Vous êtes sur la page 1sur 3

• DIASPORA

En Tunisie, les Subsahariens victimes d’un racisme


croissant
Malgré une tradition d’accueil des étrangers, l’afflux de migrants dans le pays s’accompagne d’une
montée des discriminations, mauvais traitements et attaques verbales.

Par Lilia Blaise (Tunis, correspondance)

Publié le 17 janvier 2023 à 18h00, mis à jour le 22 janvier 2023 à


20h20 • Lecture 4 min.

La pétition lancée l’été dernier sur Facebook par le très confidentiel « Parti nationaliste » pour réclamer
« l’expulsion de la colonie de migrants subsahariens qui s’installe en Tunisie » était passée inaperçue
jusqu’à ce que ses promoteurs se lancent dans des opérations de démarchage dans les rues de Tunis, le
week-end des 14 et 15 janvier.

Lire aussi : En Tunisie, des dizaines de réfugiés réclament d’être évacués

Les photos de ces actions de « sensibilisation » postées sur la page Facebook du mouvement ont vite fait
réagir des internautes, indignés par ce discours de haine à l’égard des migrants venus du sud du
continent. Si l’audience du « Parti nationaliste », sur lequel il n’existe que très peu d’informations, reste
limitée sur Facebook (avec 3 200 abonnés), elle est en revanche plus importante sur le réseau TikTok,
où ses vidéos imprégnées d’une rhétorique similaire contre les Noirs rassemblent 6 000 personnes et
ont recueilli plus de 37 000 « j’aime ».

Ce discours raciste est cependant loin d’être isolé. Au cours des dernières semaines, il s’est fait entendre
sur plusieurs radios. Le 1er janvier, sur l’antenne de Diwan FM, Khalifa Chibani, ancien porte-parole du
ministère de l’intérieur, a déploré ces « Africains qui commencent à devenir trop nombreux » dans la
ville de Sfax – ce à quoi la journaliste a répondu que les Tunisiens sont « tous des Africains ». Le
lendemain, l’homme politique et ancien ministre Mabrouk Korchid agitait sur la radio IFM le risque
d’un « grand remplacement », cette fois sans être contredit. Si les Tunisiens continuent d’émigrer, « les
Africains vont venir se marier chez nous et nous remplacer », a-t-il expliqué.

L’an dernier, la moitié des 22 000 migrants arrivés


clandestinement en Italie depuis la Tunisie étaient d’origine
subsaharienne

Quelque 57 000 étrangers vivaient officiellement en Tunisie en 2019, selon le département des affaires
économiques et sociales des Nations unies. Le pays possède une tradition d’accueil, mais les autorités
affirment souvent être davantage une « terre de transit » pour les Subsahariens, qui demeurent sur le
territoire et travaillent sans être déclarés dans l’attente de pouvoir financer un départ vers l’Europe.
Leur nombre est estimé à entre 30 000 et 50 000 par les associations. L’an dernier, la moitié des
22 000 migrants arrivés clandestinement en Italie depuis la Tunisie étaient d’origine subsaharienne.
« Nous sommes obligés de faire avec »

Outre les difficultés économiques que connaît le pays et la complexité des procédures de régularisation,
les mauvais traitements et les attaques verbales dont sont victimes les migrants expliquent aussi
souvent la volonté de départ. Ceux qui choisissent de rester subissent leur sort avec résignation. « Nous
sommes obligés de faire avec, car si nous portons plainte auprès de la police pour racisme, nous
risquons d’être arrêtés en raison de notre situation irrégulière », explique Miles Panis, artiste et
chanteur ivoirien qui vit dans le quartier populaire de Bhar Lazreg, comme beaucoup de migrants.

Attablé dans un restaurant tenu par une de ses compatriotes, il poursuit : « Chaque semaine, des
adolescents tunisiens entrent ici, font tomber les chaises ou les tables. Nous, on regarde sans rien
dire. » Miles Panis vit ici depuis six ans et malgré les insultes quotidiennes, il préfère penser aux
Tunisiens qui le respectent et continuer d’aller danser au Barrio Afro Latino, un bar à Gammarth, près
de Tunis, où tout le monde se mélange sans a priori.

Lire aussi | Rafles, insultes, violences… Le traitement des étudiants subsahariens


empire en Tunisie

Mais à ses côtés, Nathalie, la propriétaire du restaurant, n’est pas aussi philosophe. Après treize années
en Tunisie et bien qu’elle ait réussi à obtenir une carte de séjour, elle songe sérieusement à retourner en
Côte d’Ivoire, où ses enfants résident. « C’est de pire en pire, chaque jour je vois une de mes amies se
faire insulter ou cracher dessus dans la rue. Les prix des loyers doublent en fonction de la couleur de
peau », raconte-t-elle en dénonçant l’inertie de la police :

« J’ai accompagné une amie déposer plainte après son


agression au couteau. Elle avait une balafre au front, mais les
policiers n’ont rien fait. Heureusement, une dame tunisienne
nous a indiqué une association pour femmes, qui, elle, nous a
aidées. »

Une autre Ivoirienne, qui n’a pas souhaité donner son identité par peur de représailles, raconte son
exploitation dans la plupart des lieux où elle a travaillé depuis son arrivée en 2020 :

« Le fait de ne pas être payé est monnaie courante, les


employeurs savent que nous ne pouvons rien faire parce que
nous n’avons pas les papiers en règle. »

Pas de racisme « institutionnalisé »

Les discriminations touchent aussi l’accès aux soins, auxquels les femmes subsahariennes peuvent en
théorie prétendre, pour le suivi de leur grossesse ou un avortement, auprès des infrastructures gratuites
de l’Office national de la famille et de la population (ONFP). « Mais beaucoup de femmes ne sont pas
au courant ou sont parfois refoulées à l’entrée des centres, soit à cause de leur couleur de peau, soit
par incompréhension, car elles ne parlent pas toutes l’arabe », explique Fatima Verdé, une Ivoirienne
de 28 ans, bénévole dans l’accompagnement des migrants pour l’ONG Médecins du monde.
Newsletter
« Le Monde Afrique »
Chaque samedi, retrouvez une semaine d’actualité et
de débats, par la rédaction du « Monde Afrique »
S’inscrire

Elle patiente dans la salle d’attente du Centre d’accueil, de soins et d’orientation (CASO), un centre
pilote ouvert par Médecins du monde à La Goulette, en banlieue de Tunis. « Il n’y a pas forcément un
racisme institutionnalisé, mais les discriminations existent. Ici, nous aidons les migrants à bénéficier
de ce qui leur est accessible, comme à chaque Tunisien en situation de vulnérabilité », se félicite Zeineb
Turki, coordinatrice générale adjointe de l’ONG. La Tunisie dispose d’une loi qui définit et condamne la
discrimination raciale.

Lire aussi : A Zarzis, en Tunisie, le naufrage de jeunes partis pour l’Europe nourrit
la colère de la population

La montée du racisme qui accompagne l’afflux croissant de migrants n’est pas une réalité ignorée : 63 %
des personnes interrogées en août 2022 par le réseau de recherche non partisan Arab Barometer,
dans un sondage sur la discrimination raciale et le sentiment anti-noir en Afrique du Nord et au Moyen-
Orient, reconnaissaient que « la discrimination envers les Noirs est un problème ». En 2021, plus de
40 % des plaintes collectées par l’ONG Minority Rights Groups pour discrimination concernaient la
couleur de peau et/ou l’origine nationale.

Lilia Blaise (Tunis, correspondance)

Vous aimerez peut-être aussi