Rébellions, insurrections et polarisation politique en Amérique du Sud
Ana Cristina C. Brésil
Cette contribution n'est qu'une partie d'un document plus complet sur la situation mondiale et les tâches des révolutionnaires, que vous pouvez lire ici à partir du mardi 3 octobre : www.rupturas.org/blogdaana Depuis le début du siècle, l’Amérique du Sud a été le théâtre d’une série de luttes, d'n nombre incalculables de manifestations , d’estallidos (émeutes) populaires, d’élections de gouvernements réformistes nés de ces luttes et de beaucoup de polarisation politique – car le néo-extractivisme, la prédation de la nature, la fracture sociale, les inégalités, la violence quotidienne, la militarisation et les crises politiques se multiplient ici, qui alimentent également les alternatives d'extrême droite : l'Uribisme en Colombie, Bolsonaro et ses fanatiques au Brésil, Kast et les pinochetistes au Chili, les droites putschistes bolivienne et guatémaltèque, la droite sordide au Venezuela, et maintenant Milei en Argentine. Nous vivons dans une macro-région où règnent des violences meurtrières de toutes sortes extrêmement élevées, avec des inégalités socio-économiques, raciales et de genre croissantes. Depuis 2018, un nouveau cycle de mobilisations a balayé de manière radicale les pays andins – Chili, Bolivie, Pérou, Équateur, Colombie, auxquels s’est récemment ajoutée la province argentine de Jujuy. Au Chili, en Bolivie, en Colombie et maintenant à Jujuy, les organisations syndicales sont présentes, mais elles ne constituent plus l'avant-garde avec une identité de classe comme elles l'étaient il y a 40 ou 50 ans. La première ligne des explosions et de la résistance a été la jeunesse sans perspective (qui a affronté physiquement la répression brutale au Chili, en Colombie et au Pérou) : des jeunes et des chômeurs, des étudiants, des travailleurs de l'éducation et de la santé ; des paysans, qui sont généralement des peuples autochtones, comme en Bolivie, en Équateur et dans une partie de la Colombie ; des femmes, soit à travers leurs propres mouvements pour le droit à l’avortement et contre les violences sexistes, comme en Argentine, au Chili (et au Mexique), soit au sein de mouvements ouvriers et populaires en général, dans lesquels se démarquent des militantes et des dirigeantes féminines. Les mouvements des peuples noirs et autochtones, des femmes et de la communauté LGBTQI+ doivent être soutenus et leurs revendications reprises dans le cadre du mouvement général. Les peuples indigènes andins, ceux qui ont été dépossédés depuis 531 ans, sont à l'avant-garde des mouvements dans les pays à majorité autochtone (Bolivie, Équateur, Pérou). La CONAIE équatorienne, le CSUTSB bolivien, les Mingas colombiens, voire les Mapuches du Chili sont des acteurs essentiels des luttes. Même dans un pays dont 84 % de la population est urbaine et seulement 1 % autoproclamés indigènes, comme le Brésil, plus de 200 peuples indigènes jouent un rôle fondamental depuis des décennies dans la lutte pour leurs territoires, pour la protection des forêts et des rivières, dans la résistance à Bolsonaro. La multiplication et le radicalisme de ces affrontements ne se traduisent généralement pas par une auto-organisation plus durable – en raison de difficultés objectives et parce qu’il n’existe pas de gauche dotée de la politique et du poids nécessaires pour encourager la permanence des embryons de pouvoir populaire et les élever à des organes de décision nationaux. Au Chili, après l’estallido de 2019, des assemblées de quartier ont eu lieu dans tout le pays. Lors de l’explosion colombienne, des cabildos (assemblées populaires locales) ont été organisés sur les lieux de résidence, notamment en périphérie. La jeunesse populaire se méfie et ne s'associe pas aux organisations plus traditionnelles, telles que les syndicats et les partis. Parfois les mobilisations réussissent partiellement. En Argentine, les foulards verts ont gagné l’avortement légal ; en Bolivie, la résistance au coup d’État militaro-policier de 2019 (qui a été facilité par les erreurs grossières d’Evo et de son entourage) a reconquis les élections et a ramené le MAS au pouvoir l’année suivante. Lors des élections en Équateur, nous avons eu deux triomphes populaires importants, avec la victoire du « oui » à Yasuni, pour laisser le pétrole de la région sous terre, et dans le Chocó andin, qui a rejeté l'exploitation minière dans la province de La Pichincha, où se trouve Quito. En général, les luttes font face à une répression brutale, car la bourgeoisie ne cédera pas, sauf pour des gains très partiels. C’est pourquoi les processus ont tendance à se répéter dans des contextes de bouleversements sociaux, comme au Pérou qui a connu un soulèvement majeur en décembre et janvier 2022, notamment dans le sud du pays, où vit une majorité de Quechua et d’Aymara. Les manifestations contre le gouvernement de Dina Boluarte, imposé par un coup d'État parlementaire contre Pedro Castillo, ont été fortement réprimées, mais ont donné lieu à l'organisation des régions indigènes et à un organe de coordination appelé Assemblée nationale des peuples, qui comprend la CGTP, des syndicats et des groupes politiques de gauche, avec le « programme » de renverser Baluarte et d'appeler à une Assemblée constituante. L'adaptation de la gauche à l'institutionnalisme Alors que la crise capitaliste s’accélère et envahit toutes les sphères de la vie, les États bourgeois exercent une pression toujours plus intense sur de larges secteurs de la gauche et de l’activisme pour empêcher toute possibilité d’opposition radicale, d’indépendance et donc de progrès vers un changement révolutionnaire. Il existe une combinaison de causes objectives et subjectives à cette assimilation des dirigeants sociaux et des organisations dans les institutions bourgeoises et à leur transformation en forces dépendantes du statu quo capitaliste. L’absence d’une autre référence pour le socialisme depuis l’effondrement des États de l’Est et la montée du capitalisme en Chine ont contribué de manière décisive à une profonde dégradation de l’horizon idéologique de la majeure partie de la gauche. En Amérique latine, après les grandes mobilisations des années 2000 et aujourd’hui, après le cycle d’explosions de 2019 et 2020, des gouvernements plus ou moins réformistes ont émergé. Mais les progressismes d’aujourd’hui sont confrontés à une corrélation régionale de forces plus précaire, parce qu’ils n’ont plus les processus révolutionnaires au Venezuela ou les processus pré- révolutionnaires comme ceux qui ont renversé le régime néolibéral en Bolivie, et parce que la droite a polarisé un secteur de la société. D’où le rôle de plus en plus évident de la gauche réformiste en tant qu’administratrice de la crise capitaliste et de sa situation plus instable que dans la période précédente. Ceux qui, à leur manière, affrontent l'institutionnalisme sont l'extrême droite, dans le but d'évoluer vers des régimes totalitaires, et, de manière beaucoup plus faible, les forces de la gauche socialiste, qui défendent l'indépendance politique des exploités et des changements profonds dans les structures sociales. En combinaison, l’avancée des forces d’extrême droite sème la confusion dans de larges secteurs de l’avant-garde. Les dirigeants réformistes profitent de la nécessité incontestable d’élargir l’unité dans la lutte contre les nouveaux fascismes pour pousser encore plus fort en faveur d’un soutien ouvert aux gouvernements « progressistes » (qui deviennent de moins en moins progressistes) comme alternative possible. Une pensée objectiviste et pragmatique qui, en pratique, supprime les horizons de changement radical. Des politiques d’unité (unités d’action et fronts uniques pour mobiliser ou éventuellement pour voter) sont nécessaires pour combattre l’extrême droite néofasciste. Le problème est que le « progressisme » actuel transforme la nécessaire politique d’unité en stratégies permanentes de soutien à tout gouvernement qui n’est pas d’extrême droite. Ainsi, la défense des libertés démocratiques préservées (quoique de moins en moins) dans les régimes démocratiques bourgeois se confond avec la défense du régime lui-même. La participation des socialistes aux élections périodiques à tous les niveaux est une tactique importante et nécessaire, non seulement parce que nous faisons de la propagande à travers eux, mais parce que nous pouvons amener les élus à devenir des personnalités politiques, des tribunes populaires pour notre agitation et notre intervention dans la lutte des classes. Mais la participation électorale et parlementaire doit être complétée par une stratégie de mobilisation. La gauche réformiste considère de plus en plus les élections, les postes et les politiques publiques « dans le cadre institutionnel » comme le seul moyen d’obtenir des améliorations pour les travailleurs et le peuple, alors que nous savons que le seul cadre institutionnel, sans mobilisation, ne produit pas de changements substantiels. L’argent des entreprises et de l’État ronge et corrompt les processus électoraux et parlementaires ainsi que presque tous les partis politiques. Les discours sur le « populisme de gauche » masquent une adaptation au statu quo. Du progressisme latino-américain à la social-démocratie européenne, des tenants du Green New Deal aux récents partis qui se sont proposés comme alternatives contre- systémiques (Syriza, Podemos), nous assistons à une naturalisation totale des institutions de l'État bourgeois comme le principal, sinon le seul, moyen de réaliser des conquêtes. Le « progressisme » latino-américain aujourd’hui En Amérique latine, nous connaissons une deuxième vague de gouvernements réformistes, désormais polarisés à la fois entre la droite traditionnelle et l’extrême droite. Ce ne sont pas du tout les mêmes processus politiques ou gouvernements. Lors de la première vague, au cours de la première décennie du siècle, les avant-gardes de la région ont été les processus révolutionnaires ou pré-révolutionnaires qui ont abouti aux gouvernements de Hugo Chávez et d'Evo Morales, qui ont affronté l'impérialisme et les élites politiques traditionnelles de leurs pays, rompant avec les régimes précédents : ils ont modifié des constitutions, se sont mobilisés contre les coups d'État, ont réétatisé les secteurs économiques. Dans le cas de la Bolivie, ils ont créé un État plurinational sans précédent, avec une majorité autochtone au sein du gouvernement. Lula et le PT, le kirchnérisme, le Front large uruguayen et même Rafael Correa, initialement réformateur, sont restés dans le cadre du modèle de développement néo-extractivistes et de l’administration de l'état. Dans le cas du Brésil, le PT, Lula et Dilma ont poursuivi la régression de l’économie axée sur l’exportation de produits primaires, la désindustrialisation et le néocolonialisme. Contrairement à la première vague, cette deuxième vague est moins radicale. Au Mexique, López Obrador est arrivé au pouvoir en vainquant la fraude et le régime historique de parti unique bâti par le PRI. Lula 3.0 est né d’une large et nécessaire unité démocratique électorale contre Bolsonaro, qui allait des secteurs conservateurs de la bourgeoisie aux forces de gauche, sans mobilisations majeures – car c’est un point d’honneur pour le PT d’aujourd’hui de ne pas mobiliser. Les gouvernements de Boric au Chili, d'Arce en Bolivie, de Petro en Colombie, voire celui du Castillo déchu au Pérou, ont émergé après de fortes mobilisations. Mais tous ces gouvernements mènent leur politique dans le cadre des institutions de l’État bourgeois, bien qu’avec de nombreuses différences entre eux. Cette évaluation marxiste des soi-disant « gouvernements progressistes » n’implique pas que nous devrions avoir une politique d’opposition frontale. Cela implique, si nous reconnaissons qu’il ne s’agit pas de gouvernements des travailleurs et du peuple, une politique de préservation et de lutte pour l’indépendance et l’autonomie des mouvements sociaux et des partis dans lesquels nous opérons vis-à-vis d’eux. Les tactiques concrètes au Parlement et dans l'action face aux gouvernements progressistes varient selon les cas, combinant revendications et, le cas échéant, quelques dénonciations. Comparons Lula et Petro. Le premier est un gouvernement d’unité nationale – Lula, Alckmin, avec l’ex-bolsonariste Lira et des secteurs de l’oligarchie de droite la plus vénale, le « Centrão ». Il met en œuvre des mesures d’ajustement néolibérales, qui réduisent le budget de la santé et de l’éducation, votées par un parlement de droite. Avec une présence minoritaire de personnalités indépendantes dans les domaines des droits de l'homme, des peuples indigènes et de l'environnement, le gouvernement brésilien compte un grand nombre de ministres bourgeois, dont le vice-président, un certain nombre de ministres du PT, gestionnaires avérés des intérêts de la bourgeoisie dans les gouvernements précédents, et maintenant nombre de ministres venant du Centrão et même du camp de Bolsonaro. Petro a d'abord tenté de former un gouvernement avec la branche bourgeoise dirigeante du Parti libéral. En neuf mois d'expérience, il n'a réussi qu'à faire voter une loi fiscale qui taxait les grandes fortunes. Confronté aux obstacles à la réforme de la santé, des lois sur le travail et les retraites, il a décidé de changer de gouvernement et a appelé à la mobilisation. À deux reprises, il a rempli les rues de manifestants, à qui il a dit en un mot que seule la mobilisation permettrait de conquérir ces réformes. Lula et Petro représentent désormais deux voies opposées. En ce qui concerne l'exploration pétrolière, Petro a déclaré que le choix de Lula d'explorer le pétrole à l'embouchure du fleuve Amazone représenterait un « déni progressif » de la crise climatique. Si Lula et le PT se sont historiquement engagés, pendant deux décennies, à ne pas mobiliser la population ni à encourager le peuple à s'organiser, Petro affirme désormais le contraire. Il est clair que les tactiques à l’égard de l’un et de l’autre devront être différentes. Petro appelle la population à s'organiser. Le parcours de son gouvernement dépendra de ce que feront les travailleurs, les indigènes et les paysans colombiens pour suivre cette voie. La gauche qui arrive au pouvoir et n'appelle pas systématiquement à la mobilisation finit par reproduire la voie du « lulisme » : se limiter à être de bons gestionnaires de l'État capitaliste. Ceux qui appellent à la mobilisation peuvent ouvrir un espace à des politiques de rupture avec le néolibéralisme et le capital. La crise laisse peu de marge de manœuvre. Ce n’est qu’avec l’autonomie des mouvements, l’indépendance politique des partis socialistes et, surtout, de grandes mobilisations et l’auto- organisation des exploités et des opprimés qu’il est possible d’obtenir plus que des miettes et d’avancer vers des solutions écologiques et socialistes. septembre 2023 Ana Cristina, Israël, José Correa et Pedro Fuentes
L'Agenda 21 Exposé !: La Démolition de la Liberté par le Green Deal & la Grande Réinitialisation 2021-2030-2050 Plandémie - Crise Économique - Hyperinflation