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Javier Milei a remporté le second tour de l'élection présidentielle organisé dimanche en

Argentine face au ministre de l’Economie, le péroniste Sergio Massa, les électeurs ayant choisi de
miser sur cette figure antisystème pour lutter contre l’inflation, la pauvreté et relancer
l'économie. Avant même que les résultats officiels ne soient communiqués, Sergio Massa a
reconnu sa défaite lors d’un discours prononcé depuis son siège de campagne dans la capitale
Buenos Aires, alors que sa candidature a été plombée par la crise économique sans précédent
depuis vingt ans dans le pays. « Le modèle de la décadence est arrivé à sa fin, il n’y a pas de
retour possible », a dit Javier Milei dans un discours après la diffusion des résultats, tout en
admettant que des défis importants l’attendaient, citant l’inflation, le chômage et la pauvreté..

L’économiste Javier Milei obtient une victoire facile au second tour de l’élection
présidentielle argentine, le 19 novembre 2023, avec 55,7 % des voix. Sa volonté de réduire
la taille de l’État ainsi que les mesures sociales et économiques qu’il propose, dont le
remplacement du peso par le dollar, marquent une rupture avec ses prédécesseurs.

Outsider absolu, il connaît une ascension politique fulgurante. Il a fait son


entrée en tant que député au Parlement récemment, il y a à peine un an et
demi, sans aucune structure, financement ni affiliation aux partis politiques
traditionnels argentins. Avec son franc-parler, ses airs de rockeur, et ses
mesures pragmatiques dans un pays au bord de l’effondrement, il ne laisse
personne indifférent.

Son programme électoral repose sur une vision de l’Argentine à 30 ans avec
une base très libérale. Sa première mesure phare est une réforme radicale
de l’État. Il propose une diminution de plus de 40 % du nombre de
fonctionnaires, une suppression de la plupart des ministères, ne conservant
que ceux essentiels aux fonctions régaliennes de l’État. La deuxième mesure
clé qu’il propose de mettre en place est la suppression de la Banque Centrale
d’Argentine, une promesse très audacieuse qui pourrait révolutionner
l’économie argentine d’ores et déjà totalement dollarisée.

Mais Milei incarne les paroles de Bernanos : « Les voix libératrices ne sont pas
les voix apaisantes, les voix rassurantes. Elles ne se contentent pas de nous inviter
à attendre l’avenir comme on attend le train. L’avenir est quelque chose qui se
surmonte. On ne subit pas l’avenir, on le fait ». Sa vision de l’Argentine est celle
de la liberté et du progrès, et son parti politique, La Liberté Avance, en dit
long sur ses intentions.

« Libérer » les Argentins


Milei promet de libérer les Argentins pour qu’ils puissent entreprendre,
produire et prospérer. Il compte réformer rapidement une fiscalité très
lourde qui entrave les entreprises et les ménages et dont il dénonce qu’elle
ne sert qu’à financer une classe politique qualifiée de « parasites suceurs de
sang ». Dans un pays forgé par l’arrivée de migrants en quête de liberté face
à la famine, à la guerre en Europe, ou aux régimes communistes d’Asie, les
paroles de Milei touchent l’âme profonde des Argentins.

Le succès de Milei réside dans sa compréhension précoce de la rupture entre


les politiciens et la réalité du peuple. Alors que les gouvernants argentins au
pouvoir se sont empêtrés dans une corruption endémique, et s’investissent
dans des questions très éloignées des préoccupations quotidiennes de la
population (telles que l’agenda 2030 de l’ONU), la monnaie argentine
s’effondre avec un cours qui dépasse 1 000 pesos pour un dollar (le cours
était de 60 pesos pour un dollar il y a quatre ans lors des dernières
élections).

Le peuple argentin, dont 40 % vivent sous le seuil de pauvreté (source :


INDEC), est las des promesses sans lendemain. Contrairement à l’Europe et
aux USA où la stabilité des blocs et la puissance économique permettent
d’amortir le choc des crises, l’Argentine est confrontée à des réalités plus
rudes. Le dicton selon lequel « un ventre affamé n’a pas d’oreilles » prend
toute sa signification ici, préservant en partie le bon sens des Argentins.

.L’homme, qui n’a jamais hésité à brandir une tronçonneuse dans ses meetings pour montrer
comment il entendait couper dans les dépenses publiques, qui s’est plu à insulter ses
adversaires et même le pape François, a annoncé son intention de remplacer la monnaie
nationale par le dollar, de réduire drastiquement les dépenses publiques, d’interdire
l’avortement, de libéraliser la vente d’armes ou de rompre les relations diplomatiques avec le
Brésil et la Chine…

Car le président élu n’a pas de majorité au Congrès, ni même de gouverneur provincial. Même
avec le soutien de la droite qui avait appelé à voter pour lui au second tour, il ne dispose
d’aucune majorité qualifiée pour faire passer ses projets de campagne comme la fin de
l’avortement ou la dollarisation de l’économie. Dans ce contexte, sa capacité à gouverner
interpelle et certains analystes entrevoient déjà une paralysie institutionnelle que Javier Milei
pourrait être tenté de contourner en gouvernant par décret dans les domaines qui le
permettent comme les coupes dans les dépenses publiques. Mais il sait qu’il aura face à lui les
syndicats qui, maltraités pendant la campagne, n’entendent pas lui faciliter la vie. »

Daniel Borrillo, « Derrière le séisme Milei, la vraie révolte des Argentins »

«...Ce n'est pas contre Keynes que les Argentins ont voté mais contre le gouvernement
péroniste. S'adonner uniquement à la condamnation morale des propos outranciers de l'ancien
candidat, empêche de comprendre la profondeur de la révolte des Argentins. Qualifier Javier
Milei de « putschiste » ou de « fasciste » et annoncer une guerre civile ne nous fait pas avancer
dans la compréhension du phénomène. Contrairement à Donald Trump et à Jair Bolsonaro,
auxquels on aime le comparer, Javier Milei veut mettre fin à l'interventionnisme et au dirigisme
de l'État. Normalement, en temps de crise, les gens ont tendance à se tourner vers les candidats
qui proposent un État plus protecteur. Ce n'est nullement le cas des Argentins, y compris les
plus indigents. Le peuple a préféré se jeter dans le vide d'une société capitaliste sans État plutôt
que continuer avec l'étatisme. Il a toutefois imaginé l'existence d'un filet de protection et
supposé que le candidat, une fois devenu président, allait nuancer son programme. Et pour
cause, Javier Milei vient d'annoncer publiquement qu'il ne privatisera ni la santé ni l'éducation et
proposera comme ministre de l'Intérieur Guillermo Francos, un conservateur modéré avec une
large expérience dans l'administration. Lassés d'une situation économique catastrophique,
d'une misère qui ne cesse de croître [...] les Argentins ont décidé de tourner la page et, à tort ou
à raison, de mettre fin à un système qui n'a fait que les appauvrir. »

Le mandat du président Alberto Fernandez s’avère difficile. La pandémie de la covid-19 et une


économie précaire, dont une inflation galopante et une baisse du pouvoir d’achat des Argentins,
plombent sa popularité et celle de la vice-présidente, l’ex-présidente Cristina Fernandez de
Kirchner. L’immunité parlementaire évite même à celle-ci une peine de prison pour «
administration frauduleuse ». Le 21 avril 2023, Fernandez annonce qu’il ne cherchera pas à être
réélu. En août, l’économiste Javier Milei de la coalition La liberté avance arrive en tête des
primaires, impliquant tous les partis, avec 29,9 %. Ce résultat confirme la poussée de ce nouveau
venu qui se propose de secouer le pays. Se décrivant comme un « anarcho-capitaliste », il veut
couper dans la taille de l’État, rendre l’avortement illégal, légaliser le port d’armes et mettre fin à
la Banque centrale et au peso, au profit du dollar américain. Sur le plan international, il parle
aussi de rompre avec la Chine, le Mercosur et les Brics auxquels l’Argentine doit adhérer en
janvier 2024. Au premier tour, le 22 octobre, Milei est devancé par Sergio Massa, le ministre de
l’Économie du gouvernement sortant qui mène avec 36,8 % contre 30 %. Profitant notamment
de l’appui de celle qui termine troisième, Patricia Bullrich, Milei remporte néanmoins une
victoire facile au second tour, le 19 novembre, avec 55,7 % des votes contre 44,3 % pour Massa.
Cette victoire et un taux élevé de participation de 76,3 % au second tour illustrent le ras-le-bol
des électeurs pour les gouvernements précédents, dont les péronistes, et suscitent beaucoup de
réactions à l’international. Milei n’aura toutefois pas les coudées franches pour faire avancer ses
priorités, car il reste nettement minoritaire à la Chambre des députés et au Sénat, malgré des
gains effectués lors des élections tenues simultanément au premier tour de la présidentielle.

Javier Milei, un homme sans expérience politique, connu pour ses


discours anti-keynésiens virulents et son mépris pour la « caste »
politique, a exprimé, lors des élections argentines, une sorte de
mutinerie électorale anti-progressiste. Milei s’est converti vers 2013
aux idées de l’école autrichienne d’économie dans sa version la plus
radicale : celle de l’Américain Murray Rothbard. L’essor politique de
Milei a été porté par son style flamboyant, son discours nauséabond
contre la « caste » politique et un ensemble d’idées ultra-radicales
identifiées à l’anarcho-capitalisme et méfiantes à l’égard de la
démocratie.Le soutien de Mauricio Macri, ancien président entre 2015
et 2019 et leader de « l’aile dure » de la coalition Juntos por el Cambio
(JxC), a été décisif pour les chances de Milei au second tour.

Après le premier tour, Milei a abandonné ses proclamations les plus


radicales de privatisation totale de l’État, car elles entraient en conflit
avec les sensibilités égalitaires et favorables au service public d’une
grande partie de l’électorat. Milei a réussi à retourner en sa faveur sa
défaite lors du débat présidentiel: la victoire de Massa s’est avérée être
une victoire à la Pyrrhus. En plus d’apparaître comme un ministre de
l’économie qui faisait mine de se laver les mains face à la situation du
pays, il représentait comme personne le type de politicien hyper-
professionnalisé rejeté par une grande partie de l’électorat. Massa a
incarné une sorte de front de caste dans la campagne, avec le soutien
plus ou moins explicite des leaders de l’Union Civique Radicale (UCR)
et des secteurs modérés du centre-droit, comme le maire sortant de
Buenos Aires, Horacio Rodríguez Larreta. Milei a finalement réussi à
transformer le « trolling » anti-progressiste en un projet présidentiel.
C’est plus une affaire de style que de fond. Le fond recouvre des mesures déjà prises
dans les années 1990 : le fait de privatiser et de réduire drastiquement les dépenses
sociales, et des dépenses de l’Etat. Il dit tout et son contraire concernant son
programme : il a annoncé la dollarisation avant de rétropédaler, il a annoncé la
fermeture de la banque centrale avant de dire que ce n’était pas exactement ce qu’il
avait dit… Et puis on ne sait même pas comment il va mettre en pratique ces
mesures. Mais ce ne sont pas les mesures qu’ils proposent qui attirent le plus. Il attire
parce qu’il se présente comme un leader messianique, comme un sauveur. C’est
quelque chose qui marche sur le plan de la communication médiatique qu’il maîtrise
très bien. C’est très efficace auprès des jeunes, des jeunes précaires notamment, qui
voient en lui une sorte de promesse « anti caste ». C’est cette rhétorique populiste
anti privilège qui a convaincu des jeunes qui n’étaient pas forcément politisé

Ces micro-militants, qui ont mis l’accent sur le négationnisme de Milei


– en ce qui concerne les crimes de la dernière dictature, mais aussi le
changement climatique – et ses propositions contre la justice sociale
(qu’il considère comme une monstruosité), se sont voulues une voix
d’avertissement. Mais ils n’ont pas expliqué pourquoi le projet de
Massa pouvait être attrayant, mais seulement qu’un vote de barrage
était nécessaire pour ne pas perdre ses droits.

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