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LES VOIES D’ENRICHISSEMENT DU LEXIQUE FRANCAIS.

LA FORMATION DES LOCUTIONS PHRASÉOLOGIQUES

1. La définition de la phraséologie, le problème des groupements de mots libres et


stables.

Le mot « phraséologie » a un double sens. Au large sens du mot la phraséologie c’ est l’


aspect particulier de la lexicologie ou même une branche indépendante de la linguistique
qui a pour but d’ étudier les groupements stables (locutions phraséologiques). Au sens
étroit du mot la phraséologie de Balzac ou d’ Aragon, par exemple, c’est l’ ensemble de
locutions phraséologiques dont se servent ces écrivains. C’est sous son premier aspect que
la phraséologie nous intéresse. La grande question qui se pose concerne la nature des
groupements libres et des groupements stables (locutions phraséologiques), leurs traits
particuliers, leurs limites. Les groupements libres qui se constituent au moment de la
parole tels qu’un bon livre, un mauvais livre, un bon camarade, un mauvais camarade,
la maison de mon père, le crayon de mon frère, etc. sont du ressort de la grammaire (de la
syntaxe). La phraséologie s’ occupe des groupements stables (locutions phraséologiques)
qui ne se créent pas au moment de la parole, mais y sont reproduit en tant qu’ unités toutes
faites, unités lexicales.

La phraséologie a pour but de définir les groupements stables (locutions phraséologiques),


de les classer, d’établir les causes de leur apparition dans la langue, leurs traits
caractéristiques. Il n’ existe pas de limites strictes entre les groupements libres et stables.
Ces limites ont un caractère mobile. Les groupements stables font souvent leur apparition
dans la langue à la suite de la lexicalisation des groupements libres, c’ est-à-dire à la suite
de leur passage aux unités lexicales. Tel est le cas des locutions laver la tête à qn, prendre
le taureau par les cornes, mettre les bâtons dansles roues et d’une quantité d’ autres.
Dans les cas cités ci-dessus on est en préssence des groupements homonymes (libres et
stables). On peut laver la tête à son fils au sens propre de ce mot (groupement libre) et on
peut également lui laver tête pour sa mauvaise conduite (groupement stable). Un homme
courageux peut prendre le taureau par les cornes, on peut en réalité mettre les bâtons
dans les roues . Les groupements stables ont donc commencé leur existence par être libres
et ont fini par devenir des unités toutes faites grâce à leur constant emploi métaphorique.
Ainsi, tous les deux (les groupements libres et stables) sont intimement liés, ce qui est une
preuve éclatante des rapports étroits de la lexicologie et de la grammaire. Grâce à leur
fréquent emploi métaphorique les groupements aurefois libres se transforment en
groupements phraséologiquement liés, en locutions phraséologiques qui présentent une
unité d’image et de sens.
A l’ encontre des mots, les locutions phraséologiques n’ont pas pour caractère la
polysémie. La plupart des locutions phraséologiques sont monosémiques . De même qu’un
mot simple ou composé, les locutions phraséologiques peuvent exprimer une seule notion
et accomplir le rôle d’ un seul terme de la proposition : coup d’ épaule [secours], tout d’
un coup [subitement], mettre fin à qch [en finir].
Vu les tendances analytiques très prononcées du français d’aujourd’ hui, la création des
groupements stables est pour le français moderne une source inépuisable d’enrichissement
de toutes les parties de son vocabulaire. Ainsi la lutte pour la paix a fait naître dans le
monde entier une foule de locutions phraséologiques, purement analytiques, conformes à
la syntaxe de nos jours : colombe de la paix ; partisan de la paix ; combattant pour la
paix ; messager de la paix ; collecter (recueillir) les signatures ; la lutte pour la paix ; le
Conseil mondial de la paix ; les hommes de bonne volonté ; la cause de la paix.
Le début de la seconde guerre mondiale a reçu en France le nom de drôle de guerre, les
guerres colonialistes sont appelées les sales guerres ce qui exprime tout le dégoût des
hommes du monde entier pour les guerres injustes. Ce sont déjà des groupements de mots
stables.
Les locutions phraséologiques se trouvent en abondance en toutes sortes de terminologies
et se créent constamment. Il est intéressant de noter qu’on crée parfois des locutions
phraséologiques sur le modèle du type verbal synthético-analytique de groupements
stables (« verbe + substantif sans article ») : faire surface (en parlant d’ un sous-marin) ;
faire liste commune ; faire bloc ; prendre contact.
L’un des critères principaux, qui permet de définir la nation est la communauté de la
langue. La langue n’est pas la création d’ une classe quelconque, mais le produit de toute
la société. Elle sert de moyen de communication à toutes les classes de la société et
manifeste une sorte d’indifférence à l’égard des classes. Mais les classes, les différents
groupes sociaux tâchent souvent d’ utiliser le lexique de la langue dans leurs propres
intérêts en créant des termes particuliers, des expressions particulières, en prêtant une
valeur spéciale aux mots déjà existants.
En France le jargon des précieuses, créé au XVII e siècle dans le salon de la marquise de
Rambouillet présente un jargon de classe par excellence. On y trouve un choix de mots
tout particulier, un certain nombre d’ expressions qui se distinguent par leur soi-disant
raffinement : les dents – l’ ameublement de la bouche, l’ ongle – le plaisir innocent de la
chair, les joues – le tronc de la pudeur, les pieds – les chers souffrants, le miroir – le
conseiller des grâces, le fauteuil – les commodités de la conversation, la chemise – la
campagne perpétuelle des morts et des vivants.

2. La classification des locutions phraséologiques.


Les locutions phraséologiques sont des unités lexicales qui par leur fonctionnement se
rapprochent souvent des mots ce qui permet d'envisager leur création à côté de la
formation des mots.

La phraséologie étudie des structure de mots particuliers. En se combinant dans la parole,


les mots forment deux types d'agencements différents. Ce sont, des groupements de mots
individuels, instables ; les liens entre les composants de ces groupements se rompent
après leur formation. Ces groupements de mots se forment au moment même du discours
et dépendent exclusivement de l'idée que le locuteur tient à exprimer. Ce sont des
groupements tels que un travail manuel, un travail intellectuel, une bonne action, une
mauvaise action. D'autre part, ce sont des agencements dont les mots-composants ont
perdu leur liberté d'emploi et forment une locution stable. Ces locutions expriment
souvent une seule idée, et n'ont un sens que dans leur unité. Les locutions stables sont
reproduites dans le discours, étant formées d'avance.

Les locutions phraséologiques, diffèrent par le degré de leur stabilité et de leur cohésion.
Ch. Bally distingue deux types essentiels de locutions phraséologiques : il nomme unités
celles dont la cohésion est absolue et celles dont la cohésion n'est que relative.

Vinogradov distingue les locutions phraséologiques suivantes : les unités


indécomposables, les unités phraséologiques et les combinaisons phraséologiques. Les
deux premiers types de locutions constituent un groupe synthétique, le dernier type
représente un groupe analytique. Vinogradov porte son attention sur les particularités
d’ordre structurale et grammaticale des locutions phraséologiques.

La locution phraséologique est un phénomène complexe qui se prête à une étude


multilatérale. De là les difficultés se présentent dans la classification des locutions
phraséologiques qui pourraient être groupées à partir de principes divers reflétant leurs
nombreuses caractéristiques (degré de stabilitée, de fusion sémantique structure).

1. d'après le degré de la motivation on distingue

- les locutions immotivées («avoir pas froid aux yeux — «avoir de l'énergie, du courage»),

- sémantiquement motivées (rire du bout des lèvres — «sans en avoir envie»)

- les locutions à sens littéral {livrer une bataille, se rompre le cou).

2. D'après leurs fonctions communicatives on pourrait dégager

- les locutions à valeur intellectuelle (salle à manger, le bon sens, au bout du compté),

- à valeur logico-émotionnelle (droit comme une faucille — «tordu», ses cheveux frisent
comme des chandelles — « elle a des cheveux plats»),
- à valeur affective (Flûte alors ! — qui marque le dépit.)

3. Le fonctionnement syntaxique distinct des locutions phraséologiques permet de les


qualifier

- d'équivalents de mots (pomme de terre, tout de suite, sans cesse),

- de groupements de mots (courir un danger, embarras de richesse),

- d'équivalents de phrases (c 'est une autre paire de manches ; qui dort dîne; qui trop
embrasse mal étreint, prov.)

Les locutions phraséologiques pourraient être classées à partir d'autres principes dont la
structure grammaticale, l'appartenance à un style fonctionnel. Toutefois le principe
sémantique, paraît être un des plus fructueux. Il permet de répartir les locutions
phraséologiques en plusieurs groupes qui se retrouvent dans des langues différentes.

3. Les combinaisons phraséologiques.

Elles sont caractérisées par la cohésion (єдність) des composants relativement faibles. Les
composants conservent leur indépendance et s’isolent facilement par leur sens. Elles se
rapprochent des agencements des mots libres par leur individualité, mais elles s’en
distinguent par le fait que les mots composants restent limités dans leur emploi. Souvent
un des composants est pris dans un sens lié tandis que l’autre s’emploie librement en
dehors de cette locution.

Ex. désirer ardemment

les adverbes ne sont pas interchangeables

aimer éperdument

Certaines combinaisons phraséologiques sont le résultat de l’emploi restreint des mots


monosémiques.

Ex. des jours ouvrables

le nez aquilin (кирпатий ніс (орлиний))

chercher noise (придиратися, шукати неприємностей)

rester coi (мовчати)


La plupart des combinaisons phraséologiques sont créées à la base de l’emploi imagé d’un
des composants :

Ex. sauter sur l’occasion

Parfois on peut substituer un des termes:

être noyé de dettes = être cousu de dettes

être criblé de dettes

Les combinaisons phraséologiques sont caractérisées par l’autonomie syntaxique de leurs


composants, les rapports syntaxiques entre ces composants étant conformes
(соответствуют) aux normes du français moderne.

La variabilité des phraséologismes est une particularité du français. Les combinaisons


phraséologiques ne sont point des équivalents des mots. C’est pourquoi elles n’entrent pas
dans le vocabulaire comme des unités lexicales.

4. Les idiomes.

On appelle idiomes les locutions phraséologiques dont le sens global est indépendant
des éléments constitutifs.

Contrairement aux combinaisons phraséologiques les idiomes présentent un tout


indivisible dont les éléments ont perdu leur autonomie sémantique. On peut dire que
leur sens est intraduisible directement en d'autres langues. P. ex.:

faire la grasse matinée (« dormir ou rester tard au lit le matin »).

être dans la lune (« être distrait, rêver »),

faire peau neuve (« changer de manière d'être »).

donner sa langue au chat (« ne pas connaître une réponse et la demander »),

l'échapper belle (« échapper de peu à un danger sérieux »).

à son corps défendant (« à regret »).

la bête noire de qn (« personne ou chose que qn déteste, qu'il ne peut supporter »), etc.

Comme on a déjà dit, l'unité de sens est tellement nette qu'elle s'appuie souvent sur une
particularité syntaxique telle que l'omission de l'article devant le nom:
à bon chat bon rat,

prendre part à,

demander grâce, faire bonne mine à mauvais jeu, etc.

D'après leur fonctionnement syntaxique, elles peuvent être des équivalents de mots et
jouer, par conséquent, le rôle d'un terme de la proposition:

matière grise = intelligence,

métal jaune = or,

examen blanc = épreuve,

héros de roman = homme qui n'a pas le sens de la vie réelle,

esprit ombrageux = soupçonneux,

faire grand cas de qch = apprécier,

faire sentinelle = guetter,

se prendre le bec = se disputer, etc.

« Pendant les soldes, Kathy et Juliette voulaient toutes les deux la même robe. Elles se
sont pris le bec » (Les expressions idiomatiques, p. 97).

Elles peuvent être aussi des équivalents d'une proposition dont les éléments conservent
une certaine autonomie syntaxique:

Il n'y a pas de roses sans épines (= « il n'y a point de plaisir sans peine »).

N'avoir pas de sang dans les veines (= « manquer de courage, de fierté »).

Etre dans le noir (= « ne rien comprendre à qch, ne plus s'y retrouver »),

Voir les choses en noir (= « les considérer d'une façon exagérément pessimiste»),

Croire au père Noël (= « se faire des illusions »),

Prendre son courage à deux mains (= << rassembler tout son courage).

L'oiseau s'est envolé (= « disparaître, s'évader »),


Arrête ton char! (= « ça suffit ! »), etc.

D'après le degré de leur motivation on distingue :

- les ensembles et
- les soudures.

5. Les variantes phraséologiques.

Un des traits particuliers de la phraséologie française est la variabilité de ses unités. En


effet, un grand nombre de locutions phraséologiques est sujet à des modifications portant
sur leur structure formelle. Ces modifications ne sont que partielles, elles ne portent
atteinte ni au sens, ni à F image qui en principe restent les mêmes.
Il faut distinguer entre les variantes et les synonymes phraséologiques qui parfois prêtent à
confusion Avons-nous variantes ou synonymes dans tirer profit de et tirer parti de. ou
dans ne pas remuer son petit doigt et ne pas bouger son petit doigt ?
Il y a synonymie si les distinctions formelles sont accompagnées d'une modification
sémantique, dans le cas contraire nous avons variantes. C'est pourquoi il faudrait qualifier
de variantes ne pas remuer (bouger) du petit doigt et de synonymes tirer profil de et tirer
parti de.
Quant aux modulations stylistiques, elles ne détruisent pas l'intégrité des locutions
phraséologiques (se mettre [se foutre] en colère).
Les variations affectent parfois la structure grammaticale des locutions phraséologiques :
on dira également jouer des mâchoires si jouet-dé la mâchoire, écorcher une anguille
(ou ! 'anguille) par la queue, mettre dam la (sur la, en) balance.
Très souvent c'est la composition lexicale qui varie. L'envergure sémantique du composant
variable est très large. Ce peuvent être aussi bien des synonymes (abandonner / quitter la
partie : saper les ba:;es /les fondements de... ; jeter des perles aux cochons /aux
pourceaux : face / visage de carême) que des vocables à valeur sémantique éloignée (met-
tre/réduire à la besace ; couper/manger son blé en herbe : faire flèche/ feu de tout bois :
parler à un sourd/à un mur, aux rochers). Toutefois le plus souvent ce sont des vocables à
sens plus ou moins voisin parmi lesquels : - des dénominations d'animaux (brider son
cheval / son âne par la queue ; ne pas se trouver dans le pas d'un cheval /d'un âne, d'un
mulet) ; donner sa langue au(x) chat(s) /aux chiens ; un froid de loup/de canard) : - des
parties du corps (avoir un chat dans la gorge /le gosier ; jeter qch à la figure /à ta face, au
nez de qn ; se tordre les mains /les bras, les doigts : river une chaîne au cou / au bras, aux
pieds de qqn).
Parfois c'est le changement de l'ordre respectif des mots-composants qui crée des variantes
: mettre du noir sur blanc et mettre du blanc sur noir.
Les variantes peuvent être aussi une conséquence de la coexistence de la locution
phraséologique pleine et elliptique (sortir blanc [comme neige] : manger son bien [par les
deux bouts} : boire le calice [jusqu 'à la lie} ; se laisser tondre [la laine sur le dos}).
Les variantes phraséologiques sont particulièrement fréquentes parmi les combinaisons (le
fardeau [le poids] des années : lier \nouer\ amitié avec qn ; brûler [bouillir, griller]
d'impatience). les ensembles phraséologiques (garder, observer, sauver) les décors :
contes (histoires) à dormir debout) : elles sont rares parmi les locutions soudées la bailler
bonne (belle) - « se moquer de ».
Le vocabulaire du français d'aujourd'hui abonde en locutions phraséologiques. Cette
richesse de la phraséologie confère à la langue française un aspect expressif et imagé et
minimise les affirmations de certains linguistes qui. se référant aux phénomènes de la
formation des mots, insistent sur son caractère foncièrement abstrait.

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