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d’argent, crime électoral ou trafic de drogue. Même


si la majorité de la population se disait en faveur du
Brésil: Rousseff écartée, son successeur
départ de la chef d’État, à peine 8 % des Brésiliens
suscite rejet ou inquiétude dans la région désiraient qu’elle soit remplacée par Michel Temer,
PAR LAMIA OUALALOU
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 18 MAI 2016 selon les études d'opinion.
Michel Temer, qui a succédé à Dilma Rousseff à la Les acteurs ne sont pas les seuls à prendre leurs
présidence, n’obtient pas la reconnaissance attendue. distances. Les « grands journaux » comme on les
De nombreux États de la région s’inquiètent du appelle à Brasilia, où ils sont tous lus – New York
processus de destitution en cours. Dans un entretien Times, El Pais, BBC, The Guardian –, ont pour la
à Mediapart, Marco Aurelio Garcia, conseiller spécial plupart dénoncé une sentence « disproportionnée »,
de Lula puis de Rousseff, fait un premier bilan de un « risque pour la démocratie brésilienne » et un
cette crise et souligne les difficultés de la gauche « gouvernement illégitime ».
brésilienne. Mais ce sont les déclarations officielles qui ont irrité
Rio de Janeiro, de notre correspondante.- Le les nouveaux locataires d’Itamaraty, le Quai d’Orsay
glamour du Festival de Cannes vient d’être rattrapé brésilien. Les proches de Michel Temer s’attendaient
par la politique brésilienne. Sur le tapis rouge le plus à ce que Cuba, le Venezuela, l’Équateur, la Bolivie, le
célèbre du monde, les acteurs du film Aquarius, en Nicaragua et le Salvador – la gauche dite « radicale » –
compétition, ont brandi des pancartes sur lesquelles dénoncent le coup d’État. Ils ont été plus surpris par la
on pouvait lire « Un coup d’État est en cours au fraîcheur avec laquelle les autres voisins ont accueilli
Brésil ». Même scène lors de la projection, où le reste son arrivée. « Il n’a reçu aucune vraie réaction de
de l’équipe a déployé une banderole « Stop coup in soutien », se félicite Marco Aurelio Garcia, qui était
Brazil ». jusqu’à la semaine dernière le conseiller spécial de
Dilma Rousseff sur les affaires internationales, un
© CANAL FAVELA
poste qu’il a d’abord occupé auprès de Luiz Inacio
La scène est anecdotique, elle fait pourtant mouche Lula da Silva durant ses deux mandats.
auprès de l’élite brésilienne. Elle symbolise l’échec,
Ernesto Samper, le secrétaire général de l’Union des
au moins dans un premier temps, du gouvernement de
nations sud-américaines (Unasur) et ex-président de
Michel Temer de se faire accepter à la tête du Brésil
la Colombie, a même estimé que si le processus
par l’opinion internationale. Celui qui était jusqu’à la
de destitution allait à son terme, « il pourrait
semaine dernière vice-président de Dilma Rousseff lui
conduire à une rupture conduisant les pays à décider
a en effet succédé le 12 mai. C'est la conséquence du
d’appliquer ou non la clause démocratique ». Cette
processus de destitution voté successivement par les
dernière prévoit d’imposer des sanctions aux pays
députés et les sénateurs. Le nouveau gouvernement a
membres en cas de violation de la démocratie. La
beau répéter qu’il ne fait qu’appliquer la constitution,
prise de position a fait sortir de ses gonds José
à l’étranger, comme au sein d’une bonne partie de la
Serra, nommé ministre des affaires étrangères par
population brésilienne, le processus est perçu comme
Michel Temer. Il a estimé que Samper « qualifiait
un dévoiement.
de façon erronée le fonctionnement des institutions
Le prétexte invoqué – un tour de passe-passe démocratiques de l’État brésilien », et que ses propos
comptable destiné à dissimuler l’ampleur des déficits, étaient « incompatibles avec son mandat ». Ernesto
une pratique banale au Brésil – peut difficilement être
qualifié de « crime de responsabilité », et ainsi justifier
la déposition de la présidente. Le vote a par ailleurs été
le fait de députés et sénateurs dont plus de la moitié est
poursuivie par la justice pour corruption, blanchiment

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Samper ne s’est pas démonté : « Un ex-président chef d’État dans un système présidentiel ; ce qui est en
et actuel secrétaire général de l’Unasur n’a pas à jeu, ce n’est pas seulement la stabilité du Brésil, mais
répondre à un chancelier par intérim. » de tous les gouvernements », insiste ce proche de Lula.

Marco Aurelia Garcia, conseiller de Lula puis de Marco Aurelio Garcia et Lula lors d'un sommet de
Dilma Rousseff. © Marcelo Camargo/Agência Brasil l'Unasur en mai 2015. © Ricardo Stuckert/ Instituto Lula

Pour Marco Aurelio Garcia, Itamaraty prend Cadre du Parti des travailleurs (PT), Marco Aurelio
désormais le risque de faire exploser l’Unasur. Garcia est conscient de la fin d’un cycle dans la
« Tout notre effort pour construire une unité sud- région. « Avant même la défaite de la semaine
américaine, une unité qui respecte la diversité, dernière et avant même l’exacerbation de la crise
peut être compromis par ce gouvernement », dit- vénézuélienne, la gauche ou plutôt les gauches latino-
il. « Nous n’avons jamais misé sur une unité américaines auraient dû faire une autocritique », dit-
politico-idéologique, contrairement à ce que la droite il. L’ex-conseiller de la présidence pointe l’incapacité
brésilienne veut faire croire, l’Unasur c’est bien plus à s’adapter au changement et « l’insuffisance énorme
que cela », précise Marco Aurelio Garcia, l’un des en matière de formulation de projets de ces gauches »,
principaux architectes de l’organisation. Il rappelle des propos qu’il avait d’ailleurs tenus à la fin 2012,
que l’époque à laquelle l’Unasur a gagné le plus poussant son parti à se remettre en question.
d’ampleur était celle du très conservateur Alvaro Uribe Marco Aurelio Garcia refuse toutefois de désigner
à la tête de la Colombie. Le risque est désormais un coupable, estimant que comme pour un accident
de voir le Brésil tourner le dos à ses voisins et à la d’avion, « il n’y a pas un seul responsable, une seule
politique d’alliances sud-sud construite au cours des cause ». « Les racines de la crise sont beaucoup
treize dernières années, pour revenir à la traditionnelle plus profondes », souligne celui qui a longtemps
tutelle de Washington. enseigné l’histoire à l’université. Il pense notamment à
« Constituer un front élargi de la gauche » « l’illusion d’être arrivé au pouvoir, sans comprendre
La prise de distance de gouvernements de la région va que c'est un rapport de force qu’il faut toujours
bien au-delà de ces simples mises en garde, aux yeux disputer ».
de Marco Aurelio Garcia. Il évoque les antécédents Les équipes de Lula et de Dilma Rousseff, et,
en Honduras et au Paraguay, où des chefs d’État de façon générale, les gouvernements progressistes
ont été déposés suite à l’instrumentalisation de la sud-américains ont sous-estimé les élites. Ils ont
constitution par les élites locales. À l’époque, tous opté pour une politique d’alliances au nom du
les gouvernements sud-américains avaient dénoncé « pragmatisme » sans comprendre qu’ils y laissaient
la manipulation. Avec le Brésil, première puissance leur âme. « L’alliance avec le centre était nécessaire,
régionale, l’exemple devient plus périlleux encore. « Si mais elle devait se faire sur d’autres bases, et passer
on accepte la destitution au Brésil, cela veut dire qu’à par une réforme du système politique », dit-il. La
partir de maintenant, dans n’importe quel pays, une déroute de Dilma Rousseff est le meilleur exemple
éventuelle majorité parlementaire peut renverser le de cet échec : « Nos alliés d’hier sont devenus nos
adversaires d’aujourd’hui, au Parlement comme au

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Sénat, certains des ministres ont tout de suite basculé Le PT, dont de nombreux cadres ont affaire à la justice
dans l’opposition, c’est honteux, mais c’est le système dans le cadre de l’enquête sur la corruption au sein
qui le permet. » de la compagnie d’hydrocarbures Petrobras, peut-il
Autre regret : celui d’avoir abandonné la forte relation encore représenter une espérance pour ces jeunes ?
avec les mouvements sociaux, sacrifiés sur l’autel « Il aura évidemment sa place, surtout s’il sait se
d’un programme économique d’austérité. D’ailleurs, renouveler, il a des racines très profondes dans la
dès que Dilma Rousseff, à quelques semaines société brésilienne ; on ne peut pas se débarrasser
de sa probable destitution, s’est souvenue de ses ainsi d’une expérience comme celle du Parti des
engagements électoraux, elle a donné un coup de barre travailleurs », veut croire Marco Aurelio Garcia,
à gauche. Elle a notamment exproprié des fermes insistant sur sa volonté d’apporter sa contribution. Il
sous-exploitées en faveur des paysans sans terre, ajoute toutefois qu’il faut désormais « constituer un
démarqué des réserves pour les Indiens, ignorés durant front élargi de la gauche », pour lequel il plaide depuis
l’essentiel de son mandat, et revalorisé l’allocation longtemps. « Lula également », précise-il. « De toutes
Bolsa Familia. Ce faisant, elle a senti de nouveau façons, ce n’est pas un désir, c’est une réalité, ce front
l’appui de la rue. « D’une certaine façon, la défaite existe déjà. »
que nous avons subie a été atténuée par la grande De fait, les débats sur la destitution de Dilma
mobilisation sociale, qui devrait avoir un effet très Rousseff ont montré la solidarité sans faille mais
important dans l’avenir », espère son conseiller. aussi l’efficacité des représentants du PCdB (Parti
Marco Aurelio Garcia fait référence aux communiste du Brésil) et du PSOL (Parti socialisme
manifestations, notamment de jeunes, comme les et liberté) constitué pour l’essentiel de dissidents du
lycéens qui occupent leurs établissements depuis des PT. Dans les années 1960, quand Marco Aurelio était
semaines, ou des groupes féministes, « de nouvelles un jeune militant, c’est la division de la gauche qui a
formes de lutte ». Il compare la situation brésilienne à permis à la dictature de s’installer, en détruisant le tissu
celle de Bernie Sanders aux États-Unis. « Il ne gagnera économique et social du pays. Il espère que son camp
pas la primaire démocrate, mais il aura insufflé une ne fera pas la même erreur, après avoir laissé passer
énergie à une génération de jeunes de gauche et c’est ce qui pourrait rester comme une chance historique de
le cas au Brésil. » changer le pays.

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