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Revue néo-scolastique de

philosophie

Charles Boyer. L'idée de Vérité dans la philosophie de saint


Augustin
Auguste Mansion

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Mansion Auguste. Charles Boyer. L'idée de Vérité dans la philosophie de saint Augustin. In: Revue néo-scolastique de
philosophie. 23ᵉ année, n°92, 1921. pp. 440-443;

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pas partie intégrante du système et qu'on puisse critiquer celui-ci


sans parler d'elle, la genèse psychologique des idées de Berkeley
ne s'explique pas complètement, si on ne fait mention de ses
préoccupations morales. C'est pour faire du bien qu'il a philosophé. Dès
ses débuts, il s'applaudit de voir toute son œuvre orientée vers
Dieu et la morale. Ces bonnes intentions contribuent même à
nuancer sa pensée d'opportunisme et de mysticisme. Son
immatérialisme, par exemple, est d'autant plus confiant en lui-même qu'il
anéantit la matière, cette idole des « libres penseurs ». 11 va sans
dire que cet aspect du système n'a pas échappé à l'examen si attentif
de M. Joussain. Son étude, fort complète, du rôle de Dieu dans
l'œuvre de Berkeley restitue à celle-ci toute sa portée moralisante
et mystique.
Emile Mersch, S. J.

Charles Boyer. L'idée de Vérité dans la philosophie de saint


Augustin. Paris, Beauchesne, 1920. Un vol. in-8° de 272 pp. ;
16 francs.
Plus que jamais de nos jours la personne et la pensée de saint
Augustin suscitent un vif intérêt. En même temps que la thèse
principale, dont nous venons de transcrire le titre, M. Boyer a
publié une thèse complémentaire intitulée Christianisme et Néo-
Platonisme dans la formation de saint Augustin (Ibid . , 1920,
233 pp.). Il y examine le problème agité, depuis plus de trente
ans, autour de la conversion du saint : celui-ci, lors de son baptême,
adhérait-il complètement au christianisme dogmatique de l'Eglise,
comme le veut la tradition, ou s'est-il converti simplement à un
néo-platonisme, vaguement teinté de christianisme, comme le
soutinrent Boissier et Harnack? Récemment M. P. Alfaric (L'Evolution
intellectuelle de saint Augustin ; 1. Du Manichéisine au
Néoplatonisme, Paris, 4918, ix-556 pp.) a repris en l'accentuant l'opinion
de ces derniers. M. Boyer a fait une critique serrée, — et selon
nous victorieuse, — des objections anciennes et nouvelles, élevées
contre la thèse traditionnelle. — Dans le domaine théologique,
signalons seulement les deux petits volumes, pleins de substance,
consacrés par Mgr P. Battifol au Catholicisme de saint Augustin
(Paris, Gabalda, 1920). Et, pour finir, citons encore, — fait symp-
tomatique, — l'étude philosophico-théologique de Mm# Maria-Pia
Borghese, II Problema del Male in Sant' Agostino : la liberté, il
peccato, e la grazia (Palermo, éd. Prometeo, 1921 : 135 pp., in-12) :
l'auteur, comme il le note dans sa conclusion (p. 131), croit y avoir
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démontré la cohérence « granitique » des doctrines augustiniennes


sur les rapports de la liberté avec le péché et la grâce.
Mais revenons-en à l'ouvrage capital de M. Boyer. « A chaque
page de saint Augustin, on lit le mot de vérité .. A cette insistance
on devine une inspiration fondamentale qui, dans un esprit comme
celui d'Augustin, ne peut venir que du centre même de sa
philosophie » (Introd., p. \). Cette idée centrale méritait une étude
approfondie. M. B. l'a entreprise et menée à bonne fin. Mais, parla
force des choses, il nous a donné plus et mieux que ce qu'il
promettait. Au lieu d'une simple monographie sur l'une des idées
directrices de la pensée augustinienne, il nous présente un résumé
synthétique de toute la philosophie du Docteur d'Hippone. Tous les
grands problèmes qui y sont agités, finissent par trouver leur
solution à la lumière de l'idée de Vérité. Dans l'ordre logique
comme dans l'ordre de l'être, dans le domaine de l'activité
intellectuelle, comme dans celui de l'action morale, c'est toujours à la
notion de Vérité qu'il faut en venir pour résoudre les questions
ultimes. L'on saisit du même coup le lien secret qui unit ces
divers ordres entre eux et l'on voit surgir la puissante unité du
système philosophique d'Augustin. M. B. l'a mise vivement en
lumière : il montre comment cette pensée si nuancée, sujette
parfois à des variations assez notables dans les détails, reste dominée
par un principe unique, — principe dont les applications multiples
se déroulent suivant une loi constante, malgré l'infinie diversité
d'aspects sous lesquels se découvre le réel à l'esprit subtil et
toujours en éveil du penseur africain.
L'exposé de ces vues profondes se distribue en cinq chapitres :
I. Vérité et certitude (pp. 12-46); IL La Vérité subsislante (pp. 47-
109); III. La Vérité créatrice (pp. 110-153) ; IV. La Vérité illumi-
natrice (pp. 156-220); V. La Vérité béatifiante (pp. 221-25*2). Le
premier d'entre eux, pour être traité brièvement, n'en renferme
pas moins des constatations importantes. Saint Augustin reconnaît
sans restriction la valeur de la vérité simplement logique. Il la
reconnaît comme un fait; il justifie ce fait par l'évidence immédiate du
contenu de la connaissance. Le recours à la Vérité subsistante ne
s'impose pas quand il s'agit d'établir seulement une première
certitude. L'intuition intellectuelle contient en elle-même sa propre
justification; c'est d'elle que paraît dépendre ultérieurement la
certitude dans le domaine de la connaissance sensible.
L'étude de la Vérité subsistante nous transporte d'emblée au
cœur de la métaphysique augustinienne : de l'existence d'une
vérité ou de vérités l'on remonte nécessairement à une Vérité pre-
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mière. La vérité, réalité positive existante, qui sert ici de point


de départ, n'est autre que l'intelligible (p. 51). Cet intelligible,
Augustin le retrouve surtout dans les nombres et dans la sagesse.
Mais n'importe où il le rencontre, c'est toujours par le même
procédé qu'il s'élève de cet intelligible ou de cette vérité partielle à
l'Intelligible pur, à la Vérité absolue. Ce procédé est une vraie
démonstration de l'existence de Dieu, propre à Augustin, qui l'a
reprise à Platon : l'existence de l'intelligible prouve l'existence des
Idées subsistantes, mais la multiplicité de celles-ci s'évanouit dans
l'Unité de la Vérité suprême. — M. B. a très bien analysé les
éléments de la preuve augustinienne et en a fait ensuite la synthèse
de façon magistrale. Un mot de critique pourtant n'eût point été
déplacé : à montrer le point faible de l'argumentation, on en eût
mieux fait ressortir la signification exacte.
Une fois en possession de la notion de Dieu, vérité subsistante et
réalité première, il est facile d'en déduire les attributs divins et la
doctrine des rapports de Dieu et du inonde : création, conservation,
providence (chap. II, seconde partie, et chap. III). L'auteur suit pas
à pas saint Augustin dans ses déductions et nous fait un exposé très
fouillé des détails de sa doctrine.
Le chapitre relatif à la « Vérité illuminatrice » s'ouvre par une
esquisse des di\ erses interprétations auxquelles les vues d'Augustin
ont donné lieu en cette matière. Aucune vérité n'est perçue par
l'intelligence humaine, si ce n'est à la lumière de la Vérité première.
Sans doute; mais de quelle nature est celte illumination? A la suite
d'une discussion bien conduite, fortement appuyée sur les textes,
M. B. rejette l'interprétation « ontologiste » : il ne s'agit pas d'une
sorte d'intuition de l'Etre diùn. Mais s'en suit-il que toute
explication psychologique doive être écartée du même coup? Il semble que
sur ce point l'auteur se soit rendu la tâche un peu trop facile; aussi
voit-on avec quelque inquiétude les citations et les références se
faire parfois extrêmement rares, lorsqu'il expose sa propre
interprétation, — interprétation parfaitement cohérente mais purement
métaphysique, que n'eût point désavouée saint Thomas d'Aquin. —
Peut-être d'ailleurs l'interprète se trou\e-t-il ici en face d'une
difficulté insoluble : il n'est pas sûr, en effet, que pour saint Augustin
la doctrine de l'illumination divine ait jamais été parfaitement
claire; il a pu entrevoir la solution d'un problème captivant, sans
arriver à préciser le sens exact de cette solution.
Dans la dernière partie de son ouvrage (ch. IV), M. B. met
fortement en relief le caractère intellectualiste de la morale et,
notamment, l'aspect intellectuel du bonheur suprême dans saint Augustin.
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, C'est un point qu'on a peut-être trop négligé d'ordinaire dans


l'exposé de sa doctrine. Toutefois M. B. n'est pas exempt ici de
quelque exagération. Le « volontarisme » augustinien n'est pas un
mythe ; on ne peut, sans heurter les textes, affirmer le primat de
l'intelligence sur la volonté dans la conception même du bonheur
chez saint Augustin et M. B. est un historien trop consciencieux
pour ne point nous faire connaître ces textes, dont certains
d'ailleurs sont devenus pour ainsi dire classiques (gaudium de veritate).
Aussi le commentaire se trouve-t-il en l'occurrence démenti par les
citations qu'il devrait éclairer (pp. 228-229)...
Mais c'est, en quelque sorte, à regret que nous notons ces
quelques critiques; nous craignons qu'elles n'atténuent
l'impression de tous points excellente que nous a laissée le travail de
M. Boyer. L'auteur nous fait pénétrer admirablement dans la pensée
de saint Augustin ; il se l'est si bien assimilée, qu'il se dégage de
son livre un charme analogue à celui des écrits du divin africain
lui-même. C'est bien lui qu'on y retrouve; c'est sa doctrine
personnelle vraie, avec sa physionomie véritable. Elle n'est point traduite
dans le langage d'une philosophie étrangère ou transposée suivant
les catégories d'un autre système ; on ne l'a point violemment
enchâssée dans des cadres construits d'avance. On s'est contenté
de ramasser l'exposé dans une langue claire et concise, où se
réunissent en une gerbe touffue les mille traits de feu épars dans
l'œuvre immense du grand penseur.
L'ouvrage de M. Boyer marque un progrès réel sur l'important
article du P. Portalié dans le Dictionnaire de Théologie catholique
et sur le volume consacré à saint Augustin par M. l'abbé Jules
Martin dans la collection des Grands Philosophes.
A. Mansion.

Augustin Périer, Yahyâ Ben <Adi, un philosophe arabe chrétien du


Xe siècle. Thèse pour le doctorat es lettres. 1 vol. in-8°, 228 pp. —
Paris, J. Gabalda, P. Geulhner, 1920.
Id., Petits traités apologétiques de Yahyâ Ben 'Adi, texte arabe édité
pour la première fois d'après les manuscrits de Paris, de Borne
et de Munich et traduit en français. Thèse complémentaire. \ vol.
in-8°, 136 pp. — lbid., 1920.
M. A. Périer a fait œuvre méritoire en publiant ses deux thèses
consacrées à l'œuvre de Yah) à Ben 'Adi. Connu seulement par
quelques phrases inexactes des histoires générales et une
monographie de G. Graf, que les travaux de M. P. viennent heureusement

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