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Droit Patrimonial et Droit Extrapatrimonial 2021

I. DROIT PATRIMONIAL DES EPOUX


1. CHAPITRE I. PENDANT LE MARIAGE
Le code de la famille fait abstraction de toute idée de régime matrimonial, aucune
règle ne régissant les rapports pécuniaires des époux, ni entre eux ni à l’égard des tiers.
Le seul principe applicable est celui de la séparation des biens. Ainsi, chacun des époux
garde la pleine propriété de ses biens quelque soit la date de leur acquisition, peu
important que ce soit avant ou après le mariage (I).
Depuis la réforme de 2004, la moudawana a introduit une disposition qui permet
de déroger à l’application rigide du principe de la séparation des biens. Il s’agit pour les
deux époux de rédiger « un document distinct du contrat de mariage» et dans lequel les
deux époux vont déterminer, par commun accord, « les conditions de fructification et de
répartition des biens qu'ils auront acquis pendant le mariage » (II).
A. LA SÉPARATION DES BIENS
Selon la règle séparatiste, chaque époux exerce toutes les prérogatives attachées
aux biens objet de sa propriété (£1). Toutefois, les biens sont susceptibles d’une
appropriation commune entre les deux conjoints; dès lors une cogestion s'impose, ce qui
soulève des problèmes dans la pratique (£2).
a) L'indépendance de gestion
La séparation des biens renvoie au principe de l’indépendance patrimoniale des
époux. Chacun demeure propriétaire et peut exercer tous les droits et l’ensemble des
prérogatives attachés à ses biens personnels. Il a notamment ainsi un pouvoir autonome
d'administration de ses immeubles, sans avoir à se référer à son conjoint. Cette
indépendance dans la gestion fut expressément consacrée par le quatrième alinéa de
l’article 35 de l'ancien code de la famille qui énonçait que « la femme mariée a l'entière
liberté d'administrer et de disposer de ses biens sans aucun contrôle du mari, ce dernier
n'ayant aucun pouvoir sur les biens de son épouse ».
Cependant, la réforme de 2004 a abrogé l’article 35 pour instaurer une égalité
entre les deux époux dans la direction du foyer. Désormais, la femme est chef de famille à
l’égal de son mari et est donc tenue de participer aux charges de la vie familiale.
En vertu de cette séparation des biens, les époux peuvent jouir et disposer de
façon autonome de leurs biens en toute liberté sous réserve de contribuer aux charges
du foyer familial et à l’éducation des enfants. En d'autres termes, « ce qui appartient à la
femme n'appartient pas au mari ; et ce qui appartient au mari n'appartient pas à la
femme ». Ce pouvoir exclusif concerne, outre les actes de conservation, les actes
d'administration et les actes de disposition. Cependant, la plénitude des prérogatives
attachées au droit de propriété de chaque conjoint ne peut écarter l’éventualité dans
laquelle les biens de l'un seraient administrés par l’autre, ce qui mettrait inévitablement
fin à l'indépendance des époux qui recourent souvent au contrat de mandat.

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b) Les époux indivisaires
L’indépendance dans la détention et l’exercice du pouvoir sur sa propriété est un
principe qui s'impose, mais, dans certaines situations, les époux peuvent acquérir un
bien en indivision. L'immeuble, objet de cette indivision, est réputé appartenir aux deux
époux qui en jouissent et le gèrent de façon collégiale. Dès lors, tous les actes de
conservation, d’administration ou de disposition se trouvent conditionnés à l'accord des
deux époux, ce qui est susceptible d'engendrer des difficultés dans la pratique, surtout
en l'absence d’une réglementation précise.
En effet, les juges font la distinction entre trois catégories d'actes :
•Les actes conservatoires, appelés aussi de sauvegarde, sont essentiellement des
actes matériels ou juridiques ayant pour objet de soustraire un bien indivis à un péril
imminent ou de lui éviter une atteinte sans compromettre sérieusement les droits des
indivisaires. Le pouvoir d'initiative de chaque époux indivisaire est total, puisqu’il n’a nul
besoin de recueillir le consentement de son conjoint, et ce conformément à la rédaction
de l’article 967 du DOC ;
•Les actes d'administration qui sont accomplis dans l'intérêt de l'indivision et dont
l’urgence laisse toute liberté aux époux ;
•Et les actes de disposition qui nécessitent le consentement des deux époux.
Dans certaines circonstances, des frais personnels peuvent être avancés afin
d’engager les actions nécessaires à la sauvegarde du bien indivis. La question qui se pose
est celle de savoir si les dettes faites par l’un des époux, à la suite d’une initiative
individuelle et dans l'intérêt commun, sont aussi communes.
La réponse est affirmative. 11 ne fait guère de doute qu'en droit musulman, la
conception du mariage suppose la collaboration et la solidarité des époux (V. infra
chapitre 2).
B. LE CONTRAT DE GESTION DES BIENS
Le code de la famille donne la possibilité aux époux de rédiger un contrat annexe à
l'acte de mariage dans lequel ils peuvent se mettre d'accord sur le mode de gestion et de
répartition de leurs biens. Cette option n’est pas obligatoire ce qui fait qu'un nombre
limité d’époux y recourt ($. 1). Cet accès réduit s’explique aussi par d’autres raisons [§. Z).
a) Le recours facultatif au contrat de gestion des biens
Après la réforme de 2004, il est incontestable que le principe de la séparation des
biens a perdu une grande part de son absolutisme. La raison réside dans l'adoption
d'une disposition législative donnant le droit aux époux de définir communément la
condition juridique de leurs biens. Il s'agit de l'article 49 du code de la famille énonçant
que : « Les deux époux disposent chacun d’un patrimoine propre. Toutefois, les époux
peuvent se mettre d'accord sur les conditions de fructification et de répartition des biens
qu'ils auront acquis pendant leur mariage».
Les époux peuvent donc s’entendre, avant la conclusion de l'acte de mariage, sur
la gestion et la répartition des biens qui seront acquis pendant le mariage. Pour cela, ils
doivent rédiger un acte séparé et distinct du contrat de mariage, dans lequel ils

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préciseront, par exemple, qu'ils ont opté pour la communauté du patrimoine acquis en
cours du mariage et préciseront les conditions de la liquidation et du partage des biens
en cas de divorce.
Dans ce régime conventionnel, les époux restent libres de déterminer le contenu
de leurs engagements à la seule condition de respecter l’ordre public et de ne pas être
contraires aux bonnes mœurs qui restent amplement imprégnées des préceptes de
l’Islam. Le contrat peut se rapporter à tout ou partie des biens acquis à titre onéreux
pendant le mariage. Il a donc le loisir de tenir à l’écart de cette gestion certains biens
acquis en cours de mariage, par exemple avec les revenus d’une activité professionnelle.
Sont également exclus du champ contractuel, cette fois-ci d’une façon absolue, les biens
propres, c'est-à-dire les propriétés acquises avant le mariage ainsi que celles que les
époux recueillent au cours de leur union par voie de donation, de succession ou de legs.
Ces différents biens demeurent des propriétés personnelles dont chaque époux peut
disposer librement.
La gestion des biens communs peut aussi poser quelques problèmes puisque les
décisions importantes, notamment une vente, exigent l'accord des deux conjoints.
Comme dans le cadre de l’indivision et sauf clause contraire, un époux ne peut exercer
ses pouvoirs d’administration et de disposition que dans l’intérêt de la communauté et,
en conséquence, sont annulables ses actes frauduleux destinés à enrichir son patrimoine
personnel aux dépens des intérêts de son époux. Il est à noter que dans le cas où un
conjoint achète un immeuble avec le produit de la vente d'un bien qui lui est propre, sa
nouvelle acquisition ne restera sa propriété personnelle qu’à condition qu’il précise bien
l'origine des fonds.
b) Les limites à l'option
Il s’agit ici de s’interroger sur la portée du recours au contrat organisant la
fructification et la répartition des biens acquis pendant le mariage, et ce au regard de la
mentalité et des traditions qui gouvernent la société marocaine.
L'observation de la vie quotidienne révèle que les futurs époux ne recourent que
rarement à ce contrat. En effet, bien que le législateur oblige les deux adouls, qui rédigent
l’acte de mariage, à aviser les deux parties du contenu de l'article 49 du code de la
famille, ce n'est que rarement que cette prescription est respectée. Pourtant, les adouls
joignent toujours à l’acte de mariage l’expression « les deux parties ont été averties des
dispositions de l'article 49 ». Sachant même son existence, malgré sa simplicité et la
sécurité qu'il peut offrir à ses signataires, il semble que le contrat soit volontairement
ignoré par les couples. Certaines personnes y voient un acte de méfiance susceptible de
compromettre la relation conjugale à l'avenir. Pour d'autres, il est un contrat qui s'affirme
contraire aux valeurs familiales, puisqu’il est de nature à transformer les couples en une
entreprise. Il est des cas aussi où les futurs couples se voient opposer un autre obstacle,
cette fois-ci technique et intellectuel. Ils ignorent, en réalité, les règles qui doivent
gouverner l'exécution de ce contrat et son mode de fonctionnement, d’autant plus que
par leur niveau intellectuel, certaines personnes ne font même pas la distinction entre les
conditions verbales sur lesquelles les époux peuvent se mettre d’accord au moment du
mariage et les clauses qui doivent être écrites et incluses dans le contrat de mariage.

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De plus, une situation est passée sous silence par le législateur. Pourtant, elle peut
engendrer de grandes difficultés. Il s'agit de la polygamie. En effet, si l'on peut imaginer la
conclusion d’autant de contrats que de mariage, en cas de liquidation, la confusion des
biens du mari avec ceux de ses épouses créerait un imbroglio patrimonial. Il convient,
dès lors, de réglementer cette convention davantage afin de donner des réponses
concrètes aux difficultés quotidiennes.
Tout cela démontre que, malgré cette grande innovation, la réglementation
entourant cette option reste tout de même insuffisante. Sans doute, une obligation
d’information s'impose-t-elle.
2. CHAPITRE II. APRÈS LA DISSOLUTION DU MARIAGE
Au regard du rôle participatif de chacun des époux dans la vie conjugale, de leur
intérêt commun et du plus élémentaire souci d’équité, la jurisprudence a souvent
emprunté des règles communautaires en matière de liquidation pour les appliquer à un
régime par essence séparatiste.
Une réception des idées communautaires, pénétrées naturellement des règles de
droit musulman, peut être vérifiée à l'échelon du sort réservé aux biens acquis par les
époux avant le mariage (I) ou pendant la vie conjugale (II).
A. LE SORT DES BIENS ACQUIS AVANT LE MARIAGE
Sans aucun doute, en cas de divorce, les biens acquis avant le mariage sont
attribués à leur propriétaire (£. 1). Toutefois, les juges ont dû faire face à certaines
situations assez compliquées notamment dans le cas de la dot {§. 2).
a) Le partage privatif
Les biens appartenant personnellement à un époux avant le mariage demeurent
sa propriété pendant l'union et après un éventuel divorce. Les dispositions de l’article 49
du code de la famille, dans son quatrième alinéa, énoncent clairement ce principe en
précisant que les deux époux disposent chacun d’un patrimoine propre, et qu’en cas de
désaccord, il est fait recours aux règles générales de preuve. Le conjoint qui prétend avoir
un droit propre sur un bien doit justifier de l'antériorité de cette propriété à la conclusion
du mariage.
Les mêmes conséquences s’appliquent dans le cas où les époux font le choix
d’établir un contrat de gestion des biens.
La preuve de la propriété des biens acquis avant le mariage entre époux ne pose
pas de véritables problèmes, notamment lorsque les biens ont été préservés de toute
immixtion. Toutefois, la gestion par un époux des biens de son conjoint peut créer une
confusion des patrimoines susceptible de créer des difficultés dans l'administration d’une
preuve. Ainsi, les biens doivent être gérés et administrés par le conjoint propriétaire en
toute indépendance. Dans le cas où l’un des époux, par exemple le mari, est gestionnaire
de tout ou partie du patrimoine de sa femme, il doit restituer à celle-ci les biens dont il
avait l'administration et la jouissance.

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b) Le cas de la dot
Appelée en langue arabe sadaq, la dot est une condition essentielle pour la
conclusion du mariage. C'est une offrande à l'épouse faite par l’époux « pour manifester
sa volonté de contracter, de fonder une famille stable et consolider les liens d’affection et
de vie commune entre les deux époux». La valeur de cette dot n'obéit à aucune règle ou
barème de détermination. Elle peut revêtir une valeur morale ou symbolique comme elle
est susceptible de prendre la forme d'un pécule en argent assez important, voire même
d’un immeuble. D'après la rédaction de l'article 28 du code de la famille, « tout ce qui
peut faire légalement l'objet d'une obligation peut servir de sadaq ».
Qu’elle soit modeste ou importante, la dot est en principe la propriété exclusive de
la femme qui peut en disposer pleinement, indépendamment de sa famille et de son
conjoint. Le mari n’a donc aucun droit sur son offrande, il ne peut en exiger le
remboursement ou en réclamer une partie, ni prétendre à un apport quelconque en
contrepartie. Le législateur est ferme à cet égard, et ce pour mettre fin à des pratiques
anciennes dans certaines régions du Maroc et selon lesquelles le père devait constituer
un trousseau d'une valeur double de celle du sadaq perçu. Cependant, la femme peut
consentir de plein gré à remettre sa dot à son mari conformément au verset coranique : «
Remettez à vos femmes leur dot en toute propriété et de bonne grâce. S'il leur plaît de
vous en abandonner une partie, disposez-en alors à votre aise et de bon cœur ». Dans le
cas où la dot n’a pas été transmise par l'époux au moment de la signature du contrat de
mariage, elle devient une créance exigible ne pouvant être éteinte que par le paiement ou
la décharge de l'épouse. Il s’agit d’une dette imprescriptible.
La règle veut que les biens acquis pendant le mariage soient partagés entre les
deux époux en fonction de l'apport de chacun. Dans l’hypothèse d'une fructification de
l'un des époux, celui qui a apporté une plus-value au patrimoine de l'autre a, à son
égard, une créance qu’il peut faire valoir en rapportant la preuve dans le cas d’une
séparation (£. 1). La même règle s'applique en cas de moins-value [§. 2).
c) La plus-value personnelle :
Durant le mariage, les époux effectuent diverses opérations visant à assurer la
substance matérielle du ménage. Certaines ont pour effet de faire participer l'un des
époux à la prospérité de son conjoint. L'équité commanderait alors que cet époux puisse
en bénéficier, notamment en cas de divorce. En effet, nombreuses sont les situations où
l’un des conjoints, spécialement la femme, « renfloue » le patrimoine de son époux en
l’aidant dans son travail ou en allégeant sa contribution aux charges du ménage. Et
souvent, après un divorce, l'épouse se sent spoliée et dépourvue d’un patrimoine propre.
Le juste et l’idéal dans cette situation sont que les biens soient partagés « moitié-moitié »
entre les deux époux. Cependant, cet esprit d'entraide conjugal qui préside à une union
conjugale engendre parfois des problèmes lors de la dissolution du mariage. Il s'agit
notamment de la difficulté de déterminer le bien qui tomberait sous le coup d’un partage
ou la nature de l'activité qui ouvrirait ce droit.
L’article 49 du code de la famille apporte un début de réponse à ces questions. Il
prévoit que les deux époux disposent chacun d'un patrimoine propre, qu’ils leur
appartient de se mettre d'accord, par un document distinct de l’acte de mariage, sur le
mode de fructification et de répartition des biens acquis pendant la relation conjugale,
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qu'en cas de défaut d’accord, il est fait recours aux règles générales de preuve, tout en
prenant en considération le travail de chacun des conjoints, les efforts qu’il a fournis et
les charges qu’il a assumées pour le développement et la mise en valeur des biens de la
famille. Le conjoint qui prétend à un droit doit alors justifier sa contribution dans
l’acquisition de ce bien, notamment par son travail, son temps, son effort, son salaire
éventuellement, et toutes autres participations ou contribution que le tribunal peut
prendre en compte pour dénouer le litige éventuel. L’évaluation appartient au tribunal
qui en apprécie l’étendue, la nature et les effets sur le patrimoine de chacun des époux
durant la période du mariage.
Une étude de la jurisprudence nous renseigne sur l’étendue de cette disposition.
En témoigne une affaire du 24 avril 2006 précédemment cité. En l'espèce, le mari avait
acquis un immeuble de quatre appartements et deux villas pendant le mariage, ainsi
qu'un terrain qu'il avait inscrit au livre foncier sous son seul nom, ignorant la
participation de sa femme qui avait pourtant vendu ses bijoux en or et qui en plus
entretenait le foyer familial par son travail au domicile en tant que couturière. En
sollicitant le divorce, l’épouse avait demandé à ce que les biens acquis par le mari soient
partagés de façon à ce qu’elle en soit aussi bénéficiaire. Le mari, quant à lui, contestait le
bien-fondé de la demande en considérant que la femme était une analphabète, qu'elle ne
travaillait que provisoirement et qu'elle n’avait jamais participé aux charges de la maison.
En plus, elle n’apportait pas de preuve de sa participation effective. En se fondant sur
l'article 49, le juge avait confirmé que le droit de la femme sur la richesse acquise
pendant le mariage par les deux époux est un droit connu par le chrâa depuis des
siècles. En présence de plusieurs témoins attestant sa véritable participation dans la
constitution du patrimoine de son mari, le Tribunal a décidé un partage équitable des
biens entre les deux époux.
Il faut souligner qu'avant même que la réforme du code de la famille ne soit
entreprise, les juges ont eu recours à l’application de cette mesure d’équité sociale. Celle-
ci trouve une origine dans une pratique coutumière de certaines régions berbères du
Maroc. Il s'agit en fait de tizla, en arabe kad wa Siaya (labeur et travail) qui garantit à des
femmes de la région de Souss (sud du Maroc), en cas de divorce ou de décès du mari, de
s'assurer une partie du patrimoine de ce dernier équivalente à sa participation matérielle
au sein du foyer conjugal.
En réalité, le code de la famille réserve le droit de partage des biens aux époux qui
travaillent, car ceux-ci sont capables de fournir des pièces justifiant de leur participation.
Mais qu'en est-il de la femme au foyer qui n'exerce aucune activité professionnelle ?
Le droit marocain ne reconnaît pas le travail domestique et ne le considère pas
comme une véritable fonction. en ressort que, durant la vie du couple, la femme qui
contribue plus à l'organisation du foyer et à l'éducation des enfants ainsi qu’au suivi de
leur scolarité pourrait se retrouver, en cas de divorce, exclut de la propriété des biens
acquis par son mari pendant le mariage. Ainsi, il a été décidé dans arrêt du 8 avril 1991
que la contribution régulière de l'épouse aux charges du ménage n'est pas un élément
suffisant lui permettant de réclamer une partie des biens acquis par le mari.

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d) La moins-value personnelle
De ce qui précède, on constate une pénétration des idées communautaires dans
un régime matrimonial marocain séparatiste par nature. Des époux séparés de biens
sont susceptibles de se constituer un actif commun par voie contractuelle ou par un
jugement de divorce constatant la participation de l'époux dans la fructification du
patrimoine de son conjoint. La question que l'on se pose, et à laquelle le code de la famille
n'apporte pas de réponse, est de savoir si l'on peut parler d'un passif commun. Dans ce
silence, il appartient à la convention des époux de prévoir la solution qui leur convient le
mieux.
En principe, les dettes consenties par un seul conjoint dans son propre intérêt
n’obligent que ce dernier. Dès lors, il appartient à l'époux qui demande à l’encontre des
créanciers de son conjoint la distraction des objets saisis par eux, de faire la preuve de la
propriété de ces biens. Ce principe a été consacré expressément dans un arrêt de la Cour
d'appel de Rabat du 16 février 196214. En l'espèce, le juge avait précisé que l’épouse qui
revendiquait des biens saisis par le Trésor public à l’encontre de son mari, devait
seulement rapporter la preuve que ces biens étaient effectivement sa propriété15 sans
pouvoir se contenter de l’énonciation de son contrat de mariage qui ne constituait qu'une
simple présomption de séparation des biens.
Cette règle peut être tempérée si les époux incluent dans leur contrat de mariage
une clause prévoyant que les biens acquis pendant leur union seront réputés appartenir
à la communauté en cas de divorce. Dans ce cas précis, l'actif commun doit supporter le
passif réalisé par les époux ou par l'un d'entre eux au profit de la communauté
conjugale. Les deux époux seront donc solidaires de la dette.

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II. LES LIBERALITES :
1. CHAPITRE I : LA DONATION :
L'article 273 du Code des droits réels définit la donation comme étant
l'appropriation d'immeuble ou de droit réel au profit du donataire du vivant du donateur
sans contrepartie. La donation est la transmission d'un bien à titre gracieux.
Trois points paraissent essentiels dans l'étude de la donation hiba : d'abord, ses
conditions de validité (I), ensuite, les transferts interdits dont elle peut être porteuse (II) et
enfin, sa révocation (III).
A. LA VALIDITÉ DE LA DONATION :
Les conditions de fond de la donation ont essentiellement trait à la capacité - de
donner et de recevoir - (i) au consentement l'offre et à l'objet de la donation (2).
a) La capacité :
L’exigence de capacité concerne aussi bien le donateur que le donataire. La
capacité du donateur : toute personne ayant la capacité de disposer à titre gratuit peut,
en principe, valablement faire une donation.
La capacité du donataire : Toute personne ayant la capacité de jouissance a la
capacité de recevoir par donation (art 276). Dans le rite malékite, la donation peut être
valablement faite à l'enfant conçu et à la personne future mais aussi à une personne
indéterminée.
Est frappé d'incapacité les mineurs et les majeurs incapables, l’incapacité s’étende
aussi à leur représentant Aussi les personnes pendant leur dernière maladie. La
donation faite au profit d'un étranger est considérée comme un legs et doit être limitée au
tiers de l'actif successoral.
Le donataire peut être héritier du donateur. Il n'y a donc pas d'incompatibilité
entre la qualité d'héritier et celle de donataire comme en matière de legs. Aussi, la
disparité de culte entre le donateur et le donataire ne constitue pas un empêchement en
matière de donation
b) Le consentement :
Le transfert de propriété s’effectue solo consensu. Mais, une mise en possession
du donateur est nécessaire pour que la donation soit opposable aux tiers.
Le transfert solo consensu : la donation est valable entre les parties par le seul
consentement du donateur (CDR, art 274 al. 1er). Elle nécessite donc la rencontre de
deux volontés. L’acceptation devra intervenir du vivant du donateur. Ainsi, si le donateur
décède avant que le donataire n'ait accepté le bien donné, l'offre de donation est annulée
(CDR, art 279). Il en est de même s’il s’agit d’un bien immatriculé, il ne sera tenu compte
que de la date d’enregistrement du certificat d’hérédité du donateur. La donation est
également nulle en cas de décès du donataire avant l’acceptation de la donation ; les
héritiers du donataire ne disposeraient d’aucun droit (CDR, art 279).
L’opposabilité au tiers : pour faire valoir ses droits sur le bien, le donataire doit
rapporter la preuve de sa possession. Pour ce faire, des conditions sont exigées :

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Pour les immeubles non immatriculés, l'entrée en possession du donataire doit
être constatée par deux témoins dans l'acte de donation, par un lafîfe, par des adouls ou
par un notaire. Pour l’immeuble habitable, l’acte constatant la possession doit, en plus,
préciser que le donateur a remis au donataire les clés et tous les documents lui assurant
la libre jouissance du bien. Toutefois, si le donateur a réintégré l’immeuble et que son
décès y est survenu, la donation devient caduque.
Pour les immeubles immatriculés, la possession matérielle ne suffit pas à elle
seule.
Il faut en plus une inscription sur les livres fonciers de la mutation au nom du
donataire (CDR, art. 274 al. 2).
B. LES DONATIONS PROSCRITES :
En tant qu'acte juridique, la donation exige pour sa validité aussi bien la capacité
que le pouvoir du donateur. Autrement-dit, le donateur doit avoir la pleine capacité
juridique et être le propriétaire de la chose donnée. De plus, aucune donation ne peut
être faite par un endetté. Cette règle vise essentiellement à faire échec aux donations
déguisées (1) et à celles effectuées lors de la dernière maladie (2).
a) Les donations déguisées :
La donation déguisée se définit comme un acte gratuit camouflé derrière un acte à
titre onéreux. C’est une technique que l’on rencontre souvent en matière de succession,
puisqu’elle est utilisée dans l’objectif de porter atteinte à l’équilibre successoral.
En effet, pour certains musulmans, la donation déguisée est un moyen
d’infléchissement des règles rigides du droit successoral islamique. Le recours à ces
donations déguisées se justifie aussi par l’impossibilité de recourir à la pratique du
testament, car, en droit successoral marocain, il est interdit de léguer à qui que ce soit
plus du tiers de ses richesses sans le consentement des héritiers.
Dans certains cas, la donation déguisée est utilisée afin d’échapper au règlement
d’une créance. Dès lors, selon l'article 278 du Code des droits réels, il n'est pas permis à
l’endetté de procéder à une donation de nature à l'empêcher de payer sa dette.
S’agissant de la preuve d’une donation déguisée. Celle-ci peut être administrée par
tous moyens. Elle peut résulter soit d’une déclaration faite à des témoins de façon
formelle ou devant des témoins présents accidentellement, par l’acquéreur ou le vendeur
au moment de la conclusion de la vente.
b) Les donations de dernière maladie :
Selon les dispositions du premier alinéa de l’article 280 du code des droits réels, la
donation faite en cas de maladie grave précédant le décès est régie par les dispositions
relatives au testament
En effet, la donation lors de la dernière maladie reste un acte nul. L’état de santé
du donateur n’a jamais été la condition principale de la nullité de l’acte de donation ; c’est
l’intention libérale qui est mise en cause et qui explique que l’acte soit sans portée même
si les facultés mentales du donateur ne sont pas altérées et qu’il reste conscient de la
portée de son acte.

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La preuve de la maladie peut être faite par tous moyens, et notamment par
témoignage. Cependant, l’importance que réserve le droit musulman au témoignage
recèle parfois des contradictions et met même en doute, voire en échec les expertises
médicales et scientifiques modernes. Ainsi, dans une affaire, la Cour d’appel ainsi que la
Cour suprême avaient rejeté une demande en annulation d’une donation en faisant foi
au contenu d’un lafif attestant que le donateur était en parfaite santé malgré
l’établissement par les héritiers des certificats médicaux attestant cette maladie (C. supr.
23 nov. 1999, arrêt n° 5313).
Par ailleurs, le droit musulman a toujours refusé de fixer un délai entre la maladie,
l’acte critiqué et le décès. La durée est donc laissée à l’appréciation souveraine du juge.
C. LA RÉVOCATION DE LA DONATION :
La révocation a pour but de récupérer le bien donné. Nous allons traiter les cas
dans laquelle est possible (1) et interdite (2).
a) La révocation possible :
Selon l'article 283 du Code des droits réels les parents bénéficient de droit de
révocation, sans devoir se justifier et ce, que leur enfant soit mineur ou majeur, afin de
récupérer le bien -objet de donation- donné à leurs enfants.
La révocation de la donation est encore possible dans le cas où le donateur ne peut
subvenir à ses besoins ou à ceux à sa charge.
Le donateur doit apporter la preuve de ses difficultés financières sont postérieures
à l’acte de donation.
Toutefois, le donateur ne peut révoquer sa donation sauf si elle a été constatée et
mentionnée dans l’acte de donation et acceptée par le donataire.
b) La révocation interdite :
L’article 285 du Code des droits réels prévoit huit cas dans laquelle la révocation
est impossible :
1. Si la donation a été consentie par l’un des époux au profit de l’autre tant que le
lien conjugal persiste ;
2. En cas de décès du donataire ou du donateur avant la révocation ;
3. En cas de maladie grave faisant craindre le décès du donateur ou du donataire.
En cas de guérison, le droit à la révocation est rétabli ;
4. En cas de mariage du donataire après établissement de l’acte de donation ou à
cause d’elle ;
5. En cas d’aliénation par le donataire du bien donné en totalité. Si l’aliénation ne
concerne qu’une partie du bien, le donateur peut révoquer la donation pour le reste ;
6. Si le donataire a engagé un partenariat financier avec autrui sur la base de la
donation;
7. Si le donataire entreprend des modifications dans l’immeuble induisant
une plus-value importante ;

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En cas de destruction partielle du bien, objet de la donation entre les mains du
donataire, la révocation peut s’opérer sur le reste
2. CHAPITRE II LE TESTAMENT :
Le testament est l'acte par lequel son auteur constitue, dans le tiers de ses biens,
un droit exigible à son décès (C. fam. art. 277 et s.). Deux éléments seront traités : les
conditions (I) et l'exécution (II) du testament.
A. LES CONDITIONS DU TESTAMENT :
Comme tout acte juridique, des conditions de forme (J) et de fond doivent
nécessairement être réunies (2
a) Les conditions de forme :
 La forme du testament :
Le testament n’est soumis à aucune forme particulière. Il « est conclu au moyen de
toute expression ou écrit ou au moyen de tout signe non équivoque, dans le cas où le
testateur est dans l'impossibilité de s'exprimer verbalement ou par écrit» (C. fam., art.
295). Seulement, pour être valide, «le testament doit faire l'objet d'un acte constaté par les
adouls, ou par toute autorité officielle habilitée à dresser des actes, ou par un acte
manuscrit du testateur et signé par lui » (C. fam., art, 296 al. 1er).
Si, par suite d’une nécessité impérieuse rendant impossible de constater l’acte du
testament ou de l’écrire, ce testament est recevable lorsqu’il est fait verbalement devant
les témoins présents sur les lieux, à condition que l’enquête et l’instruction ne révèlent
aucun motif de doute à l’encontre de leur témoignage, et que celui-ci fasse l’objet d’une
déposition le jour où elle peut être faite devant le juge, qui autorise de l’instrumenter et
en avise immédiatement les héritiers (C. fam., art. 296 in fine).
 L'offre et l'acceptation :
L’acte de testament est constitué par l’offre du testateur et l’acceptation du
légataire. Le testament fait en faveur d’un légataire non déterminé n’a pas besoin d’être
accepté et ne peut être refusé par quiconque. Le testament fait en faveur d’un légataire
déterminé peut être refusé par ce dernier, s'il a pleine capacité. La faculté de refuser est
transmise aux héritiers du bénéficiaire décédé.
Le refus du légataire ne sera pris en considération qu’après le décès du testateur.
Le testament peut être refusé ou accepté partiellement. Cette faculté peut être exercée
par une partie des légataires. L’annulation du testament ne porte que sur la partie
refusée et ne produit ses effets qu’à l’égard de l'auteur du refus.
Pour être valable, le testament ne doit pas comporter de stipulations
contradictoires, ambiguës ou illicites (C. fam., art 278). Toutefois, le testament peut être
subordonné à la réalisation d’une condition. Il en est ainsi lorsqu’il présente un avantage
pour le testateur, ou pour le légataire ou pour des tiers et non contraire aux objectifs
légaux..1

[11]
Droit Patrimonial et Droit Extrapatrimonial 2021
b) Les conditions de fond :
 Conditions relatives au testeur et au légataire :
Le testateur doit être majeur. Le testament fait par le dément durant un moment
de lucidité, le prodigue et le faible d’esprit est aussi valable (C. fam., art 279).
Du côté du légataire, le testament ne peut être fait en faveur d’un héritier sauf
permission des autres héritiers. Toutefois, cela n’empêche pas d’en dresser acte.
Le testament fait au profit d’un légataire qui peut légalement devenir propriétaire,
de manière réelle ou virtuelle, de l'objet légué est valable. Il en est le cas aussi pour le
testament fait en faveur d’un légataire existant au moment de l’acte ou dont l’existence
est à venir.
Selon l’article 283 du Code la famille, le légataire doit remplir les conditions
suivantes :
1. ne pas avoir la qualité d’héritier au moment du décès du testateur ;
2. ne pas avoir tué volontairement le testateur, à moins que celui-ci, avant sa
mort, n’ait testé de nouveau en sa faveur.
 Conditions relatives à l'objet du testament :
L'objet du legs doit être susceptible d’appropriation (art 292). Il peut être un bien
réel ou un usufruit, pour une durée déterminée, ou de manière perpétuelle. Les frais de
son entretien sont à la charge de l'usufruitier.
Si le testateur a procédé à un ajout à l’objet déterminé d’un legs, cet ajout
s'incorpore au legs, s’il est de ceux qui sont ordinairement considérés comme
négligeables ou s’il est établi que le testateur a eu l’intention de l’annexer à l’objet légué,
ou si ce qui a été ajouté ne peut constituer par lui-même un bien indépendant. Si l’ajout
est un bien indépendant, celui qui y aurait droit concourt avec le légataire pour
l’ensemble, en proportion égale à la valeur du bien ajouté.
Lorsqu’un objet déterminé est légué successivement à deux personnes, le
deuxième testament annule le premier.
B. IL L'EXÉCUTION DU TESTAMENT :
L'exécution du testament nécessite son étude au niveau du legs (1), le légataire [2]
et enfin son annulation (5).
a) Le legs :
Le testament ne peut être exécuté sur une succession dont le passif est supérieur
à l’actif, à moins que le créancier jouissant de sa pleine capacité n’y consente, ou qu’il y
ait extinction de la créance.
Lorsque le legs est égal à la part revenant à un héritier non déterminé, le légataire
a droit à une part calculée en considération du nombre des successibles, mais ne peut
prétendre à plus du tiers (le tiers est calculé sur la masse successorale, déterminée après
déduction des droits grevant celle-ci, lesquels sont prélevés avant le legs), sauf
permission des héritiers majeurs.

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Droit Patrimonial et Droit Extrapatrimonial 2021
Si les héritiers ont, soit après la mort du testateur, soit pendant sa dernière
maladie, ratifié le testament fait au profit d’un héritier ou le testament portant sur plus
du tiers de la succession ou si le testateur avait demandé préalablement leur
autorisation à cet effet et qu’ils l’aient donné, ceux parmi eux jouissant de la pleine
capacité, se trouvent, de ce fait, engagés.
b) Le légataire :
Lorsqu’une personne décède après avoir fait un legs en faveur d’un enfant à naître,
ses héritiers ont l’usufruit de la chose léguée jusqu’à ce que l’enfant naisse vivant, il
recueille alors le legs. Toutefois, lorsqu’un bien est légué au profit d'un enfant à naître
d'une tierce personne qui décède, sans laisser d’enfant né ou à naître, ce bien revient à la
succession du testateur. En revanche, le légataire qui décède après être né vivant a droit
au legs. Ce dernier fait partie de la succession de ce légataire qui est considéré comme
ayant vécu au moment de la dévolution héréditaire.
Le legs constitué pour l’amour de Dieu et en faveur d’œuvres de bienfaisance, sans
indication précise de sa destination, doit être employé au profit d'œuvres caritatives. Une
institution spécialisée, dans la mesure du possible, peut être chargée de l’emploi du legs.
Dans le même sens, le legs effectué en faveur des édifices de culte, des institutions de
bienfaisance, des institutions scientifiques et de tout service public, doit être employé
dans leur édification, et au profit de leurs œuvres, des indigentes bénéficiaires et toute
autres actions relevant de leur objet.
c) La fin du testament :
Le testateur a le droit de revenir sur son testament et de l’annuler, même s’il
s’engage à ne pas le révoquer. Il peut selon sa volonté et à tout moment, qu’il soit en
bonne santé ou malade, y insérer des conditions, instituer un co-légataire ou annuler
partiellement le testament.
La révocation du testament peut avoir lieu soit par une déclaration expresse ou
tacite soit par un fait tel que la vente de l’objet légué.
Le testament peut être annulé par :
1-la mort du légataire avant le testateur ;
2-La perte de la chose déterminée ayant fait l’objet d’un legs, avant le décès du
testateur ;
3-La révocation du testament par le testateur ;
4-Le refus du legs, après le décès du testateur, par le légataire majeur.

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Droit Patrimonial et Droit Extrapatrimonial 2021
III. LES SUCCESSIONS
1. CHAPITRE UNIQUE. LA LIQUIDATION ET LES PRÉTENDANTS À
LA SUCCESSION :
D'après le Code de la famille, « l'héritage est la transmission d'un droit à la mort de
son titulaire, après liquidation de la succession, à la personne qui y prétend
légalement...» (C. fam., art. 323). Deux éléments essentiels découlent de cette disposition :
la liquidation de la succession (I) et l'identification des prétendants légaux à la succession
(II).
A. LA LIQUIDATION DE LA SUCCESSION :
Le principe en droit successoral marocain est que la succession doit être apurée
avant tout partage. Les héritiers ne sont donc pas tenus personnellement des dettes de la
succession. Celles-ci sont apurées avant tout partage (§. 1). Les héritiers ne reçoivent
donc que le reliquat, ce qui apparente la succession en droit musulman à une
acceptation à concurrence de l'actif net ($. 2).
a) La liquidation des droits grevant la succession :
Le législateur distingue plusieurs droits qui doivent être déduits de la succession.
Il les a classés par ordre de priorité :
- les droits réels grevant les biens du de cujus (C. fam. art. 322 -1). Il s'agit
notamment des droits hypothécaires.
- Les frais funéraires occupent le deuxième rang dans les droits à prélever en
priorité. Ils correspondent aux dépenses de toilette du cadavre, de transport,
d'ensevelissement et de pompes funèbres (C. fam, art 322 -2 ; DOC, art, 1248 2°).
- Les dettes du de cujus (C. fam, art. 322 -3) : Là aussi, certaines créances
sont privilégiées sur d'autres. C'est l'article 1248 du Dahir formant code des obligations
et des contrats qui fixe l'ordre des priorités. Ainsi, se trouvent prélevées en priorité par
rapport à toutes créances chirographaires, mais après les frais funéraires :
2° Les créances des médecins, pharmaciens, garde-malades, pour leurs soins et
fournitures dans les six mois antérieurs au décès ou à l'ouverture de la contribution ;
2°. bis. Les créances résultant de la dot (sadaq) de l'épouse et du don de
consolation (mout'a), évaluées compte tenu du préjudice éventuel subi par l'épouse du
fait d'une répudiation injustifiée, ainsi que celles découlant de la pension alimentaire due
à l'épouse, aux enfants et aux parents ;
3° Les frais de justice, tels que les frais de scellés d'inventaire, de ventes, et autres
indispensables à la conservation et à la réalisation du gage commun ;
4° Les salaires, les indemnités de congé payé, les indemnités dues pour
inobservation du délai-congé ou en raison soit de la résiliation abusive du contrat de
louage de services, soit de la rupture anticipée d'un contrat à durée déterminée des
salariés du défunt ;
5° La créance de la victime d'un accident du travail ou de ses ayants droit relative
aux frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et funéraires, ainsi qu'aux
indemnités allouées à la suite de l'incapacité temporaire de travail ;
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Droit Patrimonial et Droit Extrapatrimonial 2021
6° Les allocations versées aux ouvriers et employés soit par la caisse d'aide sociale
ou par toutes autres institutions assurant le service des allocations familiales à l'égard de
leurs affiliés, soit par les employeurs assurant directement le service de ces allocations à
leur personnel ;
7° Les créances de la caisse d'aide sociale et autres institutions assurant le service
des allocations familiales à l'égard de leurs affiliés, pour les cotisations ou contributions
que ceux-ci sont tenus de verser à ces organismes, ainsi que pour les majorations dont
sont passibles ces cotisations et contributions.
- le testament valable et exécutoire vient en quatrième position, juste avant les
droits des héritiers.
b) L'acceptation de la succession :
Le droit successoral marocain ne prévoit pas d'option successible (Choix de refuser
la succession, de l'accepter dans sa totalité - avec son actif et son passif - ou de l'accepter
à concurrence de l'actif net). La question de l'acceptation ne se pose guère en droit
marocain, puisque « l'héritage est la transmission d'un droit à la mort de son titulaire,
après liquidation de la succession, à la personne qui y prétend légalement... » (C. fam.,
art. 323). Les héritiers sont réputés accepter le reliquat de la succession après
achèvement de l'opération de liquidation. Ils ne se substituent donc pas au de cujus
auprès des créanciers.
Selon la rédaction de l'article 375 du Code de la famille, il appartient aux héritiers
de choisir parmi eux celui qui s'occupera de la tâche de liquider la succession ; ils
peuvent également opter pour la désignation d'un tiers.
Dès sa nomination, le liquidateur doit procéder à l'inventaire de tous les biens par
l'intermédiaire de deux adouls. Il accomplit également un travail d'investigation pour
recenser toutes les créances ou les dettes afférentes à la succession. Les héritiers doivent
l'aider dans cette mission en lui rapportant l'ensemble des informations à leur disposition
concernant le passif et l'actif du patrimoine du de cujus (C. fam., art. 377 al. 2). Ils leur
incombent également de ne pas prendre en main la gestion des biens successoraux
avant la liquidation ; de ne pas percevoir les créances ou payer les dettes de la succession
sans l'autorisation du liquidateur ou de la justice à défaut de ce dernier (C. fam., art.
376). Les héritiers qui contreviennent à cette obligation engage leur responsabilité aussi
bien sur le plan civil que sur le plan pénal, puisque l'article 523 du Code pénal prévoit
une peine d'emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 120 à 1000
dirhams le cohéritier ou le prétendant à une succession qui, frauduleusement, dispose
avant le partage, de tout ou partie de l'héritage.
B. LES PRÉTENDANTS LÉGAUX À LA SUCCESSION :
Les règles en la matière sont très détaillées et d'une grande complexité, ce que l'on
peut vérifier à travers la détermination des prétendants à la succession du de cujus.
Ceux-là sont nombreux et correspondent à des rangs aux droits les plus disparates (ÿ. 1).
Encore faut-il qu'ils soient aptes à succéder [§. 2).

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Droit Patrimonial et Droit Extrapatrimonial 2021
a) L'aptitude des héritiers à la succession :
Inspiré du droit musulman, le Code de la famille pose plusieurs conditions pour
être apte à succéder au de cujus :
La première condition prévoit que le successible doit être vivant au moment de
l'ouverture de la succession. Cela ne veut pas dire qu'un fœtus n'est pas admissible en
tant qu’héritier. L'article 331 du code de la famille précise à cet effet que « le nouveau-né
n'a droit à la succession que lorsqu'il est établi par les premiers vagissements,
l'allaitement ou d'autres indices analogues, qu'il est né vivant ». Dès lors, un nouveau-né
est successible si son corps est extrait vivant même s'il décède avant le terme de
l'accouchement Dans ce dernier cas, sa part dans la succession sera liquidable et
partagée entre ses ayants causes.
La deuxième condition : l'enfant hérite de son auteur s'il naisse moins d'un an
après le décès du de cujus. C'est la filiation établie par al flrache, selon lequel l'enfant
conçu est rattaché au lit conjugal lorsqu'il est né dans les six mois au minimum qui
suivent la date de l'acte du mariage ou si l'enfant est né durant l'année qui suit la date de
la séparation ou du décès du de cujus. Tout enfant né durant ces périodes est apparenté
à l'époux par une présomption légale quasiment irréfragable, puisqu'elle ne peut être
contestée que par le père lui-même, et ce par la voie de liâane (serment d'anathème) ou
par une expertise médicale déterminante pouvant établir l'existence ou non du lien
biologique.
La troisième condition qui a trait, cette fois-ci, au lien de parenté. En effet, à la
différence du droit français qui a consacré la règle de l'unité de la succession conférant
ainsi la qualité de successible aux enfants illégitimes, la loi marocaine ne reconnaît ce
droit qu'aux enfants biologiquement légitimes, excluant de la sorte l'enfant dit ibn haram.
Ce dernier est issu soit d'un rapport hors mariage, soit d'un adultère. L'enfant dans ces
deux cas n'a aucun droit de succession même si le père reconnaît sa paternité.
Toutefois, depuis la réforme de 2004, cette règle a été assouplie. Ainsi est présumé
légitime l’enfant conçu pendant la période des fiançailles à la condition que les fiançailles
aient été connues des deux familles ; que la fiancée soit tombée enceinte pendant la
période des fiançailles et que les fiancés reconnaissent que la grossesse leur est
imputable. Si le fiancé nie être à l’origine de la grossesse, tous les moyens légaux de
preuve sont admis pour établir la filiation à son égard, notamment le recours à l’ADN.
La quatrième condition est relative au lien du sang et du mariage. Il faut
également que les successibles ne soient pas frappés d'une incapacité successorale. La
première a trait à la religion, puisqu'un non-musulman ne peut hériter d'un musulman.
Le droit musulman exige donc que l'héritier et le de cujus soient de la même religion au
moment d'avoir droit à la succession. Le second empêchement à la successibilité est
prévu par le premier alinéa de l'article 333 du Code de la famille qui traite du cas où la
personne tue volontairement son de cujus.
Ces conditions réunies, les héritiers peuvent prétendre à la succession du de
cujus, mais leur rang et leurs droits ne sont pas égaux.

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Droit Patrimonial et Droit Extrapatrimonial 2021
b) Le rang et les droits des héritiers :
.Ce qui est remarquable en droit successoral marocain, c'est la façon dont il a
organisé la dévolution de la succession et surtout l'ordre de chaque successible. Tout
parent, même éloigné, du de cujus peut se prévaloir de la qualité d'héritier à moins qu'il
ne soit évincé par un parent plus proche. Ainsi, l'oncle paternel est évincé par le frère
germain ou consanguin qui, à son tour, sera exclu de la succession si le de cujus a une
descendance mâle. En effet, plus on justifie d'un lien étroit de parenté, plus on est
prioritaire dans l'ordre héréditaire.
Aussi le code de la famille classe-t-il les héritiers en quatre catégories :
Les héritiers exclusivement fardh : les héritiers fardh sont au nombre de six. Il
s'agit de la mère, de l'aïeul (grand-mère maternelle ou paternelle), l'époux, l'épouse, le
frère utérin et la sœur utérine. - V. C. de la famille, art. 337 ;
Les héritiers purement aceb : les héritiers aceb sont au nombre de huit. Il s'agit du
fils, du fils du fils à l'infini, le frère germain, le frère consanguin et le fils de chacun d'eux
à l'infini, l'oncle germain, l'oncle paternel et le fils de chacun d'eux à l'infini. - V. C. de la
famille, art. 338,
Les héritiers à la fois aceb et fardh héritant à ces deux titres et selon les cas:
d'après la rédaction de l'article 339 du Code de la famille, seuls le père et l'aïeul du de
cujus qui peuvent cumuler à la fois le titre de fard et de aceb. Ex. une personne est
décédée à la survivance d'une mère, d'un père et d'une fille. Le partage s'effectuera de la
façon suivante : 1/6 pour la mère en tant que fard, V2 pour la fille en tant que fard, 1/6
pour le père en tant que fard et le reste de la succession en tant que aceb. Résultat : 1/6
pour la mère ; 3/6 pour la fille et 2/6 pour le père
• Les héritiers à titre aceb et fardh séparément, c'est-à-dire sans possibilité de les
cumuler : sont au nombre de quatre : la fille, la fille du fils, la sœur germaine et la sœur
consanguine. Le fardh est un réservataire qui dispose d'une quote-part déterminée à
l'avance sur l'actif successoral. Elle varie du l/8e, pour l'épouse dans l'absence d'une
descendance, au 2/3 pour les deux filles n'ayant pas de frère germain ou consanguin. Le
reliquat est attribué à Y aceb (agnat). Celui-ci hérite de l'ensemble de la succession ou de
ce qu'il en reste après l'affectation des parts dues aux héritiers à fardh.

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