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Actes du colloque international

E. Godoli, A. Saadaoui dir.


Proceedings of the international symposium
Architectes, ingénieurs, entrepreneurs
et artistes décorateurs italiens au Maghreb /
Tunis: Université de la Manouba, Faculté des Lettres
Association pour la Sauvegarde de la Médina, 6-7 décembre 2018 Italian architects, engineers, contractors
Textes de / Texts by
and decorating artists in the Maghreb
Beya Abidi, Maïssa Acheuk-Youcef, LeÏla Ammar, Esmahen Ben
Moussa, Vittoria Capresi, Marco Capponi, Khadija Derbel, Vilma
Fasoli, Saloua Ferjani, Afef Gannouchi, Milva Giacomelli, Ezio Godoli,

Architectes, ingénieurs, entrepreneurs et artistes décorateurs


italiens au Maghreb / Italian architects, engineers, contractors
and decorating artists in the Maghreb
Dominique Jarrassé, Ouiem Kartas, Giusi Lo Tennero, Faiza Matri,
Eliana Mauro, Lorenzo Mingardi, Houssem Eddine Othmani, Iness
Ouertani, Cristina Pallini, Ettore Sessa, Dalila Sicomo, Foteini Stringari,
Ulisse Tramonti, Stefano Zagnoni.

textes réunis par / texts collected by Ezio Godoli et Ahmed Saadaoui

ETS

€ 32,00 Quaderni del Cedacot /3 Edizioni ETS


HLM de Djenan Ben Omar, maquette, 1970 (ACS, MOR_Progetti_03284).
Une maison pour tous. Les Habitations à Loyer Modéré
de Luigi Moretti en Algérie
Lorenzo Mingardi

Depuis la fin des années 1960, Luigi Moretti projette de nombreuses œuvres publiques en
Algérie commissionnées par le gouvernement de Houari Boumédiène, au pouvoir depuis
le coup d’état de 1965. Citons quelques chiffres pour donner une idée du nombre de pro-
jets réalisés : quatre centres commerciaux, plus de six mille habitations, écoles pour plus
de seize mille élèves, auxquels il faut ajouter les œuvres réalisées par l’atelier de Moretti
après sa mort. Ces œuvres se situent sur un territoire qui s’étend de Tlemcen, proche de la
frontière avec le Maroc, jusqu’au côté opposé, à Annaba, près de la frontière tunisienne.
Il faut inscrire les œuvres algériennes de Moretti dans un programme plus large de re-
configuration du pays. Dans l’attente de la formation d’architectes locaux, la nouvelle Algérie
de Boumédiène a besoin de personnalités étrangères : le gouvernement fait également ap-
pelle à d’autres architectes prestigieux, comme Oscar Niemeyer, qui construit le campus de
l’Université des sciences et technologies e la coupole olympique du 5 juillet à Alger, l’École
Polytechnique d’architecture et d’Urbanisme à El Harrach, à l’est d’Alger, et l’Université de
Constantine, et Kenzo Tange, qui construit des résidences pour la nouvelle université d’Oran.
On ne sait pas comment Moretti est entré en contact avec les représentants du gouver-
nement algérien. Cependant, nous pouvons mentionner deux épisodes qui, avant même
l’indépendance du pays, ont rapproché Moretti de l’Algérie. Lucio Causa, collaborateur de
Moretti depuis 1962, rappelle que Moretti s’était rendu à Alger au milieu des années 1950
pour assister à une conférence internationale sur l’état de “santé” de la Casbah1. Nous
savons également que le 30 mars 1960 Moretti avait organisé la conférence d’ouverture –
L’architecture italienne d’aujourd’hui – de l’exposition sur L’architecture italienne de 1945
à 1960 au Centre de culture italienne d’Alger2. Lucio Causa rappelle que « Moretti était
un homme aux relations infinies »3: les deux conférences ont probablement constitué une
occasion propice pour lui pour nouer des relations avec les intellectuels algériens. Plus tard,
ils feront partie du Ministère des Travaux publics4.

1
L. Causa, Moretti in Algeria, in CARRANO 2007, p. 99.
2
La conférence sera répétée à Tunis le 11 mai 1960 et publiée : L. Moretti, L’architecture italienne d'au-
jourd'hui : conférence tenue au Comité culturel tunisien, 11 mai 1960, Roma 1960.
3
Entretien de Ezio Godoli et Ulisse Tramonti avec L. Causa, projet de recherche européen Elconum,
groupe d’étude de l’Université de Florence.
4
SANTUCCIO 2010, p. 365 293
Architectes, ingénieurs, entrepreneurs et artistes décorateurs italiens au Maghreb

Selon le récit de Causa5, c’est avec le même groupe de personnes que Moretti se réu-
nira à Rome en 1967 à l’ambassade d’Algérie qui lui confiera son premier emploi à Alger
pour la poursuite de la construction de l’hôtel El Aurassi, commencée depuis quelques
mois6. El Aurassi est le point de départ de la vaste campagne de réalisations d’architectes
en Algérie qui suivra. La tâche est particulièrement importante car le bâtiment, compte
tenu de sa taille et de son emplacement, est appelé à devenir l’un des symboles de la
nouvelle république algérienne. Son nom provient des Monts, un massif montagneux situé
à l’est de l’Algérie, dont les habitants ont été parmi les premiers à se soulever contre l’oc-
cupation française7.
Entre la fin des années 1960 et le début des années 1970, les liens architecturaux entre
l’Italie et l’Algérie ne se sont pas limités au nom de Moretti. De nombreux architectes ita-
liens diplômés se rendent en Algérie pour travailler dans des organisations de planification
gouvernementales8. Ils se consacrent, en particulier, au thème de la construction résiden-
tielle dans les grandes villes: ils étudient la croissance d’Alger qui, à la fin des années 1960,
a dû faire face à un phénomène d’urbanisation flagrant. Les nouveaux citadins arrivent des
campagnes et il est donc absolument nécessaire de créer de nouveaux logements pour
éviter la formation de bidonvilles.
À l’époque, il n’existait pas de programme gouvernemental pour palier à l’urgence. Les
mesures du pays visant à freiner la migration des paysans vers les villes ne commenceront
qu’en 1971, avec la publication de la carte de la révolution agraire et la fondation des
“villages agricoles socialistes”, projets de logements populaires à bas prix dans les zones
rurales9.
De plus, pour favoriser la reprise économique du gouvernement, Boumédiène a choisi
de se concentrer principalement sur l’industrie lourde en nationalisant, un peu plus tard, les
grandes sociétés minières et pétrolières étrangères, laissant de côté l’activité de construc-
tion10.
À la fin des années 1960 le besoin d’habitations en Algérie est donc pressant: la seule
mesure du gouvernement pour résoudre le problème, ou du moins pour limiter son impor-
tance, est le programme Habitations à Loyer Modéré (HLM), qui promeut la construction
de logements pour une population à faibles revenus à travers le financement public. Le
programme HLM avait été établi en Algérie dès 1948 par le gouvernement français, qui

5
Ibidem.
6
Moretti a été invité à poursuivre les travaux déjà entamés par une entreprise de construction égyptienne
qui a été évincée à un moment donné de sa mission ; voir CARRANO 2007, pp. 15-24 et SANTUCCIO 2010, p. 365.
7
SANTUCCIO 2010, p. 366.
8
L’un d’entre eux était le Commedore, le bureau de la présidence du conseil chargé du développement
du Grand Alger ; témoignage de Daniele Pini, interviewé par E. Godoli pour le projet Elconum.
9
En raison de l’échec de la révolution agraire, ces villages n’iront généralement pas au-delà des projets
pilotes.
294 10
CALCHI NOVATI - ROGGERO 2018.
Une maison pour tous. Les Habitations à Loyer Modéré de Luigi Moretti en Algérie

HLM de Blida, type de plante d’un bâtiment, [1970] (ACS, MOR_Progetti_272_ES_ Rotolo 12_001_03).

avait prévu la construction de petits villages destinés à la population qui avait fui la cam-
pagne ou était restée sans abri en raison de la détérioration de la situation des construc-
tions françaises du 19e siècle, ayant ainsi la possibilité de se retrouver en communauté et
de se reconnaître en tant que telle. L’intention du gouvernement, à travers les HLM, étant
celle de donner vie à des villages dotés de nombreux services afin d’amener la population
à atteindre une autosuffisance présumée par rapport aux centres habités les plus proches.
C’est dans le cadre du programme HLM qu’à partir de 1968, le ministère des Travaux
publics charge Moretti de construire de nombreux logements à loyer modéré. Pour faire
face à cette vaste campagne de réalisations, l’Atelier Moretti ouvre une ‘succursale’ à Alger.
C’est ainsi que Giovanni Quadarella, Lucio Causa et Luigi Borlenghi, qui collaboraient déjà
depuis plusieurs années avec Moretti11, passent de longs mois dans la capitale pour consti-
tuer une équipe de jeunes architectes algériens, français et italiens12. Entre 1969 et 1980
– l’Atelier poursuivra ses activités en Algérie pendant plus de sept ans après la mort de Mo-
retti – environ cinq mille résidences sont prévues et construites : deux mille appartements à
Alger, répartis d’est en ouest entre les quatre hameaux populeux d’El Biar, Kouba, Lavigerie
et Bainem, et trois mille autres dans la région de la Kabylie, entre la capitale Tizi Ouzou et
d’autres centres agricoles plus petits. La quantité est évidement plus importante que la qua-
lité. De plus, les dispositions ministérielles imposent un maximum de quatre étages et un
langage simplifié, basé sur l’utilisation de typologies standardisées. Cependant, les dessins
de Moretti et de ses collaborateurs montrent leurs efforts pour créer des bâtiments allant
au-delà du simple préfabriqué.

11
Giovanni Quadarella depuis 1954, Lucio Causa depuis 1962 et l’ingénieur Luigi Borlenghi depuis 1961.
12
Entretien de E. Godoli et U. Tramonti avec L. Causa, cité. 295
Architectes, ingénieurs, entrepreneurs et artistes décorateurs italiens au Maghreb

Le thème du logement social n’était pas nouveau pour Moretti, mais il n’avait jamais été
au centre de sa vie professionnelle. Entre 1958 et 1960, il avait collaboré avec Raffaello Fa-
gnoni et d’autres architectes toscans pour l’urbanisation du quartier du CEP «La Rosa» de
Livourne13, mais il n’avait réellement abordé le thème du quartier populaire que quelques
années avant l’aventure algérienne. Entre 1958 et 1965, en collaboration avec Adalberto
Libera et d’autres architectes, il avait construit deux complexes résidentiels de l’Institut na-
tional des employés de l’État (INCIS) à Rome : le village olympique et le complexe Decima14.
Selon le témoignage de Roberto Morisi, l’un de ses collaborateurs les plus proches, qui
le soutiendra également dans certaines œuvres algériennes, Moretti était devenu plus at-
tentif depuis le début des années 1960 au thème de l’architecture populaire: «Il a travaillé
avec enthousiasme pour le milliardaire centraméricain, pour l’institution qui était censée
être le nouveau siège de l’église, mais le thème qui le concernait le plus, qui le rendait
plus scrupuleux et attentif était celui du social et en particulier du foyer. Attentif tout par-
ticulièrement à respecter les paramètres qui font de la maison, du quartier, des structures
adaptées à la vie moderne et civile, un dispositif non absurde et abrutissant. Et au cours des
dernières années, cela deviendra une pensée fixe pour lui. « Après avoir tout conçu a-t-il
dit, je voudrais bien faire la maison des pauvres». Et je crois qu’il pensait – lui, Romain –
prévenir les catastrophes des villages abusifs»15.
Pour corroborer ce que témoigne Morisi, nous savons qu’à partir de 1960, Moretti
avait conçu le quartier populaire de Marina Reale à Castel Porziano, près de Rome16: un
complexe qui, en raison des principes d’implantation et des types de bâtiments, présente
certaines similitudes avec les villages qu’il proposera bientôt en Algérie.
Lorsque Moretti commence à travailler sur des maisons algériennes, il est obligé d’af-
fronter non seulement le thème du logement social, mais également celui de la préfabri-
cation. En raison de l’énorme quantité de réalisations requises, une production en série
est inévitable. La typologie des bâtiments proposée par Moretti et son atelier est donc
presque toujours la même: des corps longitudinaux et compacts. Pour dépasser la mono-
tonie de la construction, l’architecte et ses collaborateurs se concentrent fermement sur le
principe d’implantation: les bâtiments des quartiers HLM ne sont pas aménagés selon des

13
L'acronyme CEP signifie "Coordinamento Edilizia Popolare" et indique les quartiers de logements publics
construits dans de nombreuses villes italiennes au cours des sept années qui ont suivi le plan Fanfani. Moretti
conçoit le principe d’implantation du quartier et collabore avec Fagnoni au développement de certains détails
des bâtiments conçus par l’architecte toscan ; ASF, Fondo Raffaello Fagnoni (non répertorié).
14
L’INCIS a été créé à l’époque fasciste afin de fournir les logements aux employés de l’État à des condi-
tions favorables ; les bâtiments construits pour l’institution devaient donc répondre aux mêmes exigences en
matière de logement économique et d’habitations populaires, afin de garantir la plus grande économie de
dépenses possible, en obtenant un nombre maximum de logements dans l’espace disponible ; ROSTAGNI 2008,
p. 133.
15
R. Morisi, Dieci domande su Luigi Moretti: risponde Roberto Morisi, dans FINELLI 1989, p. 145.
16
«Le projet approuvé en 1960, a été modifié par Moretti en 1963 selon les règles fixées par le nouveau
296 plan de réglementation. Le projet final est en 1967», ROSTAGNI 2008, p. 317.
Une maison pour tous. Les Habitations à Loyer Modéré de Luigi Moretti en Algérie

L. Moretti, HLM de Djenan Ben Omar, planimétrie, 1970 (ACS, MOR_Progetti_272_OR_014).

paramètres géométriques, mais s’adaptent aux irrégularités du terrain à construire. Etant


donné que l’Atelier Moretti projette sur des territoires très différents quant à l’orientation,
la pente, etc., la conception du quartier varie aussi en fonction de celles-ci.
On le voir bien dans l’exemple de HLM de Larbaa Naith Irathen, dans la province de Tizi
Ouzou, où l’on conserve une esquisse originale de Moretti. Les bâtiments alignés suivent
les courbes du niveau du sol, de la même manière que les rues sinueuses, jusqu’à former
un design de la colonie non obstrué et à créer, parmi les bâtiments, des espaces ouverts
qui ne répondent pas strictement à la pratique de l’échiquier. Il en est de même à Bouira,
également dans la région de Tizi Ouzou, où l’on retrouve les corps des bâtiments disposés
de manière à créer des espaces extérieurs pour la vie de la communauté toujours variés.
Djenan Ben Omar au Kouba en est un autre exemple significatif: la volonté marquée de ré-
aliser un projet varié, malgré le sens géométrique de la composition, apparaît ici très claire-
ment. Ces villages naissaient dans des zones désolées et souvent très éloignées des centres
habités: il fallait donc dessiner des quartiers où les habitants pouvaient se sentir membres
d’une petite communauté et vivre sereinement sans nécessairement se rendre en ville. 297
Architectes, ingénieurs, entrepreneurs et artistes décorateurs italiens au Maghreb

Dans la plupart des cas, les HLM de Moretti disposent d’un grand espace autour duquel
sont aménagées des résidences, où sont insérés des bâtiments publics et les services essen-
tiels d’une petite communauté: écoles, centres sociaux et centres commerciaux. Cet espace
n’est pas nécessairement situé au centre du village, mais se trouve sans aucun doute dans son
cœur. La circulation est laissée de côté: il doit aussi être un lieu où les enfants ont une liberté
de jeu totale en dehors des heures de classe. Comme preuve de l’importance de cet aspect
dans la conception des espaces ouverts du HLM, au bas d’un dessin pour le village de Dra
Ben Kedda, Moretti suggère, en fait, de prescrire aux employés de créer des « espaces pour
les enfants en dehors des heures de classe. Au moins 4 mètres carrés par enfant »17.
Le protagoniste absolu de ces villages est sans aucun doute l’espace ouvert. Moretti
s’occupe de la vision globale qui prévaut toujours sur le seul élément: « Dès son plus jeune
âge, sa fixation était celle de «s’installer» sur les places et dans les rues historiques romaines
pour évaluer et comprendre les relations entre bâtiments et espaces interposés […] et les
résonances qui ont suivi […] Il se souvenait de mémoire des mesures»18. Le but de créer un
«milieu de vie» est évident dans un endroit qui en est naturellement dépourvu. Ludovico
Quaroni écrivait à propos des quartiers italiens de la maison INA: «Il y avait, dans l’idée de
quartier […] l’idée d’une relation plus directe et plus consciente entre l’environnement et
l’homme, fondée sur la conviction de la valeur éducative, sur le plan social ainsi que sur le
plan politique et moral, de l’environnement de la vie»19.
Moretti, comme nous le disions, ne participe pas à la saison INA-Casa et n’est même
pas au premier plan des débats selon lesquels, en Italie comme en Europe, il faut insister
pour surmonter la rigidité de la planification urbaine proposée par la CIAM après les deux
guerres mondiales qui, selon la majorité des architectes européens actifs dans les années
1950 et 1960, avait «fait taire» la vie sociale dans les quartiers et les villes. Cependant, le
climat intellectuel dans lequel sont constitués les principes qui caractérisent les quartiers
INA-Casa en Italie est varié – diverses compositions «urbaines, mouvantes et articulées,
permettant notamment de créer des environnements accueillants et propices à la détente,
avec des vues panoramiques et dotées de belle végétation»20. Il est emblématique de voir
sa recherche s’apparenter à celle d’architectes qui n’avaient jamais considéré le logement
social comme une architecture de série B. En effet, ils avaient été particulièrement ac-
tifs dans la construction de quartiers populaires dans les années 1950 en Italie, comme
Michelucci, Libera et Vaccaro. Nous l’avons lu dans l’intervention précitée L’architecture
italienne d’aujourd’hui, dans laquelle l’architecte reprend une élaboration formulée par
Agnoldomenico Pica pour «cataloguer» les concepteurs qui travaillent en Italie après la Se-
conde Guerre mondiale :«Agnoldomenico Pica […] au cours d’une récente étude consacrée

17
ACS, Fondo Moretti (à partir de maintenant ACS, MOR), Progetti, 272, OR, 012.
18
R.Morisi, op.cit., pp. 144-145.
19
L.Quaroni, «Politica del quartiere», Urbanistica, 1957, n. 22, p. 66.
20
Piano incremento occupazione operaia. Case per lavoratori, 1. Suggerimenti, norme e schemi per la
298 elaborazione e presentazione dei progetti. Bandi dei concorsi, Roma 1949, p. 11.
Une maison pour tous. Les Habitations à Loyer Modéré de Luigi Moretti en Algérie

L. Moretti, HLM de Dra Ben Ked-


da, étude de plan, 1969 (ACS,
MOR_Progetti_272_OR_013).

L. Moretti, HLM de Dra Ben Ked-


da, étude de plan, 1969 (ACS,
MOR_Progetti_272_OR_012).

à l’Architecture italienne de ces derniers temps, y a rencontré trois courants, ou, pour mieux
dire […] trois espaces de classification»21. Dans le premier, il y a les architectes qui opèrent
encore dans le sillage du rationalisme – Albini, Figini et Pollini, Bottoni et d’autres – dans

21
L. Moretti, op.cit., p. 17. 299
Architectes, ingénieurs, entrepreneurs et artistes décorateurs italiens au Maghreb

L. Moretti, HLM de Dra Ben Kedda, planimétrie, 1969 (ACS, MOR_Progetti_272_ES_ Rotolo 18_002_01).

le second «les architectes qui ont ressenti davantage les attraits du monde de Wright»22 –
BBPR, Ridolfi, Gardella, ecc. – et enfin, le groupe d’architectes appartenant à la “troisième
atmosphère chargés d’autres tensions particulières, riches en recherches conduites avec
pleine liberté d’esprit, auquel appartient un groupe d’architectes, dont certains se sont déjà
affirmés en leur personnalité singulière, comme: Pierluigi Nervi, Michelucci, Libera, Vaccaro,
Morandi, Mollino et moi-même […] De Libera et de Vaccaro, on connait leur volonté de
rigueur, et aussi de contrôle formel sous la poussée de faits plastiques émotifs»23. Bien que
nous ayons aujourd’hui un panorama très schématique non partagé, si nous désirons aller
au-delà, ces lignes sont importantes pour comprendre l’itinéraire du travail de Moretti au
moment où il est sur le point de faire face aux problèmes algériens.
Jusqu’ici, on a parlé de Moretti et de ses collaborateurs. Mais à qui appartient la pater-
nité des projets de logement populaires en Algérie? Moretti en a-t-il délégué la conception
à ses collaborateurs ou leur a-t-il dicté les directives générales qui ont ensuite développé le
design des villages ?
Quand Moretti commence à s’occuper de HLM, il jouit d’une santé précaire: en 1968,
il subit une première crise cardiaque, alors qu’il s’occupait de l’hôtel El Aurassi à Alger. Il
est également responsable de la coordination d’un très grand atelier qui compte plusieurs
commandes en Italie et dans le monde. Et il vie à Rome et se rend rarement à Alger24. Cela

22
Ibidem, pp. 16-17.
23
Ibidem, p. 19.
300 24
Entretien de E. Godoli et U. Tramonti avec L. Causa, cité.
Une maison pour tous. Les Habitations à Loyer Modéré de Luigi Moretti en Algérie

L. Moretti, HLM de Lar-


baa Naith Iraten, étude de
plan, 1969 (ACS, MOR_
Progetti_272_OR_008).

laisse à penser qu’il délègue l’étude de ces quartiers aux collaborateurs romains. Mais, si
l’on regarde les nombreux dessins autographes relatifs aux HLM conservés à Rome, nous
comprenons que Moretti souhaite maîtriser la conception initiale de tous ses projets. En
particulier, on signale les dessins pour l’intervention de Tizi Ouzou, à travers lesquels on
peut lire la genèse de la construction du village. L’esquisse qui se rapproche le plus du des-
sin final, datée du 8 juin 1969, est signée en bas par Moretti, qui écrit : «Faire le modèle»25.
On peut voir la main de Moretti dans le HLM de Dra Ben Kedda également, conçu par
Causa, Quadarella, Borlenghi et Morisi. Dra Ben Kedda rappelle toutes les caractéristiques
que nous avons décrites dans les exemples cités ci-dessus: bâtiments alignés disposés sans
suivre des motifs géométriques, autour d’un espace ouvert dans lequel, dans ce cas, un
complexe scolaire est conçu. On y trouve un dessin très utile daté du 15 juin 1969, où l’on
retrouve les indications que Moretti donne à ses collaborateurs. Il écrit : «Chaque district
devrait avoir une école primaire, un jardin d’enfants, un terrain de sport de petites mesures,
un marché comportant de préférence deux zones distinctes (nourriture, vêtements). Près de
ceux-ci, faire (peut-être) une rangée de magasins. Un carré commun éventuellement om-
bragé. Tous les bâtiments du front occidental devraient avoir une rangée d’arbres »26. Ce
sont des indications utiles non seulement pour le projet de Dra Ben Kedda, mais également
pour les autres travaux qui entreprennent le “détachement” de son étude à Alger.
Mais même sans documents et sans la lecture en filigrane des dessins relatifs à Dra Ben
Kedda ou Tizi Ouzou, on peut attribuer au maître la marque du signe: ces villages pré-
sentent une capacité à contrôler les espaces ouverts entre les bâtiments que seul Moretti
pouvait avoir.

25
ACS, MOR, Progetti, 272, OR, 003.
26
ACS, MOR, Progetti, 272, OR, 012. 301
Architectes, ingénieurs, entrepreneurs et artistes décorateurs italiens au Maghreb

HLM de Lavigerie, vue générale,


1970 (Archive Lucio Causa, Rome).

HLM de Lavigerie, vue générale,


1970 (Archive Lucio Causa, Rome).

Aussi, s’agissant de projets algériens, il est donc effectif, comme l’a déclaré Carlo Belli :
les collaborateurs de Moretti «travaillaient à ses ordres en exécutant avec soin ce qu’il avait
conçu, en traduisant fidèlement ses dessins, en interprétant les fantasmes qu’il éclaboussait
sur des morceaux de papier»27.

302 27
C. Belli, «Grandiosità e avvenirismo di Luigi Moretti», Il Tempo, 17 juillet 1973.
Une maison pour tous. Les Habitations à Loyer Modéré de Luigi Moretti en Algérie

Si le tracé urbain est conçu par Moretti, qui s’occupe de la conception de bâtiments?
Causa témoigne que les membres de l’atelier, ainsi que Moretti, étudient des cel-
lules-types suffisamment ductiles pour permettre les variantes nécessaires pour répondre
aux différents besoins en matière de logement. Par conséquent, le dimensionnement peut
varier, mais pas la configuration linéaire du bâtiment: le plus approprié pour être répété
plusieurs fois. Moretti écrit également au bas du dessin du village de Dra Ben Kedda : «Je
réalise qu’il sera difficile de faire coïncider les mesures réelles des bâtiments avec les me-
sures de la planimétrie. Gardez le gauchissement de la piste comme toujours vrai. Mesurez
des variables mais pas de structure »28.
L’aspect extérieur des résidences est voté pour la normalisation maximale. Moretti s’en
est très peu occupé, laissant de la place aux collaborateurs qui les ont conçus en série. Les
seuls éléments qui animent les façades des bâtiments sont les ailes brise-soleil en corres-
pondance des terrasses, comme à Lavigerie29, l’accentuation des volumes correspondant
aux escaliers ou l’utilisation, parfois, de corniches fortement saillantes pour créer, grâce à
la lumière algérienne, des effets plastiques typiques de l’itinéraire de Moretti. La paternité
de ces interventions est probablement presque entièrement imputable aux collaborateurs
qui, en concevant ces bâtiments, ont essayé de saisir, dans le vocabulaire du maître, les
éléments qui pouvaient être réadaptés à la réalité algérienne. Par exemple, les volumes des
bâtiments ont des murs très épais – parfois même 70 cm – non seulement pour des raisons
climatiques, mais aussi pour obtenir des effets plastiques de clair-obscur grâce aux trous
dans les fenêtres évasées.
Comment les chantiers ont-ils été organisés? L’atelier Moretti devait traiter avec les
entreprises locales: il s’agissait d’une demande explicite du ministère. Par conséquent, si la
gestion était confiée au personnel italien, il était encadré par des fonctionnaires du génie
civil algérien. Les entreprises et les travailleurs sont choisis directement par le ministère: les
bâtiments en construction deviennent des occasions pour enseigner le métier à un person-
nel majoritairement originaire de la campagne30.
Malgré cela, l’atelier Moretti jouissait d’une grande liberté de choix : le commissaire
ministériel public n’a jamais donné d’indication sur les choix typologiques et formels. Les
croquis que le bureau a présenté aux fonctionnaires du ministère ont presque toujours été
immédiatement approuvés31. La seule préoccupation du Ministère était que les bâtiments
puissent être facilement réalisés par des travailleurs locaux et inexpérimentés32. C’est une
autre raison pour laquelle la typologie est toujours la même: les éléments qui caractérisent
l’aspect formel des corps de bâtiments sont réduits au minimum.
Compte tenu des nombreuses contraintes imposées aux techniques de construction,

28
Ibidem.
29
ACS, MOR, Progetti, 272, ES, Rotolo 17-002.
30
FINELLI 1989, p. 125.
31
Entretien de E. Godoli et U. Tramonti avec L. Causa, cité.
32
Entretien de E. Godoli et U. Tramonti avec Vittorio Franchetti Pardo et Andrea Nonis, projet Elconum. 303
Architectes, ingénieurs, entrepreneurs et artistes décorateurs italiens au Maghreb

L. Moretti, HLM de Tizi Ouzu, étude de plan, [1970] (ACS, MOR_Progetti_272_OR_003).

aux matériaux et aux types de bâtiments, c’est donc le principe d’implantation qui consti-
tue l’aspect le plus intéressant des projets de logements populaires de Moretti en Algérie.
«Dans un avenir proche, il faut d’abord considérer que l’augmentation démographique
croissante […] de la discrimination formelle entre les classes actuelles de moins en moins
sensibles […] mènera à des établissements humains dans lesquels les structures de loge-
ment et de services ne pourront pas avoir d’interprétations extrêmement réduites. Le bâ-
timent se conformera en tant que substance prédominante de l’architecture. D’autre part,
il sera clairement établi que seuls le nombre et la complexité des paramètres de liaison
304 détermineront les nuances et les passages entre l’architecture au sens ancien du terme et la
Une maison pour tous. Les Habitations à Loyer Modéré de Luigi Moretti en Algérie

L. Moretti, HLM de Bouira, planimétrie, [1969] (ACS, MOR_Progetti_272_ES_ Rotolo 02_0601).

construction, puisqu’ils constituent une unité sans rupture conceptuelle. L’architecture vivra
toujours dans les monuments […] ainsi que pour les bâtiments et leur disposition spatiale.
Un ordre qui doit suivre des paramètres fonctionnels précis et complets, y compris spiri-
tuels. Ces paramètres peuvent donner une nouvelle «venustas» aux espaces du futur […]
Même le secteur de la construction, lorsqu’il s’agira d’une production industrielle en série,
aura, comme les voitures d’aujourd’hui, sa nouvelle beauté»33. Dans ces concepts exprimés
par Moretti lors d’une conférence à l’Académie de San Luca en 1964, on retrouve tout
l’intérêt du professeur pour le logement social.
Dans les villages HLM algériens, en particulier dans leurs principes de peuplement étu-
diés, les propos que Moretti avait exposé dans son discours tenu quelques années avant
de partir pour l’aventure algérienne sont clairement exprimés: le logement social peut se
mettre qualitativement au même niveau que les autres dans les zones de croissance de la
ville contemporaine. Cela ne se fait pas tant à travers les bâtiments, mais à travers les es-
paces entre les habitations qui établissent la relation inséparable qui existe dans ces villages
et les lieux ouverts et les volumes fermés et constituent le véritable moteur de la vie sociale
des petites communautés de nouveaux citoyens.

33
Discours prononcé par Moretti à l'Académie nationale de San Luca le 16 avril 1964 ; MONTEVECCHI 2007,
p. 6. 305

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