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La théorie des descriptions définies de Russell ou le problème de la référence

Author(s): Denis Vernant


Source: Revue de Métaphysique et de Morale, 85e Année, No. 4 (Octobre-Décembre 1980), pp. 489-
502
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40902194
Accessed: 09-01-2016 19:50 UTC

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La théoriedes descriptions
définiesde Russell
ou
le problèmede la référence

Inaugurantla linguistiquemoderne,Ferdinand de Saussure définitle


signecommeune entitéà double face composéed'un concept,le signifié,
et d'une image acoustique,le signifiant.Cette définitionfameuseimporte
: à savoir,la référence
plus par ce qu'elle exclut que par ce qu'elle affirme
du mot à la chose :
« Le signelinguistique
unitnonunechoseet un nommaisun conceptet une
imageacoustique.» (CL. G.1,ch. I § 1, p. 98).
Excluant tout rapport déictique à la chose, la significationdu signe
requiert,au contraire,la considérationdu systèmedes signes: la langue.
en faitune entitélinguistique:
Seule sa valeurdifférentielle
« ... nous surprenonsdonc, au lieu d'idées donnéesd'avance, des valeurs
émanantdu système.Quand on dit qu'elles correspondent à des concepts,on
sous-entend que ceux-cisont purement définis
différentiels, non pas positive-
mentpar leur contenu,mais négativement par leursrapportsavec les autres
termesdu système.Leurplusexactecaractéristique est d'êtrece que les autres
nesontpas. » (C.L.G.,ch. IV, § 2, p. 162.)
A la même époque, BertrandRussell entreprenaitla formalisationde
la logique moderne.Inaugurantsa recherchepar une « enquête grammati-
cale » sur la nature du langage2,il futconduit à adopter une conception

1. Coursde LinguistiqueGénérale,Payot, Paris, éd. 1968.


z. L.I.principiesoj Mauiematics,
íyuá (notepost : jrom.)9Alien & unwm,L.onaon,
éd. 1964,ch. IV, pp. 42 à 52.

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Z). Vernant

généraledu symboleexactement opposéeà cellede Saussureen ce qu'elle


fondesa significationsurla référence du motà la chose.
L'examendes principaux développements de la théorierusselliennedu
symbolisme a pourobjectifs:
- de rappelerl'importance linguistiquedu problèmede la référence
et d'enmanifester qui,chezRussell,se cristallisent
lesdifficultés autourde
la théoriedes descriptions
définies,
- d'apprécierla fécondité d'uneapplication des techniqueslogiquesà
l'analysedu langage.

I. La théoriede la signification
Logicien,Russellpose la questionde la signification des symbolesen
termesde connaissance et de vérité.Héritierde la traditionempiriste
britannique, il admetpourprincipeque nous avons une connaissance-
directe(acquaintance)de nous-mêmes et des données-sensibles (sense-
data) : formes élémentaires, couleurset sonsfournis par nos sens3.En
conséquence, seulsles symbolesqui, tels(le pronompersonnel« Je » et
celui,démonstratif, « ceci», désignent directement notrepersonneet nos
données-sensibles, ont une signification. Russell conçoitainsi la signifi-
cation(meaning)surle modede la nomination (naming).Est nompropre
logique(logicallypropername) tout symbole référant directement à un
particulier: individu ou donnée-sensible :
« Un nom/est/ unsymbole simple, désignant directementunindividu, qui
estsa signification,etil a cettesignificationdepleindroitindépendamment des
de tousles autresmots.» (/.P.M.4,
significations eh.XVI,p. 174.)
Quatrecaractères essentiels séparentcettedéfinition de la signification
de cellesaussurienne :
a. Excluanttoute autonomiedu signifié,elle identifietotalement
la significationà la référence. Le symbole« Je» a poursignification non
le conceptabstraitde personne maisle locuteurcommeindividuconcret.
b. Complètement étrangère à l'idée structurale de valeur,elle appré-
hendele symbole isolément, indépendamment de toutrapportaux autres
symboles(nousconstaterons plus loin que cettesecondecaractéristique
joue un rôlediacritique important, cf. § III).
3. Surl'importancede cette perspectivegnoséologiquedans l'analyserussellienne
des symboles,cf.l'articlede 1910 : « Knowledgeby acquaintancean knowledgeby
description » (post : K.A.K.D.) reproduitin Mysticism and Logic and othersEssays,
1917,UnwinBooks,London,éd. 1963,eh. X, pp. 152 à 167. On noteraqu'en 1910 la
connaissance-directe du Moi n'est avancée qu'à titre d'hypothèse.Dès 1914, dans
l'article: « On the Natureof Acquaintance» in Logic and Knowledge(post : L.K.),
Allen & Unwin,London,1956,pp. 163-165,Russell rejetteraune telle connaissance
et s'efforcera de définirle Moi. Ceci la conduira,en 1918, à adopterle « monisme
neutre» de W. Jamesréduisantle Moi à une « purefiction» et le pronom« Je » à une
description, cf.« The PhilosophyofLogicalAtomism» in L.K., pp. 276-277.
4. Introduction toMathematical rhilosopny,lyi», àimon ana bcnuster,isew ïorK.

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La référence
selonRussell

c. Elle faitdépendre la signification dusymbolenond'unétatdelangue


de
susceptible perdurer mais d'un éphémère actede parole.Pursdéictiques,
les nomspropres logiques « Je » et « ceci » sont irrémédiablement ambigus
dansla mesureoù leursignification a pourvocationde changerconstam-
ment5:
« C'estseulement quandvousutilisez« ceci» de façontotalement stricte,
pourtenir lieud'unvéritable objetdessens,qu'ilestréellement unnompropre,
à savoirqu'ilsignifierarement la même chosepourlelocuteur etpourl'auditeur.
C'estunnompropre ambigu. » (« Thephilosophy ofLogicalAtomism »,L.K.,
p. 201.)
d. Enfin,elle supposeune conception de la languenonpointformelle,
tellecellesaussurienne en termesde purjeu de différences, maissubstan-
tielle,puisqueseulela réalité,c'est-à-dire la présenceeffective de l'objet
de référence, garantitla signification du nom proprelogique6.L'usage
strictdu mot« ceci » requiertla réalitéextra-linguistique, in praesentia,
de la donnée-sensible indiquée.
Pour résumerla définition russellienne, disonssimplement que tout
nomproprea poursignification la référence ponctuelle faite, coursde
au
l'acte de parole,à un particulier réel, effectivement présentaux interlo-
cuteurs.Mêmeà l'acceptercommetelle,cettedéfinition s'avèrelimitée.
On ne sauraiten effet réduiretousles symboles à ce rôledésignatif, indi-
catif, excluant toute communication d'un contenu informatif.
Commele remarquait R. Jakobson, le simplefaitde montrer du doigt
unpaquetde cigarettes ne permet la communication d'aucuneinformation
si l'on n'accompagnepas l'indicationd'autressignesvalants comme
« interprétants » du gestedéictique7.Il fautdoncfaireun pas de pluset
rendrecomptede l'usageinformatif de ces symboles qui ne désignent pas
les particuliers mais les décrivent.
Au plan gnoséologique, Russellreconnaîtla nécessitéd'admettre, à
côté de la connaissance-directe des particuliers, inéluctablement solip-
siste,la possibilitéde leur connaissance descriptive (knowledge by des-
cription).Nouspouvonsénoncerdes véritéssurdes objetsqui échappent
à notreconnaissance immédiate. Ainsipouvons-nous aisément comprendre
et tenirpourvrail'énoncé: « Le candidatqui obtiendrale plus de voix
seraélu » bienque nousne puissionsnommer la personne en cause8.Une
telleconnaissance s'appuiesurle recoursà un nouveautypede symboles :

5. Par la suite,Russell qualifieraces nomspropreslogiquesde « particuliers égo-


centriques» (egocentricparticulars),cf. Human Knowledge,1948, Allen & Unwin,
London, éd. 1966, eh. IV, pp. 100-108.
6. Définissant Vexistence commeune réalitépossible(cf. § III), Russelln'admetpas
que l'on puisseparlerstrictement de 1'«existence» de l'objetdésignéparle nompropre:
« Chaquefoisqu'un nomest employécorrectement commenom,c'est de la mauvaise
grammaire de dire: « cela existe». » My Philosophical Development,Allen & Unwin,
London,éd. 1975,eh. VII, p. 64.
7. Cf. Essais de LinguistiqueGénérale, Ed. de Minuit,Paris, 1963, ch. I, pp. 41-42.
8. Cf. K.A.K.D., p. 15Ö.

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D. Vernant

lesdescriptions A l'imagedel'expression
définies. : « Le candidatquiobtien-
drale plusde voix», toutedescription peut-êtrecaractérisée commeune
expression » (The so-and-so),
complexede la forme: « Le tel-et-tel gram-
maticalement composéede l'articledéfinisingulier suiviau moinsd'un
substantif.
La questionnouvelleestalorscelledela significationde ces descriptions.

II. La théoriede la dénotation


Une première réponseest fournie par Russelldès 1903 dans les Prin-
ciplesofMathematics9. Fidèleà sa problématique referentielle, le logicien
y soutientque toutedescription signifiele particulier qu'elle décrit.Il
nomme« dénotation » (denoting)cetteréférence indirecte, discursive. En
fait,cettethéoriede la dénotationn'a d'autreobjet que de sauverla
conception referentielledu sens.De la signification des nomspropresà la
dénotationdes descriptions s'imposeseulementune médiationconcep-
tuelle.Dans l'usagenormaldu langage,le concept introduit par la des-
cription10 ne vaut pas pourlui-même mais sert à préciser modede
le
référence au particulier :
« On affirme souventque l'homme est mortel ; maisce qui est mortel doit
mourir .../...Homme, en fait,ne meurt pas; doncsi « l'homme est mortel»
était,comme ilsemble,uneproposition surhomme, elleseraitsimplement fausse.
Le faitestquela proposition portesurleshommes eticiencore, elleneportepas
surle concept homme, maissurce quece concept dénote.» (PoM,ch.IV, § 56,
pp. 53-54.)
Ceci revientà assimilerles descriptions aux nomspropreslogiques:
commeeux, ellesont poursensleurréférence. Si, à l'instarde Russell,
noustenonspar soucide simplification les nomspropresgrammaticaux
pourd'authentiques nomspropreslogiques11, nousdirons,par exemple,
que la description : « la reined'Angleterre » dénotela personnesignifiée
parle nompropre: « ElisabethII ».
Pour simplequ'elle paraisse,cetteassimilation de la dénotationde
toutedescription définie à la d'un
signification nom proprese heurteà
d'irréductibles apories.
Une première aporiemanifeste l'impossibilité d'interpréter en termes
exclusivement référentiels le fonctionnement de toutedescription :
« En vertudela loidutiers-exclu, oubien« A estB » oubien« A n'estpasB »
doitêtrevrai.Donc,ou bien« L'actuelroide Franceest chauve» ou bien
9. Ch.V, intitulé« Denoting»,pp. 53 à 65.
10. Nous auronsà revenirsurle statutdu concept,cf. § IV.
11. Selon Russell,tout nom propregrammatical est, en touterigueur,aennissaDie
en termesde « description déguisée»,cf.K.A.K.D., pp. 159 à 161.Ainsi,le nompropre
« Shakespeare» estréductibleà : « L'auteurde telset telsdrames». Seulecetteréduction
est susceptiblede rendrecomptedu sensd'énoncésdu genrede celuides partisansde
la thèsebaconienne: « Shakespearen'a jamaisexisté».

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La référence
selonRussell

« L'actuel roi de Francen'est pas chauve» doit êtrevrai. Cependant,si nous


énumérions les chosesqui sont chauveset ensuiteles chosesqui ne sont pas
chauves, nous l'actuelroide Francenisurunelistenisurl'autre.
ne trouverions
Les hégéliensqui aimentla synthèseconclurontprobablementqu'il porte
perruque.» (« On Denoting», in L.K., p. 48.)
N'ayant pas de dénotation,la description« L'actuel roi de France »
devraitperdretout sens et, avec elle, le jugementqui la contient.Or, il
est clairque l'une et l'autre ontun sens dontil fautpouvoirrendrecompte.
Une seconde aporie, mettant en cause une proposition d'identité,
confirmel'impossibilitéd'assimilerle fonctionnement d'une description
à celui d'un nom propre:
« Si a est identiqueà b, toutce qui est vrai de l'un est vrai de l'autre,et
n'importe lequel peutêtresubstituéà l'autredans une proposition quelconque
sans modifier la véritéou la faussetéde cetteproposition.Or GeorgeIV souhai-
tait savoirsi Scott étaitl'auteurde Waverley et, en fait,Scott étaitl'auteur
de Waverley. Donc, nous pouvonssubstituerScott à l'auteurde Waverleyet
prouverparlà que GeorgeIV souhaitaitsavoirsi ScottétaitScott.Cependant,
on peut difficilement attribuerau premiergentilhomme d'Europe un intérêt
le
pour principe d'identité.» (Ibidem,pp. 47-48.)
Cette difficulté peut s'expliciterainsi :
- soit le nom propre« Scott » signifiantl'individu réel : Walter Scott,
- soit la description« L'auteur de Waverley »,
puisqu'il s'est historiquementavéré que Wlater Scott écrivitune chro-
nique intitulée« Waverley », nous pouvons énoncerl'identité : « Scott
était l'auteur de Waverley».
Si on admet la précédentethéorie de la dénotation, cette identité
se justifiepar l'identitéde référencede la descriptionet du nom propre.
Mais si c'était le cas, les deux symbolesidentiquesseraientsubstituables
salva meritate en vertu de principiumindiscernibilium. Or, cette substitu-
tion n'est pas réalisable dans la propositionportantsur George IV. Car,
il est clair que la curiositédu roi George IV ne porte pas sur l'identité
« triviale» : « Scott est Scott », mais sur celle « importante» : « Scott est
l'auteur de Waverley ». Ainsi, la descriptionne peut être réduite à un
simplerôle référentiel analogue à celui du nom propre.
Ces deux apories majeuressuffisent à condamnerla théoriede la déno-
tation de 1903.

III. La théoriedes descriptionsdéfinies


En 1905, Rüssel proposa dans l'article « On Denoting» une théoriedes
descriptionsprenanten comptela spécificitéde ces symbolescomplexes12.

12. Cet article(notépost: O.D.) parutinitialementdans Mind, N.S. V. XIV, 1905,


pp. 479-493.Nous le citeronsd'aprèssa rééditionin L.K., pp. 39 à 56.

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L'aporieconcernant le roide Franceenseigne que,malgré lesapparences,


les descriptions ne peuventêtre considéréescomme d'authentiques
symboles.Si les nomspropresdésignent des individusréelset présents,
les descriptions peuventfortbiendécrire desparticuliers exemptsde toute
réalité.Les descriptions ne peuventdoncavoirpoursignification le parti-
culierauquelellessemblent Pourautant,la description
référer. : « L'actuel
roi de France», commetoutesles descriptions de fictaet impossibilia,
n'en produitpas moinsun effetde sens. Gomment alors l'expliquer?
L'aporierelativeà la curiositédu roi GeorgesIV apportela réponse
en attestantla fonction informative des descriptions. Si le roi George
s'est souciéde savoirsi Scottétaitl'auteurde Waverleyet non pas si
ScottétaitScott,c'estbienparceque,loinde désigner purement et sim-
plement l'individuWalterScott,la description : « L'auteurde Waverley»
fournit uneinformation surcet individu.En fait,GeorgeIV
particulière
souhaitaitsavoirsi ScottécrivitWaverley.
Ces constatations conduisirent Russellà poserpourprincipenouveau
que :
« /lesdescriptions /n'ontjamaisaucunesignification enelles-mêmes maisque
dans
chaqueproposition l'expression verbale desquelles elles figurent a une
signification. » (O.D.yp. 43.)
C'étaitreconnaître aux descriptions le statutspécifiquede symboles
incomplets (incomplete symbols):
- isolément(in isolation),elles ne possèdentqu'une unitépure*
ment«verbale»et ne signifient rien,c'est-à-dire ne désignent aucun
particulier réel,
- utiliséesdansun contexte(in use), par contre,elles« contribuent
à la signification » des propositionsdans l'expressionverbale
desquellesellesfigurent.
Cettedéfinition d'unnouveautypede symboles commande uneanalyse
du rôlecontextuel desdescriptions que nouspouvonsdoublement qualifier
de « logique».
C'est une analyselogiquedans l'acceptiontraditionnelle des »termes
dansla mesureoù, par delà l'apparenteformeverbale,sontdévoiléesles
relationsentreles authentiquesconstituants propositionnels. Mutatis
mutandis, la distinction russelliennedu « verbal » et du « propositionnel »
correspond à cellechomskienne de la « structure superficielle » et de la
« structure profonde », distinction
déjà à l'œuvrechezles grammairiens
classiques,tels ceux de Port-Royal13.
Mais,c'est aussi et surtoutune analyselogiqueen un sens technique
dansla mesureoù est misà contribution, directement et explicitement,
13. Cf. N. Chomsky, « De quelques constantes de la théorie linguistique », in Diogene,
n° 51, pp. 16-17. On notera que Russell réfèreexpressémentT« enquête grammaticale »
qui fonde ses recherches logiques à la tradition des « grammaires philosophiques »,
cf. PoM, en. IV, § 46, p. 42.

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La référence
selonRussell

l'algorithme logiquemoderne.On aura déjà noté que les deux apories


précédentes exprimaient l'exigencedu respectdes principes logiquesdu
tiers-exclu et de l'identité14. Pour Russell,le langagelogiquesert de
normeà l'étude du langageordinaire.La logiquefournitla méthode
d'analysesous la formedu calcul fonctionnel. Ce caractèrelogiqueet
analytiquedu traitement russelliendes descriptions devintmanifeste
en 1910lorsqueles PrincipiaMathematica présentèrent formalisation
une
complètedes résultatsde la nouvellethéoriede 190515.
L'idée première du calculfonctionnel, cellede fonction propositionnelle,
est par essenceanalytique.Expriméepar le schéma: « Px », elle scinde
touténoncéen deuxéléments : unevariabled'individu x et un prédicatP.
Commetelle,nous allons montrerqu'elle fournitl'outilpremierde la
traduction logiquedesdescriptions et,partant,de la résolution desapories
de la théoriede la dénotation de 1903.
Examinonsle traitement logiquedes descriptions en procédantà la
traduction de l'énoncérelevantde la secondeaporie:
« L'auteurde Waverleyest Scott».
Cet énoncéest composé:
- du symboleincomplet : « L'auteurde Waverley»,
- de son contextepropositionnel : « ...estScott».
Chacunde ces constituants pouvants'exprimer en termesde fonction
propositionnelle, nousobtenonsla traduction formelle suivante16 :
Qx . fx
Dans une telletraduction, la formule « Qx » symbolisant logiquement
la description « L'auteurdeWaverley » dissipel'illusiond'unitéde l'expres-
sion descriptive et ainsi récusedéfinitivement l'assimilationfunestedu
symboleincomplet à un nom propre :
La variablex, marquevide d'un individuindéterminé, attesteque la
ne
description peut avoir un
poursignification particulier réel,nécessai-
rementprésent.
De même,la variablepredicative Q, traduisant ce que nous proposons
la «
d'appeler qualification descriptive » de la description attestesa valeur
informative spécifique.
Cecineclôtcependant pas l'analyse.Russellconsidèreen effetque pour
valoircommesupportde la qualification descriptive, la positiond'un
particulier quelconqueopéréepar l'article « le » et traduite parla svariable
d'individudoitêtrerenforcée par la double supposition son existence
de

14. Nous ne pourronsici établircommentla distinction des « occurencespremières


»
et « secondes» des descriptions
dansles jugementsnégatifsportantsurdes particuliers
non existantsrestaurel'autoritédu principedu tiers-exclu.Cf. sur ce point,O.D.,
pp. 52-53et formalisationdansles Principio,Introd.ch. III, pp. 70-71.
15. Principia Mathematicato * 56 (post : P.M.), CambridgeUniversityPress,
16. Conformément au formalismedes P.M., un pointentredeux fonctions
exprime
l'opérationde conjonction
logique.

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et de sonunicité.Dès lors,dansl'usagestrictde toutedescription définie


sontimpliquéesdeuxconditions nécessaires :
Io Une condition d'existence : à la différence des nomspropres,les
ne
descriptions désignent pas des particuliers effectivement présents mais
des
décrivent particuliers indéterminés qui ne sont pas donnés mais dont
ellesposentà titred'hypothèse l'existence.En termeslogiques,on dira
que toutedescription impliquel'existenced'une valeurd'individusus-
ceptible de satisfaire la qualification descriptive.Dans la traduction
logique, ceci s'exprime aisément au moyende la quantification existen-
tielle.On écrit: gX Qx
signifiant : « II existeau moinsune valeurde x satisfaisant la fonction
Qx ». On ne parle donc valablement de « L'auteur de Waverley » queparce
qu'il existe un individu dont on peut dire qu'il a écrit Waverley.
2° Une conditiond'unicité: selon Russell, toutes les descriptions
commençant par l'articledéfinisingulier « le » constituent des descrip-
tionsdéfinies ayantpour fonction de décrire un individu unique17:
« Nousutiliserons /lemot« le »/strictement, de façonà impliquer l'unicité,
ainsinousne dirons pas « A estle filsde B » si B a d'autresfilsqueA. Donc,
unedescription dela forme « le tel-et-tel» aurauneapplication dansle seulcas
oùil y a untel-et-tel etpasplus.» (P.M.,Introd. ch.I, p. 30.)
L'usage de la description « L'auteurde Waverley» supposedoncque
WalterScottn'a pas écritson ouvrageen coopération18. Logiquement,
cettesecondecondition peutêtreadjointeà la première en restreignant
la valeurdu quantificateur existentiel afinqu'il exprimel'existencenon
d'au moinsun, mais d'au plus un x satisfaisant la fonction Qx. Ce qui
s'obtienten recourant au quantificateur universel ainsiqu'à une fonction
nouvelleassignantune valeur constantequelconquec à la variable
d'individux : 3c ( (x) Qx = x = c)
signifiant : « Quel que soit x satisfaisant Qx, il existeune valeurc à
laquellex estidentique».
Cettedoublecondition complétant l'analyselogiquede la description,
toute proposition contenantune description définiese traduitpar la
formule19 : gC s { (x) Qx = x = c) . fc }

17. Russellqualified'« indéfinies» les descriptions


commençant par « tous », « quel-
que »,« un... quelconque»,cf.I.M.P., ch. XVI, p. 167.
18. L usagegénériquede 1 articleaenni singulierconstitueun autrecas ae vioiauon
de cetteconditiond'unicité.Dans la phrase: « La baleineest un mammifère », le mot
impropre« la » doitêtreremplacépar le mot« toute». Cecimesurela fonctionrectrice
de l'analyselogique.
19. Pour plus de clarté,nous utilisonsdes parenthesespour marquerla limiteaes
formules. On noteraque les P.M. introduisent un symbolespécifiquede description :
« (lx) (Qx) ». La définitioncanoniquede touteproposition contenantune description
définieest alors :
* 14.01 : f {(lx) (Qx)} = uc { ((x) qx = x = c) . ic) ui.f
cf. P.M. * 14, p. 175.

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La référence
selonRussell

signifiant : « Quel que soitx satisfaisant Qx, il existeune valeurc telle


est
qu'elle identique à x et satisfait
la fonction f ».
Dans le cas de notreénoncé: « L'auteurde Waverleyest Scott», cette
traduction canoniquepeut êtresimplifiée par analysedu contextepro-
positionnel. En effet,le contexte: « ... est Scott» exprimel'identitéd'un
individuindéterminé avec la référence du nompropre« Scott». Si, dans
le formalisme, noustraduisons ce nompropreparla constante a, la fonc-
tiongénéralefc devientla fonction d'identité: c = a. D'où, par simple
substitution, nous obtenons:
ge { ( (x) Qx = x = c) . c = a }
ce qui, par simplification, devientin fine:
(x) (Qx = x = a)
c'est-à-dire : « Quelque soitx, x satisfaisant Qx estidentiqueà a ».
Pareilleéconomietémoigneéloquemment de la féconditédu recours
à l'algorithme logique.Mais surtoutcetteanalyseconfirme le caractère
incompletdu symbolede description. La traductionultimede notre
énoncéinitialsignifie : « Celui qui écrivitWaverleys'appelaitScott ».
Dans une telleformule, la description a disparuà Vanalyseet avec elle
l'illusionde sa dénotation. Le rôled'unedescription s'arrêtedésormais à la
qualification descriptive d'un individuquelconquesupposéexistantet
unique qui ne peut être éventuellement désigné,nommé,que par le
contexte propositionnel commec'estle cas ici.Ainsila fonction spécifique
de toutedescription définie consisteà opérerce que nousappellerons une
« identification suspendue» fournissant le signalement d'un uniqueindi-
vidu au moyend'une qualification propresans cependantle désigner
nommément :

« C'estessentiellement ce quise produit quandlesjournaux disent: « L'iden-


titédu criminel n'a pas transpiré ». Dansuntelcas,le criminel estconnupar
uneexpression descriptive, à savoir: « L'homme qui a commis le crime», et
noussouhaitons trouverunx à proposduquelil estvraique : « x = l'homme
qui a commis le crime.» Quanduntelx a ététrouvé, du criminel
l'identité a
transpiré.» (P.M., Introd., ch. I, p. 23.)

Ce procèsd'identification suspenduerendcomptede la connaissance


«
descriptive. description Le candidatqui obtiendra
La : le plusde voix»
une personne
identifie à de
unique propos laquelle nous pouvonsémettre
des jugements sans toutefois êtreactuellement
en mesurede la nommer.
L'aporiedela curiosité de GeorgeIV se trouveainsitotalement élucidée.
Reste à établirque cette méthoded'analyseréductricerésoutaussi
l'aporiede « l'actuelroide France».
Considérons l'énoncé: « L'actuelroide Franceest chauve».
- Si la fonction Qx exprimela qualification descriptive: « actuelroi
de France»,

497
Revue de Méta. - N« 4, 1980. 32

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2). Vernarti

- si la fonction fxexprime la qualificationcontextuelle : «... estchauve»,


alorsen vertude la définition canoniqueprécédente, l'énoncése traduira:
ac { ( (x) Qx = x = c) . fc }.
Alorsque la théoriede la dénotation ne parvenaitpas à expliquerles
jugementsportantsur des particuliers inexistants, l'analysenouvelle
leurreconnaît sans difficulté signification.L'apportsignifiant de la des-
criptionà la proposition est le mêmeque dans les cas où le particulier
en cause existeeffectivement. Par contre,diffère la valeurde véritédu
jugement.Ainsi,dans l'énoncéprécédent, la conditiond'existencene
peutêtreremplie ; la proposition est alorssignifiante maisfausse.
Reconnaissant la faussetéde tousles jugements portantsurdes parti-
culiersinexistants, la théoriedes descriptions définiesrésoutl'aporie
de la dénotation vide. Et cettesolutionlogiqueconsistantà mettreen
causenonle sensmaisla valeurde véritédes jugements attesteune fois
de plus la spécificité des symbolesincomplets. La questionde la vérité
ne se poseaucunement proposà des noms propresqui, commesymboles
ne
authentiques, peuventpas ne pas désignerune réalitéeffectivement
Par
présente. contre, loin d'être donnée,la référence d'une description
n'estque supposée.Orla supposition d'existence ne garantit pas la réalité
del'objet.La condition d'existence vautdoncnonseulement commecondi-
tionde signification maisencorecommecondition de vérité,logiquement
exprimée en termes d'existence possible,de satisfaction hypothétique d'une
fonction quantifiée existentiellement20.
De mêmefaçon,la conditiond'unicitévaut aussi commecondition
de vérité: si ellen'estpas remplie, le jugementest faux.Par exemple,le
jugement : « L'auteur de The Maid's Tragedy étaitun poète» estunjuge-
mentfauxparceque la pièce The Maid's Tragedyfutécriteen coopéra-
tionpar FrancisBeaumontet JohnFletcher21.
D'une façongénérale,nous déterminerons la valeurde véritéde tout
jugement contenant une description définie ainsi :
* Nous proposonsde réduireun tel jugementaux constituants
suivants:
I. Une condition d'existence )
liéesà une qualification descriptive
II. Une condition d'unicité jJ
III. Une qualification contextuelle.
* sa valeurde véritédépendalors:
Io de la véritédes conditionsI et II : si l'uneet/oul'autrene sontpas
le
remplies, jugement entierest faux.

20. Cf. « The Philosophy of Logical Atomism » in L.K., pp. 232-233 : « Dire que les
licornes existent est simplementdire eme : « (x est une licorne) est possible ». »
21. Cf. P.M., Introd., en. III, p. 68.

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La référence
selonRussell

2° de la valeurde véritéde la qualification


contextuellesi les conditions
I et II sontremplies22.
Il appertainsique la nouvellethéoriedes descriptions définies s'avère
apte à rendrecomptede la signification et de la valeurde véritéde tous
les jugementsdans l'expression verbaledesquelsfigureun symbolede
description.

IV. La questiondes universaux


Longtemps tenuepourl'exemplele pluséloquentde l'analyseformelle
du langage,la théorierussellienne
des descriptions
fitl'objet,ces dernières
décennies,de diversescritiques.
Au nom des « philosophesdu langage ordinaire», P.-F. Strawson
dénonça,danssonarticlede 1950: « On Referring » le caractèreartificiel
d'une traductionformelle incapablede restituertoutesles nuancesde
Vusagecourantdu langage23. Cettepremièrecritiqueeut le grandmérite
de montrer l'intérêtlinguistique
du conceptfrégéen de présupposition24,
maisde l'aveumêmede sonauteur,ellen'estpas décisive:
« Ainsi,chaqueproposition de la forme« G (l'actuelroide France)» estfausse.
C'est un grandavantagede la présentethéorie.» (O.D., p. 45.)
« On pourraitdemander: que faitl'usageordinaire surce point? Et, comme
toujours,c'est là une questioninstructive à poser.Mais,l'usage ordinairene
donnede verdictclairen faveurd'aucundes partis.» {Etudesde logiqueet de
linguistique,ch. IV, p. 99.)
Par contre,dirimante
estl'objectioninspirée
parle logicienW.V. Quine
qui, sans mettreen cause la pertinence linguistiquede la traduction
récuseses conséquences
russellienne, philosophiqueset son coût ontolo-
gique25.
22. La relationde la conditiond'existence- I- et de celle d'unicité- II - au
jugemententier- que nous symboliserons par la lettreJ - peut s'exprimerdans la
logiquepropositionnelle par l'implicationsuivante: « J c: (I . H) ».
a. Par définition, la conjonction(I . II) est vraie si et seulementsi I et II sont
simultanément vraies.
b. En vertudu syllogisme hypothétique modusfallendo tollens{(p c q) . *x*q} c ^p
stipulantque si une implicationest vraie et que son conséquentest faux,alors son
antécédentest nécessairement faux,lorsquela conjonction(I . II) est fausse,alors le
jugementJ doit être faux. La véritédes deux conditionsd'existenceet d'unicité
s'avèrentainsi conditions nécessairesde la véritédu jugement.
23. L'articleparutinitialement in Mind,vol. LIX, n° 235,pp. 320 à 344,et futédité
en françaisin Etudesde logiqueetde linguistique, Trad. J. Milner, Seuil,Paris, 1973,
ch. I, pp. 9 et 38.
24. Cf.G. Frege « SinnundBedeutung», 1892,trad,par C. Imbertin Ecritslogiques
etphilosophiques, Seuil,Paris,1971,pp. 116 à 126 ; à l'instardu logiciend'Iena, Straw-
son considèreque la conditiond'existenceimposéepar toutedescription définien'est
pas impliquéemais présupposéeet qu'en conséquencetout jugementcontenantune
description dontla conditiond'existencene peut êtresatisfaiten'est pas faussemais
dénuéede sens.
25. Sous sa formelogique stricte,1 objectionde Quine s'applique principalement
à la « no-classtheroy» de Russell.Elle consisteà établirque la définition des classes
en termesde symbolesincomplets,requérantla quantification sur des variablesde
prédicats,impose la reconnaissance d'attributs intensionnels, cf. « Logic and the

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D. Vernant

L'objectionportecettefois,nonplussurla condition d'existence impo-


sée par l'articledéfini, maissurla qualification descriptive exprimée par
le substantif. Si la doubleconditiond'existenceet d'unicitédétermine
la valeurde véritédu jugementcontenant la description, la qualification
descriptive « contribueà sa signification ». Mais commentle fait-elle ?
Il estclairque si la description définie n'a pas, par elle-même de signi-
fication, il est cependantnécessaireque l'élémentconstituant la qualifi-
cationdescriptive ait,lui,une signification pour« contribuer » à celledu
jugement.Autrement dit,la fonction d'information à laquellepourune
part,l'analyseréduitla description doit s'appuyersur un élémentde
signification.
Considérons la description élémentaire : « Le juste». L'analyselogique
la traduitpar : « II existeun et un seulx qui estjuste». Dans cettefor-
mule,la qualification descriptive apparaîtsous la formede la fonction
« ... estjuste». Cettefonction ne peutconstituer un apportsignifiant pour
le jugement contenant la description que si le prédicat« juste» a lui-même
une signification. Maiscomment lui assignerunesignification ?
Quoiquesimple, « »
le symbolejuste ne peut êtreun nom proprepuisque,
de toute évidence,il ne désignepas directement un particulier. C'est
un
un nomgénéral(generalname)exprimant concept, qualitésuscep- une
tibled'êtrepossédéepar plusieursparticuliers. Restecependantà savoir
quel rapportprécis existe entre le nom généralet le concept.Prisonnier
de sa problématique referentielle, Russell n'eut d'autre recourspour
répondre à cette questionque d'étendre la théorie de la signification du
nompropreau nomgénéral.De mêmeque le nompropresignifie (means)
un particulier, le nomgénéralsignifie un concept.Maiscommela relation
de signification imposela désignationdirected'une réalitéeffective,
Russellfutinéluctablement conduità hypostasier le concepten universel.
Le nomgénéral« juste » n'a de signification qu'à désignerune réalité
idéaleà laquelleparticipent tousles particuliers susceptibles d'êtrevali-
dementqualifiésde : « justes» et, à l'instardes objetsde référence des
nomspropres, connaissable directement26. D'où l'adoptiond'uneontologie
résolument platonicienne :
« L'idéede Justice n'estidentiqueà rienqui soitjuste; elleesttoutedifférente
d'une choseparticulière, et cependantles chosesparticulières à sa
participent
nature.Cetteidée,ne faisantpas partiedes chosesparticulières, ne peutexister
dansle mondesensible.De plus,ellen'estni passagère,nichangeante commeles
chosessensibles; elleest éternellementelle-même, »
immuableet indestructible.
(P.P.*' ch. IX, p. 107.)
ReiflcationofUniversels» in Froma LogicalPointof View,Harper& Row,New York,
» in Relativité
éd. 1963,ch. VI, pp. 102 à 129 et « Existenceet Quantification de l'onto-
logieetautresessais,trad.J.Largeault, AubierMontaigne, 1977,ch. IV, pp. 107à 131.
26. Sur cet aspect gnoséologique, cf. K.A.K.D., p. 154.
27. Cf.ProblemsofPniiosopny, îyiz, nous citonsia iraaucuon ae a.m. uuilj^miim,
Petite BibliothèquePayot, Paris, 1972.

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selonRussell
La référence

D'un coût ontologique élevé,la reconnaissancedes universauxa sur-


tout pour inconvénient d'introduire une contradictionirrémissible au
cœurmêmede la théorierussellienne du symbolisme. L'admissionfinale
d'unepléthored'objetsidéauxque sontles universaux renden effet par-
faitement vaine la tentativede la théoriedes descriptions pour faire
l'économiedes pseudo-objets dénotéspar ces symboles.Si l'on admet
pourobjetréella Justice,pourquoinepas admettre, commele fitd'ailleurs
A. Meinong28, la licorne,le cerclecarré,la montagned'or,... etc. tous
impossibiliaet fictarésolvantd'un coup et sans aucuneanalysel'aporie
de la dénotationvide.
La contradiction est flagranteentrel'inspirationnominalistede la
théoriedes descriptions et les conséquencesréalistesde la définition
des nomsgénéraux.

V. Vers une double linguistique


Prisonnier d'uneappréhension strictement referentielle de la significa-
tion,Russellfutcontraint de fondersurla connaissance des universaux
le fonctionnement discursifdes descriptions.
Maisl'inversevaut pourDe Saussure.L'intérêtmajeurde la définition
saussurienne de la signification et de la valeurdu signerésideindiscuta-
blementen sa capacitéde rendrecompteadéquatement de la dimension
structurale du sens. Toutefois,la questiondu rapportde la structure
signifiante au réel resteentière.L'exclusioninauguralede la référence
ne peut,en effet,êtremaintenuejusqu'au bout. Les ambiguïtésde la
thèse de l'arbitrairedu signeconstituent le symptômed'un véritable
retourdu refoulé.
E. Benveniste a montré quela notiond'arbitraire ne pouvaits'appliquer
au rapportpremierdu signifiant au signifié,mais seulementà celui
- implicite - du signifié à la chose:
« II est clairque le raisonnement est fausséparle recours inconscientet
subreptice à un troisième terme,qui n'étaitpas compris dansla définition
initiale.Ce troisièmetermeestla chosemême, la réalité./.../Quandil parle
de la différenceentreb-ö-fet o-k-s,il se réfère
malgré lui au faitqueces deux
termes s'appliquent à la mêmeréalité. Voilàdoncla chose, expressément exclue
d'aborddela définition dusigne,quis'yintroduit parundétour etquiy installe
enpermanence » (P.L.G.2»,ch.IV,p. 50.)
la contradiction.
La solutionadmisepar les linguistesconsistaà scellerla définition
saussurienned'un refusconscientdu rapportréférentiel perturbateur.
28. L'argumentation de « On Denoting » est en grande partie dirigée contre la
théorie des objets intentionnelsde A. Meinong, développée dans « Ueber Gegenstands-
theorie » in Untersuchungenzur Gegenstandstheorie und Psychologie, 1904, Leipzig,
pp. 1 à 50.
29. Problèmes de linguistique générale,Gallimard, Pans, 1966.

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Z). Ventant

Maisc'estlà amputer la linguistique d'unchampde recherches important.


Nolensvolens, la questionde la référence se pose.
Les difficultés inversesrencontrées par le linguisteSaussureet le logi-
cien Russellenseignent qu'une tellequestionne reçoitde réponsequ'à
distinguer dès l'abordla problématique de la significationde cellede la
référence. Si Russellcommetl'erreurde réduirela signification à la
référence, Saussureoblitèrela référence au profitde la signification.
L'exclusionsaussurienne se justifiedansla mesureoù la problématique
de la référence ne sauraitse poserau niveaudu signe,considéré en lui-
même.L'analyserussellienne des descriptions définiestémoigne de ce que
cette questionde la référence se pose au niveau secondde la phrase.
Est ainsi requiseune doublelinguistique qui, par l'analysestructurale
du système dessignes,rendecomptede la fonction signifiantede la langue
et,par une analysesyntaxique des constructions de phrases,rende compte
de son fonctionnement référentiel.
Repenséedanscetteperspective, la théorierussellienne du symbolisme
peut contribuer efficacement à l'élaboration d'une linguistique de la réfé-
rence.Benveniste, qui par sa distinction entre langue et discours a res-
sentile premier la nécessitéde cettedoublelinguistique, en témoigne par
sonétudedu procèsréférentiel des« indicateurs de subjectivitéet d'osten-
sion»30.Reprenant l'essentielde la théorierussellienne ses particuliers
egocentriques mais rejetant son interprétation étroitement empiriste,
cetteétudeprésente le mérited'inscrire le procèsde référence des noms
propreslogiquesdans sa dimension discursive fondamentale31.
Restela théoriedes descriptions définies.Considérée dans son aspect
strictement techniqued'analyse réductricedes symbolesincomplets,
elle a le mérited'établirformellement le caractèresyntaxique du procès
d'identification suspendueintroduit partoutedescription. A 'ce titre,elle
pourraitconstituer un apportprécieuxpour une linguistiquesoucieuse
d'expliquer le fonctionnement référentieldes constructions discursives.
Si, à l'inversede la théoriedes nomspropres, cettethéoriedesdescrip-
tionsdéfinies n'a pas encoreétéexploitée parleslinguistes,c'estsansdoute
parce qu'une telle exploitationpose la questionpréjudicielle, encore
largement ouverte, de l'apportde la syntaxelogiqueà l'élaboration d'une
linguistique du discours32*.
Denis Vernant.
30. Sur la distinction des deux niveauxd'analyse,cf. P.L.G., ch. X, pp. 130-131,
et P.L.G., II, Gallimard,Paris, 1974,ch. XV, pp. 215 à 238.
ai. r.L*.u., en. A.A.,p. zoz : « je ne peutêtrementineque pari instanceae discours
qui le contientet par là seulement».
á¿. tíienque tsenvenisteparaissereticenta regara crunecooperation entrelogiciens
et linguistes,- cf.P.L. G., II, pp. 230 à 238- noustenonspourhautementsignificatif
le faitqu'il ait explicitement emprunté à Russellle conceptlogiquede fonctionpropo-
sitionnellepour définirla « relationintégrante» constitutive de la phrase,unitéde
discours, cf. P.L.G., pp. 125 et 128-129.
* (Jetteetude est le développement a une communication iaite en mars iy/ö au
séminairedu Pr RobertMartin,Centre d'analysesyntaxique,Metz.

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