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Quel futur pour le pétrole face au réchauffement climatique ?

La Conférence sur le Climat qui a eu lieu à Paris nous rappelle l’urgence du réchauffement
climatique et l’impératif de contenir la température sur terre en deçà des 2°C. Sachant que
les énergies fossiles sont responsables de 2/3 des émissions de gaz à effet de serre, dont
35% sont dues au pétrole, questionner et faire évoluer nos modes de production énergétique
apparaît comme une priorité dans ce débat. Dans ce contexte, comment imaginer un futur
sans pétrole ?

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Quel futur pour le pétrole face au réchauffement climatique ?

Peut-on à l’avenir continuer d’exploiter le pétrole ou doit-on le laisser sous terre ? [1]
Comment expliquer les bas prix du pétrole ? Aujourd’hui, tous les pays de la planète sont
encore fortement dépendants du pétrole. Peu importe le mix énergétique de chaque pays, le
pétrole est la seule énergie dont les pays ne peuvent se passer. Indispensable pour le
transport – 53% y est dédié – l’on remarque que son usage dans le secteur de la pétrochimie

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Quel futur pour le pétrole face au réchauffement climatique ?

(matières plastiques, fibres synthétiques, médicaments, cosmétiques…) augmente aussi


fortement. Le pétrole est par définition une ressource épuisable. Plus le prix augmente, plus
les réserves [2] vont augmenter car il devient rentable de les exploiter. On constate que les
réserves n’ont cessé d’augmenter jusqu’à aujourd’hui, surtout en raison de l’évolution des
technologies de production qui permettent d’exploiter du pétrole auparavant inexploitable
(offshore, pétrole non conventionnel…). Les prévisions du pic pétrolier s’en trouvent donc
démenties [3] . Cependant, l’on voit aujourd’hui que la baisse du prix du pétrole freine de
nouvelles exploitations pétrolières, préservant, pour le moment, des régions telles que
l’Arctique [4] En 2014, le prix du baril est en effet passé sous la barre des 50 dollars, soit le
prix le plus bas depuis 2009. Cette situation assez inédite s’explique par un déséquilibre
entre l’offre et la demande. Le ralentissement de l’économie globale, et notamment de la
Chine et des pays émergents, a entraîné une baisse de la demande. La faible croissance
économique de l’Europe a été également un facteur aggravant. Parallèlement, le niveau de
l’offre reste élevé. Les États-Unis sont devenus le premier producteur mondial en 2014 grâce
à l’exploitation de gisements non conventionnels. L’Arabie Saoudite a quant à elle maintenu
son niveau de production, elle qui d’habitude l’ajuste pour garantir des prix entre 80 et 100
dollars le baril. Mais plus que des raisons d’ordre financier, des raisons politiques, sociales et
environnementales interviennent pour décider ou non de l’exploitation de la précieuse
ressource. Pourquoi laisser le pétrole sous terre ? Certains pays sont victimes de la
malédiction des ressources. Les populations d’Amazonie au Pérou, bien que petit producteur
de pétrole au niveau mondial, souffrent directement de la présence du pétrole qui ne
contribue en rien à leur développement mais dont l’exploitation dégrade leur cadre de vie
durablement. 70% du territoire national est sous concession gazière ou pétrolière sans
compter les 20% sous concession minière ; la quasi-totalité du pays est ainsi vendue à des
entreprises. La maladie hollandaise est un autre syndrome qui affecte des pays qui se
lancent dans la production aiguë de ressources naturelles comme le pétrole qui entraîne un
impact sur leur secteur manufacturier. En effet, la demande forte en produits pétroliers
engendre une appréciation croissante du taux de change de la monnaie qui se répercute sur
les produits d’autres secteurs dont le prix se voit augmenté et qui perdent donc en
compétitivité. Le pétrole est également facteur de conflit car il peut devenir dans certains
pays la seule manière d’avoir accès à la richesse. Il peut donc faire l’objet de luttes de
pouvoir violentes. Finalement, le réchauffement climatique se dresse comme une contrainte
majeure. Si l’on ne change rien à notre consommation énergétique, on s’aventure vers des
scénarios climatiques imprévisibles et dramatiques. Dans le 5ème rapport du GIEC est

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Quel futur pour le pétrole face au réchauffement climatique ?

apparue la notion de budget carbone, c’est-à-dire les émissions de CO2 maximales qui
peuvent être répandues dans l’atmosphère pour rester en-dessous des 2°C. Selon les calculs
du GIEC, en 2011, il nous restait 1000Gt [5] Si la vitesse d’émissions ne diminue pas, ce
budget sera épuisé en 2037. Pour respecter le budget déterminé par le GIEC, l’Agence
Internationale de l’Energie (AIE) nous dit que 2/3 des réserves fossiles prouvées [6] devraient
rester dans le sol ! Il n’y aurait donc aucune raison de poursuivre les explorations de
combustibles fossiles. La Belgique sur le bon chemin ? La Belgique est un pays pétrolier. Elle
possède 4 raffineries dont 2 très importantes, celles d’Exxon et de Total. La capacité de
raffinage représente 2 fois la consommation intérieure belge révélant une forte tendance à
l’exportation. La Belgique reste un pays dépendant des énergies fossiles car elle consomme,
en matière d’énergie primaire, 40% de pétrole – la moyenne européenne est de 34%-, 25%
de gaz naturel et 19% de nucléaire. Au niveau de l’évolution des gaz à effet de serre (GES),
entre 1990 et 2010, la Belgique a atteint l’objectif assigné par le Protocole de Kyoto en
diminuant de 7,5% ses émissions, c’est-à-dire 0,4% par an. Mais certains secteurs ne l’ont
pas atteint du tout comme le transport et le bâtiment. Pour parvenir aux objectifs de la
Commission européenne d’atteindre en 2050 une baisse de 80-95% des émissions de GES, la
Belgique devrait réduire celles-ci de 5% par an! Comment faire, quand on connaît la
dépendance au pétrole de la Belgique notamment dans le secteur de la pétrochimie ? Et que
le comportement peu engageant de notre gouvernement ne force pas l’optimisme. Pour
rappel, Charles Michel est arrivé à Paris sans accord au niveau belge ce qui a valu à notre
pays le titre de « fossile du jour » décerné par le collectif de 950 ONG du Climate Action
Network. Des efforts seront encore à fournir pour parvenir aux objectifs européens en 2020 [7]
. Quelles solutions ? Plus personne aujourd’hui n’ignore la menace que représente le
réchauffement climatique. Même les États-Unis ont identifié le changement climatique
comme un des risques majeurs de leur Stratégie Nationale de Sécurité. L’AIE prévoit qu’à
l’horizon de 2040, la consommation de pétrole et de charbon va diminuer et celle de gaz
augmenter. Pour Jean-Louis Nizet, Secrétaire général de la Fédération pétrolière Belge, « il
s’agit d’une partie de la solution, si l’on remplace une centrale à charbon par une centrale au
gaz, l’on diminue les émissions de CO2 de 60% ». Selon lui, le secteur pétrolier est favorable
à un accord sur le climat comprenant une politique énergétique qui conjugue à la fois les
impératifs climatiques, la sécurité de l’approvisionnement et la compétitivité des entreprises.
C’est dans ce cadre qu’en amont de la COP 21, dix compagnies pétrolières et gazières
mondiales (Total, Repsol, BG Group et BP…) se sont engagées à investir et à collaborer
davantage pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique. Les pourvoyeurs de

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Quel futur pour le pétrole face au réchauffement climatique ?

10% de l’énergie de la planète ont ainsi appelé à un accord efficace sur le climat. Elles se
disent en partie responsables du problème et affirment faire partie de la solution [8] . Pour que
les entreprises s’engagent, il faut que « les mêmes règles soient appliquées à toutes les
entreprises et qu’à Paris soit mis en place un système de contrôle des engagements »
explique Jean-Louis Nizet. Tout en étant attentif aux « fuites de carbone par la délocalisation
des industries en Chine pour atteindre les objectifs européens qui n’apportent en rien une
solution ». De nombreux risques économiques liés aux changements climatiques existent
pour les entreprises : des risques physiques directs liés au changement climatique
(évènements extrêmes), des risques liés à la transition (réponse politique donnée au
changement climatique) et des risques de responsabilité juridique. Les actionnaires d’une
société pourraient se retourner contre elle à propos de choix politiques irresponsables qu’elle
aurait posés. Des actionnaires de la société Shell ont d’ailleurs demandé à la compagnie de
prouver que leur business model était compatible avec l’objectif de limitation du
réchauffement à 2°C [9] .Dans le même sens, « l’agence Standard and Poors a commencé à
prendre en compte les changements climatiques dans ses critères de notation des
entreprises. La prise de conscience évolue donc ! » nous dit Noé Lecocq d’Inter
Environnement Wallonie. Face au défi gigantesque et incontournable du réchauffement
climatique, les changements comportementaux sont essentiels bien que difficiles à
modéliser. Et ils peuvent être rapides. En 10 ans, il est possible de changer les habitudes de
mobilité des personnes. La technologie représente une contribution réelle mais souvent sur-
estimée car elle évite parfois les véritables remises en question. Elle permet par contre des
changements organisationnels tels que l’avènement du smartphone comme vecteur
d’émancipation à la place de la voiture autrefois, plus polluante. La sortie des énergies
fossiles presse. Elle ne s’effectuera pas du jour au lendemain mais les énergies fossiles
utilisées aujourd’hui doivent préparer la transition de demain, les alternatives pour s’en
passer. « La communauté internationale et les pays membres de l’ONU seraient donc bien
avisés de déclarer un moratoire général sur toute nouvelle exploration d’hydrocarbures. Une
telle décision libérerait les financements nécessaires à la transition écologique des modèles
de production et de consommation. Des politiques de sobriété et d’efficacité énergétiques
pourraient voir le jour, et les énergies renouvelables, plutôt que s’additionner aux énergies
fossiles et fissiles, pourraient s’y substituer » [10]. La menace du réchauffement climatique est
si grave qu’elle provoque des réactions de peur, d’angoisse, de colère… mais elle ne peut
être ignorée. Nous avons les clés en main pour lutter et faire pression sur nos décideurs afin
que leurs décisions s’inscrivent dans le long terme. Justice et Paix s’inscrit dans ce

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mouvement et s’engage au quotidien à relayer ces enjeux auprès des citoyens et de nos
responsables politiques. Géraldine Duquenne

Documents joints
Quel futur pour le pétrole face au réchauffement climatique ?

Budget carbone: pourquoi sortir des energies fossiles?

Petrole: produire ou enfouir_diaporama (NL)

Impactos explotacion Petroleo Peru

Le pétrole du Brésil: pressions sociales

Le pétrole, une ressource stratégique

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Notes

Notes
1 Cette question a fait l’objet d’une journée de rencontre-débat organisée par le Réseau Belge Ressources Naturelles le 18 novembre. Ont
participé Philippe Copinschi, Raf Custers, Julia Cuadros, Jean-Louis Nizet et Noé Lecocq. Voir
http://justicepaix.be/spip.php?article1109#evenement-197

2 Une réserve est une ressource identifiée et exploitable aux conditions économiques et technologiques du moment.

3 Une théorie des années 50 avait prévu que les États-Unis arriveraient au maximum de leur production en 1970 mais c’était sans prévoir
l’Alaska, le pétrole offshore dans le Golfe du Mexique et le pétrole de schiste.

4 GARRIC Audrey et COSNARD Denis, « Les pétroliers qui ont reculé face à l’Arctique »,
http://www.lemonde.fr/energies/article/2015/09/28/pourquoi-les-petroliers-reculent-face-a-l-arctique_4775539_1653054.html .

5 Une gigatonne correspond à un milliard de tonnes. de CO2 à émettre.

6 Les réserves d’énergies fossiles actuelles sont estimées à 2900Gt.

7 La réduction de 20% des gaz à effet de serre, 20% d’énergies renouvelables et 20% d’amélioration de l’efficacité énergétique.

8 CHERKI Marc, « Climat : dix géants du gaz et du pétrole s’engagent pour la COP21 »,
http://www.lefigaro.fr/sciences/2015/10/16/01008-20151016ARTFIG00312-climat-dix-geants-du-gaz-et-du-petrole-s-engagent-pour-la-cop21.php

9 CARRINGTON Damian, “Shell urges shareholders to accept climate resolution”,


http://www.theguardian.com/environment/2015/jan/29/shell-urges-shareholders-to-accept-climate-change-resolution?CMP=share_btn_tw

10 COMBES Maxime, « Nous devons laisser 2/3 des énergies fossiles dans le sol »,
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/11/15/nous-devons-laisser-deux-tiers-des-energies-fossiles-dans-le-sol_1791553_3232.html

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