Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Rappel : L’Egypte actuelle, comme à l’époque des pharaons, est un pays désertique qui ne dispose que d’une
seule source d’approvisionnement en eau, le Nil. Cela explique le rôle central que jouait ce fleuve et le rôle qu’il
joue encore (tensions entre l’Egypte et les pays amont sur l’utilisation des eaux du Nil). Longtemps, la crue du Nil a
été interprétée comme un « don de Hâpy » : en effet, la crue qui s’observe en Egypte (située en aval) survient en
plein été, à un moment de l’année où il ne pleut pas dans cette région. Ce phénomène s’explique par les pluies
importantes de printemps dans la partie amont du Nil bleu, dont les Égyptiens ne connaissaient pas l’existence. Ils
voyaient donc arriver de l’eau en plein désert, chaque année, et pensaient que c’était une opération divine…
D’autant plus qu’en se retirant, le Nil laissait un engrais naturel : le limon. Depuis la construction du barrage
d’Assouan dans les années 1960, ce rythme n’existe plus.
« Si l’on réduit les pains d’offrande des dieux, des millions d’hommes sont perdus ! »
Ä Les conséquences d’un manque d’eau sont toujours les mêmes : « des millions d’hommes sont
perdus ». L’eau reste une ressource essentielle que l’on ne sait toujours pas fabriquer. Mais on sait aujourd’hui
que ce n’est pas la réduction des « pains d’offrande » (c’est à dire de cesser de faire des cadeaux aux dieux)
qui peut être la cause de sa disparition…
Ö Enjeu actuel : On sait aujourd’hui que l’eau n’est pas un « cadeau divin », c’est une ressource dont la quantité est
définie sur la planète, et dont la répartition dépend d’une organisation systémique : le cycle de l’eau. Le
problème n’est donc plus de faire apparaître l’eau par des prières, comme croyaient le faire toutes les civilisations
anciennes, mais d’en contrôler la gestion, c’est à dire gérer les flux, pour éviter de déséquilibrer le système.
Cet impératif est d’autant plus important que la croissance de la population et des activités augmente la pression sur
les ressources.
Ressource renouvelée mais limitée et inégalement répartie à l’échelle mondiale, l’eau constitue t-elle un enjeu
propice à la mise en place d’une gouvernance mondiale ou au développement de nouvelles formes de conflits ?
Après avoir établit la nécessité de préserver la ressource par l’évaluation de sa disponibilité, il faut envisager l’eau
comme un enjeu géopolitique majeur et original.
3
Le volume d’eau sur la terre est constant : il est d’environ 1,4 milliards de km . Cette abondance, s’observe par
le fait que les océans couvrent 71% de la surface de la planète. Mais cette eau est salée, et donc quasiment
inutilisable, sauf à mettre en œuvre d’importantes ressources d’énergie.
Les ressources en eau douce, qui ne représentent que 2,5% du total, sont majoritairement stockées sous forme
de glace en montagne et aux deux pôles. Elles sont donc difficilement exploitables. L’eau souterraine est elle
aussi en majorité difficilement exploitable et la partie exploitable se résume aux nappes phréatiques et à l’eau
libre de surface, c’est à dire l’eau dite « superficielle » qui ne représente qu’1% du volume total d’eau douce
sur la terre.
3
Alors que l’eau apparaît abondante, l’eau douce disponible représente moins de 200 000 km sur les 1,4 milliards,
3
soit moins de 0,15% de la ressource totale. Sur ces 200 000 km , la quantité maximale effectivement utilisable
3
se situe entre 10 000 et 15 000 km , soit 0,07% du total. Dépasser ce niveau de prélèvement risquerait en effet
de déstabiliser le système.
Loin d’être abondante, l’eau n’est pas pour autant rare, et le volume global, même représentant une faible part de
l’eau disponible, est suffisant. Le problème fondamental est plus posé par sa répartition.
La disponibilité de la ressource en eau varie énormément sur la planète selon des déterminants physiques
et climatiques. On observe globalement que les réserves varient selon un gradient latitudinal et continental :
on peut ainsi opposer les zones tropicales sèches continentales aux côtes occidentales tempérées océaniques.
Mais la ressource varie aussi selon l’altitude (capacités naturelles de stockage en haute montagne) et la nature
du sous-sol (milieux karstiques qui permettent le stockage souterrain). Quelques données permettent de
comprendre ces inégalités :
• Les milieux arides et semi-arides ne reçoivent que 6% des précipitations mondiales et seuls 2% des
écoulements de la planète y sont observés.
• Les bassins hydrographiques des vingt plus grands fleuves concentrent la moitié des flux d’eau douce de
la planète en ne couvrant pourtant que 20% de la surface terrestre.
• Dix pays se partagent à eux seuls les deux tiers de la ressource totale en eau douce.
Cette répartition naturelle n’a de sens que si on la rapproche de la répartition de la population. On constate
alors que le croisement des deux informations renforce les inégalités puisque de fortes densités se retrouvent
dans des régions arides ou semi-arides : Moyen-Orient, Afrique saharienne, Asie centrale et du Sud.
Ö Document 3 – Carte : répartition géographique des ressources en eau disponibles par habitant au début des années
2000
Ä L’observation de la carte montre que si les apports naturels sont déterminants (continent américain bien
pourvu), la densité de population créé les conditions de vulnérabilité (Chine), de stress (Inde) ou de pénurie
(Maghreb, Machreq et Arabie). Il n’y a pas de vulnérabilité dans les déserts peu peuplés : Australie.
Comme pour toutes les ressources, le problème ne réside pas dans la quantité totale disponible mais dans
l’utilisation qui en est faite. L’eau étant peu transportable, les inégalités sont d’autant plus forte que les
variations de la population les accentuent : les régions les plus exposées au stress hydrique et à la pénurie
sont aussi celles qui connaissent une forte croissance de la population :
• L’Asie rassemble ainsi environ 61% de la population mais ne dispose que de 36% des ressources
utilisables. A l’inverse, l’Amérique possède 26% des ressources pour seulement 7% de la population.
3
• 20% de la population mondiale vit avec des disponibilités en eau supérieures à 10 000 m /an/hab. alors
3
que 10% ne dispose que de 1 000 à 2 000 m /an/hab.
Avec la croissance de la population, les tensions sur l’eau vont s’accentuer et certaines régions sont déjà
dans une situation inquiétante : en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, la disponibilité moyenne dépasse
3
difficilement les 1 000 m /an/hab. Au problème des ressources, s’ajoute celui de l’accès à l’eau, qui fait intervenir
la dimension économique.
L’un des éléments essentiels en matière d’eau n’est pas tant le volume de ressource brute par habitant, que la
capacité à mobiliser la ressource au moment et à l’endroit requis. Les conditions naturelles et physiques sont
loin d’être le seul déterminant des conditions d’accès à l’eau d’un pays.
Le lien existant entre le niveau de financement d’infrastructures hydrauliques et la disponibilité effective de
l’eau par habitant est évident. Raisonner en usage mondial de l’eau par habitant permet d’établir que la
disponibilité reste en grande partie l’expression du fossé entre pays riches et pays pauvres. C’est ce que le PNUD
dans son rapport sur le développement humain de 2006 a nommé le « Water gap » ou « fossé hydraulique ».
L'Indice de pauvreté en eau (IPE) est calculé en fonction des ressources en eau, mais aussi de l’accès à l’eau ou
de la protection de l’environnement. Cet IPE met en exergue le fait que les pays qui souffrent le plus d’une
pauvreté en eau sont les pays les plus pauvres. Certains pays ont un IPE très faible (moins de 47 sur 100 qui
indique une « pauvreté critique »), alors que leurs ressources sont importantes : La République centrafricaine
3
dispose ainsi de plus de 15 000 m /an/hab. mais présente un IPE inférieur à 47. Singapour présente l’extrême
inverse et frappe par son exceptionnelle capacité de mobilisation de l’eau en territoire aride. Israël et la Jordanie,
qui disposent d’un niveau de ressources naturelles par habitant proche ne connaissent pas du tout la même
pauvreté en eau (moyenne pour Israël, forte pour la Jordanie)
Ces exemples prouvent que l’essentiel réside dans la capacité de mobilisation des États. Il convient donc de
dresser une cartographie du monde qui dissocie la pénurie physique d’eau de la pénurie économique d’eau,
pour reprendre les termes employés par l’Institut International de Gestion des Ressources en Eau qui a mis au
point la carte suivante :
Si la répartition évolue aux dépens de l’agriculture, les demandes augmentent dans tous les domaines : alors qu’ils
3 3
étaient d’un peu moins de 4 000 km en 2000, on prévoit la croissance des prélèvements à plus de 5 200 km
en 2025. Cette croissance s’explique par :
• Les transformations de l’agriculture : augmentation des surfaces irriguées, développement de
l’élevage (1 300 l d’eau pour un kg de blé mais 15 500 l pour un kg de viande de bœuf). La modernisation
des techniques d’irrigation apparaît donc indispensable.
• Le développement de l’hydroélectricité, et son corollaire, la construction de barrages, explique la
croissance des besoins pour l’industrie car ils représentent la plus grande partie de l’eau consommée
(stockage et évaporation). Le développement des industries polluantes dans les PED, de façon
souvent anarchique pendant le décollage industriel, complète ce tableau.
Le développement des besoins économiques explique la multiplication des conflits d’usage, notamment dans
les zones de contact rural/urbain. Ces conflits d’usage nécessitent une gouvernance qui n’existe souvent pas
GEOPOLITIQUE ECS1 4 MODULE II – Thème 3 – CHAPITRE 8
dans les pays en développement, ce qui explique la dégradation de la situation hydrique. Au problème de la
quantité, s’ajoute aussi le problème de la qualité.
Enfin, la croissance des besoins domestiques ne réduit pas le fossé très important qui sépare les pays nantis
des pays où la population n’a qu’un accès précaire à une eau de mauvaise qualité.
Alors que les grands ouvrages ont été fortement décriés depuis des années, notamment pour des motifs
environnementaux, ce type de solutions reste prôné dans le discours des représentants du secteur privé,
mais aussi plus généralement des membres de la communauté internationale de l’eau. C’est une réponse à
l’urgence dans laquelle se trouve aujourd’hui une partie du monde car elle permet d’augmenter dans des
proportions colossales l’offre d’eau dans des zones où le besoin se fait croissant.
De nombreux projets de transferts massifs d’eau existent à l’échelle du globe, certains étant même très anciens.
Beaucoup sont en sommeil, pour des raisons financières ou des considérations diplomatiques. La plupart
de ces projets consistent à opérer une dérivation des eaux d’un fleuve par la construction d’un canal
(« pipe ») pour alimenter une zone ou augmenter le débit d’un autre fleuve ou le niveau d’une étendue d’eau.
Exemples : Transfert des eaux du Yangzi vers le Huang He, transfert des eaux des fleuves sibériens (Ob) vers
l’Asie centrale, canal pour alimenter la mer Morte depuis la mer Rouge…
Ö Document 8 – Carte : Projets de transfert des eaux de l’Ob vers l’Asie centrale
Ä Le coût de ce projet, imaginé à l’époque soviétique, est estimé à environ 30 milliards de dollars, non débloqués
à l’heure actuelle. Avec l’indépendance des républiques d’Asie centrale, le projet est aussi bloqué par des
différends diplomatiques.
Ö Document 9 – Carte : Projet de « canal de la paix », alimentant la Mer Morte avec les eaux de la Mer Rouge
Ä La Jordanie a lancé les premiers travaux en 2013 mais le projet est ralenti par des difficultés financières et
diplomatiques. Les pays engagés dans le projet (Israël, Jordanie, Autorité palestinienne), et le nom du projet
illustrent la notion d’hydro-diplomatie, terme inventé par le fonctionnaire libanais Fadi Comair qui voit dans le
nécessaire partage de l’eau un moyen d’améliorer les relations entre les États.
Autre solution pour accroitre les ressources, la technologie du dessalement d’eau de mer (ou désalination ou
désalinisation) est souvent présentée comme un des plus grands espoirs de répondre au défi de la rareté de l’eau.
On estime à 39 % la part de la population mondiale vivant à moins de 100 kilomètres d’une côte alors que 42
villes de plus d’un million d’habitants ne disposant pas de ressources suffisantes en eau douce se situent
sur le littoral. De ce fait, le dessalement de l’eau de mer est devenu une technologie très importante dans le
développement de l’accès à l’eau car il représente une véritable opportunité pour aider à la résolution de la crise.
L’usine d’Ashkelon en Israël est construite à proximité d’une centrale thermique à charbon. Cela oblige
aussi à sacrifier une partie du littoral.
Malgré les solutions que la gestion par l’offre propose, dès lors qu’elles peuvent être coûteuses et provoquer des
dégâts environnementaux, il s’avère nécessaire de repenser la ressource pour basculer d’un modèle de l’offre à
un modèle de gestion de la demande pour répondre aux défis que constituent l’eau potable,
l’assainissement, l’alimentation et l’environnement.
Le modèle de développement de la ressource en eau emprunté à Anthony Turton, expert sud-africain des
questions d’eau, fait état de trois phases de développement :
Il existe de réels gisements d’économies d’eau. Il semble qu’à la surface de la terre, sans augmenter l’offre en
eau et par une simple régulation des demandes, les actuelles ressources soient suffisantes pour satisfaire
toutes les demandes.
Ces réformes de la demande prennent le double visage d’une lutte contre les gaspillages et d’une réforme des
usages. Outre qu’elles sont politiquement difficiles à conduire et effectuées sous contraintes diverses, ces
réformes sont susceptibles d’engendrer des bouleversements majeurs des sociétés qu’il est nécessaire de
maîtriser si l’on ne souhaite pas qu’à des risques d’instabilité en succèdent d’autres.
Mais, à terme, seules des politiques de cette nature pourront diminuer les tensions autour de l’eau et
garantir, tant la satisfaction des besoins primaires des hommes que la stabilité géopolitique de certaines régions.
La Convention d’Helsinki de 1992 garantie un usage équitable des ressources en eau. Elle a été complétée par la
Convention de New York de 1997 sur l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la
navigation. C’est le seul instrument juridique des Nations unies de portée mondiale à inciter à la coopération entre les
États riverains. Mais les textes de ces Conventions n’ont toujours pas été ratifiés par suffisamment d’Etats pour être
opposables et la coopération passe encore par des accords régionaux, le plus souvent signés dans le cadre des
bassins versants des fleuves transnationaux.
Les risques de conflits sur l’eau naissent donc de la raréfaction de cette ressource, accentuent des tensions
existantes, et trouvent difficilement des résolutions car la gouvernance internationale est encore insuffisante
sur ce sujet. Cela explique l’existence de pratiquement une vingtaine de conflits sur l’eau dans le monde, tels que les
recense Virginie Raisson dans son Atlas des Futurs du Monde.
Ö Document 14 – Les transferts massifs d’eau en Amérique du Nord. Réalités et projets continentaux.
Contexte :
Le Canada dispose de 9% des réserves renouvelables d’eau douce du monde. Les Etats-Unis connaissent des
situations ponctuelles de stress hydrique (Arizona, Nouveau Mexique) et effectuent des prélèvements largement
supérieurs aux capacités de renouvellement dans les grandes plaines : la nappe d’Ogallala – une des plus
grande réserves d’eau au monde qui couvre, dans le sous-sol, une région qui va du Dakota du Sud au Texas – se
vide 14 fois plus vite qu’elle ne se remplit en raison des prélèvements agricoles des grandes plaines.
Observation :
GEOPOLITIQUE ECS1 7 MODULE II – Thème 3 – CHAPITRE 8
Les infrastructures sont essentiellement nationales : le Canada fait des prélèvements importants au Nord-Est alors
que les Etats-Unis font des prélèvements au Sud-Ouest, dans une logique de détournement le long de la frontière
mexicaine. Aucune coopération n’apparait.
Pourtant, les projets sont transcontinentaux (tracés des dérivations) ce qui implique une coopération. L’échelle doit
aussi nous amener à envisager des coûts colossaux engagés dans une logique de gestion par l’offre.
Conséquences :
On observe une translation des pénuries du Nord vers le Sud :
• la sécheresse menace de réduire de près de 40% les capacités d’un aquifère texan stratégique qui
fournit de l’eau à deux millions de personnes, et va tarir l’aquifère d’Ogallala, la plus grande réserve
d’eau souterraine des Etats-Unis, qui assure lui l’alimentation de huit Etats américains.
• s’ajoutent les menaces multiples qui pèsent sur les dix plus grands fleuves américains : pollution
par les eaux usées, effluents agricole, barrages inutiles… La Santa Fe au Nouveau Mexique, en dépit
d’un projet de restauration colossal, ne délivre plus qu’un filet d’eau la majeure partie de l’année…
• la réduction de l’approvisionnement du Mexique par le Colorado en raison des prélèvements
massifs états-uniens est un problème majeur : seule 7% de l’eau du Colorado pénètre au Mexique,
dans une région pourtant en forte croissance économique (Maquiladoras) et démographique, et qui
produit majoritairement pour les Etats-Unis. Un comble !
La translation Nord-Sud est construite dans un contexte où le rapport de force n’est pas équitable ce qui risque de
conduire à une redistribution continentale surtout favorable aux Etats-Unis tout en perturbant l’ensemble de
l’équilibre nord-américain. Ce risque est résumé par la position canadienne exprimée dans le cadre de la
Commission mixte internationale chargée d’encadrer les négociations :
« Avant d'examiner les risques de nous voir dépossédés, il faut rappeler premièrement que l'exportation
massive, en termes écosystémiques, ne constitue pas une solution viable. Il n'y a pas, en tant que tel, de
surplus d'eau dans un écosystème (...) Les grands débits sortant des Grands Lacs procurent un apport
en eau douce nécessaire à des lieux de pêche aussi éloignés que le golfe du Maine"
Pour chacun des trois pays, trouver un accord est un impératif économique… mais si celui-ci était signé, il
conduirait à une marchandisation de l’eau (position étatsunienne : l’eau est un bien marchand), et remettrait en
cause l’idée d’un bien commun à l’humanité (position canadienne).
Ö Document 15 – Carte : Rapport de force amont-aval sur les bassins du Syr-Daria et de l’Amou-Daria
L’Asie centrale est le théâtre depuis plus de cinquante ans d’un conflit parmi les plus persistants de la planète
pour l’utilisation de l’eau des deux fleuves Amou Daria et Syr Daria, qui alimentent tous deux la mer d’Aral. La
distribution géographique très particulière des ressources en eau met ces pays en état de forte dépendance les
uns vis-à-vis des autres. Aucun d’eux ne peut gérer ses ressources hydrologiques sans négocier avec ses
voisins sur la manière de le faire. A part le Kazakhstan, faiblement mais équitablement pourvu en eau et
richesses énergétiques, on peut tracer une ligne de partage entre :
• le sud-est regroupant deux pays « amonts » (Kirghizstan et Tadjikistan) qui possèdent la quasi-
totalité des sources d’eau mais sont dépourvus en gaz et en pétrole (par contre grands producteurs
d’énergie hydro-électrique),
GEOPOLITIQUE ECS1 8 MODULE II – Thème 3 – CHAPITRE 8
• le sud-ouest, avec deux pays « avals » (Ouzbékistan et Turkménistan) riches en pétrole et en gaz,
mais n’ayant pas ou très peu de sources d’eau (malgré d’énormes besoins pour irriguer les immenses
surfaces couvertes de cultures de coton et de riz).
Les champs de coopérations économiques sont nombreux et apparemment logiques, les uns possédant l’or
bleu, les autres l’or noir. Mais ce serait sans compter avec la complexité du grand jeu géopolitique régional
dans lequel les ressources en eau sont utilisées non seulement pour l’irrigation et la production d’électricité, mais
aussi comme moyen de pression politique sur les pays voisins.
Le découpage politique est complexe car il est issu de l’époque soviétique : par exemple, sur le bassin du Syr
Daria, le Tadjikistan est à la fois en position aval et amont par rapport à l’Ouzbékistan. L’histoire commune des
Républiques d’Asie centrale en fait des « républiques sœurs » si bien que les Etats ne se perçoivent pas en conflit
les uns avec les autres. Ils multiplient les traités de coopération, les réunions internationales au cours
desquelles ils n’oublient jamais de réaffirmer l’amitié indéfectible qui lie leurs pays. Sur le papier, les accords de
gestion transfrontalière semblent fonctionner, mais, sur le terrain, pratiquement aucun quota n’est respecté,
ce qui crée des tensions à toutes les échelles : de la parcelle, du district ou de l’Etat.
Cet écart entre les engagements pris et la réalité du terrain explique les nombreux désastres écologiques
(pollution des nappes, des rivières, des lacs et des mers, assèchement et désertification) dont la disparition de la
mer d’Aral est le symbole. L’Asie centrale paye l’héritage communiste (bureaucratie, corruption) mais aussi son
incapacité à faire respecter aux pays amont les engagements pris. Une nouvelle fois, la question de la
gouvernance de l’eau est au cœur du sujet et on constate que si la pénurie d’eau ne conduit pas nécessairement
à la guerre, elle peut produire un désastre pour les populations et l’environnement.
Conclusion : Pour conclure sur le thème de l’eau, on peut revenir à l’Égypte pour montrer l’enjeu civilisationnel que
représente l’eau. Longtemps puissance régionale dominante, l’Egypte a pu préserver sa source civilisationnelle et
confirmer ainsi, à travers les siècles, qu’elle était bien « un don du Nil », comme l’avait écrit Hérodote au Ve siècle av.
J.C. Pourtant, la rapide croissance de l’Ethiopie, et l’affaiblissement égyptien ont modifié le rapport de force régional ce
qui s’est traduit par un déplacement du pouvoir hydraulique de l’aval (Egypte), vers l’amont (Ethiopie). L’accord signé en
1959, très favorable à l’Egypte qui recevait plus des trois-quart de l’eau du Nil, est remis en cause de facto par les
prélèvements importants réalisés par l’Ethiopie, fragilisant l’Egypte dont la population devrait atteindre 150 millions
d’habitants d’ici 2050 alors que le pays est déjà en situation de pénurie (699m3/hab/an soit sous le seuil de 1000).
Souvent évoquée comme un stock, alors que c’est un flux, perçue comme une ressource attachée aux territoires
nationaux, alors qu’elle est à la fois mobile et indifférente aux frontières politiques, l’eau est un enjeu éminemment
géopolitique. Enjeu de civilisation qui nécessite une coopération à l’échelle régionale, la géopolitique de l’eau doit même
être envisagée à l’échelle mondiale pour être comprise dans toute sa complexité. La décomposition internationale du
processus de production qui conduit à délocaliser les activités industrielles consommatrices d’eau et le land grabbing
(achat de terres à l’étranger pour cultiver) qui conduit à délocaliser la consommation d’eau agricole, ne permettent plus
de raisonner en terme de consommation réelle (eau consommée sur le territoire) mais de consommation virtuelle (eau
3
consommée de façon indirecte par la consommation d’ensemble sur un territoire). Ainsi, la France, importe 1 221m
d’eau virtuelle par habitant, parfois aux dépens de pays en pénurie, alors que c’est un territoire richement pourvu. C’est
donc une « révolution bleue » qui doit s’opérer pour répondre au défi de la raréfaction des ressources et éviter la crise,
déjà visible dans certains pays en développement : cette révolution doit être politique et globale, pour éviter que l’eau ne
soit plus source de coopération mais qu’elle devienne uniquement source de conflit.