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Métaux, le nouvel or noir

Emmanuel Hache
Benjamin Louvet

Métaux,
le nouvel or noir
Tous droits de traduction,
d’adaptation et de reproduction réservés
pour tous pays.

© 2023, Groupe Elidia


Éditions du Rocher
28 rue Comte-Félix-Gastaldi – BP 521 – 98015 Monaco

www.editionsdurocher.fr

ISBN : 978-2-268-10966-4
EAN epub : 9782268109879
« Celui qui contrôle l’épice, contrôle l’univers. »

Dialogue du film Dune (David Lynch, 1984).


Adaptation cinématographique du roman
de Frank Herbet, Dune (1965),
premier roman du Cycle de Dune.
INTRODUCTION
La triple impasse environnementale – changement climatique, crise de
la biodiversité et pollution de l’air – s’accompagne aujourd’hui d’une
profonde remise en cause des équilibres de puissances dans le grand jeu de
la géopolitique mondiale. Les crises et les défis sont ainsi nombreux et
rendent difficiles une compréhension précise et partagée de la réalité, et
également notre capacité à anticiper les futures transformations
internationales.
La Chine et les États-Unis sont aujourd’hui rentrés dans une rivalité
systémique dans leur quête de leadership international. Et ce nouveau
contexte interroge notamment la place de l’Europe dans un ordre mondial
en profonde mutation. Depuis le 24 février 2022 et l’invasion de l’Ukraine
par la Russie, la guerre est réapparue aux portes de l’Europe, apportant avec
elle un ensemble d’incertitudes majeures sur les différents futurs possibles
en matière géopolitique, économique et énergétique. Le déclenchement de
cette guerre a remis sur le devant de la scène les questions de sécurité
énergétique et la nécessité d’approfondir les politiques d’investissements
dans les technologies bas-carbone (énergies renouvelables, électrification
des transports, stockage, etc.). Les politiques de décarbonation des systèmes
énergétiques, essentielles pour limiter le réchauffement climatique,
constituent également de nouveaux impératifs stratégiques dans un contexte
géopolitique marqué par l’incertitude et la fragilité.
De manière structurelle, limiter le réchauffement climatique constitue
l’un des plus grands défis que l’humanité ait jamais eu à relever. À
l’horizon des trois prochaines décennies, nous allons devoir transformer de
manière radicale la base du système énergétique mondial actuel, notre
manière de nous chauffer, de nous nourrir et de nous déplacer. L’enjeu est
de taille, car le mix-énergétique mondial repose aujourd’hui à plus de 80 %
sur des énergies fossiles (charbon, gaz et pétrole). De plus, ces dernières
restent encore en abondance dans le sous-sol avec plus de 150 années de
réserves pour le charbon et environ 50 années de réserves pour le gaz et le
pétrole. Transformer les fondements de la matrice énergétique actuelle doit
ainsi constituer la priorité de tous les acteurs pour permettre de conserver
l’habitabilité de la planète.
Pour ce faire, nous disposons actuellement de nombreuses options
complémentaires pour réussir notre transition vers un mix-énergétique
décarboné : améliorer l’efficacité énergétique des technologies, investir
dans les énergies renouvelables et bas-carbone et promouvoir la sobriété.
Aujourd’hui, le second volet – le déploiement massif des énergies
renouvelables et l’électrification des transports – constitue le cœur des
politiques énergétiques dans de nombreuses régions du monde. Toutefois,
nous réalisons peu à peu la face cachée de ces différentes options
technologiques. Tous ces équipements bas-carbone (panneaux solaires,
éoliennes, batteries, véhicules électriques, etc.) nécessitent, pour leur
fabrication et leur installation, une large variété de métaux. Aluminium,
cobalt, cuivre, lithium et terres rares sont ainsi devenus des ingrédients
indispensables au déploiement des technologies bas-carbone et, in fine, à la
lutte contre le réchauffement climatique. Les métaux constituent de
véritables leviers pour améliorer les performances des équipements bas-
carbone en raison de leurs propriétés physico-chimiques, mais pourraient-ils
également constituer une limite à la transition énergétique mondiale ?
Risque-t-on, dès lors, une pénurie de métaux face à l’importance des
consommations engendrées par la transition énergétique ?
Au vu de l’importance des besoins à venir, cette question peut et doit se
poser. Une chose paraît certaine : le xxie siècle sera un siècle à haute
intensité métallique et un potentiel nouvel âge d’or pour les métaux.
Il y a encore peu de temps, la question des métaux demeurait un
impensé des politiques énergétiques et des politiques publiques. Mines et
métaux avaient été rangés au placard de l’histoire économique et
industrielle de nombreux pays européens, dont la France. Aujourd’hui, rares
sont les journées où l’actualité n’embrase pas les questions relatives à
l’approvisionnement en métaux de certaines entreprises et filières, ou les
interrogations sur les prix futurs des métaux. De nombreux rapports
d’organisations internationales, de gouvernements, de chercheurs ou
d’entreprises pointent désormais du doigt l’importance des métaux pour les
politiques de transition énergétique et les enjeux liés au niveau ou à la
volatilité des prix pour les entreprises et les producteurs de technologies.
Les enjeux économiques apparaissent aujourd’hui fondamentaux. En effet,
le déploiement des énergies renouvelables depuis les années 2010 a été
permis par une forte diminution de leurs coûts. Or, dans un monde de
besoins en métaux grandissants pour la transition énergétique, les pressions
sur les marchés pourraient-elles engendrer de nouveaux chocs de prix ? À
quels prix pourrons-nous acheter ces métaux dans les prochaines décennies
? Ces mouvements économiques et financiers pourraient-ils freiner la
transition énergétique ?
Ces questions ont d’autant plus d’importance que la transition
énergétique se double d’une transition digitale, elle-même gourmande en
métaux. Cette double transition doit interpeller l’ensemble des acteurs. Sans
une prise en compte conséquente du caractère métallique des
transformations à venir, nous risquons de transformer une dépendance aux
énergies fossiles en une nouvelle dépendance aux minerais et aux métaux.
Et les enjeux sont multiples car, comme nombre de matières premières,
les métaux montrent aujourd’hui leur aspect stratégique. Politiquement,
géopolitiquement et industriellement, il est nécessaire d’envisager
l’ensemble des changements nécessaires afin que ces derniers ne deviennent
un angle mort de la transition énergétique. Leur caractère stratégique, dans
les politiques de décarbonation mondiales, apporte une centralité à la
question géopolitique.
En septembre 2022, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission
européenne, déclarait, dans son discours sur l’état de l’Union1 : « Le lithium
et les terres rares seront bientôt plus importants encore que le pétrole et le
gaz. Rien que nos besoins en terres rares vont être multipliés par cinq d’ici
2030 […] Le seul problème est qu’actuellement, un unique pays contrôle la
quasi-totalité du marché. » Derrière ce discours, une réalité s’impose : nous
sommes à l’aube d’une ère de compétition majeure entre les différentes
zones mondiales (Chine, Europe, États-Unis, etc.) pour sécuriser les
approvisionnements en métaux. Sommes-nous prêts à y faire face ?
La question industrielle d’une relocalisation des industries
métallurgiques ou d’une production minière sur le sol européen interpelle
également. Cette question a pris toute son actualité en octobre 20222,
lorsque l’entreprise Imerys a déclaré vouloir « devenir un acteur majeur du
lithium en Europe » avec l’exploitation d’un gisement situé en France. Le
projet, baptisé Emili3, ambitionne le développement d’une production de
lithium sur le site de Beauvoir dans l’Allier, un site exploité depuis la fin du
xixe siècle pour la production de kaolin, une argile blanche utilisée pour la
conception de porcelaine et de céramique.
En Suède, c’est une mine de terres rares située en Arctique qui suscite
attention et convoitise début janvier 20234, car le gisement représenterait
près de 1 % des réserves mondiales de ces métaux considérés comme les
véritables vitamines de l’économie mondiale. Moins de 7 % des réserves de
terres rares sont aujourd’hui situées dans les pays de l’Organisation de
coopération et de développement économiques5 (OCDE) et une production
européenne en parallèle de celle observée au Canada, en Australie et aux
ÉtatsUnis, se révélerait hautement stratégique pour le continent européen.
L’attention des compagnies extractrices se porte de plus en plus sur la
France, le Portugal6, l’Allemagne7, la Serbie8 et sur de nombreux pays
européens. En mars 2023, le nouveau règlement européen sur les matériaux
critiques a fixé un objectif de production sur son sol de 10 % de la
consommation de la zone à l’horizon 2030. Cet objectif, assorti de
nombreux autres sur la chaîne de valeur des métaux, invite explicitement à
transformer notre modèle industriel européen. Il pose également les bases
d’une nouvelle aventure minière plus écologique et solidaire, loin des
images désastreuses véhiculées par les activités extractives mondiales. Il
nous invite à prendre notre part dans la transition énergétique et à la
regarder en face.
Allons-nous, dès lors, ouvrir des mines en Europe et en France ? À
quelles conditions environnementales et pour quelles conséquences ?
Avons-nous les compétences pour le faire ? Pouvons-nous dépasser les
problématiques d’acceptabilité9 observées partout à l’heure actuelle ?
Les politiques publiques permettant de diminuer nos consommations de
métaux sont également fondamentales à analyser. Elles sont connues,
étudiées et méritent d’être approfondies. Promouvoir le recyclage, inciter à
la mobilité durable et organiser une sobriété en matériaux sont autant de
leviers indispensables à activer pour maîtriser nos besoins en métaux et
sécuriser ces éléments indispensables à nos transitions.
Sommes-nous aujourd’hui prêts à accepter ces transformations
systémiques de nos manières de fabriquer, de consommer et tout
simplement de vivre ?
À défis immenses, personnage illustre… Comme l’a si bien dit Winston
Churchill : « Il ne sert à rien de dire : “Nous avons fait de notre mieux.” Il
faut réussir à faire ce qui est nécessaire. » Il est ainsi fondamental de partir
à la découverte du monde des métaux : explorer les déterminants
économiques et financiers de cette industrie ; comprendre les ressorts
politiques sous-jacents à la mise en place d’une nouvelle base productive
dans nos territoires ; analyser la compétition géopolitique et géoéconomique
entre les États pour sécuriser leurs approvisionnements et estimer les
conséquences environnementales de nos productions et de nos
consommations.
Il est primordial de partir à la (re)découverte du monde des métaux, afin
que la transition énergétique, indispensable à la survie de nos sociétés, soit
réalisable. Nous n’avons pas le choix.

1. Discours sur l’état de l’Union de la présidente von der Leyen, 14


septembre 2022. https://france.representation.ec.europa.eu/
informations/discours-sur-letat-de-lunion-2022-de-la-presidente-vonder-
leyen-2022-09-14_fr
2. https://www.imerys.com/fr/media-room/communiques-de-presse/imerys-
ambitionne-de-devenir-un-acteur-majeur-du-lithium-en-europe
3. Exploitation de Mica lithinifère par Imerys (Emili).
4. Emmanuel Hache, Iris, 18 janvier 2023. https://www.iris-
france.org/173030-decouverte-du-plus-grosgisement-europeen-de-terres-
rares-quelles-consequences-pour-lapprovisionnement-europeen/
5. L’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE) est une organisation internationale qui a succédé à l’Organisation
européenne de coopération économique en 1961. Elle comprend
aujourd’hui 38 membres : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique,
Canada, Chili, Colombie, Corée du Sud, Costa Rica, Danemark, Espagne,
Estonie, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande,
Israël, Italie, Japon, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Mexique, Norvège,
Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Slovaquie, Slovénie,
Suède, Suisse, Royaume-Uni, Tchéquie et Turquie.
6. Sandrine Morel, « La fièvre du lithium gagne le Portugal », Le Monde, 4
février 2022. https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/02/04/la-
fievre-du-lithium-gagne-le-portugal_6112250_3234.html
7. Pascal Wassmer avec les agences, « L’Allemagne est assise sur une
énorme réserve de lithium », RTS, 8 mai 2021.
https://www.rts.ch/info/sciences-tech/12181125-lallemagne-est-assise-sur-
une-enormereserve-de-lithium.html
8. Louis Seiller (Sujet radio), Julie Marty (adaptation web), RTS, 2 mai
2023. https://www.rts.ch/info/sciences-tech/environnement/13969622-les-
oppositions-nempechent-pas-la-serbie-de-miser-sur-lelithium.html
9. Ensemble des caractéristiques qui font que l’exploitation d’une ressource
naturelle est jugée comme étant potentiellement acceptable par une
communauté.
Partie 1

Pourquoi une transition énergétique ?


CHAPITRE 1

L’énergie à la base
de notre monde moderne

Appuyer sur un interrupteur et voir la lumière s’allumer, se réchauffer


en hiver, climatiser une pièce ou un bureau en période de canicule, se
déplacer, se socialiser sur les réseaux sociaux grâce à nos technologies
modernes… Toutes ces actions sont devenues d’une banalité extrême dans
nos sociétés actuelles. Pourtant, derrière ces généralités de nos vies
quotidiennes, se dissimule une transformation majeure intervenue au cours
du xixe siècle : la révolution énergétique issue de la révolution industrielle.
C’est ainsi l’énergie, et plus précisément l’énergie à bas coût, qui a ouvert
le champ des possibles et a permis de transformer notre rapport au monde et
à l’environnement.

Nos si précieuses énergies fossiles

Dès le milieu du xviiie siècle (Royaume-Uni) et jusqu’à la fin du xixe


siècle, l’Europe, les États-Unis et, quelques années plus tard, le Japon et la
Russie, enregistrent la première révolution industrielle de leur histoire.
Grâce au perfectionnement de la machine à vapeur1, nous avons appris à
utiliser l’énergie à notre profit et avons réalisé un bond en avant en matière
de développement économique et social. Aidée par l’utilisation du charbon,
l’humanité a ainsi trouvé un moyen de produire plus et plus rapidement.
Alors que, depuis des siècles, les seules sources d’énergie étaient
constituées de la biomasse (principalement le bois), de la force musculaire
humaine et animale, et de la force mécanique de l’eau, l’homme a trouvé
une manière efficace de décupler son activité en utilisant le charbon pour
faire travailler des machines à sa place.
Dès lors, des tâches qui nécessitaient une maind’œuvre colossale ont été
rendues possibles simplement en alimentant des machines avec du charbon,
puis, au fil du temps, avec du pétrole et du gaz naturel. L’utilisation des
énergies fossiles2 a ainsi transformé radicalement la base productive de nos
économies.
Par rapport au bois et à l’énergie musculaire, ces sources d’énergie,
notamment le pétrole, ont une qualité fondamentale, à savoir leur densité3.
En effet, il y a par exemple dans un litre d’essence, une quantité d’énergie
de 10 kWh (kilowattheures). Pour bien comprendre la révolution opérée
avec l’utilisation du pétrole et des carburants, il faut savoir qu’un être
humain travaillant une longue journée (8 heures) aux champs avec ses bras,
va déployer une énergie de l’ordre de 0,05 kWh. Cela revient à dire qu’un
litre de pétrole contient autant d’énergie que les bras de 200 hommes4
réalisant une journée de labeur intense ! En remplaçant progressivement les
hommes par des machines, qui plus est sans contrainte sur la durée de
travail, l’homme va pouvoir, en une journée, produire bien plus qu’il ne le
faisait de ses propres mains !
Après le charbon est apparu, dès la fin des années 1850 aux États-Unis,
le pétrole, dont la facilité de manipulation a révolutionné la mobilité, puis le
gaz naturel. Facile à produire, à transporter et à utiliser relativement aux
énergies concurrentes, le pétrole est devenu l’énergie reine du xxe siècle. Ce
sont les qualités intrinsèques des énergies fossiles qui ont façonné notre
monde et permis l’amélioration de nos modes de vie. Elles ont engendré un
saut de puissance permettant une hausse majeure de la productivité et donc
une accélération de la croissance économique. La production d’un pays, qui
agrège l’ensemble de la transformation de biens ou de services, n’est au
final que la résultante de notre capacité à disposer d’énergie. C’est
pourquoi, au fil de l’histoire, la quête énergétique n’a jamais été très
éloignée des guerres que le monde a pu connaître. Au Moyen Âge, les
seigneurs se faisaient la guerre pour conquérir des territoires, et récupérer
des vassaux et des terres, qui représentaient autant de sources d’énergie : les
bras des hommes d’un côté, les champs pour les nourrir de l’autre, et le bois
pour l’approvisionnement énergétique.
Au fil du temps, les guerres se sont progressivement orientées autour
des énergies fossiles et du pétrole en particulier. Comme l’explique
Matthieu Auzanneau dans son livre5 référence sur le sujet, l’Allemagne ne
s’est pas dirigée vers la Roumanie et vers le Moyen Orient par hasard lors
de la Seconde Guerre mondiale. Elle avait besoin de ressources en
hydrocarbures pour alimenter son armée, tout comme le Japon a attaqué
Pearl Harbor pour faire diversion et accaparer les réserves pétrolières
d’Indonésie. Les exemples sont multiples, y compris dans les conflits
récents comme en Irak. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a montré que
disposer de réserves d’énergie abondantes peut constituer un moyen de
pression sur les belligérants, en menaçant de couper l’approvisionnement de
cette ressource vitale.
Le pétrole et les énergies fossiles sont ainsi devenus une raison de faire
la guerre, mais également une arme puissante pour la victoire finale.
Winston Churchill déclarait en 1919 à propos de la Première Guerre
mondiale6 : « Il ne fait aucun doute que les Alliés n’ont pu naviguer jusqu’à
la victoire que sur le flux ininterrompu du pétrole ! »

Une symbiose énergie-croissance et un empilement énergétique

Malgré le faible intérêt porté par les économistes pour l’énergie et, de
manière plus globale, pour les ressources naturelles, ces dernières
constituent le fondement de nos économies. Le secteur du transport
nécessite pétrole et carburants ; celui de l’agriculture des engrais, eux-
mêmes dérivés du gaz naturel, et des engins agricoles alimentés par des
produits pétroliers. Nos infrastructures, faites d’acier et de ciment,
nécessitent charbon et électricité. Aucune activité humaine ne peut exister
sans une consommation directe ou indirecte d’énergie. Dès lors, le besoin
de confort toujours plus important et l’amélioration de notre niveau de vie
ont fait que nous avons voulu toujours plus d’énergie ! Et, de fait, nous
constatons un lien direct entre la croissance mondiale et la consommation
d’énergie (Figure 1).

Figure 1 : Croissance mondiale (en milliards de $ US 2015) et


consommation d’énergie primaire (en exajoules)
Sources : Banque mondiale, BP Statistical Review.

Il est important de noter que cette relation n’est pas forcément constante
au cours du temps et que des différences géographiques peuvent exister. En
effet, nos sociétés, grâce aux progrès technologiques, réalisent des gains
d’efficacité énergétique (utiliser une quantité moindre d’énergie pour la
même tâche) qui permettent d’agir sur l’intensité énergétique du PIB7.
Au niveau mondial, celle-ci s’est améliorée d’environ 1,5 % par an entre
1990 et 2010 et de près de 2 % entre 2010 et 20198. Mais les choses ne sont
pas si simples…
Nous constatons que, dès que nous trouvons un moyen de produire un
bien en ayant recours à des quantités réduites d’énergie ou de matières
premières, il se démocratise et sa demande augmente. Au final, nous
annihilons ces efforts d’efficacité par une hausse de nos consommations.
Au niveau mondial, entre 1980 et 2022, le PIB est passé de 11 000 milliards
de dollars à près de 100 000 milliards, et la population de 4,44 milliards de
personnes à plus de 8 milliards. C’est le paradoxe mis en évidence par
Jevons9, aussi appelé « effet rebond », qui fait qu’aujourd’hui notre
consommation de ressources naturelles, et plus particulièrement d’énergie,
est toujours plus importante.
C’est la raison pour laquelle notre soif d’énergie n’a cessé de progresser.
Au fil du temps, avec les progrès socioéconomiques qu’elles engendraient,
les énergies ont été toujours plus consommées. À tel point que nous avons
fonctionné par accumulation énergétique ! Ainsi, ce n’est pas parce que l’on
a découvert le charbon que l’on a arrêté d’utiliser le bois. Le développement
des mines de charbon et des transports ferroviaires a même accéléré la
consommation de bois, ce dernier étant utilisé pour consolider les mines et
produire des traverses de chemin de fer10. De même, la découverte du
pétrole n’a pas enterré l’usage du charbon et du bois, et celle du gaz non
plus. Nous n’avons donc jamais fonctionné par transition énergétique, en
substituant une énergie par une autre, mais bien par addition, en ajoutant les
nouvelles sources d’énergie à celles déjà utilisées. Plus encore, le
développement du pétrole et du gaz n’a pas stoppé le développement du
charbon ; nous n’en avons jamais consommé autant qu’aujourd’hui. Entre
1981 et 2022, sa production a plus que doublé11.
Au final, nos besoins en énergie ont ainsi explosé : ils ont été multipliés
par 13 depuis le début du xxe siècle12 ! Et ce sont les énergies fossiles, du
fait de leurs qualités intrinsèques (densité, facilité d’utilisation), qui se
taillent la part du lion : elles représentent aujourd’hui environ 83 % de nos
besoins en énergie primaire.
Figure 2 : Consommation d’énergie primaire mondiale depuis 1800 (en
000 TWh)

Source : Our World in Data.


L’énergie à la base de notre monde moderne La part des énergies
fossiles – charbon, pétrole et gaz – est restée quasiment inchangée au cours
des dernières décennies, passant de 93 % à la veille du premier choc
pétrolier de 1973, à 83 % aujourd’hui13. Les optimistes observeront que la
part relative des énergies fossiles a légèrement diminué depuis les années
1970, au profit notamment des énergies bas-carbone. Mais, comme le
montre ce graphique, les volumes, eux, ont considérablement augmenté. Si
l’on prend l’exemple du pétrole, nous avons consommé autant d’or noir sur
les 25 dernières années que depuis le début de l’ère préindustrielle ! Depuis
1970, la part relative du pétrole dans le mix-énergétique mondial a certes
diminué – elle est passée de 49 % à 31 % en 2021 –, mais le volume
consommé a augmenté de plus de 80 %. La transition énergétique n’est
donc que relative.
En 2023 encore, malgré le ralentissement économique attendu dans une
grande partie du monde occidental, l’Agence internationale de l’énergie14
(AIE) estime que la consommation d’or noir atteindra un nouveau record
avec une consommation de 101,6 millions de barils par jour ! Et ceci
intervient alors qu’au dire même de l’AIE, le pic de production pour le
pétrole conventionnel a été atteint en 2008. Depuis, seul le développement
des pétroles non conventionnels, pétrole de schiste américain et sable
bitumineux canadien, nous ont permis de faire face à la croissance continue
de nos besoins… De son côté, la consommation mondiale de charbon a
battu, en 2022, le précédent record de 2013 et devrait rester sur des niveaux
élevés au moins jusqu’en 2025, selon l’Agence.

Une dépendance source de tensions internationales

Cette dépendance aux énergies fossiles, et au pétrole en particulier, a


façonné les relations internationales depuis la Première Guerre mondiale.
L’exemple le plus emblématique est la relation qui unit les ÉtatsUnis et
l’Arabie saoudite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans les
années 1940, les ÉtatsUnis, voyant leur production nationale diminuer, ont
passé un accord avec l’Arabie saoudite, en assurant la protection militaire
de la dynastie des Saoud dans une région instable, contre la sécurisation de
l’approvisionnement en hydrocarbures du pays à la bannière étoilée. C’est
le fameux pacte du Quincy, signé en 1945 par Franklin D. Roosevelt et le
roi Ibn Saoud, fondateur du royaume d’Arabie saoudite15.
La création d’une alliance des principaux pays producteurs au sein de
l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) en 196016, pour
faire face à la suprématie des compagnies internationales privées
occidentales, est une autre preuve des conséquences que notre dépendance à
l’or noir peut engendrer.
Le pouvoir de ces États producteurs provient surtout du fait qu’ils ont
fait du pétrole un bien national, géré par une compagnie publique17. Les
gouvernements de ces pays peuvent ainsi utiliser les hydrocarbures comme
une arme politique, en décidant d’ouvrir ou de fermer le robinet de la
production pétrolière. Ils disposent, de cette manière, d’un moyen de
pression sur le commerce international et sur les évolutions des prix sur les
marchés.
D’autres pays que les membres de l’OPEP disposent aussi d’une telle
structure, qui leur confère un avantage incontestable sur les pays où la
production et le commerce du pétrole sont réalisés par des acteurs privés,
comme aux États-Unis. Nous avons pu le constater pendant la pandémie de
la COVID-19. Seuls les pays disposant de compagnies nationales ont pu
s’entendre pour baisser l’offre mondiale de près de 10 millions de barils par
jour (environ 10 % de la consommation mondiale) pour équilibrer le
marché face à un effondrement de la demande mondiale. Les États-Unis,
incapables d’agir sur les producteurs privés, n’ont pu réagir, ce qui a
temporairement poussé les prix de l’or noir en territoire négatif. Ils devaient
payer les clients pour qu’ils acceptent de prendre livraison de leur pétrole18
! Incapables d’ajuster l’offre suffisamment vite, ils n’avaient d’autre choix,
ne sachant plus que faire de ce trop-plein d’hydrocarbures.
Le monde pétrolier a ainsi été traversé par une organisation particulière
durant l’épisode de la COVID-1919. D’un côté, des États producteurs
agissant de manière coordonnée avec un pouvoir de marché et, de l’autre,
des acteurs privés soumis aux aléas des variations de l’offre et de la
demande. Les premiers, à travers leurs compagnies nationales, jouent un
rôle stabilisateur. Ils arbitrent entre les volumes de production à écouler et
les prix observés sur le marché, afin de maximiser leur profit et la rente
pétrolière qui en découle. Durant la crise pétrolière de 2020, par exemple,
les pays producteurs ont préféré limiter de manière drastique leur
production pour éviter un effondrement du prix unitaire et limiter leur perte
de revenu.
Ces politiques sont rendues possibles car ces pays, notamment ceux de
l’OPEP, disposent de plusieurs avantages. D’abord, ils ont dans l’ensemble
un coût de production parmi les plus faibles de tous les acteurs de ce
marché (autour de 5 $ en Arabie saoudite contre 15 $ en Iran et plus de 40 $
aux États-Unis). Ensuite, ils disposent, selon les dernières estimations20, de
plus de 70 % des réserves mondiales prouvées de pétrole, produisent près
de 40 % des volumes et représentent 60 % des exportations.
En clair, le monde ne peut fonctionner sans le pétrole des producteurs de
l’OPEP, et la situation ne devrait pas aller en s’arrangeant… L’AIE estime
que la part de marché des pays de l’OPEP devrait passer de 34 % en 2020 à
52 % en 2050.
En premier lieu, le pétrole est une matière première un peu particulière,
extraite d’une « poche » qui se situe sous la terre. Cette poche étant sous
pression, lorsqu’on la perce, le pétrole remonte. Mais plus elle se vide, plus
la pression diminue… et moins le pétrole remonte ! Ce phénomène
s’appelle la déplétion naturelle et, de ce fait, la production pétrolière, sans
nouveaux investissements, diminue chaque année de 4 à 5 % dans la
production de pétrole conventionnel21 ! Du fait de la volonté affichée des
gouvernements d’abandonner les énergies fossiles à moyen terme, les
compagnies privées ont déjà commencé à réduire leurs investissements, et
la pression mise par les parties prenantes (actionnaires, organisations non
gouvernementales, etc.) sur les entreprises de financement a accentué ce
phénomène.
Ce contexte permet aux États producteurs de disposer d’un moyen de
pression important. L’Europe a pu le constater à ses dépens avec
l’instrumentalisation du pétrole et du gaz par la Russie dans le cadre de la
guerre qu’elle a lancée contre l’Ukraine en février 2022. Notre grande
dépendance à Moscou, qui fournissait 20 % du charbon, 30 % du pétrole et
40 % du gaz dont l’Europe avait besoin à la veille de l’invasion de
l’Ukraine, a considérablement réduit nos moyens d’action dans le conflit22.

Tous ces éléments montrent à quel point l’énergie est au centre de nos
économies, de nos modes de vie et des relations internationales. Elle définit
nos interactions avec les différents acteurs mondiaux. Pour produire les
biens et services nécessaires à l’activité humaine, il faudra toujours de
l’énergie. Elle est le sang de l’économie et irrigue chaque particule de nos
actions. De l’économie à la géopolitique, l’énergie transforme l’ensemble
des relations humaines. En conséquence, si nous souhaitons conserver nos
modes de vie actuels, il faut nous assurer une disponibilité d’énergie a
minima constante dans l’avenir.
Cependant, nous avons un problème. Le réchauffement climatique nous
impose de ne plus compter sur ce qui fait la force de notre système actuel :
les énergies fossiles, disponibles en quantité et à bas prix.

1. La première machine à vapeur a été inventée par Thomas Newcomen en


1710 pour pomper l’eau des mines. Elle a connu par la suite de nombreux
développements, notamment grâce à James Watt.
2. Les énergies fossiles, également appelées énergies de stocks, sont
constituées principalement du charbon, du gaz et du pétrole. Elles sont en
quantités limitées dans le sous-sol et sont considérées comme non
renouvelables à l’échelle humaine.
3. Encyclopédie Énergie : « La densité énergétique est la quantité d’énergie
qui peut être stockée dans une masse donnée d’une substance ou d’un
système »,
https://energyeducation.ca/Encyclopedie_Energie/index.php/Densit%C3%A
9_%C3%A9nerg%C3%A9tique
4. Ce chiffre est donné pour montrer la densité des énergies fossiles. En
réalité, il est plus faible en raison du rendement énergétique du moteur
thermique qui est compris entre 20 % et 40 %. Dès lors, en prenant en
compte les rendements : 1 litre de pétrole correspond à une fourchette
comprise entre 2 kWh et 4 kWh, soit entre 50 et 80 hommes réalisant une
journée de labeur intense.
5. Matthieu Auzanneau, Or noir. La grande histoire du pétrole, Éditions La
Découverte, 2015.
6. Cédric Tellenne, « L’avènement du pétrole », revue Conflits, 31
décembre 2020. https://www.revueconflits.com/16901-2/
7. L’intensité énergétique du PIB se mesure par le volume d’énergie
consommée par unité de PIB produite.
8. Site de la Banque mondiale.
9. L’effet rebond ou paradoxe de Jevons a été mis en évidence par
l’économiste anglais William Stanley Jevons, en 1865, dans son livre The
Coal Question. An Inquiry concerning the Progress of the Nation, and the
Probable Exhaustion of our Coal-mines. Dans ce dernier, il s’interrogeait
sur la dépendance du Royaume-Uni au charbon et sur les implications en
matière de suprématie britannique, alors première puissance mondiale, à
une future déplétion de ces ressources. Précurseur sur de nombreuses
questions (pic des ressources, soutenabilité…), il a mis en évidence le fait
que l’efficacité énergétique d’une technologie ne permet pas une diminution
de la consommation énergétique globale associée (source Emmanuel
Hache, Géopolitique des énergies, Tensions d’un monde en mutation,
Éditions Eyrolles, 2022).
10. Interview de Jean-Baptiste Fressoz pour le magazine L’usine nouvelle,
ainsi que ces articles : https://www.usinenouvelle.com/editorial/la-
transition-energetique-n-a-jamais-existe-estime-l-historien-des-techniques-
et-de-l-environnement-jean-baptiste-fressoz.N1169707
11. BP Statistical Review, 2022.
12. Our World in Data, https://ourworldindata.org/grapher/globalprimary-
energy
13. BP Statistical Review, 2022. Disponible sur le site de BP: www. bp.com
14. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a été créée par les pays de
l’OCDE en 1974 après le premier choc pétrolier. À son origine, sa
principale mission était d’assurer la sécurité pétrolière de ses membres. Elle
compte aujourd’hui 31 membres et son siège est à Paris.
15. Le pacte du Quincy a été signé sur le croiseur USS Quincy le 14 février
1945. Prévu pour une durée de 60 ans, il aurait été signé à nouveau en 2005
entre George W. Bush et le prince héritier Abdallah.
16. L’Organisation des pays exportateurs de pétrole a été créée à Bagdad en
1960 par l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Irak, le Koweït et le Venezuela. Elle
compte 13 membres en 2023.
17. On citera par exemple Saudi Aramco en Arabie saoudite, PDVSA au
Venezuela ou la NIOC en Iran.
18. Valérie Mignon, « On brade le pétrole ! », blog du Cepii, 29 avril 2020.
http://www.cepii.fr/blog/bi/post.asp?IDcommunique=813
19. Emmanuel Hache, Jérôme Sabathier, « Pétrole, coronavirus, OPEP et
Russie : la valse à quatre temps », revue The Conversation, 12 mars 2020.
https://theconversation.com/petrole-coronavirus-opepet-russie-la-valse-a-
quatre-temps-133534
20. BP Statistical Review, 2022.
21. Le pétrole est qualifié de conventionnel lorsque, après sa formation, il a
migré de son lieu de formation (la roche mère) vers une roche poreuse et
perméable, constituant un réservoir. On l’appelle ainsi par opposition au
pétrole non conventionnel, qui n’a pas pu se déplacer soit parce qu’il est
resté « piégé » dans la roche mère, soit parce que ses caractéristiques
physiques (pétrole très visqueux des sables bitumineux par exemple) ne
permettent pas une exploitation classique. Les pétroles non conventionnels
désignent ainsi l’ensemble des pétroles extraits à partir de techniques non
conventionnelles (sables bitumineux, pétrole lourd, pétrole de schiste, etc.).
22. Carl Grekou, Emmanuel Hache, Frédéric Lantz et al., « La dépendance
de l’Europe au gaz russe : état des lieux et perspectives », Revue d’
économie financière, vol. 3, no 147, 2022, p. 227-242.
CHAPITRE 2

Le réchauffement climatique
nous impose de tout changer !

Nous avons, pendant longtemps, regardé uniquement les avantages du


pétrole et des énergies fossiles : des énergies denses, faciles à transporter,
utilisables sous de multiples formes. Mais nous avons ignoré consciemment
les conséquences négatives de l’utilisation de ces ressources : elles ont un
impact majeur sur notre environnement et sur notre climat. Défini comme
l’ensemble des phénomènes météorologiques qui caractérisent l’état moyen
de l’atmosphère, le climat est un élément variable. Contrairement à la
météorologie, la science climatique étudie les variations de températures sur
des périodes plus longues (30 ans selon la définition de l’Organisation
météorologique mondiale1), mais ne se résume pas uniquement à cela.
Précipitations, ensoleillement… les données prises en compte sont
nombreuses. Au fil des siècles, les causes des modifications climatiques
sont nombreuses. Certaines sont naturelles, comme les éruptions
volcaniques et l’importante quantité de cendres et de particules de soufre
émises dans l’atmosphère ou l’intensité du rayonnement du soleil. Mais il
existe aussi des causes anthropiques aux modifications du climat : l’activité
humaine, la hausse de la population et son utilisation intensive d’énergies
fossiles.

Concentration en CO2 et réchauffement climatique

Dès le xixe siècle, vont naître les premières théories relatives à l’effet de
serre et l’impact de l’atmosphère sur les températures observées sur la
planète. Le physicien Joseph Fourier est considéré comme le père fondateur
de cette théorie2 et sera suivi notamment par le physicien irlandais John
Tyndall. L’effet de serre est lié au fait que les gaz triatomiques ou plus
(contenant au moins trois atomes, comme le CO2 ou la vapeur d’eau) ont la
propriété d’être parfaitement transparents aux rayonnements du soleil et de
laisser passer la chaleur, mais complètement opaques aux rayonnements
infrarouges émis par la surface de la terre. Ainsi, la présence de ces gaz
dans l’atmosphère opacifie cette dernière aux rayonnements infrarouges
émis par la terre et entraîne une accumulation de chaleur. La différence
entre l’énergie solaire reçue et l’énergie thermique réémise par la terre,
appelée également forçage radiatif3 par les scientifiques, est la cause du
réchauffement climatique.
Il est important de noter que l’effet de serre n’est pas un problème en
soi, au contraire ! En effet, sans lui, dû à la présence de la vapeur d’eau et
du CO2 présent avant l’ère industrielle, la température moyenne sur notre
planète serait aujourd’hui… d’environ – 20 °C. Toute vie sur terre serait
ainsi compromise. La vapeur d’eau est d’ailleurs responsable à elle seule de
plus de la moitié de l’effet de serre. Elle en représente une forme naturelle
et l’activité humaine, depuis l’ère industrielle, n’a pas impacté le volume de
vapeur d’eau dans l’atmosphère.
Un problème intervient dès que la concentration en gaz, appelé gaz à
effet de serre (GES), augmente de façon tellement importante qu’elle
provoque un réchauffement des températures de nature à modifier les
conditions de vie sur la terre, jusqu’à les rendre invivables ! Et c’est là
qu’interviennent les énergies fossiles. Leur combustion va générer
d’importantes émissions de CO2 dans l’atmosphère ; leur concentration va
donc augmenter et « emprisonner » davantage de chaleur près du sol et
entraîner un réchauffement du climat.
Le CO2 n’est pas le seul GES. Hormis la vapeur d’eau, on peut citer le
dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), le protoxyde d’azote (N2O),
l’azote (O3), les perfluorocarbones (PFCs), les hydrofluorocarbones (HFCs)
et l’hexafluoride de soufre (SF6). La vapeur d’eau a néanmoins un avantage
majeur sur les autres : si la concentration en eau dans l’atmosphère devient
trop importante, elle se précipite sous forme de pluie. La concentration est
donc « régulée ».
Le problème, pour les autres GES (CO2 notamment), est qu’ils sont plus
stables. Ils ont, en outre, enregistré une augmentation marquée depuis l’ère
industrielle, entraînant une très forte concentration dans l’atmosphère. Et les
« puits » naturels que constituent la photosynthèse et les océans ne
permettent plus de rétablir l’équilibre climatique.
En définitive, la problématique du réchauffement climatique ne tient pas
à l’effet de serre naturel, mais aux quantités additionnelles de GES résultant
des activités humaines. Une fois dans l’atmosphère, le temps nécessaire
pour faire disparaître les GES est extrêmement long. Les émissions déjà
réalisées aujourd’hui n’auront baissé que de 60 % dans un siècle et de 80 %
dans… 1 000 ans ! Le CO2 va ainsi avoir une durée de vie dans
l’atmosphère pouvant atteindre 200 ans.
D’autres GES sont moins persistants, mais ont un pouvoir de
réchauffement climatique plus important. Le méthane, par exemple,
présente un potentiel de réchauffement de l’ordre de 80 fois supérieur à
celui du CO2 sur une période de 20 ans. Mais ce dernier se « dissipe »
beaucoup plus rapidement (10 ans). C’est la raison pour laquelle le CO2 est
le gaz dont on parle le plus quand on parle de réchauffement climatique.
C’est pour étudier l’ensemble des impacts sur le climat qu’a été créé, en
1988, sous l’égide de l’ONU, un groupe d’experts intergouvernemental du
climat : le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat4
(GIEC). Rattaché à l’Organisation météorologique mondiale5 et au
Programme des Nations unies pour l’environnement6 (UNEP), cet
organisme a pour objectif de « fournir des évaluations détaillées de l’état
des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur les
changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et
les stratégies de parade7 ».
Le GIEC n’est donc pas un laboratoire de recherche à proprement
parler. Composé de chercheurs bénévoles et volontaires8, reconnus pour
leurs compétences dans divers champs d’expertises (physique, économie,
sciences du climat, etc.), il réalise une synthèse de la recherche
internationale en la matière, à savoir l’ensemble des articles de recherche
publiés dans des revues scientifiques à comité de lecture. Ces derniers ont
tous fait l’objet d’une analyse critique par d’autres chercheurs. À l’issue de
cet important travail de recension et d’étude, le GIEC donne l’avis
majoritaire et un indice de confiance, en fonction de la dispersion des avis
exprimés dans les analyses, ainsi qu’une probabilité associée. Il ne fait pas
de recommandations et la recherche d’un consensus fait qu’il lui a été
souvent reproché d’être trop conservateur. En cas de consensus quasi
absolu, l’indice de confiance maximum est « quasiment certain », auquel est
associée une probabilité de 99/1009.
Le rapport de synthèse du 6e rapport d’évaluation du GIEC, publié en
2023, commence ainsi : « Les activités humaines, principalement par le
biais des émissions de gaz à effet de serre, ont sans équivoque provoqué le
réchauffement de la planète ; la température à la surface du globe atteignant
+ 1,1 °C par rapport à la période 1850-190010 en 2011-202011. » L’indice de
confiance associée est le plus élevé, ce qui rend ces conclusions sur la
responsabilité des activités humaines – et notamment son utilisation des
énergies fossiles dans les causes du réchauffement climatique
incontestables.

Les conséquences du réchauffement climatique

Sur les conséquences de ce réchauffement, les conclusions du rapport


du GIEC sont, elles aussi, sans équivoque : la situation est critique. Si nous
n’arrêtons pas immédiatement nos émissions de GES, nous avons la
certitude que leur concentration dans l’atmosphère va augmenter. Cette
dynamique rendra irréversible le processus de réchauffement climatique,
qui pourrait atteindre 2,8 °C d’ici la fin du siècle, selon les estimations de
l’ONU en 2022, si les gouvernements tiennent seulement les engagements
qu’ils ont déjà pris12. Nous serons ainsi plongés dans une ère
d’emballement climatique dont les conséquences sont difficilement
mesurables.
Pour comprendre pourquoi le réchauffement climatique est un
problème, il faut déjà appréhender l’impact qu’une hausse des températures
peut avoir sur nos conditions de vie. L’un des moyens de le faire est de se
tourner vers le passé et de voir l’impact de précédents épisodes de
réchauffement sur notre planète. Nous avons ainsi observé un
réchauffement planétaire de l’ordre de 5 °C entre l’ère glaciaire, il y a
environ 20 000 ans, et aujourd’hui. Et les conséquences ont été d’une
ampleur phénoménale ! À l’époque, le niveau des océans était 120 mètres
plus bas, et l’on pouvait se rendre à pied de la France à la Grande-Bretagne.
Une partie de l’Europe était recouverte d’une calotte de glace de plusieurs
kilomètres d’épaisseur, et la végétation européenne était peu ou prou
semblable à la végétation que l’on trouve actuellement en Russie !
Une variation de quelques degrés seulement peut tout changer. C’est
d’ailleurs sur la base de cette période glaciaire qu’a été établie, dans les
années 1990, la limite de réchauffement à ne pas dépasser. Il y a 100 000
ans, le réchauffement observé de 2 degrés n’avait pas provoqué de
catastrophe climatique. C’est au-delà que les effets de la hausse de
température avaient commencé à se faire ressentir13.
La limite a depuis été entérinée lors de la COP2114 qui s’est déroulée à
Paris en 2015, et qui a débouché sur l’accord de Paris. Par ce texte, les 196
membres signataires15 ont acté un objectif de maintien de l’augmentation de
la température moyenne de la planète bien en dessous de 2 °C par rapport
au niveau préindustriel, et de préférence sous les 1,5 °C. Ce nouveau seuil a
été ardemment défendu par les pays îliens comme les Maldives, car une
hausse de température plus élevée verrait leurs pays totalement disparaître !
Au-delà de ce niveau de température, les travaux scientifiques
synthétisés par le GIEC considèrent que les conséquences seraient
catastrophiques. Le dernier rapport du Groupe, publié en 2022, estime que
le réchauffement climatique présente 127 risques majeurs touchant à
l’agriculture, la biodiversité, la santé et la pauvreté. Parmi les éléments
cités, on trouve le risque de voir 29 % des espèces terrestres disparaître en
cas de réchauffement à + 3 °C. Le monde pourrait compter jusqu’à 143
millions de déplacés climatiques en raison des sécheresses, des inondations
ou des vagues de chaleur rien qu’en Amérique latine, Afrique
subsaharienne et Asie du Sud-Est. La hausse des températures conduirait à
des bouleversements majeurs comme la diminution continue des
rendements agricoles et la multiplication des pénuries d’eau… L’élévation
du niveau de la mer, générée par une hausse des températures comprises
entre 2 °C et 2,5 °C, pourrait redessiner les littoraux au cours des
prochaines décennies, affecter au moins 25 mégapoles. Elle pourrait noyer
les zones de faible altitude qui regroupaient 1,3 milliard d’individus en
2010 !
Étant donné le lien direct de proportionnalité entre la quantité de CO2
émise par l’homme et présente dans l’atmosphère, et le réchauffement
climatique, il est donc nécessaire de réduire nos émissions de CO2 au plus
vite. Et nous sommes capables, en partant d’une température de référence
donnée, de dire combien de GES peuvent être ajoutés avant d’atteindre un
niveau de réchauffement donné.
Dans notre cas, le point de départ a été fixé à l’ère préindustrielle, et
l’on sait d’après les précédents rapports du GIEC que, compte tenu du
niveau de réchauffement constaté en 2012, il nous restait à compter de cette
date un budget maximum de 1 000 Gt de CO2 (Gigatonnes, soit 1 000
milliards de tonnes de CO2) à émettre dans l’atmosphère si l’on veut limiter
le réchauffement à 2 °C16. Étant donné les émissions réalisées depuis cette
date et le rythme actuel des émissions d’environ 40 milliards de tonnes par
an17, il nous reste environ 20 ans avant d’atteindre notre quota et de voir le
réchauffement climatique nous échapper.
Un autre calcul, basé sur la concentration en CO2 dans l’atmosphère,
arrive au même résultat. Mesurée en partie par million (ppm), c’est-à-dire
en nombre de molécules de gaz à effet de serre par million de molécules
d’air, elle était de 280 ppm avant l’ère industrielle. On estime que, pour
avoir une probabilité significativement élevée de limiter le réchauffement à
2 °C à la fin du siècle, cette concentration ne doit pas dépasser les 450 ppm.
Or, celle-ci avait atteint 415 ppm environ à fin 2021. Étant donné que la
concentration en CO2 augmente actuellement d’environ 2 ppm par an, cela
signifie qu’il nous reste un peu moins de 18 ans avant d’avoir dépassé le
point de non-retour au rythme actuel.
Il nous reste jusqu’à 2040 environ pour épuiser la marge qui nous
protège d’un réchauffement de plus de 2 °C et de l’ensemble de ses
conséquences. Mais il serait illusoire de penser que nous pourrons alors, du
jour au lendemain, complètement arrêter l’ensemble de nos émissions de
CO2. C’est la raison pour laquelle les 196 membres signataires de l’accord
de Paris lors de la COP21, ont fixé une trajectoire de baisse des émissions
de CO2. Celles-ci devaient atteindre leur point haut en 2025, diminuer de 43
% d’ici 2030, pour parvenir à la neutralité carbone en 205018. L’idée est
simple : en baissant nos émissions de CO2 progressivement jusqu’à cette
date, nous nous donnons un peu plus de temps pour parvenir à notre
objectif.
Le but est de tendre vers la neutralité carbone définie par l’ADEME
comme « le fait de séquestrer autant de carbone que l’on en émet, de
manière à stabiliser son niveau de concentration dans l’atmosphère et ainsi
limiter l’augmentation de la température globale de la planète19 ». Il
nécessite de tendre vers ce que l’on appelle le « zéro émission nette » et ce,
selon le GIEC, dès le milieu du xxie siècle.
Il existe des mécanismes naturels de captation et de séquestration de
CO2, comme la photosynthèse ou les échanges physico-chimiques avec les
océans. Des solutions technologiques aujourd’hui très coûteuses, comme la
capture et le stockage du carbone (CCS), complètent ces solutions
naturelles. Toutefois, à l’horizon 2050, il faudra avoir réduit drastiquement
nos émissions de CO2 pour qu’elles ne dépassent pas les absorptions
réalisées par ces puits de gaz à effet de serre20.

Une solution ? Non, des pistes multiples

Pour parvenir à la neutralité carbone, disons-le tout de suite, il n’existe


pas de solution miracle : si le problème était simple, il aurait été résolu
depuis longtemps ! Qui plus est, il n’existe pas de solution unique, puisque
nous disposons de plusieurs leviers. Cela complique la tâche, car, dès que
plusieurs options sont possibles, mettre l’ensemble des acteurs d’accord et
n’en retenir qu’une nécessite en démocratie une concertation, ce qui rend
l’adhésion à un plan plus difficile.
Parmi les différentes pistes retenues, il y a celle qui propose une
réflexion systémique et sociale de nos usages énergétiques. Elle nous invite
à gérer l’énergie disponible et à l’utiliser de manière réfléchie. C’est ce que
l’on appelle la sobriété21. Elle consiste selon la définition du GIEC en « un
ensemble de mesures et de pratiques quotidiennes qui évitent une demande
en énergie, en matières premières, en terres et en eau, tout en assurant le
bien-être de tous dans le respect des limites planétaires22 ». Elle s’appuie
sur une rationalisation structurelle de nos consommations de ressources
naturelles et est porteuse de transformations sociales importantes. Elle peut
prendre différentes formes : mutualisation des équipements, modération de
la vitesse des véhicules, réduction des distances parcourues. Pour ce dernier
exemple, en 2017, selon l’INSEE, près de 49 % des personnes en France
prenaient leur voiture pour se rendre à leur travail, quand celui-ci se
trouvait… à moins d’un kilomètre de chez eux ! Ce chiffre dépassait même
les 70 % pour les distances inférieures à 5 km23. La sobriété apparaît donc
comme un levier, mais qui, compte tenu de l’organisation économique et
des comportements, ne peut être envisagée à court terme et sans une rupture
fondamentale de nos modes de vie.
De son côté, la technologie a, bien sûr, également un rôle à jouer pour
parvenir à la neutralité carbone. Les innovations technologiques permettant
de retirer du CO2 de l’atmosphère existent : la capture et le stockage du
carbone (CCS), la capture du dioxyde de carbone dans l’air (DAC). Mais
ces solutions coûteuses doivent être considérées avec une certaine
prudence. Le mantra « la technologie nous sauvera » est un alibi puissant
pour ne pas faire d’efforts de réduction des consommations. Là où la
technologie a un vrai rôle à jouer, c’est dans l’efficacité énergétique. Le
progrès technique permet ainsi de diminuer nos productions et nos
consommations d’énergie pour le même service rendu dans de nombreux
secteurs (bâtiment, transport). L’exemple de l’amélioration du moteur
thermique utilisé dans nos véhicules est de ce point de vue éclairant. En
France, la consommation a diminué d’un tiers entre 1995 et 2015 (de 7,5 à
5 litres aux 100 km) et les voies d’amélioration sont encore nombreuses24.
Mais, bien au-delà de ces efforts nécessaires d’efficacité et de sobriété,
dans la mesure où le secteur énergétique (génération d’électricité,
production de chaleur et transport) est responsable d’environ 73,2 % des
émissions de CO 25 réalisées chaque année, il va nous falloir arrêter
d’utiliser ces ressources fossiles si nous voulons limiter la hausse des
températures à un niveau permettant de conserver une planète vivable. La
transition énergétique est donc nécessaire. Elle doit permettre de trouver
une autre manière de satisfaire nos besoins toujours croissants en énergies,
en ayant recours à des productions non carbonées.
Des solutions existent, au premier rang desquelles les énergies
renouvelables, éolienne et solaire, font partie des plus consensuelles. Il n’en
reste pas moins que cette transition, de par son ampleur et son caractère
inédit, est sans doute le plus grand challenge que l’humanité ait jamais eu à
relever !

1. L’Organisation météorologique mondiale est « l’agence spécialisée des


Nations unies qui se consacre à la collaboration et la coopération
internationale en ce qui concerne l’état et l’évolution de l’atmosphère
terrestre, son interaction avec les terres et les océans, le temps et le climat
qu’elle engendre et la répartition des ressources en eau qui en résulte ».
https://public.wmo.int/fr
2. Joseph Fourier, « Mémoire sur les températures du globe terrestre et des
espaces planétaires », Mémoires de l’Académie Royale des Sciences de
l’Institut de France, t. vii, 1827, p. 570-604.
3. Selon le GIEC (2013), le forçage radiatif est défini de la manière suivante
: « Variation du flux de rayonnement résultant (différence entre
l’éclairement descendant et l’éclairement ascendant, exprimée en W.m-2), à
la tropopause ou au sommet de l’atmosphère, due à une modification d’un
agent externe du changement climatique, par exemple une modification de
la concentration de dioxyde de Le réchauffement climatique nous impose de
tout changer ! carbone ou du rayonnement solaire. »
https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/08/WGI_AR5_glossary_FR.p
df
4. IPCC en anglais, pour Intergovernmental Panel on Climate Change.
https://www.ipcc.ch/
5. https://public.wmo.int/fr
6. https://www.unep.org/fr
7. Site internet du GIEC: https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/
8. Le 5e rapport du GIEC a, par exemple, mobilisé 2500 experts de près de
130 pays, plus de 830 chercheurs qui ont formulé 136706 commentaires au
rapport d’évaluation. Lire notamment:
https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/ONERC_Livret_Mieux_co
mprendre_le_GIEC_2018.pdf
9. L’échelle de confiance du GIEC comprend 10 niveaux avec leur
probabilité associée : quasiment certain (99/100), extrêmement probable
(95/100), très probable (90/100), probable (66/100), plus probable
qu’improbable (50/100), à peu près aussi probable qu’improbable (33 à
66/100), improbable (0 à 33/100), très improbable (0 à 10/100),
extrêmement improbable (0 à 5/100), et exceptionnellement improbable (0
à 1/100).
10. Le réchauffement climatique est mesuré par rapport à la température
prévalant durant l’ère préindustrielle, entre 1850 et 1900, avant que
l’homme ne commence à utiliser massivement les énergies fossiles.
11. https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/
12. La fourchette de hausse des températures est comprise entre + 2,1 °C et
+ 3,4 °C selon la dernière synthèse du 6e rapport du GIEC.
https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/
13. https://www.futura-sciences.com/planete/questions-
reponses/rechauffement-climatique-limiter-rechauffement-climatique-2-
cpas-plus-930/
14. COP est l’acronyme de Conference of the Parties. La première réunion
de la COP s’est déroulée à Berlin en 1995. La prochaine (COP28) aura lieu
en novembre 2023 aux Émirats arabes unis. https://unfccc.int/fr/
process/bodies/supreme-bodies/conference-of-the-parties-cop
15. L’accord a été adopté par 196 parties lors de la COP21.
https://unfccc.int/fr/a-propos-des-ndcs/l-accord-de-paris
16. Sur ce sujet, lire la note du Shift Project : « Simulation de trajectoires
d’émission compatibles avec le budget carbone +2 °C ».
https://theshiftproject.org/wp-
content/uploads/2017/12/note_danalyse_les_indc_et_le_budget_carbone_th
e_shift_project_0.pdf
17. Citepa, 2022. https://www.citepa.org/fr/2022_03_a04/
18. https://unfccc.int/fr/a-propos-des-ndcs/l-accord-de-paris
19. ADEME. https://presse.ademe.fr/2021/04/avis-de-lademe-tous-
lesacteurs-doivent-agir-collectivement-pour-la-neutralite-carbone-
maisaucun-acteur-ne-devrait-se-revendiquer-neutre-en-carbone.html
20. Selon Le Robert, un puit de carbone est un système (forêt, océan, etc.)
qui absorbe naturellement une partie du CO2 émis.
21. Emmanuel Hache, « La sobriété, vecteur de puissance ? », Revue
internationale et stratégique, no 128, 2022, p. 77-86.
22. Le terme sufficiency est utilisé dans le rapport du GIEC. Il couvre la
sobriété énergétique, en matériaux, l’occupation des sols et l’eau. GIEC,
Climate Change 2022 : Mitigation of Climate Change, the Working Group
III contribution to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental
Panel on Climate Change, Summary for Policymakers, avril 2022.
23. Chantal Brutel, Jeanne Pages, INSEE.
https://www.insee.fr/fr/statistiques/5013868
24. https://carlabelling.ademe.fr/chiffrescles/r/evolutionConsoMoyenne Le
réchauffement climatique nous impose de tout changer !
25. Hannah Ritchie and Max Roser, « Emissions by sector », Our world in
data, août 2020. https://ourworldindata.org/emissions-bysector
CHAPITRE 3

La transition énergétique est le


plus grand challenge de l’humanité,
mais les solutions existent

Le charbon, le pétrole et le gaz se sont formés il y a des millions


d’années dans le sous-sol de la terre. Mais leur utilisation à grande échelle
pour d’autres besoins que le chauffage et la cuisson n’a été rendue possible
que par l’émergence des technologies de transformation des sources
d’énergie primaire en énergie finale utilisable à volonté par les
consommateurs. Le développement de la machine à vapeur a généralisé
l’adoption du charbon et, plus tard, du gaz, puis l’invention du moteur à
explosion a engendré le succès du pétrole.
La consommation d’énergies fossiles n’a alors cessé d’augmenter et,
avec elle, les émissions de CO2 liées à sa combustion. Du fait de cette
utilisation massive, la concentration de CO2 dans l’atmosphère a connu une
augmentation ininterrompue, année après année, depuis l’avènement du
pétrole. Même dans la période récente, lors de la crise financière de 2008 ou
de la crise sanitaire de la COVID-19 en 2020, où l’activité économique a
fortement ralenti, elle a continué de progresser !
Aujourd’hui, les énergies fossiles sont partout : transport, production
électrique, chauffage, production de plastiques… C’est ce qui rend la
transition si complexe. Il nous faut donc nous passer de ces sources si
confortables sur lesquelles nous avons bâti notre société moderne. Pour la
première fois dans l’histoire, une modification de nos choix énergétiques
n’est pas motivée par l’émergence d’un nouveau couple vecteur
énergétique/innovation technologique (le charbon et la machine à vapeur, le
pétrole et le moteur à explosion), mais par une volonté politique mue par un
impératif environnemental. C’est l’objectif climatique qui impose la
transition. Sans rupture technologique associée, la transition n’est donc pas
naturelle et le système énergétique et économique répond donc avec inertie.
C’est ce qui en fait sans doute le plus grand défi de l’humanité !

Organiser la transition pour contrer la tragédie des horizons

Un tel changement, sur des durées aussi longues, nécessite, pour réussir,
une organisation et une détermination sans faille. Comme l’a fait remarquer
Mark Carney, alors gouverneur de la Banque d’Angleterre1, dans un
discours majeur en 2015, juste avant la COP21, la programmation de la
transition énergétique fait face à une « tragédie des horizons2 ». Il a voulu
exprimer le décalage qui existe entre le temps qu’il faut pour ressentir les
effets du changement climatique et celui des cycles d’affaires et politiques.
Les changements liés au réchauffement climatique, même s’ils sont de plus
en plus perceptibles, se feront ressentir sérieusement à un horizon de
quelques dizaines d’années, alors qu’un homme politique, ou un directeur
de banque, est motivé dans ses décisions par l’impact immédiat qu’elles
auront sur ses actionnaires ou sur son électorat. De ce fait, aller demander
dès aujourd’hui à des investisseurs ou à des électeurs des efforts pour un
problème qui ne les touche pas encore, c’est prendre le risque d’une
défiance, menant à la révocation pour un capitaine d’industrie ou à la
défaite électorale pour un homme politique.
Car, pour réaliser une telle transition, il faut bien parler d’efforts.
Prendre en compte des externalités négatives comme les émissions de CO2,
alors qu’on les ignorait jusqu’à maintenant, a forcément un coût. Le monde
ne s’est pas tourné vers les énergies fossiles par hasard, mais en raison,
nous l’avons vu, de leur praticité et de leur faible coût. Si les énergies bas-
carbone présentent un avantage considérable en matière de préservation du
climat, elles ne représentent aujourd’hui qu’à peine 17 % de la
consommation d’énergie primaire3. Elles ont été marginalisées pour
l’essentiel en raison de leur coût ou de leur faible praticité. L’électrification
du secteur du transport est, par exemple, une solution efficace dans la lutte
contre le réchauffement climatique, mais il pose des contraintes que les
énergies fossiles n’imposaient pas. Nous pouvons citer la question de
l’autonomie des batteries, le temps de recharge et le déploiement des
réseaux de recharge. Il en va de même avec le développement de l’éolien ou
du solaire. Ces désavantages se réduisent avec les innovations
technologiques, mais le coût complet et la praticité restent des sujets
fondamentaux à appréhender dans la mise en place de la transition.
Qui plus est, les difficultés ne s’arrêtent pas là… Car, pour que la
transition énergétique soit une réussite, il faut réussir à synchroniser la
sortie des énergies fossiles et le développement des solutions bas carbone.
Or, dans le domaine énergétique, il semble plus facile d’arrêter une
structure existante que de démarrer une nouvelle activité. C’est là une
seconde tragédie des horizons. Ouvrir une centrale éolienne ou solaire
prend du temps, beaucoup de temps. En Europe, par exemple, alors que la
législation prévoit que le délai d’obtention des permis de construire ne
dépasse pas 2 ans4, en pratique, la durée est toujours supérieure pour
l’éolien terrestre, pour les projets installés en 2021.
Les délais vont de 2 ans et demi pour la Roumanie à 10 ans pour la
Croatie. En France, le temps moyen est de 5 ans et demi, de 3 ans et 4 mois
en Allemagne et la moyenne européenne se situe à 3 ans et demi. Pour les
parcs éoliens en mer (offshore), les délais sont encore plus longs. Enfin,
pour les centrales solaires, seuls trois pays, la Lituanie, la Belgique et la
Roumanie, tiennent les délais pour les autorisations administratives (la
France est à 3 ans). Pour cette raison, il faut au total aujourd’hui entre 4 et 7
ans pour construire un parc solaire ou éolien onshore, et même un peu plus
de 10 ans pour un parc éolien offshore5.
À l’inverse, dans le cas des énergies fossiles, il est aujourd’hui facile
d’emporter l’adhésion publique sur la limitation de l’activité des
compagnies pétrolières et gazières, compte tenu des conséquences néfastes
de leurs activités, qui sont déjà connues et bien documentées. Nous nous
retrouvons donc aujourd’hui dans une situation où les pouvoirs publics ont
déjà mis en place les mesures favorables à une réduction des
investissements dans les énergies fossiles, mais où les énergies de
remplacement ne sont pas encore disponibles ! La crainte est que la
dynamique de hausse des prix du pétrole et du gaz observée bien avant la
guerre en Ukraine ne continue à l’avenir, en raison du manque
d’investissements dans les énergies carbonées6.
Il faut donc veiller à ne pas mettre la charrue avant les bœufs, si nous ne
voulons pas nous retrouver à court d’énergie et nous précipiter dans un
scénario de rupture – un mur énergétique – plutôt que dans celui d’une
transition ! Qui plus est, la tragédie des horizons décrite par Mark Carney
ressurgit sur ces aspects de transition. En effet, la remontée des prix des
hydrocarbures est une problématique sociale difficile à gérer pour la classe
politique. Dit autrement, la hausse des prix des carburants entraîne une
grogne sociale à laquelle les élus se doivent de répondre. Que l’on parle
d’un chèque énergie ou d’une remise à la pompe, il s’agit bel et bien de
subventions. Nous nous retrouvons donc aujourd’hui dans la situation
ubuesque où l’on fait tout pour réduire l’offre d’énergies fossiles, mais où,
quand celles-ci viennent à manquer, nous subventionnons leur
consommation pour éviter toute forme d’instabilité sociale… empêchant en
cela la baisse de la consommation ! La seule solution pour sortir de ce
cercle vicieux est d’accélérer l’installation de moyens de production
d’énergie bas carbone.
Mais même dans ce cas, une autre tragédie des horizons s’impose à
nous : nous ne devons pas seulement gérer un flux, mais aussi un problème
de stock. Pour bien comprendre, le secteur du transport est le meilleur
exemple. La mobilité électrique s’est développée de manière importante ces
dernières années, dépassant dans certains cas les prévisions, même les plus
optimistes. Pourtant, le passage à une mobilité tout électrique est encore un
horizon lointain. Aux États-Unis, par exemple, où les ventes de véhicules
électriques ont dépassé cette année les 800 000 exemplaires, le parc
automobile dépassait les… 280 millions d’unités ! Sans une accélération
marquée, il faudra donc plusieurs décennies pour électrifier totalement
l’ensemble du parc automobile et se passer ainsi totalement de pétrole, sauf
à obliger une partie importante de la population à ne plus utiliser sa
voiture… Ce qui, nous pouvons le comprendre, ne serait pas socialement
acceptable. Carlos Tavares, directeur général de Stellantis7, attirait
l’attention des pouvoirs publics sur ce sujet dans un entretien en 2022 : «
Comment protéger la liberté de mouvement des classes moyennes qui ne
vont pas pouvoir accéder à l’achat d’un véhicule électrique ? Dire à la
classe moyenne “restez chez vous”, ce n’est pas gérable politiquement8. »
Une autre condition au succès de cette transition est la prise en compte
de l’intrication des différents systèmes énergétiques et de l’impossibilité de
raisonner uniquement sur des considérations nationales. C’est
particulièrement vrai pour l’Europe où les interconnexions entre les pays
sont un élément majeur de l’équilibrage entre l’offre et la demande
électrique à l’échelle du continent. Ainsi, dans une année normale, plus de
15 % de l’électricité européenne fait l’objet d’échanges transfrontaliers.
Dans la mesure où la transition énergétique consiste à multiplier le recours à
l’énergie électrique bas-carbone pour se passer des hydrocarbures, ces liens
vont revêtir une importance croissante et fondamentale. Mais cela implique
que les décisions en matière énergétique d’un pays ne seront pas sans
conséquence sur la disponibilité électrique de ses voisins. La politique
énergétique restant un élément de souveraineté laissé à la discrétion de
chaque pays, il faut, a minima, prévoir une coordination au niveau
européen. Sans quoi la transition ne pourra fonctionner et nous ne pourrons
éviter que, plusieurs pays comptant sur les importations en provenance de
leurs voisins au même moment, l’on se retrouve dans l’incapacité de fournir
suffisamment d’énergie pour tout le monde !
Réaliser la transition représente ainsi un énorme défi. Elle nécessite une
volonté politique, une coopération régionale et internationale et une mise en
œuvre extrêmement complexe. D’importants moyens doivent ainsi être
mobilisés. L’AIE estime que les investissements dans les technologies bas-
carbone devraient passer de 1 200 milliards de dollars par an actuellement,
à 4 300 milliards par an en 20309 ! Devant de tels montants et l’ampleur de
la tâche, certains pourraient être tentés de baisser les bras. Ce serait oublier
qu’en réalité, nous n’avons pas le choix. Toutes les études sont formelles et
montrent que nous ne pouvons pas continuer sur la trajectoire actuelle. Les
conséquences humaines et financières, l’impact sur la biodiversité, tout
montre que ne rien faire serait beaucoup plus coûteux que d’investir
aujourd’hui dans la transition. Plusieurs études10 estiment qu’un monde
dans lequel le réchauffement climatique dépasserait les 2 °C ne serait plus
assurable contre les catastrophes naturelles. Au-delà, le fait que des zones
géographiques entières puissent devenir inhabitables ou que des zones
cultivables deviennent infertiles du fait de la montée des eaux, pourrait
entraîner des mouvements de populations ingérables socialement. La seule
chose dont nous sommes à peu près sûrs, c’est que ne rien faire coûterait
beaucoup plus cher que de réaliser la transition énergétique.

Atteindre la neutralité nécessite le déploiement des technologies


bas-carbone

Pour parvenir à la neutralité carbone, plusieurs scénarios ont été


envisagés par les scientifiques. Mais tous se rejoignent sur un point : la
décarbonation de notre énergie passera principalement par le remplacement
des énergies fossiles par des énergies bas-carbone pour produire de
l’électricité. Le vecteur électrique présente l’avantage d’offrir une solution
pour décarboner les transports, qui fonctionnent historiquement quasiment à
100 % avec des énergies fossiles. Le scénario de neutralité carbone de
l’AIE11 prévoit ainsi, d’ici 2050, un effondrement de l’utilisation des
fossiles, dont la part dans notre consommation finale d’énergie passera de
65 % à 21 %, compensée en grande partie par un accroissement marqué de
l’électricité, dont la part passera de 20 % à 49 %.
L’électricité présente la possibilité d’être produite grâce à des
technologies bas-carbone. Parmi les options à disposition figurent les
énergies renouvelables (EnR). Elles désignent l’ensemble des énergies
produites à partir d’une ressource considérée comme « inépuisable »,
c’està-dire qui se renouvelle naturellement et suffisamment rapidement pour
que la consommation ne soit pas contrainte par un manque de disponibilité
à courte échéance. Elles incluent ainsi les énergies d’origine solaire,
éolienne, hydraulique, géothermique ou végétale12. Pour sa part, le
nucléaire est considéré comme une énergie bas-carbone. Les EnR
s’opposent aux énergies de stocks comme les hydrocarbures (pétrole et gaz)
et le charbon, dont le renouvellement et la disponibilité sont limités à
l’échelle humaine13.
Parmi les EnR, on trouve la ressource hydroélectrique. Le
développement des barrages permet la production d’une énergie
renouvelable qui présente l’avantage d’être pilotable, c’est-à-dire d’être
activable à tout moment dans un délai très court. L’énergie hydroélectrique
est aujourd’hui l’énergie renouvelable la plus développée dans le monde et
représente environ 55 % de la production électrique des énergies
renouvelables et 15 % de la production électrique mondiale14. La majorité
des barrages a été largement installée dans les pays développés, où le
potentiel est à présent limité. On estime aujourd’hui, par exemple, que le
potentiel est quasiment épuisé aux États-Unis, où l’on a construit en
moyenne un barrage par semaine depuis 1870 !
L’essentiel du potentiel se situe désormais dans les pays émergents,
notamment en Chine, qui est déjà le plus important producteur
d’hydroélectricité. On estime la capacité potentielle totale mondiale
économiquement viable à environ 2 800 GW15, dont un peu plus de la
moitié aurait déjà été développée. Mais l’installation d’un barrage, si elle
permet de produire une électricité peu carbonée, n’est pas pour autant sans
effet sur l’environnement. Une telle entreprise nécessite, pour les grands
ouvrages, la création d’un lac de retenue qui implique de « noyer » une
grande zone géographique, ce qui entraîne la destruction des écosystèmes et
un impact marqué sur la biodiversité. Ce type de projet rencontre donc
régulièrement des oppositions locales fortes.
En outre, les rivières n’ayant pas de frontières, l’installation d’un
barrage dans un pays peut avoir de graves conséquences sur les pays situés
en aval et constitue une source de tensions majeures entre les États. C’est
notamment le cas des pays traversés par le Mékong en Asie (Laos,
Cambodge, Vietnam, Thaïlande, Birmanie), ce fleuve prenant sa source
dans l’empire du Milieu qui y a déjà établi plusieurs barrages. Les mêmes
problématiques sont observées suite à la construction du grand barrage de la
renaissance mené depuis 2011 par le gouvernement éthiopien. Cet ouvrage
suscite critiques et menaces de la part de l’Égypte et du Soudan.
Pour toutes ces raisons, l’intégralité du potentiel hydraulique identifié
ne pourra pas être exploitée. De plus, compte tenu de la hausse de la part de
l’électricité dans notre consommation d’énergie, le potentiel
hydroélectrique devrait permettre, au mieux, de maintenir la part de cette
énergie dans notre mix énergétique. Par ailleurs, là encore, les délais de
construction sont relativement longs : de l’ordre de 5 à 7 ans pour les petites
unités et de 10 ans pour les grands projets.
À noter que si cette source d’énergie fait l’objet d’un consensus pour
son emploi dans la lutte contre le réchauffement climatique, elle n’est pas
elle non plus exempte de tout risque. Ainsi, la rupture du barrage de
Banqiao en Chine en 1975 à la suite du passage d’un typhon, est sans doute
la catastrophe industrielle la plus importante de l’histoire. Celle-ci aurait
causé la mort directe d’un peu plus de 85 000 personnes, et celle d’environ
145 000 personnes supplémentaires, du fait des épidémies et des famines
qu’elle a provoquées.
En France, chaque barrage fait l’objet d’une étude de dangers
établissant l’impact de différents scénarios d’incidents. Par exemple, si le
barrage de Vouglans, situé dans le Jura, devait céder, les travaux montrent
que la vague de submersion qu’une telle catastrophe engendrerait atteindrait
6 mètres de haut dans la ville de Lyon, 9 heures après la rupture16 !
Autre solution, le nucléaire, qui est incontestablement l’énergie bas-
carbone la plus controversée. Le risque d’accident et la gestion des déchets
radioactifs en font une solution rejetée par certains, au motif que l’histoire
récente a montré les dommages que cette énergie peut causer17. Néanmoins,
cette énergie présente l’avantage d’être en théorie mobilisable à tout
moment, contrairement à d’autres sources d’énergie décarbonées dont la
production dépend de paramètres extérieurs, comme le vent ou le soleil,
pour les énergies solaire et éolienne. Cette source d’énergie reste très chère
en raison du coût financier de ses projets qui s’étendent sur de nombreuses
années. Elle présente toutefois l’avantage d’avoir une faible emprise au sol,
et d’être peu consommatrice de ressources naturelles pour sa construction.
La ressource essentielle est l’uranium, dont le coût est très faible par rapport
au prix global de l’installation. En outre, sa production et ses réserves sont
assez dispersées sur la planète. Si le plus gros producteur est aujourd’hui le
Kazakhstan, les réserves exploitables sont nombreuses dans des pays avec
lesquels nous entretenons des relations diplomatiques fortes, comme
l’Australie ou le Canada.
La technologie nucléaire n’est pas considérée comme renouvelable, car
elle repose sur l’utilisation de l’uranium, dont la quantité disponible est
limitée et qu’elle est émettrice de déchets radioactifs. Mais c’est une énergie
bas-carbone. Selon les données médianes du GIEC, le charbon émet 820
grammes de CO2 dans l’atmosphère pour chaque kilowattheure (kWh)
produit, quand le nucléaire émet seulement 12 grammes de CO2 pour
produire la même quantité d’énergie. Ces chiffres reposent sur une analyse
en cycle de vie, c’est-à-dire qu’ils prennent en compte l’ensemble des
émissions pour parvenir à la production d’énergie, y compris celles liées à
la fabrication de la centrale, à son démantèlement et au stockage des
déchets.
Longtemps décrié par les associations écologistes, notamment en raison
des risques de catastrophes, le nucléaire connaît aujourd’hui un regain
d’intérêt du fait de la crise énergétique et climatique que nous traversons.
Les Allemands, longtemps opposés, sont aujourd’hui une majorité à vouloir
prolonger l’utilisation de la technologie nucléaire pour faire face aux défis
climatiques18. Toutefois, Berlin a fermé ses dernières centrales en avril
2023. D’autres grandes nations, parmi lesquelles les États-Unis, mais aussi
le Japon, qui a pourtant connu la catastrophe de Fukushima, misent sur la
technologie nucléaire pour relever le défi climatique. Les Pays-Bas19, qui
avaient décidé de l’arrêt de leur programme nucléaire, étudient de leur côté
la construction de nouveaux réacteurs, après avoir été condamnés pour
inaction climatique à la suite d’une plainte d’associations
environnementales. La Chine, enfin, a annoncé vouloir construire 150
nouveaux réacteurs nucléaires d’ici 203520, pour l’aider à atteindre la
neutralité carbone ! Aujourd’hui, la majorité des réacteurs en construction
sont situés en Asie, notamment en Chine et en Inde.
L’un des intérêts de cette énergie, c’est qu’elle est, elle aussi, pilotable
dans une certaine mesure. En particulier dans un pays comme la France,
doté d’un parc largement développé (il y a aujourd’hui 56 réacteurs en
activité en France). Certains considèrent néanmoins que le risque encouru
est trop important pour justifier une poursuite du développement du
nucléaire. Il est à noter, par exemple, que parmi les scénarios de transition
énergétique évalués par le GIEC, certains envisagent une absence ou un
recours limité à l’atome pour tenir nos objectifs climatiques. Mais, au
niveau mondial, seuls 8 % des trajectoires étudiées prévoient une baisse du
recours au nucléaire. Qui plus est, sur les 4 grands scénarios présentés dans
le résumé à l’attention des décideurs21 par l’organisation en 2019, toutes
comptent sur une augmentation substantielle du recours à l’énergie
atomique.
Le nucléaire fait ainsi partie des options pour l’atteinte des objectifs de
l’accord de Paris. Néanmoins, il ne peut constituer une solution unique,
notamment parce qu’une telle source d’énergie ne peut être utilisée partout,
pour des raisons géologiques (zones à risque sismique) ou géopolitiques
(instabilité politique). La construction de centrales nécessite par ailleurs
entre 10 et 15 ans, ce qui en fait une solution de moyen terme, mais ne nous
aidera pas dans la réduction attendue de nos émissions pour 2030.
Ces éléments relatifs aux incertitudes technologiques n’ont pas vocation
à discréditer l’énergie hydraulique ou l’énergie nucléaire, mais juste à
rappeler un principe simple : produire de l’énergie n’est pas sans
conséquence et génère des risques importants, directs ou indirects, pour
l’homme ou pour l’environnement. Pendant longtemps, nous avons ignoré
ceux associés aux énergies fossiles, à savoir le rejet de CO2 dans
l’atmosphère, car leurs conséquences n’étaient pas aussi perceptibles et
immédiatement visibles. Rappelons simplement que selon les dernières
recherches publiées, la pollution provoquée par les énergies fossiles a été
responsable de plus de 8 millions de morts prématurées en 2018, soit 20 %
des adultes décédés dans le monde22 !
Parmi les autres solutions, on trouve la géothermie, production de
chaleur réalisée grâce à la récupération de la chaleur produite par la terre.
Bien que cette énergie présente un potentiel non négligeable, elle reste
limitée au regard de nos besoins. Le coût d’installation de tels systèmes est
aujourd’hui assez élevé et ils présentent un certain nombre de risques
(secousses telluriques liées à la fracturation de la roche, émissions gazeuses,
épuisement relatif des puits de chaleur23). Ainsi, dans l’analyse réalisée par
l’AIE en 2021 à la demande des organisateurs de la COP26 à Glasgow24,
pour évaluer les développements énergétiques à réaliser à l’horizon 2050
pour atteindre l’objectif de neutralité carbone fixé par l’accord de Paris,
l’Agence estime que la géothermie devrait représenter moins de 1 % de la
production d’électricité et à peine plus sur la demande d’énergie globale.
D’autres sources sont considérées aujourd’hui comme économiquement
viables et font partie des solutions envisagées pour parvenir à la neutralité
carbone. C’est le cas de toutes les bioénergies, qui utilisent la biomasse
pour générer de la chaleur et des hydrocarbures de synthèse :
agrocarburants, biométhane, pellets… Si ces énergies ne sont pas
réellement sans émissions, elles sont bel et bien renouvelables, puisque
réalisées à partir de déchets animaux ou végétaux dont le stock se
reconstitue au fil du temps25. Certains scénarios estiment que les
bioénergies pourraient représenter jusqu’à 20 % de l’offre d’énergie26.
On trouve, enfin et surtout, les énergies renouvelables basées sur la
captation de l’énergie solaire et éolienne. Elles sont centrales dans les
projets de décarbonation de nos sociétés, car elles sont considérées comme
le moyen le plus efficace pour remplacer les énergies fossiles, tant pour
l’électrification des transports que dans la production d’électricité ou de
chaleur, et ce à un niveau de prix jugé très compétitif. L’énergie
photovoltaïque devrait ainsi être la première source d’énergie en 2050 selon
l’AIE, avec 20 % de la production d’énergie, juste devant l’éolien à 16 %27.
Elles présentent, elles aussi, l’avantage de pouvoir produire de l’électricité
avec très peu d’émissions : le solaire photovoltaïque n’émet que 41
grammes de CO2 et l’éolien 11 grammes seulement par KWh produit.
L’énergie éolienne et l’énergie solaire ont l’avantage d’être disponibles
en quantités illimitées. Ce sont celles sur lesquelles l’essentiel des efforts a
été porté ces dernières années. Les capacités installées ont énormément
progressé. Pour le solaire, par exemple, nous sommes passés au niveau
mondial d’une capacité annuelle installée de 134,9 GW en 2020, à 151 GW
en 2021 et qui aurait dépassé les 190 GW en 2022. Cette accélération est
une bonne nouvelle, d’autant qu’elle devrait se poursuivre dans les années à
venir, pour atteindre 275 GW en 2027. Entre 2012 et 2022, la capacité
totale installée au niveau mondial est ainsi passée de 100 GW à 1 100 GW28
!
Toutefois, si l’on s’en tient au cap donné par l’AIE pour atteindre la
neutralité carbone, nous sommes encore loin du compte. L’Agence estimait,
dans son rapport de 2021, que pour tenir l’objectif de neutralité carbone, il
faudrait atteindre 630 GW de capacités solaires installées par an en 2030,
soit 2,3 fois plus que le chiffre estimé pour 2027… Cela revient à dire,
selon les propos de l’AIE, qu’il nous faut, d’ici 2030, installer chaque jour
dans le monde l’équivalent de la plus grande centrale photovoltaïque en
activité actuellement29 !
De son côté, l’éolien a lui aussi connu un développement exceptionnel.
La capacité totale installée a été multipliée par plus de 3 sur les dix
dernières années pour être portée à environ 925 GW. Sur l’année 2022, c’est
un peu plus de 100 GW qui ont été installés. Il faudra multiplier ce montant
par 4 d’ici 2030, si l’on veut tenir les objectifs de l’accord de Paris.
Ces EnR présentent, elles aussi, quelques inconvénients qu’il est
important de mentionner. Le premier d’entre eux, et le plus souvent cité, est
leur caractère intermittent. Il est incontestable qu’il n’y a pas du vent tout le
temps et que le soleil se couche tous les jours, rendant les éoliennes ou les
panneaux solaires peu productifs voire improductifs sur certaines plages
horaires. La production est donc variable et, a minima, pas complètement
prévisible, même si la météorologie a fait beaucoup de progrès au fil du
temps. Cela veut donc dire qu’il faut prévoir, en complément de ces moyens
de production, des solutions de secours – appelées « backup » – pour les
jours sans vent ou avec un faible ensoleillement, afin de s’assurer que la
demande électrique puisse être satisfaite à tout moment.
Cela implique que les moyens solaires et éoliens doivent être secondés
par des moyens pilotables, disponibles à tout moment. Hormis
l’hydraulique et le nucléaire, seules les centrales fonctionnant aux
hydrocarbures peuvent remplir ce service. C’est pour cette raison que
l’Union européenne (UE) a retenu le gaz, énergie fossile relativement la
moins polluante, comme énergie de transition dans ses textes qui définissent
les activités permettant d’atteindre nos objectifs de décarbonation.
L’Allemagne est un bon exemple de l’impératif de solution de secours
dans le développement d’un réseau basé sur les renouvelables. Au début des
années 2000, le pays a décidé de basculer vers les énergies renouvelables,
lançant une grande opération de transformation appelée Energiewende («
transition énergétique », en allemand). À cette époque, l’Allemagne
disposait d’environ 100 GW de capacité de génération électrique pilotable
(centrales à charbon, à fioul ou à gaz, nucléaires ou ressource
hydroélectrique). Depuis, grâce à plusieurs centaines de milliards d’euros
d’investissements, l’Allemagne a déployé plus de 110 GW d’énergies
renouvelables, essentiellement solaire et éolienne. Pourtant, au terme de ce
grand programme, l’Allemagne dispose encore… de pratiquement 100 GW
de moyens pilotables !
Le parc a tout de même évolué, du fait de la volonté allemande de se
passer du nucléaire. En avril 2023, le pays a fermé l’ensemble de ces
réacteurs et ouvert des centrales, essentiellement à gaz, pour les remplacer.
Mais la consommation d’électricité n’étant pas constante, comment calibrer
correctement les besoins en solution de secours, en centrales pilotables ? En
matière énergétique, il est toujours nécessaire de prévoir le pire, c’est-à-dire
une absence de vent et de soleil au moment où la demande est à son
maximum. Ce qui implique que l’on ne peut pas fermer de capacités
pilotables, sauf à compter sur les installations de ses voisins et sur
l’importation d’électricité.
Le problème est que la pointe de consommation en Europe a lieu,
habituellement, en hiver, à 19 heures, lorsque les gens rentrent chez eux. À
cette heure-là, l’hiver, il fait nuit ; on ne peut donc pas compter sur l’énergie
solaire pour fournir l’électricité demandée. Il reste encore l’éolien… Mais il
se trouve que les jours de grand froid sont généralement des jours de grand
beau temps. En effet, les nuages étant constitués de vapeur d’eau, ils
retiennent la chaleur près du sol. Pour cette raison, les journées les plus
froides sont le plus souvent des journées ensoleillées. Qui dit soleil, dit
anticyclone. Et qui dit anticyclone dit, le plus souvent, absence de vent !
Les heures où la consommation atteint son pic peuvent donc être des
moments où l’éolien et le solaire ne peuvent rien pour la production
électrique, obligeant les opérateurs électriques à conserver les moyens
pilotables nécessaires à répondre au maximum de consommation ! Et cette
hypothèse est loin d’être fantasque.
Cela ne veut pas dire que l’Energiewende allemande soit un échec, loin
de là. Les énergies renouvelables ont représenté en Allemagne 46,9 % de la
production d’électricité en 2022, dont 72 % pour l’éolien et le solaire30.
Mais la nécessité de maintenir les équipements pilotables en
fonctionnement, même s’ils ne sont pas en permanence amenés à
fonctionner, a un coût : les opérateurs exigent un revenu minimum pour
garder leur centrale de production ouverte. Cela implique une augmentation
des coûts de l’électricité outre-Rhin, notamment par rapport à la France31.
Toutefois, il est indéniable que, grâce aux économies d’échelle réalisées
avec l’augmentation des capacités installées, les énergies solaire et éolienne
ont vu leur coût de production baisser de manière drastique. Depuis 2015, le
coût d’investissement dans le solaire a été pratiquement divisé par deux, et
celui de l’éolien a baissé jusqu’à 20 %. Mais ce sont des raisonnements sur
le LCOE (Levelized Cost Of Energy), c’est-à-dire le coût de la production
d’électricité sur la durée de vie de l’équipement qui la produit. Ce dernier
ne peut, cependant, être honnêtement comparé à celui d’une centrale
pilotable, car les deux outils de production ne rendent pas le même service.
Pour que la comparaison soit juste, il faut ajouter au coût des énergies
renouvelables variables celui de la solution de secours qui lui est attachée.
Et dans ce cas, l’avantage est beaucoup moins évident, pour dire le moins…
Qui plus est, les années qui viennent de s’écouler posent une autre
question : les économies d’échelle vont-elles se poursuivre dans les années
à venir ? En effet, en raison de la forte reprise économique observée après
la crise sanitaire de la COVID-19, les prix des matières premières ont
fortement progressé. De ce fait, le coût de production des énergies
renouvelables a augmenté de manière marquée. L’éolien terrestre a vu ce
dernier remonter au-dessus de celui de 2018 avec une hausse de plus de 10
% depuis 2020. De son côté, le solaire a annulé plus de 2 ans de baisse en
2022, avec des prix supérieurs à ceux de 2020.
Des solutions existent pour pallier ce problème d’intermittence. Elles
consistent à stocker l’énergie renouvelable produite les jours où la
production est excédentaire, pour pouvoir y recourir les jours où le vent et
le soleil sont trop faibles pour répondre à nos besoins.
Parmi les principales, on trouve les stations de transformation d’énergie
par pompage (STEP). Ces installations consistent en des barrages
réversibles. Le principe est simple : lorsqu’il n’y a pas de vent ou de soleil
et que l’on a besoin d’électricité, on actionne des turbines pour produire
l’électricité nécessaire. Mais l’eau n’est pas rendue à la rivière, elle est
stockée dans un lac de retenue en aval du barrage. Ainsi, les jours où il y a
du vent ou du soleil qui produisent de l’électricité en excès des besoins, on
utilise l’électricité en surplus pour faire remonter l’eau en amont, pour en
disposer la prochaine fois que la demande électrique sera importante et que
l’éolien et le solaire ne produiront pas suffisamment.
Bien sûr, ce système n’est pas parfait : il y a des pertes. Mais c’est
aujourd’hui l’un des systèmes de stockage les plus efficients, avec des
pertes de l’ordre de 25 % sur l’ensemble de la chaîne de production. Ces
solutions sont néanmoins fortement contestées par les organisations
écologiques, pour les mêmes raisons que les barrages. Leur mise en place
nécessite de « noyer » de grandes zones, portant atteinte à la biodiversité, et
oblige parfois des déplacements de population.
L’autre solution de stockage, très discutée actuellement, est le recours à
l’hydrogène. Plus petite molécule de l’univers, ce gaz peut être produit32 de
façon propre grâce à l’électrolyse de l’eau, procédé qui consiste à utiliser de
l’électricité pour casser les molécules d’eau33 et obtenir de l’hydrogène.
Malheureusement, aujourd’hui, cette méthode est encore peu développée et
l’essentiel de l’hydrogène produit pour répondre à nos besoins (production
d’engrais, pétrochimie…) l’est par une technique appelée vaporeformage34
du méthane (du gaz naturel), qui est très polluante ! La production d’une
tonne d’hydrogène entraîne ainsi l’émission de 10 tonnes de CO2 dans
l’atmosphère !
Aujourd’hui, cette solution est considérée comme l’une des principales
pour le stockage d’énergie, l’hydrogène devant représenter, dans le scénario
net zéro de l’AIE, 6 % de la production d’électricité en 205035. Car il peut
servir à produire de l’électricité. Pour ce faire, on utilise une pile à
combustible, une machine qui permet de transformer chimiquement
l’énergie contenue dans l’hydrogène en électricité36.
Ce vecteur énergétique est amené à croître massivement dans les années
à venir : 50 pays, dont la plupart en Europe et en Asie-Pacifique, ont déjà
annoncé un « Plan hydrogène » pour développer les moyens de production.
C’est le cas de la France, qui compte y investir 9 milliards d’euros d’ici
2030, tout comme l’Allemagne. Les États-Unis, le Japon, la Chine, la Corée
du Sud, l’Espagne, le Portugal… se sont également engagés sur cette voie.
Toutefois, là encore, il ne faut pas ignorer les défauts de cette option.
L’Académie des technologies a ainsi publié un rapport37 sur ce sujet en
2020, où il est indiqué que « le stockage d’une électricité renouvelable
variable sous forme d’hydrogène entraîne des pertes de conversion de 70 %,
à terme peut-être seulement de 40 ou 50 % ». Une grosse partie de l’énergie
est donc perdue dans le procédé de transformation, rendant l’hydrogène très
coûteux à produire.
L’hydrogène est, en outre, une molécule très petite, impliquant des
conditions de stockage particulières, avec des réservoirs adaptés.
Transporter du gaz est complexe, et nécessite souvent une compression
extrêmement coûteuse en énergie. L’utilisation de ce vecteur devrait donc
être réservée à des usages locaux, ne nécessitant pas non plus la création
d’un réseau de distribution important. Au final, l’hydrogène pourrait être un
vecteur majeur de décarbonation, notamment pour le secteur industriel et
celui du transport lourd.
L’utilisation de l’hydrogène dans le transport, notamment aérien, est une
idée séduisante mais peu concluante. Un collectif d’ingénieurs toulousain38
a calculé que, pour faire voler à l’hydrogène tous les avions qui atterrissent
et décollent chaque jour de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle,
l’électricité nécessaire à la production d’hydrogène requerrait entre 10 000
et 18 000 éoliennes ou 16 réacteurs nucléaires !
Une autre solution possible est le stockage d’énergie sur batteries.
Pourquoi, en effet, ne pas utiliser pour l’électricité le même type de
technologie que celle envisagée pour faire rouler nos voitures ? Ici encore,
la physique nous rattrape. Fabien Perdu, ingénieur spécialiste des batteries
au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a
calculé qu’avec la totalité des réserves de lithium identifiées sur terre, on
pourrait construire une batterie capable de stocker environ 250
Térawattheures (TWh) d’électricité39. Même en admettant que l’on sache
parfaitement recycler les batteries et garder constante cette capacité de
stockage, elle resterait très nettement insuffisante. Actuellement, avant
même l’électrification massive de notre système énergétique, la
consommation électrique mondiale est de plus de 25 000 TWh. Nous
pourrions donc stocker environ 1 % de notre consommation !

***

On le voit, il n’existe pas de réponse simple à la transition énergétique.


Chacune des options technologiques proposées possède des avantages et
des inconvénients. Et ce n’est pas parce qu’une d’elles présente des
inconvénients qu’elle doit forcément être abandonnée. Nous sommes à
l’heure des choix et il n’existe pas de solution miracle : il nous faut faire des
arbitrages. Initier la transition nécessitera sans doute une combinaison des
différentes options, variable selon les spécificités de chaque zone
géographique, qui impose de tenir compte en premier lieu de la société dans
laquelle nous voulons vivre.
Quels sacrifices sommes-nous prêts à consentir sur nos modes de vie ?
Produire des biens et services impose d’extraire des ressources de la terre,
avec un impact sur la biodiversité et sur le climat. Il nous faut trouver un
juste équilibre entre une société acceptable, laissant à chacun la possibilité
de s’épanouir personnellement, socialement et économiquement, et
l’impératif que nos excès impliquent pour préserver la planète.
Mais le temps presse… Pour rappel, l’Organisation des Nations unies
(ONU) estime que nos émissions de CO2 doivent diminuer de 7,6 % par an
entre 2020 et 2030 pour être sur une trajectoire nous permettant d’atteindre
l’objectif de limiter la hausse des températures en dessous de 1,5 °C. À titre
de comparaison, l’arrêt quasi complet de l’économie mondiale pendant la
crise sanitaire de la COVID-19 en 2020 n’a entraîné, cette année-là, qu’une
baisse d’environ 5 %40 des émissions mondiales de CO2 !
Le travail qui reste à faire est considérable.
Les EnR sont aujourd’hui les solutions les mieux acceptées qui
semblent à même d’être développées dans des proportions suffisantes pour
répondre à nos objectifs. Mais pour pouvoir les développer à grande
échelle, notre seule volonté ne suffit pas. Car, au-dessus des lois que les
hommes peuvent se donner, il existe des principes inaliénables qui
s’imposent à nous : les lois de la physique !
Le monde prend peu à peu conscience que si le vent et le soleil sont
inépuisables, renouvelables et gratuits, ils sont incapables à eux seuls de
répondre à nos besoins. La réalité qui nous rattrape est que l’on ne fait pas
d’électricité seulement avec du vent ou du soleil ! Ces technologies
nécessitent l’usage d’un convertisseur d’énergie. Or, ce transformateur a
une existence physique. Il doit donc être conçu, ce qui requiert nombre de
matériaux. Outre le béton nécessaire à leur installation, les éoliennes et les
panneaux solaires vont demander une grande quantité de métaux. Cuivre,
aluminium, argent, nickel… La liste est longue.
Une éolienne requiert, en fonction de sa taille, entre 950 kilogrammes et
5 tonnes de cuivre selon la Commission européenne ; un panneau solaire a
besoin d’argent pour fonctionner, 5 grammes par panneau environ ; une
voiture électrique contient environ 4 fois plus de cuivre qu’une voiture
thermique. Ensemble, ces différentes technologies impliquent une
consommation de métaux proprement incroyable. Dès 2015, l’Alliance
nationale de coordination de la recherche pour l’énergie41 (ANCRE)
estimait dans son rapport « Ressources minérales et énergies » que nous
devrions, dans les 30 prochaines années, extraire autant de métaux que
depuis le début de l’histoire de l’humanité !
La transition énergétique ne se résume pas à nous débarrasser de notre
dépendance au pétrole. Il s’agit également de nous assurer que la nouvelle
dépendance qu’elle crée par rapport à nos besoins en métaux ne devienne
pas un nouvel angle mort de nos politiques énergétiques.
Une série de questions émerge alors : avonsnous assez de métaux pour
faire face à cette nouvelle dépendance ? Comment assurer nos
approvisionnements ? Quelles conséquences économiques cette
transformation majeure peut-elle engendrer ? Et comment mettre en place
les conditions industrielles nécessaires à notre plan de transformation ?

1. La Banque d’Angleterre est la banque centrale du Royaume-Uni.


2. Discours de Mark Carney, Breaking the tragedy of the horizon, climate
change and financial stability, 29 septembre 2015.
https://www.bankofengland.co.uk/speech/2015/breaking-the-tragedy-of-the-
horizon-climate-change-and-financial-stability
3. BP Statistical Review, 2022.
4. Directive Énergie Renouvelable 2018/2001.
5. David Medioni, La Tribune, 31 mars 2023. https://www.latribune.
fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/eoliennes-
lesmoulins-de-la-discorde-955220.html
6. Pierre Hacquard, Marine Simoën, Emmanuel Hache, « Is the oil industry
able to support a world that consumes 105 million barrels of oil per day in
2025 ? », Oil and Gas Science and Technology Journal, vol. 74, no 88, 16
décembre 2019.
7. Stellantis est un groupe automobile international issu de la fusion des
groupes PSA Peugeot-Citroën et Fiat Chrysler Automobiles en 2021.
8. Le Point, 18 octobre 2022.
https://www.lepoint.fr/automobile/salons/carlostavaresdenoncela-
politiquedutoutelectrique-18-10-2022-2494174_656.php
9. Agence internationale de l’énergie, Net Zero by 2050, A Roadmap for
the Global energy Sector, 2021.
10. https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/09/02/climat-les-
compagnies-d-assurance-tirent-la-sonnette-d-alarme-et-commencenta-
refuser-certains-risques_6093133_3234.html
11. Agence internationale de l’énergie, Net Zero by 2050, A Roadmap for
the Global energy Sector, 2021.
12. La définition de l’INSEE est la suivante : « Énergies dérivées de
processus naturels en perpétuel renouvellement, notamment celles d’origine
solaire, éolienne, hydraulique, géothermique ou végétale (bois,
biocarburants, etc.). On distingue ainsi parmi les sources d’énergies
renouvelables, le soleil (photovoltaïque ou thermique), le vent (éolienne),
l’eau des rivières et des océans (hydraulique, marémotrice, etc.), la
biomasse, qu’elle soit solide (bois et déchets d’origine biologique), liquide
(biocarburants) ou gazeuse (biogaz), ainsi que la chaleur de la terre
(géothermie) et celle extraite par des pompes à chaleur. »
13. À titre d’exemple, le pétrole est une énergie fossile qui provient de la
décomposition de matière organique au fil du temps. Mais le processus
prend plusieurs millions d’années. On considère donc qu’à notre échelle, les
quantités de pétrole sont donc finies, et que cette source d’énergie n’est pas
renouvelable.
14. BP Statistical Review, 2022.
15. Agence internationale de l’énergie, « Hydropower data explorer », mis à
jour le 30 juin 2021. En 2020, la capacité installée était de 1 327,3 GW, ce
qui représentait 47 % du potentiel économique, qui s’établit donc à 2824
GW. https://www.iea.org/data-and-statistics/data-tools/hydropower-data-
explorer
16. https://www.lyoncapitale.fr/actualiteune-vague-geante-sur-lyon-et-la-
centrale-du-bugey-est-elle-possible
17. Si on s’en tient aux bilans officiels, notamment ceux établis par
l’UNSCEAR (United Nations Scientific Committee on the Effects of
Atomic Radiation), l’équivalent du GIEC pour les problèmes de
radioactivité, les bilans des principales catastrophes nucléaires seraient
limités. De même, le journal médical Lancet, l’un des plus réputés au
monde, estime que le nucléaire est l’énergie qui tue le moins par quantité
d’électricité produite, catastrophes nucléaires de Tchernobyl et Fukushima
prises en compte. Les chiffres du CERR (Comité européen sur le risque de
l’irradiation) montrent de leur côté que le nucléaire est responsable de 61,6
millions de morts par cancers depuis 1945, contre 1,1 million selon les
sources officielles.
18. https://energynews.pro/nucleaire-soutenu-par-les-allemands/
19. La Tribune, 12 décembre 2022. https://www.latribune.fr/entreprises-
finance/industrie/energie-environnement/nucleaire-lespays-bas-vont-
construire-deux-nouvelles-centrales-944192.html
20. Aurélie Barbaux, « Nouveau coup de pression de la Chine sur le
nucléaire français », L’Usine nouvelle, 8 novembre 2021. https://www.
usinenouvelle.com/article/nouveau-gros-coup-de-pression-chinois-surle-
nucleaire-francais.N1157987
21. https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/IPCC-Special-
Report-1.5-SPM_fr.pdf
22. https://www.nationalgeographic.fr/environnement/la-pollution-
atmospherique-tue-trois-fois-plus-que-la-covid19
23. https://www.ifsttar.fr/collections/ActesInteractifs/AII3/pdfs/169049.pdf
24. Agence internationale de l’énergie, « Net Zero by 2050, A Roadmap for
the Global energy Sector », 2011.
25. Elles sont également considérées comme neutres en carbone, car le
carbone que leur combustion relâche dans l’atmosphère est un carbone qui
avait été emmagasiné par les produits qui ont permis leur fabrication.
26. Dans le scénario Net zero de l’Agence internationale de l’énergie, la
part des bioénergies est de 18,7 % en 2050. D’autres scénarios étudiés par
le GIEC ont des estimations plus élevées. Timur Gül, Laura Cozzi, Petr
Havlik, « What does net-zero emissions in 2050 mean for bioenergy and
land use ? », AIE, 31 mai 2021. https://www.iea.org/articles/what-does-net-
zero-emissions-by-2050-mean-for-bioenergyand-land-use
27. « Net Zero by 2050, A Roadmap for the Global energy Sector »,
Agence internationale de l’énergie, 2021.
28. AIE, 2022. GW = Giga Watt. C’est une mesure de puissance, qui permet
d’évaluer la quantité d’énergie que peut générer un moyen de production. À
titre de comparaison, un réacteur nucléaire a une puissance d’environ 1 GW.
Toutefois, la quantité d’énergie produite par les deux moyens de production
dépendra du nombre d’heures de fonctionnement de chacun d’eux. Dit
autrement, ce n’est pas parce qu’ils ont la même puissance, qu’ils
produiront la même quantité d’énergie. https://www.iea.org/reports/solar-pv
29. https://www.pv-magazine.fr/2021/05/20/laie-appelle-a-ajouter-630-gwc-
par-an-de-capacites-solaires-a-lhorizon-2030/
30. https://reporterre.net/En-Allemagne-les-energies-
renouvelablesfournissent-49-de-l-electricite
31. En Allemagne, du fait de l’installation des EnR et de l’obligation du
maintien des infrastructures pilotables, le prix de l’électricité est en
moyenne plus élevé.
32. L’hydrogène existe aussi à l’état naturel (hydrogène blanc).
33. L’eau (H2O) est composée d’un atome d’oxygène relié à deux atomes
d’hydrogène.
34. Pour une description complète du vaporeformage du méthane, voir le
site du CEA:
https://www.cea.fr/comprendre/Pages/energies/renouvelables/hydrogene.as
px?Type=Chapitre&numero=3
35. Agence internationale de l’énergie, « Net Zero by 2050, A Roadmap for
the Global energy Sector », 2021.
36. Pour une description complète de la pile à hydrogène, voir le site du
CEA sur le sujet : https://www.cea.fr/Pages/domaines-
recherche/energies/energies-renouvelables/recherches-CEA-hydrogene-
pile-acombustible.aspx
37. Site de l’académie des technologies: https://www.academie-
technologies.fr/publications/role-de-lhydrogene-dans-une-economie-
decarbonee/
38. https://www.lejournaltoulousain.fr/societe/pour-ces-scientifiques-avion-
a-hydrogene-airbus-ne-sera-pas-vraiment-vert-92763/
39. Les batteries et leur utilisation dans des véhicules électriques, CEA –
LITEN, 2019. https://www.youtube.com/watch?
v=yhSTYPcuHmI&ab_channel=SauvonsLeClimat-
M%C3%A9diath%C3%A8que
40. Citepa, 2022. https://www.citepa.org/fr/2022_03_a04/
41. Site internet de l’ANCRE, consulté le 27 décembre 2022.
https://www.allianceenergie.fr/wp-
content/uploads/2017/06/Ancre_Rapport_2015-
Ressources_minerales_et_energie_0.pdf
Partie 2

Les métaux et les défis


de la transition énergétique
CHAPITRE 4

Le monde est basé


sur les matières premières

Un baril de pétrole à plus de 120 dollars, une tonne de cuivre à plus de


10 000 dollars et des prix inobservés jusqu’alors sur les marchés gaziers
européens… L’invasion de l’Ukraine par la Russie a rappelé l’importance
des matières premières dans l’économie mondiale et l’extrême volatilité de
leurs prix. Elles impactent l’ensemble de l’économie, notamment le secteur
industriel et les chaînes de production, les grandes variables
macroéconomiques (produit intérieur brut [PIB] et inflation), la finance
(cours du dollar et prix des ressources naturelles), mais également
l’environnement et la géopolitique.
En 2021, les matières premières représentaient plus de 26 % des
échanges internationaux selon l’Organisation mondiale du commerce1
(OMC). Les matières premières énergétiques (2 500 milliards de dollars) et
agricoles (2 100 milliards) restent les produits les plus échangés sur les
marchés mondiaux. Les minerais et les métaux ont représenté, pour leur
part, plus de 1 100 milliards de dollars d’échanges en 2021, soit une
multiplication par deux en 15 ans !

Matières premières : de quoi parle-t-on ?

Les marchés de matières premières recouvrent un ensemble de marchés


dont les logiques d’acteurs et de formation des prix sont plus ou moins
communes. Si, historiquement, l’Organisation des nations unies (ONU)
employait le terme de produits de base, on désigne communément les
matières premières comme l’ensemble des ressources naturelles brutes
présentes dans le sol, ou le sous-sol, ou issues d’une première
transformation et faisant l’objet d’un échange international. Dans le secteur
du trading, les économistes lui préfèrent la notion de commodities2.
Ils sont généralement classés en différents segments comme l’énergie,
les matières premières industrielles ou les produits agricoles (Tableau 1).
Sur le second segment, différentes classifications existent et peuvent se
recouvrir. On distingue ainsi les métaux de base communément utilisés
(aluminium, cuivre, fer, etc.), ceux nécessaires à l’électrification ou pour le
stockage (cobalt, cuivre, lithium, etc.) ou ceux de l’énergie nucléaire
(plutonium, thorium, uranium, etc.). Ils peuvent également être considérés
comme majeurs ou mineurs selon le volume de production et de
consommation.
De manière générale, il est nécessaire de distinguer la production ou le
commerce de matières premières en valeur (en dollars), de la production en
volume (en tonnes). Pour ce qui concerne la production, en volume, ce sont
celles qui appartiennent au segment énergétique, comme le charbon ou le
pétrole, qui sont les plus produites dans le monde. L’unité pour ces
dernières reste le milliard de tonnes par an, et le charbon est, en 2022, la
matière première la plus produite au monde3. Viennent ensuite les produits
alimentaires comme le blé, le riz, le sucre ou la viande, dont les productions
s’expriment en centaines de millions de tonnes. Les métaux non ferreux
comme le cuivre, l’aluminium ou le plomb ont une production de quelques
dizaines de millions de tonnes. Pour les métaux dits stratégiques, qui sont
sous le feu de l’actualité à l’heure actuelle, comme le cobalt, le lithium ou
les éléments de terres rares, les marchés ne représentent que quelques
dizaines ou centaines de milliers de tonnes.

Tableau 1 : Catégories générales des marchés de matières premières


Source : auteur

Les extractions mondiales de matériaux vont dépasser les 100


milliards de tonnes !

Un indicateur pertinent de l’utilisation des matières premières dans


l’économie mondiale est donné par le niveau d’extraction des matériaux
(biomasse, énergie, minerais métalliques ou non métalliques) contenus dans
le sol ou le sous-sol. Les extractions sont passées de 27,1 milliards de
tonnes en 1970 à plus de 96,1 milliards en 20194. En 2022, elles ont
dépassé les 100 milliards. Depuis le début des années 2000, le volume des
extractions mondiales a augmenté de 66 %, alors que la population
mondiale enregistrait une hausse de « seulement » 24 %. En conséquence,
mesurée par l’extraction, notre empreinte moyenne mondiale en matériaux
évaluée à environ 26 kg par jour et par personne en 2000 a été portée à
environ 34 kg en 2019, dont 3,5 kg pour les seuls minerais métalliques.
Selon l’OCDE5, l’empreinte globale pourrait s’établir à environ 45 kg
en 2060 par jour et par personne, et les extractions portées à plus de 165
milliards de tonnes. Les extractions de matériaux ont ainsi enregistré une
augmentation soutenue depuis 1970, portées notamment par les produits
minéraux non métalliques (argile, gravier, gypse, sable, etc.) nécessaires à
la construction d’infrastructures et de logements. Les seuls minerais
métalliques (bauxite, cuivre, nickel, etc.) ont vu leurs extractions
multipliées par 3,5 au niveau mondial depuis les années 1970 et par près de
deux depuis le début des années 2000. La demande en infrastructures, mais
également les équipements industriels, les biens de consommation et plus
récemment les technologies bas-carbone ont provoqué une hausse de la
consommation de plus de 3 % par an des minerais métalliques depuis 2000.
Depuis le xixe siècle, les principaux pays consommateurs ont tous, de
prime abord, cherché à extraire dans leur propre sous-sol les matériaux dont
ils avaient besoin. Cette logique s’est poursuivie après la Seconde Guerre
mondiale. Dans l’ensemble des régions du monde, les extractions de
matériaux ont augmenté depuis les années 1970, principalement portées par
les minerais non métalliques. Et ce sont les zones de croissance les plus
rapides qui ont enregistré les taux d’extractions les plus élevés.
À partir des années 1980, et plus encore depuis les années 1990, la part
de la région Asie-Pacifique dans les extractions mondiales de matériaux a
enregistré une très forte progression, passant d’environ 25 % en 1970 à près
de 53 % en 20196. Celle de l’Europe a reculé de 21 % à environ 8 %, tout
comme celle de l’Amérique du Nord (de 22 % à moins de 11 %) entre 1970
et 2019. L’Afrique, qui représentait environ 8 % des extractions mondiales
en 1970, a vu sa part stagner.
En corollaire, le mouvement de tertiarisation et de désindustrialisation
observé dans les pays développés depuis les années 1980 a entraîné une
réduction marquée des importations européennes ou américaines de
matériaux. L’Europe, qui représentait environ 48 % des importations
mondiales, n’en représentait plus que 27 % en 2019 (de 20 % à 8 % pour
l’Amérique du Nord sur la même période). Dans le même temps, la région
Asie-Pacifique a connu la plus forte progression, la région captant 48 % des
importations mondiales en 2019, contre 20 % en 1970.
Ainsi, la répartition géographique des extractions et des importations
mondiales de matériaux a enregistré une évolution comparable à celle
observée dans l’économie mondiale, à savoir la montée en puissance des
pays d’Asie dans l’économie mondiale, de moins de 18 % en 1990 à plus de
33 % du PIB mondial aujourd’hui. La montée en puissance du Japon dans
les années 1960, puis des Dragons (Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour,
Taïwan) dans les années 1980 et des Tigres (Indonésie, Malaisie,
Philippines, Thaïlande) dans les années 1990 a eu pour conséquence un
développement majeur des pays asiatiques. Et ces derniers, tout comme
l’économie mondiale, ont trouvé une nouvelle locomotive avec la Chine dès
la fin des années 1990.
Excepté le Japon, dont les ressources naturelles sont plus limitées, les
pays d’Asie et du Pacifique constituent de gigantesques réservoirs de
matières premières, notamment en métaux. Cette région représentait
seulement 13 % des extractions mondiales de minerais métalliques en 1970
et plus de 42 % aujourd’hui ! En parallèle, l’Amérique latine et les Caraïbes
représentent aujourd’hui près de 27 % des extractions de produits
métalliques contre moins de 10 % en 1970. A contrario, l’Afrique, si elle
reste une zone importante pour les minerais, a vu sa part fortement décliner
relativement au dynamisme des deux autres régions (de 21 % à environ 10
%), tout comme l’Europe (de 9 % à 3 %) et les États-Unis (de 26 % à 9 %).
Ainsi, le paysage des extractions de minerais métalliques est
aujourd’hui largement dominé par trois principales zones, Asie, Amérique
latine et Afrique, qui en représentent plus de 80 % ! Les minerais
métalliques jouent un rôle fondamental pour plus de 80 pays, qui
représentent 25 % du PIB international, 50 % de la population mondiale et
près de 70 % de la population en extrême pauvreté.

Des marchés volatils depuis les années 1970

À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les principales questions en


économie du développement étaient concentrées sur les asymétries
observées dans le commerce international. En effet, une détérioration des
termes de l’échange était observée entre les pays producteurs de biens
manufacturés et ceux produisant des matières premières, au détriment de
ces derniers, en raison d’une diminution tendancielle des prix sur les
marchés mondiaux.
Dans ce contexte, certaines organisations intergouvernementales ont
tenté de structurer les marchés. Les produits agricoles (café, cacao) ou agro-
industriels (caoutchouc), plus affectés par les crises de surproduction et
dépendant des facteurs météorologiques, enregistraient une forte volatilité
de leurs prix. Leurs marchés étaient donc plus susceptibles d’être encadrés.
Organisés dans le cadre de l’ONU, puis de la conférence des Nations unies
sur le commerce et le développement7 (CNUCED), les accords mis en place
avaient pour objectifs de stabiliser les prix sur les marchés – à travers la
constitution de stocks régulateurs ou de quotas de production – et d’offrir
des espaces de coopération entre les pays.
Sur les marchés des minerais et des métaux, diverses initiatives ont
également vu le jour afin de coordonner les politiques et assurer une hausse
des recettes d’exportations pour les pays producteurs de cuivre en 1967 ou
de bauxite en 1974. La CNUCED souhaitait ainsi faciliter l’insertion des
pays exportateurs de produits de base dans l’économie mondiale en
minimisant les risques sur les prix des ressources naturelles et en limitant
les déséquilibres mondiaux.
Les années 1970 vont remettre en cause ce type d’accord et, de manière
plus globale, la place des matières premières dans l’économie mondiale.
Elles vont revisiter de vieux débats sur la rareté des ressources naturelles et
révolutionner les dynamiques de formation des prix. La première rupture est
portée en 1972 par la sortie du rapport du Club de Rome8 (Les limites à la
croissance9). Ce dernier va porter la préoccupation de l’épuisement des
ressources naturelles et la notion d’effondrement dans le débat public et
économique.
Ce rapport reste toutefois dans la continuité des travaux de prospective
initiés après 1945 par certains instituts (Rand Corporation10, Institute for
the Future11). Ces derniers avaient commencé à réfléchir aux pressions
exercées par la démographie mondiale, à l’usage massif des pesticides sur
l’environnement et au rôle du progrès technique dans les grands
programmes de développement internationaux. Ces travaux répondaient aux
interrogations suscitées par la forte croissance enregistrée au cours des
Trente Glorieuses, qui avait certes permis une hausse rapide du niveau de
vie dans les pays développés, mais avec une extraction et une utilisation
massive de ressources naturelles dans le processus de reconstruction et
d’urbanisation. Les auteurs du rapport du Club de Rome ont ainsi mis en
exergue l’absence de soutenabilité du modèle de production et de
consommation observé depuis les années 1950. Ils remettaient ainsi en
cause le paradigme d’abondance perpétuelle des ressources et pointaient du
doigt le niveau élevé des impacts environnementaux engendrés par la
croissance.
La seconde rupture est symbolisée par le premier choc pétrolier de
1973-1974. Initiée par les pays arabes exportateurs de pétrole (OAPEP),
puis par l’organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) dans sa
globalité, la décision d’un triplement des cours du brut a contribué à
déstabiliser le premier marché mondial énergétique et a mis en évidence le
caractère fondamental de la sécurité énergétique. De manière globale, cela a
remis au centre du jeu la problématique des matières premières dans
l’économie. La conjonction du choc pétrolier avec les accords de la
Jamaïque (1976), qui eurent pour conséquence une généralisation des taux
de change flexibles, ont renforcé la volatilité des prix des matières
premières, ces dernières étant fixées et réglées majoritairement en dollars.
L’incertitude sur les cours futurs des matières premières est ainsi devenue
une règle intrinsèque des marchés.

Du grand oubli des années 1980-1990 à la renaissance dans les


années 2000

Les préoccupations liées aux matières premières dans l’économie


mondiale ne vont toutefois pas se poursuivre durant les deux décennies
suivantes. Certes, la révolution iranienne de 1978-1979 et la guerre Iran-
Irak (1980) provoquent un deuxième choc pétrolier. Il a pour conséquence
une hausse marquée des coûts de l’énergie, qui, conjuguée avec la politique
monétaire restrictive observée aux États-Unis, plonge l’économie mondiale
dans la récession en 1982. Cette dernière provoquera une forte diminution
des prix et une crise de la dette dans la majeure partie des pays du sud. Les
années 1980 enregistreront dès lors une remise en cause de l’ensemble des
politiques fondées sur les exportations de matières premières.
En termes réels, les cours des produits de base ne retrouveront pas leur
niveau des années 1970 avant le milieu des années 2000. Hors situations
exceptionnelles (guerre du Golfe en 1991, etc.), ils vont connaître un déclin
relatif d’environ 2 % par an entre 1980 et 2000. En parallèle, ils enregistrent
une hausse marquée de leur volatilité dans le contexte de financiarisation
des années 1980-1990 et dans un contexte économique global affecté par
les crises (crise boursière de 1987, crise monétaire en 1992, crise asiatique
et des pays émergents à partir de 1997).
De manière plus globale, la question des matières premières a même
tendance à disparaître des préoccupations des acteurs industriels dans les
années 1990. En effet, la tertiarisation progressive et l’émergence d’une
nouvelle donne, fondée sur les nouvelles technologies de l’information et de
la communication (NTIC), provoquent une forme d’invisibilité des
ressources naturelles dans l’économie. Avec des prix relativement faibles,
les matières premières s’effacent au profit des seuls facteurs de production
censés générer de la croissance : le capital, la main-d’œuvre et le progrès
technique. Cette invisibilité progressive des matières premières trouve
également sa source dans le nouveau paradigme géopolitique mondial, issu
de l’effondrement de l’URSS et de la mondialisation théorisée par la « fin
de l’histoire » du géopolitologue Francis Fukuyama12 en 1992.
En effet, avec la levée des barrières politiques, démocratie et libéralisme
apparaissent comme l’unique voie de développement et symbolisent la fin
des autres utopies mondiales. Pour les marchés de matières premières, la fin
des idéologies est le symbole d’une ouverture complète des marchés et d’un
accès durable à ces derniers. Ainsi, durant la décennie 1990, c’est à la fois
une réalité objective (une baisse des prix des matières premières) et un
paradigme d’aplatissement du monde qui fondent les anticipations des
acteurs. Les chaînes de production se mondialisent, certains évoquent un «
capitalisme sans usines13 » dans les pays développés, des pans entiers
d’industries sont délocalisés et les acteurs investissent dans l’ère internet en
délaissant progressivement les activités fondées sur les ressources naturelles
et leurs transformations. Oubliées pendant plus de 20 ans, elles vont
réapparaitre avec le développement de la Chine au tournant du millénaire,
comme un sujet majeur de l’économie mondiale.
Véritable alchimiste des marchés, la Chine a replacé, dès la fin des
années 1990, les questions relatives aux matières premières au centre du jeu
économique. Entre le début des années 2000 et la crise financière de 2008,
les métaux non ferreux ont enregistré, en moyenne, une multiplication de
leurs prix par 2,5 ; ceux du pétrole par 4 et les produits agricoles par 2.
Pourtant, lorsque la Chine entre à l’OMC en décembre 2001, rares sont
les acteurs à anticiper un tel retournement des marchés. En effet, les
attentats du 11 septembre aux États-Unis ont provoqué une large
décélération de l’économie mondiale et les anticipations des marchés
restent défavorables. Mais c’est sans compter sur le pouvoir d’entraînement
de la Chine et, dans son sillage, de l’ensemble de l’économie mondiale, qui
connaîtra une croissance inobservée depuis les années 1990, autour de 4,5
% par an entre 2002 et 2007.
Véritable locomotive mondiale avec des taux de croissance du PIB
supérieurs à 10 % et un taux de croissance de la production industrielle
autour de 15 % au début des années 2000, la Chine devient en quelques
années le premier consommateur mondial sur l’ensemble des marchés de
métaux non ferreux (aluminium, cuivre, étain, etc.), pour l’ensemble des
matières premières agro-industrielles (caoutchouc, coton, etc.) et sur les
marchés énergétiques14.

Figure 3 : Indice des prix des matières premières (2010 = 100)

Source : Banque mondiale, 2022.

Le modèle de développement de la Chine – des côtes vers l’intérieur –


porté par une industrialisation massive, va marquer de manière durable
l’économie et la géographie des marchés de matières premières, et plus
particulièrement des métaux. Il est fondé sur la construction
d’infrastructures de transport, sur les réseaux de communication et sur la
production manufacturière destinée aux exportations. Ainsi, les routes, les
aéroports, les usines, et l’ensemble des infrastructures nécessaires à
l’organisation des Jeux Olympiques de 2008, à l’Exposition universelle de
2010, ainsi que la construction de logements deviennent rapidement de
véritables pompes aspirantes à ressources naturelles.
Cette empreinte chinoise sur les marchés a d’autant plus d’impacts
qu’elle se situe après une décennie 1990 marquée par la rationalisation des
outils de production et le désintérêt pour les secteurs d’extraction et de
production de matières premières. Entre 1997 et 2002, les budgets
d’exploration des principales compagnies minières mondiales avaient été
divisés par 2, et ces derniers ne recommenceront à augmenter qu’à partir de
2004.
Avec la Chine, le monde rebascule ainsi dans les années 2000 dans un
nouveau supercycle15 de prix des matières premières. L’originalité de celui
commencé à la fin 2001 tient aussi bien à la locomotive (la Chine) qu’aux
segments de marchés qui ont tiré les cours à la hausse. En effet, au cours
des épisodes précédents, les hausses de prix résultaient de facteurs
macroéconomiques adossés à des facteurs météorologiques impactant les
productions agricoles ou agro-industrielles ou des changements
géopolitiques (guerre, embargo des pays de l’OPEP, etc.).
Aucun épisode n’avait été tiré par les cours des principaux marchés de
métaux, ces derniers atteignant des plus hauts historiques, en termes
courants et constants, en raison, notamment, de délais de réponse
particulièrement longs pour offrir de nouvelles capacités au marché.
La crise financière de 2007-2008 va impacter de manière marquée les
prix des matières premières, notamment les cours de métaux. Depuis 2009,
les marchés enregistrent une volatilité accrue de leurs cours, une tendance
accentuée par la pandémie de COVID-19 et par la forte reprise de l’activité
économique mondiale observée en 2021. Avec la guerre en Ukraine, les
prix des matières premières ont été portés à leur plus-haut historique.
À moyen terme, les acteurs des marchés anticipent désormais les
conséquences du plan d’infrastructures aux États-Unis et surtout l’ensemble
des investissements nécessaires aux technologies bas-carbone, très
consommatrices de métaux. Au-delà du débat sur le niveau ou la volatilité
des prix, les matières premières, et plus spécifiquement les métaux,
enregistrent un regain d’intérêt, en raison des besoins initiés par la
transition énergétique.

1. Créée en 1995, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est une


organisation internationale qui s’occupe des règles régissant le commerce
entre les pays. Elle est composée de 164 membres et son siège est situé à
Genève. https://www.wto.org/french/thewto_f/thewto_f.htm
2. De l’anglais commodity. Ce terme désigne un produit de base ou un
produit de consommation courante, standardisé, essentiel et courant, aux
qualités parfaitement définies et connues des acheteurs et des vendeurs.
3. Plus de 8 milliards de tonnes en 2021, selon le BP Statistical Review,
2021.
4. The Material Flow Analysis Portal. https://www.materialflows.net/
5. OCDE, Global Material Resources Outlook to 2060 Economic drivers
and environmental consequences, 2018.
6. The Material Flow Analysis Portal. https://www.materialflows.net/
7. La CNUCED est un organe intergouvernemental permanent créé par
l’Assemblée générale des Nations unies en 1964, dont le siège est situé à
Genève. Elle a pour objectif l’intégration des pays en développement dans
l’économie mondiale.
8. Fondé en 1968 à l’initiative d’Aurélio Peccei (industriel) et d’Alexander
King (Directeur des affaires scientifiques de l’OCDE), le Club de Rome est
un groupe de réflexion industriel et scientifique, qui s’interroge notamment
sur le rôle du progrès technique dans l’économie mondiale et à la manière
de résorber les asymétries de développement entre les pays du nord et les
pays du sud. Il n’est en rien à l’origine un groupe de réflexion sur les
conséquences écologiques de la croissance mondiale.
9. Donella Meadows, Dennis Meadows, Jorgen Randers, William W. III
Behrens, The limits to growth, Universe books, 1972.
10. Research And Development (RAND). https://www.rand.org/
11. Institute for the Future (IFTF). https://www.iftf.org/
12. Francis Fukuyama, La fin de l’ histoire et le dernier homme,
Flammarion, 1992.
13. Le Monde, 2 juillet 2001.
https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/07/02/l-entreprise-sans-
usines-ou-la-captation-de-la-valeur-parjean-marie-
harribey_203903_1819218.html
14. La Chine est aujourd’hui le deuxième consommateur de pétrole et le
premier importateur mondial.
15. Le terme de supercycle n’a été utilisé que 3 fois dans l’histoire
économique mondiale: suite à la reprise économique issue de la crise de
1929, après la guerre de Corée dans les années 1950 et lors du premier choc
pétrolier de 1973-1974.
CHAPITRE 5

Les métaux
de la transition énergétique

Ils sont présents partout, dans l’ensemble des technologies du


numérique (téléphone, ordinateur, serveur, etc.) et dans toutes les
technologies bas-carbone (batteries, éoliennes, solaires, etc.). Ils, ce sont les
métaux ! Avec la double révolution annoncée – révolution énergétique et
digitale et déjà partiellement en cours, ils révèlent leur caractère stratégique.
Ils sont, avec leurs qualités physicochimiques, un levier majeur de
développement de ces technologies, mais apparaissent également comme un
frein possible tant les besoins seront importants dans les décennies à venir,
pour satisfaire l’appétit technologique de nos sociétés. La décarbonation du
système énergétique mondial va nécessiter un accroissement majeur de nos
consommations de métaux.

Des minerais aux métaux : comment et pour quoi faire ?

Comprendre l’importance des métaux dans la période actuelle, c’est, de


prime abord, réfléchir à la production de ces derniers. La chaîne de valeur
de l’industrie minière et métallurgique est découpée en différentes étapes. Il
existe un secteur en amont qui permet l’identification, l’exploration, puis le
développement de gisements pour en extraire des minerais. La phase
d’extraction se réalise uniquement lorsque les conditions économiques
(rentabilité) et technologiques (faisabilité) sont réunies. C’est un segment
risqué, puisqu’on estime à seulement 1 % les projets miniers rentables à
long terme et qui sont au final développés.
L’extraction des minerais bruts s’accompagne de différents traitements
de minéralurgie (concassage, nettoyage, tri et concentration) qui permettent
d’obtenir un produit dit intermédiaire ou concentré. Ce bien sera échangé
avec les industriels du secteur de la métallurgie. Ces derniers vont utiliser
différents procédés (pyrométallurgie1 ou hydrométallurgie2) pour extraire
des minerais les métaux. Généralement, à chaque minerai correspond un
métal dominant, avec d’autres associés qui peuvent être valorisés.
L’étape du raffinage va ensuite permettre de les purifier et d’obtenir un
métal primaire, normé internationalement, qualifié de produit semi-fini. Ce
découpage de la chaîne de valeur en étapes est fondamental à appréhender
et il a de nombreuses conséquences. D’une part, de nombreux acteurs
industriels ou pays interviennent sur la chaîne de valeur. Il n’est pas rare
qu’un produit parcoure plusieurs milliers (voire dizaine de milliers) de
kilomètres avant d’être incorporé dans une technologie. D’autre part, la
valeur ajoutée ne va pas se répartir de manière proportionnelle sur la chaîne
de valeur ; les produits étant plus valorisés dans leurs formes finales que
dans les premières étapes de transformations, ou à l’état brut.
Enfin, les différentes activités autour de la production (extraction,
concentration, transformations et transport) vont nécessiter une quantité
importante d’énergie. Sans énergie, il n’y a pas de métaux ! Et sans métaux,
il n’y a pas d’énergie non plus ! Ils ont constitué et constituent toujours un
élément essentiel de l’ensemble des technologies nécessaires à l’extraction
ou au transport des énergies carbonées (construction des infrastructures de
production du charbon, du gaz et du pétrole, oléoduc, gazoduc, etc.) et cette
relation se perpétue avec les technologies bas-carbone gourmandes en
matériaux3.
Ainsi, que ce soit pour la décarbonation du secteur transport, avec
notamment les véhicules électrifiés (cobalt, cuivre, lithium, nickel, etc.),
celle du secteur électrique, avec le déploiement des éoliennes (aluminium,
cuivre, nickel et terres rares pour l’éolien offshore, etc.), du solaire
photovoltaïque (aluminium, argent, cuivre, silicium, etc.) ou de l’hydrogène
avec les électrolyseurs ou les piles à combustible (nickel, platine,
palladium, rhodium, etc.), les innovations conduisant à la neutralité carbone
restent dépendantes in fine de la disponibilité en minerais et en métaux. Ce
sont leurs propriétés – conductivité, résistance à la chaleur, dureté, stabilité,
magnétisme – qui permettent d’améliorer les performances de ces
technologies. La contrepartie est un usage démultiplié des métaux dans les
technologies bas-carbone, par rapport aux technologies classiques. Un
véhicule électrique va, par exemple, nécessiter en moyenne 80 kg de cuivre,
quand son équivalent thermique en utilisera en moyenne 20. Il en est de
même pour la consommation d’argent, multiplié par 2 pour le véhicule
électrique.
Tableau 2 : Besoins en matériaux

Source : Agence internationale de l’énergie, 20214.

Même si la substitution des véhicules thermiques par des véhicules


électriques permet de diviser par 3 les émissions de GES sur l’ensemble du
cycle de vie, l’électrification des transports peut poser d’autres problèmes
dans le secteur des métaux. Dans les technologies de génération
d’électricité, il en est de même. Ainsi, pour le secteur du solaire, les besoins
en cuivre pour le même GW installé vont être multipliés par près de 5 par
rapport à une centrale thermique à gaz.
Dans un rapport datant de 20215, l’AIE mettait en exergue qu’un
véhicule électrique contenait en moyenne 200 kg de matériaux considérés
comme critiques, contre moins de 50 dans un véhicule thermique. En outre,
la transition énergétique s’accompagne d’une transition digitale. L’exemple
des téléphones portables est, sur ce point, éclairant, puisque ce sont jusqu’à
55 métaux qui sont utilisés dans les téléphones mobiles de dernières
générations, contre 30 pour ceux du début des années 2000 et moins de 15
pour les technologies filaires des années 19806.
Cette croissance exponentielle du nombre de matériaux dans nos objets
du quotidien est corrélée avec l’augmentation du nombre de substances
mobilisées par les microprocesseurs. Les puces utilisaient ainsi seulement
11 métaux du tableau périodique des éléments dans les années 1980, plus de
15 dans les années 1990, et plus de 45 dans les années 2000, en raison de la
complexification des objets et de l’amélioration de leurs performances.
Ainsi, au fil des développements technologiques, nous consommons de
plus en plus de métaux et nos technologies, notamment les technologies
bas-carbone, en requièrent un plus grand volume par unité installée et une
plus grande variété ! Et cette augmentation de nos besoins ne concerne pas
seulement ceux qui sont qualifiés de technologiques, vitamines modernes
de nos économies, comme le lithium, le cobalt ou les terres rares. Elle
concerne en tout premier lieu les substances de base (aluminium, cuivre,
nickel, etc.) que nous consommons déjà de manière massive dans notre
quotidien, tant leurs applications (construction, secteur des biens de
consommation, secteur du transport, etc.) sont importantes et diversifiées au
niveau mondial. Si, dans de nombreux cas, on peut observer au fil du temps
une diminution de la consommation unitaire dans les technologies, il existe
malheureusement de nombreux effets rebonds en raison du déploiement
massif de ces technologies.

Des besoins en métaux qui vont augmenter significativement

Selon BloombergNEF7, les investissements dans les technologies bas-


carbone (captage et stockage de CO2, éolien, hydrogène, solaire, véhicule
électrique, etc.) se sont établis à environ 1 100 milliards de dollars en 2022
(environ 850 milliards de dollars en 2021), soit un doublement par rapport à
2019 et une multiplication par 10 depuis 2007.
L’atteinte d’une trajectoire limitant la hausse des températures à 1,5 °C
à l’horizon 2100 nécessite au minimum une multiplication par 3,5 de ce
niveau d’investissements. Les objectifs de décarbonation de l’UE (42,5 %
d’énergies renouvelables dans le mix européen et diminution des émissions
de GES de 55 % à l’horizon 20308) et les politiques annoncées de neutralité
carbone pour 2050 (États-Unis et UE) ou 2060 (Chine) vont ainsi engendrer
une croissance importante du déploiement des énergies renouvelables. Et la
diffusion à grande échelle de ces technologies bas-carbone risque d’être un
nouveau terrain de compétition entre les différents producteurs de
technologies et de brevets bas-carbone. Une forme de guerre technologique
est déjà observée aujourd’hui, marquée par la rivalité entre les États-Unis et
la Chine, comme celle déjà visible dans le secteur des microprocesseurs.
Cette dynamique pourrait surtout exacerber les tensions déjà existantes sur
l’ensemble des marchés des métaux.
L’importance de ces derniers et leur capacité à freiner la transition bas-
carbone a été clairement identifiée depuis le milieu de la décennie 2010,
notamment dans le cadre de l’Alliance nationale de coordination de la
recherche pour l’énergie9 (ANCRE), et à travers de nombreux rapports
publiés sur le sujet.
Dès 2017, le rapport de la Banque mondiale, The Growing Role of
Minerals and Metals for a Low-Carbon Future10, pointait du doigt les
besoins prévisibles en métaux dans des scénarios climatiques limitant la
hausse des températures mondiale en dessous de 2 °C. Plus
particulièrement, ce rapport insistait sur l’importance des métaux présents
dans les accumulateurs électriques (aluminium, cobalt, fer, plomb, lithium,
manganèse et nickel) dont les augmentations de consommation étaient
susceptibles d’atteindre plus de 1 000 % dans certains secteurs à l’horizon
2050.
L’actualisation de ces travaux dans le rapport de la Banque mondiale en
2020, Minerals for Climate Action : The Mineral Intensity of the Clean
Energy Transition11, mettait, lui, en exergue la multiplication des besoins
par 6 d’ici 2050 pour des métaux tels que le cobalt, le lithium et le graphite
par rapport à leur niveau de 2018. Ce rapport quantifiait l’extraction
supplémentaire en minerais et en métaux à environ 3,5 milliards de tonnes
d’ici 2050 pour les seules technologies bas-carbone, soit l’équivalent de ce
qui a été nécessaire pour alimenter l’ensemble des secteurs de l’économie
mondiale entre 2000 et 2019 !
Les travaux publiés dans le cadre du projet Géopolitique des énergies
renouvelables et analyse prospective de la transition énergétique12
(GENERATE), mené entre 2018 et 2021 par IFP Énergies nouvelles13
(IFPEN) et l’Institut de relations internationales et stratégiques14 (IRIS)
vont également dans ce sens. Ils montrent notamment la forte pression
exercée par la transition énergétique sur les principaux métaux communs
comme la bauxite, le cuivre et le nickel, et, dans une moindre mesure, sur
les métaux comme le lithium ou les terres rares.
En 2021, le rapport de l’AIE15 estimait, de son côté, que l’électrification
des transports à l’horizon 2040 engendrerait une multiplication de la
demande en lithium de plus de 40 au niveau mondial, d’environ 20 pour
celle du cobalt et du nickel et de plus de 3 pour le cuivre dans des scénarios
de décarbonation compatibles avec l’accord de Paris de 2015. Ces études
montrent ainsi le caractère structurellement métallique de la transition
énergétique. Alors que la transition énergétique semblait promettre la fin de
la dépendance aux énergies fossiles, c’est un nouveau type de dépendance
aux métaux qui pourrait se profiler dans les années à venir, avec son lot
d’instabilités et le renforcement du pouvoir de marché des pays producteurs
de métaux sur le grand échiquier mondial.
Il existe ainsi une crainte que les métaux puissent freiner les ambitions
en matière de décarbonation des différents secteurs de l’économie. Et cette
préoccupation est partagée par l’ensemble des pays consommateurs,
dépendants de l’extérieur pour leurs approvisionnements en métaux
critiques, ce qui les place, de facto, en concurrence les uns par rapport aux
autres.

Métaux critiques et stratégiques

Nul besoin d’être un spécialiste en histoire pour comprendre combien


les métaux et leurs usages ont symbolisé des périodes de l’histoire,
bouleversant les conditions de vie (et de mort) avec l’âge du cuivre, l’âge
du bronze, l’âge du fer ou l’âge de l’acier. Si les principes de la métallurgie
sont appréhendés après le néolithique, les consommations de métaux restent
liées à des usages spécifiques et peu diversifiés (armes, ornements, outils,
etc.) et ce, jusqu’à la révolution industrielle.
L’importance des matières premières énergétiques, et particulièrement
le rôle majeur du pétrole durant la Première Guerre mondiale, a replacé
progressivement la question de la dépendance et de l’approvisionnement au
cœur des questions de politiques étrangères au début du xxe siècle. Le terme
de matériaux critiques n’est toutefois pas récent : il apparaît en 1939, aux
États-Unis, dans le Strategic Materials Act16, qui amène les autorités
américaines à constituer des stocks stratégiques pour près de 42 matériaux,
en vue d’un conflit en Europe et en Asie. Les termes de matériaux critiques
devaient s’entendre, à cette époque, comme étant stratégiques pour le
secteur de la défense et des armées.
À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les questions de dépendance
seront gérées aux États-Unis sous la forme d’un conseil de sécurité des
ressources naturelles, qui doit à la fois réaliser des estimations des besoins
et mettre également en place des outils de gestion des stocks des matières
premières considérées comme stratégiques. En 1951 est lancée, sous la
présidence Truman, la Commission présidentielle sur la politique
matériaux, dirigée par William S. Paley, dont le titre du premier rapport,
Ressources pour la liberté17, est assez emblématique des questions globales
engendrées par les matières premières. Il débute ainsi : « La question “Les
États-Unis ont-ils les moyens matériels de maintenir leur civilisation ?”
n’aurait jamais effleuré l’esprit des hommes qui ont donné à cette nation sa
grandeur à l’aube du vingtième siècle. Mais alors que le vingtième siècle est
maintenant à moitié écoulé, la question se pose et les réponses honnêtes ne
sont pas désinvoltes. »
À partir des années 1950 vont, dès lors, se constituer des stocks
stratégiques (aluminium, cuivre, fer, nickel, plomb, zinc, etc.). La politique
menée aux États-Unis durant cette période est aussi observée au Royaume-
Uni et en France. Toutefois, cette politique enregistrera ses premiers
bouleversements à la fin des années 1950, suite aux développements
observés dans le secteur du nucléaire militaire. En effet, avec la Russie
devenue puissance nucléaire, les militaires américains considéraient qu’une
guerre nucléaire durerait beaucoup moins longtemps qu’une guerre «
classique », et qu’il n’était plus autant nécessaire de stocker massivement
des métaux pour alimenter le secteur de la défense. En outre, les stocks
stratégiques étaient considérés comme trop coûteux pour l’État américain.
La question des métaux stratégiques se trouvera toutefois à nouveau au
centre des préoccupations américaines après l’élection de R. Reagan en
1980 et le lancement de son programme d’initiative de Défense stratégique
en 1983, baptisé « Guerre des étoiles ». Mais, dès 1992, les États-Unis vont
décider d’arrêter cette politique de stocks stratégiques de métaux et vont
commencer à les vendre sur le marché. Durant les années 1990,
l’effondrement de l’URSS et le nouvel ordre économique (libéralisation des
marchés) et international (hyperpuissance américaine) ont détendu les
questions de dépendance aux métaux. Dans ce nouveau contexte de
mondialisation, le recours au marché devait permettre de répondre à
l’ensemble des questions d’approvisionnement.
Stratégiques car directement reliés à la production de biens
d’équipements à usage militaire, les métaux vont retrouver leur
dénomination de critiques à la fin des années 2000, dans ce qu’il est
convenu d’appeler aujourd’hui la crise des terres rares18. Fruit d’un
contentieux territorial avec le Japon sur les îles Senkaku (Diaoyou), et de la
mise en place de quotas d’exportations par la Chine dès 2009, la crise des
terres rares a replacé sur le devant de la scène internationale la
problématique d’approvisionnement en métaux. Cette crise donnera, par
exemple, naissance en France au Comité des métaux stratégiques19
(COMES) et provoquera un premier renforcement des politiques dédiées à
cette problématique aux États-Unis et au Japon.
Tableau 3 : Principales utilisations des éléments de terres rares

*Appareils électroniques, systèmes audio, fibres optiques, écrans à cristaux, lasers, rayons X

Source : IFPEN, 2021.

Cette prise de conscience va déboucher sur l’établissement de listes de


matériaux critiques dans les principaux pays consommateurs. En effet, les
éléments de terres rares sont utilisés depuis la fin des années 1990 dans de
nombreux secteurs stratégiques de l’économie mondiale (aimants
permanents, batteries, alliages, secteur électronique) et la crise de 2010 a
mis en évidence la dépendance des économies américaine, européenne et
japonaise à la production chinoise.
Dans l’UE, la première liste élaborée par la Commission européenne en
2011 comprend 14 matériaux. Depuis lors, elle a été actualisée tous les trois
ans et comporte, dans sa dernière version, 34 matériaux20. Aux États-Unis,
la liste établie en 2018 en comprenait 35, et celle de 2022 en compte
désormais 50. Au Japon, elle en comporte désormais 32. Des différences
existent entre les listes des principales zones de consommation mondiale,
mais il y a une base commune importante de métaux critiques pour ces trois
régions économiques.
Stratégiques car directement reliés aux impératifs du secteur de la
défense nationale et, de manière plus générale, pour l’ensemble des
fonctions régaliennes des États, les matières premières deviennent ainsi
critiques pour l’ensemble de l’économie. L’importance de ces dernières ne
se mesure plus seulement à l’aune d’un secteur spécifique (celui de la
défense), mais des différents secteurs générateurs d’emplois et de
production nationale. Aéronautique, robotique et drones, nouvelles
technologies de l’information et de la communication, automobile et
technologies bas-carbone, tous les secteurs redécouvrent la problématique
des matières premières dans un monde qui se veut pourtant dématérialisé !
Et ces dernières se révèlent fondamentales pour de nombreux secteurs de
l’économie mondiale et sur l’ensemble des chaînes de valeur industrielles,
notamment celles de production des technologies bas-carbone.

1. Techniques de l’ingénieur. https://www.techniques-ingenieur.fr/base-


documentaire/materiaux-th11/elaboration-et-recyclage-desmetaux-de-
transition-42649210/pyrometallurgie-et-electroraffinagedu-cuivre-
m2241/pyrometallurgie-m2241niv10001.html
2. Techniques de l’ingénieur. https://www.techniques-ingenieur.fr/base-
documentaire/materiaux-th11/metallurgie-extractive-42369210/metallurgie-
extractive-m2235/
3. Cette question sera étudiée de manière approfondie dans le chapitre 10.
4. Site internet de l’Agence internationale de l’énergie.
https://www.iea.org/reports/the-role-of-critical-minerals-in-clean-energy-
transitions
5. Idem.
6. Alexandre-Reza Kokabi, « La folie du smartphone, un poison pour la
planète », Reporterre, 10 septembre 2019. https://reporterre.net/La-folie-du-
smartphone-un-poison-pour-la-planete
7. Site internet de BNEF. https://about.bnef.comenergy-
transitioninvestment/#toc-report
8. Fit for 55. https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/green-deal/fit-for-
55-the-eu-plan-for-a-green-transition
9. Site internet de l’ANCRE. https://www.allianceenergie.fr/wp-
content/uploads/2017/06/Ancre_Rapport_2015-
Ressources_minerales_et_energie_0.pdf
10. Site internet de la Banque mondiale.
https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2017/07/18/clean-
energy-transition-willincrease-demand-for-minerals-says-new-world-bank-
report
11. Site internet de la Banque mondiale.
https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2020/05/11/mineral-
production-to-soar-as-demand-for-clean-energy-increases
12. Géopolitique des énergies renouvelables et analyse prospective de la
transition énergétique.
https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/article/transition-energetique-bas-
carbone-quelles-evolutions-geopolitiquelenergie
13. IFP Énergies nouvelles (IFPEN) est un acteur majeur de la recherche et
de la formation dans les domaines de l’énergie, du transport et de
l’environnement. https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/ifpen/presentation
14. L’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) est l’un des
principaux think tanks français, spécialisés sur les questions géopolitiques
et stratégiques. https://www.iris-france.org/liris/
15. Site internet de l’Agence internationale de l’énergie.
https://www.iea.org/reports/the-role-of-critical-minerals-in-clean-energy-
transitions
16. « Strategic and Critical Materials Stock Piling Act ».
https://www.govinfo.gov/content/pkg/COMPS-674/pdf/COMPS-674.pdf
17. Commission Paley, 1952. https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?
id=mdp.39015028172412;view=1up;seq=9
18. Les éléments de terres rares désignent un ensemble de 17 éléments
chimiques (scandium, yttrium, lanthane, cérium, praséodyme, néodyme,
prométhium, samarium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium,
holmium, erbium, thulium, ytterbium, et lutécium). Contrairement à ce que
leur appellation semble indiquer, elles ne sont pas plus rares que d’autres
métaux plus usuels : leur concentration dans la croûte terrestre est, par
exemple, supérieure à celle de l’or ou de l’argent et similaire à celle du
cuivre ou du zinc. https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/article/les-terres-
rares-transition-energetiquequelles-menaces-les-vitamines-lere-moderne
19. https://www.mineralinfo.fr/fr/acteurs/comite-pour-metaux-strategiques
20. Commission européenne. https://single-market-
economy.ec.europa.eu/sectors/raw-materials/areas-specific-interest/critical-
raw-materials_en
CHAPITRE 6

La taille du réservoir :
allons-nous manquer de métaux
pour la transition bas-carbone ?

Doit-on craindre une pénurie de métaux pour la transition énergétique ?


Cet impensé des acteurs mondiaux rappelle les questions posées par les
premiers auteurs économiques classiques. En 1798, Thomas Malthus
interrogeait le manque possible de matières premières agricoles dans son
Essai sur le Principe de Population1, en mettant en parallèle la croissance
arithmétique des productions agricoles et celle, exponentielle, de la
population. L’inexorable augmentation de cette dernière devait conduire à la
paupérisation de l’ensemble de la population, et Malthus insistait sur la
mise en place de politiques drastiques pour limiter la croissance
démographique.
Progrès technique, révolution industrielle, révolution verte au milieu du
e
xx siècle et transition démographique ont mis à mal cette conception du
monde, mais le malthusianisme reste encore aujourd’hui un objet discuté de
manière globale (sommes-nous trop nombreux ?), mais aussi dans le cadre
de la transition bas-carbone. Au milieu du xixe siècle, c’est la question
d’une possible pénurie de charbon au Royaume-Uni qui posera les jalons du
livre de Stanley Jevons, La question du charbon2. Commandé par le
gouvernement britannique, ce dernier s’inquiétait de la diminution des
réserves et de ses conséquences sur la place du Royaume-Uni dans
l’économie mondiale.
Dans les années 1950, le géophysicien Marion King Hubbert, qui a
travaillé pour la compagnie pétrolière Shell, puis pour l’Institut d’études
géologiques des États-Unis (USGS) dans les années 1960, a mis en
évidence la théorie dite du pic de production. S’appuyant sur une
modélisation de la production des principaux puits de pétrole et de gaz aux
États-Unis, il a fait ressortir la forme de la courbe de production d’un
champ d’hydrocarbure, assimilée à une courbe en cloche ; la production
enregistrant au bout d’un certain nombre d’années un pic, avant de décroître
inexorablement. Marion King Hubbert doit sa renommée internationale à sa
prévision de pic de production de pétrole aux États-Unis pour le début des
années 1970, une prévision qui s’est révélée exacte jusqu’à la découverte et
l’exploitation des pétroles non conventionnels au milieu des années 2000.
Il avait également prévu le déclin des champs pétroliers de la mer du
Nord pour la fin des années 1990. Par la suite, il a étendu ses travaux à
d’autres zones de production et au niveau international, qui ont montré
l’existence d’un pic de production de pétrole au niveau mondial dans les
années 2000, un fait confirmé par l’AIE pour le pétrole conventionnel en
2008. Ce pic pétrolier (Peak Oil) peut-il donc être généralisé en pic de
ressource global (Peak All) avec les besoins générés par la transition bas-
carbone ?

Ressources, réserves : de quoi parle-t-on ?

Dans la classification des métaux, l’approche du géologue permet de les


caractériser en fonction de leur abondance relative dans la croûte terrestre
mesurée en partie par million (ppm ou mg par kg). On trouve ainsi des
métaux dits abondants (concentration supérieure à 1 000 ppm, comme le
calcium, le sodium, le fer, le magnésium), des métaux rares (entre 1 et 1
000 ppm, comme la majeure partie des métaux non ferreux, le cobalt, le
molybdène et le tungstène) et des métaux très rares (inférieure à 1 ppm,
comme les métaux précieux et les platinoïdes).
L’importance des métaux pour la transition bascarbone oblige à
considérer leur niveau de stock, car ils ne sont pas renouvelables, sauf à
considérer une hypothèse irréaliste d’un taux de recyclage réel proche de
100 %. Dès lors, dans un monde fini, le stock disponible est essentiel à
évaluer. Pour ce faire, il est nécessaire de distinguer différentes notions et
notamment celles de ressources et de réserves.
L’Institut des études géologiques américain (USGS) a développé tout un
ensemble de recherches méthodologiques depuis le milieu des années 1970
pour classifier les stocks de ressources naturelles présents dans la croûte
terrestre3. On y trouve différents termes (réserves, réserves base, réserves
marginales, économiques, ressources, ressources identifiées, ressources
hypothétiques, spéculatives, etc.) qui correspondent à plusieurs notions.
Pour simplifier et pour ne retenir que l’essentiel à la compréhension, nous
ne retiendrons que deux éléments de définition, ceux de ressources et de
réserves.
L’important est de distinguer (et de combiner) l’analyse du géologue et
celle de l’économiste. En effet, ces différents concepts sont, au final, une
alliance entre l’assurance du géologue quant à l’existence d’un stock, et la
faisabilité économique et technologique de développer ce gisement. On
parlera ainsi de ressources lorsqu’on évoque un potentiel géologique
présent dans la croûte terrestre. Ces ressources n’ont pas été explorées et
sont généralement identifiées sur la base de modélisation du sous-sol. Les
réserves représentent, de leur côté, la part des ressources qui a été identifiée
et explorée, et qui peut être produite dans les conditions technologiques et
économiques actuelles.
La notion de réserves est donc dynamique et variera au cours du temps,
notamment en fonction des mouvements de prix observés sur les marchés.
L’USGS donne une illustration marquante du caractère dynamique des
réserves et, dans une moindre mesure, des ressources. En effet, s’agissant
du cuivre, l’Institut explique, par exemple, qu’en 1970 les ressources étaient
estimées à 1,6 milliard de tonnes et les réserves à 280 millions. Cinquante
ans plus tard, ce sont près de 600 millions de tonnes de cuivre qui ont été
produites (soit plus de deux fois les réserves estimées en 1970) et les
réserves s’affichaient en 2000 à 880 millions de tonnes, soit une
multiplication par 3 en 50 ans ! L’amélioration des connaissances du
soussol et des techniques de modélisation et de projection des ressources
ont permis d’évaluer un nouveau potentiel de ressources en 2010 à 2,1
milliards de tonnes de cuivre, et à 3,5 milliards de tonnes en 2015 avec, il
est vrai, une plus forte incertitude.
Une autre manière de regarder les stocks de métaux est d’utiliser un
indicateur très usuel dans le monde des matières premières minérales, à
savoir le ratio de réserves sur production. Il permet d’estimer, au vu des
réserves existantes et de la production réalisée actuellement, le temps de
consommation théoriquement restant pour une ressource minérale en
nombre d’années.
Dans le domaine énergétique, ce ratio s’établit, en 2021, à 53 ans pour
le pétrole, 49 ans pour le gaz et à plus de 139 années pour le charbon. Pour
les métaux, au rythme actuel de production, il resterait ainsi 42 années de
cuivre, 35 années de nickel, 44 années de cobalt et plus de 400 années pour
les terres rares ! Certes, on peut observer, pour la plupart des métaux, une
diminution du ratio depuis la fin des années 1970, mais les enseignements
restent limités. En effet, ce type de ratio est fortement dépendant des
variations des prix, qui vont provoquer une hausse de l’exploration des
compagnies minières, ce qui va gonfler le niveau des réserves (sans
assurance qu’une production supplémentaire sera réalisée à moyen terme).
Enfin, il est extrêmement difficile de projeter les productions futures de
métaux, étant donné les incertitudes sur le rythme de la consommation issue
de la transition bas-carbone et des autres usages et sur les investissements
du secteur minier. S’il permet de rassurer certains acteurs, ce ratio n’apporte
en réalité qu’une photographie du temps présent et ne permet pas de
projeter les conséquences des trajectoires futures de consommation.
Tableau 4 : Ratio de réserves/production pour une sélection de matières premières

Sources : BP Statistical Review 2022, USGS (2022), calculs des auteurs.

Criticité géologique, environnementale, géopolitique et


économique

Ces différents indicateurs sont ainsi empreints d’incertitudes géologique


et économique, mais ils permettent de poser le débat pour les questions
relatives à la finitude des ressources dans une période de nécessaire
transition bas-carbone. La notion de criticité est, dans ce contexte,
intéressante à analyser, car elle résume la complexité du problème. Un
métal peut devenir critique pour de nombreuses raisons : une hausse de son
utilisation dans les applications industrielles, un prix élevé et en
augmentation, l’absence de substituts identifiés, une production réalisée
dans des pays fragiles politiquement ou en raison de ses impacts
environnementaux. Le champ d’étude reste au final très large.
De manière globale, les évaluations nécessitent une compréhension des
facteurs économiques, technologiques, environnementaux et géopolitiques
pour chacun des métaux analysés et obligent à quantifier les risques. Sur la
question d’une possible criticité géologique, il n’existe aucun consensus
international. En effet, les différentes études ne peuvent, pour la plupart,
être comparées. Elles reposent sur des scénarios de déploiement des
technologies bas-carbone qui sont différents, sur des méthodologies
d’évaluations et de modélisations qui ne sont pas comparables ou sur des
horizons de temps distincts (2040, 2050, 2060 ou 2100). Il est d’ailleurs
intéressant de noter que les travaux de l’AIE sur le sujet n’interrogent que
très peu la dimension géologique, préférant se concentrer sur la seule
évaluation de la demande en métaux. Les travaux du projet GENERATE
sont, de ce point de vue, instructifs, car ils permettent de regarder la
problématique avec différentes loupes disciplinaires. Sur la seule question
géologique, ils mettent en exergue l’importante pression que risque
d’engendrer la transition énergétique sur les consommations de métaux
comme le cuivre, la bauxite, le cobalt ou le nickel.
Dans les scénarios les plus contraints (2 °C), sans politiques publiques
volontaristes sur la mobilité ou le recyclage, et sans une augmentation
substantielle des ressources en métaux, l’humanité pourrait consommer près
de 90 % des ressources en cuivre4, 87 % des ressources en bauxite5, 83 %
des ressources en cobalt6 et plus de 60 % des ressources en nickel7 à
l’horizon 2050. Avec la transition bas-carbone, nous pourrions ainsi toucher
les limites physiques de notre monde !
Tableau 5 : Ratio de la demande cumulée à l’horizon 2050 rapporté aux ressources estimées (en %)*
Source : Projet GENERATE8.

* Les résultats de ce tableau doivent être lus de la manière suivante :


dans un scénario limitant la température à 2 °C à l’horizon 2100, la
consommation cumulée de cuivre entre 2005 et 2050 pourrait représenter
89,4 % des ressources connues dans un scénario sans politiques publiques
volontaristes.
Ces scénarios apparaissent toutefois comme une limite haute pour la
consommation de métaux. D’autres ont par la suite été étudiés. Dans le cas
du cuivre, par exemple, si l’on prend en compte les ressources estimées en
2015 par l’USGS (3,5 milliards de tonnes en lieu et place de 2,1), le ratio
tombe de 89,4 % à environ 53 % !
Quels que soient les résultats, les pressions engendrées par la transition
énergétique seront bien réelles sur le sous-sol, mais les résultats montrent
également les incertitudes inhérentes à ce type de modélisation. Elles sont
intrinsèques à cette sorte de travail, car les exercices de prospective ne sont
pas réalisés dans un but prédictif, mais pour donner différentes images
possibles du futur. Les pouvoirs publics et les différents acteurs industriels
doivent ainsi s’emparer de ces résultats pour mener les politiques adéquates
afin de limiter les pressions importantes et l’ensemble des impacts
(économiques, environnementaux et géopolitiques) pour les acteurs.
Ces études rappellent également l’importance des métaux usuels comme
l’aluminium, le cuivre ou le nickel, dans la dynamique de transition
énergétique. Ils constitueront le cœur de nos besoins futurs. Ainsi,
l’actualité économique se focalise plus facilement sur le lithium ou les
terres rares, en raison de la volatilité de leurs prix (celui du lithium a été
multiplié par 3 entre 2021 et 2022), ou en fonction des problématiques
géopolitiques (la Chine produit plus de 70 % des terres rares en 2022). Or,
dans les travaux du projet GENERATE, ces matières premières métalliques
sont les moins impactées d’un point de vue géologique par la transition bas-
carbone !
La criticité peut aussi devenir géopolitique, car il existe de nombreux
cas dans lesquels les ressources sont localisées dans des pays politiquement
fragiles. Dans le domaine énergétique, par exemple, les premières réserves
mondiales de pétrole sont localisées au Venezuela (17,5 % du total mondial
devant l’Arabie saoudite), un pays marqué par l’instabilité politique depuis
plus de 15 ans.
Sur le marché du cobalt, la République démocratique du Congo (RDC)
produit 70 % du minerai au niveau mondial (elle détient 48 % des réserves)
et l’Indice de développement humain9 (IDH) du pays le classe à la 179e
place sur 191 pays au niveau international ! Il est à la 4e place des États les
plus fragiles au niveau mondial en 2023 selon le Fragile States Index10.
Difficile dans ces conditions de ne se focaliser que sur les seuls aspects
géologiques.
De manière générale, depuis les années 2000, on observe un retour du
nationalisme des ressources naturelles dans différents pays du globe
(Équateur, Indonésie, Russie, etc.). Ce mouvement, tiré en partie par la
volonté de réaccaparer la manne de richesses issue de la production de
matières premières, pourrait affecter la seule marche logique de l’économie.
Et ces tendances pourraient être exacerbées avec une hausse marquée de la
consommation de métaux dans les années à venir, les pays estimant détenir
un pouvoir de marché et le pouvoir de freiner nos transitions. En proposant
la création d’un cartel des métaux des batteries en novembre 2022,
l’Indonésie pointait du doigt le rôle que pourraient jouer les principaux
producteurs de métaux dans l’économie mondiale et interrogeait la teneur
des futures relations internationales.
Une forme de criticité économique pourrait également advenir sur les
différents marchés de métaux, étant donné l’organisation de la production
observée à l’heure actuelle. Sur celui du lithium, par exemple, si important
pour le secteur des batteries, de nombreuses interrogations demeurent, car il
est en réalité marqué par une double forme de concentration.
La première, d’ordre géographique, rappelle que trois pays (Australie,
Chili et Argentine) représentent 82 % de la production mondiale et 70 %
des réserves de lithium en 2022. La seconde est relative au nombre
d’acteurs industriels présents sur le marché. Deux entreprises américaines
(Albermale, Livent), deux chinoises (Tianqi Lithium et Ganfeng) et une
chilienne (SQM) représentent près de 75 % de la production mondiale. Et
cette double forme de concentration se confond, car ces majors
internationales du lithium ont des politiques de diversification géographique
de leurs investissements très marquées. Elles sont, pour la plupart, présentes
sur les différents sites de production existant au niveau mondial (mines ou
salars). La structure du marché aujourd’hui, avec un faible nombre
d’entreprises, ressemble à un oligopole11. Elle ne permet pas d’envisager
une réelle transparence des prix du lithium sur le marché. Ce dernier reste
de petite taille (130 000 tonnes en 2022, contre 22 millions pour le cuivre)
et il n’existe pas de contrat mondial de référence suffisamment liquide pour
les acteurs. Son organisation ne permet pas non plus d’envisager l’entrée de
nouveaux acteurs sur le marché, les majors souhaitant conserver leur
pouvoir économique en rachetant les petites compagnies minières. Quand
elles existent, comme en Australie, par exemple, elles exportent
majoritairement leur lithium en Chine pour les opérations de raffinage, ce
qui tend à renforcer la présence chinoise dans l’ensemble du raffinage des
métaux des batteries.
On observe également une tendance à l’intégration verticale (des mines
jusqu’aux produits intermédiaires). Cette dernière se double aujourd’hui
d’une contractualisation des majors avec les principaux fabricants de
batteries (LG Chem, CATL) ou directement avec les producteurs
automobiles (Tesla, BMW, Volkswagen). La compagnie chinoise Ganfeng
Lithium est assez emblématique de cette dynamique. Créée en 2000, elle est
désormais établie en Australie, en Argentine, au Chili, en Chine, au
Mexique et réalise même des projets d’exploration en Irlande. Elle
contractualise aujourd’hui avec les plus importants fabricants de batteries et
constructeurs automobiles mondiaux, en sécurisant ses investissements dans
l’amont de la filière. Dans ce contexte, la criticité économique pourrait ainsi
se confondre avec une criticité géopolitique en cas de détérioration des
relations avec l’empire du Milieu.
Enfin, la criticité peut se révéler environnementale. En effet, dans le cas
de terres rares, par exemple, si la production est assurée aujourd’hui à près
de 70 % par la Chine avec une large part des réserves détenue par Pékin (35
%), ces dernières sont beaucoup mieux réparties à la surface du globe. Le
Brésil en détient environ 17 %, tout comme la Russie ou le Vietnam, et on
en trouve également des éléments en Australie, en Inde, en Birmanie, au
Burundi, aux États-Unis et en Europe (Groenland, Suède, etc.). Ainsi, pour
ces éléments si indispensables à la performance de nos technologies, ce
n’est pas un problème de ressources qui guide les comportements de
production, mais une problématique de coûts et, plus spécifiquement, de
gestion des coûts environnementaux.
L’histoire de la production mondiale de terres rares est de ce point de
vue édifiante sur la capacité des pays occidentaux à délocaliser les impacts
environnementaux de leurs consommations. Jusque dans les années 1980, le
premier producteur mondial de terres rares était les États-Unis. En 1995,
l’emprise chinoise sur le marché était déjà importante, avec plus de 60 % de
la production mondiale, contre 28 % pour les ÉtatsUnis, et ce chiffre a
atteint plus de 90 % en 2010, à la veille de la crise des terres rares12. La
stratégie de la Chine a été de proposer des normes environnementales moins
contraignantes et des conditions économiques plus avantageuses pour la
réalisation de l’ensemble des opérations de séparation et de transformation
des terres rares, favorisant l’abandon ou l’externalisation des opérateurs
mondiaux sur le territoire chinois.
La Chine est ainsi devenue l’acteur principal de ce marché au prix de
lourdes conséquences environnementales. Le site de Bayan Obo13, en
Mongolie intérieure, est, de ce point de vue, emblématique de ces impacts,
puisqu’il mêle pollutions atmosphériques, du sol et des nappes phréatiques,
avec une forte incidence sur la santé humaine. Or, avec la montée en
puissance des problématiques environnementales sur le sol chinois et le
risque majeur qu’elles engendrent pour ses dirigeants, la politique de Pékin
devrait sensiblement évoluer dans les années à venir. Une meilleure
intégration des critères environnementaux sur son sol pourrait signifier une
hausse majeure des coûts, et la Chine devrait limiter ses exportations pour
répondre à sa seule consommation interne. Pékin a ainsi commencé à
investir à l’étranger pour sécuriser ses propres approvisionnements et pour
limiter les impacts environnementaux sur son territoire. Dans le cas
particulier des éléments de terres rares, ce n’est donc pas tant la question de
la présence des ressources dans les territoires, mais les impacts
environnementaux des productions qui pourraient freiner les
développements futurs. De manière générale, la question des besoins en eau
pour la production des métaux pourrait être limitante pour certaines régions
productrices du globe14.
Ainsi, la seule appréciation des ressources ou des réserves en minerais
et en métaux ne permet pas d’évaluer la complexité de la problématique des
métaux dans la transition bas-carbone. La prise en compte de la géologie
doit obligatoirement s’accompagner d’une étude des facteurs géopolitiques,
environnementaux et économiques. Et là encore, il ne peut y avoir de point
de vue global pour les analyser : chaque marché de métaux a sa propre
géopolitique et chaque site minier a ses propres caractéristiques. Les
facteurs économiques sont tout aussi divers, même si une caractéristique
reste commune à l’ensemble des activités minières : le temps de mise en
production. Il est certes variable selon les métaux, mais généralement long
(entre 4 et 17 ans aujourd’hui) et pourrait constituer un goulot
d’étranglement majeur pour les décennies qui viennent.

1. Thomas Robert Malthus, An Essay on the Principle of Population,


Éditions J. Johnson, 1798.
2. William Stanley Jevons, The Coal Question, 1865. Disponible sur
EconLib : https://www.econlib.org/library/YPDBooks/Jevons/jvnCQ.html
3. Site internet de l’USGS.
https://pubs.usgs.gov/periodicals/mcs2022/mcs2022-appendixes.pdf
4. Emmanuel Hache, Charlène Barnet, Gondia-Sokhna Seck, « Le cuivre
dans la transition énergétique : un métal essentiel, structurel et géopolitique
! », Les métaux dans la transition énergétique, no 2, IFPEN, décembre
2020. https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/article/cuivre-transition-
energetique-metal-essentiel-structurel-et-geopolitique
5. Emmanuel Hache, Charlène Barnet, Gondia-Sokhna Seck, «
L’aluminium dans la transition énergétique : quel avenir pour ce métal “roi
du monde moderne” ? », Les métaux dans la transition énergétique, no 6,
IFPEN, mai 2021. https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/article/laluminium-
transition-energetique-quel-avenir-ce-metal-roidu-monde-moderne
6. Emmanuel Hache, Charlène Barnet, Gondia-Sokhna Seck, « Le cobalt
dans la transition énergétique : quels risques d’approvisionnements ? », Les
métaux dans la transition énergétique, no 1, IFPEN, novembre 2020.
https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/article/cobalt-transition-energetique-
quels-risques-dapprovisionnements
7. Emmanuel Hache, Charlène Barnet, Gondia-Sokhna Seck, « Le nickel
dans la transition énergétique : pourquoi parle-t-on de métal du diable ? »,
Les métaux dans la transition énergétique, no 5, IFPEN, mars 2021.
https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/article/ nickel-transition-energetique-
pourquoi-parle-t-metal-du-diable
8. https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/enjeux-et-prospective-
decryptages/climat-environnement-et-economie-circulaire/les-metaux-
transitionenergetique
9. Site internet Vie publique du gouvernement français (https://www.vie-
publique.fr/) : « L’indice de développement humain (IDH) correspond à un
indice composé calculé chaque année par le PNUD afin d’évaluer le niveau
de développement des pays en se fondant non pas sur des données
strictement économiques, mais sur la qualité de vie de leurs ressortissants.
L’IDH intègre trois facteurs : l’espérance de vie à la naissance, car elle est
significative des conditions de vie à venir des individus (alimentation,
logement, eau potable…) et de leur accès à la médecine ; le niveau
d’éducation, qui détermine l’autonomie tant professionnelle que sociale de
l’individu ; le revenu national brut par habitant, révélateur du niveau de vie
des individus et ainsi de leur accès à la culture, aux biens et services, aux
transports. »
10. https://fragilestatesindex.org/
11. Un oligopole est un marché sur lequel le nombre de producteurs
(vendeurs) est restreint et le nombre d’acheteurs important. Sur un marché
de ce type, les premiers peuvent exercer un pouvoir de marché en contrôlant
au moins partiellement les prix.
12. USGS. https://www.usgs.gov/centers/national-minerals-information-
center/rare-earths-statistics-and-information
13. Voir les images du Centre national d’études spatiales (CNES).
https://geoimage.cnes.fr/fr/chine-mongolie-interieure-les-terres-raresde-
bayan-obo-et-baotou-un-enjeu-technologique-mondial
14. Emmanuel Hache, Charlène Barnet, Gondia-Sokhna Seck, « Les
pressions sur l’eau, face ignorée de la transition énergétique », The
Conversation, 16 février 2021. https://theconversation.com/les-pressions-
sur-leau-face-ignoree-de-la-transition-energetique-154969
CHAPITRE 7

Taille du robinet :
la condition de la réussite de la transition
énergétique

La transition énergétique va entraîner une pression importante sur la


production de métaux dans les décennies à venir. La bonne nouvelle,
néanmoins, est que les différents travaux menés par la communauté
scientifique semblent montrer que la taille du réservoir est suffisante même
si, pour certains métaux comme le cuivre, le cobalt ou la bauxite, nous
arrivons aux limites de ce que la planète peut nous offrir sans la mise en
place de politiques volontaristes pour limiter la demande. Mais la partie
n’est pas gagnée pour autant. Il reste un problème majeur : celui de la taille
du robinet.
La question qui se pose ici n’est plus de savoir s’il y a assez de métaux
dans notre sous-sol pour réaliser la transition, mais si nous pouvons les
extraire de la croûte terrestre à une vitesse qui correspond au rythme de
développement que nous nous sommes fixé. Rythme qui nous est en fait
imposé par la nécessité de réduire drastiquement nos émissions de CO2 et
de tendre vers la neutralité carbone à l’horizon 2050, pour contenir le
réchauffement climatique dans des limites acceptables. Ainsi, ce n’est pas
parce que les minerais sont disponibles d’un point de vue géologique que
les industries extractives vont les produire. De nombreux doutes demeurent.
Dans le cas du cuivre, par exemple, il existe des incertitudes concernant
la disponibilité en eau1 dans les principales régions de production
d’Amérique latine. Si le rythme de la transition impose une hausse marquée
de cette production au Chili, autour de 4 %, la mise en place de quotas
d’eau pour les industries extractives pourrait limiter la hausse de la
production annuelle. La solution envisagée est de recourir massivement à la
désalinisation de l’eau de mer2 pour alimenter l’industrie minière !
Récemment, un rapport confidentiel consulté par l’agence de presse Reuters
indiquait, début 2023, que la production de cuivre pourrait atteindre un
maximum en 2030, qui plus est à un niveau de production 7 % inférieur à
celui précédemment anticipé3.

Une tragédie des horizons miniers

Dès lors, la question du rythme de développement des nouveaux projets


miniers est essentielle pour juger de notre capacité à respecter le calendrier
de la transition énergétique. Et sur cet aspect, une nouvelle tragédie des
horizons risque de nous contraindre.
Selon un rapport récent de l’AIE, la durée de développement d’une
mine est, en moyenne dans le monde, de 17 ans4. Ce chiffre prend
néanmoins en compte les travaux exploratoires, qui peuvent prendre une
dizaine d’années. Les investissements sont très risqués et il est difficile de
trouver des financements, ce qui impose souvent aux compagnies minières
de les réaliser sur fonds propres, les obligeant à étaler ces opérations sur
plusieurs années. En réalité, il n’existe pas de temps moyens dans le
domaine minier, car l’investissement va dépendre de la région et du type de
minerais à développer.
Sur la période 2010-2019, le décalage entre la découverte d’un gisement
et la première production était ainsi de 4 ans pour le lithium en Australie et
de 7 ans en Amérique du Sud. Ces chiffres peuvent monter à plus de 19 ans
pour le nickel et à 17 ans pour le cuivre5. L’obtention des permis, les
négociations avec les populations locales, la mise en place des
infrastructures énergétiques, portuaires, routières et industrielles, parfois
dans des zones isolées, rendent ces opérations d’investissements complexes
et longues.
Tous ces délais nous imposent de prendre des décisions rapidement si
nous voulons que la production soit mise en œuvre en temps et en heure,
comme le montre l’exemple du Chili. Ainsi, l’AIE estime que, pour
respecter le calendrier de l’accord de Paris, l’ensemble des décisions
d’investissements pour le secteur minier doit être pris avant… 2025 ! Il
nous reste deux ans pour passer à l’échelle en termes d’investissements
dans la production de cuivre, de nickel, de cobalt et de tous les autres
métaux nécessaires à la transition. Près de 130 milliards d’investissements
seraient ainsi nécessaires pour le développement des seuls cobalt, cuivre,
lithium et nickel sur la période 2023-2025, soit le double des
investissements réalisés dans l’ensemble des industries extractives
aujourd’hui6 ! Au global, l’AIE estime que près de 180 milliards de dollars
devront être consacrés aux investissements dans le domaine minier chaque
année, soit une multiplication par deux par rapport aux investissements
actuels.
Concrètement, cela veut dire que, pour faire face aux besoins jugés
nécessaires afin d’assurer la transition énergétique, il va nous falloir plus de
mines… beaucoup plus. Pour le lithium et le nickel, on estime qu’il faudra
en ouvrir environ 70, de taille équivalente à la moyenne mondiale actuelle.
Et pour le cuivre, on parle de 80 nouvelles unités à mettre en production. Et
tout cela doit être commencé dans les deux prochaines années !
Tout ceci est encore jouable, selon les autorités, mais cela va nécessiter
une organisation et une mobilisation de tous. D’abord, des autorités : il va
falloir s’assurer que les délais d’octroi des autorisations (permis) soient
raccourcis. Dans le domaine minier, les statistiques montrent que le délai est
de 7 à 10 ans aux États-Unis, mais peut descendre à 2 ans en Australie ou
au Canada, des pays très attractifs de ce point de vue.
Les causes de ces délais sont nombreuses et souvent communes à
l’ensemble des demandes : procédures non automatisées (digitalisation),
manque de personnel et de qualification, nombreux recours possibles… Il y
a des marges d’amélioration, mais les délais d’implémentation sont très
courts pour répondre aux futures consommations engendrées par la
transition énergétique.
Au-delà, se pose aussi la question de savoir si nous avons suffisamment
de projets en réserve à mettre en exploitation. Là encore, la réponse se veut
rassurante. Selon S & P Global Market Intelligence7, 145 des 228 dépôts de
cuivre identifiés depuis 1990 ne sont pas encore en production. Mais seule
une trentaine d’entre eux ont réalisé leur étude de faisabilité, ce qui assure
que leur développement prendra encore du temps… En outre, malgré des
budgets d’exploration élevés depuis le début des années 2010, les
découvertes se font de plus en plus rares. Seules 4 ont pu être réalisées
depuis 2015, contenant toutes ensemble à peine 2 ans de consommation
mondiale ! Cette dynamique s’explique en grande partie par un changement
d’attitude des groupes miniers, qui préfèrent utiliser leurs budgets de
recherche en vue d’améliorer le rendement des gisements déjà en
exploitation. L’avantage pour les compagnies extractives est évident : les
infrastructures d’exploitation (routes, approvisionnement électrique, usine
de traitement des minerais…) étant déjà en place, le coût de développement
des réserves découvertes en est nettement abaissé. Mais la probabilité de
trouver un nouveau gisement important dans une zone déjà exploitée est
assez faible.
Dès lors, la question se pose : comment convaincre les compagnies
minières de consacrer davantage de moyens à la recherche de nouveaux
gisements et à la mise en production de nouvelles mines ? Dans une
économie non administrée, la réponse à cette question est assez simple :
pour développer une nouvelle ressource, il faut que l’entreprise soit
convaincue des perspectives de rentabilité de celles-ci.
Agents économiques rationnels, les compagnies minières ont commencé
par mettre en exploitation les ressources qui avaient le plus de potentiel de
rentabilité. L’image d’une personne qui entre dans un verger rempli d’arbres
fruitiers et commence par cueillir les fruits qui se trouvent à portée de main,
avant de s’attaquer aux branches les plus hautes à atteindre, est
emblématique des industries minières. Les compagnies ont d’abord exploité
les sites les plus prometteurs et dont le coût de développement par tonne de
métal produite était le plus faible.
Pourtant, les études réalisées par l’IFPEN8 montrent bien que, pour
parvenir à réaliser la transition, les réserves, c’est-à-dire la part des
ressources qui sont aujourd’hui techniquement et économiquement viables,
sont insuffisantes aujourd’hui. C’est le cas notamment, d’après les données
fournies par Eurométaux9, pour le cuivre, le zinc, le nickel, le cobalt et les
terres rares les plus importantes10. Il faut donc qu’une grande partie des
ressources géologiquement existantes aujourd’hui devienne des réserves, et
pour cela, dans la mesure où les innovations technologiques sont
incertaines, à périmètre comparable, il faut que la rentabilité économique de
la production de métaux s’améliore de manière drastique !

Quel modèle économique ?

Mettre en exploitation de nouveaux gisements est aujourd’hui très


contraignant. Le coût de l’énergie a tendance à s’apprécier, les nouvelles
exigences logiques de prise en compte de l’environnement et de la sécurité
des salariés augmentent sensiblement les coûts de l’activité. En
conséquence, le prix de vente de leur production doit augmenter, ce qui
revient à dire que les prix des métaux devront connaître une hausse
importante pour rentabiliser l’activité des industries minières. La hausse du
prix d’une matière première a, en outre, un autre effet positif : en rendant
celle-ci moins abordable, elle pousse les acteurs économiques à essayer
d’en réduire l’usage, ce qui limite la demande.
Mais dans le cas précis qui nous occupe, celui de la transition
énergétique, il y a peu de chance que ce ressort fonctionne. En effet, le
déploiement des technologies bas-carbone constitue une demande en
métaux supplémentaire sur les marchés. Et cette dynamique est essentielle
pour lutter contre le réchauffement climatique. De plus, les secteurs
traditionnels ne vont pas s’arrêter de consommer des métaux. La
conséquence probable en sera une hausse des coûts pour l’ensemble de
l’économie et notamment des technologies bas-carbone.
Certes, des substitutions d’usage, c’est-à-dire le remplacement d’un
métal par un autre (souvent moins performant), peuvent exister. On peut,
par exemple, remplacer le cuivre dans le secteur électrique par de
l’aluminium, mais cela reste limité. Frédéric Michelland, directeur financier
du leader mondial du câble Nexans, expliquait en mars 2023 au journal Les
Échos : « Il n’y a pas de produit substitut miracle11. » Ainsi, si ces
développements peuvent aider à réduire le problème, ils ne peuvent le faire
disparaître complètement.
Pour apprécier la problématique du robinet minier dans la transition
énergétique, l’exemple du nickel est à ce sujet très éclairant12. Celui que
l’on appelle souvent le « métal du diable » présente un intérêt majeur, en
particulier pour le développement de la mobilité électrique. Il permet
d’assurer une meilleure autonomie pour les batteries de véhicules
électriques. Aujourd’hui, ces dernières représentent environ 2 % de la
demande de nickel, mais ce chiffre pourrait s’établir entre 15 % et 20 %
dans les années qui viennent13. Une berline électrique dotée d’une batterie
de 75 kWh14 contient ainsi près de 40 kg de nickel.
La production mondiale de nickel est actuellement d’environ 3,3
millions de tonnes par an. Mais elle ne fournit pas un métal de qualité
homogène : environ 1 million de tonnes est du nickel de grande qualité (pur
à 99,8 %) appelé nickel de classe 1, le reste étant qualifié de classe 2. Pour
les batteries de véhicule électrique, il est nécessaire d’utiliser du nickel de
classe 1. Or, selon les projections de la Commission européenne15, pour la
seule industrie du véhicule électrique, à horizon 2040, il faudra… 2,6
millions de tonnes de cette classe chaque année ! On comprend mieux la
problématique de la taille du robinet…
Des solutions techniques sont en permanence à l’étude pour essayer de
combler cet écart. Certains constructeurs automobiles utilisent, par
exemple, pour leurs modèles les moins chers, des batteries ayant recours à
d’autres technologies (batteries LFP par exemple, pour Lithium Fer
Phosphate). C’est le cas de Tesla pour certains de ses modèles. Les
producteurs de nickel travaillent également sur un produit intermédiaire, le
« matte », qui pourrait être transformé en nickel de classe 1 à un coût
économique supportable. L’autre moyen serait de moins utiliser de nickel
pour nos autres usages. Mais, dans ce cas précis, la tâche s’avère
particulièrement difficile : aujourd’hui, plus de 70 % du nickel produit sert
à un seul usage, la production d’acier inoxydable. Or, le déploiement des
énergies renouvelables va, selon toutes les simulations effectuées, nécessiter
un accroissement de la consommation d’acier…

***

La transition énergétique est en passe de changer le monde. Au cœur de


ces bouleversements, le passage des énergies fossiles aux énergies
renouvelables risque de transformer notre dépendance aux énergies fossiles
en une dépendance aux métaux. Si les ressources en matières minérales
existent, les conditions économiques (le niveau des prix des métaux) et
réglementaires (les délais d’obtention des permis) ne sont aujourd’hui pas
réunies pour permettre une mise en production rapide des gisements
miniers. Ils sont pourtant essentiels à la réussite de notre transition. La
présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen l’a ainsi
résumé dans son discours sur l’état de l’Union, le 14 septembre dernier : «
Le lithium et les terres rares seront bientôt plus importants que le pétrole et
le gaz16 » ! La hauteur de nos réponses à ces bouleversements et notre
manière de procéder auront des conséquences importantes sur nos sociétés,
tant sur le plan économique, politique, géopolitique ou environnemental.
1. Reuters, 6 mai 2022. https://www.reuters.com/world/americas/chiles-
parched-mines-race-an-increasingly-scarce-commoditywater-2022-05-06/
2. Emmanuel Hache, Charlène Barnet, Gondia-Sokhna Seck, « Les
pressions sur l’eau, face ignorée de la transition énergétique », art. cité.
3. Reuters, 25 janvier 2023.
https://www.reuters.com/markets/commodities/chile-mine-delays-slow-
copper-growth-peak-seen-lowerlater-regulator-2023-01-25/
4. AIE, Energy Technology Perspectives, 2023.
https://iea.blob.core.windows.net/assets/a86b480e-2b03-4e25-bae1-
da1395e0b620/EnergyTechnologyPerspectives2023.pdf
5. AIE (2022). https://www.iea.org/data-and-statistics/charts/average-
observed-lead-times-from-discovery-to-production-for-selectedminerals-
2010-2019
6. AIE, Energy Technology Perspectives, 2023, doc. cité.
7. S & P Global Market Intelligence, 1er juin 2022, « Copper discoveries –
Decliningtrendcontinues
».https://www.spglobal.com/marketintelligence/en/news-
insights/research/copper-discoveries-declining-trend-continues
8. Emmanuel Hache, Charlène Barnet, Gondia-Sokhna Seck, « Le cuivre
dans la transition énergétique : un métal essentiel, structurel et géopolitique
! », art. cité.
9. Eurométaux est l’association européenne qui représente les intérêts de
l’industrie des métaux non ferreux en Europe. https://eurometaux.eu/
10. Université de Louvain pour Eurométaux, 25 avril 2022, « Metals for
clean energy: pathways to solving Europe’s raw materials challenge ».
https://eurometaux.eu/media/jmxf2qm0/metals-for-clean-energy.pdf
11. Les Échos, 9 mars 2023. https://investir lesechos.fr/actu-desvaleurs/la-
vie-des-actions/il-y-a-peu-dalternatives-au-cuivre-estimenexans-1625929
12. Pour une vue d’ensemble des derniers développements observés sur le
marché du nickel, lire notamment : Maïté Le Gleuher, BRGM, « Le sulfate
de nickel: un ingrédient clé des batteries Li-ion ». https://www.
mineralinfo.fr/fr/ecomine/sulfate-de-nickel-un-ingredient-cle-desbatteries-
li-ion
13. La Tribune, 19 février 2020.
https://www.latribune.fr/opinions/blogs/commodities-influence/batterie-de-
voitures-electriques-ce-n-estpas-encore-la-mort-du-nickel-840156.html
14. Une Renault Zoe étant, par exemple, aujourd’hui dotée d’une batterie de
52 kWh.
15. Jake Fraser, « Study on future demand and supply security of nickel for
electric vehicle batteries », 2021. https://op.europa.eu/en/publication-
detail/-/publication/c72e89ce-6698-11eb-aeb5-01aa75ed71a1/language-en
Taille du robinet : la condition de la réussite…
16. Discours sur l’état de l’Union de la présidente von der Leyen, 14
septembre 2022, art. cité.
Partie 3

Les conséquences
de la transition énergétique
CHAPITRE 8

Les conséquences économiques

Lorsque l’on envisage de changer l’un des fondements de notre société,


en l’occurrence la manière de produire ou de s’approvisionner en énergie,
les conséquences vont bien au-delà de ce seul secteur et rejaillissent sur
l’ensemble de l’activité économique. L’énergie et les métaux sont à la base
de tous les processus productifs et sont les vecteurs de notre développement
économique. Ils sont partout et sont très complémentaires. Cette relation
symbiotique fait que l’appréciation des coûts de l’un, de l’autre ou des deux
en même temps aura forcément un impact global sur la production de biens
et de services et donc sur la richesse créée.
Avec la demande additionnelle générée par le déploiement des
technologies bas-carbone, le monde minier risque de rentrer dans une
nouvelle dimension. La tragédie des horizons miniers symbolisée par un
décalage entre les besoins et la capacité du secteur à mettre sur le marché
une nouvelle production va très probablement entraîner une appréciation
marquée des prix des matières premières, et plus particulièrement des
métaux. Dès lors, la question est de savoir si l’on peut estimer cet impact de
manière globale sur les marchés. Cela est fondamental, car toute
augmentation des prix pourrait ralentir la dynamique de transition
énergétique.

Transition énergétique : quels impacts sur les prix des métaux


?

Dans une étude publiée en octobre 2021 et intitulée « Energy Transition


Metals1 », l’équipe de recherche du Fonds monétaire international2 (FMI) a
modélisé l’évolution possible du prix de quatre métaux critiques pour la
transition énergétique : le lithium, le cobalt, le nickel et le cuivre.
Indispensables notamment à la fabrication des technologies actuelles de
batteries, ils devraient voir leur demande multipliée par 2 pour le nickel, par
4 pour le cuivre, par 6 pour le cobalt et par 20 pour le lithium, selon le
scénario Net Zero Emissions (NZE) de l’AIE3 ! Les conclusions de
l’analyse du FMI sont sans appel : à l’horizon 2040, les prix du lithium, du
cobalt et du nickel pourraient progresser de « quelques centaines de
pourcents » et celui du cuivre de 60 % ! Si l’on y regarde de plus près,
l’essentiel de la hausse devrait même se concentrer sur la période allant
d’aujourd’hui à 2030, à l’exception du nickel, dont le pic se situerait plutôt
autour de l’année 2035.
Là encore, la hausse du prix des métaux semble une condition
nécessaire mais pas forcément suffisante à la mise en place de nouveaux
projets miniers. À cet égard, la période récente est inquiétante. En effet,
malgré la forte hausse de certains métaux, la mise en exploitation de
nouveaux gisements est restée limitée, à l’exception du secteur du nickel et
du cobalt qui ont connu une croissance importante. Ceci est sans doute dû
au fait que de tels développements signifient en premier lieu, pour les
groupes miniers, de gros investissements en capital qui pourraient obérer
leur rentabilité et donc leur attractivité à court terme. Ceci est d’autant plus
vrai dans le contexte récent de remontée des taux d’intérêt qui renchérit le
coût financier de telles opérations.
Il va donc sans doute falloir apprendre à vivre avec des prix des métaux
plus élevés, ce qui ne sera pas non plus sans conséquence sur les prix des
biens manufacturés que nous utilisons dans notre vie quotidienne :
téléphone portable, ordinateurs… Cela risque également de renchérir le
montant de la transition elle-même, en augmentant le coût de fabrication
des éoliennes, des panneaux solaires et des batteries des véhicules
électriques. Là encore, les événements récents sont très révélateurs des
possibles conséquences de cette hausse.
La remontée des prix observée sur la plupart des métaux dans la période
de reprise économique qui a suivi la crise sanitaire de la COVID-19 a eu
pour conséquence une hausse du coût de fabrication de toutes les
technologies bas-carbone. Ainsi, entre début 2021 et mars 2022, une étude
de l’AIE4 précise que les prix du polysilicone de qualité photovoltaïque ont
plus que quadruplé, le prix de l’acier a progressé de 50 %, celui du cuivre
de 70 %, quand le prix de l’aluminium doublait et celui du fret était
multiplié par 5. Ce contexte a entraîné une remontée du coût des panneaux
solaires et des éoliennes terrestres de 15 % à 25 % entre 2020 et 2022. Dans
le domaine des batteries pour les véhicules électriques, la part du coût de
production imputable à la cathode d’un pack de batterie, essentiellement
composée de lithium, de nickel, de manganèse et de cobalt, par rapport au
prix de revient total de ce pack, est ainsi passée de moins de 5 % au milieu
de la décennie 2010 à près de 22 % aujourd’hui5 !
Cette nouvelle donne est fondamentale à prendre à compte. En effet,
l’une des assertions souvent mises en avant pour affirmer que la transition
énergétique aura un impact économique limité, relève de la croyance sur les
économies d’échelle réalisées grâce au déploiement massif des technologies
bas-carbone. Cette dynamique permettrait de faire baisser le coût unitaire
d’installation. Le même discours est entendu pour le prix des voitures
électriques qui pourrait atteindre bientôt la parité avec celui des véhicules
thermiques.
Dans le cas de la production de batteries, cette affirmation est largement
battue en brèche. Ainsi, alors qu’il n’y avait que quelques « gigafactories »
(les usines de production de batteries pour véhicules électriques) en 2015,
on en compte désormais 300 à différents stades d’avancement à travers le
monde. Et sur la seule année 2021, la hausse des prix des matériaux de la
cathode a entraîné une hausse du coût d’un pack de batteries de 5 % par
rapport à 2020.

Des prix des métaux au coût global de la transition

Tous ces éléments pourraient donc renchérir le coût global de la


transition énergétique, mais également le prix de l’électricité. Comme nous
l’avons vu précédemment avec l’exemple de l’Allemagne, la nécessité de
prévoir des solutions de secours pour les journées sans vent ou sans soleil a
un prix. C’est l’une des raisons pour lesquelles le prix de l’électricité pour
les particuliers est aujourd’hui environ 50 % plus élevé pour un particulier
en Allemagne qu’en France. Le prix de base augmente régulièrement, de
même que l’EEG, l’équivalent allemand de la Contribution au service
public de l’électricité (CSPE) qui sert à financer le déploiement des
énergies renouvelables.
Mais l’impact ne s’arrête pas aux seules énergies renouvelables. Il
touche plus globalement le coût de l’énergie. Ceci est en partie dû au
calendrier de la transition et aux contraintes existant sur la production
d’énergies fossiles, qu’elles soient économiques (croissance mondiale),
géologiques (déplétion des puits pétroliers) ou géopolitiques.
La hausse des prix de l’énergie ne sera pas non plus sans conséquences
sur le coût de fabrication des moyens de production bas-carbone. Une
éolienne ou un panneau solaire étant principalement constitués de métaux,
dont la production est elle-même énergivore, tous ces éléments devraient à
nouveau, dans un cercle vicieux, amener à faire grimper le montant de la
transition. On en a vu les premières prémices lors de la crise ukrainienne.
L’envolée du prix du gaz et, du fait du mécanisme de fixation des prix en
Europe, de l’électricité, ont obligé nombre de commerces et d’industries à
fermer des capacités de production en raison de charges trop élevées. On
cite souvent en exemple les boulangers, mais l’industrie métallurgique a
également été fortement impactée. La société slovaque de production
d’aluminium Slovalco a ainsi dû suspendre une partie de ses activités en
septembre 20226. La production d’une tonne d’aluminium requérant
environ 15 MWh d’électricité pour l’électrolyse, lorsque les prix de
l’électricité ont dépassé les 500 €MWh, le simple coût énergétique de la
production a dépassé les 7 500 € Or, à ce moment-là, une tonne
d’aluminium se vendait moins de 2 400 €! Impossible, dans ces conditions,
de continuer à produire.
À ces données purement quantitatives et à cet impact direct de la
transition énergétique sur l’économie, il y a un préalable important et plus
qualitatif à apprécier pour une analyse des potentiels impacts
macroéconomiques. La transition énergétique et écologique revient à
intégrer une externalité négative qui, jusque-là, était considérée comme
gratuite : les émissions de CO2. Il est donc assez intuitif qu’ajouter une
contrainte à nos modes de production ne peut pas se solder sans un impact
économique négatif ! Le fait de prendre en compte le facteur
environnemental se solde forcément par des investissements
supplémentaires qui ont un prix élevé.
Cela ne veut pas dire que l’investissement ne doit pas être responsable.
Car s’il y a bien un prix à payer à court terme, celui-ci est minime par
rapport à celui qu’aurait l’absence de prise en compte du réchauffement
climatique. En outre, l’investissement responsable ne s’intéresse pas qu’aux
seuls aspects environnementaux. Il concerne aussi les critères sociaux et de
gouvernance. Sur ces deux éléments, il n’y a pas en réalité de coûts
supplémentaires. Il s’agit simplement de bonnes pratiques à mettre en
œuvre. Et il est, là aussi, intuitif qu’une entreprise bien gérée, qui prend
soin de ses salariés et qui améliore son éthique, en tirera des bénéfices, que
ce soit en matière de conservation des talents ou d’implication des salariés
et d’attractivité des investisseurs. Tous ces éléments peuvent donc être
fortement créateurs de valeur, et ce dès maintenant !
Une question est alors fondamentale à poser : le coût de l’inaction face
au changement climatique ne serait-il pas plus élevé que l’investissement
dans la transition énergétique ? Ce sujet est assez complexe et va bien au-
delà de la simple quantification monétaire. Les pertes humaines liées au
réchauffement, les migrations de population imposées et les risques de
conflits sont autant d’impacts mis en évidence par le GIEC dans ses
différents rapports7. Ils vont bien au-delà des simples facteurs financiers.
Concernant les impacts monétaires, les études se sont généralement
attachées à mesurer l’impact qu’aurait sur le PIB l’inaction climatique par
rapport à un scénario où la hausse des températures serait contenue.
L’exercice est difficile, ce qui se ressent quand on voit la diversité des
résultats obtenus. L’une des premières estimations a été donnée par le
rapport Stern8, publié en 2006. Dans ce dernier, son auteur, Nicholas Stern,
alors en poste au Trésor britannique et ancien chef économiste et vice-
président de la Banque mondiale, estimait le coût de l’inaction entre 5 et 20
% du PIB mondial chaque année. Comparativement, le rapport indiquait un
coût de l’action climatique autour de 1 % du PIB par an ! En 2017, William
Nordhaus9, prix Nobel d’économie en 2018 pour son intégration du
changement climatique dans l’analyse macroéconomique de long terme,
évoquait un niveau bien inférieur, de l’ordre de 8,5 % du PIB mondial à
l’horizon 2100 en cas de réchauffement de 6 °C, et de seulement 2,1 % en
cas d’une hausse des températures limitée à 3 °C.
Plus récemment, le NGFS10, en s’appuyant sur les données de
Nordhaus, indiquait s’attendre à une perte de PIB en cas d’inaction allant
jusqu’à 20 % en 210011. On peut ajouter à ces estimations celles de
l’OCDE12, qui table sur une perte de PIB de 10 à 12 % à horizon 2100. Le
FMI13 se montre le plus pessimiste et évoque une perte pouvant atteindre
près de 25 % à cet horizon. Ces résultats sont largement discutés et
contestés14.
Au-delà de la forte dispersion de ces estimations, et même si certaines
d’entre elles peuvent paraître inquiétantes, il est essentiel de comprendre
que toutes ces prévisions ne font en réalité état que d’une perte de PIB par
rapport à un scénario de référence, dans lequel il n’y aurait pas de
réchauffement climatique. Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une
perte de PIB, mais d’une moindre progression de ce dernier à l’horizon
concerné.
Cette hypothèse d’une croissance toujours positive à l’avenir est elle-
même fortement questionnable, en particulier si l’on prend en compte les
hausses probables des prix de l’énergie et des métaux et les conséquences
extra-financières évoquées par le GIEC. À ce sujet, il est important de
rappeler une autre limite des modèles d’estimation de la croissance. Tous
ces outils partent, en effet, du postulat que les matières premières sont
gratuites, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas limitées. Seuls leurs coûts de
production sont pris en compte. Dans un monde où l’approvisionnement ne
pourra peut-être plus être considéré comme un acquis, c’est une hypothèse
osée…
Enfin, ces modèles essaient tous d’évaluer l’impact du changement
climatique en utilisant des fonctions de dommages qui relient le
réchauffement à des impacts sur la croissance, principalement sur la base
d’événements historiques. Pourtant, on sait que le réchauffement climatique
pourrait connaître des phénomènes d’accélération, jusque-là jamais
rencontrés. Ainsi, la fonte des glaciers, par exemple, pourrait constituer un
point de bascule qui amènerait à une accélération du réchauffement et de
ses conséquences. Dans cette hypothèse, aucune modélisation n’est capable
d’estimer le coût global pour l’économie mondiale.
En outre, cette approche rassurante présente l’inconvénient, en
minimisant l’impact potentiel de l’inaction, de favoriser une attitude
attentiste, en laissant penser que le progrès technique, par exemple, pourrait
nous sauver. Pourtant, de nombreux secteurs s’inquiètent déjà, au premier
rang desquels les assureurs. Henri de Castries, ancien président d’Axa,
indiquait ainsi en 2015 qu’un monde à +4 °C n’était sans doute pas
assurable15. Plus récemment, l’association des assureurs allemands
expliquait qu’un réchauffement climatique de 2 °C ne permettrait déjà plus
de maintenir une assurance sur les catastrophes naturelles16.
Il est donc très difficile d’estimer le coût de l’inaction climatique, de
même que celui de la transition énergétique. Néanmoins, tous les modèles
sont d’accord sur un point : ne rien faire est toujours beaucoup plus coûteux
pour l’économie que mettre en place les mesures d’atténuation du
changement climatique nécessaires à une limitation de la hausse des
températures sous les 2 °C. Les coûts d’adaptation seront bien plus élevés si
rien n’est fait.
Dans ce contexte, une chose est sûre : tenir les objectifs de l’accord de
Paris nécessitera une forte accélération des investissements dans la
transition énergétique. L’Autorité environnementale, une organisation créée
par le président Emmanuel Macron pour juger de l’adéquation de la
législation avec nos objectifs climatiques, indiquait ainsi en 2022 que « la
transition écologique en France n’a pas été amorcée17 ». L’AIE estimait de
son côté, dans son rapport « Net Zero by 2050 – A roadmap to neutrality18
», que les investissements en recherche et développement d’ici 2030, pour
l’instant estimés à 25 milliards de dollars au niveau mondial, devraient être
portés à 90 milliards. Selon l’Agence, il est nécessaire de les orienter vers
l’électrification, l’hydrogène, les carburants « propres » et la capture,
l’utilisation et le stockage du carbone. Pour ce qui est des investissements
globaux dans le secteur des énergies, ceux-ci doivent passer de 2 300
milliards de dollars par an actuellement à 5 000 milliards par an en 203019 !
L’ensemble des transformations nécessaire à la lutte contre le
réchauffement climatique ne sera pas non plus sans conséquences
importantes sur les États et leurs finances. Le changement de modèle
énergétique nécessitera sans doute un accompagnement des populations les
plus fragiles. Ainsi, le basculement de la voiture thermique vers la mobilité
électrique nécessitera assurément la mise en place de subventions
importantes20 si le coût des matériaux ne devait pas permettre d’atteindre la
parité de coût entre les véhicules électriques et thermiques aujourd’hui
espérée. La baisse des revenus de l’État suite à la diminution des recettes
fiscales liée aux produits pétroliers et la demande de subventions pour
l’achat de véhicule électrique posent une équation budgétaire difficile.
La transition énergétique nécessitera de repenser totalement notre
économie, tant au niveau des États que des entreprises ou des ménages. Il
est nécessaire de se préparer, notamment en assurant l’adéquation des
moyens humains avec les besoins générés par ces bouleversements. Une
réorientation des formations universitaires et professionnelles pour qu’elles
fournissent les profils en adéquation avec les métiers de la transition bas-
carbone est une condition fondamentale à la réussite de la transition. Tout
ceci doit se penser en amont pour que les ingénieurs nécessaires aux
industries produisant les technologies bas-carbone et au secteur minier
soient disponibles et en nombre suffisant.
On le voit, estimer les conséquences économiques de la transition
énergétique est un exercice difficile aux ramifications innombrables. Plus
globalement, la prise en compte de limites à nos systèmes économiques
pose la question de la mesure de la croissance. Aujourd’hui essentiellement
basée sur le PIB, elle ne prend que peu en compte les facteurs sociaux et un
certain nombre d’externalités négatives. Cela pose la question de
l’établissement d’un nouveau référentiel intégrant la qualité de vie, la santé
et de manière plus globale l’environnement.
Quoi qu’il en soit, le monde de demain sera sans doute
économiquement très différent de celui que nous connaissons aujourd’hui.
D’autant que les difficultés ne s’arrêtent pas là… Car la transition
énergétique, à travers ces besoins en métaux, implique une profonde
modification des relations internationales.

1. Lukas Boer, Andrea Pescatori, Martin Stuermer, « Energy Transition


Metals », IMF Working Paper, octobre 2021.
https://www.imf.org/-/media/Files/Publications/WP/2021/English/wpiea202
1243print-pdf.ashx
2. Le Fonds monétaire international est une institution internationale créée
en 1944, dont le but est de « promouvoir la coopération monétaire
internationale, garantir la stabilité financière, faciliter les échanges
internationaux, contribuer à un niveau élevé d’emploi, à la stabilité
économique et faire reculer la pauvreté ». https://www.imf.org/fr/Home
3. Agence internationale de l’énergie, Net Zero by 2050, A Roadmap for
the Global energy Sector, 2021.
4. AIE, 2022. https://www.iea.org/data-and-statistics/charts/total-
manufacturing-costs-for-mono-perc-c-si-solar-components-byinput-2022
5. AIE, « Average pack price of lithium-ion batteries and share of cathode
material cost, 2011-2021 », 26 octobre 2022. https://www.iea.org/data-and-
statistics/charts/average-pack-price-of-lithium-ion-batteries-and-share-of-
cathode-material-cost-2011-2021
6. Euractiv, 23 août 2022.
https://www.euractiv.fr/section/energie/news/slovaquie-la-plus-grande-
usine-daluminium-du-pays-ferme-sesportes-face-aux-prix-record-de-
lelectricite/
7. GIEC, rapport 2018, 2020, 2022. https://www.ipcc.ch/languages-
2/francais/
8. The Economics of Climate Change : The Stern Review, 2006.
https://www.lse.ac.uk/granthaminstitute/publication/the-economics-of-
climate-change-the-stern-review/
9. William D. Nordhaus, « Evolution of Assessments of the Economics of
Global Warming : Changes in the DICE model, 1992 – 2017 », Climatic
Change, vol. 148, no 4, p. 623-640, 2017.
10. Network of central banks and supervisors for greening the financial
system. Créé en 2017, il regroupe 87 banques centrales et superviseurs
financiers qui souhaitent peser dans le débat en faveur de la transition
énergétique.
11. NGFS, septembre 2022.
https://www.ngfs.net/sites/default/files/medias/documents/ngfs_climate_sce
narios_for_central_banks_and_supervisors_.pdf.pdf
12. Conseil économique social et environnemental, « Financer notre
Stratégie Énergie-Climat : donnons-nous les moyens de nos engagements »,
février 2023. https://www.lecese.fr/travaux-publies/financer-notre-strategie-
energie-climat-donnons-nous-les-moyens-denos-engagements
13. Ibid.
14. Marie-Noëlle Woillez et Antoine Godin, « Impact du réchauffement
climatique sur le PIB: pourquoi les statistiques se trompent », La Tribune, 3
juin 2021. https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/impact-du-
rechauffement-climatique-sur-le-pib-pourquoi-les-statistiques-se-trompent-
884958.html
15. Le Parisien, 30 novembre 2015.
https://www.leparisien.fr/economie/business/special-cop21-un-monde-plus-
chaud-de-4-degres-sera-impossible-a-assurer-selon-le-pdg-d-axa-30-11-
2015-5326047.php
16. Novethic, 28 juillet 2021.
https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-
rse/rechauffement-climatique-un-monde-a2-c-n-est-deja-plus-assurable-
150028.html
17. Martine Valo, « “La transition écologique n’est pas amorcée en France”
: le constat sévère de l’Autorité environnementale », Le Monde, 6 mai 2022.
https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/05/06/la-transition-ecologique-
n-est-pas-amorcee-en-france-le-constat-severede-l-autorite-
environnementale_6125083_3244.html
18. Agence internationale de l’énergie, Net Zero by 2050, A Roadmap for
the Global energy Sector, 2021.
19. Ibid.
20. Emmanuel Hache, Stéphane Tchung-Ming, « Le bon scénario pour
booster les ventes de véhicules électriques », The Conversation, 19 juillet
2016. https://theconversation.com/le-bon-scenario-pourbooster-les-ventes-
de-voitures-electriques-61789
CHAPITRE 9

La course aux métaux: quelles


conséquences géopolitiques ?

Avec les perspectives envisagées de croissance de la demande en


métaux dans les prochaines décennies, les principaux pays miniers de la
planète pourraient devenir de véritables gagnants de la transition bas-
carbone mondiale. Certains, comme l’Indonésie, imaginent même se
coaliser pour affirmer leur puissance minérale, à l’image des pays
pétroliers, suite à la création de l’OPEP en 1960. De leur côté, les pays
consommateurs vont devoir initier une nouvelle diplomatie minérale à
travers le monde pour sécuriser leurs approvisionnements et ne pas être
freinés dans leur dynamique de transition bas-carbone et digitale. Autour de
ces politiques se joue ainsi une nouvelle organisation internationale fondée
sur les enjeux miniers et sur les métaux.

De possibles gagnants sur tous les continents

De prime abord, les principaux pays miniers de la planète devraient


bénéficier de la hausse marquée de la demande dans les années futures.
Parmi les principaux pays de l’OCDE, on trouve les géants miniers
australien, canadien et chilien1.
Le premier est une véritable mine à ciel ouvert. Canberra représente un
véritable eldorado pour les besoins de la transition bas-carbone. Premier
producteur mondial de lithium en 2022 (47 % du total et 24 % des
réserves), l’Australie recèle également dans son sous-sol près de 22 % des
réserves mondiales de nickel, 17 % de celles d’argent, de bauxite et de
cobalt, 11 % du cuivre et 3 % des terres rares ! Elle dispose de plus de 25
minerais ou substances d’intérêt pour la transition bas-carbone, répartis sur
plus de 350 sites. Antimoine, manganèse, or, plomb, uranium, zinc
complètent la collection du secteur minier australien, qui représente plus de
12 % du PIB et près de 50 % des recettes d’exportations du pays. Les
régions productrices d’Australie sont considérées comme les plus
attractives du monde dans les classements internationaux, et le pays
dénombre près de 900 entreprises opérant dans son secteur extractif.
L’importance des développements observés dans la zone Indo-Pacifique
actuellement fait de l’Australie une plaque tournante de la géopolitique
mondiale des métaux, mais également de la rivalité entre les ÉtatsUnis et la
Chine dans la région. Longtemps premier bénéficiaire des investissements
chinois dans le secteur extractif, Canberra s’est vu détrôné par l’Indonésie
dans les années récentes. L’Australie a subi un boycott de la part de Pékin
suite aux accusations d’ingérence chinoise dans la vie politique australienne
et à la demande d’enquête internationale sur l’origine de la COVID-19
exigée par l’Australie en 20202. En toile de fond, l’alliance AUKUS
(Australie, États-Unis et Royaume-Uni), un partenariat de défense signé en
2021 pour contrebalancer l’influence chinoise dans la région, a provoqué
une rupture provisoire des relations diplomatiques et économiques entre les
deux pays.
Le second pays minier, le Canada, est de prime abord un pays majeur
pour les matières premières énergétiques (10 % des réserves mondiales de
pétrole, 1,3 % de celles de gaz), mais également pour les métaux. Il est le
deuxième fournisseur des ÉtatsUnis après la Chine en matières premières
minérales en 2021. Il demeure un important producteur de cadmium, de
cobalt, de cuivre (2,5 % de la production mondiale), d’indium, de graphite,
de nickel, de molybdène, de niobium, d’or et de platinoïdes. Le secteur
extractif représente près de 6 % du PIB du Canada en 2021 et sa proximité
géographique et économique avec les États-Unis le met en position de force
pour alimenter la transition bas-carbone américaine.
Le troisième géant minier de l’OCDE, le Chili, est le premier
producteur international de cuivre (27 % de la production mondiale et 23 %
des réserves), le deuxième de lithium (25 % de la production et 42 % des
réserves) et possède également près de 9 % des réserves mondiales de
molybdène. Le secteur extractif représente 15 % du PIB en 2021 et plus de
60 % des recettes d’exportations. Dans le secteur du cuivre, 72 % des mines
sont opérées par des entreprises du secteur privé, notamment américaines,
et 28 % par la compagnie nationale CODELCO. Dans le secteur du lithium,
seules deux entreprises (SQM et Albemarle Chile) en produisent. Gabriel
Boric, président élu fin 2021, a fait campagne sur la création d’une
compagnie publique nationale de lithium et sur une possible nationalisation
du secteur. Ce nouveau gouvernement a mis en place un système de taxes
minières qui génère aujourd’hui des incertitudes pour les investissements
internationaux3.
Dans la région andine, plusieurs pays profiteraient de la croissance de la
demande en métaux. L’Argentine détient 10 % des réserves mondiales de
lithium en 2022 (5 % de la production mondiale), 3 % des réserves d’or et
possède aussi des réserves de molybdène. De son côté la Bolivie, même si
elle produit peu de lithium, dispose de 24 % des ressources mondiales et
produit également de l’antimoine, de l’argent, de l’étain, du tantale et du
tungstène.
Ces trois pays, considérés comme les ABC (Argentine, Bolivie, Chili)
du lithium, sont au cœur de ce qui est communément appelé le triangle du
lithium. Ils représentent 35 % de la production, plus de 46 % des réserves et
près de 60 % des ressources au niveau mondial. Deuxième producteur
mondial de cuivre (10 % du total), le Pérou possède 9 % des réserves
mondiales du métal rouge et produit du molybdène, de l’argent et de l’étain.
Enfin, le Brésil est aussi un géant minier avec une production de bauxite (8
% de la production et des réserves mondiales), de lithium (2 % de la
production mondiale), de magnésium, de manganèse, de minerai de fer (1er
producteur et détenteur mondial de réserves), de nickel, de niobium (1er
producteur mondial) et de terres rares (4e réserve mondiale). Là encore, le
secteur minier a fait l’objet de débats au cours des dernières élections
présidentielles, avec la possible mise en place d’une nouvelle taxe pour les
productions de métaux considérés d’importance mondiale ; une position
défendue par le candidat, devenu président, Lula.
En Afrique subsaharienne, le secteur minier est responsable d’environ
10 % du PIB pour plus de 15 pays et représente la majorité des recettes
d’exportations, et dans certains cas beaucoup plus (près de 75 % pour la
RDC). L’Afrique subsaharienne présente le double avantage d’être
extrêmement riche en ressources naturelles et en main-d’œuvre. Le
continent est doté d’environ 7 % des réserves mondiales de gaz et de pétrole
et de plus de 20 % des réserves d’uranium. Elle détient également
d’importantes réserves minières, dont 23 % de la bauxite mondiale en
Guinée, près de 48 % du cobalt (en RDC), 6 % des réserves de cuivre (en
RDC et en Zambie). Elle produit également de l’or (Afrique du Sud,
Burkina Faso, Ghana, Soudan) et du manganèse (60 % de la production
mondiale répartie entre l’Afrique du Sud, le Gabon, le Ghana et la Côte
d’Ivoire), un métal fondamental pour les batteries NMC (nickel,
manganèse, cobalt). L’Afrique du Sud est le premier producteur mondial de
palladium (40 % du total mondial) et de plus de 70 % du platine.
Pour les principaux pays africains, une question majeure est de savoir si
la transition bas-carbone mondiale peut devenir un catalyseur de
développement. Malgré des investissements importants (plus de 30 % des
investissements directs étrangers totaux du secteur), les recettes fiscales
tirées des activités extractives restent faibles. Elles sont surtout peu
partagées avec les populations. Elles ne contribuent que très peu au
développement des États. Certains ont réformé leurs codes miniers pour
améliorer leur pouvoir de négociation avec les compagnies internationales,
mais ils peuvent être contournés par les opérateurs privés. Dans de
nombreux cas, les pays n’ont ni les moyens financiers, ni la technologie, ni
les marchés pour dicter leur conduite aux opérateurs privés. Il est par
exemple extrêmement difficile d’avoir des informations précises sur les
contrats réalisés entre les États africains et les opérateurs chinois dans le
secteur extractif. De nombreux accords sont formulés sous la forme de
contrats de troc au sein desquels les opérateurs chinois financent des
infrastructures ou fournissent des crédits aux États en échange d’un
approvisionnement en minerais ou en métal durant plusieurs années.
On trouve également en Asie de nombreux pays qui pourraient
bénéficier du futur boom des métaux lié à la transition énergétique.
L’Indonésie est souvent considérée, et à raison, comme un géant minier
actuel et en devenir. Le secteur représente près de 5 % du PIB et le pays
possède d’importantes réserves en cobalt, en cuivre, en nickel, en or et en
étain. L’archipel est aujourd’hui le premier producteur mondial de nickel
(37 % de la production mondiale) et un producteur important de bauxite et
de cobalt. Et il souhaite profiter de cette position majeure dans les métaux
de la transition énergétique.
En octobre 2022, le ministre indonésien de l’Investissement a ainsi jeté
la première pierre d’une possible mise en place d’un cartel des producteurs
de métaux des batteries, affirmant ainsi la volonté du pays de bénéficier des
retombées financières de l’accroissement de la demande en ressources
minérales. D’autres pays d’Asie pourraient bénéficier du nouveau contexte
induit sur les marchés. La Thaïlande (terres rares), le Vietnam (antimoine,
manganèse, titane, terres rares, tungstène), la Birmanie (antimoine, terres
rares) et les Philippines (cobalt, nickel) offrent également des perspectives
intéressantes. L’Asie sera ainsi au cœur des problématiques minières du
xxie siècle.
Dans l’espace asiatique, la Chine apparaît comme incontournable.
Premier consommateur mondial de la majorité des métaux, ce pays est un
géant minier et métallurgique dans la région, et au niveau international.
Pékin dépasse, sur les années récentes, 40 % de la production mondiale
pour les métaux comme l’antimoine, le germanium, le graphite naturel, le
molybdène, le silicium, les terres rares, le tungstène et le vanadium, et entre
10 % et 20 % de la production mondiale pour d’autres (bauxite, béryllium,
cuivre, lithium, manganèse, zirconium). Son soussol est riche en ressources
naturelles et ses réserves importantes. Surtout, la Chine a construit un
appareil industriel basé sur la métallurgie, qui s’affiche aujourd’hui comme
l’un des plus puissants au niveau mondial. En effet, l’empire du Milieu
n’est pas seulement présent dans l’amont de la filière des métaux
(extraction), il est surtout le principal pays dans le secteur du raffinage.
Dans le seul segment des batteries, la Chine raffine environ 67 % du cobalt,
62 % du lithium, 60 % du manganèse et 32 % du nickel. Pour le cobalt, par
exemple, elle produit environ 1 % du minerai, mais elle participe à plus des
deux tiers du raffinage mondial ; une situation similaire est observée sur le
marché du cuivre, sur lequel elle produit 8 % du minerai mondial, mais en
raffine 41 % !
Cette emprise chinoise sur les marchés4 reflète fondamentalement la
volonté du pays de ne pas se placer sur les filières à faible valeur ajoutée
(extraction), mais sur l’aval de la filière5. Le plan Made in China 2025
initié par la Chine au milieu des années 2010 reflète la volonté de cette
dernière de se positionner sur l’ensemble des technologies bas-carbone et
d’affirmer un leadership mondial sur elles6. Et son pari est en passe d’être
une réussite, puisqu’elle maîtrise la filière du raffinage des métaux, produit
près des 2/3 des batteries de véhicules électriques et est le deuxième
constructeur mondial de véhicules électriques avec BYD.
Dans le secteur du solaire et, dans une moindre mesure, dans celui de
l’éolien, ses entreprises se classent parmi les leaders mondiaux. La
domination chinoise sur les marchés des métaux de la transition bas-
carbone constitue ainsi la pierre angulaire de son développement
économique et du renforcement de sa puissance dans la géopolitique
internationale7. Elle rappelle une citation attribuée à Deng Xiaoping : « Le
Moyen-Orient a le pétrole, la Chine a les terres rares. Les gisements de
terres rares de la Chine représentent 80 % des réserves mondiales
identifiées. On peut comparer l’état de ces réserves à celui du pétrole au
Moyen-Orient : il s’agit d’un enjeu stratégique extrêmement important ;
nous devons veiller à gérer correctement la question des terres rares et à
exploiter au maximum l’avantage de notre pays en matière de ressources en
terres rares8. » Cette phrase pourrait être globalisée à l’ensemble des
matières premières minérales. Elle a par ailleurs été reprise en 1999 par le
président chinois Jiang Zemin, lors d’un séjour à Baotou, avec une intention
similaire : « Améliorer le développement et les applications des terres rares,
et transformer l’avantage des ressources en supériorité économique9. »
Difficile enfin de ne pas évoquer le géant minier russe dans les
potentiels gagnants de la transition. L’invasion de l’Ukraine par la Russie en
février 2022 a mis en exergue la dépendance européenne au gaz russe, mais
également celle relative aux métaux. Le secteur minier représente environ 5
% du PIB et 8 % de ses exportations. Si Moscou est un acteur fondamental
pour les marchés de l’énergie (2e producteur mondial de gaz, 3e de pétrole),
elle demeure également incontournable pour de nombreux minerais et
métaux. La Russie se place, en matière d’exportations mondiales, au tout
premier rang pour de nombreux métaux. Elle représentait ainsi, en 2021, 37
% de la production mondiale de palladium, 13 % du titane, 10,5 % du
platine, 9,2 % du nickel, 5,4 % de l’aluminium, 4,4 % du cobalt et 4 % du
cuivre. Si aucune sanction n’a touché les exportations de métaux suite au
conflit en Ukraine, la guerre a fait ressurgir des craintes de pénurie pour de
nombreux secteurs (aéronautique, automobile, pharmacie, semi-
conducteurs). Dans le contexte de la transition bas-carbone mondiale, la
Russie possède ainsi un atout important, mais les conséquences
économiques (sanctions) ou géopolitiques de la guerre en Ukraine ne
devraient pas, au moins à court terme, lui permettre de bénéficier du boom
des matières premières minérales.

Les métaux, vecteurs d’une nouvelle géopolitique


internationale ?
Avec ces potentiels gagnants et la nécessité pour les principaux pays
consommateurs de sécuriser leurs approvisionnements, force est de
constater qu’il existe de nombreux ingrédients permettant une
transformation des relations internationales. Si la majorité des pays
consommateurs ont décidé de réduire leurs dépendances à l’extérieur, aucun
d’eux n’envisage une complète autarcie. Une telle politique serait irréaliste
et à contresens de l’histoire économique mondiale.
L’autonomie stratégique est aujourd’hui la politique généralement
recherchée. Elle appréhende ainsi les politiques du secteur des métaux en
accélérant la production des ressources sur le territoire national, mais
également en favorisant la coopération avec certains pays miniers dans le
futur. Pour la majorité des pays producteurs d’Afrique, d’Amérique latine et
d’Asie, la question fondamentale est de savoir si ces derniers ne vont pas
rentrer dans une nouvelle forme de malédiction des matières premières.
Observées à travers les concepts de maladie hollandaise10 (Dutch
Disease) et de malédiction des ressources, les conséquences des
spécialisations dans les matières premières des principaux pays producteurs
n’avaient pas été gage de réussite depuis les années 1970. Gestion
macroéconomique défaillante, manque de gouvernance du secteur minier et
conflits de répartition des richesses du sous-sol ont, dans de nombreux cas,
détruit tout espoir de voir les matières premières servir au développement.
La dynamique envisagée sur les marchés des métaux pourrait servir de base
à un décollage soutenable des économies extractives si différentes
conditions sont réunies.
La première consiste à ne pas reprimariser les économies des pays
producteurs de minerais ou de métaux. En effet, la tentation pourrait être
forte dans les années qui viennent de mettre en place des spécialisations
radicales dans le secteur minier en lieu et place d’autres secteurs. L’impact
des investissements chinois dans de nombreuses zones de production
mondiales est à ce titre un point majeur à observer. En effet, en devenant
une puissance globale, la Chine mélange aujourd’hui accords
diplomatiques, économiques et de sécurité avec la plupart des pays
producteurs. Les prêts financiers octroyés par Pékin sont si importants
qu’ils orientent en partie les politiques économiques de certains pays et les
spécialisations productives. Dès lors, le risque pour ces économies est de se
laisser enfermer à nouveau dans le secteur des matières premières en proie à
une forte volatilité des prix.
La deuxième condition résulte du positionnement envisagé par les pays
producteurs dans la chaîne de valeur des métaux. Aujourd’hui, excepté en
Chine et dans une moindre mesure en Indonésie et au Chili, les pays se
positionnent le plus souvent dans le secteur extractif ou la minéralurgie, et
très peu dans l’aval de la chaîne de valeur (raffinage) et la production de
biens intermédiaires, source d’une valeur ajoutée plus importante. Dès lors,
envisager un réel développement passera forcément par des investissements
massifs dans la métallurgie, mais également dans la production de biens
manufacturés.
La troisième condition est de ne pas subir totalement les évolutions
technologiques. Avec les hausses de prix observées actuellement sur
certains métaux, on enregistre déjà des substitutions partielles entre cobalt
et nickel dans le secteur des batteries et, de manière plus générale, de
nouveaux modèles de batteries sont développés. Or, les pays producteurs de
métaux ne maîtrisent ni le rythme de déploiement ni la majorité des
innovations bas-carbone. Dans ce contexte, il existe un risque réel d’actifs
miniers échoués11 dans le secteur. Il est donc nécessaire de réfléchir à un
cadre global incluant les questions minières, les questions technologiques et
les financements internationaux.
La constitution d’une organisation internationale des minerais et des
métaux pourrait intégrer l’ensemble de ces enjeux. On observe déjà un
certain volontarisme de la part de l’AIE, de la Banque mondiale ou de
l’Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA) à travers la
publication de rapports sur les besoins en métaux. L’AIE a annoncé en mai
2023 la tenue d’une première conférence internationale réunissant pays
consommateurs, pays producteurs, industriels et acteurs de la société civile
en septembre 2023. Son directeur exécutif, Fatih Birol, l’a exprimé ainsi : «
En tant qu’autorité mondiale en matière d’énergie, l’AIE assume la
responsabilité principale d’un approvisionnement sûr et durable en minerais
essentiels. Il est essentiel de gérer efficacement ces ressources pour que les
objectifs en matière d’énergie et de climat se traduisent par des actions
concrètes et des projets d’énergie propre sur le terrain12. » Cette initiative
est peut-être un premier pas visant à la création d’une agence dédiée. Mais
la concurrence institutionnelle à laquelle pourraient se livrer ces trois
institutions dans le futur n’est pas un gage de réussite.
La première est rattachée à l’OCDE et a longtemps été vue comme un
club des principaux consommateurs de pétrole après sa création en 1974
suite au premier choc pétrolier. La seconde a certes beaucoup évolué depuis
sa création en 1944, mais elle reste critiquée par les États et les
organisations non gouvernementales ; et la troisième n’a qu’une dizaine
d’années d’existence. Fonder une agence internationale sur les minerais et
les métaux ouvrirait un espace de dialogue entre pays producteurs et
consommateurs. Elle permettrait également d’imposer des critères de
gouvernance sociale et environnementale dans les principales zones de
production. Elle pourrait se réaliser sous l’égide de l’ONU ou du G20
auxquels s’adjoindraient des pays comme le Chili, le Pérou et certains pays
miniers africains (République démocratique du Congo, Zambie, etc.).
Le financement d’une telle institution est une question fondamentale
dans le contexte actuel. Son budget pourrait être en partie alimenté par une
taxe sur le commerce international de métaux. En effet, avec les besoins
grandissants en ressources minérales pour alimenter les technologies bas-
carbone, les échanges devraient enregistrer une hausse marquée garantissant
le fonctionnement de l’institution. Toutefois, dans le contexte géopolitique
actuel, la création d’une telle agence semble irréaliste tant les divergences,
notamment entre la Chine et les États-Unis, sont profondes. Un premier pas
vers une ère de coopération pourrait se réaliser en liant de manière
institutionnelle les problématiques minières aux négociations climatiques
internationales. Mais, là encore, les difficiles avancées des différentes COP
depuis la COP21 ne sont pas un gage de réussite.
Un autre scénario, malheureusement plus en phase avec les évolutions
observées actuellement, mènerait plutôt à une complexification des
relations internationales fondées sur des rivalités entre les différents blocs
de puissances (occidentaux, émergents). Dans ce contexte, c’est toute la
question des coalitions qui pourrait se poser. Comme observé en 1967, avec
le Conseil intergouvernemental des pays exportateurs de cuivre (CIPEC), et
en 1974, avec l’Association internationale de la bauxite (IBA), la tentation
des pays producteurs de métaux à s’organiser est bien réelle. Elle pourrait
permettre de gérer la volatilité des prix et assurer une rente minière et
métallurgique.
Pour les pays du triangle du lithium, la question s’est posée depuis le
milieu des années 2010. Toutefois, un cartel est difficilement envisageable
aujourd’hui sans le premier producteur mondial australien. En outre, les
politiques de production et de gestion des Investissements directs étrangers
(IDE) sont très hétérogènes entre l’Argentine, la Bolivie et le Chili. Le
premier a mis en place un cadre très attractif pour les IDE et souhaite le
développement des compagnies privées. Le second veut se positionner en
tant que producteur de batteries et de véhicules électriques, alors que sa
production de lithium est actuellement très faible. Il propose déjà à la vente
depuis 2019 un petit véhicule électrique (Quantum) avec une faible
autonomie (80 km) et à un prix plus ou moins abordable (7 000 euros), un
modèle vendu à moins de 400 exemplaires aujourd’hui13. Ses tentatives de
négociation avec des industriels étrangers pour assurer des transferts de
technologies dans le domaine de l’extraction du lithium dans les salars
n’ont pour l’instant pas abouti. Elle a finalement signé un contrat d’1
milliard de dollars, assurant l’extraction à un consortium chinois composé
de plusieurs entreprises : CATL14, BRUNP15 et CMOC16, en partenariat
avec l’entreprise nationale de production de lithium17 (Yacimientos de Litio
Bolivianos [YLB]).
Au Chili, les politiques sont toutes aussi incertaines. L’annonce en avril
2023 par le président Gabriel Boric de la création d’une société nationale du
lithium au Chili est de ce point de vue fondamentale. Lors d’une allocution
télévisée, ce dernier a déclaré : « C’est la meilleure chance que nous ayons
de passer à une économie durable et développée. Nous ne pouvons pas nous
permettre de la gâcher18. » Son objectif est de créer un partenariat public-
privé avec les deux principales compagnies opérant sur le sol chilien (SQM
et Albemarle) avec, in fine, un contrôle majoritaire de l’État. Le président
chilien ne souhaite pas attendre la fin des concessions minières des acteurs
privés (entre 2030 et 2043) pour lancer son opération et financer ainsi les
grands chantiers sociaux et environnementaux qu’il souhaite réaliser.
Certains acteurs industriels comme Albermarle ont d’ores et déjà annoncé
qu’ils continueraient à investir au Chili. La compagnie privée chilienne
SQM et son actionnaire chinois devront aussi s’accommoder de ce nouvel
environnement des affaires.
Cette initiative inquiète de manière globale les compagnies minières
internationales. Elle pourrait rendre moins attractifs les investissements et
fragiliser l’équilibre des marchés. Pour certains acteurs, cette annonce est le
signe d’une volonté d’affirmation du pouvoir de marchés des États miniers
dans le cadre de la transition énergétique. Elle rappelle notamment le
mouvement observé dans les années 1960-1970, dans le secteur pétrolier,
avec la vague de nationalisation observée chez certains pays producteurs.
Elle s’ajoute, en outre, à une autre déclaration de l’Indonésie en novembre
202219. En effet, Jakarta a proposé à cette époque, par l’intermédiaire de
son ministre de l’Investissement Bahlil Lahadalia auprès du Financial
Times20, de coaliser l’ensemble des intérêts des producteurs de métaux
entrant dans la composition des batteries.
Ce contexte invite à la réflexion, car la création de cartels dans le
secteur des métaux pourrait redistribuer les cartes au niveau international.
Toutefois, certains obstacles demeurent. En effet, sauf à imaginer une
nationalisation de l’ensemble des actifs miniers internationaux, la formation
d’un cartel global reste peu envisageable. De nombreuses compagnies
minières étrangères opèrent dans les principaux pays miniers des pays
émergents (Argentine, Chili, Indonésie, Philippines, etc.) et sont de
véritables catalyseurs d’investissements internationaux. Nationaliser les
actifs miniers serait ainsi porteur d’une fragilisation de l’attractivité globale
des pays. En outre, les grands pays miniers comme l’Australie ou le Canada
ne prendront pas part à ce type d’organisation des marchés. Enfin, la
réaction chinoise serait déterminante sur de tels projets, en raison de sa
position dominante dans le raffinage des métaux, mais également en tant
que premier investisseur dans la majorité des pays producteurs. Pékin
pourrait, a contrario, chercher de son côté à coaliser avec elle l’ensemble
des pays producteurs de métaux dans une logique de rivalité systémique
avec les États-Unis.
Aujourd’hui, la rivalité sino-américaine s’observe sur l’ensemble des
segments industriels liés aux technologies bas-carbone, de la recherche et
développement, à la production de brevets et d’équipements. Les deux
hégémons mondiaux sont, malgré leurs puissances minières et
métallurgiques, encore dépendants des approvisionnements extérieurs. Sur
l’ensemble des secteurs stratégiques (défense, énergie, numérique), Pékin
est dépendant de l’étranger pour ses importations de minerais et pour
certains métaux, et ce sont plus de 60 substances minérales qui sont
importées à plus de 25 % par les États-Unis. Sur de nombreux marchés
(platine, palladium, rhodium, etc.), la dépendance est commune entre les
deux pays, ce qui laisse augurer une forte concurrence entre eux sur les
terrains miniers à l’avenir. Mais la Chine est aussi en position de force, car
elle est le premier fournisseur des États-Unis pour près de 25 métaux. Ainsi,
la rivalité sino-américaine risque de se structurer autour des questions liées
aux métaux.
Derrière les effets d’annonces, les messages portés par les différents
pays producteurs démontrent la nécessité de gérer la volatilité des prix des
métaux et d’offrir une meilleure rémunération des producteurs. Ils ne sont
donc pas contradictoires avec un modèle coopératif basé sur la création
d’une agence internationale sur les minerais et les métaux. Ces initiatives
démontrent surtout la nécessité d’introduire des mécanismes de
coordination des acteurs pour stabiliser les prix et les investissements. Ces
mécanismes permettraient de rendre plus lisibles les conséquences minières
de la transition bas-carbone pour l’ensemble des pays. En définitive, c’est
l’ensemble de la géopolitique mondiale qui sera impactée par les
perspectives minières et métalliques de la transition. Les décennies à venir
devraient être le symbole d’un nouvel âge de compétition sur les métaux et
d’un renforcement de la diplomatie minérale. Une nouvelle géopolitique
pour un nouveau siècle des métaux !

1. Le cas particulier des États-Unis sera étudié dans un chapitre de cet


ouvrage.
2. Grégory Plesse, « Le coronavirus fait flamber les tensions entre la Chine
et l’Australie ». https://www.lefigaro.fr/international/le-corona-virus-fait-
flamber-les-tensions-entre-la-chine-et-l-australie-20200504
3. Ce point sera développé plus loin dans ce chapitre.
4. Nous verrons plus en détail les politiques menées par la Chine dans le
secteur des métaux et leurs conséquences stratégiques dans le chapitre 12.
5. Tanguy Bonnet, Carl Grekou, Emmanuel Hache, Valérie Mignon, «
Métaux stratégiques : la clairvoyance chinoise », La lettre du CEPII, 2022.
http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/lettre/ abstract.asp?NoDoc=13403
6. Emmanuel Hache, « La Chine, nouveau laboratoire écologique mondial ?
», Revue Internationale et Stratégique, no 113, 2019, p. 133-143.
https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strate-gique-2019-1-page-
133.htm?ref=doi
7. Emmanuel Hache, « Chine: de la pétro-diplomatie à la diplomatie verte
». Revue Internationale et Stratégique, no 115, 2019, p. 127-137.
https://www.cairn.info/revue-internationaleet-strategique2019-3-page-
127.htm
8. Cette phrase aurait été prononcée par Deng Xiaoping en 1992 lors d’un
séjour en Mongolie intérieure. Elle n’est toutefois pas référencée
aujourd’hui dans les archives chinoises.
9. Wayne M. Morrison, Rachel Tang, « China’s Rare Earth Industry and
Export Regime : Economic and Trade Implications for the United States »,
2012. https://sgp.fas.org/crs/row/R42510.pdf
10. Le concept de la maladie hollandaise est apparu en 1977 dans un article
de The Economist pour évoquer les évolutions défavorables observées pour
l’économie des Pays-Bas suite à la découverte de champs gaziers en 1959.
Dans un contexte de prix élevés de l’énergie dans les années 1970, les Pays-
Bas ont paradoxalement enregistré de mauvaises performances macro-
économiques (inflation et chômage élevés, désindustrialisation…) par
rapport à d’autres pays européens.
11. Les actifs échoués sont les investissements ou les actifs qui risquent de
ne pas être rentabilisés et qui vont subir une dépréciation radicale en raison
de facteurs légaux, environnementaux ou technologiques.
12. AIE (2023) : First ever IEA Critical Minerals and Clean Energy Summit
to take place on 28 September. https://www.iea.org/news/first-ever-iea-
critical-minerals-and-clean-energy-summit-to-takeplace-on-28-september?
utm_source=SendGrid&utm_medium=Email&utm_campaign=IEA+newsle
tters
13. Riccardo Ciriaco, « L’histoire de la voiture électrique à 3600 mètres
d’altitude », InsideEVs, 15 mai 2023.
https://insideevs.fr/news/667270/quantum-bolivie-electrique-altitude-
docteur/
14. CATL est une entreprise technologique chinoise spécialisée dans la
production de batteries. https://www.catl.com/en/about/profile/
15. BRUNP est une filiale du groupe chinois CATL spécialisée dans le
recyclage des batteries. https://en.brunp.com.cn/intro/2.html
16. CMOC est une entreprise chinoise du secteur extractif et métallurgique.
Elle est l’un des leaders mondiaux de la production de tungstène, de cobalt
et de molybdène.
17. Joseph Bouchard, « In Bolivia, China Signs Deal For World’s Largest
Lithium Reserves », The Diplomat, 10 février 2023.
https://thediplomat.com/2023/02/in-bolivia-china-signs-deal-forworlds-
largest-lithium-reserves/
18. Alexander Villegas and Ernest Scheyder, « Chile plans to nationalize its
vast lithium industry », 21 avril 2023,
https://www.reuters.com/markets/commodities/chiles-boric-announces-
plan-nationalizelithium-industry-2023-04-21/
19. Emmanuel Hache, Valérie Mignon, Pauline Bucciarelli, « Métaux
stratégiques : et si les pays producteurs se regroupaient en cartel de type
OPEP ? », The Conversation France, 23 novembre 2022.
https://theconversation.com/metaux-strategiques-et-si-les-paysproducteurs-
se-regroupaient-en-cartel-du-type-opep-194749
20. Indonesia considers Opec-style cartel for battery metals.
https://www.ft.com/content/0990f663-19ae-4744-828f-1bd659697468
CHAPITRE 10

Les conséquences
environnementales
de la production de métaux

Quelles images vous viennent en tête lorsqu’on vous parle de mines ?


Demandez autour de vous et on vous répondra sûrement charbon, mineur de
fond, visage noir, surexploitation, extraction, révolution industrielle et
pourquoi pas Pierre Bachelet et sa chanson de 1984 sur Les Corons.
Fouillez encore un peu dans votre mémoire et des romans comme Germinal
d’Émile Zola feront renaître l’imaginaire de la mine : les conditions de
travail difficiles, les luttes syndicales, les dangers des exploitations
minières, la désindustrialisation en France, mais aussi la solidarité et la vie
en communauté. Rares sont les citoyens français et européens qui
associeront aujourd’hui la mine à l’emploi, la croissance ou à une
quelconque perspective d’avenir. Pour de nombreuses personnes, la mine et
l’ensemble des activités métallurgiques représentent le passé. Rappelons-
nous la fierté (légitime) de la France lorsque le Bassin minier du Nord-Pas
de Calais a été classé en 2012 comme patrimoine mondial de l’Unesco1.
Comme la baguette, désormais patrimoine immatériel de l’Unesco, la mine
est devenue un patrimoine. Elle fait désormais partie de l’histoire et de la
mémoire ouvrière. Politiques et citoyens sont capables de défendre
baguettes et boulangeries, mais rares sont ceux qui seraient prêts à
manifester pour le maintien d’une activité minière ou pour sa réouverture.
Les boulangeries constituent le socle et le symbole d’une activité
économique dans certains villages ; la mine renvoie, elle, une image
ancienne : un passé industriel d’une France d’ouvriers en cours de
disparition depuis les années 1980. Elle véhicule également une image
négative auprès de nombreux Français et Européens : exploitation des
enfants dans certains pays du monde, notamment en Afrique, travail à
mains nues, mines artisanales dangereuses, surconsommation d’eau et
pollutions diverses. La mine fait peur ! Et comme l’a très bien popularisé
Guillaume Pitron dans son ouvrage La guerre des métaux rares2, la mine
représente désormais plutôt un ensemble d’impacts négatifs sur
l’environnement « délocalisés » délibérément par de nombreux pays
occidentaux à différents points éloignés du globe plutôt qu’une réelle
perspective d’activité économique.

La face cachée de nos consommations

Derrière chaque objet consommé, il y a pourtant quelque part dans le


monde des matières premières ayant été extraites dans des mines. Les
ressources minérales ont subi de nombreuses transformations et ont été
transportées à divers endroits du monde. Et même si nous ne nous en
rendons pas compte, la différence entre le poids des objets de notre
quotidien et la quantité de matières nécessaire à leur production est
extrêmement importante. Un téléphone portable de dernière génération pèse
aujourd’hui environ 200 g mais, pour le fabriquer, il a été nécessaire
d’extraire dans le soussol entre 70 kg et 200 kg de minerais et de métaux.
Un téléviseur de 11 kg ? 2,5 tonnes de matières. Un réfrigérateur de 56 kg ?
1,75 tonne de matières. Une cuisine équipée d’un ménage français de 550
kg ? 11 tonnes de matières3. Ces matières premières ont en majorité été
extraites dans le sol ou le sous-sol de pays en Afrique, en Asie ou en
Amérique latine. Elles ont été transformées et ont généralement parcouru
plusieurs milliers de kilomètres pour rentrer dans des chaînes de production.
L’industrie peut ainsi s’enorgueillir de produire plus petit et plus
performant, mais l’empreinte matière de nos consommations ne cesse
d’augmenter, car elles ne cessent de croître. Ainsi, derrière chaque
technologie se cache bien plus que la technologie elle-même, et derrière les
technologies numériques et bas-carbone se cache une véritable histoire
d’amour entre minerais, métaux, énergie et eau.
Entre les métaux et l’énergie, c’est une véritable relation symbiotique
qui s’est créée, il y a de très nombreuses années dans l’histoire. Et
aujourd’hui, le secteur des minéraux et des métaux (en y incluant la
production de ciment et de béton) consomme près de 15 % de l’énergie
mondiale et est à la source de près de 15 % des émissions de GES. La
production d’aluminium et d’acier4, qui sont essentiels pour l’ensemble des
technologies bas-carbone, représente environ 90 % de la consommation
d’énergie de l’ensemble du secteur minier et 90 % de ses émissions de CO2.
Et cette relation ne risque pas de disparaître à court terme. En effet, comme
c’est le cas dans de nombreuses industries, l’homme a commencé par
extraire les gisements les plus simples, les moins profonds et les moins
coûteux. Les entreprises minières ont donc cherché les gisements les plus
concentrés en métaux, les plus faciles à récupérer technologiquement et
économiquement. Or, aujourd’hui, la concentration des gisements en
métaux est bien plus faible qu’au début du xxe siècle.
Les gisements de cuivre ont, par exemple, des taux de concentration
compris entre 0,3 % et 2 %5. Cela veut dire simplement qu’avec une
extraction d’une tonne de minerai de cuivre, il va être possible de récupérer
seulement entre 3 kg et 20 kg de cuivre selon les mines ! Au Chili, le
premier producteur mondial, la teneur moyenne est de 0,64 %, soit 6,4 kg
par tonne de minerai extrait. Pour le nickel, le taux de concentration varie
de 1 % à 3 % (1 kg à 3 kg par tonne de minerai) et pour le cobalt, la
fourchette est comprise entre 0,5 % et 2,5 %. De ces quelques chiffres
apparaît une première conclusion simple : plus nous avançons dans le
temps, plus il faut extraire de minerais pour avoir la même quantité de
métaux.
Et ces extractions sont gourmandes en énergie. Plus nous creuserons le
sous-sol sans changer radicalement notre manière d’exploiter les mines,
plus les impacts énergétiques et environnementaux seront importants.
Même si des procédés technologiques révolutionnaires pouvaient permettre
d’augmenter les taux de récupération des métaux dans les minerais,
l’industrie extractive devrait enregistrer une hausse massive de ces coûts
dans les années à venir en raison de la hausse des besoins en énergie et pour
la maîtrise des impacts environnementaux.
La deuxième conclusion paraît encore plus évidente : si on récupère
uniquement entre 3 kg et 20 kg de métaux de cuivre pour une tonne extraite
de minerais, que fait-on du reste ? Ce sont des déchets miniers. Ils sont
constitués de boues, de poussières, de stériles6 et de résidus. Dans de
nombreux cas, les entreprises vont récupérer d’autres métaux en faible
quantité dans cet ensemble pour les valoriser économiquement. Mais ils
vont aussi et surtout être utilisés pour faire des remblais, sont stockés et
entassés à la surface ou servent à boucher des galeries souterraines. Quand
ils sont entreposés à la surface, ils peuvent modifier les paysages et vont
subir les altérations du temps. Le ruissellement des eaux de pluie peut, par
exemple, contaminer l’environnement avec les résidus de métaux contenus
dans les déchets. Au-delà de ces derniers, c’est l’ensemble des activités
minières qui va générer de fortes pressions et de fortes contraintes sur
l’environnement et sur les populations vivant à proximité des mines et des
installations minières.
L’empreinte environnementale et sociale des activités minières n’est pas
uniforme. Elle va étroitement dépendre de nombreux facteurs spécifiques et
il est difficile de généraliser. Le type de mine (mine à ciel ouvert, mine
souterraine), les caractéristiques économiques des exploitants (entreprises
multinationales, nationales ou mines artisanales), la taille de la mine et sa
localisation géographique (pays développés ou émergents) sont
fondamentaux à prendre en compte.
À ces facteurs, il est nécessaire d’ajouter la variété de minerais extraits,
la politique des entreprises minières en matière d’environnement,
l’existence de réglementations environnementales poussées dans les pays
miniers et la capacité du système judiciaire à interférer en cas de conflits
entre les parties prenantes. Tous les impacts vont également dépendre des
conditions initiales observées sur les sites : nombre d’habitants et densité de
population, disponibilité en eau, existence d’une faune végétale ou animale.
Il n’existe donc pas de mesures ou d’appréciation générales des pressions
minières sur l’environnement. Ces pressions doivent ainsi être analysées
d’un point de vue local et au regard de l’ensemble des acteurs intervenants
dans l’exploitation. Elles sont donc spécifiques à chacun des sites.
Il est également important de noter que les impacts miniers ne se
limitent pas uniquement aux seules phases d’extraction des minerais. Il
existe une activité importante avant l’exploitation elle-même, consistant à
mettre en place l’ensemble des installations et des infrastructures
nécessaires à l’extraction, et un « après », avec les différentes phases de
démantèlement et de remise en état des sites. Avant l’activité d’extraction,
la mise en place des conditions d’exploitation nécessite toujours une
artificialisation des sols. Dans certains cas, il est nécessaire de déforester, de
construire des puits, des galeries souterraines et de porter atteinte
directement à l’écosystème naturel. Ce remplacement des espaces naturels
par des espaces artificialisés n’est pas propre à l’activité minière mais elle
tend à devenir très importante pour ce secteur, car la taille des mines a
tendance à augmenter au fil du temps.
Pour acheminer le matériel et les hommes, il va falloir construire des
routes, des ponts, des lignes électriques et tout un ensemble d’ouvrages
permettant le transport ou l’évacuation. On peut minimiser les impacts sur
l’environnement en construisant des voies de chemin de fer, mais même
cette solution se révèle impactante en raison de l’empreinte au sol des
installations ferroviaires. Les mines nécessitent également des logements
pour les ouvriers, parfois des banques, des écoles, des hôpitaux et des
restaurants. Certaines mines mobilisent plusieurs milliers d’ouvriers.
Dans la plus grande mine de cuivre du monde (El Teniente) située dans
la cordillère des Andes au Chili, ils sont près de 4 000. Ils ont creusé,
depuis la création de la mine en 1906, près de 4 500 kilomètres de galeries
et de tunnels. En comparaison, la longueur nord-sud du Chili ne représente
que 4 200 kilomètres ! Les mines peuvent ainsi devenir de véritables villes
avec l’ensemble des problèmes qui y sont associés : multiplication des
déchets de toute sorte, augmentation des pollutions et hausse des violences
entre personnes.
Surtout, il est nécessaire de fournir aux ouvrages miniers de l’énergie et
sous différentes formes : électricité pour permettre l’exploitation et le
traitement des minerais ; produits pétroliers pour les engins (camions,
chargeurs, etc.) permettant leur évacuation. Dans de nombreux cas, la
fourniture électrique est réalisée en utilisant des énergies fossiles (charbon,
fuel, etc.). Transports et fourniture d’électricité engendrent ainsi des
pollutions diverses dont le niveau est largement dépendant des engagements
environnementaux des entreprises minières et des moyens de production
électriques des gouvernements locaux.
Combien dénombre-t-on de mines au niveau mondial ? Difficile à
évaluer, tant à côté des exploitations industrielles peuvent exister des mines
artisanales dans de nombreux pays. Les difficultés d’estimation viennent
également du fait que les ouvertures ou les fermetures des mines sont, dans
le cas des mines artisanales ou de certaines mines officielles, non
répertoriées. Aucun chiffre précis n’est donc disponible, mais certains
travaux7 ont recensé, en utilisant des images satellites, plus de 34 000
ouvrages miniers à travers le monde, dont les impacts vont s’étendre sur
plusieurs kilomètres carrés. Les mines vont ainsi affecter de manière
durable les paysages et les écosystèmes et diminuent la valeur patrimoniale
et culturelle des régions concernées.
Pendant l’exploitation minière, les pollutions peuvent aussi être
importantes. Ainsi, lorsque les minerais sont traités, les résidus terminent
généralement leur vie dans des bassins appelés bassins de décantation. Et la
gestion de ces derniers est soumise à de nombreuses controverses.
Lors d’épisodes de pluies intenses, les débordements peuvent amener à
la libération d’une partie des résidus non traités, ce qui peut affecter à la
fois les sols environnants et infiltrer les sous-sols en dégradant la
biodiversité. Les dégradations sont le plus souvent invisibles et leurs
conséquences sur l’environnement faiblement analysées dans de nombreux
pays, peu soumis à des normes environnementales sévères. Elles peuvent se
transformer en véritables catastrophes écologiques et humaines.
En 2019, la rupture du bassin de décantation de Brumadinho8 au Brésil
a ainsi provoqué la mort de près de 270 personnes ; une dizaine est encore
portée disparue. L’ouvrage appartenant à l’entreprise minière Vale a
occasionné une importante coulée de boue qui a tout enseveli sur son
passage. Cette catastrophe n’est pas la première au Brésil.
En 2015, l’effondrement d’un barrage de décantation de résidus d’une
mine de fer a provoqué une coulée de boue sur près de 500 km, engendrant
le décès de 16 personnes et contaminant l’ensemble de la biodiversité
locale. Ces incidents ne sont toutefois pas l’apanage des pays émergents
puisque de telles catastrophes ont existé et existent encore sur une période
récente dans les pays développés.
En 2014, au Canada, la rupture du barrage de résidus dans la mine d’or
et de cuivre du mont Poley9 en Colombie-Britannique a provoqué
l’inondation du lac Poley et une modification importante des écosystèmes
en raison des nombreux débris acheminés. Si aucune pollution chimique n’a
finalement été détectée, l’entreprise minière a dû réaliser de nombreux
travaux d’assainissement du site.
Et ce type d’accident existe également en Europe, avec, par exemple, la
rupture du barrage de résidus de la mine de Prestavel en 198510 en Italie.
Depuis le début du xxe siècle, c’est par ordre décroissant en Amérique du
Nord, en Europe et en Amérique du Sud que l’on a dénombré le plus grand
nombre de cas de ruptures de bassins de résidus miniers. Le centre de
gravité des accidents tend désormais à se déplacer en Asie et, de manière
générale, dans les pays émergents moins contraints par les réglementations
environnementales.
Un rapport de l’Institut national de l’environnement industriel et des
risques11 (INERIS), datant de 2021, a répertorié près de 130 cas de ruptures
de bassins au cours du xxe siècle provoquant le décès de 2 800 personnes.
Plus de 50 cas de ruptures sont recensés depuis le début du xxie siècle.
Rapporté aux 20 000 bassins de résidus miniers existant à travers le monde,
le nombre de cas de ruptures apparaît statistiquement faible et tend à
diminuer avec le temps, mais les conséquences sur l’environnement sont,
elles, de plus en plus importantes. Les accidents répertoriés comme graves
ou très graves ont ainsi tendance à augmenter depuis les années 1980.

Pollutions de l’air et de l’eau

D’autres pollutions, visibles ou invisibles, ponctuent l’ensemble des


activités minières et au premier rang desquelles les impacts des
exploitations sur la qualité de l’air. De l’exploration des gisements à la
fermeture des installations, le cycle de vie d’une mine va générer
d’importantes émissions affectant la qualité de l’air avec la présence de
poussières et de particules emplies de métaux lourds. La combustion des
carburants nécessaires aux équipements de transports, de chargement et de
forage engendre également des pollutions. Et ces dernières affectent
l’environnement et la santé humaine si elles ne sont pas suffisamment
maîtrisées. Le bruit des différents engins de transport va causer la migration
des espèces animales environnantes et l’usage d’explosifs en renforce les
conséquences. Les vibrations causées par les équipements lourds
nécessaires à l’exploitation affectent les sols, les habitats naturels et
l’ensemble des habitations.
Dans son ouvrage Extractivisme12 paru en 2016, Anna Bednik souligne
les impacts de l’exploitation du lithium dans les salars sud-américains sur
les ressources aquifères par le dilemme suivant : lithium ou pommes de
terre13 ? L’auteure montre les pressions exercées par les exploitations
minières fortement consommatrices d’eau et les conséquences sur les
communautés locales qui peuvent se voir priver de cet élément essentiel
pour l’agriculture ou l’élevage, et pour l’ensemble de leurs activités
quotidiennes.
Les besoins en eau de l’industrie minière sont nombreux : l’extraction et
le lavage des roches dans les mines, le refroidissement des équipements
nécessaires à l’extraction, le contrôle des poussières, mais également les
sanitaires des ouvriers et la gestion des risques d’incendie. Toutes ces
opérations engendrent une hausse des prélèvements dans les nappes
phréatiques. L’assèchement des rivières, en raison d’une utilisation
intensive des ressources et leurs pollutions, conduit généralement à une
réduction drastique des espèces dans le milieu aquatique. Nombreuses sont
ainsi obligées de migrer. Il en est de même pour la pollution progressive des
sols qui force au déplacement des populations.
Dans le secteur du cuivre, certaines études14 mettent en exergue les
questions de disponibilité future des ressources en eau dans les zones de
production. Entre 30 % et 50 % de la production mondiale de cuivre, de
lithium ou de cobalt est déjà située dans des zones de production à forte
pression hydrique. Ce problème risque d’aggraver les risques de disruption
de production et de disponibilité des métaux, tout en accentuant la
problématique du stress hydrique dans les régions concernées. Celui-ci est
observé actuellement et les perspectives de réchauffement climatique dans
ces régions sont d’ores et déjà à l’origine de nombreux conflits entre les
différents acteurs. Des conflits d’usages sont, à l’heure actuelle, identifiés
entre les grandes entreprises minières pour se partager les ressources en
eau. Dans certaines régions du monde, comme en Amérique latine, les
producteurs de lithium sont ainsi en concurrence avec les producteurs de
cuivre et les États, comme le Chili, ont déjà établi des quotas d’eau annuels
à ne pas dépasser pour les entreprises, ce qui peut limiter leur production de
métaux15.
La majorité des conflits et des résistances ont lieu entre les entreprises
minières et les populations locales. Ces conflits ouverts sont
particulièrement nombreux en Amérique latine (Chili, Mexique, Pérou) et
en Afrique (Afrique du Sud, République démocratique du Congo, Tanzanie,
Zambie, etc.). La résistance des populations locales s’organise autour de
nombreuses thématiques. Certaines souhaitent la reconnaissance d’un statut
spécifique des territoires au sein desquels elles vivent et pointent
généralement la menace des industries extractives sur l’environnement
(pollutions, prélèvement en eau), sur l’organisation des communautés ou
sur leurs croyances. Elles tentent ainsi de démontrer la menace représentée
par l’industrie minière sur leur mode de vie et sur la dégradation de leur
territoire. Les communautés mettent souvent en exergue le manque de
transparence des industriels et leur manque de communication quant aux
impacts environnementaux de leurs activités. Certaines parties prenantes
locales (communes, associations, citoyens par exemple) sont en demande de
discussion et de participation pour améliorer la gestion des activités sur les
territoires, mais elles restent peu entendues.
Dès lors, la résistance aux industries extractives tend à s’organiser et
elle utilise différents moyens d’action : blocages de routes, de sites,
manifestations qui peuvent se révéler violentes ou des actions symboliques
et visibles pour créer un nouveau rapport de force. L’objectif de ces
manifestations est le plus souvent de mettre en lumière les conflits locaux
afin d’obtenir une résonance nationale sur ces problématiques. La
criminalisation des actes perpétrés lors de ces événements est aussi sujette à
débat au sein des communautés, qui considèrent que l’État représente
beaucoup plus les intérêts économiques des compagnies minières que les
droits des populations locales. Le nombre de conflits et de résistances
locales tend à augmenter depuis la fin des années 1990. Et le contexte de
croissance des besoins en métaux pour la transition écologique devrait en
accentuer le nombre, si aucune attention n’est portée à ces problématiques
de la part des industries minières et des États.
Les conflits liés à l’extraction constituent l’un des enjeux majeurs à
observer dans le futur. Dans de nombreux cas également, les populations
mettent en exergue les rapports asymétriques avec l’industrie pour le
partage des bénéfices des extractions minières. Souvent, les populations
locales ne sont pas les premières récipiendaires des bénéfices économiques
engendrés par la production minière, mais sont, a contrario, les premières à
supporter les impacts négatifs et la détérioration de leur environnement.
Le secteur minier peut certes générer des opportunités de
développement local avec la construction d’infrastructures essentielles
comme des écoles, des hôpitaux, des routes. Et dans de nombreux cas, les
projets sont même désormais assortis d’une politique obligatoire d’emplois
pour les populations locales. Toutefois, ces propositions ne rencontrent pas
forcément l’assentiment des communautés dans leur volonté de
préservation de leur milieu naturel. Les multiples pollutions de l’air, de
l’eau et des sols peuvent affecter de manière durable la santé des habitants
des régions concernées. Les populations subissent ainsi de profonds
bouleversements dans leur vie quotidienne. L’accaparement par l’industrie
minière de terres ancestrales, la dislocation des communautés
traditionnelles en raison des conflits fonciers sont autant de conséquences
durables sur le patrimoine environnemental et humain des régions
concernées.
Il n’est pas besoin d’aller en Afrique, en Amérique latine ou en Asie
pour trouver des sources de conflictualité liées aux exploitations minières.
En France, par exemple, un rapport public datant de 201816, publié par le
BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), estimait qu’il
existe 41 sites potentiels de ressources en lithium en France. Parmi ces
derniers, on trouve le site de Beauvoir dans l’Allier et celui de Tréguennec
dans le Finistère.
À Tréguennec, les potentielles ressources sont situées dans une zone
classée Natura 200017 et Ramsar18, et le débat sur une éventuelle
exploitation du lithium a ressurgi début 2022, provoquant un mouvement de
résistance au niveau local. Les citoyens restent aujourd’hui mobilisés sous
la bannière « Lithium à Tréguennec ? Non merci19 ! » Le site recèle un
caractère exceptionnel en matière de biodiversité. La baie d’Audierne est
une zone de migration exceptionnelle pour des milliers d’oiseaux.
Comment peut-on imaginer développer l’extraction de lithium sur ce site ?
Rappelons qu’à environ 40 km de Tréguennec, la ville de Plogoff avait été
choisie à la fin des années 1970 par EDF pour y construire une centrale
nucléaire, un projet qui n’a pas abouti en raison des résistances locales. Le
site de Beauvoir dans l’Allier est d’une autre nature, puisqu’il existe déjà
une activité extractive. Toutefois, des questions subsistent et concernent
l’importance des impacts environnementaux et l’évaluation de la
consommation en eau des futures activités extractives. Ainsi, la
problématique d’acceptabilité constituera dans les pays du Nord, comme
dans les pays du Sud, le principal défi des industries minières au xxie siècle.
En réponse à ces impacts, ces dernières s’engagent généralement à
minimiser les pollutions et proposent des politiques de réhabilitation des
milieux naturels. Certains grands pays producteurs de minerais et de
métaux, comme le Chili ou la Chine, ont commencé à durcir leur législation
environnementale et prennent conscience de la dégradation des écosystèmes
et de son coût à long terme. Pour les pays occidentaux, dont les
gouvernements militent aujourd’hui pour la réouverture des mines sur leur
sol national, la question des impacts environnementaux et sociaux doit
constituer le cœur de leur politique. Promouvoir une mine durable et
respectueuse de l’homme et de l’environnement est essentiel pour rentrer
dans le nouvel âge minier du xxie siècle. L’intégration des normes IRMA
(Initiative for Responsible Mining Assurance) pour les prochaines
exploitations minières est essentielle. Elle doit permettre de prendre en
compte l’ensemble des impacts sur les populations autochtones, sur les
mineurs et sur l’environnement.
Toutefois, casser les principales résistances ne passera pas uniquement
par la mise en place d’une norme de mine responsable. Les projets miniers
doivent aujourd’hui se construire dans la plus grande transparence, en
communiquant sur les enjeux et les impacts de l’exploitation du sous-sol.
L’industrie doit mettre en évidence sa capacité à minimiser l’ensemble des
atteintes possibles sur l’environnement et sur les hommes : limiter le bruit,
les poussières, les pollutions diverses ; recycler l’eau et utiliser des moyens
de transport moins impactant. De son côté, l’État doit prendre en compte
l’ensemble des spécificités locales pour ne pas sacrifier des zones classées
riches en biodiversité, comme à Tréguennec en Bretagne. Pour l’ensemble
des acteurs, c’est une véritable révolution des esprits qu’il faut accomplir.
Réinventer notre passé industriel avec de nouveaux étendards : évaluation
des impacts, gestion des risques, concertation avec les parties prenantes
locales et réappropriation d’une culture de l’eau (et de son utilisation).
Derrière la réouverture des mines en France se cache également une
évidente problématique sociale. La question d’une nouvelle forme de
délocalisation des impacts environnementaux de riches métropoles
françaises – où se concentrent aujourd’hui la majorité des achats de
véhicules électriques – vers d’autres régions plus pauvres, industrielles ou
rurales, se pose aujourd’hui. Pour les uns, l’électrification du transport et les
zones à faibles émissions, pour les autres les impacts, même minimisés, de
la réouverture des mines. Les crises des Bonnets rouges et des Gilets jaunes
constituent de véritables signaux faibles qu’il est facile de transposer sur le
sujet minier et qu’il sera nécessaire de prendre en compte, pour ne pas
creuser le fossé déjà existant entre une France urbaine et une nouvelle
France, en passe de redevenir minière.

1. https://www.culture.gouv.fr/Regions/DRAC-Hauts-de-
France/Actualites/Le-Bassin-minier-inscrit-au-patrimoine-mondial
2. Guillaume Pitron, La Guerre des métaux rares. La face cachée de la
transition énergétique et numérique, Les Liens qui libèrent, 2018.
3. https://presse.ademe.fr/wp-content/uploads/2018/09/DP-
Facecache%CC%81e-des-biens-de%CC%81quipement-Septembre-
2018.pdf
4. France Stratégie, « Comment évaluer l’externalité carbone des métaux ?
», note d’analyse no 96, 2020.
https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-
2020-na96-externalite-carbone-metaux-octobre.pdf
5. À l’issue des premières étapes de transformations (broyage, lavage et
flottation), le minerai aura une concentration comprise entre 30 % et 35 %.
6. Les stériles miniers sont constitués de roches ou minerais qui ne peuvent
être valorisés économiquement.
7. Victor Maus, Stefan Giljum, Dieison M. da Silva, Jakob Gutschlhofer,
Robson P. da Rosa, Sebastian Luckeneder, Sidnei L. B. Gass, Mirko Lieber,
Ian McCallum, « An update on global mining land use », Nature, no 9,
2022. https://doi.org/10.1038/s41597-022-01547-4
8. Le Monde, 6 novembre 2019.
https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/11/06/au-bresil-la-rupture-du-
barrage-de-brumadinhoaurait-pu-etre-evitee_6018181_3244.html
9. Annick Forest, « Désastre de la mine du mont Polley : encore beaucoup à
faire », Radio Canada, 24 novembre 2014.
https://ici.radiocanada.ca/nouvelle/695247/rapport-etape-mont-polley
10. Le Monde, 26 juillet 1985.
https://www.lemonde.fr/archives/article/1985/07/26/quatre-mandats-d-arret-
ont-ete-delivres-apres-lacatastrophe-de-tesero_2738287_1819218.html
11. INERIS, « Ruptures de barrages de résidus miniers : retour d’expérience
et évaluation du phénomène », 2021.
https://www.ineris.fr/sites/ineris.fr/files/contribution/Documents/Ineris-
178736-1971292rapport%20digues%20g%C3%A9otechnique%20v2.pdf
12. Anna Bednik, Extractivisme. Exploitation industrielle de la nature :
logiques, conséquences, résistances, Éditions Le Passager Clandestin, 2016.
13. Ibid., p. 139.
14. « Increasing Water Risks in Metals and Mining », Fitch Rating, Special
Report, 8 juillet 2020.
15. Emmanuel Hache, Charlène Barnet, Gondia-Sokhna Seck, « Les
pressions sur l’eau, face ignorée de la transition énergétique », art. cit.
16. « Ressources métropolitaines en lithium et analyse du potentiel par
méthodes de prédictivité », Rapport du BRGM, 2018. https://infoterre.
brgm.fr/rapports/RP-68321-FR.pdf
17. Les sites classés Natura 2000 sont désignés pour protéger les habitats et
les espèces représentatifs de la biodiversité européenne.
https://www.natura2000.fr/
18. Laconvention de Ramsarestuntraitédeprotectiondel’environnement
signé en 1971. Il est relatif aux zones humides d’importance internationale
et sert de cadre à l’utilisation des zones humides et de leurs ressources.
https://ramsar.org/fr/a-propos-de-la-convention-sur-les-zones-humides
19. Carole Collinet-Appéré, « Finistère. À Tréguennec, un gisement de
lithium sur une zone protégée du littoral cristallise les inquiétudes »,
France3 Bretagne, 21 février 2022. https://france3-
regions.francetvinfo.fr/bretagne/finistere/quimper/finistere-a-treguennec-
un-gisementde-lithium-sur-une-zone-protegee-du-littoral-cristallise-les-
inquietudes-2469595.html
CHAPITRE 11

Quelles politiques publiques


pour diminuer la demande
et la dépendance extérieure
aux métaux ?

La dépendance extérieure aux métaux est-elle une fatalité pour les pays
occidentaux et pour la France en particulier ? Comment réduire cette
dépendance ?
Depuis les années 1970, les questions de souveraineté et
d’indépendance ont surtout été traitées dans le secteur de l’énergie. Le
premier et le deuxième choc pétrolier ont permis de développer tout un
ensemble de politiques afin de réduire partiellement notre dépendance aux
pays producteurs d’hydrocarbures. Programme électronucléaire, économie
d’énergie, diversification géographique des fournisseurs de pétrole et de gaz
ont, par exemple, constitué le cœur de la politique française depuis 1973.
Pourtant, comme l’a montré l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la
résilience des économies européennes et de la France au choc énergétique a
été mise à mal sur la période récente. En parallèle du choc énergétique et
géopolitique de février 2022, le monde s’est rendu compte de la place
prépondérante de la Russie sur de nombreux marchés de métaux en tant que
producteur ou exportateur majeur. Palladium, titane, platine, nickel ou
aluminium… Tous ces ingrédients, nécessaires à la bonne marche des
économies, ont vu leurs marchés largement affectés par la guerre. Des
lignes de production dans le secteur de l’automobile ont été suspendues en
raison de la pénurie de certains composants, et le secteur de l’aéronautique
mondial s’interroge désormais sur la meilleure manière de gérer ses
approvisionnements en titane. Face à la croissance des besoins en métaux
pour les technologies bas-carbone et la digitalisation des économies, il est
possible d’agir sur deux grands types de leviers. Le premier concerne le
développement d’une production de minerais et de métaux sur le territoire
national. Le second, qui sera développé ici, cherche à limiter la
consommation de métaux et doit être considéré comme un axe majeur des
politiques publiques pour les années à venir.

Le recyclage, stratégie essentielle mais insuffisante

À la différence du pétrole, du gaz et du charbon, les métaux possèdent


une qualité remarquable : ils sont recyclables et ils conservent leurs qualités
une fois recyclés. Ce formidable atout doit tout de même être relativisé. En
effet, les taux restent aujourd’hui relativement faibles et sont très disparates
selon les matières premières. Les métaux non ferreux traditionnels
(aluminium, cuivre, nickel) enregistrent des taux de recyclage proches de
50 % au niveau mondial. Ceux comme le lithium ou les éléments de terres
rares ont des taux largement inférieurs ou proches de 1 %. L’un des
principaux chantiers des politiques industrielles nécessite ainsi de mettre
l’accent sur ces politiques et sur l’organisation des filières. Pour ce faire, il
est nécessaire de trouver les différents gisements de matières premières à
traiter. Ces derniers se situent dans les usines métallurgiques, dans les
entreprises de fabrication de produits manufacturés et dans les produits en
fin de vie.
Les politiques de recyclage constituent un levier important pour
améliorer la sécurisation des besoins et la souveraineté industrielle dans le
domaine minéral. En effet, si tous les pays n’ont pas forcément un sous-sol
riche en ressources minérales, ils ont dans leur grande majorité des
gisements de biens de consommation ou d’équipements pouvant connaître
une seconde vie. En outre, utiliser des matières recyclées en lieu et place de
nouveaux métaux issus d’un processus extractif contribue également à
améliorer le bilan environnemental.
Si l’on compare l’énergie nécessaire au processus d’extraction, de
concentration et de transformation des minerais en métaux, à l’énergie
nécessaire pour recycler un métal, les gains sont très importants et très
favorables au second. Les économies ne sont pas uniformes et dépendent
des matières premières considérées, mais la dépense énergétique sera
diminuée de manière importante entre le recyclage d’un métal et sa
production issue d’une mine. Une batterie de véhicule électrique produite à
base d’éléments recyclés permettrait ainsi d’éviter près de 35 % de la
consommation d’énergie et près de 40 % des émissions de GES. Il en est de
même pour la consommation d’eau, qui est fortement réduite dans le cas
des métaux recyclés, par rapport à un processus de production minier
classique. Le recyclage constitue ainsi un bouclier intéressant dans un
contexte de raréfaction de l’énergie et de l’eau.
S’inscrire dans ce type de politique permet de s’affranchir, au moins
partiellement, des possibles hausses de prix sur ces deux ressources
essentielles. Et plus les activités seront localisées près des entreprises de
fabrication d’équipements et des gisements potentiels de produits à recycler,
plus les gains seront importants en raison d’une diminution des coûts de
transport. Ainsi, cette activité ne doit pas être pensée uniquement comme
une branche industrielle isolée, mais dans un écosystème reconstruit autour
des filières industrielles de production d’équipements (technologies bas-
carbone, secteur automobile, biens de consommation durables, etc.). La
logique du circuit court doit ainsi être privilégiée. Quel serait ainsi l’intérêt
de localiser une activité de recyclage en France si les métaux devaient
repartir en Chine pour être intégrés dans des technologies bas-carbone
comme des batteries ?
Avec une forte augmentation de la demande dans les années à venir,
certains marchés (cobalt, cuivre, lithium) pourraient enregistrer, comme
nous l’avons vu, une forte hausse des prix. Accélérer les investissements
dans le secteur du recyclage pourrait permettre une amélioration de la
sécurité d’approvisionnement de ces pays en minimisant les coûts des
importations.
Les conséquences macroéconomiques de l’installation des unités
industrielles de recyclage dans un pays sont nombreuses. Ces
investissements sont ainsi susceptibles de réduire le déficit de la balance
commerciale et constituent une source d’emplois. Et plus la logique de
circuit industriel court sera envisagée, plus ces emplois seront non
délocalisables. Ils peuvent également apparaître comme une réponse
possible et complémentaire à la problématique de réouverture des projets
miniers sur le sol national. En effet, réaliser des investissements dans le
sous-sol aujourd’hui comporte de nombreux risques et de fortes incertitudes
: la mobilisation des financements, la gestion des compétences pour le
forage et l’exploitation et la gestion des problématiques d’acceptabilité.
Dans de nombreuses régions, l’installation de parcs éoliens suscite
rejets et contestations, ce qui a tendance à nuire à l’attractivité des
territoires et à l’allongement des procédures pour obtenir les permis
d’activités. Il en est de même pour l’ensemble des investissements dans le
sous-sol, que cela soit pour l’ouverture d’une mine ou pour la géothermie.
Comme nous l’avons souligné au chapitre précédent, les résistances
s’organisent face aux possibles impacts environnementaux (pollution des
sols et de l’air, gestion des déchets miniers, contamination des nappes
phréatiques, destruction des paysages, etc.). Et les industriels doivent, et
c’est bien normal, investir massivement dans des procédés d’extraction plus
respectueux de l’environnement et donc plus coûteux. La gestion des
problématiques d’acceptabilité a donc tendance à allonger le temps
d’ouverture des mines et peut retarder l’exploitation. Installer des unités de
recyclage paraît moins susceptible de susciter de tels rejets de la part de la
population et pourrait constituer une première pierre dans la
réindustrialisation des économies des pays occidentaux et notamment de la
France.
En définitive, le recyclage apparaît comme une solution très pertinente
dans la situation actuelle et présente de nombreux avantages. Il permet
d’initier une dynamique de réindustrialisation des territoires. Rappelons que
la part de l’industrie dans le PIB est passée de 18 % à 15 % entre 2000 et
2021 en Europe, et de 14 % à 9 % en France ! Sur ce critère, la France se
situe aujourd’hui au même niveau que la Grèce et très loin de l’Allemagne
(19 %). Il permet également de répondre, au moins partiellement, à la
sécurisation des approvisionnements en métaux et participe à une réduction
des coûts pour les industriels, surtout si une logique de filière en circuit
court est entreprise. De manière globale, il contribue à l’amélioration du
bilan environnemental de la production de métaux. Indépendance, emplois
et risques environnementaux maîtrisés font de ces politiques une pièce
maîtresse des solutions à envisager. Reste toutefois à lever les nombreuses
incertitudes liées à la mise en place des filières.
La première incertitude est d’ordre économique. La collecte des déchets
a un coût important, et ce dernier augmente en fonction de l’éparpillement
géographique des centres de collecte. Il est ainsi nécessaire d’optimiser la
localisation des unités industrielles. À ce problème s’ajoute celui de la
compétitivité des filières dans l’environnement technologique actuel.
L’exemple des batteries de véhicules électriques est de ce point de vue très
illustratif. En France, par exemple, le marché des véhicules électriques a
fortement progressé et représente aujourd’hui près de 13 % des ventes de
véhicules. Toutefois, les gisements de batteries sont encore, à ce jour, très
faibles et ne préjugent en aucun cas des volumes qui seront présents sur le
marché à partir de 2035, date à laquelle débutera l’interdiction de vente de
véhicules thermiques neufs. Le risque d’investissements dans des unités
avec des capacités trop importantes pour les volumes actuels à recycler,
mais trop faibles pour les besoins estimés en 2035, est très sérieux. C’est
tout le modèle de la filière qu’il est nécessaire d’inventer avec l’ensemble
des incertitudes liées à la transition énergétique. Quel rythme de pénétration
des véhicules électriques dans les années à venir ? Quels types de batteries ?
Il nécessite de la part de la puissance publique de subventionner en partie
les filières pour que ces dernières soient à la hauteur des besoins dans la
décennie 2030. La transition bas-carbone appelle ainsi à une forte
implication des États. Cela nécessite une stabilité réglementaire pour
minimiser les risques pour les industriels.
La question économique liée à l’ensemble de ces incertitudes se
retrouve également dans les temps d’immobilisation des métaux dans les
infrastructures. Le cuivre est, là aussi, un très bon exemple des potentielles
difficultés du secteur. Aujourd’hui, si le taux de recyclage du cuivre se situe
autour de 50 % au niveau mondial, les différences sectorielles sont
importantes. Il monte à près de 60 % dans le secteur des infrastructures ou
dans l’industrie, mais descend à environ 30 % dans le secteur des biens de
consommation. Or, le temps d’immobilisation du cuivre dans les
infrastructures dépasse généralement plusieurs décennies, quand celui
contenu dans les biens de consommation a un temps d’immobilisation plus
court (les biens de consommation ont des durées de vie inférieures à 10
ans). De son côté, le recyclage des biens de consommation est celui qui
apparaît aujourd’hui comme le plus difficile à réaliser en raison de
l’éparpillement des consommateurs, mais aussi de notre difficulté à
l’intégrer pleinement dans notre quotidien.
La deuxième incertitude est ainsi d’ordre comportemental. Qui
aujourd’hui n’a pas d’anciens téléphones portables, ordinateurs et autres
objets du quotidien dans ses placards et ses tiroirs ? Moins d’un téléphone
sur 5 connaît une seconde vie en France1, et nos maisons et appartements
sont remplis d’équipements métalliques. Nous dormons sans le savoir dans
de véritables mines urbaines et la transition bascarbone va nécessiter une
modification en profondeur de nos comportements. Difficile toutefois de
jeter l’opprobre sur les consommateurs. L’incitation au recyclage dépend
inexorablement de l’information qui leur est donnée. Qui s’intéresse
réellement à la question des matériaux et au contenu métallique des objets
de consommation ? Qui sait combien de métaux contiennent ces mêmes
objets ?
L’invisibilité de nos consommations ne nous permet pas de nous rendre
compte de l’importance de cette question. Il n’existe pas, à ce jour, de relais
d’information sur le contenu en matériaux de nos objets et le grand public
n’est malheureusement ni formé ni informé sur ces questions stratégiques2.
Dans de nombreux ministères, cette question est apparue comme réellement
stratégique depuis seulement quelques mois, excepté dans ceux de la
défense et des armées. Il n’existe pas encore de procédure d’appel d’offres
publique incluant les questions relatives aux métaux stratégiques ou
critiques. La nomination3 d’un délégué interministériel sur ces questions
début 2023 va dans le bon sens pour initier les bonnes pratiques
ministérielles et pour mettre en place une large campagne de
communication sur ces questions.
La troisième incertitude en lien avec le recyclage est d’ordre technique.
En effet, la tendance actuelle dans le monde économique va à la
complexification des objets et au mélange de différentes substances dans les
produits. Comme l’a très bien montré Philippe Bihouix dans ses nombreux
ouvrages et notamment dans L’âge des Low-Tech4, la complexité des objets
rend le recyclage moins fonctionnel et moins économique, quand elle peut
même dans certains cas le rendre impossible. Les technologies renferment
généralement des métaux en petites quantités, dispersés et mélangés les uns
aux autres et souvent encastrés dans des substances contenant du verre et du
plastique. Leur complexité rend les procédés de séparation très difficiles et
donc très coûteux.
Ainsi, le préalable à toute politique passe obligatoirement par une
réflexion sur l’éco-conception des objets. L’objet doit ainsi être pensé et
produit avec la finalité ultime d’être recyclé dans les meilleures conditions
possibles et à moindre coût. Sans éco-conception, il n’y a pas
d’optimisation possible et de modèle économique rentable. Nombreux sont
les acteurs des secteurs industriels (automobile notamment) à avoir intégré
cette nouvelle donne et cette logique dans leur réflexion technique, mais
elle est loin d’être généralisée. De fait, le monde économique moderne vit
dans l’ère du renouvellement perpétuel des biens de consommation.
Légiférer sur le bannissement du jetable et lutter contre l’obsolescence
programmée constituent des préalables à toute politique publique liée à la
question des métaux.
De manière plus globale, il sera nécessaire d’interroger l’environnement
technique dans lequel nous vivons pour aller vers ce que Philippe Bihouix,
là encore, appelle le techno-discernement. La technologie doit répondre à
des besoins et uniquement constituer un moyen et non une fin en soi. Quel
intérêt de produire des biens de consommation dont les performances sont
très largement supérieures aux usages du quotidien ? La crise climatique et
les limites imposées par notre système environnemental doivent nous
inviter à interroger nos rapports à la technologie, à la performance et à la
vitesse. Elle doit nous réinscrire dans les limites planétaires de notre monde.

Tout changer dans notre rapport à la mobilité

L’électrification des transports est un objectif majeur des politiques de


décarbonation et le secteur des transports est un important consommateur
de métaux. De ce fait, les politiques publiques visant à transformer la
mobilité sont essentielles. En France, le secteur des transports est le premier
secteur d’émission de GES et représente 31 % des émissions globales, dont
la moitié est imputable à la seule voiture. Le véhicule est l’un des
principaux vecteurs des émissions de particules fines néfastes à
l’environnement et à la santé. Plus de 8 ménages sur 10 possèdent un
véhicule, et plus de 3 sur 10 en possèdent plusieurs5. Cette tendance est en
augmentation depuis les années 1990. Derrière ces chiffres se cache une
dépendance marquée à la voiture pour un grand nombre de citoyens.
C’est pourquoi la majeure partie des politiques actuelles sont favorables
à la substitution des véhicules thermiques par des véhicules électriques.
Malgré les fake news circulant sur les réseaux sociaux, les véhicules
électriques ont, dans tous les cas, un impact moindre sur l’environnement
qu’un véhicule thermique. Toutes les études sérieuses6 sur le sujet et
incluant l’ensemble du cycle de vie du véhicule (de la fabrication, à la
phase de roulage et jusqu’à sa fin de vie) montrent que les émissions de
GES sont divisées par 3 avec un véhicule électrique, comparativement à un
véhicule thermique. Toutefois, de même qu’il n’existe pas d’énergie propre,
il n’existe pas non plus de véhicules propres. Les véhicules électriques
consomment en moyenne près de 200 kg de métaux qualifiés de critiques.
Mais, là encore, les pouvoirs publics ont les moyens de réduire les impacts.
La majeure partie de ces derniers est située à la fabrication des batteries du
véhicule électrique.
Comment réduire les impacts ? En réduisant la puissance des batteries et
le poids des véhicules. Une magnifique infographie réalisée par Aurélien
Bigo, un chercheur spécialisé sur la transition écologique des mobilités,
montre qu’avec une même batterie de 100 kWh, il est possible d’équiper un
seul pickup, 2 voitures citadines, ou 16 quadricycles ou minivoitures, ou
près de 250 vélos à assistance électrique7. Comme dans la mobilité
classique, il y a donc la possibilité de promouvoir des options plus durables
et moins consommatrices de métaux dans les politiques d’électrification des
transports.
Légiférer sur la puissance des batteries et sur le poids des véhicules
constitue une politique incontournable pour minimiser les impacts sur
l’environnement. Là aussi, il est nécessaire d’inciter à l’écoconception des
véhicules et à leur recyclabilité. Plus les véhicules seront légers et
recyclables, et moins ils impacteront la demande en métaux. Toutefois, la
puissance publique ne peut à elle seule impacter de manière durable le
rapport du citoyen à la mobilité. C’est tout un travail sur les représentations
autour de la voiture qu’il faut mener. La voiture véhicule des images de
liberté, d’émancipation et, surtout, elle fait l’objet d’un fort mimétisme dans
la population. Certains envient le SUV électrique de leur voisin comme ils
enviaient la Mercedes ou la BMW dans les années 1990. Le problème avec
le véhicule électrique, outre son impact en matière de demandes en métaux,
est qu’il ne change rien à notre rapport à la mobilité. Il nécessite lui aussi
des routes, des places de parking et ne modifie en rien le rapport entre
l’homme et la ville. Il provoque, à l’image de son équivalent thermique, des
comportements déplacés et délictueux et ne permet pas de réduire
l’accidentologie. Le défi est donc bien plus large que la seule législation.
Il existe tout un ensemble de mesures permettant de diminuer la
dépendance à l’automobile et indirectement impacter la consommation de
métaux dans les transports. À l’échelle la plus large, il est nécessaire
d’organiser des politiques de mobilité soutenable. L’accent doit ainsi être
porté à l’investissement massif dans les transports collectifs. Tramways,
métros, trains, bus, cars et autocars doivent être privilégiés dans les zones à
forte densité de population, mais aussi dans les zones rurales. L’enjeu
fondamental de ce type de politique est de ne pas accentuer une forme de «
pauvreté de mobilité » comme il existe une pauvreté énergétique.
Des études8 montrent que la mise en place d’une mobilité durable
permettrait d’économiser un volume important de métaux. Ces politiques
nécessitent un volet important d’investissements dans les infrastructures de
transport public, dès aujourd’hui. Les conséquences d’une telle politique
sont nombreuses et bien plus larges que la seule consommation de métaux :
diminution des pollutions et amélioration de la santé, désenclavement de
certaines localités et amélioration du pouvoir d’achat. Un service de
transport collectif dense permet d’envisager un changement réel dans la
mobilité quotidienne. Cela doit s’accompagner d’une remise en cause des
politiques de développement urbain. L’étalement urbain est particulièrement
coûteux pour l’implantation des transports collectifs, car il a pour
conséquence une multiplication des dessertes et une hausse importante des
coûts. La mobilité durable invite à repenser globalement ces politiques.
Enfin, au concept de mobilité durable, il est nécessaire de rattacher une
révolution des comportements des usagers. Aujourd’hui, le taux de
remplissage moyen des véhicules est particulièrement faible ; un véhicule
est susceptible de rester sur sa place de parking plus de 90 % de son temps.
Il est nécessaire de généraliser les solutions de transport groupé,
d’autopartage ou de locations de véhicules. L’ensemble de ces actions ne
doit pas faire oublier que les pouvoirs publics, les villes et les entreprises
ont la responsabilité de favoriser la mobilité douce (marche à pied, vélo,
etc.). Cette dernière est un vrai rempart pour diminuer la consommation de
métaux, pour lutter contre les questions d’obésité et constitue un vrai
bouclier face à la hausse des prix de l’énergie. Les entreprises peuvent
inciter leurs salariés et les accompagner vers la mobilité douce en
développant les politiques d’achats de vélo et, de manière plus globale, en
réduisant le temps de transport hebdomadaire en accroissant le télétravail.
Avec le recyclage et la mobilité soutenable, les politiques publiques
offrent de réelles options pour diminuer la consommation de métaux et
réduire ainsi la dépendance des acteurs. Elles doivent toutefois être
accompagnées d’une révolution des modes de production, favorisant l’éco-
conception des produits, l’information des consommateurs et l’adaptation
des besoins technologiques aux usages réels. Il est nécessaire de repenser
nos besoins, et l’ensemble des politiques favorisant la sobriété doit être mis
en place. Si la guerre en Ukraine a permis de mettre sur le devant de la
scène la notion de sobriété énergétique, une sobriété globale de nos sociétés
est désormais nécessaire. Sobriété en métaux, en eau, constituent un
nouveau pilier important des politiques de lutte contre le réchauffement
climatique. Rendre désirable la sobriété est sûrement l’un des plus grands
défis des politiques des États dans les années à venir.

1. https://www.geo.fr/environnement/recyclage-des-smartphones-en-
progres-mais-peut-mieux-faire-208611
2. Emmanuel Hache, Charlène Barnet, Gondia-Sokhna Seck, « Sobriété : à
quand un Yuka pour comparer les matériaux dans nos produits ? », 17
décembre 2020. https://theconversation.com/ sobriete-a-quand-un-yuka-
pour-comparer-les-materiaux-dans-nosproduits-151775
3. https://acteurspublics.fr/nomination/aurelien-gay-devient-
delegueinterministeriel-adjoint-aux-metaux-strategiques
4. Philippe Bihouix, L’ âge des low tech. Vers une civilisation
techniquement soutenable, Éditions du Seuil, coll. « Anthropocène », 2014.
5. INSEE. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277714?sommaire=
4318291
6. Stéphane Amant, Clément Mallet, Nicolas Meunier, Juliette Sorret,
Marion Subtil, « Les idées reçues sur la voiture électrique », Carbone 4, 22
février 2022. https://www.carbone4.com/analyse-faq-voiture-electrique
7. https://twitter.com/AurelienBigo/status/1588111478422380544
8. Emmanuel Hache, Charlène Barnet, Gondia-Sokhna Seck, « Le cuivre
dans la transition énergétique : un métal essentiel, structurel et géopolitique
! », art. cité.
CHAPITRE 12

Quelles stratégies
pour les États-Unis et la Chine ?

Les deux premières puissances mondiales, ÉtatsUnis et Chine, donnent


un bon exemple des politiques de sécurisation en minerais et en métaux à
mettre en place dans le contexte mondial de transition énergétique1. Ces
politiques témoignent de l’importance stratégique de ces ressources dans la
compétition économique actuelle et future.
Les États-Unis ont élaboré, depuis 2017, un véritable tournant dans leur
stratégie d’approvisionnement en métaux. L’arrivée de Donald Trump à la
MaisonBlanche a permis de porter ce sujet à un niveau élevé des priorités
nationales. Derrière les métaux, c’est aussi la question de la dépendance à la
Chine qui est en jeu pour les États-Unis. La Chine poursuit, pour sa part,
une politique de domination sans précédent dans le secteur du raffinage des
métaux, et possède une industrie métallurgique avec de nombreux fleurons
internationaux. Pékin cherche depuis près de 20 ans à « métalliser » sa
diplomatie dans les régions riches en métaux, au détriment des autres
acteurs internationaux, notamment l’Europe. Les métaux risquent ainsi de
renforcer la rivalité systémique entre les principales zones mondiales, mais
surtout entre les deux premiers hégémons mondiaux.

Les métaux critiques comme priorité nationale aux États-Unis

S’il est un pays dont l’histoire est associée à l’industrie minière et à


l’extraction des matières premières du sous-sol, ce sont bien les États-Unis.
Ruée vers l’or en Californie au milieu du xixe siècle, exploitation de
l’argent dans le Nevada, découverte du pétrole en août 1859 en
Pennsylvanie : l’exploitation du soussol a marqué le développement du
pays. Il a été, en partie, à la base de la construction de sa puissance au
niveau mondial et a permis de longues périodes d’expansion et de
domination de son économie depuis le xixe siècle.
Les États-Unis restent toujours aujourd’hui un grand pays minier2. Leur
sous-sol regorge d’une cinquantaine de minerais et métaux majeurs pour
l’industrie permettant de leur assurer en partie leurs besoins pour la
transition énergétique et digitale. Washington reste un champion mondial
pour le cuivre, le zinc, l’or, le molybdène et le palladium. Et les États-Unis
n’ont pas uniquement conservé une activité importante dans l’extraction
minière (près de 300 sites en 2020), ils ont également une activité
métallurgique de transformation sur leur territoire. Certes, rapportées au
PIB, ces deux activités (extraction et métallurgie) n’en représentent que 1
%, mais les minerais et métaux sont consommés dans des secteurs qui eux
contribuent à plus de 15 % du PIB américain. Les activités minières restent
essentielles pour la base industrielle et sont à la source de nombreux
emplois.
La résilience des activités minières s’explique par le cadre juridique mis
en place au cours du xviiie siècle. En France, le propriétaire du sol n’est pas
le propriétaire du sous-sol et c’est l’État seul qui peut décider d’exploiter
les ressources minières. Aux États-Unis, celui qui possède le sol possède
également le sous-sol, ce qui incite les acteurs à retirer directement les
bénéfices d’une exploitation de ce dernier. Ce cadre juridique est
accompagné d’un cadre économique et fiscal particulièrement intéressant
puisque certains États (Alaska, Arizona, Nevada, Idaho3) sont aujourd’hui
considérés comme les plus attractifs dans le domaine minier mondial, juste
après certaines régions d’Australie. Le classement Fraser des
investissements miniers mondiaux en témoigne, car il met certains États
américains en tête de son palmarès.
Ce cadre global favorable aux activités minières s’accompagne d’un
dynamisme entrepreneurial. Aujourd’hui, Washington possède encore
quelques champions internationaux dans le secteur des métaux. De grandes
compagnies internationales comme Albermale dans le secteur du lithium,
FreeportMcMoran, deuxième producteur mondial de cuivre et opérant
également dans les secteurs de l’argent, de l’or et du molybdène, ou Alcoa
(aluminium) sont des entreprises leaders sur leurs marchés. Le dynamisme
actuel du secteur minier et métallurgique n’est toutefois pas comparable à
celui existant à la fin des années 1980. Le nombre de mines, tout comme le
nombre d’entreprises du secteur métallurgique, a été divisé par deux et
l’emploi dans le secteur a baissé de plus de 20 % depuis les années 1990.
Toutefois, les ÉtatsUnis conservent encore aujourd’hui une forte culture
minière et une base industrielle conséquente.
À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, Washington s’était établi en
tant que leader dans l’extraction de minerais et dans la production de
métaux. L’environnement géopolitique issu de la guerre froide l’avait obligé
à maintenir un important appareil industriel basé sur la métallurgie pour
sécuriser la fourniture de minerais et métaux critiques pour le secteur de la
défense. En parallèle, les administrations successives avaient constitué des
stocks stratégiques pour différents métaux et essayaient de préserver des
capacités de production nationale sur le territoire. Les années 1990 ont
constitué une première rupture dans cet ensemble avec la présidence de Bill
Clinton (1993-2001). Durant cette période, la chute de l’URSS a eu pour
conséquence une dépolitisation de la politique minière des États-Unis.
L’objectif de sécurisation des besoins en métaux a été progressivement
remplacé par un objectif plus global de croissance de l’économie nationale
sur de nouveaux secteurs comme les nouvelles technologies de
l’information et de la communication (NTIC).
Dans cette phase montante de la mondialisation et de l’hyperpuissance
américaine, l’approvisionnement en métaux ne s’établissait plus en fonction
d’une logique politique d’autonomie stratégique, mais plutôt à travers une
logique économique d’approvisionnement à flux tendus et à moindre coût
sur les marchés mondiaux. Dans ce contexte, ils ont commencé à se séparer
de leurs stocks stratégiques qui ont fortement diminué durant toute la
décennie 1990. La présidence républicaine de George W. Bush n’a pas
marqué de rupture dans la politique minérale du pays.
L’intégration de la Chine à l’OMC en 2001 a favorisé les délocalisations
des industries occidentales métallurgiques en Asie et a amplifié une
nouvelle donne économique mondiale : rechercher métaux et biens de
consommation sur les marchés internationaux en minimisant les coûts.
La crise des terres rares durant le premier mandat de Barack Obama a
provoqué une première alerte pour les pays industrialisés et plus
particulièrement pour Washington: les métaux pouvaient redevenir
stratégiques et pouvaient constituer une arme géopolitique ! De fait, suite à
l’embargo décrété par la Chine, les États-Unis ont commencé à réfléchir à
différents moyens d’actions sous l’égide du département à l’Énergie (DOE),
sans toutefois que le sujet devienne une priorité présidentielle.
Des premiers travaux en 2010 et 2011, centrés sur les métaux
nécessaires aux technologies bas-carbone (cobalt, lithium, terres rares), ont
ainsi vu le jour. Ils soutenaient l’importance de la sécurisation des chaînes
de production des métaux et envisageaient diverses options de politique
industrielle. Parmi elles, on trouve notamment le lancement de nouveaux
programmes de substitution des métaux stratégiques dans les applications
industrielles et de nouveaux crédits de recherche accordés à l’amélioration
des procédés de recyclage des métaux. Des collaborations internationales
dans le développement de programmes de recherche et développement (R
& D) étaient également envisagées avec l’Australie, le Canada, le Japon et
l’UE.
La véritable rupture sur les questions de sécurisation des
approvisionnements en métaux est toutefois survenue en 2016 avec
l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Sans que les politiques à
mettre en place connaissent de véritables révolutions ou d’innovations
majeures, la personnalisation du sujet des métaux par la voix de son
président a contribué à changer radicalement la donne. Moins d’un an après
son arrivée à la Maison-Blanche, D. Trump signe un premier décret
présidentiel4 dont l’objectif est de réduire la dépendance des États-Unis aux
métaux critiques. Ce dernier parle de « vulnérabilité stratégique pour la
sécurité et la prospérité de l’ensemble de l’économie » et le sujet des
métaux critiques devient une priorité pour l’administration. Il invite le
secrétaire au commerce, en coordination avec les secteurs de la défense, de
l’intérieur, de l’énergie et de l’agriculture, à produire une liste des
matériaux stratégiques pour l’économie nationale et les principales options
à envisager. Un premier document est publié en 20195, mettant en exergue
35 matériaux, et mis à jour en février 2022 avec 50 matériaux considérés
comme critiques.
Cette publication sera suivie par un nouveau décret présidentiel6 le 30
septembre 2020. Le titre de ce dernier est particulièrement évocateur : «
Lutter contre la menace que fait peser sur la chaîne d’approvisionnement
nationale la dépendance à l’égard des minéraux essentiels provenant
d’adversaires étrangers et soutenir les industries minières et de
transformation nationales ». Il démontre de manière simple le caractère
insoutenable de la dépendance à l’extérieur pour ses approvisionnements en
métaux et pointe le rôle de la Chine et ses pratiques commerciales et
industrielles comme préoccupantes pour la vitalité et la prospérité à moyen
terme du pays. Le décret présidentiel en vient même à déclarer l’état
d’urgence sur ces questions. La Chine devient, d’un point de vue général
sur les questions commerciales, mais également sur les métaux critiques, la
cible de toutes les attentions pour l’administration américaine.
L’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche en janvier 2021
approfondira la politique menée par Donald Trump sur ces questions, tout
en prenant le contre-pied de l’administration Trump sur le climat. Quelques
heures après sa prise de fonction, le nouveau président décide la
réintégration des États-Unis dans l’accord de Paris et annoncera quelques
mois plus tard leur volonté d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon
2050. Or, vu de Washington, la neutralité carbone apparaît en premier lieu
comme un défi de développement des technologies bas-carbone, nécessitant
pour leur fabrication métaux et minerais. Dès lors, les décrets présidentiels
initiés sur ces questions par D. Trump ne seront pas annulés et seront même
complétés par ceux de J. Biden sur la sécurisation des chaînes
d’approvisionnement7.
Pour Biden comme pour Trump, la Chine devient l’enjeu central sur la
question des métaux critiques, car Pékin détient les clefs de la compétitivité
américaine sur les technologies futures dans le secteur des technologies bas-
carbone et du digital, avec sa domination dans la production de métaux
critiques. À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie,
l’administration Biden va mobiliser tout un ensemble de lois favorisant la
production sur le sol national des différents métaux critiques (lithium,
nickel, cobalt, graphite et manganèse) et commence à réfléchir à la
reconstitution de stocks stratégiques gérés par le ministère de la Défense.
Contrats avec les entreprises privées pour accélérer la production nationale,
subventions pour le développement de nouveaux procédés de production
constituent les différentes incitations du gouvernement aux acteurs privés.
De manière globale, les principaux axes de politique industrielle
envisagés pour réduire la dépendance stratégique des États-Unis ne
diffèrent pas de l’approche établie dès 2017 par Donald Trump. Ils sont
centrés sur l’augmentation de la production nationale de minerais et de
métaux, sur l’accent porté à la hausse de l’utilisation des métaux recyclés
dans l’industrie et sur les développements technologiques sur l’ensemble de
la chaîne de valeur des produits miniers. L’administration Biden a
également lancé un groupe de travail pour réformer le code minier avec la
prise en compte d’objectifs multiples comme l’affirmation de standards
d’une production minière soutenable, la sécurisation des besoins de
l’économie américaine et l’introduction de taxes pour les producteurs de
minerais critiques. Ce chantier de réformes aux cibles parfois
contradictoires reste aujourd’hui en cours de réflexion.
Par rapport à l’approche très isolationniste de D. Trump dans le
domaine des collaborations internationales, de nouvelles impulsions sont
visibles avec l’administration Biden sur la question des métaux critiques.
Washington propose, sur ce sujet, comme sur de nombreux autres sur le
plan commercial, une politique à double détente privilégiant en premier lieu
la multiplication des accords bilatéraux et, dans un second temps, des
alliances plus globales fondées sur le multilatéralisme. Les relations avec
les grands pays miniers comme le Canada et l’Australie ont été renforcées
depuis le début des années 2020.
Tableau 6 : Initiatives internationales des États-Unis sur les métaux

Source : Emmanuel Hache, Pierre Laboué, Thomas Lapi, Rim Al


Amir, « La stratégie des États-Unis dans la géopolitique des métaux
critiques », Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques
(OSFME), IRIS – Enerdata – Cassini – DGRIS, rapport no 12, 2020.
Le premier, le Canada, apparaît comme le partenaire idéal d’un point de
vue géographique, mais également par sa proximité avec l’industrie
américaine et des importantes complémentarités sectorielles entre les deux
pays. Ottawa est considéré comme essentiel dans la stratégie de sécurisation
en métaux critiques. Il représente le deuxième fournisseur de minerais et de
métaux pour Washington après la Chine.
Pour le second pays, l’Australie, plus éloigné géographiquement, la
coordination des politiques minières dépasse le simple cadre industriel et
économique. Le positionnement géographique australien en Indo-Pacifique
et son potentiel de développement minier font de Canberra une plaque
tournante de la politique américaine en Asie et du pivot asiatique initié par
Barack Obama dans les années 2010. Dans leur stratégie de sécurisation en
métaux critiques, les États-Unis ont intérêt à développer des partenariats
industriels avec des entreprises australiennes du secteur de l’extraction. En
outre, Washington développe une politique d’incitations à destination des
entreprises minières australiennes pour que ces dernières investissent sur
son sol dans le secteur métallurgique. La filiale américaine du premier
producteur de terres rares australien a investi dans des usines de traitement
de ces substances dès 2022 sur le territoire national8. Ce type
d’investissements permet d’envisager un double dividende : d’une part, il
renforce l’indépendance du territoire national pour les métaux critiques,
d’autre part, il détourne une partie de la production australienne de minerais
et métaux critiques des visées de Pékin. En parallèle de ces pays miniers,
Washington a initié des coopérations technologiques avec l’Europe et le
Japon sur des programmes de recherche.
L’activisme américain ne se limite toutefois pas à ses seules initiatives
bilatérales. Depuis son arrivée, Joe Biden cherche à développer des
alliances globales en Asie aux dépens de la Chine. Il a notamment lancé le
Cadre économique Indo-Pacifique pour la prospérité9 en collaboration avec
l’Australie, le Brunei Darussalam, la Corée du Sud, l’Inde, l’Indonésie, le
Japon, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, Singapour, la
Thaïlande et le Vietnam. Cet accord de coopération ne concerne pas
uniquement la question des métaux critiques, puisqu’il englobe également
d’autres sujets économiques sensibles. On y trouve une volonté de mise en
place d’accords commerciaux régionaux, d’harmonisation de la fiscalité, de
lutte contre la corruption et de développement des infrastructures. L’un des
objectifs américains est ainsi de concurrencer le projet de nouvelles routes
de la Soie entrepris par Pékin depuis 2013, qui réunit les principaux pays de
la région. L’un des piliers de cet accord de coopération réside dans la
volonté des États-Unis de sécuriser les chaînes d’approvisionnement
industriel.
Dans ce cadre sont aussi bien traitées les questions relatives aux
microprocesseurs, aux technologies bascarbone et aux métaux critiques. La
sécurisation des chaînes d’approvisionnement industriel avec l’ensemble de
ces pays est une réponse stratégique à la présence économique et
diplomatique chinoise dans la région. En parallèle de cette initiative, ils ont
également développé un partenariat pour la sécurisation des métaux10 en
juin 2022, avec l’Australie, le Canada, la Finlande, la France, l’Allemagne,
le Japon, la Corée du Sud, la Suède, le Royaume-Uni et l’UE. Ce
partenariat repose actuellement sur trois piliers : le renforcement du partage
d’informations entre les pays partenaires, les investissements dans les
chaînes d’approvisionnement sécurisées en minéraux critiques et le
développement des technologies de recyclage. Il vise à promouvoir des
investissements communs entre ces différents pays dans des zones de
développement minier à haut potentiel, en imposant des standards élevés en
matière environnementale et sociale. Là encore, cette stratégie vise aussi
bien à coaliser les intérêts des pays occidentaux qu’à détourner certains
pays miniers de la Chine, dont les critères d’investissements sont beaucoup
moins élevés en matière environnementale.
En définitive, face à la problématique de sécurisation en métaux
critiques, les États-Unis ont mis en place une stratégie diversifiée et
dynamique. On y trouve des incitations à la production sur le territoire
national, un plan d’investissement dans la recherche, une amélioration des
technologies de recyclage et le développement de partenariats
internationaux. La mise en place de politiques dynamiques sur la question
des métaux critiques relève aussi bien de l’urgence nationale que de la
volonté de Washington de rivaliser sur ces questions avec la Chine. Pékin
est dans le viseur américain dans le domaine des métaux critiques, car sa
politique est révélatrice de sa volonté d’imposer un leadership sur
l’ensemble des marchés des métaux et, plus globalement, sur l’ensemble
des technologies bas-carbone.
Une Chine pragmatique et ambitieuse sur la question des
métaux critiques

Comment qualifier la politique de la Chine sur les métaux critiques ?


Ambitieuse ? Pragmatique ? Avantgardiste ? Les trois adjectifs sonnent
particulièrement vrai à la lueur des quatre dernières décennies sur les
marchés mondiaux. En effet, depuis l’ouverture économique initiée par
Deng Xiaoping en 1978, la stratégie de croissance économique de
l’économie chinoise a été basée sur une forte industrialisation et in fine sur
l’exportation de produits manufacturés. Dans ce cadre, le secteur des
métaux et des minerais s’est révélé essentiel à la poursuite de ses intérêts
industriels et de sa montée en puissance au niveau mondial. Entre 1978 et
2021, sa part dans le PIB international est ainsi passée de moins de 2 % à
près de 18 % ! Depuis le début de la décennie 2010, Pékin a, en outre,
entrepris de faire monter en gamme son économie au sein d’un vaste plan
baptisé Made in China 2025, pour stimuler l’innovation et la montée en
puissance de son industrie. L’objectif de ce plan ? Faire de la Chine le
leader mondial incontesté des technologies bas-carbone, de l’ensemble des
industries du secteur du digital et de l’intelligence artificielle.
Depuis le début des années 1980, sa stratégie industrielle a connu deux
phases majeures. La première, de 1980 à la fin de la décennie 1990, s’est
constituée autour d’une phase d’apprentissage sur les marchés. Pékin a tout
d’abord attiré capitaux et technologies sur de nombreux secteurs et plus
particulièrement sur celui de la transformation des métaux. Cette politique
lui a permis de développer une base industrielle forte au prix de concessions
environnementales majeures. Pékin a alors accepté de devenir un atelier du
monde pour la production de produits manufacturés, mais également de
payer un prix environnemental élevé en se spécialisant sur certains pans de
l’industrie des métaux, à savoir sur celui des terres rares. Cette politique a
contribué à valoriser les importantes ressources minérales de son territoire.
Près de 60 minerais d’intérêt sont présents dans son sous-sol et Pékin
dispose d’importantes réserves pour de nombreux métaux : bauxite, cuivre,
lithium, terres rares, etc. Toutefois, ce n’est pas seulement la disponibilité
en ressources naturelles qui explique son poids sur les marchés, c’est
surtout la volonté des différents dirigeants de se positionner sur ce segment
progressivement délaissé par de nombreux pays occidentaux11.
La Chine a ainsi construit, durant deux décennies, un appareil productif
performant. Les résultats sont particulièrement impressionnants d’un point
de vue industriel, puisqu’elle dispose aujourd’hui de véritables champions
internationaux dans la production minière ou dans le raffinage. Elle est
devenue, sur la plupart des marchés, le premier producteur mondial et le
premier consommateur mondial de métaux. Dans son livre Quand la Chine
change le monde, paru en 200512, Erik Izraelewicz écrivait : « Le
gigantisme de l’avion (le pays le plus peuplé de la planète), l’originalité de
son moteur (l’hyper-capitalisme), et le moment de son envol (une heure de
pointe de la mondialisation) », voilà ce qui différencie le cas chinois des
décollages économiques précédents. Et ce décollage économique a
véritablement révolutionné l’ensemble du secteur des métaux. À tel point
qu’avec l’importance croissante de ces besoins pour sa consommation
interne, elle a dû commencer dès le début des années 2000 à chercher à
l’extérieur les ressources en métaux et en minerais dont elle avait besoin.
Au contraire de l’UE et des États-Unis, l’objectif de sécurisation des
approvisionnements a commencé il y a plus de 20 ans. En 2001, Pékin a
lancé une première politique de développement à l’international en
encourageant financièrement ses entreprises à investir à l’extérieur du
territoire national13. Et ces investissements ne concernent pas uniquement
les métaux. Entre 2005 et 2022, elle a investi environ 2 260 milliards de
dollars au niveau mondial, dont plus de 800 dans le secteur de l’énergie,
plus de 100 dans le secteur agricole et plus de 200 dans celui des métaux.
L’ensemble des segments de matières premières (énergie, métaux et
agriculture) représente près de 50 % de ses investissements directs étrangers
(IDE).
Rares sont les pays riches en matières premières, et notamment en
énergie et en métaux, qui ne soient pas aujourd’hui courtisés par Pékin. Elle
utilise de multiples moyens pour atteindre ses objectifs de sécurisation,
notamment les IDE dans des projets miniers, les acquisitions ou les prises
de participation dans des entreprises locales et/ou internationales. Elle a
aussi développé des programmes spécifiques de projets d’infrastructures
contre des matières premières appelés Barter Deal (accords de troc). Ces
accords combinent généralement la réalisation d’une infrastructure
(aéroport, route, voie de chemin de fer, etc.), l’obtention d’un prêt de la
Chine vers le pays hôte et un accord sur les matières premières. Le pays
hôte va rembourser tout ou partie du prêt en fournissant à Pékin des
matières premières (minerais ou énergie). Ce type d’accord permet, pour la
Chine, de réduire le risque de non-paiement des prêts et d’améliorer, à
moindres frais, sa sécurisation en matières premières. À travers ces accords,
les pays producteurs bénéficient aussi d’avantages : ils peuvent augmenter
la durée des prêts et bénéficier de taux d’intérêt plus faibles. On en
dénombre de nombreux avec des pays d’Amérique latine ou d’Afrique
riches en matières premières.
Devenues des acteurs internationaux de premier plan, les entreprises
industrielles publiques et privées chinoises ont bénéficié d’un
environnement institutionnel favorable pour la conquête des marchés avec
les différents acteurs nationaux. Elles ont été aidées par la force de frappe
financière de Pékin à travers les fonds souverains nationaux comme le State
Administration of Foreign Exchange et le China Investment Corporation,
les banques nationales spécialisées dans le développement international
(Eximbank, China Development Bank) et les banques commerciales. Tous
ces acteurs ont constitué de véritables bras armés de sa politique à
l’étranger, notamment dans le secteur des métaux.
Une partie des investissements a également été initiée à partir de 2013
dans le cadre du projet des nouvelles routes de la soie (Belt and Road
Initiative-BRI). Ce projet de plus de 1 000 milliards de dollars a comme
ambition d’améliorer les coopérations régionales sur la base
d’investissements dans les infrastructures14, d’accords commerciaux et
d’accords diplomatiques et sécuritaires. Il est surtout, pour Pékin, le moyen
de canaliser des flux de matières premières, notamment des minerais et des
métaux, vers le sol national. En construisant des infrastructures de
transports (routes, ports, voies ferrées, pipeline, etc.), elle s’assure de la
possibilité de rapatrier sur son territoire ce qui constitue ses principales
dépendances à l’extérieur, à savoir les matières premières.
En mars 2020, le nombre d’États ayant signé avec le gouvernement
chinois des accords de coopération était estimé à 138 sur les 195 que
compte l’organisation des Nations unies. Le projet BRI est aussi un vecteur
d’internationalisation des entreprises nationales. Et l’ensemble de ces
politiques est une vraie réussite. Dans le classement Fortune Global 500, on
retrouve désormais de nombreuses entreprises chinoises du secteur
énergétique, des minerais et des métaux et de la finance. Dans le seul
secteur des métaux, 12 des 20 premières entreprises mondiales sont
chinoises.
Grâce à sa stratégie d’investissements et de diplomatie minérale initiée
début 2000, Pékin a un avantage certain dans sa politique de sécurisation
des approvisionnements en métaux. Il dispose, en outre, d’une base
industrielle forte dans la production ou le raffinage des métaux stratégiques.
Il contrôlerait plus de 60 % du raffinage des métaux essentiels aux batteries
des véhicules électriques (cobalt, lithium, manganèse, nickel, etc.).
L’exemple du lithium est, sur ce point, particulièrement spectaculaire et
caractéristique de l’approche structurelle envisagée par le gouvernement sur
les marchés des métaux. Deux entreprises (Tianqui Lithium et Ganfeng
Lithium) sont parvenues dans le top 5 mondial en moins de 10 ans. Ces
deux entreprises mènent depuis 2010 une politique d’achat de concessions
ou de rachat d’entreprises auprès des pays producteurs.
À travers cette stratégie, c’est une domination de l’ensemble de la
chaîne de valeur du lithium qui est visée par le gouvernement. De la
production de lithium, au raffinage du métal jusqu’à la fabrication des
batteries et du véhicule électrique, il domine désormais l’ensemble de la
filière. Une stratégie similaire est observée sur le cobalt pour lequel Pékin
ne représente qu’environ 1 % de la production mondiale, mais 67 % du
cobalt raffiné. Pour ce faire, il a créé des liens économiques très étroits avec
la RDC et son gouvernement. Et sur le marché du cuivre, les
investissements réalisés en Amérique latine, au Pérou et au Chili, ou avec
des pays africains (Congo, Zambie) sont justifiés par l’objectif d’assurer
l’indépendance en cuivre du pays.
Avec sa diplomatie minérale extérieure, il cherche à accentuer sa
mainmise sur les métaux stratégiques. Et ce n’est pas sans conséquence sur
la géopolitique mondiale et sur la stabilité politique des pays dans lesquels
il investit. Sa politique tend à exacerber la concurrence sur les marchés des
matières stratégiques et génère des tensions avec les autres pays
consommateurs. Certaines zones géographiques pourraient évoluer vers des
formes plus directes de confrontation à l’avenir. En Amérique latine, par
exemple, ses investissements pourraient constituer à l’avenir une forte zone
de friction dans les relations sino-américaines. La logique chinoise ne se
résume toutefois pas à une volonté d’affrontement. Elle cherche en tout
premier lieu à satisfaire les besoins grandissants en minerais et métaux pour
alimenter sa propre économie. Le précédent de la crise des terres rares en
2010, épisode durant lequel elle avait mis en place un embargo, reflétait
plutôt une stratégie d’affirmation de puissance vis-à-vis des États-Unis et du
Japon, que d’une menace de long terme sur les marchés. Les métaux sont
envisagés pour Pékin comme un moyen d’alimenter sa montée en gamme
technologique et son positionnement économique futur. Elle ne publie pas,
par exemple, une liste formelle de matériaux critiques comme les États-
Unis, l’UE ou le Japon. Toutefois, il est possible de trouver dans différents
rapports gouvernementaux une typologie des métaux d’importance pour son
économie nationale.
Le gouvernement parle ainsi de ressources minérales incontournables
pour les métaux comme l’aluminium, le cuivre ou le fer pour lesquelles ses
besoins sont très importants pour son secteur industriel. Une deuxième
catégorie, les métaux pour les industries émergentes, recouvre l’ensemble
des métaux dits électriques (cobalt, lithium, nickel, etc.). Ce sont les métaux
qui vont permettre d’affirmer la puissance technologique de Pékin dans les
prochaines décennies. Enfin, une troisième catégorie, les métaux
avantageux, représente les métaux détenus en abondance par la Chine. Ces
derniers concernent l’étain, le tungstène ou les terres rares. Ils pourraient
constituer de puissants leviers géopolitiques et révèlent ainsi la possibilité
d’options offensives d’actions sur les marchés internationaux.
Son activisme à l’étranger dans le secteur des métaux peut également
contribuer à une forme de déstabilisation des pays d’accueil. D’une part,
son poids politique, économique et financier pose généralement un rapport
de force défavorable aux pays hôtes. Elle ne pose aucune conditionnalité
sociale ou environnementale aux investissements réalisés dans les industries
minières ou pour les prêts financiers octroyés. Elle cherche ainsi à se
démarquer des organisations internationales en offrant un cadre de
gouvernance simple et non contraint. Si elle peut être intéressante d’un
point de vue économique, cette stratégie n’est pas forcément favorable aux
populations locales et dans certains cas permet de renforcer des
gouvernements autoritaires en place. Il existe un risque plus économique
pour les pays d’accueil. Avec l’importance des investissements réalisés dans
le domaine minier, elle pourrait indirectement provoquer une spécialisation
marquée dans les matières premières et déséquilibrer les économies, et sera
potentiellement à l’origine d’une nouvelle malédiction des ressources pour
ces pays.
La politique pragmatique de conquête des marchés opérée par la Chine
depuis près de 20 ans démontre le caractère fondamental des métaux dans
sa stratégie de puissance. Elle utilise tous les outils à sa disposition,
notamment sa force de frappe financière et son influence diplomatique
grandissante. Son territoire national est riche et elle ne redoute pas
d’exploiter ses propres gisements. En parallèle, elle offre l’image d’un pays
ayant axé sa politique de sécurisation en approvisionnement sur
l’international.
Le projet BRI doit être considéré comme une véritable paille absorbant
les matières premières nécessaires à sa croissance. Face aux stratégies des
deux hégémons mondiaux, l’Europe doit réagir et mettre en place une
politique cohérente et dynamique pour affronter le principal défi du siècle,
celui du réchauffement climatique. Et la décarbonation de ses économies
passe par une politique ambitieuse sur la question des métaux critiques.

1. Emmanuel Hache, « La diplomatie des ressources au cœur de la relation


Chine-États-Unis ? », Revue Internationale et Stratégique, no 120, 2020, p.
49-58. https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2020-4-
page-49.htm
2. Emmanuel Hache, Pierre Laboué, Thomas Lapi, Rim Al Amir, « La
stratégie des États-Unis dans la géopolitique des métaux critiques »,
Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques (OSFME),
IRIS – Enerdata – Cassini – DGRIS, rapport no 12, 2020.
3. Selon le classement de l’institut Fraser, 2021.
https://www.fraserinstitute.org/studies/annual-survey-of-mining-companies-
2021
4. Presidential Documents, « Executive Order 13817 of December 20,
2017, A Federal Strategy To Ensure Secure and Reliable Supplies of
Critical Minerals », Federal Register, vol. 82, no 246, 26 décembre 2017.
https://www.govinfo.gov/content/pkg/FR-2017-12-26/pdf/2017-27899.pdf
5. https://www.commerce.gov/sites/default/files/2020-
01/Critical_Minerals_Strategy_Final.pdf
6. Presidential Documents, « Executive Order 13953 of September 30,
2020. Addressing the Threat to the Domestic Supply Chain From Reliance
on Critical Minerals From Foreign Adversaries and Supporting the
Domestic Mining and Processing Industries », Federal Register, vol. 85, no
193, 5 octobre 2020. https://www.govinfo.gov/content/pkg/FR-2020-10-
05/pdf/2020-22064.pdf
7. Presidential Documents, « Executive Order 14017 of February 24, 2021,
America’s Supply Chains », Federal Register, vol. 86, no 38, 1er mars 2021.
https://www.govinfo.gov/content/pkg/FR-2021-03-01/pdf/2021-04280.pdf
8. Étienne Goetz, « Le Pentagone sécurise le raffinage de terres rares sur le
sol américain », Les Échos, 15 juin 2022. https://www.lesechos.fr/finance-
marches/marches-financiers/le-pentagone-securise-leraffinage-de-terres-
rares-sur-le-sol-americain-1413489
9. Indo-Pacific Economic Framework For Prosperity (IPEF).
https://ustr.gov/trade-agreements/agreements-under-negotiation/indo-
pacific-economic-framework-prosperity-ipef
10. Minerals Security Partnership. https://www.state.gov/minerals-security-
partnership/
11. Tanguy Bonnet, Carl Grekou, Emmanuel Hache, Valérie Mignon, «
Métaux stratégiques : la clairvoyance chinoise », art. cité.
12. Erik Izraelewicz, Quand la Chine change le monde, Éditions Grasset,
2005.
13. Emmanuel Hache, « Chine : l’insertion commerciale comme catalyseur
du développement ? », Revue Internationale et Stratégique, no 108, 2017, p.
77-87. https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2017-4-
page-77.htm
14. Samuel Carcanague, Emmanuel Hache, « Les infrastructures de
transport, reflet d’un monde en transition », Revue internationale et
stratégique, vol. 3, no 107, p. 53-60, 2017. https://www.cairn.info/revue-
internationale-et-strategique-2017-3-page-53.htm
Conclusion

L’Europe doit agir très rapidement

L’Europe est un continent assez « mal né » d’un point de vue


énergétique. S’il a pu compter historiquement sur des gisements pétroliers
en Roumanie et surtout en mer du Nord, sur l’exploitation du charbon
pendant un demi-siècle, sur le gaz en provenance d’Angleterre, des Pays-
Bas et de Norvège, toutes ces ressources sont aujourd’hui en déclin. Il est
extrêmement dépendant pour son approvisionnement en énergies fossiles,
comme nous l’a rappelé le conflit ukrainien. La transition énergétique
constitue donc une opportunité majeure de réduire cette dépendance et de
regagner notre souveraineté énergétique.
Mais, là encore, la situation géographique du Vieux Continent ne le
place pas dans des conditions favorables pour assurer le développement des
énergies bas-carbone sans créer de nouvelles dépendances. L’Europe est
peu dotée, au regard des autres puissances mondiales, en ressources
minières indispensables au développement de ces technologies. La
problématique est surtout centrale pour les deux prochaines décennies.
Une fois les premiers investissements réalisés dans les technologies bas-
carbone (éoliennes et solaires) pour remplacer les énergies carbonées, à
l’horizon du démantèlement de ces dernières d’ici 2040, la mise en place
d’une politique de recyclage systématique devrait permettre à l’Europe
d’assurer une certaine autonomie de son approvisionnement en métaux.
Mais, pour les vingt prochaines années au minimum, il faudra compter
massivement sur les importations de minerais et de métaux extraits à
l’étranger.

Gérer la dépendance aux métaux critiques


Consciente de cette problématique, l’Union européenne s’est
progressivement dotée d’outils et d’un corpus législatif pour organiser son
approvisionnement. Le premier outil développé a été l’établissement d’une
liste de matières premières critiques, dont la première édition date de 2011.
L’objectif de cette dernière est de caractériser l’ensemble des éléments en
fonction de leur importance économique et de leur risque
d’approvisionnement. Comptant à l’origine 14 matières premières critiques,
cette liste, revue tous les trois ans, en comptait 30 dans la dernière version
publiée en 2020. On pourrait même dire qu’elle en comptait 50, puisque ce
classement regroupe ensemble les six platinoïdes (platine, palladium,
rhodium, ruthénium, osmium et iridium) et ne fait que deux catégories pour
les terres rares (terres rares lourdes et terres rares légères), qui regroupent
en réalité 17 matériaux différents.
Tout récemment, en mars 2023, la Commission européenne a proposé sa
dernière mise à jour, qui compte désormais 34 éléments, 54 si on dissocie
les terres rares et les platinoïdes. Elle a ajouté le cuivre et le nickel qui n’y
figuraient pas jusqu’alors, de même que l’arsenic, le feldspath, le
manganèse et l’hélium. Le caoutchouc naturel et l’indium ont, en revanche,
été exclus de cette liste. Le premier l’a été en raison de l’augmentation de
son taux de recyclage et le second car la production européenne dépasse
désormais sa consommation.
Tableau 7 : Liste des matériaux critiques et stratégiques

Source : Commission européenne, 2023.

NB : en gras, les matériaux ayant intégré la liste en 2023. Le cuivre et le


nickel ne font pas partie des matériaux critiques, mais sont considérés
comme des matériaux stratégiques.
Cette liste est importante, car elle permet de comprendre l’ampleur de la
tâche qui attend l’Europe pour que sa transition vers une économie
décarbonée soit un succès. Mais, au-delà de cette nécessaire prise de
conscience, elle permet surtout de fixer les priorités dans la course à la
sécurisation de l’approvisionnement des ressources indispensables à la
fabrication de l’outil industriel qui permettra la décarbonation. Et le temps
presse… car, comme nous l’avons vu, d’autres pays ont compris bien avant
nous l’urgence de cet élément stratégique. C’est le cas notamment de la
Chine.
À l’aube des années 2000, l’empire du Milieu a très vite saisi l’urgence
et le caractère stratégique de l’approvisionnement en matières premières. À
cette époque, porté par une croissance forte qui a vu l’émergence d’une
classe moyenne de près de 300 millions d’habitants, le gouvernement
chinois a vu ses besoins en infrastructures, en bâtiments, en biens de
consommation, progresser à une vitesse vertigineuse. En moins de 10 ans,
le pays, qui consommait en 2000 environ 10 % des métaux de la planète, a
vu ses besoins exploser.
Au début des années 2010, Pékin était ainsi devenu le premier
consommateur de métaux de la planète et en engloutissait environ la moitié
! La prise de conscience a été immédiate, et l’État a décidé de mettre en
œuvre une politique internationale visant à développer les partenariats
politiques et les prises de participation dans des groupes miniers.
Le pays a sans doute été aussi aidé par un facteur qui peut paraître
anecdotique, mais qui a son importance : de nombreux dirigeants chinois
ont un passé d’ingénieur ! Xi Jinping, le président chinois, est, par exemple,
détenteur d’un diplôme de génie chimique de l’université Tsinghua de Pékin
et a ensuite obtenu un doctorat en droit à l’Institut des sciences humaines et
sociales de l’université Tsinghua1. Père fondateur de la montée en puissance
de la Chine sur les marchés des métaux dans les années 1980, Deng
Xiaoping a passé une partie de ses études en France et quelques semaines à
l’usine du Creusot dans la métallurgie du minerai de fer2. Cette expérience
pénible (il n’y restera que trois semaines) a sans doute eu une incidence sur
son parcours. Jiang Zemin, président de la République populaire de Chine
entre 1993 et 2003, a fait des études en génie mécanique, son successeur Hu
Jintao dans un département d’hydro-électricité. De près ou de loin, la
culture industrielle est une constante des personnages de l’État chinois.
À titre de comparaison, le dernier président de la République française
diplômé d’une école d’ingénieur était Valéry Giscard d’Estaing, président
de 1974 à 1981. Qu’on le veuille ou non, la façon d’aborder un problème
est différente pour un ingénieur et un technocrate. Cela peut, peut-être, en
partie expliquer le retard pris par l’Europe dans l’assimilation de l’enjeu
que constituent les ressources naturelles. En France, le problème a sans
doute été renforcé par la défiance vis-à-vis des grandes écoles qui s’est
soldée, sous la présidence de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande,
par un moindre recours au corps des ingénieurs dans les cabinets
ministériels.
Les États-Unis ont un peu plus anticipé les bouleversements observés
sur les marchés des métaux. Ainsi, ils n’hésitent pas à réactiver les actifs
miniers sur leur territoire. L’exemple le plus emblématique est la mine de
Moutain Pass, qui avait été arrêtée pour des raisons économiques et
environnementales, alors qu’ils étaient les premiers producteurs mondiaux
dans les années 1970-1980. Découverte en 1949 et fermée en 2015, elle a
été réouverte en 2017 et extrait désormais 15 % des terres rares mondiales.
Le caractère stratégique de ces métaux a même poussé le ministère de la
Défense à faire partie du tour de table du financement de la reprise
d’activité. De son côté, le Pentagone a sécurisé le raffinage de ces métaux
en passant un contrat de 120 millions de dollars avec la société Lynas3,
entreprise australienne spécialisée dans la séparation de ces métaux.
La France, de son côté, était dans les années 1980, avec Rhône-Poulenc,
l’un des deux leaders mondiaux de la purification des terres rares avec une
part de marché de près de 50 %4. Pour les mêmes raisons que les
Américains, le choix a alors été fait de laisser la partie la plus polluante de
cette activité à la Chine face aux oppositions locales et aux risques
environnementaux.
Les États-Unis ont eux aussi constitué une liste de métaux critiques.
Plus étendue que celle de l’Europe, elle inclut depuis plusieurs années le
nickel, et pourrait prochainement intégrer le cuivre. L’étendue de cette liste
est importante, car la non-sécurisation d’un seul des métaux nécessaires à la
transition pourrait retarder celle-ci de façon dramatique. Et le fait de ne pas
considérer comme critique un métal qui l’est par d’autres nations peut nous
faire prendre beaucoup de retard dans la diplomatie minérale. Cela peut
rendre difficile la conclusion de contrats avec des producteurs majeurs, si
les investissements européens sont amorcés après le passage des États-Unis
et de la Chine. Les Américains ont ainsi fait un choix simple et sans
ambiguïté : tout métal sur lequel la Chine détient un rôle majeur sur la
production ou sur le raffinage figure sur sa liste des métaux critiques.
Au-delà, la doctrine américaine sur le sujet a récemment évolué. Pete
Buttigieg, actuel secrétaire d’État aux Transports outre-Atlantique, a
récemment déclaré que la bataille se concentrait davantage sur le raffinage
que sur l’extraction, cette dernière étant mieux répartie que l’activité de
transformation qui donne aujourd’hui un avantage majeur à la Chine. Les
ÉtatsUnis pourraient donc se focaliser sur le développement de capacités de
raffinage sur leur territoire.
Le constat est donc fait, ce qui est la première étape d’une action
stratégique. En France, la dernière pierre à la compréhension de la question
des métaux stratégiques a été apportée en 2022 par Philippe Varin, ancien
patron de Peugeot Citroën et ancien président de France Industrie, entre
autres. Il a remis un rapport au président Emmanuel Macron sur la
sécurisation de l’approvisionnement en matières premières. Si ce rapport a
été classé pour des raisons de confidentialité, les grandes lignes ont été
commentées par son auteur5. Le constat est sans appel : l’Europe dépend,
pour ses approvisionnements en métaux nécessaires à la transition bas-
carbone, à plus de 90 % de l’extérieur et la France à près de 100 %.
Tous ces éléments ont amené l’UE à mettre en place un corpus législatif
visant à fixer les objectifs nécessaires à une sécurisation de ses besoins en
ressources minérales. Les textes les plus importants ont été proposés en
mars 2023 : le Critical Raw Materials Act6 et le Net Zero Industry Act7. Ces
propositions ont également vocation à contrer les initiatives des autres
nations, et notamment l’Inflation Reduction Act américain8. Ce plan de
soutien massif aux énergies bas-carbone, adopté par l’administration Biden
en août 2022, vise à permettre aux États-Unis de combler leur retard par
rapport à l’Europe dans la course à la décarbonation. Il propose, par
exemple, de vastes exonérations fiscales aux producteurs d’hydrogène
décarboné aux États-Unis, et impose un large recours à des productions
américaines pour la fabrication des technologies industrielles de la
transition énergétique (batteries, voitures électriques, panneaux solaires,
etc.) pour pouvoir bénéficier des aides nationales. Ce plan pourrait, selon
plusieurs études, retarder ou annuler plusieurs projets prévus en Europe,
détourner les investissements vers les ÉtatsUnis et relancer une guerre
commerciale9.
Avec le nouveau cadre proposé en mars 2023, l’UE se fixe également
des objectifs ambitieux. Elle souhaite extraire sur le sol européen au moins
10 % de sa consommation en métaux d’ici 2030, et disposer d’au moins 40
% des capacités de transformation nécessaires au raffinage des métaux.
Tout ceci s’accompagne également du développement d’une filière de
recyclage et de mesures de simplification visant, notamment, à la réduction
des délais d’obtention des autorisations pour le déploiement des énergies
renouvelables.
Ces éléments font clairement partie des réponses essentielles que
l’Europe doit déployer pour limiter sa dépendance en matière énergétique.
Toutefois, la route est encore longue… D’abord, car la « situation minière »
de l’Europe est assez défavorable. Ainsi, sur la bauxite, nécessaire à la
production d’aluminium, sur le cuivre, sur le lithium, sur le nickel, le cobalt
ou les terres rares, même l’objectif de 10 % de production sur le territoire
européen semble difficile à atteindre selon l’étude réalisée pour Eurométaux
par l’université de Louvain et publiée en avril 202210. Aujourd’hui,
l’approvisionnement dans son ensemble n’est assuré qu’à environ 3 % par
la production locale.
Et encore : cette étude est antérieure à l’adoption, le 30 mars 2023, d’un
nouvel objectif de développement des énergies renouvelables portant à 42,5
% leur part dans l’approvisionnement énergétique européen en 2030, contre
32 % auparavant11. Or, ce nouvel objectif aura pour conséquence un
accroissement des besoins en ressources minérales. Et pour la partie
raffinage, le challenge semble tout aussi important pour des métaux comme
le lithium ou les terres rares, pour lesquels ni les ressources ni les capacités
de transformation ne seront disponibles à cet horizon…
Si des projets existent bel et bien en Europe, il va falloir que l’Union
européenne mette en place les mesures nécessaires prévues dans son projet
de directive. D’abord pour raccourcir les délais d’obtention des permis
miniers. Mais aussi pour faire face à l’opposition locale au développement
d’activités extractives. Les Européens sont de grands adeptes du NIMBY,
Not In My BackYard (« pas dans mon jardin »), c’est-à-dire qu’ils refusent
pour le moment les conséquences environnementales d’activités minières
qui seraient situées près de chez eux. De même que, pour beaucoup, ils
refusent l’installation de parcs éoliens ou solaires à proximité de leur
habitation.
Le financement: le nerf de la guerre

Mais si la volonté politique est présente, nous pouvons espérer que ces
problématiques soient gérées en partie dans le futur. Reste un point essentiel
et principal nerf de la guerre : le financement. Pour le moment, dans ces
projets de règlements, cet aspect n’est pas ou peu abordé. Tout juste est-il
évoqué « une aide pour un accès aux financements », sans plus de
précisions pour l’instant.
Le rapport Varin, publié en janvier 2022, en avait pourtant fait un des
points centraux de développement. Après sa publication, le ministère de la
Transition écologique avait ainsi retenu comme l’un des axes stratégiques le
lancement d’un fonds d’investissement. Issu d’un partenariat entre le public
et le privé, il vise à la prise de participations et à la mise en place de
contrats d’approvisionnements de long terme dans l’amont de la chaîne de
valeur des industries minières (mines, raffinage, première transformation) et
dans le recyclage12.
Ce projet de fonds d’investissement a été lancé le 10 mai 202313, soit
près de 18 mois après la remise du rapport. Il devrait être alimenté à hauteur
de 500 millions d’euros par l’État d’ici la fin de l’année à travers le plan
France 203014 et pourrait monter à environ 2 milliards avec la contribution
des industriels français. Si la mise en place de ce fonds, confié à la société
Infravia, est une bonne nouvelle pour gérer les questions relatives aux
métaux critiques, on peut s’interroger sur la pertinence d’un plan national,
alors que les sommes à engager pour couvrir le large spectre des besoins
européens en métaux est extrêmement étendu ! En outre, la mise de départ
paraît au final assez faible relativement aux enjeux fondamentaux des
métaux dans la transition énergétique.
L’une des raisons est peut-être à chercher dans la perception actuelle du
secteur minier et métallurgique. L’UE a, en effet, défini la liste des activités
considérées comme essentielles à la transition énergétique ou qui lui sont
nécessaires, dans un texte : la taxonomie européenne. Or, les activités
minières n’en font pas partie !
Certains métaux issus de transformation, comme l’aluminium, y
figurent, avec la définition d’une limite maximum d’émission pour leur
production. Mais les activités extractives, elles, en sont exclues. Tout au
plus sont-elles citées dans les annexes techniques du texte EU 2020/852
publiées le 9 mars 202015, où il est précisé que le Groupe d’experts
techniques (TEG en anglais), n’a « pas été en mesure d’achever le travail
pour ce secteur en raison de contraintes de temps et de la complexité des
questions. Le TEG recommande que la plateforme analyse le rôle que joue
le secteur en termes d’amélioration de la disponibilité des matériaux
critiques nécessaires aux technologies actuelles et futures pour créer une
économie climatiquement neutre, circulaire et efficace en termes de
ressources, tout en s’approvisionnant en matières premières d’une manière
durable et responsable, en vue d’examiner le potentiel d’habilitation du
secteur16 ».
S’il confirme le rôle essentiel dans l’approvisionnement des matériaux
critiques nécessaires pour les technologies actuelles et futures de la
transition bas-carbone, là encore les engagements ne sont pas au rendez-
vous. L’aluminium, le cuivre, le nickel, le cobalt, le lithium, le plomb, le
zinc et les métaux précieux sont pourtant nommément cités comme
essentiels à la transition. Où est donc la logique ? Essentiels, mais ne
pouvant bénéficier des financements européens !
La raison en est assez simple : extraire des métaux est source de
pollutions. Elle revient à creuser le soussol et à y prendre des minerais,
souvent en altérant la biodiversité sur le lieu de production. Les industriels
ne récupèrent, nous l’avons vu, généralement qu’une infime partie rentable
économiquement, génèrent des déchets et utilisent des produits chimiques
pour traiter et extraire les minerais. Toutefois, si nous jugeons que la
transition énergétique est vitale et que les métaux sont indispensables à sa
réalisation, il nous faut aujourd’hui faire un choix. Celui de mettre en œuvre
un processus extractif fortement encadré sur le plan environnemental, qui
seul pourra permettre de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet
de serre pour limiter le réchauffement climatique. Et cette dynamique
extractive nécessitera de lourds financements !
Si c’est la limitation du réchauffement climatique qui est notre priorité,
l’Europe doit mettre en place les mesures nécessaires au développement de
l’activité minière nécessaire. Cela passe donc par une inclusion du secteur
extractif dans la taxonomie européenne. En effet, les épargnants sont
aujourd’hui très exigeants sur la façon dont leur argent est investi. En outre,
les organisations non gouvernementales mettent une pression importante et
justifiée pour que les sociétés d’investissement placent leur fonds dans des
projets en adéquation avec la transition énergétique.
Pour cette raison, l’UE a mis en place la réglementation SFDR17
(Sustainable Finance Disclosure Regulation) qui impose aux sociétés
d’investissement d’expliquer comment leurs produits prennent en compte la
durabilité. Depuis la mise en place de cette nouvelle régulation, de plus en
plus d’établissements n’investissent plus que dans des activités qui prennent
en compte la dimension durable des placements.
En conséquence, et c’est bien le but recherché, de moins en moins
d’argent est disponible pour les activités qui ne sont pas considérées comme
« vertes », c’est-à-dire utiles à la transition énergétique. C’est la raison pour
laquelle il est indispensable que l’UE intègre le secteur minier à la
taxonomie, afin de « flécher » les investissements vers ce secteur, sans qui
la transition pourrait être ralentie. C’est d’ailleurs ce que Philippe Varin
défendait lors de son audition au Sénat le 16 février 2022 à la suite de la
remise de son rapport18.
Mais la problématique financière va bien au-delà. Avec les changements
de politique monétaire observés dans les principales économies et la
remontée rapide des taux d’intérêt, les coûts de financement des
investissements miniers risquent d’augmenter sensiblement. Ces projets,
très capitalistiques et nécessitant des délais de construction très longs,
voient leur coût varier fortement en fonction du niveau des taux d’intérêt.
L’une des solutions à ce problème est l’octroi d’une garantie totale ou
partielle des investissements par l’État, pour permettre d’abaisser le coût de
financement. Le problème est identique et encore plus prégnant dans le
secteur du nucléaire où la garantie donnée par l’État peut faire passer le
coût du MWh d’un niveau extrêmement élevé à un prix extrêmement
compétitif en raison de la durée de mise en œuvre de ces projets.
Enfin, sur le plan financier, l’Europe devra être transparente sur la
fiscalité de l’énergie. La transition énergétique met en effet les États dans
une situation fiscale complexe, étant donné le poids des taxes sur les
énergies fossiles. La TICPE (Taxe intérieure sur la consommation de
produits énergétiques19) a, par exemple, rapporté à la France 32 milliards
d’euros en 202220, soit près de 15 % des recettes fiscales de l’État pour
cette année. Or, si nous nous passons totalement des énergies fossiles, ces
recettes vont disparaître. Sauf à réduire drastiquement nos dépenses, il
faudra trouver ces ressources ailleurs et notamment à travers la taxation de
l’électricité au titre de son utilisation pour la recharge des batteries de
véhicules électriques. Le Royaume-Uni a d’ores et déjà fait un pas en ce
sens, évoquant la mise en place d’une taxe sur les véhicules électriques à
compter de 2025-2026, pour compenser les pertes de recettes sur les
carburants21.

L’Union européenne a besoin d’une coopération approfondie


sur les questions minières et énergétiques

Mais, au-delà des considérations financières, c’est surtout d’union que


l’UE a besoin. Il y a aujourd’hui, et malgré l’urgence de la situation, encore
des velléités de protéger des intérêts nationaux au sein de la Communauté.
On a ainsi vu un débat sans fin s’engager sur l’attribution ou non du statut
d’énergie « verte » au nucléaire, les Allemands y voyant un avantage de
taille pour la France. Récemment encore, et bien que ce débat ait finalement
été tranché en faveur de la position de la France et de 14 autres États
européens, lors de l’annonce du Net Zero Industry Act par Ursula von der
Leyen, cette dernière a précisé que le soutien de l’Union au nucléaire avait
ses limites. Comme cette énergie n’est pas considérée comme stratégique,
elle ne devrait pas avoir le droit aux mêmes avantages que les technologies
solaires, les éoliennes, les batteries ou les électrolyseurs. Dans le domaine
de la mobilité, l’Allemagne a également obtenu que l’interdiction du moteur
thermique en 2035, qui menaçait leur industrie automobile, fasse l’objet
d’une révision en cas d’utilisation de carburants de synthèse22.
Mais c’est surtout sur le développement de l’infrastructure énergétique
que le sujet du fonctionnement uni de l’UE est le plus important.
Actuellement, chaque pays mène la transformation de son système
énergétique sans se soucier de celui de son voisin. Avec la montée en
puissance des énergies renouvelables, dont il faut gérer l’intermittence, et la
réduction des moyens de production pilotables dans certains pays, les jours
où l’ensemble de la plaque continentale se retrouverait sans vent et sans
soleil pourraient devenir très complexes à gérer. Cela impose une
concertation des États pour un développement cohérent et, probablement,
l’augmentation des interconnexions électriques entre les pays de l’Union
pour assurer des transferts importants entre pays en cas de besoin.
Rappelons que, du fait des liens de dépendance des différents pays,
l’effondrement du système électrique dans un pays pourrait se propager au
reste de l’Europe.
L’Europe a également besoin d’être unie pour parler d’une seule voix
sur le plan international. Nous l’avons vu, la diplomatie minérale va revêtir
une importance cruciale dans la sécurisation de nos besoins en minerais et
en métaux. L’UE sera bien plus forte pour conclure des accords de
partenariats et de libre-échange internationaux en faisant front. Elle aurait
dans ce cas un pouvoir de négociation renforcé. Dans ce cas, comment
envisager des fonds d’investissement uniquement nationaux pour couvrir
les besoins ?
À cela s’ajoute la nécessité d’une politique de demande sur l’énergie,
avec la fin des subventions sur les énergies fossiles et des actions pour
favoriser la sobriété énergétique et matériaux. Incitations à la mobilité
douce ou faiblement carbonée (marche à pied, vélo, transports en
commun…), soutien à la recherche et au développement dans le domaine
des énergies et des matériaux, amélioration de l’efficacité énergétique
(installation de pompes à chaleur, isolation des bâtiments, véhicules)
doivent constituer le cœur des politiques européennes et nationales.
Enfin, il est essentiel de ne pas oublier les aspects de formation.
L’économie de demain nécessitera de nouvelles compétences et l’État doit
favoriser l’émergence des formations aux métiers indispensables à la
réalisation de la transition. Les filières ingénieurs doivent être revues pour
accentuer la formation sur le recyclage et sur les énergies bas-carbone. Le
renforcement des offres de formation sur l’ensemble de la chaîne de valeur
des industries extractives (extraction, transformation, métallurgie) doit être
une priorité. Compte tenu des délais de mise en œuvre de nouvelles filières
éducatives, les décisions doivent être prises rapidement, sous peine, en plus
d’être contraint par la disponibilité des ressources naturelles, de l’être
également par celle d’une main-d’œuvre qualifiée. De manière globale,
c’est toute une culture industrielle et minière qu’il est nécessaire de
réactiver.

***

L’Europe a compris l’importance des enjeux de sécurisation des besoins


en ressources métalliques pour la transition énergétique. Mais il ne s’agit là
que de la première étape dans la résolution du défi climatique auquel nous
sommes confrontés. Celui-ci est bien plus large que le seul déploiement des
technologies bas-carbone. Il faut ainsi mettre en œuvre les moyens
nécessaires à l’accomplissement de la transition énergétique et réfléchir à
l’ensemble des conséquences engendrées par cette dynamique.
Gourmande en matières premières et en métaux, la transition écologique
nécessite de réinventer notre modèle. Retrouver notre culture industrielle,
réinvestir notre sous-sol et notre passé minier pour ne pas laisser l’avantage
aux autres acteurs mondiaux. Privilégier une production nationale fondée
sur des standards écologiques approfondis et respectueux des hommes et de
l’environnement. Si de nombreuses initiatives politiques ont bien été prises,
il faut à présent dépasser le seul stade des discours.
Pour cela, il est urgent de redonner du sens à l’Europe, en mettant de
côté les rivalités économiques internes pour assurer une place à l’UE dans
l’économie mondiale de demain. Ces objectifs passent nécessairement par
un renforcement de notre indépendance énergétique et minérale et par une
volonté politique réaffirmée. Il faut retrouver le sens physique de nos
économies, les ressources naturelles, tout en cheminant vers un monde
décarboné.

1. https://www.brookings.edu/wp-
content/uploads/2022/10/20thpartycongress_xi_jinping.pdf
2. Geneviève Barman, Nicole Dulioust, « Les années françaises de Deng
Xiaoping », Vingtième siècle, revue d’ histoire, no 20, p 17-34, 1988.
https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1988_num_20_1_2793
3. Étienne Goetz, « Le Pentagone sécurise le raffinage de terres rares sur le
sol américain », Les Échos, art. cité.
4. Giulietta Gamberini, « Métaux rares (3/3): la réouverture de mines en
France est-elle envisageable ? », La Tribune, 25 juillet 2018.
https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-
environnement/metaux-rares-3-3-la-reouverture-de-mines-en-france-est-
elle-envisageable-785650.html
5. Voir les conclusions du rapport Varin sur le site du ministère de la
Transition écologique et de la cohésion des territoires.
https://www.ecologie.gouv.fr/investir-dans-france-2030-remise-au-
gouvernementdu-rapport-varin-sur-securisation
6. Commission européenne. https://single-market-
economy.ec.europa.eu/sectors/raw-materials/areas-specific-interest/critical-
raw-materials_en
7. Commission européenne. https://single-market-
economy.ec.europa.eu/publications/net-zero-industry-act_en
8. Site du Sénat aux États-Unis.
https://www.democrats.senate.gov/imo/media/doc/inflation_reduction_act_
one_page_summary.pdf
9. Antoine Bouët, « Inflation Reduction Act (IRA): comment l’UE peut-elle
répondre aux incitations fiscales américaines ? », La Tribune, 17 mars 2023.
https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/inflation-reduction-act-ira-
comment-l-ue-peut-elle-repondre-auxincitations-fiscales-americaines-
955638.html
10. KU Leuven pour Eurométaux, « Metals for Clean Energy. Pathways to
solving Europe’s raw materials challenge », avril 2022.
https://eurometaux.eu/media/jmxf2qm0/metals-for-clean-energy.pdf
11. Philippe Jacqué, « L’Union européenne vise 42,5 % d’énergies
renouvelables en 2030 », Le Monde, 30 mars 2023. https://www.lemonde.fr/
economie/article/2023/03/30/l-union-europeenne-vise-42-5-d-
energiesrenouvelables-en-2030_6167526_3234.html
12. Ministère de la Transition énergétique, 10 janvier 2022, « Investir dans
la France de 2030 : remise au gouvernement du rapport Varin sur la
sécurisation de l’approvisionnement en matières premières minérales et
ouverture d’un appel à projets dédié ».
https://www.ecologie.gouv.fr/investir-dans-france-2030-remise-au-
gouvernement-du-rapport-varinsur-securisation
13. Anne Drif, « Coup d’envoi au fonds d’investissement français dans les
métaux stratégiques », Les Échos, 10 mai 2023.
https://www.lesechos.fr/finance-marches/ma/exclusif-coup-denvoi-au-
fonds-dinvestissement-francais-dans-les-metaux-strategiques-1942234
14. Ministère de la Transition écologique.
https://www.ecologie.gouv.fr/france-2030-gouvernement-annonce-
lancement-dun-fonds-dinvestissement-dedie-aux-minerais-et-metaux
15. European Union, 2020, TEG final report on the EU taxonomy.
https://finance.ec.europa.eu/system/files/2020-03/200309-sustainable-
finance-teg-final-report-taxonomy-annexes_en.pdf
16. Ibid, p. 159.
17. J.-P. Morgan, 1er janvier 2023, « EU SFDR Explained : Guide du
règlement européen sur la publication d’informations de durabilité dans le
secteur des services financiers à l’intention des investisseurs ».
https://am.jpmorgan.com/fr/fr/asset-management/adv/investment-
themes/esg/understanding-SFDR/
18. Audition de Philippe Varin au Sénat, mercredi 16 février 2022.
http://videos.senat.fr/video.2808094_620ae597389af.audition-de-
mphilippe-varin?timecode=1467000
19. Autrefois TIPP (Taxe intérieure sur les produits pétroliers), elle est
aujourd’hui appelée TICPE (Taxe intérieure sur la consommation de
produits énergétiques).
20. Raphaël Legendre, « Carburants : combien a vraiment touché l’État
cette année ? », L’Opinion, 16 novembre 2022.
https://www.lopinion.fr/economie/carburants-combien-a-vraiment-touche-
letat-cette-annee
21. Financial Times, « Hunt to impose UK road tax on electric cars for first
time », 4 novembre 2022. https://www.ft.com/content/405467f9-c3cd-4b4d-
bc48-2582890e7820
22. La Tribune, 8 mars 2023. https://www.latribune.fr/entreprises-
finance/industrie/automobile/voiture-thermique-la-france-exhorte-
lallemagne-a-lever-son-abstention-sur-l-interdiction-dans-l-ue-954510.html
Table des matières
Introduction
Partie 1 – Pourquoi une transition énergétique ?

Chapitre 1 – L’énergie à la base de notre monde moderne


Nos si précieuses énergies fossiles
Une symbiose énergie-croissance et un empilement énergétique
Une dépendance, source de tensions internationales.

Chapitre 2 – Le réchauffement climatique nous impose de tout


changer !
Concentration en CO2 et réchauffement climatique
Les conséquences du réchauffement climatique
Une solution ? Non, des pistes multiples

Chapitre 3 – La transition énergétique est le plus grand


challenge de l’humanité, mais les solutions existent
Organiser la transition pour contrer la tragédie des horizons
Atteindre la neutralité nécessite le déploiement des technologies
bas-carbone

Partie 2 – Les métaux et les défis de la transition énergétique

Chapitre 4 – Le monde est basé sur les matières premières


Matières premières : de quoi parle-t-on ?
Les extractions mondiales de matériaux vont dépasser les 100
milliards de tonnes !
Des marchés volatils depuis les années 1970
Du grand oubli des années 1980-1990 à la renaissance dans les
années 2000

Chapitre 5 – Les métaux de la transition énergétique


Des minerais aux métaux : comment et pour quoi faire ?
Des besoins en métaux qui vont augmenter significativement
Métaux critiques et stratégiques

Chapitre 6 – La taille du réservoir : allons-nous manquer de


métaux pour la transition bas-carbone ? .
Ressources, réserves : de quoi parle-t-on ?
Criticité géologique, environnementale, géopolitique et
économique

Chapitre 7 – Taille du robinet: la condition de la réussite de la


transition énergétique
Une tragédie des horizons miniers
Quel modèle économique ?

Partie 3 – Les conséquences de la transition énergétique

Chapitre 8 – Les conséquences économiques


Transition énergétique : quels impacts sur les prix des métaux ?
Des prix des métaux au coût global de la transition

Chapitre 9 – La course aux métaux : quelles conséquences


géopolitiques ?
De possibles gagnants sur tous les continents
Les métaux, vecteurs d’une nouvelle géopolitique internationale ?

Chapitre 10 – Les conséquences environnementales de la


production de métaux
La face cachée de nos consommations
Pollutions de l’air et de l’eau

Chapitre 11 – Quelles politiques publiques pour diminuer la


demande et la dépendance extérieure aux métaux ?
Le recyclage, stratégie essentielle mais insuffisante
Tout changer dans notre rapport à la mobilité

Chapitre 12 – Quelles stratégies pour les États-Unis et la Chine


?
Les métaux critiques comme priorité nationale aux États-Unis
Une Chine pragmatique et ambitieuse sur la question des métaux
critiques

Conclusion – L’Europe doit agir très rapidement


Gérer la dépendance aux métaux critiques
Le financement : le nerf de la guerre
L’Union européenne a besoin d’une coopération approfondie sur
les questions minières et énergétiques
Achevé d’imprimer par
ROTATIVAS DE ESTELLA
en septembre 2023

Dépôt légal : octobre 2023


Imprimé en Espagne

Mise en pages réalisée par


Jacques Motllo – 66470 – Sainte-Marie-la-Mer
131/2023

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