publiés dans Le Nouvelliste durant l’année 1910

Nombre Place dans


Du Au Auteur Titre
d’épisodes le journal
25/2 Georges de Lys Où le grain tombe … 33 P. 2 ou 6
30/3 Pierre Sales L’Héritier du crime 132 P. 2 ou 6
L’Aviateur du
27/1 20/4 Capitaine Danrit 62 P. 2
Pacifique
31/3 11/5 Jean de la Brète Aimer quand même 32 P. 2 ou 6
Georges
21/4 29/9 La Villa-Bonheur 127 P. 2 ou 6
Spitzmuller

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Nombre Place dans
Du Au Auteur Titre
d’épisodes le journal
Les Deux
12/5 29/5 Léon de Tinseau 18 P. 2 ou 6
Consciences
La Race qui ne meurt
30/5 22/8 Charles de Vitis 75 P. 2
pas
23/8 17/9 Camille Pert Mirage de bonheur 24 P. 2
19/9 Paul de Garros Liens de haine P. 2 ou 6
Les Ronces du
30/9 2/11 Rodolphe Bringer 26 P. 2 ou 6
chemin
1/11 Charles Mérouvel Le Manoir sanglant P. 2 ou 6

Romans-feuilletons publiés dans Le Progrès durant l’année 1880

Nombre Place dans


Du Au Auteur Titre
d’épisodes le journal
Le Mari de la
30/1 Ernest Feydeau 54 P. 2
danseuse
26/1 30/3 Eugène Chavette Le Roi des limiers 59 P. 2
20/3 1/7 L. M. Gagneur Les Vierges russes 92 P. 2
Sirven et
29/6 4/8 Une Dette de sang 33 P. 2
Leverdier
1/8 6/10 Alfred Assolant Le Vieux juge 63 P. 2
La Bohème
1/10 Hector Malot P. 2
tapageuse

Romans-feuilletons publiés dans Le Progrès durant l’année 1896

Nombre Place dans


Du Au Auteur Titre
d’épisodes le journal
Le Secret d’une P. 1 puis p.
3/4 Émile Richebourg 181
tombe 3 ou 4
23/1 Adolphe d’Ennery Markariantz 80 P. 4
P. 1 puis p.
19/1 3/9 Charles Mérouvel Riches et pauvres 186
3 ou 4
Xavier de P. 1 puis p.
22/3 8/7 Le Ventriloque 100
Montépin 3 ou 4
P. 1 puis p.
28/6 16/10 Émile Richebourg Les Deux Berceaux 91
3 ou 4
Georges P. 1 puis p.
23/8 Belle Cousine
Maldague 4
Le Péché de la P. 1 puis p.
4/10 22/12 Charles Mérouvel 65
Générale 3 ou 4
Les Martyrs du
6/12 Émile Richebourg P. 1
mariage

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Romans-feuilletons publiés dans Le Progrès durant l’année 1910

Nombre Place dans


Du Au Auteur Titre
d’épisodes le journal
Les Oiseaux de
11/4 Pierre Decourcelle 155 P. 2 puis p. 5
proie
La Dame de
7/5 Paul Rouget 177 P. 5
coeur
L’Aiguille
27/3 23/5 Maurice Leblanc 39 P. 2 puis p. 5
creuse
Moderne
10/4 12/6 Louis Barron 55 P. 2 puis p. 5
Américaine
15/5 25/7 Henri Sébille Petite Jeanne 67 P. 2 puis p. 5
Les Amants de
5/6 13/11 Jules Mary 133 P. 2 puis p. 5
la frontière
Le Clown
24/7 19/10 Albert Boissière 73 P. 2 puis p. 5
rouge
L’Amour
18/9 26/11 Camille Pert 59 P. 2 puis p. 5
vengeur
23/10 Léon Sazie Zigomar P. 2
L’Infortuné
27/11 Rodolphe Bringer P. 5
Plumard

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