Les lecteurs de Daniel Fondanèche savent qu’il est un ennemi du jargon et de toute forme de pédantisme. Cette clarté extrême permet de circuler avec aisance dans l’immense espace que son esprit attentif et son regard aigu ont exploré, celui des paralittératures. Le synonyme pourtant presque exact, << littératures marginales »,avait quelque chose de péjoratif et paraît aujourd’hui daté. I1 remonte au temps de la Pléiade, tout de même pas celle de Ronsard, mais celle de Raymond Queneau, dans cette Histoire des littératures à laquelle collabora ardemment Étiemble. Daniel Fondanèche, comme ce grand maître de la littérature comparée, a l’art de dire simplement les choses compliquées. I1 se réclame dans le présent ouvrage, dès l’introduction, de cette simplicité qui lui permet de nous faire directement et pleinement bénéficier de sa longue et patiente fréquentation des textes. Le champ à couvrir était très large, mais pour lui l’important était d’aller à l’essentiel. I1 a fait le choix qui lui paraissait s’imposer, délaissant ce qui n’était pas son genre, - pour parodier le mot que Marcel Proust prête à Swann pour parler, non des goûts artistiques de cet amateur éclairé, mais d’Odette de Crécy. Ses réflexions sur l’approche des c< mauvais genres >> sont aussi spirituelles que nécessaires à ce qu’il serait trop scolaire d’appeler une << propédeutique »,plus juste de caractériser comme une littérature destinée à faire de l’effet et à pro- curer du plaisir. Le mot << socle >> est récemment devenu à la mode, et il est d’ailleurs à sa place dans une loi d’orientation injustement contestée. Cette même image permet à Daniel Fondanèche de présenter de manière très suggestive les grands aspects du domaine d’étude qui est le sien. À partir de là, le lecteur n’a plus qu’à se laisser mener par ce guide sûr qui n’est jamais bavard : il découvrira ou il redécouvrira les charmes du roman policier, du roman de science-fiction, du roman fantastique, Préface
du roman d’espionnage, du roman historique, de bien d’autres encore
- sans oublier le roman-photo ou la bande dessinée. I1 fera même connaissance avec le << gore », spirituellement défini comme une << cor- ruption sanguinolente du fantastique., et qui n’a guère duré plus longtemps que cet insecte dont parle le Mendiant dans l’Électre de Jean Giraudoux, << qui ne vit que cinq minutes : “en cinq minutes, il estjeune, adulte, cacochyme, il épouse toutes les combinaisons d’histoires d’enfance, d’adolescence,de déboîtage du genou et de cataracte, d’unions légitimes ou morganatiques” ». Notre auteur voit que, parmi les genres ou sous-genres qu’il étudie, certains vieillissent vite ou mal. Mais il redonne à beaucoup d’autres une nouvelle jeunesse, il ouvre des pistes, il ne mène jamais dans des impasses. I1 conduit à une richesse dont il est le premier surpris et qu’il propose à de jeunes esprits d’explorer avec lui et après lui, comme il a lui-même pris la relève de notre regretté collègue Jean-Claude Vareille, auquel il a tenu à emprunter l’épigraphe de son livre. Chacun a ses pôles d’attraction. Depuis longtemps,j e subis le mirage des grands mythes auxquels la littérature semble elle-même obéir comme à la lune les marées. Rapprocher la science-fiction des aventures de Gilgamesh dans ce qui est sans doute l’œuvre littéraire la plus ancienne de l’humanité, cela me ravit, et j e suis prêt à suivre Pierre Versins et après lui Daniel Fondanèche sur cette voie, avec les précautions d’usage (de bon usage) que prend à juste titre le présent livre. Les pages sur le Golem sont, elles aussi, de première importance. Même chose pour l’étonnante Théorie du complot >> que son nom allemand, Verschwii- (<
rungstheorie, rend plus inquiétante encore.
Polidori à côté de Byron, Le Queux à côté de Kipling, Berthe Bernage à côté de Barbara Cartland, cela est tout aussi piquant que le licencié Avellaneda ravissant à Cervantès la priorité pour la seconde partie du Quichotte en 1614. Daniel Fondanèche, à qui rien n’est étranger, nous entraîne d’ailleurs, quand il présente le << socle psychologique >> vers le début du XVIF siècle, quand les romans de chevalerie sont accusés de rendre fou ce pauvre hidalgo de la Mancha et quand fleurissent les << histoires tragiques »,en particulier celles qu’écrivit François de Rosset,
le premier traducteur de la seconde partie (non pas l’apocryphe, mais
l’authentique) de D o n Quichotte. J’adore aussi le jeu de transformations qui, dans des cas difficiles, permit de faire passer des titres provocateurs ( L e s Rouilles encagées, pour le livre obscène interdit de Benjamin Péret). Les jeux, voulus ou invo- lontaires, font aussi partie de l’histoire vivante des paralittératures et Sancho Pança, à qui les propos lestes ne font pas peur, devient le plus rigoureux des censeurs quand il croit enfin obtenir le gouvernement de l’île depuis longtemps promise par son maître. On a dit un peu facilement que D o n Quichotte était le premier des romans modernes. Plus exactement, il est tous les romans, passés, présents et à venir, - dont ceux si divers et parfois insolites que nous présente Préface
Daniel Fondanèche dans sa somme. Quand, au terme de ses aventures,
celui qui s’est voulu chevalier errant (caballeroandante) veut se faire berger, il rejoint le roman pastoral qui tourne la tête au Berger extravagant de l’« anti-roman >> de Tristan l’Hermite, mais il annonce aussi le roman rural sur lequel s’achève le long, jamais trop long parcours de Daniel Fondanèche. En définitive, on est persuadé, avec lui, que les paralittératures sont de ((
la littérature, quoi qu’on en pense >>. Bonne ou mauvaise ? Rappelons-
nous que Claude Debussy déclarait qu’en matière de Strauss, il préférait Johann à Richard...
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