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23/12/2018 Rhétorique/Polémique

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Rhétorique/Polémique
J. Piat
 
La Parole polémique, études réunies par Gilles DECLERCQ, Michel MURAT et Jacqueline DANGEL, Paris, Champion, 2003, 549 pp
Voici un recueil de contributions sur la "  parole polémique  ", entendue comme objet situé à un carrefour entre littératures anciennes
modernes, rhétorique, mais encore philosophie, histoire et droit. C'est dire, d'emblée, toutes les ambitions de l'ouvrage, et aussi toute
richesse des possibles. D'autant plus que la perspective, nous dit-on en avant-propos, sera résolument diachronique. Et po
contrebalancer ce qui pourrait a priori tirer l'entreprise vers un certain impressionnisme, le choix d'un fil directeur tel que l'argument
hominem doit permettre tout à la fois de varier les approches et d'approfondir la question.
 

Sur le statut du polémique

Les deux premières contributions, signées Michel Murat et Gilles Declerq, entendent " reprendre la question du "polémique" sur un pl
[…] général, et […] en montrer l'actualité " (p. 7). En abordant le " statut du polémique ", ces deux articles s'interrogent d'emblée sur
caractère scandaleux du polémique : scandale de ce qui demeure un concept, scandale d'une parole propre à mettre en danger l'échang
Le polémique, entre abstrait et concret, est délicat à manier.

Au début de "  Polémique et littérature  " (p. 1-15), M. Murat rappelle que la violence semble topiquement liée à la polémique, d
l'étymologie du terme. Céline, avec ses pamphlets, serait alors l'illustration des "  désordres que cette violence porte jusque dans
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littérature ". Or, cet ancrage en terre de littérature peut poser le problème de la généricité du polémique. Il n'est ni pamphlet ni satire, q
" correspondent à des phénomènes hétérogènes, et à des moments distincts de l'histoire " : M. Murat assigne au pamphlet, profondéme
modelé par son historicité, une vie très courte, réduite à la " phase finale du romantisme " ; quant à la satire, très fortement codifiée, e
n'est jamais génériquement autonome, mais toujours inscrite dans tel ou tel genre. Elle est "  une régulation éthique et une sublimati
esthétique de la violence et de la ruse inhérentes à l'usage social de la parole ". La polémique, elle, serait un " artefact ", un concept. D
lors, pamphlet et satire constitueraient deux modes de littérarisation de la parole polémique — c'est-à-dire à la fois légitimation
condition d'acceptabilité du polémique. Après avoir ajouté qu'il ne sera pas question ici des formes internes de polémique — où l'
pourrait ranger, par exemple, l'intertextualité —, M. Murat justifie le titre de l'ouvrage : la parole polémique : outre qu'il n'existe pas
spécificité de l'écriture polémique, les éditeurs ont voulu préserver l' " ensemble des usages sociaux du discours " (p. 15).

Il s'agit donc de faire sortir la polémique de ce "  hors-champ " où on l'a reléguée depuis Aristote, comme le rappelle Gilles Declercq, q
réfléchit ici aux rapports entre " rhétorique et polémique " (p. 17-21). " Parole sans règle " et " parole sans foi ", destinée à faire perdre
face, la polémique a partie liée avec la morale et le pouvoir. Elle met en oeuvre une " rhétorique sauvage par sa fin (la prise de pouvoi
mais experte  " dans la mesure où elle scinde res et verba. D'où certaines tentatives destinées à la réguler  — telles la syllogistique
l'enthymématique aristotéliciennes… Cependant, cet "  impensé théorique  ", parce qu'on le refoule, est susceptible du plus violent d
retours. Schopenhauer l'avait vu : on veut toujours avoir raison, moins pour imposer sa conviction que parce que l'on juge l'interlocute
incapable d'avoir raison. Dès lors, le champ est libre pour l'argument ad hominem, qui "  n'est précisément pas un argument, mais
paradigme de l'infraction au regard d'une pratique régulée, éthico-logique, de l'argumentation et de la controverse " (p. 20) – G. Decler
revient, comme on le verra, sur l'argument ad hominem dans un long et pénétrant article (pp. 327 à 376).
 

Philosophie

L'interrogation philosophique est à comprendre ici en termes quasi archéologiques. La philosophie ancienne, en consacrant une large pa
de ses investigations aux rapports entre les mots et les choses, en même temps qu'à une théorisation de la parole efficace, ne pouv
ignorer ce que l'on appelle aujourd'hui " polémique ". Cependant, les trois articles suivants font moins le point sur le travail d'élaborati

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théorique de la notion que sur des exemples, empiriques, de son usage. On n'oublie pas ici que la philosophie, comme le polémique, est
la fois discours et pratique, à la fois affaire individuelle et collective.
 

C'est Jacques Brunschwig qui ouvre cette deuxième section de l'ouvrage (" Aspects de la polémique philosophique en Grèce ancienne ", p
25-46), avec l'hypothèse suivante : depuis Héraclite, l'ensemble de la philosophie grecque serait placée sous le signe de la polémique
n'entend pas signifier par là que "  Polemos est le père de toutes choses et le roi de toutes choses ", ou que " l'harmonie n'existerait p
sans l'aigu et le grave  ". C'est que "  l'histoire de la philosophie grecque n'est rien d'autre que l'histoire des polémiques entre l
philosophes grecs ".

On trouve déjà chez Hésiode les deux formes que prend la Discorde : destructrice et déplorable, elle peut être aussi féconde et génératri
de progrès. Réfutation et invectives sont alors les deux formes dominantes de la polémique. La réfutation, qui touche aux idées, l
philosophes de l'École de Milet — Thalès, Anaximandre et Anaximène — ne cessent de l'employer, dans leurs recherches sur la substan
unique dont proviendraient toutes choses et dont toutes choses seraient faites. Quant à l'invective, visant "  d'abord à déconsidérer l
personnes, grâce à toute une variété de procédés qui vont de l'injure à la raillerie […], elle n'entend disqualifier [les] idées que de faç
indirecte  " (p. 27), et elle est d'abord source de ridicule. Héraclite l'utilise pour en faire une "  sanction des doctrines par le rire ou
sourire " (p. 32).

Dans un second temps, J. Brunschwig entreprend de rendre compte des " jeux assez complexes de séparation et de combinaison qui n'o
cessé de s'instituer entre l'un et l'autre " de ces " deux pôles extrêmes de la réfutation et de l'invective " (p. 33). Cette étude s'appuie sur
notion d'elenchos, mouvement dialectique de réfutation qui semble avoir partie liée à la honte — chez Homère, la honte du guerrier qui n
pas surmonté un obstacle. L'exemple le plus frappant est celui de Socrate qui, à travers ses questions, met à l'épreuve son interlocuteu
au point de lui faire perdre la face — ce dernier finissant par nier l'opinion qu'il défendait. Aristote définit l'elenchos comme " 
raisonnement valide ayant pour conclusion la proposition qui contredit une conclusion donnée  " (p. 36). Ce faisant, il distingue
dialectique, envisagée comme discussion, jeu ou "  beau match  ", "  sans vainqueur ni vaincu  ", conçue comme échange agonistique.
Aristote entend ainsi " "dépolémiser" la discussion dialectique ", les choses prennent après lui un tour différent. Dans les rapports ent
Épicuriens, Stoïciens et Sceptiques, on a recours à l'invective et à l'injure, en reprenant les lieux communs de la calomnie fréquentés par l
orateurs. Cependant, la réfutation reste présente, comme le prouvent les "  tropes sceptiques  " d'Agrippa, véritable "  arsenal d['] out
réfutatifs ". Par ailleurs, accorder trop de place à l'injure, en faisant par exemple d'Épicure le plus " teigneux " des philosophes, c'est peu

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être aussi faire une erreur de perspective. L'ironie et l'agressivité seraient des stéréotypes, dirigés moins contre les philosoph
contemporains que contre leurs prédécesseurs.

Après ce passage par la Grèce ancienne Clara Auvray-Assayas nous conduit à son tour vers "  la polémique dans les dialogu
philosophiques de Cicéron " (pp. 47-56). Ce dernier est en effet conscient des " liens qui unissent les techniques de réfutation des avoca
et les méthodes adoptées dans la disputatio philosophique ". Il veut aussi " situer l'avènement de la discussion philosophique par rappo
et par opposition aux débats de l'éloquence judiciaire  ". Les deux explications qu'il propose sont les suivantes  : soit les méthod
judiciaires ont été transférées à la discussion philosophique, soit il y a eu rupture, à l'issue de laquelle les philosophes ont rejeté les règl
et stratégies de l'éloquence au profit de la conversation (" sermo  "). Cicéron s'appuie sur Carnéade, évoqué tantôt en arbitre de
controverse entre écoles philosophiques, tantôt en maître de la discorde, eu égard à son utilisation des "  armes dialectiques  ", il plai
pour la méthode philosophique néo-académicienne, pour un usage du " discours contre " entendu comme voie d'accès à la vérité, et po
un " exposé continu ", plus à même d'aller en profondeur. C'est seulement de cette manière qu'on évitera de tomber dans la caricature
que l'auditeur pourra "  prendre sa décision en toute connaissance de cause  ". Cette volonté d'éviter la caricature est encore liée à u
pratique publique du " contra dicere ". Il y a chez Cicéron une volonté politique derrière la volonté de faire sortir l'échange philosophiq
de " la retraite des écoles où prévalent des codes privés ".

En se consacrant au "  thème de la philosophie païenne dans la polémique chrétienne, de Lactance à Augustin  " (pp. 57-102), Blandi
Colot et Bruno Bureau s'intéressent à la polémique chez les chrétiens du IVe siècle, siècle d' "  inversion du rapport de forces ent
paganisme et christianisme ", ou mieux : de " victoire " des chrétiens.

Dans un premier temps, Blandine Colot étudie le " tournant constantinien " à Rome, à travers une confrontation entre les écrits de Lactan
et la philosophie des païens. Les Divinae Institutiones de Lactance sont en effet contemporaines de la dernière vague de persécution cont
les chrétiens, sous Dioclétien, ainsi que de la conversion de Constantin en 312. L'oeuvre de Lactance est une oeuvre de combat et
débat  : combat contre les persécuteurs, où domine la raillerie  ; débat avec les païens pour les amener à la religion du Christ. B. Co
remarque que la polémique emprunte les notions centrales à Rome de pietas et de justitia, en lien avec ces autres notions intangibles
religio romana et de sapientia. Il s'agit pour Lactance de redéfinir ces notions plastiques en les faisant glisser du registre païen au regist

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chrétien. B. Colot analyse donc les déplacements à l'oeuvre dans cette " topique commune " de la " religion-institution ". A travers cet
volonté, se fait jour un désir de réunir docti et indocti autour d'un " nouveau "pensable" " (p. 72).
Alors que le christianisme s'impose — voire s'est imposé —, Bruno Bureau étudie la " stratégie polémique chrétienne " dans la réfutati
des hérésies, à la fin, cette fois-ci, du IVe siècle. Il s'attache à l'aspect technique de l' " utilisation polémique des philosophes épicuriens
stoïciens  et [de l'] exégèse scripturaire dans quelques textes d'Augustin et de Jérôme  ". Le risque de petulantia est grand (contre lequ
Quintilien mettait déjà en garde), quand on veut montrer à l'adversaire combien il a tort de s'obstiner dans l'erreur, et que l'on a recours
l'argument ad hominem. Certes, mais cet aspect de la polémique ne doit pas masquer le discours sur le fond. B. Bureau montre alors
destin, chez Jérôme, du mot "  piégé  " haeresis. Il y subit toutes sortes de gauchissements, passant de l'étymologie de "  choix
philosophique à celui de " doctrine déviante ". La démonstration par l'absurde fait elle aussi partie des ressources de ce combat contre l
"  hérétiques  ". Cependant, il ne faut pas oublier l'importance des Écritures dans cette démarche polémique. Un lien ténu est tissé ent
exégèse et argumentation. La parole de Paul est par exemple le lieu d'investissements polémiques remarquables — on n'est pas loin, i
de l'argument d'autorité.

Aux risques d'excès, toujours présents, de la parole polémique, Jérôme oppose une théorie radicale  : "  la réfutation des hérétiques
souffre pas de demi-mesure car c'et la vie même de l'Église qui est en jeu  " (p. 95). Cependant, la parole de guerre est peut-être pl
efficace si elle est "  détournée, donc détournante  ". Si cette prudence ne suffit pas à convaincre, et s'il faut encore argumenter pour
polémique en ce domaine, Paul et le Christ n'ont-ils pas utilisé cette parole de violence ? On rejoint là aussi la question de l'auctoritas, q
est définitivement celle de l'Église. À la fin du IVe siècle, on est bel et bien passé, comme l'écrivent B. Colot et B. Bureau, d'une " victoire p
consensus " à une " victoire d'autorité ".

Littérature

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La troisième partie de l'ouvrage se présente sous la forme d'analyses de moments littéraires distincts, dans une perspective diachroniq
nettement affirmée — de l'Antiquité romaine au XXe siècle. C'est l'occasion de mettre en avant les liens entre discours littéraire et contex
social, en même temps que de réfléchir aux éventuelles inscriptions du polémique au sein du discours littéraire — qu'elles soient form
génériques ou catégories rhétoriques. Là encore, il semble que ce soit la formidable plasticité de la notion qui est mise en avant.

La contribution de Jacqueline Dangel et Anne Videau ("  L'écriture polémique à Rome au début de l'Empire  ", pp. 105-130) se propo
d'explorer le cadre juridique matriciel de la " mise en cause d'autrui " à travers son inscription générique au sein de la satire, de l'élégie
de l'épopée.

Le poème diffamatoire est interdit à Rome, en tant que trouble sévère à l'ordre public (la contribution de Michèle Ducos revient sur cet
question). C'est dire l'importance accordée aux registres du convenable et du recevable. Chez Quintilien, l'eloquentia canina, se voit ain
rejetée.

Dans le genre satirique, Horace fait figure de théoricien et de praticien. Sa position face à l'insulte est claire : il l'autorise quand elle n'e
qu'un jeu ; il la rejette quand elle est agressive et cruelle. L'héritage d'Archiloque est accepté quand il s'agit de métrique hellénisante
iambique ; il est rejeté quand il s'agit de " rage " caractéristique.

L'Apocoloquintose de Sénèque fournit un objet d'étude intéressant sur l'écriture satirique et la diatribe politique. Le texte est un pamph
dirigé contre Claude. Celui que l'empereur a exilé semble s'y défouler. La parodie y domine, qu'elle prenne pour cible l'épopée ou la sat
elle-même. L'irrévérence passe donc par un jeu littéraire, mais l'argumentation ad hominem y joue aussi un grand rôle  : les vices et l
défauts de Claude y sont blâmés avec violence. A ce titre, l'image de la coloquinte est susceptible d'une lecture à trois niveaux : s'il s'ag
de la figure de la Grande Mère du culte de Cybèle et d'Attis introduit à Rome par Claude, elle est aussi à la base d'un poison — qui rappe
celui dont fut victime l'empereur — et elle symbolise encore la bêtise…

Dans le genre élégiaque, l'Ibis d'Ovide s'en prend à Auguste — il est aussi question d'exil — mais sans aucune allusion explicite. Le nom
l' " adversaire " reste toujours tu, masqué derrière diverses périphrases. La menace de devenir plus virulent est sans cesse brandie, ma
parce qu'il n'y a précisément que menace, c'est la rhétorique du contournement qui domine.

Pour l'épopée, J. Dangel et A. Videau se détournent de la Pharsale et privilégient l'analyse d'une lecture à clef de l'Énéide — pl
particulièrement, de la fin du poème. Énée est-il Auguste ? Turnus est-il Marc-Antoine ? Si tel est le cas, comment interpréter le comb
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entre eux, et la colère d'Énée ? Alors qu'Anchise lui a recommandé de parcere subjectis et de debellare superbos, Énée ne manque-t-il p
de pietas envers un Turnus on ne peut plus subjectus ? En fait, ces questions doivent être replacées dans le co-texte et dans le contexte
notamment celui de la rivalité avec Homère…

Avec Pierre Laurens (" Memoriae haerent. Matériaux pour une histoire de l'épigramme polémique ", pp. 131-147), il est temps de se pos
la question suivante  : à quoi tient la permanence historique de l'épigramme  ? Sans doute à ce que Quintilien appelle les sententia
mélange d'energeia, de plaisir et de mémoire. Mais aussi, "  pour nous modernes  ", à sa dimension polémique, pourtant effacée par
Laurens dans son classique L'Abeille dans l'ambre (Les Belles Lettres, 1989). L'auteur donne de cette absence deux raisons principale
d'une part, l'épigramme est bien plus variée qu'on ne le croit aujourd'hui ; d'autre part, si l'épigramme polémique existe comme catégor
elle pose la question d'une essence de l'épigramme en tant que telle — en d'autres termes, l'épigramme polémique n'obéit à aucun critè
formel spécifique. Cependant, P. Laurens revient sur le lien selon lui intime entre polémicité et historicité : la fonction polémique naît de
rencontre entre une cible réelle et un enjeu d'ordre intellectuel. Ces prolégomènes posés, P. Laurens peut embrayer sur une rapide histo
de l'épigramme " dans ses rapports à la polémique ".

À l'origine, l'épigramme est une inscription et son " esprit iambique " — lisez : polémique — n'est qu'occasionnel. Cette veine agressive
retrouve essentiellement dans les domaines littéraire et politique. Puis vient Martial, qui condense et spiritualise l'objet. Da
l'impossibilité de recourir à l'argument ad hominem, sous peine de condamnation, le discours s'oriente vers le général. Le poème e
fortement rhétoricisé, pour atteindre à une efficace dont la pointe dit toute l'importance. L'épigramme ainsi formalisée fait florès chez l
humanistes : on la retrouve dans les pasquils italiens ou sous la plume d'Érasme. Plus tard, elle apparaît dans la Querelle des Anciens
des Modernes, chez Boileau et Racine. On le voit alors, "  l'épigramme polémique appartient moins à la littérature qu'à l'histoire ou à
sociologie littéraire  " (p. 142). P. Laurens termine ainsi sa contribution par l'analyse d'une querelle d'épigrammes entre Boileau et l
Jésuites, démontrant " la fonction essentiellement médiatique de l'épigramme polémique : s'assurer par la démonstration de la supérior
rhétorique, bien au-delà du triomphe de la thèse, la faveur de l'opinion " (p. 145).

Évoquer Théophile de Viau dans un volume sur la parole polémique, comme l'entreprend Pascal Debailly (" Théophile de Viau et le déc
de l'ethos satirique ", pp. 149-171), voilà qui ne semble guère discutable : les exemples de sa " répartie cinglante " en font un véritab

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satirique, préférant perdre "  un amy plustost qu'un mot pour rire  ", selon les mots de Régnier. Qui plus est, l'époque de Théophile
régence de Marie de Médicis, premières années du règne de Louis XIII — semble définir un espace privilégié pour la satire et la polémique

C'est cependant à la trajectoire personnelle de Théophile que veut s'attacher P. Debailly. Une trajectoire d'autant plus intéressante qu'e
semble s'éloigner de plus en plus nettement de cet " effet de mode " satirique pour aller vers une poésie plus personnelle. L'histoire
Théophile satirique rendrait sensible le déclin de l'éthos satirique au début du XVIIe siècle.

Il y a bien un projet satirique chez Théophile, au début de sa carrière, alors que les années 1600-1620 marquent un " âge d'or de la sat
en France  ". Qu'il s'agisse de poésie libre et obscène, de roman comique, de pamphlet politique ou de satire humaniste en vers
"  lucilienne  ", dit-on — l'époque est celle d'un "  bouillonnement satirique  ". Le projet d'un recueil de satires semble évident dans c
" Satyre premiere ", " Satyre seconde ", " Satyre troisiesme " alors rédigées par Théophile. À l'époque, son ambition de devenir conseiller
Prince peut expliquer ce choix. La grande satire humaniste est en effet propre à lui forger un éthos héroïque : celui du poète luttant cont
le vice. Mais " la Muse paresseuse et rétive de Théophile était de tout façon trop sensible au libertinage et à l'individualisme pour mener
bien une telle entreprise épique " (p. 155). Or, la satire à la Régnier paraît être l'emblème de la jeunesse contestataire du temps, chez q
s'expriment les idéaux libertins de " démarche protestataire et souci d'émancipation, refus de l'ordre et de la règle, culte de la Nature, q
se substitue à l'adoration de Dieu, affirmation des humeurs d'un Moi, recherche de la sincérité, du nonchaloir et de la sensualité " (p. 15
La satire, chez Théophile, peut aussi témoigner d'un " désir juvénile de narguer l'autorité " (p. 156).

La poétique de Régnier influence grandement Théophile, qui imite le "  sermo cotidianus  " et revêt l'éthos satirique où se mêlent liber
vérité et attaque impersonnelle, pour échapper ainsi au " soupçon de médisance ". Mieux : louange et blâme entretiennent ici une " paren
organique ", comme si la satire noble n'était finalement qu'un " éloge suspendu ". Quant au " culte de la brusquerie et du nonchaloir " ch
Régnier, il rejoint les idées de naturel et de furor — là où inventio passe avant dispositio et elocutio. " Trop polir ses mots et ses manière
c'est dénaturer autant la vérité que son génie individuel ", commente P. Debailly (p. 160).

Or, c'est cette question du " génie individuel " qui entraîne Théophile vers un " déni de la satire " et une " volupté plus calme ". De fait, d
ses premières pièces satiriques, on avait du mal à reconnaître chez lui de réelle vis comica, encore moins de véhémence. Et l'affirmati
d'un génie individuel équivaut au rejet de toute imitation, cette soumission qui trahit la nature individuelle mais qui est aussi l'un d
ressorts fondamentaux de la satire humaniste… Théophile s'oriente vers un autre éthos, celui d'un auteur incapable de blâmer  : il
jusqu'à retirer certains vers de ses pièces. " Plus que la liberté du blâme, écrit P. Debailly, c'est la liberté d'ouvrir son coeur à sa guise q
intéresse Théophile, plus que la vérité morale, la vérité intérieure, plus que la Nature universelle, sa nature intime. " (p. 165) Il glisse vers

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" douceur ", la politesse et la civilité propres à une esthétique conversationnelle alors en développement. À ce titre, il n'est pas anodin q
la " Satyre troisiesme " devienne " Élégie à une dame ".

C'est peut-être alors pour " créer une véritable poésie du sujet " que Théophile a dans un premier temps pu privilégier la satire : elle e
une étape où il a pu " s'essayer " et " essayer les conditions de possibilité d'un discours émancipé ", " faire sentir la vibration d'une intim
qui prend le risque de s'exposer  " (p. 169). Au final, Théophile réussit à "  faire coïncider persona littéraire et individu privé  ". Mais c
infléchissement se heurte à l'évolution des temps : à partir de 1623, date du procès de Théophile, l'individu privé est suspect — suspe
parce que nécessairement associé au libertinage.

La contribution de Jean-Charles Darmon (" Écriture polémique et libertinage de la pointe : le cas des Lettres satiriques et amoureuses
Cyrano de Bergerac  ", pp. 173-204) propose de s'interroger sur les rapports entre polémique et incertitudes de l'interprétation ch
Cyrano de Bergerac. D'emblée, la polémique est définie dans un jeu de " feintise ", en lien avec la métaphore de l'écrivain bretteur et do
en lien avec l'esthétique de la pointe. Les Lettres satiriques et amoureuses sont ainsi le lieu d'une joute avec le monde, les autres monde
mais aussi avec les idées dominantes du temps. Elles sont aussi le lieu où le brio du sujet écrivant miroite au point de rendre le se
vacillant. Le tout dans un mélange de " plusieurs régimes de polémicité, oscillant entre les formes les plus directes et les plus indirecte
(p. 174). Il y va ainsi d'un bon nombre de difficultés  : qui dit "  je  "  ? contre qui  ? comment appréhender la multiplicité des objets
polémique ? et pour un même objet, la multiplicité des arguments ? Quant à la pointe, en s'affichant comme sans profondeur, liée au se
principe de plaisir, elle est de fait prise dans des " effets de réversibilité toujours possibles ".

La polémique s'éprouve ainsi sur le mode du jeu, la pointe ressortissant de l'ingenio et de l'image (de l'éthos) de l'écrivain-escrimeur. E
est " feux d'artifice " et " principe de mouvement indispensable à l'imagination " (p. 175). Elle est de l'ordre de l'éclat — pour Gracián, e
est même le lieu où la rhétorique se prend elle-même pour objet. Dès lors, elle entretient des liens ténus avec l'injure et l'invective, sur
mode de la " joie destructrice ". La pointe " désennuie le langage ", écrit avec bonheur J.-C. Darmon. Comme en escrime, " elle fusera là
on ne l'attend pas " et elle sera suivie d'une pause, pour admirer le concetto, instaurant ainsi une dialectique du continu et du disconti
au sein de la lecture. Cependant, la pointe n'est pas que rhétorique. Si elle se reflète, elle est encore à l'image de ce qui se passe dans
Nature, des luttes qui s'y déroulent. C'est peut-être ce qui explique aussi qu'elle puisse prendre place dans d'autres types d'écritu
polémique, comme l'argumentation ou l'ironie — dans ce cas, la pointe est non seulement contre la doxa, mais encore principe
vacillement : " elle tend à neutraliser les effets de polémicité en les affichant et en les parodiant " (p. 184). Avec elle, c'est la catégorie

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vraisemblable qui, du même coup, vacille. À travers ces " rotations de sens ", la pointe fait signe vers l'essence problématique de l'homm
elle est à l'image d'une nature humaine et d'un monde décentré et énigmatique.

On ne saurait donc être sensible qu'aux seuls " jeux spectaculaires du signifiant " à l'oeuvre dans la pointe. Son esthétique s'inscrit da
une configuration de censure et d'autocensure où le "non-dicible  " ouvre un "  espace de jeu indéfini entre l'épistolier et ses lecteu
virtuels " (p. 188). J.-C. Darmon analyse alors de manière subtile les ressources de la pointe équivoque, où, par exemple, la parole ant
athée fait entendre la parole athée. C'est bien de l' " instabilité chronique de l'ironie libertine ", qu'il s'agit là.

Il faut également replacer les Lettres dans le contexte de la Fronde, et ce n'est qu'ainsi que l'on peut comprendre les incertitud
savamment calculées d'une telle esthétique de la pointe, où on ne sait pas "  qui fait quoi au juste, contre qui et pour qui  " (p. 19
L'approche pragmatique est donc délicate, dans cette "  poétique du recueil des Lettres, où le Contre… peut toujours laisser entrevoir
Pour… virtuel " (p. 199). On rejoint ici un trait essentiel de l'éthos libertin : celui du paradoxe, un de ces "  mouvements fécondants ent
mots et affects, entre images et pensée " (p. 204) sur l'évocation desquels se termine l'article.

"  Les polémistes me dégoûtent  ", écrit Bernanos en 1945, et voilà une phrase que pourrait reprendre à son compte la critique littérai
pour qui la polémique est toujours gênante. " L'écriture agonique, écrit Denis Labouret au début de son étude (" Le polémiste au miroir
pp. 205-220), […] pèche à la fois contre les règles de l'argumentation, bousculées par la violence du verbe, et contre les lois implicites
la littérature, dont elle déborde les cadres génériques  " (p. 205). Abusant du pathos, elle a aussi tendance à être trop dépendante d'
contexte — c'est-à-dire à être trop périssable. L'hypothèse de D. Labouret est que le pamphlet se définit et se construit sur fond
métadiscours. Genre réflexif, il dirait ainsi "  les doutes d'une écriture consciente de ses limites  ", en même temps qu'une "  pens
authentiquement critique " et qu'il favoriserait " la productivité poétique de la langue ".

D. Labouret associe la naissance du pamphlet comme genre au Pamphlet des pamphlets de Paul-Louis Courier (1824). Par l'ironique reto
sur soi qu'il met en scène, par ses jeux de polyphonie, Le Pamphlet des pamphlets se constitue en littérature. La part de jeu semb
indissociable de l'écriture du pamphlet, dans la mesure où l'écriture polémique paraît jouer avant tout pour elle-même. Le polémis
entend " se montrer polémiste en soi, plutôt que polémiste contre X ". C'est ce qu'illustre l'Émile Zola de Mes haines. Il en va de même da
la posture d' " imprécateur vitupérant ses contemporains " de Léon Bloy ou dans la violence reconnue et recherchée de Vallès. " L'écritu
réfractaire est aussi une écriture réfractrice, au sens optique du terme ", dit D. Labouret (p. 213).

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Mais dès lors, une crise de la communication semble se faire jour. L'exemple de Bernanos définit l'entreprise polémique comme "  u
entreprise critique et littéraire ". En effet, Bernanos est bien conscient des risques de mystification liés à la posture de Vérité inhérente
toute parole pamphlétaire. Il n'adopte ni ne veut adopter de posture dominatrice : il " ne se fige pas dans l'autosatisfaction et ne concent
pas ses tirs sur un adversaire assimilé au mal absolu  ". De ses dénégations, qui n'en définissent pas moins un métadiscours, Bernan
démontre cette existence d' " un foyer où [la] violence [de l'écriture polémique] s'apaise et où son identité se cherche " (p. 219).

Rhétorique et juridique

La rhétorique antique avait par essence partie liée avec la pratique du discours judiciaire. Dès lors, la finalité des études réunies ici e
double : réfléchir aux réalisations discursives de la parole polémique (comme les figures) et aux difficultés de sa pratique publique —
risque de scandale guette toujours la polémique mais ce scandale n'a pas toujours été envisagé de la même façon.

Pour ouvrir ce nouveau champ, Pierre Chiron ("  Le "logos eskhèmatismenos", ou discours figuré  ", pp. 223-254) s'intéresse au mo
d'expression de la polémique " aux apparences les plus soft " : le discours figuré, qui apparaît quand la polémique est impossible ou qu'
ne la souhaite pas, "  mais où le locuteur a des intentions qui ressemblent fort à celles du polémiste  : avoir barre sur l'autre sans
permettre de nuire en retour, le forcer à adopter une pensée ou un comportement, obtenir de lui quelque chose qu'il ne souhaite p
accorder  " (p. 223). Le discours figuré participe du style deinos, style de l'autorité, lié à la menace et à l'action sur autrui. Il est p
conséquent un "  caslimite de la polémique […] et en même temps […] une alternative à la polémique ". Il s'utilise dans des circonstanc
où l'on ne peut pas dire " pour des raisons de sécurité personnelle " ou dans des circonstances où l'on ne veut pas expliquer claireme
"  par respect de la bienséance ou du tact  ". Dans l'espace du discours structuré entre locuteur, interlocuteur et public, l'idéal est ici
" rendre perceptible au public une intention que l'interlocuteur fictif ne doit pas percevoir " (p. 225).

Il faut cependant faire retour sur le sens même de " logos eskhèmatisménos ". Le sens de " figuré " provient en effet de divers glissemen
sémantiques, ayant successivement fait de "  skhèma " le résultat de l'action de se tenir, une " posture volontaire destinée à faire illusion
puis une " figure " répondant à une intention. D'où l'idée de " pose ", d' " attitude comme expression volontaire ou involontaire d'un étho
(p. 227). Est-ce pour autant dire que la figure est visible et que le discours figuré se doit d'être invisible ? P. Chiron propose plutôt de l
distinguer selon leur extension : la figure est un événement qui prend place au niveau du mot, le discours figuré, au niveau du texte.

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La deuxième partie de l'article est consacrée aux origines de la notion, origines très floues, que ce soit chez les rhéteurs (Zoïle, à trave
Quintilien) ou chez les auteurs. P. Chiron souligne ainsi qu' " il est probable que la réflexion et l'action politiques et morales menées par l
historiens, orateurs et philosophes de l'époque classique sur la tyrannie ont eu un rôle dans la naissance de la théorie ". Mais le cham
d'études reste à parcourir.

Si leur archéologie est à faire, cinq théories conservées font l'objet du troisième temps dans la réflexion de P. Chiron. Pour Démétrios (II
Ier s. avant J.-C.), le discours figuré doit se développer dans des circonstances réelles, c'est-à-dire loin de l'artificielle déclamation. Aspec
prescriptif et critique se mêlent. Il faut en effet que le discours figuré demeure empreint de prudence et de convenance. À cet égard,
stratégie du contournement et de la progression vers l'explicite, comme on la voit à l'oeuvre dans l'accusation d'Aristippe au début
Phédon, peut être payante. Tout comme, lorsqu'on veut atteindre le tyran, les techniques du blâme indirect et de ses variantes (stigmatis
un autre tyran, louer un personnage ayant agi à l'opposé, louer le personnage visé, mais pour le comportement qu'il a eu à d'autr
moments). Le lien entre discours figuré et psychologie de l'autre est évident.

Chez Quintilien, la réflexion sur le discours figuré prend place dans l'étude de l'emphasis, qui est d'abord l'action de faire apparaître, d'
" insinuation " et, par le retour interprétatif nécessaire, " insistance, expression forte ". Quintilien se montre particulièrement réticent
discours figuré, dont il ne comprend pas vraiment l'utilité : " Pourquoi la figure, si en fin de compte l'auditoire comprend ? Pourquoi, s'il
la comprend pas ? " (p. 238).

Le Pseudo-Hermogène distingue quant à lui non des circonstances d'utilisation, mais des formes différentes. Au sein des "  problèm
figurés  " se trouvent  : les problèmes par le contraire (donner plus de force à l'argumentation de la thèse opposée à celle qu'on ente
défendre), les problèmes indirects (confirmer la thèse inverse et vouloir obtenir un autre résultat), les problèmes " par allusion " (où l'
joue sur la polysémie, l'ambiguïté de constructions syntaxiques).

Au début du IIIe s. ap. J.-C., Apsinès de Gadara prône une certaine sévérité chez le locuteur, afin de se bâtir un éthos d'honnêteté, mais
recommande en même temps l'argumentation pro et contra afin de faire entendre les arguments favorables à l'indulgence.
Enfin, le Pseudo-Denys d'Halicarnasse insiste sur l'importance du récepteur du discours figuré. Il prône ainsi trois techniques
l'adoucissement et la précaution oratoire, la tentative pour produire autre chose que ce que l'on dit vouloir obtenir, la tentative po
produire l'inverse de ce que l'on dit vouloir obtenir. C'est notamment par le choix et la répartition d'arguments forts et d'arguments faibl
que de tels buts seront atteints.

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Si le discours figuré a pu être particulièrement utile à une époque où la liberté d'expression a disparu, il montre aussi que la rhétoriq
ancienne, contrairement aux préjugés, n'ignore pas le second degré.

La question que se pose et que nous pose Marc Baratin dans "  La polémique et les traités de rhétorique dans l'Antiquité romaine  " (p
255-262) est la suivante  : les Anciens pensaient-ils, fût-ce en des termes différents, ce que nous appelons aujourd'hui "  polémique 
Pour y répondre, deux directions seront empruntées : celle de la référence guerrière et celle de la connotation négative attachée au conce
de polémique.

Chez Cicéron, à travers l'image de l'armatus adversarius, la métaphore guerrière est présente, qui justifie elle-même l'attaque ad homine
Cependant, reste à comprendre quelle est la fonction de la " polémique " dans la rhétorique antique.

Il faut alors remonter à Aristote, chez qui les moyens de persuasion (pisteis) ressortissent de trois classes, selon qu'ils sont centrés sur
locuteur (éthos), sur l'auditeur (pathos) ou sur le discours de démonstration lui-même (logos). Chez Cicéron, la rhétorique n'est pl
présentée de la même manière. Elle se trouve déclinée en cinq parties (invention, disposition, élocution, mémoire et action). Or, da
l'invention même, il existe trois moyens d'emporter la conviction  : docere, delectare et movere. Ces trois catégories, contrairement à
que l'on peut croire, M. Baratin nous dit qu'elles ne sont " pas complémentaires ". Si docere est du côté de " ce qu'on avance ", delectare
movere sont du côté de l'auditeur. Se joue donc un décalage entre le rationnel et le passionnel. Le "  juge-auditeur  " doit certes êt
informé, mais c'est aussi sa sympathie et ses passions que l'on cherche à soulever. C'est ainsi que Cicéron présente le rire comme éléme
essentiel du movere : il est le meilleur moyen de détacher du rationnel — il est sans doute moins facile de dire sans paraître antipathiq
comment on fait naître les autres sentiments que l'on peut soulever (haine, etc.). En d'autres termes, il n'y a pas de mot, chez Cicéron, po
notre " polémique ".

Avec l'autre grand penseur de la rhétorique à Rome, Quintilien, on assiste à une " recomposition " de Cicéron. Les niveaux se multiplien
des espaces particuliers du discours sont assignés aux différentes fonctions  : il convient de docere dans la preuve et la réfutation,
movere dans la péroraison. La petulantia, risque de toute parole agressive, est identifiée comme un danger et un plaisir bas. Quintili
divise aussi la catégorie de l'auditeur entre le peuple, ou mieux  : la populace, toujours prête à tomber dans les pièges d'un principe
plaisir (plaisir de l'eloquentia canina), et le juge, tourné vers la vérité rationnelle. Cette différence par rapport à Cicéron, M. Baratin l'analy
comme une conséquence de la dépolitisation de la vie publique  : on ne cherche plus l'approbation de la foule, mais seulement celle
juge.

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Les " figures de la véhémence " définissent " certains actes de parole […] qui consistent à réprimander, à menacer, à accuser, à injurier
anathématiser, entre autres, un énonciataire " (p. 263). Après avoir rapproché véhémence et " grand style " et avoir, dans le continuum d
figures pathiques, rangé les figures de la véhémence du côté du " pathos agressif ", Albert W. Halsall entreprend d'illustrer ces différent
figures par des exemples tirés de Shakespeare et Hugo (" Figures de la véhémence chez Shakespeare et Hugo ", pp. 263-281). Ces figure
par gradation d'intensité, sont les suivantes : le sarcasme, " forme exacerbée de moquerie ", l'objurgation, " par laquelle l'énonciateur
base sur quelque défaut de l'adversaire […] pour le critiquer  ", l'épiplexis, ou accusation interrogative, la categoria, ou accusati
affirmative directe, la proclesis, ou provocatio, qui "  incite à la violence verbale un adversaire dans l'espoir de le voir se trahir par s
paroles ou d'exiger la réparation par les armes  ", la bdelygmia, ou abominatio, destinée à "  provoquer chez l'énonciataire une aversi
extrême pour le sujet visé ", la cataplexis, où " on menace de pestes ou de punitions l'énonciataire " et enfin, l'ara, " figure où l'exécrati
se joint à l'imprécation ".

Michèle Ducos nous fait revenir à Rome (" Le droit romain et la polémique ", pp. 282-296). Alors que l'on pourrait s'attendre à ce qu'e
s'y situe hors d'un système juridique centré sur la propriété, la polémique est en fait au coeur de la cité : " elle révèle ce que la cité pe
accepter ou refuser, car s'il n'existe pas un "délit de polémique", l'atteinte personnelle ou la diffamation ne sauraient être tolérées sa
limites " (p. 283).

La répression des écrits injurieux remonte sans doute à la loi des XII Tables, en 450 av. J.-C., qui réprime toute diffamation orale ou écri
Cependant, la notion de "  malum carmen  " a sans doute moins à faire avec la poésie qu'avec la magie. L'interprétation de cette loi
termes de poèmes injurieux serait ainsi beaucoup plus tardive. En lien avec ce "  malum carmen  " apparaissait chez le Cicéron du De
publica la notion d'occentatio, terme archaïque et pratiquement inusité depuis Plaute. L'occentatio, c'est le charivari, un ensemble de cr
un tapage " concernant un individu, sans qu'il soit possible d'en déterminer les causes exactes ". Or, une telle licentia, si elle prend pla
en dehors des jours de fête, peut troubler l'ordre public.

Reste la question de la peine de mort censément applicable en semblable matière. M. Ducos penche pour une lecture raisonnée de
chose : la peine de mort n'a peut-être jamais été appliquée en pareil cas ; l'hypothèse la plus probable est que ce châtiment se veut ava
tout dissuasif, et qu'à une époque où la cité est sur le chemin de l'équilibre, il convient de protéger le mieux possible les magistrats
place.

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Reste que le vers de Naevius porté contre les Metelli n'a pas plu, et que son auteur s'est à tout le moins retrouvé emprisonné. Mais si
notion d'injuria commence à se développer en cette fin du IIIe siècle, elle est cantonnée à l'injure physique. C'est alors la noti
d'occentatio qui permet d'engager des poursuites contre celui qui trouble la paix publique. Ce n'est que vers la fin du IIe siècle que l'inju
recouvre aussi l'outrage verbal, sous le nom de convicium. M. Ducos remarque que désormais, " c'est la personne qui compte, ce n'est pl
la cité " (p. 292). Le convicium ne concerne évidemment pas la rhétorique judiciaire, où l'attaque personnelle est tolérée, précisément par
qu'elle prend place dans l'espace réservé du tribunal.

Nouvelle étape  : après la prise en compte de l'atteinte orale, c'est au tour des libelles et écrits de tomber sous le coup de la loi — p
systématiquement toutefois — d'abord quand ils visent des hommes politiques dans l'exercice de leurs fonctions. L'extension se poursui
à la fin de la République, tous les citoyens peuvent être protégés d'attaques "  polémiques  ". Les abus existent, au point qu'un
élargissement aboutit à la disparition de la notion d'infamia.

Pour finir, M. Ducos évoque l'Empire, où la répression des libelles devient une procédure étatique. Le libelle ressortit à un crime
entraînant poursuites publiques par le Prince.

Ce qui se joue dans les rapports du droit romain à la polémique, ce sont donc bien les définitions de la dignité, de l'honneur, de
réputation.

Au début d'un nouvel article technique ("  La polémique face au droit de la presse  ", pp. 297-323), Patrick Wachsmann commence p
rappeler que la polémique " fait mauvais genre ", et qu'elle occupe une place délicate entre liberté d'expression et risque de rupture du li
social. La question principale est celle de l'abus. En matière de presse, le XIXe siècle est une période où se succèdent législations libéral
et législations autoritaires. La loi du 21 juillet 1881, si elle a été abondamment modifiée, est toujours en vigueur.

À travers de nombreuses citations et analyses d'arrêts, P. Wachsmann tente d'abord de décrire comment des "  sociétés ouvertes  ", po
reprendre l'expression de Karl Popper, se situent face à la liberté d'expression. Et les différences sont grandes, notamment entre État
Unis et Europe. Outre-Atlantique, la Cour Suprême a toujours défendu un "  free marketplace of ideas  "  : le débat public y est considé
comme nécessairement polémique. Si l'on se produit sur la scène publique, il faut s'attendre à recevoir des coups. Les arrêts rendus par
Cour Européenne des droits de l'homme sont moins nets. Si la liberté d'expression comporte des " devoirs et des responsabilités ", il fa
remarquer que le discours agressif est admis s'il touche l'État ou des groupes, moins facilement s'il touche des individus. Les notio

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d'opinion et de réplique à une attaque peuvent être retenues comme des cas d'exception. Reste que dans la logique européenne,
propos doit s'appuyer sur une enquête préalable, et être contrebalancé par un élément de contradiction.

En France, la situation n'est pas plus claire, "  entre condamnation et absolution  ". Dans les dispositions relatives à la presse, le m
"  polémique  " ne figure nulle part. Les deux infractions pénales les plus courantes sont l'injure et la diffamation — infractions pénale
alors même que le droit de la presse se déplace de plus en plus du pénal au civil. L'injure est définie depuis 1881 en ces termes : " tou
expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait ". À l'inverse, la diffamation repose sur
fait qui peut être prouvé. C'est la question de l'honneur qui se trouve au centre d'une telle incrimination. Pour échapper à la condamnatio
le prévenu doit soit prouver la vérité des faits — hormis dispositions spéciales : atteinte à la vie privée, prescription ou amnistie —, so
prouver sa bonne foi — légitimité du but visé, sincérité, prudence, objectivité.

Querelle et argument

La dernière section de l'ouvrage entend étudier de plus près l'inscription de la parole polémique au sein des interactions verbales. Il y
donc plus nettement de rhétorique et de pragmatique des discours, là où les ressources et l'efficace, en même temps que le scandale,
l'ad hominem — notion bien floue — peuvent être le mieux étudiés.
 

Dans "  Avatars de l'argument ad hominem  " (pp. 327-376), Gilles Declercq affiche sa volonté d'éclairer le flou sémantique entoura
l'argument ad hominem, défini tantôt comme " notion […] liée à l'attaque personnelle de l'adversaire, mis en cause dans sa moralité ou
capacité à raisonner, frappé en conséquence de ridicule  " — on peut penser aux Provinciales de Pascal —, tantôt comme "  simulati
pragmatiquement manipulatrice d'un accord avec l'adversaire " — c'est ici le sens du terme dans la nouvelle rhétorique perelmanienne.

C'est d'abord l'étude de cet ad hominem perelmanien à laquelle se livre G. Declercq. L'exemple fameux de la maîtresse de maison feigna
d'adopter l'univers de croyance de sa bonne — en l'occurrence, la superstition — pour obtenir plus rapidement qu'elle dresse la table, c
exemple place l'argument ad hominem dans un cadre non réfutatif, "  entre dialectique, éristique et sophistique  ". La démarche de
Dupriez dans son Gradus est sensiblement différente, parce qu'encyclopédique : il s'agit de recenser et de présenter tous les sens attribu
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à tel ou tel terme. D'où une multitude de directions dans l'article ad hominem. Situé dans une pratique éristique du discours, l'argument
hominem entend d'abord "  profiter d'une faiblesse circonstancielle de l'adversaire  " — "  infraction à la logique du raisonnement 
" affaiblissement de son opposition ", " particularité personnelle ou doctrinale " du même adversaire. Dupriez assimile ensuite ad homine
et ad personam, là où Perelman les distinguait — en attribuant au seul dernier une valeur réfutative. Du moins, le Gradus les différencie-
il sous un angle éthique  : l'argument ad hominem serait "  bienveillant  ", l'argument ad personam "  malveillant  ". Deux orientations
dégagent donc : " une définition réfutative qui englobe l'attaque personnelle, une définition non polémique qui implique d'adopter la do
de l'interlocuteur  ". Chez Jean-Jacques Robrieux, les choses sont encore différentes. C'est l'idée de sophistique et de manipulation q
domine, contrairement à ce que l'on trouve chez Perelman, pour qui la rencontre de deux doxa hétérogènes ne doit pas se poser en term
de rationnel vs irrationnel : " l'orateur, écrit Perelman, peut pragmatiquement prendre en compte la doxa de son interlocuteur comme u
autre rationalité avec laquelle il lui faut composer ".
G. Declercq en revient alors plus précisément au Traité de Perelman, et notamment sur la distinction entre sens générique et sens restre
de l'ad hominem. Le sens générique recouvre celui de l'argumentation  : comme cette dernière, il s'appuie sur des propositions q
l'auditoire admet comme vraisemblables. Une " vraisemblance doxale " s'impose donc. Car la rationalité de l'auditoire est envisagée par
locuteur à travers une "  représentation de la raison  ", où la vérité se définit sur fond de croyances et de certitudes. C'est donc u
hétérogénéité de doxa que postule l'interaction argumentative — doxa du locuteur, doxa de l'interlocuteur, doxa de l'auditoire. Le se
restreint de l'ad hominem rejoint la question des univers de croyance. Il s'agit ici d'un argument valable uniquement pour la doxa admi
par l'interlocuteur, mais invalide pour la doxa rationnelle admise par l'"  auditoire universel  ". L'argumentation, si elle est bien u
" confrontation hétérodoxale " ne peut donc se penser en termes éthiques : elle nest pas recherche de la vérité, mais ressortit d'un ord
plus psychologique.

La perspective réfutative de Christian Plantin s'éloigne des positions perelmaniennes, déjà parce qu'il n'est pas question d'argument
hominem, mais de réfutation ad hominem. Il est question d'un jeu sur les faces, de déni du droit de l'autre à argumenter. La réfutation
hominem pose deux types de problèmes  : déontologique — comme "  infraction aux principes d'une logique de l'interacti
argumentative " — et pragmatique — évaluation des effets de la disqualification de l'adversaire. Cependant, contrairement à la réfutati
ad personam, qui renonce à toute pertinence logique, l'ad
hominem s'appuie sur une "  logique de la cohérence (de la personne, d
paroles, du raisonnement) " (p. 348). Dans la réfutation ad hominem, " il ne s'agit pas d'avoir raison, mais d'avoir raison de l'interlocute
dans le cadre d'un dialogue éristique  ". En tenant mieux compte de la logique d'interaction verbale, on saisit à travers l'ad hominem
puissance de l'argumentation.

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La seconde partie de l'article s'intéresse ensuite aux " vices et vertus de la controverse ". G. Declercq montre ainsi que l'ad hominem n
pas de place dans la terminologie antique, sans doute parce qu'elle ne pense pas en termes de débat, mais d'oratio. La premiè
occurrence du terme daterait de 1623, dans La Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps ou prétendus tels, contenant plusieu
maximes pernicieuses à l'État, à la Religion, et aux bonnes moeurs du père François Garasse. La notion est placée d'emblée sous le sig
de la réfutation, et elle s'inscrit presque naturellement dans la tradition scolastique des arguments en ad, entre "  argument relatif à
personne de l'interlocuteur ", " argument adapté à la doxa de l'interlocuteur " et " argument dirigé contre la personne de l'interlocuteur ".
Declercq donne ensuite les termes dans lesquels le débat se poursuit, notamment entre Locke et Leibniz. Le premier définit trois typ
d'arguments qui " cherchent à intimider l'interlocuteur au plan de son autorité intellectuelle, de la force de ses arguments, de la cohéren
de sa pensée " : ad verecundiam, ad ignorantiam et ad hominem. Contrairement à l'argument ad judicium, il n'ont aucun rapport à la véri
Le second réévalue les trois arguments éristiques : ils permettent de dénoncer et peuvent faire revenir sur les erreurs. N'empêche que
question de l'interaction verbale se formule en termes de pouvoir, parce qu'en effet, fondée sur des croyances.

On peut faire remonter la tradition de la controverse à Aristote — à ses Topiques et à ses Réfutations sophistiques. La réflexion y e
centrée sur le judiciaire, et il convient de déplacer l'individuel au communautaire : à ce titre, " l'institution judiciaire vise à circonscrire
violence par une gestion de la polémicité au sein d'interactions réglementées ". Cependant, l'attaque éthique de la personne reste possib
voire nécessaire si c'est là le seul moyen de contrer une mauvaise foi ou une volonté de ne pas reconnaître son erreur — quand le déb
en d'autres termes, n'est plus possible. L'attaque de la personne prend alors place dans l'éristique, qui n'est ni dialectique (dont le but e
instruire) ni sophistique (dont le but est de tromper). C'est pour cette raison que le jeu sur la doxa est opératoire.
La conclusion de l'article présente une mise au point capitale dont on peut souhaiter qu'elle fixe la définition des termes  : "  Au pl
théorique, écrit G. Declercq, on opérera […] une triple distinction : si la réfutation s'attache strictement à l'énoncé, aux "choses" débattue
elle sera dite ad rem  ; si l'argumentation vise l'énonciation, s'attache, selon l'expression de Schopenhauer, "à ce que l'adversaire a dit
l'objet", elle sera dite ad hominem  ; enfin, si l'argumentation tend à réfuter l'énonciateur, à le disqualifier, on parlera d'argumentation
personam " (p. 366).
 

Alors que l'idée de polémique semble toujours entachée d'un soupçon de paralogisme, Christian Plantin entreprend d'étudier, de maniè
descriptive, la différence entre débat argumentatif et débat polémique (" Des polémistes aux polémiqueurs ", pp. 377-408).

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Les études contemporaines d'argumentation préfèrent le consensus  : il faut, que l'on adopte une approche rhétorico-énonciativ
dialectique ou structurale, éviter tout blocage. A contrario, dans la polémique, " le médium l'emporte sur le message, le débat est poursu
pour lui-même, non comme instrument de vérité " (p. 379), obstination et mauvaise foi tournent aux paralogismes.

En étudiant les rapports entre argumentation et contradiction, Ch. Plantin met en évidence que l'argumentation n'est pas nécessaireme
conflictuelle, qu'elle peut définir un discours d'alliance. La modélisation de l'interaction en trois pôles (Proposant, Opposant et Tier
évoluant autour d'une Question, " permet de distinguer les oppositions de discours des oppositions entre personnes " : " l'argumentati
se joue entre trois actants ; [mais] les acteurs de l'argumentation sont les individus concrets qui soutiennent ces discours " (p. 383).

Or, si elle fait place à une vraie violence verbale, si elle suppose un fort engagement émotionnel, si elle est d'emblée radicale, la polémiq
ne possède pas de marques réellement propres. Ce qui explique les dérives du terme tel qu'il apparaît dans un corpus de titres du Mon
étudiés par Ch. Plantin. " Polémique " équivaut à " controverse " ou à " débat ", comme si, " quoi qu'il en soit du réel du débat, sa polémic
[était] construite rhétoriquement dans le discours sur ce débat " (p. 402).

Reste que derrière l'utilisation du mot, une orientation argumentative est toujours présente  : orientation positive lorsqu'il s'agit d'
métadiscours sur la polémique ; orientation négative dans les autres cas.

Ruth Amossy rappelle au tout début de sa contribution ("  L'argument ad hominem dans l'échange polémique  ", pp. 409-423) q
l'argument ad hominem est critiqué pour son manque de validité logique. Or, poursuit-elle, c'est oublier là de le replacer dans le cadre
l'interaction rhétorique où ses fonctions sont primordiales. À partir de l'argument éthotique dégagé par la pragma-dialectique de V
Eemeren et Grootendorst, il faut ainsi revenir sur le rapport de l'ad hominem à l'image de soi pour l'adversaire ainsi que pour l'orateur.

R. Amossy revient sur les trois approches traditionnelles de l'argument ad hominem. Dans l'approche logique, l'ad hominem est soupçon
de paralogisme ou de "  fallacy  ", même si certains travaux — notamment ceux de Douglas Walton et John Woods — ont permis
démontrer l'utilité argumentative de certains paralogismes. L'approche pragma-dialectique de Van Eemeren et Grootendorst analyse l'
hominem en lien avec la maxime de coopération de Grice : de fait, il " viole une règle capitale de la discussion ". Dans le cadre rhétoriqu
celui des travaux d'Alan Binton par exemple, l'ad hominem ressortit de l'éthos, et c'est la " pertinence éthotique " de l'argument qui peut
sauver.

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R. Amossy semble poursuivre dans cette dernière voie, quand elle revient sur les images de soi, individuelles et sociales concernées p
l'argument ad hominem, avant d'étudier en ces termes un article de Benda écrit contre Romain Rolland.
 

Michel Magnien s'intéresse ensuite (" Singer Cicéron ou braire avec Apulée. Formes de la polémique dans la Querelle cicéronienne ", p
425-448) à la querelle du cicéronianisme à la Renaissance, définie en termes de prose d'art et d'imitation  : doit-on se doter d'un se
modèle, parfait — à savoir Cicéron — ou au contraire, d'une pluralité de modèles, d'où émergerait une singularité ? C'est en ces termes q
la question se pose dès lors que le latin médiéval apparaît aux yeux de certains comme trop dégénéré — les mêmes qui voudraient le vo
disparaître comme langue d'échanges, au profit d'une seule existence littéraire et institutionnelle, civile et polie. Trois étapes marquent
querelle autour de cette " anabase vers la pureté perdue ".

Dans un premier temps, vers 1490, le débat reste très poli, entre le Florentin Politien et le Romain Cortesi. Si Politien prône un sty
personnel, éloigné de toute imitation servile, Cortesi ne comprend pas cette position. Dans leur échange épistolaire, la réponse du seco
se fait sur deux plans  : corrections discrètes mais réelles sur la forme, corrections sur le fond. La question de la ressemblance,
notamment l'image du singe utilisée par Politien, sont réinvesties en termes de parenté. Reste que ce " singe " va alimenter le " catalog
d'injures " de toute la querelle. Le deuxième temps de ces échanges a lieu entre Jean-François Pic et P. Bembo, en 1512. Là encore, on e
" entre gens de bonne compagnie ". Les choses se dégradent avec le troisième temps de la querelle, après la publication par Érasme,
1528, de son Ciceronianus, où l'ironie féroce vise à dénoncer un retour à la Rome impériale au détriment de la Rome chrétienne. S'ens
un déchaînement d'une rare violence. Scaliger, dans un discours adressé aux étudiants parisiens, s'en prend violemment à Érasme : " auc
aspect du personnage n'est épargné ". Mais dans cette polémique avec celui qu'il dit " faire l'âne avec Apulée ", Scaliger veut évidemme
Philippiques, plus précisément. Or, maladresse et lourdeur prennent le pas. Dolet n'est p
rester dans l'imitation de Cicéron — celle des
en reste, se demandant quant à lui pourquoi imiter si l'on n'imite pas le meilleur. Là aussi, on passe aux attaques ad hominem. Et bientô
les deux imitateurs de Cicéron échangent entre eux les propos les plus amènes…

Ces deux dernières attaques, destinées à faire sortir Érasme de ses gonds — chose fréquente — échouent. Érasme ne descend pas da
l'arène. Qui plus est, l'imitation de Cicéron ne va pas sans poser problème chez Scaliger et Dolet. Outre que l'outrance peut elle-même êt
envisagée comme un " travers cicéronien " assez peu convaincant, nos deux sectateurs oublient qu'ils ne sont pas des orateurs romains,
qu'ils ne manient pas la parole du haut des Rostres. M. Magnien de conclure alors sur cette intrusion du grand style oratoire dans
polémique littéraire : elle n'est pas tenable, ni convaincante, parce qu'elle oublie le nécessaire aptum rhétorique.

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23/12/2018 Rhétorique/Polémique

L'étude de Marc Angenot, qui clôt ce recueil, est une vaste investigation sur plus de trente ans de " dialogue de sourds " entre anarchist
et socialistes (" Anarchistes et socialistes : trente-cinq ans de dialogue de sourds ", pp. 450-513). Ce qui frappe d'emblée, au sein de
champ, c'est la multiplicité des polémiques entre camarades dont les buts ne sont pas éloignés — quand ils ne sont pas identiques —
qui reconnaissent que ces querelles font bien rire le bourgeois. Autour d'un "  nombre fini d'arguments inusables et de procéd
rhétoriques ad hoc, inlassablement échangés de part et d'autre ", c'est une " incapacité d'entendre " qui est au centre de ces analyses.

Le champ est morcelé entre groupes, partis, mais aussi publications, sectes, etc. Les termes mêmes du débat, qu'il s'agisse
"  socialisme  " ou d' "  ouvriers  " se révèlent piégés, toujours susceptibles de réinterprétations. Face aux socialistes, la rhétorique d
anarchistes semble plus " incandescente ", là où " une bonne part de la propagande anarchiste se constitue en réfutation permanente,
attaque systématique des programmes des socialistes "parlementaires" somme des collectivistes "autoritaires" " (p. 455).

En fait, la polémique, qui existe aussi entre différentes fractions, entre différentes tendances d'un même parti — comme au sein de la SF
— semble non seulement toujours garder " quelque chose de la véhémence de la parole de meeting ", mais encore s'organiser autour
quatre hyperlexèmes : le Menteur, l'Ambitieux sectaire, le Lâche et le Traître. La rhétorique de Jules Guesde, quant à elle, s'appuie sur d
" concepts-injures " en " -isme ", et parmi eux, sur de nombreux néologismes.

Qu'il s'agisse des discours socialistes dirigés contre les anarchistes ou des discours anarchistes dirigés contre les " autoritaires ", le thèm
de l'État occupe une place prépondérante, entre la volonté de créer un nouvel État et celle de détruire toute entité qui puisse y ressembl
Du côté socialiste, l'accusation de " complicité objective " avec les bourgeois fait florès — par leurs violences, les anarchistes justifient
comportement hostile des bourgeois ; du côté anarchiste, c'est le motif des socialistes " bouffe-galette ", " pires " que les bourgeois, q
est amplement développé. Comme l'écrit M. Angenot, la polémique se fait ici "  en termes de tout ou rien  : la Révolution ou de piteus
réformes destinées à perpétuer le règne de la bourgeoisie " — alors même que les socialistes " réformistes " déclarent ne pas perdre de v
la révolution. Le thème de la grève générale a pu aussi cristalliser bon nombre de passions, venant essentiellement de la part d
socialistes. Au sein des mêmes groupes socialistes, les critiques sont nombreuses à porter sur le " socialisme scientifique " de Guesde
sur sa confiscation du marxisme.

Les exemples se multiplient, le tout dessinant quelques lignes de conclusion. La polémique entre anarchistes et socialistes, M. Angenot
voit l'emblème de " la croyance moderne en une vérité historique absolue " (p. 503). C'est elle qui expliquerait que les oppositions soient

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23/12/2018 Rhétorique/Polémique

nettes, si irréductibles, que les surenchères soient toujours possibles, et que la résolution finale ne puisse s'accomplir que sur le mode
l'aporie.

*  *  *

Rendre sa parole à la polémique  : tel était le but affiché de ces passionnantes études. La mission est accomplie. En ne sacrifiant auc
domaine d'application, en n'hésitant pas à confronter diverses définitions, en allant au plus près de la pensée des premiers théoriciens
praticiens de cette parole polémique, les contributions ici réunies montrent qu'il y va certes là d'un objet complexe et intellectuelleme
fécond, mais surtout d'une réalité prise, effectivement, entre des enjeux d'ordre philosophique, juridique, littéraire et discursif difficiles
démêler. Et s'il s'agit là d'un scandale, c'est tant mieux.

J. P

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