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Rédacteur en chef Société Française d’Anesthésie

Jean-Yves LEFRANT (Nîmes, France) et de Réanimation


74, rue Raynouard, 75016 Paris
Rédacteurs en chef adjoints
Dan BENHAMOU (Le Kremlin-Bicêtre, France), Romain PIRRACCHIO (San Francisco, Etats-Unis),
Conseil d’administration (2021)
Marc-Olivier FISCHER (Caen, France)
Président : Pierre ALBALADEJO
Rédacteurs adjoints (contact e-mail : president@sfar.org)
Alice BLET (Lyon, France), Ruth LANDAU (New York, Etats-Unis), Armelle NICOLA-ROBIN (Paris, France),
Antoine ROQUILLY (Nantes, France) 1er Vice-président : Jean-Michel CONSTANTIN
2e Vice-président : Marc LEONE
Assistant de rédaction
Secrétaire général : Karine NOUETTE-GAULAIN
Alexandre MILMAN (Paris, France)
Secrétaire général adjoint : Frédéric LE SACHÉ
Rédacteurs associés
Osama ABOU ARAB (Amiens, France), Bernard ALLAOUCHICHE (Lyon, France), Sylvain AUSSET (Clamart, France), Trésorière : Marie-Laure CITTANOVA
Sophie BASTIDE (Nîmes, France), Matthieu BIAIS (Bordeaux, France), Matthieu BOISSON (Poitiers, France), Trésorière adjointe : Isabelle CONSTANT
Fanny BOUNES (Toulouse, France), Lionel BOUVET (Lyon, France), Olivier BRISSAUD (Bordeaux, France),
Anaïs CAILLARD (Brest, France), Xavier CAPDEVILA (Montpellier, France), Aude CARILLION (Paris, France), Administrateurs
Thomas CLAVIER (Rouen, France), Philippe CUVILLON (Nîmes, France), Christophe DADURE (Montpellier, France), Julien AMOUR, Hélène BELOEIL, Valérie BILLARD,
Jean-Stéphane DAVID (Lyon, France), Claire FAZILLEAU (Comité IDE Réanimation, Paris, France), Patrice FORGET Marie-Pierre BONNET, Julien CABATON,
(Aberdeen, Ecosse), Denis FRASCA (Poitiers, France), Anne GODIER (Paris, France), Arthur JAMES (Paris, France), Marion COSTECALDE, Laurent DELAUNAY,
Olivier JOANNES-BOYAU (Bordeaux, France), Sébastien KEREVER (Paris, France), Éric KIPNIS (Lille, France), Delphine GARRIGUE, Pierre KALFON,
Morgan LE GUEN (Suresnes, France), Matthieu LEGRAND (San Francisco, États-Unis), Emmanuel LORNE (Amiens, France), Olivier JOANNES-BOYAU, Frédéric LACROIX,
Isabelle Macquer (Comité IADE, CHU Bordeaux), Frédéric MERCIER (Clamart, France), Olivier LANGERON, Sigismond LASOCKI, Jane MURET,
Nicolas MONGARDON (Créteil, France), Hervé QUINTARD (Genève, Suisse), Philippe RICHEBE (Montréal, Canada), Olivier RONTES, Nadia SMAIL, Paul ZETLAOUI
Sacha ROZENCWAJG (Paris, France), Mircea SOFONEA (Montpellier, France), Antoine SCHNEIDER (Lausanne, Suisse),
Stéphanie SIGAUT (Clichy, France), Francis VEYCKEMANS (Lille, France), Paul ZETLAOUI (Le Kremlin-Bicêtre, France)

Rédactrice Réseaux Sociaux


Alice BLET (Paris, France)

Twitter : @AccpmJ

Rédacteurs invités
Mette BERGER (Lausanne, Suisse), Jean-Michel CONSTANTIN (Clermont-Ferrand, France), Daniel DE BACKER (Bruxelles,
Belgique), Didier PAYEN (Paris, France), Jean-Charles PREISER (Bruxelles, Belgique), Jean-Louis VINCENT (Bruxelles, Belgique)

Rédacteur en chef précédent


Benoît PLAUD, 2015-2017
Directeur de la publication
Pierre ALBALADEJO

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Société française d’anesthésie et de réanimation : http://www.sfar.org/

Anesthésie & Réanimation (ISSN 2352-5800) 2023 (volume 9) ; un an, 6 numéros.


Tarifs 2023 (abonnement papier) : France institutionnels : 542 € ; Particuliers : 277 € ; Étudiants : 149 € (TTC).
Prix de vente au numéro : 99 €
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de l’année en cours ou du prochain numéro à paraître. Les réclamations pour les numéros non reçus doivent parvenir dans un délai maximum de six mois. Les numéros et
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Imprimé en France par Dupliprint, 733 rue Saint Léonard, 53 000 Mayenne.
Publication périodique bimestrielle – CPPAP : 1123T92720 – Dépôt légal à date de parution
ISSN : 2352-5800
Sommaire
Vol. 9
No 1
Janvier 2023

Editoriaux ALR et oncologie : il est temps de changer


SFAR 2023 : restons unis dans un monde en crise d’hypothèse
Pierre Albaladejo .................................................. 1 Jamie Elmawieh, Lucillia Bezu, Stéphanie Suria,
Lauriane Bordenave ............................................ 48
Anesthésie & Réanimation, en 2023
Marc-Olivier Fischer, Jean-Yves Lefrant, Cas Cliniques Commentés
pour le bureau éditorial d’ANREA ....................... 4 Analgésie locorégionale en réanimation
Correspondance traumatologique
Hugues Weber, Jonathan Charbit,
Note sur l’eskétamine Xavier Capdevila .................................................. 56
Vincent Minville, Fabrice Ferré ............................ 6
ALR et fractures du col du fémur
Article spécial Sophie Diemunsch, Eric Noll ............................... 61
Le jour d’après ressemblera-t-il au jour d’avant ? Mastectomie avec curage axillaire
Comment la pandémie COVID reconfigure Lana Zoric, Philippe Sitbon, William Jacot .......... 64
l’éthique en réanimation ? Bloc pudendal en pédiatrie
Matthieu Le Dorze, Pierre Mora, Hugues Ludot, Daphné Michelet ........................ 68
Claire Dahyot-Fizelier, Pierre-Gildas Guitard,
Olivier Langeron, Elodie Brunel, Fiches Flash
Laurent Heyer, Clément Gakuba, Fiche Flash : anesthésie locorégionale de
Olivier Joannes-Boyau, l’adulte. Blocs périphériques... les essentiels en
Pierre-François Perrigault, Yoann Launey .......... 7 6 points
Dossier thématique : Anesthésie Loco-régionale Olivier Choquet, Philippe Cuvillon ...................... 73
Fiche Flash : les blocs du pied et de la cheville
Éditorial Olivier Rontes, Marie Virtos, Vincent Atthar ....... 75
L’Anesthésie Loco-Régionale Fiche Flash : blocs du poignet et Walant
Philippe Cuvillon, Axel Maurice Szamburski, Sébastien Bloc, Cyril Quemeneur,
Xavier Capdevila .................................................. 12 Frédéric Le Saché ................................................. 82
Mises au point Fiche Flash : anesthésie locorégionale de
l’adulte. « 5 étapes pour réussir un cathéter à
Le plexus lombal et ses branches domicile »
Fabien Swisser, Matthias Herteleer, Axel Maurice Szamburski, Xavier Capdevila,
Olivier Choquet, Nathalie Bernard, Laurent Delaunay, Philippe Cuvillon ................... 91
Xavier Capdevila .................................................. 14
Bloc du plexus brachial pour la chirurgie de Veille bibliographique LMLP
l’épaule Transfusion pré-hospitalière de plasma pour les
Laurent Delaunay, Florence Plantet, patients en choc hémorragique traumatique :
Yecer Boussarsar, Joël L’Hermite ........................ 22 les études re-Phill et PREHO-PLYO
Blocs du scalp et de la face Jean-Denis Moyer, Fanny Bounes,
Pierre-Antoine Oillic, Paul Zetlaoui ..................... 30 Arthur James, pour le groupe le masque et la
plume ................................................................... 93
Péridurale thoracique analgésique
Yann Gricourt, Pierre Baptiste Vialatte,
Zahir Akkari, Geoffrey Avis, Philippe Cuvillon .... 40
Anesth Reanim. 2023; 9: 1–3

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Éditorial
SFAR 2023 : restons unis dans un monde en
crise

Pierre Albaladejo

Disponible sur internet le : CHU de Grenoble-Alpes, pôle d'anesthésie-réanimation, 38000 Grenoble, France
15 décembre 2022
PAlbaladejo@chu-grenoble.fr

SFAR 2023: United in a world in crisis

L' Anesthésie Réanimation Médecine Périopératoire doit relever les défis d'un monde de la
santé en crise, vulnérable et pris de doute. Notre société, la SFAR, dispose de l'énergie, de
l'engagement et des moyens pour affronter ces difficultés. Cette énergie se fonde sur une histoire
récente construite sur des bases solides qui ont conduit l'anesthésie-réanimation aux avant-postes
des spécialités médicales, non seulement par le nombre (12 000 MAR, 11 000 IADE) mais aussi et
surtout par sa capacité à développer une attractivité forte reposant sur une polyvalence d'exercice.
L'engagement de la SFAR pour notre spécialité, repose sur l'investissement de chacun de ses
membres au service du collectif. Cet engagement débute par l'adhésion, se poursuit par la
participation aux nombreuses activités de formations, de recherche et de promotion de la
discipline (congrès, formations, réseaux et manifestations) et doit se poursuivre par un engage-
ment direct dans les comités, groupes de travail et missions de la SFAR. Près de 300 professionnels
de l'Anesthésie Réanimation et de la Médecine Périopératoire sont à pied d'œuvre et travaillent
bénévolement pour enrichir l'offre de la SFAR.
Nos projets pour 2023 sont dictés par l'actualité et par la constante nécessitée de moderniser notre
exercice professionnel.

La formation « tout au long de la vie »


La « certification périodique » qui s'impose à nous dès 2023, est une opportunité unique de faire de
la SFAR, le pôle d'excellence dans la formation continue en Anesthésie Réanimation et Médecine
Périopératoire. La SFAR proposera en 2023, en collaboration avec le CFAR, dans un cadre
administratif simplifié, une offre complète couvrant les impératifs de la certification périodique :
la formation, l'évaluation des pratiques professionnelles, la relation avec les patients et la santé
personnelle.

tome 9 > n81 > janvier 2023


https://doi.org/10.1016/j.anrea.2022.12.001
© 2022 Publié par Elsevier Masson SAS au nom de Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar).

1
P. Albaladejo

Éditorial
SFAR R&D place de la téléconsultation, l'apport de la télé-expertise en
L'innovation n'attendra pas ! Nous continuerons et amplifierons réanimation ou encore le déploiement du dossier médical par-
notre soutien, en particulier financier, à la recherche. Le comité tagé sont autant de questions sur lesquelles il nous fallait
scientifique, le réseau recherche, le comité d'éthique et les avancer avec un haut niveau d'expertise.
journaux de la SFAR (ACCPM et ANREA) travaillent ensemble
Responsabilité sociale et environnementale
pour créer, organiser, promouvoir, publier et diffuser les travaux
de recherche et d'innovation. C'est un des leviers de la SFAR pour La SFAR et la CFAR ont toujours eu le souci de prendre soin des
maintenir et consolider l'attractivité de notre spécialité, en professionnels de l'anesthésie réanimation. Le Comité Vie Pro-
collaboration étroite avec le CNEAR (Collège national des ensei- fessionnelle-Santé au Travail poursuit le travail du groupe SMART
gnants en anesthésie réanimation) et le CNU (La sous-section du et propose des outils et des formations pour prévenir les risques
Conseil national universitaire, qui évalue et nomme les hospi- psycho-sociaux liées à la pratique de la spécialité (sur le site de la
talo-universitaires en Anesthésie Réanimation). SFAR à l'onglet CVP-ST). Cette information doit-être diffusée car
pour maintenir l'attractivité dans une spécialité à haut niveau de
Référentiels ? Recommandations ? Consensus ? contrainte, le bien-être des professionnels est essentielle.
La SFAR est la société savante qui offre le plus de référentiels La défense de la parité au sein des instances de la SFAR mais
professionnels. Le rôle du Comité des Référentiels Cliniques est également lors de l'organisation de manifestations de la SFAR,
de programmer, organiser et accompagner le développement demeure un engagement fort au sein de notre société pour
ou la réactualisation des référentiels. La médecine périopéra- accompagner l'expression de toutes et tous.
toire et le caractère souvent transversal des sujets à traiter Au-delà de l'engagement de chacun pour préserver l'environ-
impose une collaboration étroite avec les autres sociétés savan- nement, l'attention portée à l'impact de nos activités de soins
tes en recherchant un accord fort avec une méthodologie sur l'environnement repose sur l'investissement du Comité
robuste. Pour 2023–2024, le programme des référentiels est Développement Durable en favorisant la diffusion de référen-
riche : réactualisation en antibioprophylaxie, organisation de tiels pour une pratique vertueuse et durable.
l'anesthésie pédiatrique, optimisation hémodynamique. . .
Pénuries. . .
La SFAR au plus près des professionnels Les pénuries et les tensions d'approvisionnement s'aggravent, non
En 2023, la SFAR sera proche de vous : à Rennes le 27 janvier seulement pour les médicaments, mais aussi pour les dispositifs
2022 pour une journée SFAR exceptionnelle puis pour des médicaux. Le Comité Analyse et Maîtrise du Risque de la SFAR
sessions SFAR lors des nombreux congrès régionaux (ICAR, collabore avec les tutelles pour produire des listes de médicaments
JARCA, le SYMPO, REAGSO, MERPO et JLAR. . .). Ces congrès critiques pour l'anesthésie et les soins critiques afin d'alerter les
régionaux sont les maillons indispensables pour permettre tutelles en amont des difficultés d'approvisionnement.
à la spécialité de se retrouver et de communiquer au plus près Les raisons expliquant les tensions d'approvisionnement des
des professionnels de notre spécialité. dispositifs médicaux sont complexes, liées aux conflits, aux
délocalisations et aux modifications récentes des certifications
SFAR Galaxie : la médiathèque européennes. Une discussion est engagée avec les autres socié-
La SFAR propose depuis septembre 2022, une plateforme de tés savantes et les tutelles pour réduire ces tensions.
formation qui regroupe tous les médias utiles pour aborder les À l'instar de l'Allemagne et des États-Unis, l'idée du « reprocess-
différentes facettes de l'anesthésie réanimation et médecine ing » des dispositifs médicaux à « usage unique » est abordée
périopératoire. SFAR Galaxie héberge plus de 50 parcours créés mais contrariée en France, par la parution d'une ordonnance en
par les comités de la SFAR. Vous y retrouverez également les avril 2022 qui réaffirme l'interdiction de réutilisation des dis-
replays des congrès de la SFAR : eSFAR, congrès national, JMT. . . positifs médicaux à usage unique.
En 2023, les contenus de la plateforme d'enseignement SIDES- En 2023, malgré les incertitudes sur la situation socio-écono-
NG seront disponibles sur SFAR-Galaxie. Il s'agit de mettre à la mique, climatique et globale, les professionnels de l'anesthésie
disposition de tous les adhérents de la SFAR les enseignements réanimation, médecins ou paramédicaux, dans les établisse-
destinés aux internes du DES ARMPO. ments publics ou privés, partout en France, doivent agir
ensemble, au sein de la maison de l'Anesthésie Réanimation.
Création d'un groupe SFAR Numérique La SFAR, aux côtés des autres acteurs de l'anesthésie réanima-
La SFAR a décidé de mettre en place un groupe spécifique sur la tion au Conseil National Professionnel (qui regroupe les collè-
problématique du numérique en santé et plus particulièrement ges, les syndicats et la SFAR) est engagée pour défendre nos
dans notre spécialité. Les questions sur la protection des don- valeurs pour la santé publique. Les dossiers sensibles sont
nées, la gestion des bases de données, l'apport de l'intelligence nombreux : feuille de route des soins critiques, décret des soins
artificielle, la cybersécurité, la digitalisation des parcours, la renforcés, certification périodique, pratique avancée, fin de vie,

tome 9 > n81 > janvier 2023

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Anesth Reanim. 2023; 9: 1–3

Éditorial
maintien de l'attractivité, maisons de naissance et accouche- pour défendre nos valeurs par notre engagement auprès des
ment à domicile, pénuries, situations sanitaires exceptionnelles, autorités sanitaires, pour préserver la santé et le bien-être des
déserts médicaux, épidémies. . .. La liste est longue et s'allonge professionnels et de nos équipes.
encore si l'on considère que les dossiers impactant les autres
Déclaration de liens d'intérêts : l'auteur a de liens d'intérêts avec SANOFI,
spécialités nous touchent par ricochet. BMS, Pfizer, Branchet Solutions.
Alors, en 2023 comme toujours, restons unis pour proposer les
meilleurs soins à nos patients par la formation et la recherche,

tome 9 > n81 > janvier 2023

3
Anesth Reanim. 2023; 9: 4–5

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Éditorial
Anesthésie & Réanimation, en 2023

Marc-Olivier Fischer 1, Jean-Yves Lefrant 2, pour le bureau éditorial d'ANREA

Disponible sur internet le : 1. Institut Aquitain du Coeur, clinique Saint Augustin, 114 avenue d'Arès, 33
14 décembre 2022 074 Bordeaux Cedex
2. CHU de Nîmes, université de Montpellier-Nîmes, department of anaesthesiology,
critical care and emergency medicine, 30029 Nîmes, France

Correspondance :
Marc-Olivier Fischer, Institut Aquitain du Coeur, clinique Saint Augustin, 114 avenue
d'Arès, 33 074 Bordeaux Cedex
marcolivierfischer@yahoo.fr

Anesthésie & Réanimation journal, in 2023

Mots clés
N ous sommes presque à un an du lancement du journal Anesthésie & Réanimation dans sa
« nouvelle formule », avec de nombreux changements (nouvelle couverture, nouveau logo,
Anesthésie apparition des dossiers thématiques, nouvelles rubriques : ANREA IADE, ANREA IDE de réanimation
Journal et veille bibliographique par l'équipe Le Masque et de La Plume, mini revues, cas cliniques
Pédagogie commentés) [1].
Réanimation Pour les auteurs, le journal Anesthésie & Réanimation semble plus attractif avec deux fois plus de
Keywords soumissions tous types de manuscrits confondus et trois fois plus de manuscrits en haut niveau de
Anaesthesia priorité comprenant articles originaux, revues, mises au point, recommandations et communi-
Critical care cations courtes. L'équipe éditoriale s'est également réorganisée pour permettre un délai plus court
Education entre la soumission et la réponse éditoriale avec éventuelles acceptation et publication (figure 1).
Journal Le nombre de soumissions augmentant, la qualité des manuscrits attendus l'est aussi avec comme
conséquence une augmentation du taux de manuscrits refusés.
Les lecteurs semblent également trouver un intérêt pour cette nouvelle formule comme en
témoignent l'augmentation record du nombre de téléchargements et les relais sur les réseaux
sociaux avec 750 abonnés au compte Twitter @ANREA_Journal en quelques mois.
Ces faits encourageants poussent ANREA à progresser dans plusieurs directions :
 diminution des délais de publication et amélioration de la qualité des articles publiés : l'arrivée

d'un nouvel assistant de rédaction, Mr Alexandre Milman, qui présente un parcours scientifique
valorisé d'un Master 2 et d'un Doctorat de Neurosciences au sein d'une équipe Inserm, devrait
nous permettre une communication plus fluide entre les acteurs de la publications (auteurs,
éditeurs associés, relecteurs et maison d'édition) dans le but de réduire encore les délais et
d'améliorer la qualité des manuscrits ;

tome 9 > n81 > janvier 2023


https://doi.org/10.1016/j.anrea.2022.11.001
© 2022 Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Anesth Reanim. 2023; 9: 4–5

Éditorial
Figure 1
Moyenne de réponse éditoriale du journal Anesthésie & Réanimation et des différents temps liés à la publication d'un manuscrit,
depuis 2018 jusqu'à fin octobre 2022 (données fournies par Elsevier)

 création d'un forum professionnel : ce forum pourrait regrou- littérature scientifique en santé (LiSSa). Une indexation sup-
per les correspondances en lien avec la vie de tous les soi- plémentaire dans la prestigieuse base Web of Sciences dès
gnants de la spécialité Anesthésie,RéanimationetMédecine 2023 va permettre d'obtenir pour le journal un Impact factor
Péri Opératoire en permettant aux lecteurs et aux Comités pour 2023, valorisant à la fois le journal Anesthésie & Réani-
de la SFAR de réagir aux études originales ou à l'actualité mation et les auteurs qui auront une reconnaissance en points
professionnelle des soins critiques. Ce forum se ferait évidem- SIGAPS de leurs publications dans le journal de la SFAR en
ment après relecture habituelle avant publication ; langue française [3] ;
  les dossiers thématiques pour 2023 porteront sur les maladies
pour améliorer ces échanges et la diffusion des travaux publiés
par Anesthésie & Réanimation, une équipe des média sociaux va rares (mars), diabète et hypertension artérielle (mai), pro-
voir le jour pour diffuser plus régulièrement le contenu du journal cessus de publication (juillet), SFAR (septembre), infectieux
Anesthésie & Réanimation sur plusieurs réseaux sociaux [2] ; (novembre) puis obstétrique (janvier 2024). Nous espérons
 Anesthésie & Réanimation souhaite développer les échanges que Anesthésie & Réanimation vous apportera satisfaction
avec les pays francophones et lecteurs francophiles. Nous pour 2023 et tout le comité de rédaction se joint à nous pour
encourageons tous nos collègues de pays francophones à par- vous souhaiter tous nos vœux de bonheur pour cette nouvelle
ticiper à la vie du journal Anesthésie & Réanimation. Là année !
encore, ces soumissions seront soumises à une relecture Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
par le bureau éditorial ; liens d'intérêts.
 Anesthésie & Réanimation est déjà indexé dans les bases
EMBASE, Emerging sources citation index (ESCI), Hinari et la

Références
[1] Lefrant JY, Fischer MO, Pirrachio R, Benha- [2] Clavier T, Sigaut S, Bounes F, James A, Frasca [3] Yavchitz A, LeGuen M, Sigaut S, Evain JN,
mou D, Njeim R, Ausset S, et al. La revue D, Boisson M, et al. Quel impact de la Mazereaud A, Kerever S, et al. Les missions
Anesthésie & Réanimation (ANREA) : des nou- présence sur les réseaux sociaux pour un et objectifs du Réseau recherche de la Société
veautés et une nouvelle impulsion. Anesth journal médical? L'exemple de l'équipe déd- française d'anesthésie et de réanimation.
Reanim 2022;8:1–3. iée d'Anaesthesia Critical Care and Pain Med- Anesth Reanim 2021;7:454–61.
icine. Anesth Reanim 2021;7:210–7.

tome 9 > n81 > janvier 2023

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Anesth Reanim. 2023; 9: 6

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Correspondance
Note sur l'eskétamine  comme seul anesthésique ou en association avec des
hypnotiques.
Note on esketamine  en anesthésie et soulagement de la douleur en médecine

d'urgence.
 du contrôle de la douleur liée à la respiration artificielle.

Récemment, est apparu dans l'arsenal thérapeutique une « nou- La littérature est pour le moment encore peu fournie pour juger
velle molécule » : la eskétamine. Initialement, elle était indi- de la plus-value ou non de cette nouvelle formulation. Le coût
quée chez les adultes pour le traitement des épisodes dépressifs est plus important que la kétamine. En outre, s'ajoute à cela le
caractérisés résistants n'ayant pas répondu à au moins deux risque d'erreur médicamenteuse qui existe déjà avec la kéta-
antidépresseurs différents de deux classes différentes au cours mine 50 mg et 250 mg. Ce risque serait potentiellement
de l'épisode dépressif actuel sévère [1]. Nous ne rentrerons pas aggravé par la coexistence d'eskétamine (forme et couleur
dans les détails de l'intérêt de cette thérapeutique dans cette des ampoules). Il pousserait les pharmacies hospitalières
indication. Cependant, de la psychiatrie à l'anesthésie réanima- à complètement substituer la kétamine par l'eskétamine.
tion et médecine périopératoire il n'y a qu'un pas, et il est En résumé, d'autres études sont nécessaires afin de trancher
tentant de s'approprier cette molécule qui nous semble fami- quant au bénéfice par rapport à la formulation de base avant de
lière. Les autorités l'ont fait, en donnant un avis favorable au l'utiliser quotidiennement dans nos institutions.
remboursement dans les indications suivantes : Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
 induction et maintien de l'anesthésie générale, comme seul liens d'intérêts.
anesthésique ou en association avec des hypnotiques ;
 anesthésie et soulagement de la douleur (analgésie) en

médecine d'urgence ;
 contrôle de la douleur liée à la respiration artificielle
Références
(intubation).
[1] Haute Autorité de la santé, « SPRAVATO (eskétamine)AVIS SUR LES MÉDI-
Un avis défavorable a été donné au remboursement pour son
CAMENTS » 07 juillet 2020. [En ligne]. Disponible sur : https://www.has-
utilisation en adjuvant d'une anesthésie régionale ou locale, au sante.fr/jcms/p_3191469/fr/spravato-esketamine.
regard des alternatives disponibles [2]. [2] Haute Autorité de la santé, « ESKETAMINE IDD 5mg/ml et 25mg/ml
Cependant, cette molécule n'apporte pas, pour le moment, de (eskétamine) AVIS SUR LES MÉDICAMENTS » 17 août 2021. [En ligne].
Disponible sur : https://www.has-sante.fr/jcms/p_3282241/fr/
progrès dans la prise en charge (qui comprend la kétamine),
esketamine-idd-5-mg/ml-et-25-mg/ml-esketamine.
dans l'induction et le maintien de l'anesthésie générale, en
Vincent Minville, Fabrice Ferré
anesthésie et soulagement de la douleur en médecine
Centre hospitalier et universitaire de Toulouse, RESTORE, UMR
d'urgence, et dans le contrôle de la douleur liée à la respiration 1301 Inserm, pôle anesthésie-réanimation, médecine périopératoire,
artificielle. université Paul-Sabatier, université de Toulouse, 1, avenue du Pr Jean-
Poulhès, 31059 Toulouse cedex, France
La Haute Autorité de santé considère le Service médical rendu
Correspondance : Vincent Minville, Centre hospitalier et universitaire de
(SMR) comme insuffisant : « le service médical rendu par Toulouse, RESTORE, UMR 1301 Inserm, pôle anesthésie-réanimation,
ESKETAMINE IDD (eskétamine) est insuffisant dans le traitement médecine périopératoire, université Paul-Sabatier, université de
adjuvant d'une anesthésie locale ou régionale, pour une prise en Toulouse, 1, avenue du Pr Jean-Poulhès, 31059 Toulouse cedex, France
minville.v@chu-toulouse.fr
charge par la solidarité nationale et au regard des alternatives
Disponible sur internet le :
disponibles ». Quant à l'amélioration du Service médical rendu 6 janvier 2023
(ASMR) elle est classée V (c'est-à-dire absence d'ASMR). En https://doi.org/10.1016/j.anrea.2022.12.002
effet, la Commission de la Transparence considère que l'eské- © 2022 Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par
tamine n'apporte pas d'amélioration du service médical rendu Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

dans la stratégie thérapeutique (qui comprend la kétamine) :


 de l'induction et du maintien de l'anesthésie générale,

tome 9 > n81 > janvier 2023

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Article spéciale
Le jour d'après ressemblera-t-il au jour
d'avant ? Comment la pandémie COVID
reconfigure l'éthique en réanimation ?

Matthieu Le Dorze 1, Pierre Mora 1, Claire Dahyot-Fizelier 2, Pierre-Gildas Guitard 1, Olivier Langeron 2,
Elodie Brunel 1, Laurent Heyer 2, Clément Gakuba 1, Olivier Joannes-Boyau 2, Pierre-François Perrigault 1,
Yoann Launey 2

Disponible sur internet le : 1. Comité éthique de la Société française d'anesthésie-réanimation, réanimation


19 décembre 2022 chirurgicale polyvalente, hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75475 Paris
cedex 10, France
2. Comité réanimation de la Société française d'anesthésie-réanimation, Paris,
France

Correspondance :
Matthieu Le Dorze, comité éthique de la Société française d'anesthésie-
réanimation, réanimation chirurgicale polyvalente, hôpital Lariboisière, 2, rue
Ambroise-Paré, 75475 Paris cedex 10, France.
matthieu.ledorze@aphp.fr

Will the day after look like the day before? How does the COVID pandemic
reshape ethics in intensive care medicine?

Mots clés
Éthique
Réanimation
Pandémie

Introduction les tensions éthiques qui traversent la pratique du soin en


La pandémie due au SARS-Cov2, l'une des plus importante réanimation.
depuis plusieurs décennies, a mis sous forte tension le système En décembre 2021, près de deux ans après la première vague
de santé, plus particulièrement les unités de soins critiques, épidémique, les comités éthique et réanimation de la Société
soumis au risque répété de saturation. Ce contexte inhabituel et française d'anesthésie réanimation (SFAR) ont réuni des acteurs
tragique d'afflux prolongé de patients au gré de vagues épidé- et des témoins de la crise (des décideurs institutionnels, des
miques successives a révélé à la fois les forces et les fragilités de soignants de terrain, des patients et leur proches, des experts
nos organisations et de nos pratiques. Cette crise sanitaire des sciences humaines et sociales) ainsi que des experts d'hori-
majeure a permis de percevoir sous une nouvelle perspective zons variés pour apporter des éléments de réflexion à la

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https://doi.org/10.1016/j.anrea.2022.09.001
© 2022 Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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M. Le Dorze, P. Mora, C. Dahyot-Fizelier, P-G Guitard, O. Langeron, E. Brunel, et al.

Article spéciale
question suivante : en quoi la pandémie COVID reconfigure les priorité donnée à l'individu peut être supplantée par la priorité
dilemmes éthiques spécifiques à la pratique du soin en donnée à la collectivité.
réanimation ? Quels pourraient être alors les modalités et les critères d'alloca-
Ce texte rapporte une partie de ces contributions autour de tion prioritaire en ressources devenues encore plus rares ? Fixer
quatre enjeux en élargissant progressivement le champ réflexif : un cadre opérationnel rationnel basé sur des critères médicaux
 la priorisation en soins critiques ; objectifs robustes et pertinents, comme en médecine militaire
 les priorisations entre soins critiques, soins urgents et soins ou en médecine de catastrophe, est certainement indispen-
programmés ; sable. La difficulté d'élaborer un tel cadre apparaît de façon
 les enjeux liés à la place des proches ; exacerbée lorsque les critères médicaux ne sont plus suffisants.
 les enjeux sociétaux de communication et d'information. Des critères non médicaux peuvent alors être mobilisés, tels que
Ces contributions sont essentielles pour accompagner une des critères méritocratiques ou d'utilité sociale (en priorisant par
refondation de l'éthique du soin en réanimation à même de exemple les professionnels de santé), ou encore égalitaristes
renforcer à l'avenir nos capacités d'adaptation face aux boule- (« premier arrivé, premier servi », tirage au sort). Le choix de ces
versements du monde. critères non médicaux engage la société au-delà du cercle des
experts. Les valeurs qui président à ces choix doivent corres-
pondre aux valeurs de la société dans son ensemble. La res-
La priorisation en soins critiques : quel cadre ? (1re ponsabilité de les appliquer est donc politique et devrait susciter
table ronde) des débats démocratiques en dehors des périodes de crise pour
L'expansion rapide de la pandémie a provoqué un afflux pro- finalement prendre force de loi, Et même si parfois, les convic-
longé de patients en état critique faisant courir le risque d'une tions individuelles du médecin pourront entrer en contradiction
rupture de l'équilibre entre les besoins médicaux des patients et avec ces valeurs portées par la société. Dans tous les cas, ne pas
les ressources disponibles en soignants, en matériels, en dis- répondre collectivement à ces questions difficiles, reviendrait
positifs, en médicaments. La tension a été quantitative et à nier l'existence de la question du tri.
qualitative. Le risque de saturation des unités des soins critiques Si fixer un cadre opérationnel semble indispensable, ce n'est
a été le critère décisionnel majeur justifiant l'instauration de certainement pas suffisant. Aucun algorithme, schéma ou score
mesures exceptionnelles visant à freiner la circulation virale. de priorisation ne saura répondre aux exigences éthiques de la
Malgré ces mesures, malgré les stratégies organisationnelles décision médicale quelles que soient les circonstances. Les
rendues possibles par la mobilisation de tous les acteurs (aug- limites de ce cadre doivent pouvoir être franchies pour s'adapter
mentation du capacitaire, transferts interrégionaux, etc.), des à la singularité de chaque patient, en convoquant la collégialité
décisions difficiles ont dû être prises par les réanimateurs au cœur du processus décisionnel. Au moins autant que les
concernant l'instauration ou la poursuite d'une réanimation. stratégies elle-même, le cadre réflexif qui sous-tend leur éla-
Ces décisions ont d'ailleurs souvent été prises en amont, sou- boration doit être explicité.
vent par les médecins urgentistes et les médecins de secteurs Il n'en reste pas moins que penser le tri apparaît insupportable.
d'hospitalisation qui n'ont pas proposé pour une admission en Toute réflexion sur le triage suscite beaucoup de réticences dans
réanimation les patients les plus âgés ou ceux ayant de nom- l'opinion publique mais aussi parmi les soignants. Comment
breuses comorbidités. concevoir qu'un patient pourrait être privilégié par rapport à un
Pour aider la décision, des stratégies de priorisation relatives autre ? Comment concevoir qu'un patient ne pourrait pas rece-
à l'instauration ou à la poursuite d'une réanimation ont dû être voir les traitements dont il a besoin ? Des efforts de commu-
envisagées. La question du tri a été sur le devant de la scène nication et d'information doivent être développés, en particulier
médiatique. Au quotidien, en dehors des situations sanitaires pour mieux expliciter le tri comme une pratique habituelle du
exceptionnelles, les équipes d'urgence et de réanimation ont soin. Pour être acceptables par tous, ces stratégies doivent
l'habitude de prioriser, en s'aidant par exemple des scores d'aide impliquer les patients, leurs proches, les représentants des
à la décision. La pandémie est venue rappeler que tout système usagers informés en toute transparence. Ces efforts s'avèrent
de santé possède des limites dans l'allocation des ressources. pertinents en dehors des périodes de crises. La négation de la
Autrement dit, si la rareté est permanente, les situations sani- réalité du tri par les politiques a rendu particulièrement difficile
taires exceptionnelles l'augmentent drastiquement. Dans ces cette réflexion collective pourtant indispensable.
contextes spécifiques, les stratégies de priorisation visent théo-
riquement à sauver le plus de vies (ou le plus d'années de vies) Des priorisations : vers une éthique de
en allouant les ressources disponibles à ceux qui ont le plus de l'organisation des soins ? (2e table ronde)
probabilité d'en bénéficier. Il s'agit bien de choisir entre le La question du tri s'est initialement focalisée sur les critères
patient à qui on décide d'accorder une chance et celui à qui d'admission des patients COVID en soins critiques. Au fur et
on décide de ne pas l'accorder. Le triage rappelle surtout que la à mesure des vagues épidémiques successives, cette question

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Anesth Reanim. 2023; 9: 7–11

Article spéciale
s'est élargie aux priorisations entre patients COVID et non-COVID, une intelligence collective permettra à nos organisations de
entre soins critiques, soins urgents et soins programmés s'adapter aux crises futures. Pour la rendre possible, des efforts
comprenant également la question des déprogrammations et de communication et d'information sont indispensables.
de reprogrammations. La mobilisation de tous les acteurs a
permis au système de santé de se réorganiser avec des adap- Quelle place pour les proches en réanimation ? (3e
tations qui semblaient jusqu'alors impossibles. Une intelligence table ronde)
collective exceptionnelle a émergé, mue par la réactivité, la La pandémie COVID a réactivé les questionnements sur la place
créativité et la synergie des acteurs du soin, personnels soi- des proches en réanimation. Les restrictions des visites des
gnants, personnels administratifs, personnels techniques et familles dans les services de soins ont été au cœur des pré-
logistiques. Des changements ont pu être observés, notamment occupations. Depuis de nombreuses années, l'ouverture des
une levée des freins financiers et de certains freins réglemen- services de réanimation aux proches était apparue comme
taires. Ces mutations ont donné le sentiment d'un fonctionne- une avancée majeure pour l'accompagnement des patients,
ment plus efficient et plus fluide, replaçant au centre la mission l'aide à la décision médicale, et pour limiter les conséquences
commune primordiale du soin porté à l'autre, supporté par la psychiques sur les personnes impliquées, notamment les pro-
structure essentielle que représente le service de soin. ches, concourant à un impact de santé publique. En effet, si les
La crise a permis de faire émerger une meilleure appréhension symptômes psychiques au décours d'un séjour en réanimation
des situations sanitaires exceptionnelles. Les plans bâtis en concernent ainsi 30 à 40 % des proches, différents leviers de
amont des crises, s'ils ont montré leurs limites opérationnelles prévention efficaces ont été identifiées (les livrets d'accueil, les
face à la réalité de la crise, constituent un socle commun propice journaux de bords, les salles d'accueil des familles, les forma-
à mener une réflexion collective renouvelée pour concevoir une tions d'équipes qui intègrent des psychologues, etc.). Avec les
réponse efficace sur le terrain. Aujourd'hui, différentes néces- restrictions de visites mises en place durant la pandémie, beau-
sités sont prises en compte : la nécessité d'anticiper (par exem- coup de ces leviers de prévention ont été suspendus.
ple en mettant en œuvre une véritable stratégie préventive Un témoignage rend compte de cet impact psychologique. C'est
ambitieuse, ou en renforçant la réserve sanitaire entre les l'histoire de deux sœurs. La première, exposée au Sars-Cov-2 puis
vagues épidémiques) ; la nécessité d'adapter l'offre de soin malade, suspend ses liens familiaux pour protéger ses proches.
à la réalité de la crise (par exemple en augmentant transitoi- Ainsi isolée, alors que la maladie s'aggrave au point d'imposer
rement le capacitaire de soins critiques en convertissant des lits une admission en soins critiques, ce n'est que par téléphone
d'hospitalisation conventionnelle en lits de soins critiques) ; la qu'elle fait ses adieux et transmet ses dernières volontés à sa
nécessité d'intégrer la temporalité d'une crise dans sa gestion sœur. La seconde, dépossédée de l'expression de ses liens
(ici une crise prolongée) ; la nécessité d'une meilleure réparti- affectifs par la mise à distance, vit cet éloignement comme
tion des ressources par une nouvelle approche territoriale (par un abandon de sa sœur souffrante. Les mesures d'isolement
exemple en regroupant un ou plusieurs groupements hospita- séparent les vivants et les malades. Toutes deux, chacune de
liers de territoire avec des établissements privés et des acteurs leur côté, se retrouvent désarmées face à la violence de la
médico-sociaux, ou en organisant une régulation de l'occupa- maladie, de son traitement et de son incertitude. Cette tension
tion des lits de soins critiques à l'échelle d'un territoire, voire se nourrit au fur et à mesure des événements qui émaillent la
d'une région) ; enfin, la nécessité de renforcer la cohérence crise sanitaire avec des promesses de visites avortées ou des
globale des organisations à tous les niveaux (national, régional, évocations de transfert dans d'autres régions. Les modalités
local) pour permettre au système de gagner en agilité. d'échanges par messagerie ou entretiens téléphoniques n'arri-
La pandémie COVID a révélé la nécessité d'une réflexion éthique vent pas à apaiser et répondre aux besoins de liens directs avec
sur l'organisation des soins, au-delà de la réflexion éthique sa sœur malade. Ce désarroi va se prolonger à la phase de
portant plus directement sur le soin. Comment refonder une réhabilitation avec la conviction que l'absence de liens familiaux
organisation des soins éthiquement juste qui prenne en compte fait obstacle à la récupération, elle-même ralentie par une
les facteurs médicaux, économiques et sociétaux, qui respecte phase de délirium ou de soins toujours agressifs. Aujourd'hui,
les principes et les valeurs du soin ? À quelle échelle ces l'histoire n'est toujours pas soldée. Une grande détresse morale
réflexions organisationnelles, structurelles et institutionnelles persiste et affecte la qualité de vie des deux sœurs.
peuvent-elles et doivent-elles être menées (établissement de Durant la pandémie, c'est l'équilibre d'un système fragile qui a
santé, agence régionale de santé, national, européen, interna- été mis à mal. Pour les proches, la rupture a été physique et
tional) ? Une analyse fine des conséquences des déprogram- relationnelle, responsable de symptômes de stress post-trau-
mations sur la santé globale à court et surtout moyen terme sera matique. Privés de repère, ils ne pouvaient plus se rendre
nécessaire. compte de l'évolution de l'état de santé de leur proche. À cela
L'enjeu de cette réflexion est celui de la démocratie sanitaire. s'est ajouté des sentiments d'impuissance, de culpabilité, chez
L'ensemble des citoyens doit participer à cette réflexion. Seule les familles suspendues à d'éventuelles nouvelles. Les situations

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M. Le Dorze, P. Mora, C. Dahyot-Fizelier, P-G Guitard, O. Langeron, E. Brunel, et al.

Article spéciale
de fin de vie ont été sources de difficultés propres, avec des Au-delà d'une crise de la communication, n'est-ce pas une crise
deuils difficiles au décours. Pour les soignants, les restrictions de de l'autorité scientifique ? Pendant la crise, celle-ci s'est incar-
visite ont été un facteur de survenue de symptômes de stress, née dans quelques individus pas toujours experts des questions
d'anxiété et de dissociation péri-traumatiques. Leur éthique traitées et qui ont souvent joué des nouveaux modes de
professionnelle a été rudement mise à l'épreuve. L'absence communication. La controverse publique a été la manifestation
des proches les a privés d'informations habituellement précieu- de cette lutte pour l'autorité scientifique menée finalement loin
ses, informations relatives aux antécédents médicaux ou encore du débat scientifique. Le conseil scientifique et les sociétés
aux volontés, aux valeurs, aux préférences du patient. Certains savantes n'ont probablement pas joué leur rôle d'autorité poli-
soignants se sont plus directement impliqués dans un type tique. Pourtant, comme tous les espaces sociaux, la science est
d'accompagnement dépassant la relation soignant-soigné habi- un espace de lutte pour l'autorité, lutte souvent première par
tuelle. Ce glissement vers le franchissement de frontières sym- rapport au contenu scientifique lui-même.
boliques, combiné au ressenti de « déshumanisation », a été On pourrait également se poser la question de savoir si, au-delà
source de souffrances psychiques. Et la gestion des émotions et d'être une crise de la communication, ce ne serait pas une crise
l'éventuelle souffrance des soignants n'ont pu être pensées de la relation entre la science et la société ? Face à la tragédie, la
dans le présent de la crise. société était en attente d'une réponse vraie et certaine venant
Des systèmes pour pallier aux restrictions de visites ont été mis d'une science rationnelle et objective qui ne parlerait que d'une
en place par la plupart des équipes (vidéotransmissions, points seule voix. Pourtant, la science, conflictuelle par essence, c'est le
téléphoniques récurrents à horaires et interlocuteurs dédiés doute, c'est l'incertitude, c'est le tâtonnement. Et de temps en
fixes, etc.). Mais la communication avec les familles ne relève temps, les connaissances scientifiques produisent des paliers
pas uniquement de l'information. Sa qualité est primordiale d'adhésion de la communauté scientifique. Face à la situation
pour limiter, par exemple, les symptômes de stress post-trau- sanitaire exceptionnelle rencontrée, la réponse scientifique était
matique : elle est verbale (les mots), para-verbale (le ton, le attendu dans l'urgence et les paliers d'adhésion ont donc sou-
débit) et non-verbale (les gestes, les expressions faciales, etc.). vent été fragiles : le recul temporel permettant d'affirmer leur
Les initiatives prises ont donc été amputées d'un aspect essen- fiabilité a fait défaut. Cette fiabilité fragile a été obtenue en
tiel, c'est-à-dire la relation directe entre les proches, le patient et plaçant le curseur plus proche de la pertinence (c'est-à-dire la
les soignants. La relation de confiance s'est ainsi construite plus prise en compte du contexte spécifique de l'objet scientifique)
difficilement. Heureusement, des transgressions aux recom- que de la robustesse (c'est-à-dire de la prise en compte de la
mandations de restriction des visites ont régulièrement eu lieu, méthodologie et de l'évaluation de l'objet scientifique).
en particulier dans les situations d'accompagnement de fin de L'enjeu est d'expliciter ce que sont la science et sa conflictualité
vie, l'enjeu du lien avec les proches primant sur les mesures pour maintenir un lien de confiance entre la science et la
d'isolement. société. À l'avenir, il s'agit d'informer les citoyens en prenant
Cette crise doit être une source d'enseignement. À l'avenir, il en compte leurs émotions liées à la spécificité du contexte, en
s'agira de prioriser l'essentiel, c'est-à-dire la relation humaine ayant une intention forte de donner du sens à la connaissance
entre les soignants, les patients, et leurs proches. Les acquis scientifique, en assumant de sortir d'une rationalité pure. En
antérieurs restaurés pourront être enrichis des expériences réalité, les citoyens gagneraient à être acculturés à la conflic-
réussies pendant la crise. tualité de la science, à son caractère divers et hétérogène. Cette
acculturation est la condition nécessaire et indispensable pour
Les stratégies de communication (4e table ronde) que chacun puisse comprendre l'information et exercer son
La pandémie COVID a également reconfiguré la communication discernement et son jugement. Dans cet effort d'acculturation,
médicale et scientifique. Différents éléments ont participé à une le monde d'après gagnerait à construire des intermédiaires
crise communicationnelle dont la responsabilité est partagée. entre la parole scientifique et la parole médiatico-politique,
Les acteurs des médias ont participé à une « infodémie » conti- à trouver des espaces de resynchronisations où le débat scien-
nue reléguant parfois au second plan la qualité des intervenants tifique serait public mais selon une temporalité propre à la
ou des informations délivrées. Les scientifiques et les médecins science.
ont participé à une communication confuse basée sur une
production scientifique certes foisonnante mais ne respectant Conclusion
pas toujours les exigences méthodologiques de la recherche Que peut l'éthique face à la tragédie qui nous a frappé ? La
scientifique. Les représentants politiques ont entretenu un effa- pandémie COVID nous a collectivement confronté à nos limites,
cement de la frontière entre communication scientifique et limites liées à la rareté des ressources, aux incertitudes de nos
communication politique. Enfin, l'émergence de nouveaux savoirs, et parfois aux limites de notre humanité. Cette crise
moyens de communication comme les réseaux sociaux a éga- inhabituelle, notamment par sa longévité, nous a poussé
lement participé à cette crise de la communication. à devoir opérer des arbitrages (à prioriser les patients, à redéfinir

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Article spéciale
Philippe Bizouarn, médecin anesthésiste-réanimateur (CHU de Nantes).
la place laissée aux proches, à décider des moyens de commu-
Table ronde 2 : Benoit Vallet, médecin anesthésiste-réanimateur, Directeur
niquer et d'informer, etc.). Pour mener ces arbitrages, est-on général de l'ARS des Hauts-de-France, ancien Directeur Général de la
amené à mettre en œuvre une éthique d'exception ou une Santé ; François Bérard, Directeur Général Adjoint et Co-pilote de la Cellule
de Crise COVID au CHU de Montpellier. Julien Pottecher, médecin
vigilance particulière ? Finalement, dans ces situations sanitaires anesthésiste-réanimateur (CHU de Strasbourg) ; Pierre Mongiat-Artus,
exceptionnelles, il s'agit surtout d'adapter notre éthique à une chirurgien urologue (Paris). Table ronde 3 : Mme C.B et à sa sœur E.R.
Remerciements à Frédéric Pochard, psychiatre, groupe FAMIREA (Paris) ;
situation exceptionnelle sans pour autant devenir une éthique Nancy Kentish-Barnes, sociologue, groupe FAMIREA (Paris) ; Clément
d'exception. Tarantini, anthropologue, CESP (Paris). Table ronde 4 : Jean-Michel
À travers les échanges organisés par les comités éthiques et Constantin, médecin anesthésiste-réanimateur (Pitié-Salpétrière, Paris) ;
Margault de Frouville, journaliste (BFM, Paris) ; Jérôme Grosjean,
réanimation de la SFAR, la nécessité d'un recours à des instances biologiste, @BioHospitalix ; Léo Coutellec, épistémologue, CESP (Paris).
intermédiaires pour rendre les arbitrages éthiquement accepta- Merci à Fabrice Gzil, philosophe, professeur à l'École des hautes études en
Santé publique, Directeur adjoint de l'Espace éthique Île-de France,
bles par tous est apparue très clairement. Les comités éthiques membre du Comité consultatif national d'éthique (Paris).
devraient être à l'avenir renforcés et légitimés pour devenir des
espaces de médiation indispensables à la construction de la Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
liens d'intérêts.
confiance.
Contributions des auteurs : tous les auteurs ont participé au travail de
Remerciements : Table ronde 1 : Nicolas Donat, médecin miliaire synthèse des verbatim issus de la Journée Monothématique de la SFAR.
anesthesiste-réanimateur (Percy, Clamart) ; Mathias Wargon, médecin MLD et YL ont coordonné le travail.
urgentiste (Hôpital Delafontaine, Saint-denis) ; Daniel Szeftel, économiste,
co-fondateur de SEMEIA et de Care Factory (Paris) ; Marie Citrini, Financement : la retranscription des verbatim enregistrés au moment de
représentante des usagers au conseil de surveillance de l'AP–HP (Paris) ; la journée monothématique de la SFAR a été financé par la SFAR.

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Anesth Reanim. 2023; 9: 12–13

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Éditorial
Éditorial

Philippe Cuvillon 1, Axel Maurice Szamburski 2, Xavier Capdevila 3,4

Disponible sur internet le : 1. Nîmes University Hospital, Université Montpellier, UR-UM103 IMAGINE, Division of
22 décembre 2022 Anesthesia Critical Care, Pain and Emergency Medicine, Nîmes, France
2. Clinique Juge, Marseille, France
3. Lapeyronie University Hospital, Department of Anesthesiology and Critical Care
Medicine, 34295 Montpellier cedex 5, France
4. Montpellier University, Montpellier NeuroSciences Institute, Inserm Unit 1298,
34295 Montpellier cedex 5, France

Correspondance :
Philippe Cuvillon, Nîmes University Hospital, Université Montpellier, UR-UM103
IMAGINE, Division of Anesthesia Critical Care, Pain and Emergency Medicine, Nîmes,
France.
philippe.cuvillon@chu-nimes.fr

Editorial

D ans ce numéro dédié à l'anesthésie locorégionale, nous avons souhaité partager avec vous
l'expertise d'une quinzaine de praticiens et universitaires sur des thématiques qui ont fait la une de
l'actualité ces cinq dernières années : les blocs distaux (main, pied, face) et de paroi, la WALANT, la
fracture de l'extrémité supérieure du fémur, le bloc pudendal, le bloc au canal des adducteurs, les
cathéters périnerveux et l'oncologie [1–3].
Plutôt qu'un numéro exhaustif sur les nouveaux blocs et voies d'abord qui passent rarement le
filtre de la pratique, nous proposons aux abonnés une lecture focalisée sur le concept rationnel et
universel de l'anatomie appliquée. Chaque article et analyse de cas fait ainsi l'objet d'illustrations
anatomiques originales et met en avant les dernières avancées analgésiques et anesthésiques qui
faciliteront votre pratique quotidienne.
Depuis 2003 et sous l'égide de la plupart des auteurs de cette revue, la SFAR a publié des
recommandations basées sur une analyse critique de la littérature. Véritable « Graal », ces
recommandations doivent être considérées comme un socle commun que les dernières publi-
cations devront actualiser. Rédigées à l'aube du 21e siècle, certaines de ces recommandations
n'avaient pas pris en compte la révolution conceptuelle de la réhabilitation améliorée. Cette
dernière a bouleversé la prise en charge de bon nombre de chirurgies majeures [2]. En 2023, la
pratique de l'ALR doit s'inscrire dans cette dynamique, favorisant les blocs distaux, les solutions
anesthésiques moins concentrées et plus ciblées, ainsi que les dispositifs innovants comme les
pompes électroniques pilotées et programmables à distance [1,3].

tome 9 > n81 > janvier 2023


https://doi.org/10.1016/j.anrea.2022.12.012
© 2022 Publié par Elsevier Masson SAS au nom de Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar).
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Anesth Reanim. 2023; 9: 12–13

Éditorial
Sacrifiés sur l'autel de l'ambulatoire à tout prix, les cathéters 3]. Nous pourrions résumer cette attitude par « la bonne tech-
périnerveux reviennent sur le devant de la scène, là où la nique pour le bon patient pour la meilleure des chirurgies ». En
douleur chirurgicale persiste après l'appel du lendemain et où d'autres temps, nous aurions discouru de « bénéfices vs risque ».
l'Evidence Based Medecine doit ramener le balancier du pen- À l'heure de l'anglicisme en ALR, nous évoquerons les notions
dule au point d'équilibre. En ce sens, les articles publiées promues par la HAS de Proms et Prems. . .
récemment par nos équipes mettent en lumière le bénéfice
Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
d'une stratégie individualisée plutôt qu'une approche générique liens d'intérêts.
basée sur une chirurgie ou des habitudes organisationnelles [1–

Références
[1] Maurice-Szamburski A, Grillo P, Cuvillon P, [2] Capdevila X, Macaire P, Bernard N, Biboulet [3] Avis G, Gricourt Y, Vialatte PB, Meunier V,
Gazeau T, Delaunay L, Auquier P, et al. P, Cuvillon P, Choquet O, et al. Remote Perin M, Simon N, et al. Analgesic efficacy of
Comparison of continuous with single-injec- transmission monitoring for postoperative erector spinae plane blocks for lumbar spine
tion regional analgesia on patient experience perineural analgesia after major orthopedic surgery: a randomized double-blind con-
after ambulatory orthopaedic surgery: a ran- surgery: a multicenter, randomized, parallel- trolled clinical trial. Reg Anesth Pain Med
domised multicentre trial. Br J Anaesth group, controlled trial. J Clin Anesth 2022. http://dx.doi.org/10.1136/rapm-
2022;129(3):435–44. http://dx.doi.org/ 2022;77:110618. http://dx.doi.org/ 2022-103737 [rapm-2022-103737].
10.1016/j.bja.2022.05.039. 10.1016/j.jclinane.2021.110618.

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Anesth Reanim. 2023; 9: 14–21

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Mise au point
Le plexus lombal et ses branches

Fabien Swisser 1, Matthias Herteleer 2,3, Olivier Choquet 1, Nathalie Bernard 1, Xavier Capdevila 1

Disponible sur internet le : 1. CHU de Montpellier, Hôpital Lapeyronie, Département d'anesthésie réanimation,
5 janvier 2023 371, avenue du Doyen-Gaston-Giraud, 34295 Montpellier cedex 5, France
2. Université de Lille, Faculté de médecine, Laboratoire d'anatomie, 1, place de
Verdun, 59045 Lille cedex, France
3. CHU de Lille, Pôle anesthésie–réanimation, Lille, France

Correspondance :
Fabien Swisser, CHU de Montpellier, Hôpital Lapeyronie, Département d'anesthésie
réanimation, 371, avenue du Doyen-Gaston-Giraud, 34295 Montpellier cedex 5, France.
f-swisser@chu-montpellier.fr

Mots clés Résumé


Chirurgie
Orthopédie Le plexus lombal innerve la partie antéro-médiale de la racine du membre inférieur. La chirurgie du
Prothèse genou et de la hanche sont des chirurgies fonctionnelles pourvoyeuses de douleurs post-opéra-
Douleur toires potentiellement sévères et d'une incidence élevée de chronicisation douloureuse. L'anal-
Réhabilitation gésie balancée, insuffisante pour assurer seule la réhabilitation postopératoire, doit être
Anesthésie locoregionale généralement associée à une analgésie régionale intéressant le plexus lombal et ses branches.
Plexus lombal Les abords classiques plexiques et tronculaires, comme le bloc du nerf fémoral, ont été délaissés
au profit de techniques infiltratives ou interfasciales. Parmi les blocs plus distaux, le PENG bloc, le
bloc au canal des adducteurs, l'infiltration chirurgicale du site opératoire ont pour avantage de
réduire l'incidence du bloc moteur du quadriceps induit par les blocs nerveux classiques plus
proximaux. L'inconvénient majeur des abord plus distaux reste une moindre qualité d'analgésie
notamment au-delà des premières heures et l'absence d'injection continue postopératoire.
Chaque équipe doit convenir, par type de procédure chirurgicale, d'une combinaison de techniques
pouvant allier confort du patient, impératifs chirurgicaux et réhabilitation.

Keywords Summary
Surgery
Orthopedic Lumbar plexus: Anatomy, branches and regional anesthesia
Arthroplasty
The lumbar plexus innervates the anteromedial part of the upper lower limb. Knee and hip
Pain
surgery are functional surgeries with potentially severe post-operative pain and a high incidence
Rehabilitation
of chronic pain. Multimodal analgesia, insufficient to ensure postoperative rehabilitation alone,
Locoregional anesthesia
must generally be associated with regional analgesia involving the lumbar plexus and its
Lumbar plexus
branches. The classical plexus and trunk approaches, such as the femoral nerve block, have
been deleted in favor of infiltrative or interfascial techniques. Among the more distal blocks, the
PENG block, the adductor canal block, and surgical infiltration of the surgical site have the
advantage of reducing the incidence of quadriceps motor block induced by the more proximal
classical nerve blocks. The major disadvantage of the more distal approaches remains a lower
quality of analgesia, particularly beyond the first few hours, and the absence of continuous

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https://doi.org/10.1016/j.anrea.2022.12.006
© 2022 Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Mise au point
postoperative injection. Each team must agree, for each type of surgical procedure, on a
combination of techniques that can combine patient comfort, surgical requirements, and
rehabilitation.

Introduction Les téguments, couvrant latéralement la hanche, sont innervés


Le nombre des chirurgies orthopédiques du membre infé- par le rameau cutané latéral du nerf subcostal et celui du nerf
rieur augmente dans le monde entier. Cette augmentation ilio-hypogastrique.
dans les sociétés occidentales est liée aux changements La peau de la fesse est innervée par les nerfs cluniaux. Les nerfs
anthropométriques et sociologiques au sein des populations. cluniaux supérieurs viennent des rameaux cutanés postérieurs
Le plexus lombal est principalement impliqué dans l'inner- des nerfs spinaux lombaires L1, L2 et L3. Les nerfs cluniaux
vation de la hanche et du genou. Les données de la littéra- moyens correspondent aux rameaux cutanés postérieurs des
ture restent controversées en ce qui concerne la supériorité nerfs sacrés de S1, S2 et S3. Les nerfs cluniaux inférieurs sont
d'une modalité d'analgésie régionale sur une autre en ter- issus du nerf cutané postérieur de la cuisse.
mes de qualité d'analgésie et de récupération fonctionnelle Le genou
dans ces chirurgies. Cet article décrit dans un premier temps L'articulation du genou est complexe : les branches articulaires
l'anatomie du plexus lombal puis aborde différentes techni- provenant du nerf fémoral (par les branches à destinée des chefs
ques régionales alternatives au bloc fémoral et leur impact du muscle quadriceps fémoral), du nerf tibial et du nerf fibulaire
sur la prise en charge analgésique et fonctionnelle. Le ration- commun innervent respectivement les faces antéro-médiale,
nel du choix, basé sur les études contrôlées randomisées et postérieure et latérale de l'articulation. Par ailleurs, le nerf obtu-
les méta-analyses, est bouleversé par les techniques rateur contribue à l'innervation de la partie postéro-médiale et le
émergentes. nerf saphène à celle de la face médiale de l'articulation. Sché-
matiquement, avec une multitude de variations, ce sont ainsi
Rappel anatomique : le plexus lombal et
une dizaine de rameaux articulaires qui innervent les plans
ses branches (figure 1)
profonds : nerf saphène et nerfs des vastes latéral, intermédiaire,
Le membre inférieur est innervé par deux plexus : le plexus
et médial issus du nerf fémoral ; nerfs géniculés médiaux supé-
lombal et le plexus sacral, qui sont situés dans deux régions
rieur et inférieur ; nerfs géniculés latéraux supérieur et inférieur ;
anatomiques différentes. Ces deux plexus donnent trois prin-
nerf récurrent fibulaire et branche(s) issues du nerf fibulaire
cipaux troncs nerveux : fémoral, obturateur et ischiatique,
commun, et rameau(x) du nerf obturateur.
dont les rameaux contribuent à l'innervation de l'articulation
Les téguments sont principalement innervés pour la partie
de la hanche, du genou et des téguments qui les recouvrent.
antérieure, latérale et médiale par les branches issues du nerf
Les branches antérieures (ou ventrales) des 4 premiers nerfs
fémoral et pour la partie postérieure par les branches du nerf
lombaires (L1-L4) forment, dans l'épaisseur du muscle grand
sciatique.
psoas, le plexus lombal. Ce dernier reçoit par ailleurs un
rameau communicant du nerf spinal T12. Le plexus lombal Les fondamentaux de l'analgésie en
donne deux branches terminales, les nerfs fémoral et obtu- orthopédie
rateur, ainsi que des branches collatérales parmi lesquelles les Le cahier des charges analgésique de la chirurgie du genou
nerfs ilio-hypogastrique, ilio-inguinal, génito-fémoral et s'étend de l'analgésie pour arthroscopie simple du sujet jeune
cutané latéral de la cuisse. Enfin, il contribue au plexus sacral à la reprise d'arthroplastie chez le vieillard. La chirurgie lourde
par l'intermédiaire du tronc lombo-sacral. Le plexus lombal se orthopédique et traumatologique du genou est le modèle de
distribue donc à la partie inférieure de la paroi abdominale et chirurgie pourvoyeuse de douleurs aiguës post-opératoires
au membre inférieur. Il innerve les loges antérieure et médiale sévères et de douleurs chroniques (DCPO ; > 25 % à 3 mois
de la cuisse, les téguments qui les recouvrent ainsi que les après chirurgie prothétique de genou) [1].
téguments de la partie médiale de la jambe (par le nerf La douleur est majorée par la rééducation précoce, les mauvai-
saphène). ses trajectoires douloureuses, et en cas de complication (héma-
La hanche tome, infection. . .). Une analgésie de qualité contribue à la
L'articulation de la hanche est innervée : réussite fonctionnelle en permettant la réhabilitation précoce
 par des contingents issus du plexus lombal (nerfs fémoral et afin d'éviter l'atrophie musculaire, les adhérences et les rétrac-
obturateur) en avant tions. Pour assurer l'analgésie, les options sont nombreuses
 par le plexus sacral (nerf ischiatique, nerf glutéal supérieur et mais le choix cardinal tourne autour de l'association entre
nerf du muscle carré fémoral) en arrière. analgésie régionale et antalgie multimodale non opioïde en

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insuffisante pour assurer seule la réhabilitation postopératoire,
doit être associée à une analgésie régionale, les concepts de
réhabilitation rapide après chirurgie ont favorisé l'émergence de
techniques plus distales et plus simples que le bloc des nerfs
fémoral/ischiatique/obturateur, afin de ne pas entraver la
mobilisation du patient [5]. Des techniques analgésiques,
comme le PENG (Pericapsular Nerve Group) block, le bloc au
canal fémoral (des adducteurs) et l'infiltration chirurgicale du
site opératoire sont utilisées afin de réduire le bloc moteur induit
par les blocs proximaux, en injection unique ou en perfusion
continue.
L'arthroplastie de la hanche est classiquement peu douloureuse
en postopératoire et répond bien à une analgésie multimodale
classique. Dans cette indication de PTH simple, les blocs de type
fémoral, PENG ou du carré des lombes (QLB) n'ont pas démontré
de réel intérêt en terme d'épargne morphinique à 48 h. Leur
bénéfice peut apparaître sur des terrains de fragilité.
Pour l'analgésie après chirurgie majeure de la hanche (reprise
de prothèse de hanche, ostéotomie complexe. . .), le bloc ple-
xique lombal par voie postérieure est probablement le plus
adapté mais reste sous pratiqué du fait de ses complications
potentielles (extension périmédullaire, courbe d'apprentissage
longue, ponction vasculaire non compressible). L'utilisation des
blocs plexiques pour la chirurgie de la fracture de hanche
traumatique chez la personne âgée est rapportée depuis des
Figure 1 années. Le bi-bloc plexique/lombo-sacral est une alternative
Plexus lombal et ses branches : Côté droit du sujet : plexus lorsque l'anesthésie générale ou rachidienne est à risque ou
lombal et ses rapports avec les éléments musculaires suivants : contre-indiquée.
Muscle diaphragme en haut (1) ; Muscles de la paroi abdominale
postérieure (muscle ilio-psoas, muscle carré des lombes) (2) ; Blocs tronculaires et cathéters périnerveux
Muscle transverse de l'abdomen (3) ; Muscles de la paroi pour le genou
abdominale antéro-latérale (de dedans en dehors : muscle Dans les années 1990, deux études prospectives randomisées
transverse de l'abdomen, muscle oblique interne de l'abdomen,
avaient démontré la supériorité du cathéter périnerveux fémo-
muscle oblique externe de l'abdomen) (4). Côté gauche du
ral comparativement à la morphine intraveineuse et à l'analgé-
sujet : constitution du plexus lombal au sein du muscle grand
sie péridurale [6,7]. Ces résultats ont ultérieurement été
psoas. De haut en bas, on retrouve les nerfs suivants : Nerf
subcostal (TH12) (5) ; Nerfs ilio-hypogastrique (TH12, L1) et ilio- confirmés par plusieurs études et méta-analyses. Un cathéter
inguinal (L1) (6) ; Nerf génito-fémoral (L1, L2) [uniquement fémoral postopératoire permet d'obtenir plus rapidement la
représenté du côté gauche], avec ses deux branches de division flexion du genou et une incidence réduite d'effets adverses
(branche génitale en dedans, branche fémorale en dehors) (7) ; [8]. Plusieurs études ont montré que l'adjonction d'un bloc
Nerf cutané latéral de la cuisse (L2, L3) (8) ; Nerf fémoral (L2, L3, ischiatique améliorait la qualité de l'analgésie postopératoire
L4) (9) ; Nerf obturateur (L2, L3, L4) (10) des premières heures [9,10]. L'adjonction d'un bloc obturateur
à un bloc fémoral et ischiatique réduit les scores de douleur
postopératoire et la consommation de morphine, prolongeant le
privilégiant la prise orale. Les opiacés à limiter dans le temps et délai de la première demande antalgique [11]. L'apport du bloc
à éviter en première intention. Ce rationnel est approuvé par les obturateur après chirurgie du genou est mineur. Il reste une
sociétés savantes [2,3]. alternative en cas d'insuffisance d'analgésie localisée dans le
Les fondamentaux de l'analgésie postopératoire multimodale territoire postéro-médial du genou après un bloc combiné
ont considérablement évolué depuis 20 ans [4]. L'analgésie fémoro-ischiatique. Il est difficile de déterminer chez quels
rachidienne morphinique et péridurale fréquente il y a quelques patients adjoindre un bloc ischiatique et/ou obturateur au bloc
années, mais accompagnée d'une incidence d'effets secondai- fémoral. La conséquence de cette association est une majora-
res trop importante, est peu utilisée actuellement en chirurgie tion du bloc moteur, à l'encontre des tendances actuelles en
d'arthroplastie simple. S'il reste admis que l'analgésie balancée, matière de récupération rapide après chirurgie (déambulation

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précoce). La parésie du muscle quadriceps liée au bloc fémoral, opératoire augmente [16]. Du fait de ces inconvénients, des
s'accompagne d'une parésie des muscles de la dorsiflexion du anesthésistes ont proposé de reprendre la main et de réaliser
pied en relation avec le bloc ischiatique, limitant encore d'avan- eux-mêmes sous échographie les infiltrations autour du genou.
tage la mobilisation. Par ailleurs, il est toujours délicat de
déculpabiliser l'anesthésie lorsqu'une sidération du muscle qua- Quels blocs en pratique ?
driceps ou un déficit ischiatique postopératoire est constaté Le bloc du fascia iliaca supra-inguinal
[12]. Quelques auteurs se focalisent sur la gêne à la marche L'injection d'anesthésiques locaux est réalisée sous le fascia
et le risque de chute liés au bloc moteur fémoral et surtout iliaca dans le compartiment ilio-fascial. Elle a pour objectif de
ischiatique. Un bloc fémoral d'intensité trop marquée diffuser vers le nerf fémoral et le nerf cutané latéral de la cuisse.
s'accompagne d'une faiblesse du muscle quadriceps fémoral Contrairement à sa description initiale par Winnie, le bloc ne
[13], à l'origine d'une déficience fonctionnelle et associée s'étend que rarement au nerf obturateur [17]. Il est indiqué pour
à une augmentation du risque de chute post-opératoire [14]. l'analgésie de la chirurgie programmée et traumatique de la
En conclusion : hanche et du fémur [18]. Une approche plus récente, supra-
 pour la chirurgie mineure et PTG simple du genou, la tendance
inguinale, est décrite avec les même indications [19]. Ce bloc
actuelle est d'entreprendre des techniques d'analgésie régio- partage cependant les mêmes écueils que les blocs de compar-
nales au plus près du genou, pour permettre aux patients de se timents en termes de volume et que le bloc fémoral en termes
mobiliser précocement et de démarrer rapidement la kinési- d'atteinte quadricipitale. Cette technique reste intéressante
thérapie, sans compromettre l'analgésie ; dans l'analgésie des fractures de l'extrémité supérieure du
 à l'inverse, pour la chirurgie lourde du genou, l'analgésie par
fémur (dont les fractures du col fémoral), avec l'avantage de
cathéter nerveux fémoral est recommandée car le cathété- ne pas mobiliser le patient traumatisé. L'analgésie qu'il procure
risme périnerveux permet de prolonger l'analgésie au-delà en préopératoire permet d'installer confortablement le patient
des 24 premières heures postopératoires. Il permet aussi la pour une anesthésie neuraxiale ou des blocs plexiques
mobilisation articulaire précoce lors des séances de rééduca- postérieurs.
tion [3]. L'association à un bloc ischiatique (voire à un bloc En pratique, la ponction se fait dans le plan au-dessus du
obturateur) procure une analgésie optimale et doit être envi- ligament inguinal. Le muscle iliaque identifié, l'aiguille est
sagé en cas de douleur majeure. placée juste en-dessous de son fascia et avancée en direction
sous-ombilicale (figure 2). Le refoulement antérieur de l'artère
L'infiltration du site opératoire
iliaque circonflexe profonde (superficielle au fascia iliaca)
L'infiltration peropératoire d'anesthésiques locaux est venue confirme l'injection au sein du compartiment ilio-fascial.
concurrencer les blocs nerveux périphériques en promettant
une analgésie de qualité sans parésie. L'infiltration périarticu- Le PENG block
laire est la stratégie choisie par de nombreuses équipes dans le Ce bloc périarticulaire vise les branches des nerfs fémoral et
cadre d'une réhabilitation très précoce. Plusieurs études ont obturateur pour la capsule de l'articulation coxo-fémorale, par
montré qu'avec l'infiltration, l'analgésie était meilleure qu'avec une injection en profondeur du muscle ilio-psoas [20]. Il a été
un placebo, équivalente à celle procurée par les blocs nerveux initialement décrit pour l'analgésie de la fracture de l'extrémité
périphériques (BNP) pour les premières heures postopératoires, supérieure du fémur. Les études plus récentes ne retiennent
et que les patients étaient capables de déambuler et de sortir de qu'une efficacité analgésique modérée après une chirurgie
l'établissement de soins plus tôt [15]. Le bloc fémoral est plus prothétique de la hanche comparée au « sham block » ou au
efficace sur la douleur à la mobilisation mais l'infiltration pré- bloc du fascia iliaca supra-inguinal [21,22]. Le principal intérêt
serve mieux la fonction du muscle quadriceps en post-opéra- de ce bloc est qu'il respecte la fonction motrice du muscle
toire précoce. Il existe cependant une très grande hétérogénéité quadriceps fémoral. Cette caractéristique l'intègre potentielle-
des mélanges injectés (anesthésiques locaux, adjuvants, volu- ment dans l'arsenal de l'analgésie multimodale des program-
mes, . . .) et la technique dépend de l'opérateur. La mise en mes modernes de réhabilitation précoce pour la chirurgie
place d'un cathéter intra-articulaire n'est pas recommandée du prothétique de hanche. L'injection d'anesthésique local
fait du risque septique. En injection unique, l'association opti- (20 mL) est réalisée dans le plan en transfixiant le muscle
male d'un anesthésique local de longue durée d'action, d'un ilio-psoas jusqu'au périoste situé entre l'épine iliaque antéro-
anti-inflammatoire, de la clonidine, de l'adrénaline ou de mor- inférieure et l'éminence ilio-pubienne (figure 3). Le refoule-
phine reste à déterminer. Les mélanges actuels procurent au ment du muscle ilio-psoas avec une diffusion horizontale de
mieux 24 heures d'analgésie au repos. Par ailleurs, l'adminis- l'anesthésique local entre le muscle et l'os signe le positionne-
tration de fortes doses d'anesthésique local expose à un risque ment correct de l'aiguille. Une diffusion trop médiale et anté-
de surdosage (toxicité systémique et locale). Le nombre de cas rieure le long du muscle pectiné peut entraîner une parésie
rapportés de toxicité systémique après infiltration du site quadricipitale par atteinte du nerf fémoral.

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Mise au point
Figure 2
Bloc Ilio fascial (vue
échographique, sonde
linéaire posée au-dessus de
la ligne inguinale, petit axe
de l'artère iliaque, le trajet
de l'aiguille est de latéral
à médial)

Figure 3
Le PENG bloc (vue
échographique, sonde
convexe posée au-dessus de
la ligne inguinale, petit axe
de l'artère fémorale, le trajet
de l'aiguille est de latéral
à médial))

Le bloc au canal des adducteurs le ligament inguinal, latéralement par le muscle sartorius,
Décrit en 1993 et reconsidéré avec l'échoguidage, le bloc au médialement par le muscle long adducteur. Ce triangle fémoral
canal des adducteurs (canal de Hunter) a alimenté une littéra- représente la partie évasée de « l'entonnoir fémoro-vasculaire »,
ture prolifique [23]. Le canal des adducteurs, long de 10 à et se resserre de plus en plus en distalité pour constituer le canal
12 centimètres, représente le tiers inférieur du canal fémoral fémoral qui se prolonge par le canal des adducteurs, sous la
(figure 4). Le canal fémoral s'étend du sommet du trigone membrane vasto-adductrice (ou fascia subsartorial ou aponé-
fémoral (triangle de Scarpa) en haut, au hiatus tendineux du vrose de Hunter). Cette membrane est une cloison fibreuse,
muscle grand adducteur en bas, entre le muscle vaste médial, le véritable lame de fascia tendue entre le muscle grand adducteur
muscle sartorius, et les muscles longs et grands adducteurs. Le et le muscle vaste médial, transformant l'espace intermuscu-
trigone fémoral est une loge musculo-aponévrotique à la partie laire en canal des adducteurs. Le canal fémoral est parcouru par
antérieure et médiale de la racine de la cuisse, limité en haut par l'artère et la veine fémorale, le nerf saphène, le nerf du vaste

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Mise au point
Figure 4
Bloc au canal des adducteurs

médial, et des rameaux du nerf obturateur. L'artère fémorale Synthèse et projection


(anciennement superficielle) descend verticalement, traversant Les données probantes sont suffisantes pour recommander une
le canal fémoral, pour passer dans le hiatus tendineux du muscle approche d'épargne morphinique et motrice associant les blocs
grand adducteur, et devient alors l'artère poplitée. Ainsi, le canal périphériques et/ou l'infiltration péri-articulaire après chirurgie
fémoral est un conduit étroit entre 2 entonnoirs. L'un, le trigone majeure de la hanche et du genou. Des études complémentaires
fémoral, est céphalique, et permet le passage du nerf fémoral sont nécessaires pour déterminer la combinaison de techniques
déjà divisé. L'autre, le hiatus adducteur proprement dit, est d'anesthésie régionale qui procure une analgésie optimale
caudal et s'ouvre dans la fosse poplitée où se trouve le nerf selon le type de chirurgie.
ischiatique.
Pour l'analgésie, le principe est d'injecter à la partie médiale et
Hanche
L'arthroplastie de la hanche est peu douloureuse avec une
moyenne de la cuisse dans le canal fémoral pour bloquer des
analgésie multimodale classique à laquelle on peut adjoindre
rameaux du nerf du vaste médial, du nerf saphène et du nerf
une infiltration ou un PENG block. Pour l'analgésie après chi-
obturateur qui contribuent à innerver le genou. D'un point de
rurgie majeure de la hanche comme la révision de prothèse, la
vue terminologique le terme générique de bloc au canal des
cure de pseudarthrose ou la prothèse massive totale du fémur,
adducteurs renferme plusieurs procédures selon le niveau de
le bloc du plexus lombal est indiqué mais son efficacité est
l'injection :
 une injection sous le sartorius au contact du nerf saphène au limitée dans le temps.
tiers supérieur de la cuisse est au niveau du triangle fémoral ; Genou
 une injection au tiers moyen correspond au canal fémoral ; Pour l'analgésie de l'arthroplastie du genou, le bloc continu du
 une injection au tiers inférieur au canal des adducteurs pro- canal des adducteurs a la préférence en cas de RAAC. Le cathéter
prement dit. périnerveux fémoral reste le meilleur choix pour le patient
Une diffusion céphalique vers le nerf fémoral est possible et hospitalisé qui ne peut pas bénéficier d'une mobilisation pré-
imprévisible en cas de niveau de ponction proximale et/ou de coce après chirurgie majeure. Ces techniques doivent impéra-
volume élevé [24]. Une diffusion caudale au nerf ischiatique est tivement être associées à un IPACK (Infiltration between the
possible en cas de niveau de ponction distal [25]. Une ponction Popliteal Artery and the Capsule of the Knee) ou une infiltration
au tiers moyen de la cuisse et l'injection d'un volume modéré, par le chirurgien pour couvrir la partie postérieure de l'articula-
d'environ 20 mL, est un bon compromis pour obtenir une diffu- tion fémoro-tibiale.
sion aux nerfs saphène et du vaste médial et une analgésie La reconstruction du ligament croisé antérieur (LCA) sous
confinée à la partie médiale du genou. Comme le cathéter arthroscopie en ambulatoire est un geste douloureux, lorsque
périnerveux fémoral, la mise en place d'un cathéter au canal des analgésiques oraux non opioïdes sont utilisés seuls. L'anal-
des adducteurs permet de prolonger l'analgésie. Certains gésie régionale permet de diminuer les besoins en analgésiques
patients peuvent noter une analgésie insuffisante de la région oraux postopératoires, mais le choix de la technique d'analgésie
latérale et du compartiment postérieure du genou. régionale pour la reconstruction du ligament croisé antérieur

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reste controversé. Le bloc du nerf fémoral, au canal des adduc- tout en améliorant le degré de confort, la satisfaction du patient
teurs, et l'infiltration locale ont fait l'objet d'essais contrôlés et en prenant en compte les impératifs de la rééducation pré-
randomisés. Abdallah et al. [26] proposent d'identifier la moda- coce (durée du bloc moteur limité).
lité d'analgésie régionale qui offre le meilleur équilibre entre Le cathétérisme périnerveux n'est plus la référence en post-
l'efficacité de l'analgésique et les complications potentielles opératoire de la chirurgie orthopédique majeure du membre
associées. Pour les 24 premières heures l'infiltration locale inférieur. Les blocs plexiques proximaux sont délaissés au profit
présente le meilleur équilibre entre l'analgésie et les risques de nouvelles techniques d'infiltrations péri-articulaires et de
associés (recommandation forte, niveau de preuve modéré). Le blocs plus distaux souvent plus faciles à réaliser avec un risque
bloc au canal des adducteurs ou du nerf fémoral est une option moindre de complications. Ils préservent la force motrice au prix
acceptable (recommandation faible, faible niveau de preuve). d'une moindre qualité d'analgésie au-delà des premières heu-
L'association bloc au canal des adducteurs et IPACK est adoptée res en l'absence de dispositif de réinjection. En cas de chirurgie
par notre équipe pour son épargne morphinique lors d'une à haut risque de DCPO ou de patient « fragile » (opiacés au long
chirurgie arthroscopique, bien que le bénéfice clinique soit cours, terrain douloureux, contre-indication à l'analgésie multi-
modéré [27]. modale. . .), le cathétérisme doit être envisagé.

Conclusion Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de


liens d'intérêts.
En 2022, l'objectif d'une analgésie postopératoire optimale est
de réduire l'incidence et la gravité de la douleur postopératoire,

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en ligne sur / on line on


www.em-consulte.com/revue/anrea
www.sciencedirect.com

Mise au point
Bloc du plexus brachial pour la chirurgie de
l'épaule

Laurent Delaunay 1, Florence Plantet 1, Yecer Boussarsar 2, Joël L'Hermite 2

Disponible sur internet le : 1. Clinique Générale, 4, chemin de la Tour la Reine, 74000 Annecy, France
7 janvier 2023 2. CHU de Carémeau, département anesthésie et médecine périopératoire, Nîmes,
France

Correspondance :
Yecer Boussarsar, CHU de Carémeau, Département d'anesthésie et de médecine
périopératoire, Nîmes, France.
yecer.boussarsar@chu-nimes.fr

Mots clés Résumé


Plexus
Brachial L'épaule est principalement innervée par les racines issues de C5 et C6. Le bloc interscalénique est
Anesthésie régionale la technique de référence pour cette chirurgie qui peut être réalisée sous bloc seul ou associé à une
Épaule anesthésie générale. Les indications de perfusion continue limitent l'inconfort postopératoire
Interscalénique prolongé. Des blocs distaux (nerf axillaire et supra-claviculaire) sont des alternatives au BIS.

Keywords Summary
Plexus
Brachial Brachial plexus bloc for shoulder surgery
Regional
The shoulder is mainly innervated by the roots from C5 and C6. The interscalene block is the
Shoulder
reference technique for this surgery which can be performed under block alone or associated with
Interscalenic
general anesthesia. The indications of continuous perfusion limit the prolonged postoperative
discomfort. Distal blocks (axillary and supra-clavicular nerve) are alternatives to BIS.

Introduction exceptionnelles mais dramatiques pour lesquelles il est impor-


Après quelques rappels d'anatomie, cette revue présente les tant de faire le point.
différents outils anesthésiques possibles pour l'abord proximal
du plexus brachial. Depuis 2005, l'avènement de l'échographie a Anatomie de l'épaule et sono-anatomie du
bouleversé notre façon de réaliser les blocs en injection unique plexus brachial
ou continu en interscalénique et a favorisé l'émergence de blocs Innervation cutanée de l'épaule
distaux pour la chirurgie de l'épaule (bloc du nerf supra clavi- L'innervation cutanée de l'épaule dépend principalement des
culaire et bloc du nerf axillaire) [1–3]. Parallèlement, le déve- branches inférieures du plexus cervical superficiel par le nerf
loppement de la chirurgie en position assise sous anesthésie supra claviculaire (branche sensitive issue des branches de C3 et
générale a vu l'apparition des complications neurologiques C4). Le nerf supra claviculaire se divise en trois branches :

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https://doi.org/10.1016/j.anrea.2022.12.013
© 2022 Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Mise au point
antérieure qui innerve la peau de la région du muscle sterno- Relation anatomie-échographie
cléido-mastoïdien (SCM) et du sternum, moyenne qui innerve la Anatomie et trajet du plexus brachial : sono-anatomie
peau de la région supra-claviculaire et infra-claviculaire, pos- Le plexus brachial est issu des racines de C5 à T1 (figure 1). À la
térieure pour la peau du moignon de l'épaule. Le reste du sortie de l'axe médullaire, les racines s'unissent pour former les
moignon de l'épaule est innervé par le nerf axillaire (issu des troncs supérieurs, moyens et inférieurs qui cheminent entre le
branches dorsales de C5-C6) (figures 1 et 2). Au-delà du sillon muscle scalène antérieur et moyen. Rapidement, les troncs se
delto-pectoral, en avant et au niveau du grand dorsal en arrière, subdivisent pour former des branches de divisions antérieures
l'innervation est assurée par les nerfs intercostaux issus des et postérieures donnant les faisceaux (en arrière de la clavicule
racines T1 et majoritairement T2 [4,5]. au-dessus du dôme pleural et au contact de l'artère subcla-
La région postérieure para vertébrale est innervée par les nerfs vière). Dès l'émergence du foramen intervertébral, les racines
issus de racines postérieures cervicales. Cette répartition des puis les troncs et les divisions sont facilement visualisables en
différents territoires est en fait variable et il existe des zones de échographie, car les structures cibles sont relativement super-
recouvrements imprévisibles, particulièrement au niveau de la ficielles (sonde linéaire de 8-12 Hz) [6]. Les éléments nerveux
face postérieure de l'épaule. (racine et tronc) apparaissent comme des ronds hypo échogè-
nes (peu de tissus de soutien) entourés d'un fin halo hyper-
échogène. Les nerfs peuvent être suivis en continu de
Innervation musculaire et osseuse de l'épaule l'émergence du foramen jusqu'au niveau de l'artère subcla-
Pratiquement tous les muscles de l'épaule (coiffe des rotateurs vière. Pour repérer les structures nerveuses, plusieurs options
C5-C6, deltoïde C5-C6, pectoraux C5-T1 et grand dorsal C6-C8), ont été proposées. La plus simple consiste sans doute à placer la
sont innervés par le plexus brachial. Seul le trapèze, qui est un sonde à la hauteur du cartilage cricoïde, perpendiculairement
puissant élévateur du moignon de l'épaule (surtout chez le à la veine jugulaire externe. L'artère carotide commune et la
sportif), est innervé en partie par le plexus cervical mais surtout veine jugulaire interne sont repérées en antéro-médial. La
par le nerf spinal (onzième paire crânienne ou nerf accessoire) masse du SCM est facilement visualisée et la sonde est dépla-
(figures 1 et 2). cée en postérolatéral jusqu'à centrer l'extrémité postérieure du
L'innervation osseuse dépend du nerf axillaire pour la face SCM, qui ressemble à une « langue » recouvrant les muscles
antérieure (C5-C6), supra scapulaire (C4-C6) et thoracique long scalènes antérieur et moyen. Il faut jouer sur l'inclinaison de la
(C5-C7) pour les faces antérieures et postérieures. L'innervation sonde (anisotropie) pour voir apparaître le sillon interscalé-
de la capsule antérieure dépend des branches des nerfs sub nique, pas toujours simple à repérer, puis rechercher à l'intérieur
scapulaires (C5-C7), axillaire (C5-C6) et pectoral latéral (C5-C6) des formes rondes noires correspondantes au plexus brachial,
et pour la partie postérieure essentiellement du nerf supra- superposées les unes sur les autres. Il existe de nombreuses
scapulaire (C4-C6) associé à quelques rameaux du nerf axillaire variations anatomiques avec notamment les racines C5 et
(C4-C6) [5,6]. C6 qui peuvent traverser le muscle scalène antérieur. En écho-
Les racines C5-C6 jouent un rôle quasi exclusif dans l'innervation graphie, il n'est pas exceptionnel (11 à 13 % des cas) de
sensitive de l'épaule. Formant le tronc supérieur dans le défilé retrouver la racine C5 « posée » en avant du muscle scalène
interscalénique (voir ci-dessous), ces racines doivent être prio- antérieur [6]. Il est souvent possible de suivre le nerf supra
ritairement bloquées lors de la réalisation d'un bloc interscalé- scapulaire et de s'assurer de sa présence ou au moins de sa
nique (BIS) ou sus claviculaire. En revanche, un relâchement proximité quand le bloc est réalisé dans la partie basse de la
musculaire complet, indispensable dans certaines chirurgies de région interscalénique en sus claviculaire. Ce nerf quitte C5 dans
l'épaule, sera difficile à obtenir, le muscle trapèze n'étant jamais la région interscalénique mais reste satellite du plexus, puis
bloqué par un bloc du plexus brachial. Il en est en partie de part en direction postérieure passé le muscle omo-hyoidien. Il
même pour les muscles pectoraux et dorsaux [1,4,5]. assure une partie importante de l'innervation de l'épaule et son
blocage est indispensable pour assurer une bonne anesthésie/
analgésie de l'épaule. Il peut être bloqué sélectivement avec de
faibles volumes par voie antérieure, mais une diffusion vers le
Glossaire nerf phrénique est toujours possible, les volumes injectés
AL Anesthésique local excédants 5 ml [2,3].
ALR Anesthésie locorégionale En sus claviculaire, les rapports de proximité avec la plèvre et
BIS Bloc interscalénique
BPCO Bronchopneumopathie chronique obstructive l'artère sont visualisés sur un même plan de coupe (sonde posée
BSC Bloc supra claviculaire en dedans de la clavicule en direction du dôme pleural). Les
PAM Pression artérielle moyenne muscles scalènes sont analysés à partir de la constitution de
leurs aponévroses (tendons) insérés sur la clavicule ; le corps

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Mise au point
Figure 2
Dermatome et sclérotome de l'épaule et du bras

Figure 1
Plexus brachial
Ts : tronc supérieur, Tm : tronc moyen,
Ti : tronc inférieur, 1 : nerf dorsal de la
scapula, 2 : nerf sub-clavier, 3 : nerf
supra scapulaire, 4 : nerf pectoral
médial, 5 : nerf cutané médial du bras
et de l'avant-bras, 6 : nerf ulnaire, 7 :
nerf médian, 8 : nerf musculo-cutané,
9 : nerf axillaire, 10 : nerf médian, 11 :
nerf long thoracique, 12 : artère
axillaire, 13 : veine axillaire, 14 : artère
vertébrale
A : coupe en sus-coracoïdien, B : coupe
en para-coracoïdien, C : coupe en sous-
coracoïdien

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Mise au point
Figure 3
Sono-anatomie de la région
cervicale
1 : Trachée, 2 : Thyroïde, 3 : muscle
omo et thyro-hyoïdien, 4 : artère
carotide interne (CI), 5 : veine jugulaire
interne, 6 : muscle sterno-cléïdo-
mastoïdien (SCM), ScA : muscle
scalène antérieur, ScM : muscle
scalène moyen ; nSC : nerf
supraclaviculaire

charnu musculaire apparaît en translatant la sonde en direction comme un chapeau à une bosse. Cela permet de localiser avec
céphalique [6,7]. précision le niveau de ponction du plexus, la position de
l'aiguille en C7 exposant à une diffusion des AL en faible
Relation plexus brachial, réseau vasculaire : pièges et
quantité vers le haut du plexus (échec de bloc sur C5) [8].
dangers
De nombreuses variations artérielles et veineuses existent au Voies d'abord en anesthésie loco-régionale
niveau du cou et l'échographie limite l'incidence des ponctions pour la chirurgie de l'épaule
vasculaires accidentelles par rapport aux techniques tradition- Voie interscalénique
nelles de repérage. L'échographie permet de visualiser aisé- Le BIS est le bloc de référence pour l'anesthésie et l'analgésie de
ment les gros troncs vasculaires (artères carotide et subclavière l'épaule [2,9,10]. Le « succès » d'un bloc pour la chirurgie de
et veines jugulaire interne et externe), mais aussi des branches l'épaule se définit par une extension aux racines C5-C6 [8]. Une
artérielles de plus petits calibres souvent méconnues par les injection effectuée au niveau de C6 est optimale car elle permet
praticiens : artère thyroïde, artère cervicale profonde, artère aussi une meilleure extension vers les racines plus profondes. Le
scapulaire, qui s'entrelacent au sein du plexus et exposent volume idéal varie de 5 à 10 ml [11]. L'augmentation des
à des injections intra vasculaires accidentelles (figure 3). Ces volumes ne change ni la qualité, ni la durée, ni l'étendue du
dernières sont repérées en mode doppler couleur et/ou par les bloc mais augmente le risque de paralysie phrénique. L'injection
techniques de compression de la sonde sur le cou (structures qui de l'AL dans le sillon interscalénique, entre les aponévroses des
se collabent ou de contours pulsatiles). Le risque vasculaire est scalènes antérieur et moyen est probablement suffisante du fait
présent quelles que soient les voies d'abord inter et supra de leur bonne diffusion à ce niveau et de la faible proportion de
claviculaire. Des injections fractionnées et des tests de dosage tissu conjonctif autour des contingents nerveux. Le BIS échoue
répétés sont justifiés [6]. fréquemment sur les racines C7-T1, ce qui en fait un moins bon
Niveau vertébral en échographie candidat pour la chirurgie distale (main) et du coude. En 2023,
La vertèbre C7 se singularise par la constitution de son processus deux voies d'abord sont à privilégier en regard de la racine C6
transverse : il présente un unique tubercule contre deux pour les (figure 4) [1] :
 approche hors du plan ou « out of plane » : pour l'injection
autres vertèbres. Cette particularité permet de repérer facile-
ment le processus transverse de C7 en échographie, qui apparaît unique ou la mise en place d'un cathéter. Cette approche

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Mise au point
Figure 4
Insertion de l'aiguille « in
plane » ou « out plane » en
interscalénique et
susclaviculaire

nécessite de maîtriser les éléments de vision indirecte de accidentelle, parésie diaphragmatique unilatérale, ponction
l'aiguille (mouvements des tissus et hydrolocalisation), sou- pleurale et syndrome de Claude Bernard-Horner), l'extension
vent plus difficiles à acquérir que la vision continue d'une périmédullaire ou intrathécale est devenue exceptionnelle avec
aiguille dans le plan. L'avantage de cette approche est de la pratique de l'échoguidage.
limiter le risque de ponction accidentelle des nerfs long tho- Lors du BIS, la syncope vaso-vagale peut survenir chez près de
raciques et supra scapulaire qui traversent le muscle scalène 20 % des patients en chirurgie de l'épaule en position assise et
moyen ; sous anesthésie loco-régionale (ALR) seule. Elle se traduit par
 approche dans le plan ou « in plane » : plus classique éven-
l'apparition d'une bradycardie et d'une hypotension environ
tuellement associée à la neurostimulation sentinelle (1- 20 min après la réalisation du bloc. L'évolution est rapidement
1,5 mA, 0,1 ms) pour permettre de détecter un passage de favorable après injection d'atropine et d'un vasoconstricteur. La
l'aiguille en intraneural (contraction persistante en dessous de syncope vaso-vagale est vraisemblablement favorisée par une
0,5 mA). L'aiguille est introduite à hauteur de la partie basse stase veineuse dans les membres inférieurs (liée à la position
de la région interscalénique. À ce niveau le plexus n'est plus en demi-assise) et à une stimulation sympathique intense (stress,
« pile d'assiettes », les troncs commencent à se regrouper et le adrénaline du liquide de lavage). Contrôler l'activité sympa-
positionnement de l'extrémité du cathéter sous le plexus est thique, en évitant les solutions adrénalinées d'AL et de limiter
relativement simple. l'adrénaline dans le liquide de lavage semble indiqué. La syn-
Si l'échographie permet de réduire l'incidence de la parésie cope vaso-vagale a été assimilée à tort au syndrome de Bezold-
diaphragmatique comparée à la neurostimulation, sa fréquence Jarisch [12].
est d'environ 30 %, même avec des faibles volumes d'AL [11].
Cette incidence imprévisible est encore trop fréquente et le BIS Bloc sus claviculaire : vers une nouvelle
est contre-indiqué en cas d'anomalie sévère de la fonction dénomination « BIS bas »
respiratoire. En dehors des complications ou effets adverses L'abord du plexus dans la partie basse du défilé a été nommé
classiquement rapportés avec le BIS (injection intravasculaire bloc sus ou supra claviculaire (BSC). Il s'agit d'un abord distal du

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plexus brachial dans le défilé lorsque les racines se réunissent en (acromioplasties, calcifications et instabilités d'épaule type Ban-
faisceaux. Cette région se situe dans l'espace interscalénique en kart) [16]. Dexaméthasone et clonidine peuvent prolonger la
dessous du muscle omo-hyoïdien [2,13–15]. L'injection de colo- durée du bloc.
rant bleu en dessous du muscle omo-hyoïdien dans l'espace Pour les chirurgies à ciel ouvert (arthroplastie et butée) ou de la
interscalénique, colore l'ensemble de la région interscalénique. coiffe des rotateurs, le cathétérisme périnerveux interscalénique
Ainsi, en 2023, il conviendrait de nommer le BSC par le terme de est une bonne alternative pour la prolongation de l'analgésie, s'il
« BIS bas ». La diffusion aux racines de C5-C6 est plus inconstante est associé à une organisation ambulatoire adaptée pour éviter
dans cette approche basse. Contrairement aux abords plus une chute accidentelle du cathéter [16]. L'analgésie continue par
proximaux, de plus larges volumes d'AL sont ainsi nécessaires BIS ou BSC permet une réduction de la douleur, de l'incidence
(> 15–20 ml) pour bloquer le nerf supra scapulaire qui a quitté le d'effets secondaires et une plus grande satisfaction chez les
plexus plus haut. L'abord doit s'effectuer dans le plan. Le BSC patients comparativement à une analgésie conventionnelle.
expose au risque de ponction pleurale accidentelle (pneumo- Une large méta-analyse et une étude multi-centrique Française
thorax) et de paralysie diaphragmatique. Il est souvent préféré récente (RCAPE) montrent un effet bénéfique sur la douleur au
par les praticiens pour les chirurgies de l'humérus et du coude en repos et à la mobilisation, à toutes les périodes après la chirurgie
raison d'un blocage des racines basses du plexus C7-T1. Cepen- et pour tous les types de cathéters [16,17]. Au-delà de la prise en
dant en cas de chirurgie de l'épaule, le blocage des racines C7- charge de la douleur, c'est également une amélioration de la
T1 est inutile et source de désagrément postopératoire (engour- qualité de vie a été mise en évidence. Chez des patients opérés
dissement des doigts). de l'épaule et bénéficiant d'un cathéter en ambulatoire, une
amélioration significative de la qualité du sommeil au domicile a
Blocs des nerfs supra scapulaire (par voie été démontrée [16,17]. Pour la chirurgie de l'épaule, l'association
antérieure ou postérieure) et axillaire d'une perfusion continue et de boli est le mode d'administration
Ces deux blocs distaux peuvent être utiles en alternative au BIS le plus efficace. Un débit de 5 ml/h associé à des bolus de 2,5 à
ou BSC. Réalisés avec de faibles volumes d'AL (5 ml), ils pro- 5 ml toutes les 20 à 30 min est utilisé par la plupart des prati-
curent une qualité d'analgésie similaire au BIS mais doivent être ciens. Une perfusion de fond plus importante pourrait être inté-
associés à une anesthésie générale pour la chirurgie [2,15]. Ils ressante (débit de 8 ml/h, bolus 2 ml/h) pour réduire les
sont principalment indiqués chez les patients BPCO contre indi- poussées douloureuses et les troubles du sommeil. Certains
qués pour un BIS ou BSC. Pour le bloc du nerf supra scapulaire, la modèles de pompes permettent de faire varier le débit de base
technique la plus utilisée est celle de Moore et le nerf est bloqué au cours du nycthémère avec [17]. Un débit de base plus élevé
dans le cadran supéro-externe de l'omoplate. Il peut être réalisé peut être programmé la nuit, évitant au patient d'avoir à s'admi-
sous échographie. Récemment, il a été proposé de le réaliser nistrer des bolus supplémentaires. Le jour, le débit est réduit au
dans la région supra claviculaire [2,3]. minimum, limitant l'incidence des fourmillements et des hypo-
esthésies distaux, souvent mal vécus par le patient.
Indication du bloc plexique interscalénique La pression économique et politique est croissante pour élargir
et sus claviculaire les indications de l'ambulatoire. Concernant la chirurgie de
Le bloc interscalénique reste la technique de choix pour : l'épaule, il a été montré que les patients bénéficiant à domicile
 l'ostéosynthèse du tiers externe de la clavicule (en complé- de l'administration de ropivacaïne par un cathéter interscalé-
ment d'un bloc du plexus cervical superficiel) ; nique ont eu une bien meilleure analgésie ainsi qu'une diminu-
 l'ostéosynthèse de l'humérus ; tion de la consommation d'antalgiques de secours [16]. Le
 la pose de prothèse de l'épaule ; recours à un complément morphinique oral reste utilisé, vali-
 les chirurgies de la coiffe des rotateurs, acromioplasties, cal- dant la nécessité d'un traitement de secours même avec une
cification et ligamentoplastie de l'épaule ; analgésie systématique efficace [16]. Le matériel utilisé varie
 les chirurgies du coude, mais les échecs sont fréquents en selon les études : soit des pompes élastomériques et soit des
raison de défects des territoires issus de C8 et T1 (nerf ulnaire) petites pompes électroniques. L'évolution du matériel (possibi-
obligeant à des compléments axillaires. lité de débit variable pour la nuit, avec ou sans bolus, par
Les contre-indications du BIS et du BSC en dehors de l'insuffi- exemple) et de sa facilité d'utilisation indique que les pompes
sance respiratoire sont rares et sont similaires : sepsis, coagu- électroniques sont plus adaptées à la programmation contrôlée
lopathie, infection au point de ponction, allergie aux AL et BPCO in situ ou à distance. En pratique, la difficulté n'est pas technique
sévère. mais organisationnelle. Il faut prévoir et organiser un véritable
L'injection unique assure une analgésie de bonne qualité mais réseau de soins à domicile. Il est alors important que les infir-
limitée aux premières 12–24 heures. En pratique, elle peut être mières aient reçu une formation spécifique sur la gestion des
suffisante pour des chirurgies simples de l'épaule pour lesquel- cathéters et les complications possibles. La création de novo
les la douleur prévisible ne dépasse pas cette période d'un réseau est envisageable.

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Mise au point
Figure 5
Chirurgie arthroscopique de
l'épaule en postion ½ assise

Des alternatives existent au BIS. Ce sont le bloc du nerf supra la chirurgie demi-assise. En cas de chirurgie assise, le niveau de
scapulaire et les infiltrations intra-articulaires, et plus particu- pression artérielle doit être strictement contrôlé en raison de
lièrement sous acromiale. L'infiltration sous-acromiale est une nombreux cas d'accident neurologiques rapportés (ischémie par
technique simple qui peut être réalisée par le chirurgien en fin hypoperfusion cérébrale) (figure 5). Compte tenu de la diffé-
d'intervention. Concernant l'arthroscopie d'épaule, l'injection rence de hauteur entre le bras et le cerveau en position demi-
unique semble peu efficace et d'une durée limitée dans le assise, une pression artérielle moyenne inférieure (PAM)
temps (< 12 h). à 65 mmHg au bras expose à une PAM inférieure à 50 mmHg
Le bloc du nerf supra scapulaire est classiquement utilisé pour la au niveau cérébral. En position de chirurgie par décubitus latéral,
prise en charge de certaines douleurs chroniques de l'épaule et a le bras homolatéral à l'acte opératoire est le plus souvent mis en
été proposé pour l'analgésie après chirurgie arthroscopique en traction, c'est une source de conflit potentiel entre les opéra-
ambulatoire de l'épaule. Il a été montré une diminution de la teurs en cas de complication neurologique post opératoire. Ceci
consommation d'antalgique sur les 24 premières heures ainsi renforce la nécessité de colliger de manière « factuelle » dans le
qu'une réduction de la durée d'hospitalisation. Si l'efficacité de dossier d'anesthésie les éléments constitutifs de la réalisation
ce bloc est indéniable, elle reste limitée aux premières heures du bloc (paresthésie, pression à l'injection. . .).
et, dans tous les cas, est inférieure à celle obtenue avec un bloc Le confort du patient est la raison principale du choix de l'anes-
interscalénique (différence moyenne à h24, 95 % confidence thésie générale, associée à un BIS ou BSC réalisé au préalable
interval = -3,11 mg (-9,42 to 3,19, D = -25 mg) [2,3]. Néan- (ne rien voir et ne rien entendre). Il n'existe pas de bénéfice
moins, il peut constituer une alternative au BIS, tout en gardant fonctionnel à court ou long terme. En pratique, les équipes
présent à l'esprit le risque de pneumothorax, surtout avec la doivent probablement travailler à l'élaboration d'expériences
technique d'approche par voie antérieure à l'abord du plexus en patient positives et les évaluer en audit.
sus claviculaire, notamment pour les interventions réalisées en
ambulatoire.
Conclusion
L'approche proximale du plexus brachial dans l'espace intersca-
Période peropératoire : bloc seul versus lénique en C6 est la technique de choix pour la chirurgie de
bloc associé à l'anesthésie générale l'épaule. Le choix d'une anesthésie par injection unique ou
Toute la chirurgie de l'épaule, y compris la chirurgie prothétique, continue via un cathéter, en loco-régional seule ou associée
est potentiellement réalisable sous bloc seul. Cependant, les à une anesthésie générale sont à discuter selon les stratégies
praticiens s'exposent à deux inconvénients principaux : un d'équipe et le choix des patients. Les blocs distaux analgésiques
relâchement musculaire parfois insuffisant des muscles posté- (nerfs supra claviculaire et axillaire) sont des alternatives au BIS.
rieurs et pectoraux et un défect pour les abords postérieurs
Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
(trocard ou incision) nécessitant un complément local (racines liens d'intérêts.
issues de T2). L'avantage de l'ALR réside en outre dans une
meilleure stabilité hémodynamique comparée à l'anesthésie
générale, en particulier chez les personnes âgées et lors de

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www.em-consulte.com/revue/anrea
www.sciencedirect.com

Mise au point
Blocs du scalp et de la face

Pierre-Antoine Oillic, Paul Zetlaoui

Disponible sur internet le : Hôpital de Bicêtre, université Paris-Saclay, service anesthésie-réanimation-médecine


7 janvier 2023 périopératoire, Le Kremlin-Bicêtre, France

Correspondance :
Pierre-Antoine Oillic, Hôpital de Bicêtre, université Paris-Saclay, service anesthésie-
réanimation-médecine périopératoire, Le Kremlin-Bicêtre, France.
pierreantoine.oillic@aphp.fr

Mots clés Résumé


Scalp
Face Les blocs tronculaires ou distaux des branches du nerf trijumeau, des premiers nerfs cervicaux ou
Loco-regionale du plexus cervical superficiel sont indiqués pour l'anesthésie, l'analgésie et l'algologie de la face et
Anesthésie du scalp. Ces blocs sont largement sous-utilisés, probablement en raison de l'anatomie un peu
Bloc complexe de la région, et de la zone imprécise de recouvrement entre les nerfs, justifiant souvent
d'associer plusieurs blocs pour une anesthésie/analgésie efficace. Une standardisation des pro-
cédures, permettant de bloquer plusieurs nerfs à partir d'un même point de ponction, optimise la
pratique de ces blocs. L'échographie autorisant le repérage de la majorité nerfs ou de leurs
foramens facilite la réalisation de ces blocs et devrait permettre d'en généraliser l'utilisation. Le
bloc des branches du nerf ophtalmique (V1) assure l'anesthésie-analgésie du tiers supérieur de la
face jusqu'à la suture coronale. Les blocs tronculaires des nerfs maxillaire (V2) et mandibulaire (V3)
bénéficient considérablement de l'apport de l'échoguidage, d'autant que ces nerfs sont satellites
de vaisseaux profonds. Les blocs de leurs branches distales sont faciles mais ne couvrent que les
territoires tégumentaires. Les deux premières branches du plexus cervical, les nerfs grand
auriculaire et petit occipital, qui sont concernées par les incisions latérales en neurochirurgie,
peuvent être bloquées par un point de ponction unique. Enfin, la branche sensitive de C2, le nerf
d'Arnold, impliquée dans la névralgie homonyme et les incisions postérieures en neurochirurgie,
est accessible à un bloc échoguidé.

Keywords Summary
Scalp
Face Scalp and face blocks
Locoregional
Distal or truncal blocks of the trigeminal nerve, first cervical nerves, or superficial cervical plexus
Anesthesia
are indicated for face and scalp anesthesia, analgesia, and algology. They are largely under-used,
Block
given the complex regional anatomy, and the imprecise overlap of the nerves, thus justifying the
association between several blocks for an efficient anesthesia-analgesia. Standardization of the
procedure to simultaneously block the different nerves from a single punction point allows the
optimization of their use. Echography enables the detection of most of the nerves or their
foramina and eases the blocks. This should broaden the use of those blocks. Ophthalmic nerve
(V1) branches block ensures the anesthesia-analgesia from the upper tier of the face to the

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https://doi.org/10.1016/j.anrea.2022.12.007
© 2022 Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Mise au point
coronal suture. Maxillary (V2) and mandibular (V3) nerve truncal blocks benefit from the echo
guidance use, them being satellites of deep vessels. Distal blockade of their branches is easy but
circumscribed to integumental territories. The first two branches of the cervical plexus, the greater
auricular and lesser occipital nerves, which are recruited in lateral incision for neurosurgery, can
be blocked by a single punction point. Finally, the sensitive branch of nerve C2, Arnold's nerve,
involved in the homonym neuralgia and posterior incisions in neurosurgery, can be blocked
through echo guidance.

Introduction ophtalmique de Willis (V1), le nerf maxillaire (V2) et le nerf


Le développement de la neurochirurgie éveillée, l'anticipation mandibulaire (V3).
des effets hémodynamiques de la mise en place de la têtière de Le nerf ophtalmique (V1)
Mayfield, la prise en charge de la douleur postopératoire des Quittant le crâne par la fissure ophtalmique supérieure, il donne
craniotomies et les chirurgies de plus en plus complexes des trois branches (le nerf frontal, le nerf lacrymal et le nerf naso-
tumeurs cutanées de la face chez des patients parfois très âgés ciliaire), qui transitent par l'orbite pour innerver le tiers supé-
justifient la réalisation de l'anesthésie locorégionale (ALR) dans rieur de la face. Il n'est pas décrit de bloc tronculaire du nerf
ces salles d'opération où l'anesthésie générale était la règle. ophtalmique, ni de bloc spécifique du nerf lacrymal.
L'ALR de la face et du scalp devrait faire partie des techniques Le nerf frontal, branche terminale du V1, innerve la paupière
maîtrisées par l'ensemble des anesthésistes-réanimateurs. Cela supérieure et l'hémi-front jusqu'à la suture coronale. Il se divise
n'est malheureusement pas encore le cas, probablement en en 2 branches :
raison de complexité des innervations de la face et du scalp.  nerf supratrochléaire : branche la plus médiale ;

Mais pour ces blocs, comme pour les autres, l'échoguidage a  nerf supra-orbitaire qui se résume en 2 branches, médiale et

permis d'en simplifier la réalisation. latérale.


Après un indispensable rappel anatomique, le but de cette mise Il est accompagné par la branche infratrochléaire du nerf naso-
au point est d'exposer clairement la technique de réalisation de ciliaire qui participe à l'innervation palpébrale médiale et tégu-
ces blocs en se servant de repères facilement identifiables en mentaire de la racine du nez. Il donne également des branches
échographie. Seuls les blocs profonds des nerfs maxillaire et ethmoïdales antérieure et postérieure, assurant la sensibilité de
mandibulaire nécessitent encore un apprentissage spécifique. l'appendice nasal dans sa partie cartilagineuse.
Pour tous les blocs décrits ci-dessous :
 l'échoguidage améliore le taux de réussite, permet de réduire
Le nerf maxillaire (V2)
Nerf sensitif pur, il sort du sphénoïde par le foramen rond dans la
les volumes injectés (2 à 3 mL/nerf) et diminue le risque de
fosse ptérygopalatine et innerve la partie moyenne du visage
traumatisme direct du nerf ou des vaisseaux satellites ;
à travers ses branches de division qui replongent dans divers
 le choix de l'anesthésique local (AL) dépend de la durée
foramens des os de la face et du crâne :
souhaitée du bloc :  nerf infra-orbitaire : branche principale destinée à la paupière
 bloc de durée courte ou intermédiaire : lidocaïne ou mépi-
inférieure, partie médiale de la joue, hémi-lèvre supérieure et
vacaïne 10 ou 20 mg/mL,
partie postérieure des fosses nasales ;
 bloc ou analgésie de durée prolongée : ropivacaïne (3,5 mg/
 rameau méningé et ethmoïdal ;
mL) ou lévobupivacaïne (2,5 mg/mL) ;  nerf ptérygopalatin : voile du palais et voûte palatine ;
 l'adjonction d'adrénaline n'est pas souhaitable.
 nerfs alvéolaires supérieurs : maxillaire supérieur et dents ;
En algologie, l'adjonction d'un corticoïde peut être utile.  nerfs zygomaticotemporal et zygomaticofacial : régions laté-

rales du front et de la face.


Anatomie générale Remarque : dans cette fosse ptérygopalatine se trouve le gan-
La face et le scalp sont innervés par (figure 1) : glion du même nom (aussi appelé sphénopalatin) qui reçoit les
 les 3 branches du nerf trijumeau (5e nerf crânien) ; afférences parasympathiques du nerf grand pétreux (innerva-
 les branches sensitives des 3 premiers nerfs spinaux ; tion des glandes salivaires supérieures, muqueuses et lacryma-
 deux branches issues du plexus cervical superficiel (C2 et C3) ; les) et sympathique du nerf pétreux profond (vasomotricité de
 et une participation variable et inconstante du nerf facial. la face).
Le nerf mandibulaire (V3)
Le nerf trijumeau Ce nerf sensitivomoteur sort du crâne par le foramen ovale de
Le nerf trijumeau assure presque à lui seul l'innervation sensi- l'os sphénoïde dans la fosse infratemporale. Une branche
tive de la face par ses 3 branches de division terminales, le nerf méningée récurrente se sépare du tronc commun avant qu'il

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Mise au point
Figure 1
Innervation de la face et du crâne
1 : territoire du V1
2 : nerf frontal
3 : nerf nasociliaire
4 : territoire du V2
5 : nerf infra-orbitaire
6 : nerf zygomaticotemporal
7 : zone du V3
8 : nerf mentonnier
9 : nerf auriculotemporal
A : plexus cervical
B : nerfs occipitaux

se divise en 2 troncs, antérieur et postérieur qui donnent plu- (nerf d'Arnold) qui participe à l'innervation sensitive de la plus
sieurs nerfs : grande partie des téguments de la région postérieure de scalp.
 nerf buccal : peau et muqueuse de la joue ;

 nerf temporal profond et nerf massétérique : branche motrice Le plexus cervical


du masséter, du temporal et des ptérygoïdiens Les nerfs petit occipital et grand auriculaire, issus du plexus
(manducation) ; cervical superficiel, participent à l'innervation sensitive des
 nerf auriculotemporal : région temporale, partie antérieure du régions latérales du scalp.
pavillon de l'oreille et du conduit auditif externe ; Le nerf facial
 nerf alvéolaire inférieur : mandibule ; il se termine par le nerf
Le nerf facial, sensitivomoteur, contribue de façon variable et
mentonnier et devient superficiel au niveau du foramen men- inconstante à l'innervation sensitive de la face, dans la région
tonnier à l'aplomb de la première prémolaire ; péri-auriculaire. Il est parfois mis à contribution dans la chirurgie
 nerf lingual : sensibilité des 2/3 antérieurs de la langue (sans
carotidienne dans la région de l'angle de la mâchoire. Seule une
le goût), gencive inférieure et plancher de la bouche. infiltration locale permet de bloquer ces branches distales.
Remarque : le nerf de la corde du tympan (branche du nerf facial
VII) rejoint le nerf lingual pour l'innervation gustative des 2/ Bloc des branches du nerf trijumeau
3 antérieurs de la langue et parasympathique des glandes
Bloc du V1, nerf ophtalmique de Willis
salivaires inférieures.
Il n'est pas décrit de bloc spécifique du tronc du nerf ophtal-
mique. Seules, certaines de ses branches, nerfs frontal et infra-
Les 3 premiers nerfs spinaux
trochléaire, sont accessibles à un bloc périphérique [1].
Les 3 premiers nerfs spinaux C1, C2 et C3 participent à l'innerva-
tion sensitive du scalp et du cou (non traitée dans ce chapitre). Indications – complications
Si les branches sensitives de C1 et C3 couvrent une zone res- L'anesthésie-analgésie obtenue concerne le front et la partie
treinte d'innervation, la racine C2 fournit le nerf grand occipital supérieure du scalp, les paupières supérieures et de la racine du

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Mise au point
nez. Le blocage bilatéral est nécessaire pour la chirurgie Une surveillance pendant 30 minutes est nécessaire, car la
médiane du front et de la racine du nez. diffusion de l'AL au tronc cérébral ou à d'autres nerfs crâniens
Un ptosis transitoire est possible par diffusion de l'anesthésie est possible.
vers le muscle orbiculaire.

Réalisation Réalisation
En sortant de l'orbite, le nerf frontal se divise en deux branches : Le bloc peut être réalisé en neurostimulation ou en échogui-
 le nerf supratrochléaire : au niveau de l'incisure supratro-
dage ; les techniques totalement aveugles ne sont plus
chléaire (au bord supéromédial de l'orbite) ; indiquées.
 le nerf supra-orbitaire : sur le rebord orbitaire supérieur, au
En échoguidage, la sonde convexe placée sous le zygoma est
niveau du foramen supra-orbitaire, à l'aplomb de la pupille inclinée en direction céphalique pour visualiser l'artère
centrée. maxillaire au doppler couleur. Le nerf rarement identifié pré-
Tous ces nerfs sont bloqués par une injection unique ; le bloc du cisément est localisé en profondeur par rapport à l'artère. La
nerf supratrochléaire peut nécessiter une infiltration spécifique ponction peut être réalisée en supra- ou infrazygomatique
dirigée vers la ligne médiane. (figure 3). L'aiguille est dirigée vers les vaisseaux ; l'injection
En échoguidage, le ou les foramens du nerf apparaissent comme de 4 ou 5 mL décolle le nerf. Il faut faire des tests d'aspiration
une ou 2 lacunes osseuses au bord médial du rebord orbitaire. La répétés.
ponction est réalisée dans le plan, l'aiguille ne pénètre pas dans En neurostimulation, la ponction est réalisée perpendiculaire-
le foramen (figure 2). ment au niveau de l'angle formé par le bord externe de l'orbite
Une infiltration le long du rebord orbitaire supérieur peut être et l'apophyse zygomatique. L'aiguille progresse jusqu'au contact
suffisante. osseux avec l'arête temporale du sphénoïde, puis est réorientée
On utilise une aiguille à biseau court 24 G–40 mm ; 2–3 mL sont en caudale et postérieure. Le fond de la fosse ptérygomaxillaire
nécessaires pour chaque côté, 6 mL pour un bloc bilatéral. se trouve à 4 cm de profondeur, 5 mm sous le trou circulaire.
La neurostimulation sensitive provoque des dysesthésies dans le
Bloc tronculaire du nerf maxillaire – V2
territoire d'innervation. La mise en place d'un cathéter est
Indications – complications possible.
Le bloc tronculaire du nerf maxillaire, dans la fosse ptérygoma- Chez l'enfant, il faut réduire la dose de 30 %, et réaliser un bloc
xillaire, est indiqué pour la chirurgie osseuse de la face (maxi- bilatéral pour la chirurgie vélo-palatine.
llaire supérieur), des fentes vélo-palatines et les douleurs
chroniques dans le territoire du nerf. Ce bloc profond est
contre-indiqué en cas d'anomalie de la coagulation [2]. Blocs des branches du nerf maxillaire
Les complications possibles de ce bloc profond sont : Bloc du nerf infra-orbitaire
 trismus par traumatisme musculaire ;
Le nerf infra-orbitaire, branche terminale du nerf maxillaire (V2),
 traumatisme vasculaire non accessible à la compression ;
émerge au niveau du foramen infra-orbitaire, situé 1 à 1,5 cm
 pénétration dans l'orbite ou dans le crâne.
caudal à la paupière inférieure, à l'aplomb de la pupille centrée.

Figure 2
Repères pour le bloc échoguidé du nerf frontal. Le nerf frontal (parfois 2 branches, médiale et latérale, émergeant par 2 foramens
distincts) est bloqué par une injection de 2 à 3 mL

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Mise au point
Figure 4
Repères pour le bloc échoguidé du nerf infra-orbitaire. Le nerf
infra-orbitaire (issu du V2) aborde la face par son foramen
propre, caudal au rebord orbitaire et latéral à l'os nasal. C'est un
nerf facilement visualisé en raison de sa taille, et des vaisseaux
Figure 3 qui l'accompagnent
Repères pour le bloc échoguidé du nerf maxillaire. Le nerf
maxillaire, V2, est difficile à repérer en échographie. Le nerf est
au contact de la portion la plus crâniale de l'artère maxillaire qui Réalisation
est facilement localisée au doppler couleur. La sonde (micro)
L'échoguidage est uniquement utilisable pour le nerf zygoma-
convexe est placée sous l'os zygomatique, puis progressivement
ticotemporal. Le nerf, trop fin, n'est pas repérable, mais il
inclinée en direction crâniale pour localiser l'artère. Le nerf est
chemine à proximité d'une branche artérielle repérable en
dans l'environnement immédiat de l'artère. La ponction, dirigée
vers l'artère, peut être réalisée en supra- ou infrazygomatique doppler couleur (figure 5).
La ponction est réalisée au bord dorsal du rebord orbitaire de
Indications – complications l'arcade zygomatique.
Bloc par voie transcutanée : chirurgie cutanée de la région sous- Une première injection (2 à 3 mL) est réalisée en superficie du
orbitaire, de la paupière inférieure à la lèvre supérieure fascia temporal pour la branche superficielle.
comprise. Pour la chirurgie de la lèvre supérieure, le bloc doit Puis, l'aiguille progresse jusqu'au contact osseux avec l'os tem-
être bilatéral. Bloc par voie endobuccale : chirurgie dentaire et poral ; après un retrait de 1 à 2 mm, on réalise une injection de
sinusienne (non détaillée). Aucune complication spécifique 3 à 4 mL pour la branche profonde.
n'est rapportée en dehors d'un traumatisme vasculaire. L'infiltration est la technique de référence pour ces deux nerfs.
Réalisation Le nerf zygomaticotemporal est bloqué par une infiltration
En échoguidage, le foramen est identifié comme une lacune
osseuse, environ 15 mm caudale au rebord orbitaire. La ponc-
tion latéromédiale (ou caudocrâniale) est réalisée dans le plan
vers le foramen sans y pénétrer, en respectant les vaisseaux
satellites repérés au doppler couleur (figure 4).
Sans échoguidage, on réalise une infiltration pour laquelle le point
de ponction se situe à l'intersection de 2 lignes : une ligne verticale
passant par la pupille centrée et une ligne horizontale passant sur
la partie plus haute de l'aile du nez, environ 1,5 à 2 cm caudal au
rebord orbitaire et à 2 cm du nez. La ponction légèrement ascen-
dante est dirigée vers l'angle latéral de la paupière.
Dans tous les cas, on utilise une aiguille courte et fine (24 G–
40 mm), et on injecte un volume maximal de 2 à 3 mL.
Bloc des nerfs zygomaticotemporal et zygomaticofacial Figure 5
Indications – complications Repères pour le bloc échoguidé du nerf zygomaticotemporal. Le
Il s'agit de 2 branches cutanées du nerf maxillaire innervant la nerf zygomaticotemporal n'est pas visualisé ; seule l'artère
région temporale et latérale de la face, dont les indications se satellite est visible au doppler couleur. Ponction hors du plan
limitent aux incisions (ou douleurs) dans le territoire d'innervation. avec une injection superficielle au fascia temporal et une
Aucune complication spécifique n'est rapportée. injection profonde après le contact osseux

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profonde, 2 cm en dehors et 1 cm au-dessus de la fente En neurostimulation, la ponction perpendiculaire au plan cutané
palpébrale. Le nerf zygomaticofacial justifie une infiltration est réalisée sous l'arcade zygomatique, au niveau de la dépres-
superficielle entre le tragus et le bord latéral de l'orbite. sion entre le processus coronoïde et le processus condylien. À
une profondeur de 3 cm environ, l'aiguille bute sur l'apophyse
Bloc tronculaire du nerf mandibulaire V3 ptérygoïde. Elle est réorientée en direction céphalique et 1 cm
Indications – complications en dorsal vers le foramen ovale. Une réponse motrice est
Le bloc du V3 est indiqué pour l'analgésie pour la chirurgie de la recherchée au niveau de la langue. Il est possible d'insérer
mandibule, du plancher de la bouche, et de la partie inférieure un cathéter pour une analgésie postopératoire. Un
de la joue. Il est utilisable pour les douleurs chroniques dans le volume est habituel de 5 à 7 mL, entrecoupé de tests
territoire du V3. Certaines équipes ont également décrit son d'aspiration.
utilité pour la levée de trismus d'origine musculaire dans l'intu-
bation orotrachéale difficile, étant donné son action sur le Bloc des branches du nerfs mandibulaires
contingent moteur des muscles masséter, temporal et ptéry- Bloc du nerf mentonnier
goïdiens [3]. Branche terminale nerf mandibulaire (V3), le nerf se ramifie au
Il est contre-indiqué en cas d'anomalie de la coagulation. niveau du foramen mentonnier en deux branches, les nerfs
Il entraîne un risque de parésie faciale transitoire par diffusion, mentonnier et incisif (dents).
et de ponction de l'artère maxillaire. Indications – complications
L'anesthésie obtenue touche :
Réalisation  la lèvre inférieure, le menton ;
En échoguidage, la sonde (micro)convexe est placée sous le  les muqueuses labiale et gingivale, les incisives, les canines
zygoma, en avant de la branche montante de la mandibulaire,
inférieures.
avec une légère orientation dorsale. En arrière de l'apophyse
Pour les prémolaires inférieures, l'abord endobuccal est
ptérygoïde, on visualise au doppler couleur une artère (maxi-
préférable.
llaire ou sa branche alvéolaire). En profondeur de l'artère, et en
Un bloc bilatéral est souvent nécessaire. Le bloc complet de l'os
arrière de la plaque ptérygoïde, le nerf est visualisé comme une
maxillaire est impossible par cet abord. Il n'y a pas de contre-
structure ronde hyperéchogène (figure 6). La ponction est réa-
indication spécifique.
lisée dans le plan. L'aiguille insérée en arrière de la sonde est
Aucune complication spécifique n'est rapportée.
avancée jusqu'à ce qu'elle soit adjacente au nerf. Un volume de
Réalisation
5 mL est habituel ; les tests d'aspiration sont répétés.
Une aiguille 24 G–40 mm est utilisée.
En échoguidage, le foramen du nerf est repéré, caudal à la
commissure labiale. La ponction latéromédiale, dans le plan ne
pénètre pas dans le foramen. Un volume de 2 mL est suffisant
(figure 7).
Sans échoguidage, la ponction est réalisée à l'aveugle 1 cm au-
dessus et 1 cm en dehors du foramen mentonnier, situé
à l'aplomb de la première prémolaire, en direction en bas et

Figure 6
Repères pour le bloc échoguidé du nerf mandibulaire. Le nerf
mandibulaire est repéré avec une sonde (micro)convexe placée
juste antérieure à la branche montante du maxillaire, orientée Figure 7
légèrement en direction dorsale. Le doppler couleur recherche Repères pour le bloc échoguidé du nerf mentonnier. Le nerf
l'artère maxillaire à une profondeur habituelle de 4 à 5 cm. Le mentonnier, émerge au niveau de la face le plus souvent
nerf est toujours dans l'environnement immédiat de l'artère à l'aplomb de la première prémolaire. Ponction dans le plan

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Mise au point
Figure 8 Figure 9
Repères pour le bloc échoguidé du nerf auriculotemporal. Le nerf Repères pour le bloc échoguidé du nerf grand auriculaire. Le nerf
chemine en superficie du m.SCM, où il est facilement bloqué
(issu du V3) passe en avant du tragus et s'oriente en direction
céphalique accompagnant l'artère temporale. À ce niveau, il est
le plus souvent dorsale par rapport à l'artère (doppler couleur),
mais il peut être comme dans ce cas divisé en 2 branches Le nerf petit occipital émerge plus dorsalement en arrière du
SCM et monte vers la base du crâne.

en dedans, sans pénétrer dans le canal. Un volume de 2 à 3 mL Indications – complications


est suffisant. Il est utilisé en cas d'incision ou de névralgie dans le territoire
Par voie endobuccale, la ponction est réalisée dans le sillon d'innervation [4].
gingivolabial, à l'apex de la première prémolaire, en direction Aucune complication spécifique n'est rapportée.
caudale vers le foramen.

Bloc du nerf auriculotemporal Réalisation


C'est une branche cutanée du nerf mandibulaire innervant en En échoguidage, le nerf grand auriculaire est bloqué au bord
partie la région latérale de la face. latéral du SCM (figure 9).
Le nerf petit occipital, plus céphalique, est bloqué au bord
Indications – complications postérieur du SCM (figure 10).
Il est indiqué en cas d'incision et de névralgie dans le territoire Cependant, les 2 nerfs sont le plus souvent bloqués dans le
d'innervation. même temps par une injection échoguidée, dans l'espace cer-
Il existe un risque de lésion du nerf facial lors du bloc vical postérieur en arrière du bord dorsal du SCM.
auriculotemporal. En infiltration, le plus simple est de réaliser une infiltration sous-
Réalisation cutanée le long de la moitié céphalique du bord dorsal du SCM.
En échoguidage, le nerf est le plus souvent (mais pas toujours)
repéré dorsal à l'artère temporale superficielle (doppler cou-
leur), à moins de 1 cm de profondeur. Un volume de 2 à 3 mL est
suffisant. En cas de doute sur la position du nerf, on réalise
2 injections de 2 à 3 mL de chaque côté de l'artère (figure 8).
Sans échoguidage, on réalise une injection en éventail de 3 à
4 mL, 1,5 cm en avant et 1 cm au-dessus du tragus (zone
d'infiltration no 3).

Bloc des nerfs grand auriculaire et petit


occipital
Les nerfs grand auriculaire et petit occipital, branches cutanées
postérieures du plexus cervical, innervent partiellement l'angle
de la mandibule, la région péri-auriculaire, et la région latéro- Figure 10
postérieure du scalp. Repères pour le bloc échoguidé du nerf petit occipital. Le nerf
Le nerf grand auriculaire très superficiel est repéré au bord est repéré au bord dorsal du m.SCM., plus céphalique et plus
latéral du muscle sterno-cléido-mastoïdien (SCM). dorsal que le nerf grand auriculaire

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Mise au point
Réalisation
Le patient est en décubitus ventral, la tête tournée du côté
opposé à la ponction.
Le point de ponction se situe sur une droite reliant la pointe de la
mastoïde à la protubérance occipitale. L'artère occipitale, repère
principal, est localisée à ce niveau au doppler couleur (ou à la
palpation).
En échoguidage, on repère l'artère occipitale (doppler couleur)
le long de la ligne de repérage. Le nerf est médial à l'artère. La
ponction est réalisée dans le plan, de latéral en médial pour un
bloc unilatéral, ou de médial en latéral avec un point de ponc-
tion sur la ligne des épineuses pour un bloc bilatéral (figure 11).
Figure 11 Sans échoguidage, on réalise une infiltration sous cutanée pro-
Repères pour le bloc échoguidé du nerf grand occipital. La sonde fonde, en éventail, médiale à l'artère.
placée le long de la ligne nucale (reliant la pointe de la Une aiguille 22 G–50 mm est utilisée.
mastoïde à la protubérance occipitale) recherche à l'aide du Sous échoguidage, 5 mL de la solution choisie sont habituelle-
doppler couleur l'artère occipitale. Le nerf est toujours au contact ment injectés ; le volume peut être plus important (7–8 mL) sans
de l'artère, le plus souvent médial, en avant du muscle échoguidage.
semispinalis capitis Pour les névralgies d'Arnold, l'adjonction d'un corticoïde amé-
liore l'efficacité du bloc. Il est nécessaire de répéter le bloc à 2 ou
Bloc des premiers nerfs spinaux 3 mois d'intervalle pour un succès complet. L'anesthésie du
Bloc du nerf grand occipital (d'Arnold) scalp est un signe de réussite.
Le nerf grand occipital (d'Arnold) est constitué par le rameau Bloc du 3e nerf occipital
sensitif postérieur de C2 auquel s'associent souvent des filets Le 3e nerf occipital, médial au nerf grand occipital, innerve la
issus de C1 et/ou de C3. Stricto sensu, il n'est pas issu du plexus zone médiane des téguments de la face postérieure du crâne.
cervical [5,6]. Le nerf est habituellement bloqué (2 mL) dans le même temps
que le nerf grand occipital soit par infiltration, soit sous écho-
Indications – complications guidage, le nerf étant médial au nerf grand occipital (figure 12).
Il est réalisé en cas de névralgies cervico-occipitales (d'Arnold),
d'incision chirurgicale dans le territoire d'innervation et de Bloc du pavillon de l'oreille
syndrome d'hypotension intracrânienne (efficacité variable). L'innervation du pavillon de l'oreille est complexe, assurée par :
Aucune complication spécifique n'est rapportée.  le nerf grand auriculaire ;

Figure 12
Repères pour le bloc échoguidé des 2e (nerf grand occipital) et 3e nerf occipital. Les 2 nerfs sont en position médiale à l'artère au
niveau de la ligne nucale, le 3e nerf occipital étant le plus proche de la ligne médiane. Le bloc conjoint des 2 nerfs est indiqué lors
des abords postérieurs en neurochirurgie

tome 9 > n81 > janvier 2023

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P-A Oillic, P. Zetlaoui

Mise au point
 le nerf auriculotemporal ; Synthèse
 la branche auriculaire du VII (zone de Ramsay-Hunt) ;
Les blocs de la face et du scalp vont associer, de façon variable,
 le nerf vague qui assure une zone d'innervation réflexe au
en fonction des territoires à bloquer et des zones d'incision, les
niveau de la conque.
différentes techniques évoquées dans les paragraphes précé-
dents. Il est souvent nécessaire de faire dessiner à l'opérateur le
Indications – complications
trajet de son incision cutanée pour déterminer les nerfs qui
Ces blocs sont indiqués pour l'anesthésie et l'analgésie post-
seront concernés. En cas de repérage par neuro-navigation, les
opératoire pour la chirurgie du pavillon de l'oreille.
blocs sont réalisés après le repérage pour ne pas interférer avec
Aucune complication spécifique n'est rapportée.
lui, le patient étant habituellement déjà en position opératoire.
Les solutions adrénalinées ne sont pas recommandées.
Les blocs du scalp
Réalisation L'innervation sensitive du scalp et du crâne dépend du nerf
Le patient est placé en décubitus dorsal, la tête tournée du côté trijumeau, et des 3 premiers nerfs cervicaux.
opposé à la ponction. Nerf trijumeau :
L'échoguidage permet de repérer le nerf auriculotemporal (bord  V1 : partie antérieure et médiane du front jusqu'à l'aplomb des

antérieur du pavillon), et les nerfs grand auriculaire et petit yeux, par le nerf supratrochléaire et les nerfs supra- orbitaires,
occipital plus céphalique (participation inconstante), au bord branches terminales du nerf frontal ;
postérieur du SCM.  V2 : face antérieure et latérale du front par le nerf

Sans échoguidage, on se limite à des infiltrations sous-cutanées zygomaticotemporal ;


faisant le tour de l'oreille ou limitées aux régions concernées.  V3 : sensibilité cutanée de la tempe et de la face latérale du

Les territoires d'innervation du nerf facial (zone de Ramsay Hunt crâne par la branche auriculotemporale.
sur la face latérale, et portion supérieure de la face temporale) Premiers nerfs cervicaux :
sont bloqués par une infiltration sous-cutanée en arrière de  nerfs grand auriculaire et petit occipital (plexus cervical super-

l'hélix et de l'anthélix. ficiel) : région latérodorsale ;


On utilise une aiguille 24 G–40 mm ; un volume de 2 à 3 mL par  nerf grand occipital (nerf d'Arnold, C2) : sommet du crâne

nerf est suffisant. jusqu'à une ligne horizontale passant par le haut des hélix ;
 C3 : région médiodorsale du crâne.

Nerf facial :
 région péri-auriculaire et conque de l'oreille.

Les blocs du scalp assurent l'analgésie cutanée, sous-cutanée et


osseuse pour la chirurgie du scalp et pour la chirurgie intracrâ-
nienne, dont la neurochirurgie éveillée.
En cas d'incision proche de la ligne médiane, il faut bloquer le
nerf controlatéral.
Tous ces nerfs peuvent être bloqués par une série de 4 injections
(infiltrations ou injections échoguidées) adaptées à la chirurgie
prévue (figure 13). L'échographie (sonde haute fréquence)
améliore la procédure et diminue les doses injectées ; il faut
tenir compte de la dose de lidocaïne (adrénalinée) injectée par
l'opérateur (pour réduire le saignement de l'incision) dans la
dose totale d'anesthésique local :
 zone 1 : branches du nerf frontal ;

 zone 2 : nerf zygomaticotemporal ;

 zone 3 : nerf auriculotemporal ;

 zone 4 : nerf grand auriculaire et nerfs occipitaux.

Les blocs de la face


L'anesthésie ou l'analgésie de la face nécessite souvent d'asso-
Figure 13 cier plusieurs blocs. En fonction des territoires concernés, les
Innervation du pavillon de l'oreille. L'innervation du pavillon de différentes branches du nerf trijumeau peuvent et doivent être
l'oreille est sous la dépendance de 3 à 4 nerfs. Les nerfs associées, que cela soit au niveau tronculaire ou au niveau
auriculotemporal, grand auriculaire et petit occipital sont périphérique. Dès que la chirurgie s'approche de la ligne
repérables en échographie (voir blocs spécifiques) médiane, il faut habituellement réaliser un bloc bilatéral car

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Mise au point
les zones de recouvrement sont nombreuses et imprécises ; ceci tation réflexe des vaisseaux méningés par le blocage
est fréquemment le cas de la chirurgie carcinologique cutanée parasympathique.
de la face qui bénéficie largement de l'ALR, particulièrement Le bloc topique du ganglion sphénopalatin est proposé, avec un
chez le sujet très âgé. Pour une chirurgie vélopalatine, le bloc du succès variable, pour le traitement des céphalées post-brèche
nerf maxillaire doit être bilatéral. Pour une ostéotomie maxi- durale. Le patient est en décubitus dorsal, la tête en hyper-
llaire, il faut bloquer les deux nerfs mandibulaires. extension. De longs cotons-tiges imprégnés de xylocaïne vis-
queuse à 2 % sont introduits dans chaque narine jusque dans le
Le bloc topique du ganglion sphénopalatin
nasopharynx. De la xylocaïne à 2 % est instillée par le canal de
Le ganglion sphénopalatin (ou ptérygo-palatin) est situé dans la
chaque coton-tige jusqu'à ce que le patient en ressente le
fosse homonyme, en arrière des fosses nasales. Ses efférences
passage dans le pharynx. Les cotons-tiges sont laissés en place
sont représentées par les nerfs pharyngien et orbitaires. Il reçoit
pendant 10 minutes, puis retirés. Si la céphalée n'a pas dispa-
des afférences végétatives sympathiques et parasympathiques,
rue, les coton-tige ré-imprégnés de gel de xylocaïne, sont
et des afférences sensitives du nerf maxillaire. Une branche
replacés à nouveau 10 minutes puis retirés définitivement [7].
méningée récurrente se sépare de chaque nerf maxillaire et
À 24 h, le taux de guérison serait équivalent à celui du blood
mandibulaire ; le bloc de ces branches avant leur retour dans le
patch.
crâne est une des hypothèses expliquant l'effet du tamponne-
ment du ganglion sphénopalatin sur les céphalées, et particu- Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
lièrement celles liées à l'hypotension intracrânienne. Le liens d'intérêts.
mécanisme d'action supposé est une inhibition de la vasodila-

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en ligne sur / on line on


www.em-consulte.com/revue/anrea
www.sciencedirect.com

Mise au point
Péridurale thoracique analgésique

Yann Gricourt, Pierre Baptiste Vialatte, Zahir Akkari, Geoffrey Avis, Philippe Cuvillon

Disponible sur internet le : UR-UM103 IMAGINE, université de Montpellier, Division of Anesthesia Critical Care,
4 janvier 2023 Pain and Emergency Medicine, Nîmes University Hospital, Nîmes, France

Correspondance :
Yann Gricourt, UR-UM103 IMAGINE, université de Montpellier, Division of Anesthesia
Critical Care, Pain and Emergency Medicine, Nîmes University Hospital, Nîmes,
France.
yann.gricourt@chu-nimes.fr

Mots clés Résumé


Épidural
Analgésie En 2023, l'analgésie péridurale thoracique demeure une technique recommandée pour de
Chirurgie nombreuses interventions thoraco-abdominales (sus-mésocolique et colique) par thoracotomie
Thoracique ou laparotomie. Malgré le peu d'impact sur le pronostic des patients à long terme (morbidité,
Abdominal mortalité à J30), la péridurale thoracique favorise la réalisation des programmes de réhabilitation
Recommandations en raison de l'épargne morphinique per et postopératoire. Ses principaux inconvénients résident
dans la gestion de l'hypotension et la rétention urinaire post opératoire. Pour les chirurgies mini
invasives, par cœlioscopie ou robotique, associées aux programmes de réhabilitation périopéra-
toires, les blocs de paroi tendent à supplanter l'APD thoracique.

Keywords Summary
Epidural
Analgesia Thoracic epidural analgesic
Surgery
In 2023, thoracic epidural analgesia remains a recommended technique for many major thoraco-
Thoracic
abdominal procedures by thoracotomy or laparotomy. TEA has little impact on the long-term
Abdominal
outcome of patients (morbidity and mortality), but improves rehabilitation programs, mainly by
Recommendations
the perioperative morphine savings. Its side effects remain hypotension and urinal retention. For
laparoscopic or robotic surgery, fascial plane blocks (TAP, serratus. . .) limit the benefit of TEA,
especially when surgery integrates rehabilitation programs.

Introduction nombreuses interventions à haut risque de douleur aiguë


Longtemps considérée comme le « Gold Standard » pour les et chronique (thoracotomie, laparotomie), l'APD doit
chirurgies majeures, en raison de la qualité de l'analgésie s'intégrer dans une stratégie d'équipe et de parcours ; et
procurée et de l'épargne morphinique, la péridurale thora- être d'autant plus questionnée que la chirurgie est
cique (APD) se voit supplantée en 2023 par les blocs de inscrite dans un programme de réhabilitation périopératoire
parois. Tout en gardant ses lettres de noblesse dans de [1–5].

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https://doi.org/10.1016/j.anrea.2022.12.005
© 2022 Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Anesth Reanim. 2023; 9: 40–47

Mise au point
APD thoracique : quels réels bénéfices d'opiacés administrées, de la réaction inflammatoire et de la
cliniques en 2023 ? réponse au stress chirurgical [7]. Cet effet est moins marqué
Au cours des 20 dernières années, les patients bénéficiant d'une chez la personne âgée de moins de 75 ans.
association « anesthésie générale + péridurale thoracique anal- Pneumopathie et infarctus du myocarde
gésique post opératoire (48 à 72 h) » (AG + APD) ont fait l'objet Depuis la publication de l'étude MASTER en 2001, plusieurs
de nombreuses études comparatives (vs. AG seule ou bloc de études n'ont pas confirmé ou infirmé la supériorité de l'APD
paroi) permettant de mieux appréhender les bénéfices suppo- sur la réduction du risque cardio vasculaire et pulmonaire en
sés résultants des soins sous APD ou PROMs (Patient-reported postopératoire [10,11]. Les pratiques médicales actuelles
outcomes measures). Ces données récentes sont souvent en (maintien des antiagrégants et statine en périopératoire) asso-
opposition avec les données antérieures aux années 2000, car ciées aux blocs de paroi et à l'analgésie multimodale ont pro-
de nombreuses avancées médicales et sociales pré et peropé- bablement réduit les effets bénéfiques de l'APD [12,13]. En
ratoire ont révolutionné la période postopératoire. Parmi ces conséquence, les dernières recommandations des sociétés de
avancées, nous pouvons retenir les concepts de réhabilitation cardiologie publiées en 2022 par l'European Society of Cardio-
améliorée après chirurgie (RAC) et de pré habilitation (nutrition, logy tendent à minimiser l'intérêt de l'APD en chirurgie majeure
kinésithérapie, gestion de l'anxiété), la chimiothérapie néo ou intermédiaire sous coelioscopique ou robotique à cause du
adjuvante (réduction tumorale), les stratégies d'épargne trans- risque de décompensation cardiaque lorsque le niveau cépha-
fusionnelle et d'optimisation intra opératoire (ventilation pro- lique s'étend au-delà de T4 [14].
tectrice, hémodynamique et profondeur d'anesthésie
Iléus et durée de séjour
optimisées, chirurgie mini invasive. . .)[1–5]. Afin de présenter
L'APD montre une supériorité par rapport aux groupes AG seule
des données actualisées des soins sous APD, nous décrivons ci-
et AG associée à un bloc de paroi en chirurgie ouverte (réduction
après les principaux résultats des études prospectives randomi-
moyenne de 1,67  0,2 jours). En cas de chirurgie mini invasive
sées et méta analyses publiées entre 2005 et 2023 :
ou coelioscopique ou robotique, l'APD n'est pas supérieure aux
Mortalité à 30 jours blocs de paroi [8,13].
L'association APD + AG ne démontre pas de supériorité vs. AG Hypotension
seule (ou AG + blocs de paroi) : risque relatif ajusté (RRa) = 1,07 Cet effet adverse est bien plus fréquent sous APD en peropé-
(95 % CI : 0,92–1,24 ; p = 0,408) [6]. ratoire que sans APD, quelles que soient les modalités d'admi-
Oncologie (mortalité et récurrence tumorale) nistration. Pour maintenir une pression artérielle moyenne
L'association APD + AG ne démontre pas de supériorité vs. AG supérieure à 65 mmHg, il est nécessaire de recourir le plus
seule (ou AG + blocs de paroi) sur la mortalité ou l'incidence des souvent à un vasopresseur intra ou postopératoire [15,16].
métastases apparues secondairement après la chirurgie : Cet effet est proportionnel à l'étendue du bloc sympathique.
RRa = 1,09 (95 % CI : 0,93–1,28) ; p = 0,290. De nombreuses Consommation en opiacés et agent d'anesthésie
études rétrospectives et prospectives ont rapporté des résultats Administrée en peropératoire, l'APD réduit la consommation de
cliniques contradictoires suggérant un bénéfice de l'APD. Le ces agents en per et postopératoire. Pour la période postopé-
rationnel tenait à un meilleur compromis immunitaire en faveur ratoire, la réduction de prise d'opiacés est en faveur de l'APD
de l'APD (par réduction de la consommation d'opiacé et de la mais dépend du type de chirurgie et des patients. Dans le cadre
réponse inflammatoire). Ces données ne sont toujours pas des programmes RAC avec analgésie multimodale, la différence
confirmées en clinique [6,7]. s'est considérablement estompée [16].
Réponse inflammatoire et immunitaire Rétention aigue d'urine en post opératoire
Dans toutes les études cliniques, l'APD donne un meilleur profil Elle est très fréquente sous APD (jusqu'à 30 % des patients),
inflammatoire (biomarqueurs moins élevés : protéine réactive nécessitant le plus souvent un sondage, ce qui va à l'encontre du
C, formule leucocytaire, interleukines IL-6, IL-2, IL-12p70, IL-10, principe de la RAC [16,17].
IL-4, et IL-17, facteur de nécrose tumorale TNF-a, interféron IFN-
Infection post opératoire et fistule
g), préserve l'immunité cellulaire (cellule lymphocytaire Natural
Les études utilisant la classification de Clavien-Dindo ne mon-
Killer et CD8), et réduit le stress métabolique (élévation plas-
trent pas de différence pour ces deux items avec ou sans APD
matique plus faible du cortisol, du glucose et de l'insuline) [8,9].
à J90 [13]. Pour les fistules digestives, l'APD ne montre pas de
Délirium postopératoire chez la personne âgée supériorité sur la réduction du risque, même si la vascularisation
après chirurgie majeure (incidence : 20 à 40 %) régionale splanchnique semble améliorée [15].
L'APD entraine une réduction importante du risque relatif : 0,351 Comparativement à l'analgésie intra veineuse contrôlée par le
(95 % CI : 0,197–0,627) p < 0,001. Cette réduction est liée à la patient (PCA iv), il n'existe pas de différence concernant les
combinaison de la réduction des douleurs sévères, des doses items suivants postopératoires [16] :

tome 9 > n81 > janvier 2023

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Y. Gricourt, P.B. Vialatte, Z. Akkari, G. Avis, P. Cuvillon

Mise au point
 risque thrombo-embolique : RR = 0,32 (95 % CI : 0,03–2,95) ; (30 %), nausées et vomissements. De ce fait, l'APD est actuel-
 nausées et vomissements : RR = 0,94 (95 % CI : 0,69–1,27) ; lement challengée par le bloc paravertébral en simple injection
 sédation nécessitant une intervention : RR = 0,87 (95 % CI : (préférentielle en T7) ou multi injection en (T4 et T7). La double
0,40–1,87) ; injection démontre une « non-infériorité » à l'APD en ce qui
 épisodes de désaturation < 90 % : RR = 1,29 (95 % CI : 0,71– concerne l'épargne opiacé [19]. À ce titre, les différentes méta-
2,37). analyses retrouvent une analgésie équivalente à la péridurale
En conclusion, l'APD thoracique réduit les scores de douleur thoracique avec cependant moins d'effets indésirables [18–23] :
(–1 points, échelle de 0 à 10), le recours aux opiacés (5 à diminution des nausées et vomissement post opératoires
10 mg iv / 24 h), la réponse inflammatoire et le stress chirur- (NVPO), du prurit, de l'hypotension et de rétention aigue
gical. Tous ces éléments facilitent la récupération postopératoire d'urine. Ainsi, les différentes recommandations placent le bloc
(durée d'iléus et de séjour) mais sont clairement sans bénéfice paravertébral en première intention dans les programmes de
sur la récurrence oncologique ou la mortalité à court et long réhabilitation précoce (RFE SFAR Grade 2+ / RFE Italienne Grade
terme. Dans toutes les études, le principal inconvénient de l'APD A/ RFE des groupes GRACE et PROSPECT : Grade A) [19,21–23].
réside dans la gestion de l'hypotension et des échecs de mise en Concernant la vidéo thoracoscopie (video-assited thoracique
place (18 à 30 %). De ce fait pour la chirurgie mini-invasive, surgery, VATS), des blocs de diffusion et d'espace (paravertébral,
l'APD thoracique est supplantée par l'analgésie multimodale serratus, intercostaux) ont été proposés. Ils allient simplicité et
incluant les blocs de paroi qui sont plus simple et permettent mobilisation non contrainte par un cathéter. Leur principale
une mobilisation plus précoce. En 2023, l'APD thoracique ne doit limite réside dans la durée limitée de l'analgésie (12–18 h).
plus être proposée systématiquement, mais au cas par cas en Ainsi, des échecs de réhabilitation sont notés si la durée de
tenant compte du chemin clinique proposé par l'équipe, du type drainage pleural dépasse les 48 h. L'irritation occasionnée par le
d'abord chirurgical et des impératifs liés au patient (fragilité, drain au contact de la plèvre devient la principale source de
douleur chronique. . .). douleur. Le bloc sous pleural, réalisé par injection d'AL entre la
plèvre et les côtes, avec ou sans mise en place d'un cathéter (par
Quelle place en chirurgie thoracique en l'équipe chirurgicale de visu), a montré son intérêt pour l'épar-
2023 ? gne morphinique post opératoire de VATS [20]. Une méta ana-
La chirurgie thoracique est reconnue comme étant particuliè- lyse récente montre sa « non-infériorité » par rapport à l'APD et
rement pourvoyeuse de douleurs aiguës et chroniques (jusqu'à au bloc paravertébral (BPV) [24]. Cependant, l'épargne morphi-
30 % des patients trois mois après thoracotomie). La douleur nique est plus constante avec l'APD et le BPV. Cette méta analyse
aiguë post opératoire est un frein majeur à la réhabilitation et suggère aussi de positionner le bloc en sous pleural en cas
à la kinésithérapie respiratoire, exposant à la survenue d'até- d'échec ou lorsque APD et BPV ne sont pas réalisables [24].
lectasies, de pneumopathies et détresses respiratoires, ainsi Le "serratus anterior plane block'' réalisé après l'administration
qu'à une consommation en excès d'opioïde [18–23]. L'intensité d'AL au niveau du fascia entourant le muscle serratus (au-dessus
de la douleur en post opératoire est le principal facteur de risque et en dessous) permet de bloquer les branches cutanées laté-
de la chronicisation de la douleur. Dans ce contexte, une stra- rales des nerfs intercostaux [25]. Une méta analyse récente de
tégie pluridisciplinaire et multimodale périopératoire doit au 2021 montre une diminution significative de la consommation
minimum associer à l'APD : de morphinique en post opératoire de VATS, tout particulière-
 techniques chirurgicales mini-invasives (vidéo ou robot ment pendant les premières 24 heures sans supériorité
thoracoscopie) ; comparé au BPV [26]. Les autres blocs d'espace (érecteur,
 durée de drainage limitée avec déambulation et kinésithéra- rhomboïde. . .) n'ont pas montré d'intérêt réel ou de supériorité
pie respiratoire précoce (dès J0) ; dans le cadre de la VATS, et encore moins en cas de
 épargne morphinique avec une place prépondérante des anti- thoracotomie.
inflammatoires non-stéroïdiens et de l'ALR [18–23]. L'APD reste le « gold standard » pour la thoracotomie. Il semble
Les recommandations Françaises éditées en 2019 par la SFAR justifié de la proposer lorsqu'il existe des risques élevés de
Réhabilitation améliorée après lobectomie pulmonaire, recom- conversion de thoracoscopie en thoracotomie. En alternative,
mandent le recours à une technique d'ALR au cours de la les dernières recommandations placent le BPV en première
chirurgie thoracique, tant pour la thoracotomie (GRADE 1+) intention particulièrement lors de VATS accompagné d'un pro-
que pour la thoracoscopie (GRADE 2+) [19] : gramme RAC, en raison de son meilleur profil de tolérance. Le
Pour la thoracotomie, la péridurale thoracique a longtemps été bloc sous pleural est une alternative intéressante puisque le
considérée comme le « gold standard ». Cependant, son utilisa- cathéter peut être directement positionné par le chirurgien en
tion dans les programmes de RAC s'oppose aux nombreux effets fin d'intervention. Le "serratus anterior plane block'' est, pro-
adverses liés à cette technique : réalisation difficile (20 à 30 % bablement à ce jour, un bloc de recours notamment lorsque BPV
d'échecs à la pose), hypotension (15 à 20 %), rétention urinaire et bloc sous pleural ne sont pas réalisables (effraction pleurale).

tome 9 > n81 > janvier 2023

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Anesth Reanim. 2023; 9: 40–47

Mise au point
Ces dernières années, le progrès des techniques endoscopiques, au repos et mobilisation inférieure de 1 à 2 points/10 vs. PCA
robotiques et vidéo thoracoscopiques (notamment l'utilisation iv), présente plus d'hypotension artérielle mais les effets adver-
d'un seul trocart opérateur) permettent une chirurgie de moins ses médicaux sont souvent équivalents entre les deux groupes
en moins invasive, et ouvrent de nouvelles possibilités, tout jusqu'à J10 [28,29].
particulièrement en chirurgie thoracique avec le développe- Pour les voies d'abord mini-invasives et robotiques, dont la
ment de chirurgie sans recours à l'intubation sélective pour la chirurgie colique et hépatique, le développement de la RAC
ventilation uni-pulmonaire, le NIVATS. et de l'analgésie multimodale limitent l'intérêt de l'APD thora-
cique comparée aux blocs de paroi avec une absence de diffé-
Quelle place en chirurgie abdominale, rence statistiquement significative sur les critères cliniques
gynécologique et urologique ? entre ces deux modes d'ALR [30,31].
Chirurgie abdominale En chirurgie abdominale majeure et urgente, l'APD réduit la
En chirurgie abdominale majeure par laparotomie (colectomie mortalité à J30 en raison de l'absence de pré habilitation et de
et sus-mésocolique : gastrectomie, duodénopancréatectomie, programme RAC dans le groupe sans APD [30,31].
oesophagectomie, hépatectomie), l'APD reste la technique de En conclusion, selon la SFAR et les groupes ERAS ou GRACE, l'APD
référence sur les critères d'épargne morphinique et de réduction thoracique est la technique de choix après chirurgie majeure
des scores de douleur après chirurgie [3,11,13]. Toute chirurgie ouverte (laparotomie, bi sous costale). À l'inverse, les blocs de
abdominale majeure confondue, la réduction des scores de paroi sont plus adaptés à la chirurgie coelioscopique en associa-
douleur (échelle VAS de 0 à 10) comparée à la PCA iv entre tion aux programmes RAC (et lidocaine iv pour la chirurgie
6 et 72 heures est réelle mais « cliniquement » faible : colique).
–1,74 points (95 % CI : 1,30–2,19) à -0,63 points (95 % CI :
En urologie
0,24–1,01) [27–29]. Ces bénéfices analgésiques sont cependant
En chirurgie prostatique, l'APD n'est pas recommandée quelle
à contre balancer avec des durées de cathétérisme urinaire et
que soit la voie d'abord chirurgicale, selon les dernières recom-
d'hypotension artérielle plus prononcées sous péridurale. La
mandations de 2021. Lors des laparotomies, la lidocaïne IV (per
gestion de l'hypotension artérielle en service est une réalité
et post opératoire immédiate) ou l'infiltration chirurgicale res-
quotidienne et impose souvent un maintien en soins continus
tent des alternatives analgésiques intéressantes [27,31].
des patients. Comparativement à la PCA iv, une étude a démon-
En chirurgie du rein et des voies urinaires, les abords mini
tré bien plus d'actions infirmières en défaveur de l'APD :
invasifs ne permettent plus de recommander l'APD. L'abord
RR = 7,13 (95 % CI 2,87–17,75 ; 6 essais, 479 participants)
par lombotomie sous costale reste une indication, mais la mise
[29]. Concernant la durée d'iléus, elle est souvent équivalente
en place de cathéters entre les muscles abdominaux en fin de
avec ou sans APD, car dépendante des protocoles utilisés. Enfin,
chirurgie est une alternative séduisante, particulièrement après
rappelons (voir section I) que les bénéfices à J30 en termes de
transplantation rénale (TAP bloc en injection unique ou
mortalité et d'effets adverses post opératoires ne sont pas
continue).
différents avec ou sans péridurale [1–5,27–29]. Sous couvert
Pour la cystectomie avec reconstruction vésicale par « bricker »,
de protocoles RAC, les blocs de paroi et l'APD démontrent
les protocoles de RAC ont clairement démontré leurs bénéfices
des bénéfices similaires sans réelle différence statistique, en
sur la réduction des complications post-opératoires, la reprise de
dehors de l'épargne morphinique (favorable pour l'APD jusqu'à
transit et la durée de séjour lors des cystectomies radicales.
J2). Cependant, ces deux techniques d'ALR, APD et BPV, restent
L'APD thoracique en est un composant essentiel, recommandée
toujours supérieures à la simple analgésie intraveineuse
pour une durée de 72 h. Toutefois, ces recommandations de
[28,29].
2013 sont essentiellement fondées sur des extrapolations à par-
En chirurgie sus-mésocolique, les bénéfices de l'APD (vs. PCA iv)
tir des chirurgies colo-rectales [32]. Des études plus récentes
sont limités aux 48 premières heures pour les scores de douleur
nuancent l'intérêt et les bénéfices liés à la péridurale pour les
(–1 à–2 points/10) et à la reprise du transit (–1 jour), sans
cystectomies radicales dans les protocoles de RAC : majoration
différence pour les autres items :
des complications post-opératoires mineures et majeures,
Après duodénopancréatectomie (DPC), les scores de récupéra-
notamment majeures chez les plus de 75 ans.
tion sont plus favorables dans les premiers jours pour l'APD ; À
J30, les taux de complications sont similaires entre APD et PCA En gynécologie
iv : odds ratio OR = 1,17 (95 % CI : 0,71–1,95 ; p = 0,54) [28,29]. Bien que non recommandé pour la voie d'abord coelioscopique,
Après chirurgie gastrique et/ou œsophagienne cancéreuse réa- la place de l'analgésie périmédullaire en laparotomie reste
lisée sous cœlioscopie ou robotique, l'incidence des complica- recommandée pour les cyto-réductions tumorales, lors de chi-
tions ne diffère pas entre APD et PCA iv à J30 pour des délais de miothérapie intrapéritonéale hyperthermique et lors des chirur-
séjours similaires [25,26]. Dans toutes les études randomisées, gies carcinologiques ouvertes [33]. Dans ces situations, l'APD
le groupe APD reçoit moins d'opiacés jusqu'à J2 (score douleur offre un meilleur contrôle de l'analgésie post-opératoire, une

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Y. Gricourt, P.B. Vialatte, Z. Akkari, G. Avis, P. Cuvillon

Mise au point
meilleure satisfaction globale au détriment d'une augmentation La figure 1 illustre le niveau optimal pour concilier ces deux
du risque de rétention aiguë d'urine. En chirurgie vaginale et impératifs :
vulvaire, la péridurale doit être évitée ou stoppée le plus pré-  T4 pour la chirurgie thoracique ;

cocement possible, en regard des risques de rétention aiguë  T6-T8 pour la chirurgie sus-mésocolique ;

d'urine.  T8-T10 pour la chirurgie sous-ombilicale.

Pour aider au repérage optimal du niveau vertébral de ponction


Quelle place en réanimation thoracique, l'échographie est actuellement la méthode de réfé-
Pour la pancréatite aiguë, l'APD a pour objectifs d'optimiser rence (figure 1 et figure 2). Les vertèbres thoraciques sont
l'analgésie et améliorer la vascularisation splanchnique. Source caractérisées de T4 à T10 par une inclinaison postéro- inférieure
de controverses et d'études récentes (rétrospectives ou pros- de leurs apophyses épineuses, avec un angle variant de 25 à
pectives non randomisées avec appariement), les recomman- 458. Ceci rend la classique ponction interépineuse plus difficile
dations de la SFAR sur « la prise en charge de la douleur de la qu'à l'étage lombaire où les apophyses épineuses sont plus
pancréatite aiguë grave » ne se prononcent pas sur l'intérêt de horizontales : 18 à 30 % d'échecs à la ponction et par consé-
l'APD : « En l'absence de données évaluant l'analgésie des quent d'échec secondaire d'analgésie. Les nombreuses fenêtres
patients admis en soins critiques pour pancréatite aiguë grave, osseuses (vertèbre, côtes, articulaire) limitent l'intérêt des ultra-
il n'est pas possible d'émettre de recommandation sur le type sons comme technique d'échorepérage du trajet de l'aiguille. La
d'analgésie à privilégier pour diminuer la morbi-mortalité » facilité de ponction à la « goutte pendante » ou au « mandrin
[34]. Dans tous les cas, la pose du cathéter doit se faire en liquide » sont opérateurs et expérience dépendants (courbe
condition d'asepsie chirurgicale stricte (blouse et gants stériles). d'apprentissage longue supérieure à 50 ponctions). Les princi-
La durée de maintien de cathéter peut être rallongée par rapport pales complications sont l'échec de mise en place (jusqu'à
à une durée standard, si le risque infectieux est contrôlé. Le 30 %), puis le défaut d'analgésie à 72 h (16 %) soit par dis-
cathéter d'ALR doit être parfaitement identifié afin de ne pas le tribution latéralisée ou en mosaïque de la solution, soit par
confondre avec les multiples voies d'abord vasculaires du déplacement secondaire du cathéter à l'extérieur de l'espace
patient. péridural. Le cathéter ne doit pas être inséré dans l'espace
(Pour le traumatisme thoracique en réanimation : voir dans ce péridural de plus de 3 - 4 cm et compris entre T4 et T10 :
numéro la cas clinique « traumatisme thoracique » par Weber  un niveau sensitif inférieur à T12 expose à des hypotensions
et al.). sévères et prolongées (vasoplégie par blocage des rameaux
L1-L5 : membres inférieurs) ;
Mieux comprendre la péridurale  un niveau supérieur à T4 expose à une décompensation
thoracique : trucs et astuces respiratoire (muscles expiratoires accessoires) et bradycardie
La péridurale thoracique vise à bloquer les contingents ven- (nerf vague)
traux et dorsaux des racines spinales au cours de leurs traver-
sées des espaces arachnoïdiens. Afin d'optimiser la distribution Quels anesthésiques locaux et adjuvants,
des AL dans l'espace péridurale en regard des contingents quelle modalité d'administration ?
spinaux, le niveau de ponction doit concilier deux impératifs Le volume de l'espace péridural thoracique est plus faible qu'en
[35] : lombaire. L'administration de larges volumes d'AL expose à une
 impératif métamérique pour bloquer sélectivement les affé-
extension métamérique céphalo-caudale importante, débor-
rences sensitives de la paroi thoracique ou abdominale impli- dant la région analgésique et favorisant un blocage sympa-
qués par les incisions. Le blocage métamérique de ces thique étendu source d'hypotension artérielle. Pour limiter
afférences est primordial car participant à plus de 80 % de cet effet, des boli de faibles volumes de 2 à 4 mL sont recom-
l'analgésie postopératoire. En chirurgie thoracique, les méta- mandés associés (ou non) à des débits inférieurs à 6 mL/h. Pour
mères sont compris entre T4 et T7, en chirurgie abdominale la perfusion continue, le mode "boli + continu'' est à privilégier
sus-mésocolique (estomac, pancréas, œsophage, foie) entre (par exemple : boli de 2 à 3 mL par 20–30 min, infusion basale
T6 et T8, et en chirurgie sous-mésocolique entre T8 et T12. Un < 4 mL/h, et boli patient 2 à 3 mL) (voir cas clinique de ce
blocage en dessous de T12 est inutile ; numéro).
 blocage des contingents sympathiques : en chirurgie pel-
Les AL à très faible concentration sont à privilégier car seuls les
vienne, les relais sont réalisés par les racines L1-L3, pour toutes blocs sympathiques et sensitifs sont recherchés : ropivacaïne
les autres chirurgies les racines s'étalent de T4 à T12, avec un 0,0625 à 0,2 % (idéalement 0,1 %). La lévobupivacaïne
fort contingent via le ganglion mésentérique supérieur et à 1,25 mg/mL est aussi efficace en perfusion péridurale thora-
cœliaque [1,22]. Ils participent aux douleurs viscérales cique continue que la ropivacaïne à 2 mg/mL. En cas d'exten-
(20 % de l'analgésie post-opératoire) et au stress métabolique sion insuffisante, il faut privilégier un effet volume (par boli) et
chirurgical, détaillé ci-dessous). non un effet concentration. Pour optimiser la qualité de

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Anesth Reanim. 2023; 9: 40–47

Mise au point
Figure 1

Figure 2

l'analgésie et réduire les concentrations des AL, il est recom- harmonieuse des AL au sein de l'espace péridural et limitent
mandé d'associer aux AL de faibles doses d'opiacés liposolubles : le risque de mosaïque ou de latéralisation [36].
fentanyl 0,5 mg/mL, sufentanil 0,25 mg/mL. Ces opiacés ont
une action spinale et supra spinale par diffusion au travers de Que faire en cas d'effets adverses et
la dure-mère et l'arachnoïde. La morphine n'est pas recomman- modalité de surveillance au décours de la
dée (hydrosoluble), les autres adjuvants (clonidine) sont à éva- SSPI ?
luer au cas par cas. L'utilisation des cathéters multi perforés est En dehors de l'échec et du défaut d'analgésie (30 % des cas), la
recommandée car ils facilitent une distribution plus péridurale thoracique expose principalement au risque

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Y. Gricourt, P.B. Vialatte, Z. Akkari, G. Avis, P. Cuvillon

Mise au point
d'hypotension artérielle (blocage sympathique étendu), ce qui En cas d'hypoventilation, il faut vérifier le niveau sensitif et
impose une surveillance régulière des paramètres vitaux (fré- arrêter l'APD si le niveau est trop étendu en céphalique (objectif
quence cardiaque et respiratoire, pression artérielle, saturation). < T4). Si le niveau est satisfaisant, il est préférable de diluer plus
Cette surveillance peut être réalisée en soins continus ou en les AL et limiter les doses d'opiacés administrés.
service (sous condition d'un protocole de service actualisé et de En cas de rétention urinaire, il est nécessaire de vérifier le niveau
personnels formés). L'oxygénothérapie préventive n'est pas et de diluer les AL (sondage si besoin après contrôle échogra-
systématique car elle limite la déambulation. En cas d'hypoten- phique du volume intra vésical) [36].
sion (PAM < 65 mmHg ou < 30 % de la valeur de base), il faut
vérifier le niveau sensitif, corriger une hypovolémie relative,
Conclusion
puis arrêter la perfusion si le niveau sensitif est trop étendu. Si le En 2023, sous couvert des programmes RAC et d'une analgésie
niveau sensitif est satisfaisant, il peut être utile de maintenir multimodale, l'analgésie péridurale thoracique reste une tech-
l'APD tout en privilégiant de diluer plus les AL et/ou d'introduire nique recommandée pour de nombreuses interventions tho-
un vasopresseur [36]. raco-abdominale (sus-mésocolique et colique) par thoracotomie
En cas d'analgésie insuffisante, il faudra tester le niveau sensitif ou laparotomie. À l'inverse, pour les chirurgies par cœlioscopie
et ajouter des boli si nécessaire (2 à 4 mL). En cas de niveau ou robotiques associées à des programmes de réhabilitation péri
adapté, il est souhaitable d'introduire un adjuvant (opiacé), puis opératoires, les blocs de paroi sont à privilégier.
si besoin d'envisager de replacer l'APD en cas d'échec et/ou de
Déclaration de liens d'intérêts : Les auteurs déclarent ne pas avoir de
douleur majeure persistante. Dans tous les cas, il faudra éliminer liens d'intérêts.
une complication chirurgicale.

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en ligne sur / on line on


www.em-consulte.com/revue/anrea
www.sciencedirect.com

Mise au point
ALR et oncologie : il est temps de changer
d'hypothèse

Jamie Elmawieh 1, Lucillia Bezu 1,2,3, Stéphanie Suria 1, Lauriane Bordenave 1

Disponible sur internet le : 1. Gustave-Roussy, département d'Anesthésie, chirurgie et radiologie


28 décembre 2022 interventionnelle, Villejuif 94805, France
2. Metabolomics and Cell Biology Platforms, Gustave Roussy Cancer Campus,
Université Paris Saclay, Villejuif, France
3. Université de Paris, Sorbonne université, inserm UMR1138, centre de recherche
des Cordeliers, institut universitaire de France, équipe labellisée par la ligue
contre le cancer, Paris, France

Correspondance :
Jamie Elmawieh, Gustave Roussy, Département d'Anesthésie, Chirurgie et
Radiologie Interventionnelle, Villejuif 94805, France.
Jamie.elmawieh@gustaveroussy.fr

Mots clés Résumé


Anesthésie loco régionale
Tumeur Les techniques d'anesthésie locorégionale sont associées à une épargne morphinique, une baisse
Chirurgie de la concentration alvéolaire minimale des agents halogénés et une réduction de la réponse au
Survie stress induite par la chirurgie et l'inflammation péri-opératoire. Néanmoins, les études cliniques
randomisées ainsi que les méta-analyses récentes n'arrivent pas à retrouver le rôle favorable de
l'anesthésie locorégionale dans le pronostic oncologique. L'objectif de ce papier c'est de faire le
point sur les difficultés méthodologiques rencontrées pour évaluer cette hypothèse et de proposer
le « Retour au traitement oncologique prévu » (RIOT) comme une métrique permettant de mieux
refléter la place de l'anesthésie locorégionale dans la prise en charge globale d'un patient devant
avoir une chirurgie carcinologique.

Keywords Summary
Regional anesthesia
Surgery ALR and oncology: Time to change assumptions
Tumor
Regional anesthesia techniques are associated with opioid sparing, a decrease in the minimum
Survival
alveolar concentration of halogenated agents and a reduction in the response to stress induced
by surgery and perioperative inflammation. However, randomized clinical studies as well as
recent meta-analyses fail to find this favorable role of regional anesthesia in the oncological
prognosis. The goal of this paper is to review the methodological difficulties encountered in
evaluating this hypothesis and to propose the "Return to intended oncologic therapy'' (RIOT) as a
metric to better reflect the place of locoregional anesthesia in the overall management of a
patient undergoing oncological surgery.

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https://doi.org/10.1016/j.anrea.2022.12.004
© 2022 Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Mise au point
Abbreviations d'activer toutes les modalités de mort cellulaire (apoptose,
ALR, Anesthésie nécrose, nécroptose, ou encore ferroptose. . .) provoquant l'arrêt
locorégionale du cycle cellulaire soit directement soit indirectement par inhi-
CAM, Concentration bition des cyclines ou des kinases associées aux cyclines [3]. Ils
alvéolaire mininimale entrainent également des stress pré-mortem tels que le stress
RIOT, Return to intended du réticulum endoplasmique, dû au blocage calcique de la
oncologic therapy pompe SERCA (sarco/endoplasmic reticulum Ca2+-ATPase) et
BPV, Bloc paravertébral à la variation de la concentration intracellulaire en calcium
AG, Anesthésie générale qui s'ensuit. Cela mène au dysfonctionnement et à la destruc-
TIVA, Total intravenous tion physique des mitochondries, amenant à l'arrêt de la chaîne
anesthesia respiratoire et de la production d'adénosine triphosphate (ATP)
et à l'induction des voies de l'autophagie [4–6]. Le blocage des
canaux calciques par les AL induit en parallèle des perturbations
dans les microfilaments d'actine du cytosquelette, freinant la
Introduction
migration et la dissémination des cellules cancéreuses [7,8]. Les
Le période péri-opératoire est à risque de dissémination de AL peuvent également induire des changements épigénétiques
cellules cancéreuses, en raison : (par inhibition de la DNA méthyl-transférase, par interaction
 de la manipulation tumorale per-opératoire qui pourrait favo-
avec l'acétylation des histones ou par la modification de
riser la migration des cellules tumorales dans la circulation l'expression de micro RNAs) [9]. Ces variations permettent de
sanguine. Toutefois, la chirurgie est une étape fondamentale réactiver l'expression de certains gènes suppresseurs de
dans la prise en charge d'un patient ayant une tumeur solide ; tumeurs [10]. Enfin, les AL interagissent avec les métallo-pro-
 du « stress chirurgical », à l'origine de la sécrétion d'inter-
téinases de la matrice extracellulaire induisant ainsi un effet
leukines inflammatoires (IL-2 et IL-8) et d'une immunosup- anti-invasif [11,12]. Il est intéressant de noter que l'association
pression avec baisse de l'IFN gamma ; entre AL et traitements anti-cancéreux conventionnels de type
 de la douleur, l'hypothermie, la transfusion et les agents
chimiothérapie induit in vitro un effet synergique anti-tumoral
halogénés. . .associés à une altération de la défense [13].
immunitaire.
Les techniques d'anesthésie locorégionale (ALR) sont associées Action indirecte des anesthésiques locaux
à une épargne morphinique, une meilleure prise en charge de la Des travaux très récemment publiés ont démontré pour la
douleur, une baisse de la concentration alvéolaire minimale première fois que les AL stimulaient le système immunitaire
(CAM) des agents halogénés et une réduction de la réponse et créaient une réponse immune anti-tumorale. Dans l'étude de
au stress induite par la chirurgie et l'inflammation péri-opéra- Bezu et al., les auteurs ont observé que les AL avaient la
toire [1]. Les revues systématiques et les méta-analyses concer- propriété d'induire une mort cellulaire dite immunogène. Après
nant la place de l'ALR dans le pronostic carcinologique sont traitement, les cellules tumorales mourantes ont libéré dans
abondantes. L'objectif de ce papier n'est pas d'en faire une l'espace extra-cellulaire des molécules d'ATP et d'HMGB1 (High
en plus, mais de faire le point sur les difficultés méthodologi- Mobility Group Box 1) [4]. Ces deux molécules de danger ou
ques rencontrées en expérimental et en clinique pour évaluer encore DAMPs (Danger-Associated Molecular Patterns) sont
cette hypothèse. impliquées dans l'autophagie et la mort cellulaire. Elles sont
également bien connues des onco-immunologistes pour recru-
Des preuves fondamentales ?
ter et activer les cellules dendritiques immatures. Après matu-
Depuis une dizaine d'années, la littérature s'est enrichie de
ration, les cellules dendritiques phagocytent les cellules
travaux expérimentaux cherchant à décrire les mécanismes
tumorales, puis exposent à leur surface les antigènes tumoraux
moléculaires et cellulaires par lesquels les anesthésiques locaux
pour les présenter aux cellules T cytotoxiques. Ces dernières
(AL) pourraient exercer une action anti-tumorale. De nombreu-
pourront ensuite lyser les cellules cancéreuses résiduelles et
ses études précliniques indiquent à présent une double action
générer une mémoire immunitaire spécifique, diminuant en
à la fois directe, sur les cellules tumorales, et indirecte, par la
conséquence le risque de récidives [14]. Dans l'étude de Bezu
stimulation du système immunitaire et par la diminution de la
et al., le traitement in vitro par la lidocaïne ou la ropivacaïne a
consommation d'agents potentiellement pro-tumoraux tels que
bien activé la phagocytose de cellules de fibrosarcome par les
les opioïdes et les halogénés.
cellules dendritiques. In vivo, l'injection d'AL aux concentrations
Action directe des AL usuelles en clinique a même permis de freiner la croissance de
Les AL agissent sur de nombreux mécanismes cellulaires [2]. plusieurs modèles tumoraux murins et d'améliorer la survie de
D'importants essais ont révélé que les AL étaient capables souris immunocompétentes. L'étude de l'infiltrat tumoral a

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J. Elmawieh, L. Bezu, S. Suria, L. Bordenave

Mise au point
TABLEAU I
Études randomisées évaluant la place de l'ALR dans le pronostic oncologique.

Auteur, revue, Cancer Technique Méthodologie, Résultat principal Conclusion


année, anesthésique
[Référence]
Sessler et al., Sein BPV Essai randomisé multicentrique à deux bras, femmes en chirurgie Malgré une épargne
Lancet 2019 [18] programmée néoplasie sein : de 10 mg de
Groupe contrôle : « AG au sévoflurane sans ALR », n = 1065 morphine en
Groupe interventionnel : « AG au propofol avec BPV », n = 1043 périopératoire, l'ALR
Durée médiane du suivi : 36 mois. ne change pas le
% de récidive tumorale : 111 (10 %) vs. 102 (10 %) pronostic tumoral
OR = 1,07 (0,81–1,43), non-significatif
Epargne morphinique peropératoire en faveur groupe BPV : 10 mg
(moyenne).
Karmakar et al., Sein BPV Étude prospective randomisée monocentrique : Pas d'effet avec BPV
Anticancer Groupe contrôle : « TIVA », n = 60 en injection unique ou
Research 2017 Groupe interventionnel : « TIVA + BPV », n = 117 continu sur la
[19] Durée médiane du suivi : 60 mois. récurrence
Risque de récurrence : HR = 1,11 (0,32–3,83), non-significatif
Tsui et al., Can J Prostate Péridurale Étude randomisée monocentrique : Pas de différence
Anesth. 2010 [20] thoracique Groupe contrôle : « AG », n = 50. significative de la
Groupe interventionnel : « Péridurale + AG », n = 49. récidive
Durée médiane du suivi : 54 mois.
Récurrence clinique ou biologique (dosage Antigène spécifique de
prostate) : Contrôle : 17 (34 %) vs Traitement : 11 (22 %).
OR = 0,56 (0,23–1,37)
HR = 1,33 (0,64–2,77)
Xu et al., Poumon Péridurale Essai randomisé multicentrique à deux bras, chirurgie programmée poumon L'analgésie péridurale
Anesthesiology thoracique sous coelioscopie : pour la chirurgie du
2021 [21] Groupe contrôle : « AG seule », n = 200 cancer du poumon
Groupe interventionnel : « AG + péridurale », n = 200 n'est pas associée
Durée médiane de suivi : 32 mois. à une diminution de
Récurrence : Contrôle : 54 (27 %) vs. Traitement : 48 (24 %) récidives, la récidive ni à une
HR =0,9 (0,60–1,35), non-significatif amélioration de survie
Hypotension : Contrôle : 121 (61 %) vs. Traitement : 94 (47 %), médiane sans cancer
RR = 1,29 (1,07–1,55)
Du et al., Urologie, Péridurale Essai multicentrique de cohorte réalisées sur 5 ans et analysées en post Pas d'effet de la
Anesthesiology viscéral, thoracique hoc en deux bras : péridurale analgésique
2021 [22] poumon Groupe contrôle : « AG seule », n = 859 sur la survie et la
Groupe interventionnel : « AG + péridurale », n = 853 récurrence tumorale
Durée médiane de suivi : 66 mois.
Mortalité :
Contrôle : 326 (38 %) vs. Interventionnel : 355 (42 %) décès
HR ajusté pour survie = 1,03 (0,88–1,20), non significatif
Survie sans récurrence :
HR ajusté = 0,97 (0,84–1,11)
À noter, cependant, une diminution de l'admission en réanimation
postopératoire : 1 % dans le groupe traitement versus 5 % dans le groupe
contrôle
Finn et al., J Sein BPV continu Étude prospective randomisée, deux bras : Pas de différence du
Anesth. 2017 [23] Groupe contrôle : « AG seule », n = 28 taux de récidive.
Groupe interventionnel : « AG + BPV thoracique continu pour 72 heures »,
n = 26
Durée médiane de suivi : 24 mois.
Récurrence :
Contrôle : 3 (11,5 %) vs. BPV : 2 (7,1 %), non significatif

BPV : bloc paravertébral; AG : anesthésie générale; ALR : anesthésie locorégionale; TIVA : total intravenous anesthesia ; OR : odds ratio ; HR : hazard ratio ; RR : relative risk

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Anesth Reanim. 2023; 9: 48–55

Mise au point
révélé un enrichissement significatif en lymphocytes T CD8+ C'est également le cas des méta-analyses récentes d'études
activés et une diminution des effecteurs immunosuppresseurs observationnelles (tableau III) [25]. Une méta-analyse mixte
de type TReg CD4+Foxp3+. La disparition des effets anti-tumo- publiée en 2021 (tableau IV) montre la différence des résultats
raux chez les souris immunodéprimées nu/nu souligne l'impli- entre les études randomisées et les études observationnelles
cation nécessaire d'une réponse active du système immunitaire. [26].
Enfin, l'association avec une immunothérapie systémique a
significativement potentialisé les effets anti-tumoraux des AL Mais est-on en train de poser la bonne
et a même totalement guéri quelques souris. Le re-challenge de question ?
ces souris n'a pas permis de générer de nouvelles tumeurs Les études prospectives ont donc globalement échoué à montrer
suggérant la création d'une mémoire immunitaire spécifique une place bénéfique de l'ALR sur la survie et la récidive en
[4]. chirurgie carcinologique. Ces résultats négatifs sur la survie et la
récidive ne clôturent pas du tout la question ! L'évaluation du
De la difficulté à confirmer les données rôle de l'ALR dans la prise en charge globale du patient ne peut
expérimentales en clinique pas être limitée à la seule question de survie ou de récidive, la
Si les études in vitro montrent bien un effet antiprolifératif des prise en charge anesthésique étant très ponctuelle dans le
AL [15–17], leurs transpositions en études cliniques étudiant parcours global du patient. Avec la grande hétérogénéité des
l'effet de l'ALR ne sont pas aussi concluantes. Les résultats des patients et des types histologiques de cancer, il est très peu
études sont hétérogènes car, si initialement, beaucoup d'études probable qu'une seule intervention comme l'ALR puisse être
rétrospectives ont décrit un rôle bénéfique de l'ALR sur le universellement efficace. À titre d'exemple, la myriade de
pronostic carcinologique, peu d'études randomisées ont permis récepteurs exprimés par les sous populations cellulaires des
de retrouver cet effet. Les méta-analyses d'études randomisées tumeurs du sein illustre ces difficultés, rendant la gestion des
disponibles sur le sujet sont à ce jour décevantes, voir négatives. chimiothérapies complexes et la nécessité de traitement anti
Les techniques d'ALR dont l'impact en oncologie a été le plus tumoral souvent en combinaison (chimio néoadjuvante, chimio-
étudié sont les anesthésies neuraxiales : péridurales et blocs thérapie postopératoire, immunothérapie, radiothérapie. . .).
paravertébraux. Ceci se comprend bien car ces techniques sont Après une chirurgie carcinologique, les complications postopé-
associées à un bloc sympathique, et donc théoriquement à une ratoires retarderont la reprise du plan thérapeutique oncolo-
diminution de la réponse du système sympathique au stress gique. L'autre bénéfice connu de l'ALR est l'amélioration de la
chirurgical et à une épargne morphinique (les opiacés ayant un réhabilitation postopératoire. Cette réhabilitation plus rapide en
effet immunosuppresseur). postopératoire permettrait, le plus rapidement possible, le
En général, les études randomisées (tableau I) et les méta- « Retour au traitement oncologique prévu ». C'est ce qui est
analyses portant sur des essais randomisés (tableau II) ne appelé dans la terminologie anglo-saxonne « Return to inten-
trouvent pas d'association entre une amélioration du pronostic ded oncologic therapy » (RIOT). C'est ce retour au traitement
oncologique et la réalisation d'une ALR chez les patients [18–24]. oncologique prévu (reprise de la chimiothérapie et de

TABLEAU II
Méta-analyses des études randomisées : survie et récurrence tumorale

Auteur, revue, Nombre d'études Résultats Conclusion


année, [référence]
Lee et al. Int J 6 études Critère de récidive : Pas d'effet en faveur de l'ALR : Une anesthésie régionale
Surgery. 2020 [24] randomisées 3 études, 2380 patients adjuvante à l'anesthésie générale n'est pas associée à une
(n = 3139) OR = 0,93 (0,63–1,39), réduction de la récidive du cancer (niveau de preuve très bas)
Niveau de preuve : très bas ni à une amélioration de la survie sans cancer (niveau de
Critère de mortalité liée au cancer : preuve élevé).
2 études, 545 patients
OR = 1,20 (0,83–1,74),
Niveau de preuve : bas
Critère de survie sans cancer :
2 études, 659 patients,
Différence de moyenne : 0 année ( 0,25–0,25),
Niveau de preuve : élevé

OR : odds ratio

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Mise au point
TABLEAU III
Exemple de Méta-analyse « négative » des études observationnelles

Auteur, revue, Nombre d'études Résultats Conclusion


année, [référence]
Ang et al. J Clin 10 études incluant : Critère de récidive : Pas d'effet bénéfique de l'ALR : Une
Anesth. 2020 [25] 1 : « AG » vs « AG + ALR » 6 études, 9708 patients : anesthésie régionale adjuvante à une
2 : Tous types de cancer 4567 « AG » vs 5141 « AG + ALR », anesthésie générale n'est pas
3 : Exclusion des cas cliniques OR = 1,01 (0,67–1,53), p = 0,95 associée à une diminution du taux de
Niveau de preuve : très bas récidive du cancer
Critère de délai avant récurrence :
2 études, 851 patients,
Différence moyenne : 1,45 mois ( 8,69–11,59), p = 0,78
Niveau de preuve : très bas
Critère de survie :
OR = 1,51 (0,65–3,51), P = 0,34

AG : anesthésie générale ; ALR : anesthésie locorégionale ; OR : odds ratio.

TABLEAU IV
Méta-analyse « mixte » : études randomisées et cohortes observationnelles

Auteur, revue, Nombre d'études Résultats Conclusion


année, [référence]
Zhang et al. Chin 2 études randomisées Critère de survie sans récidive : L'hétérogénéité des résultats dépend du type des
Med J. 2021 [26] 34 cohortes observationnelles Étude randomisée : HR = 1,12 (0,58–2,18) études : les études randomisées ne retrouvent pas
Cohortes : HR = 0,87 (0,78–0,96) l'effet bénéfique de l'ALR décrit dans les études
Critère de survie globale : observationnelles.
Étude randomisée :HR = 0,86 (0,63–1,18)
Cohorte : HR = 0,88 (0,79–0,98)

HR : hazard ratio

TABLEAU V
Association RIOT et pronostic

Auteur, revue, année, [référence] Résultat Association RIOT


et pronostic

Aloia et al. J Surg L'incapacité au RIOT en postopératoire dans les délais initialement prévus est associée à une Significative
Oncology.2014 [28] diminution significative de :
La survie globale
HR ajusté = 2,07 ; p = 0,005
La survie sans maladie
HR ajusté = 2,16 ; p = 0,038
Les facteurs de risque associés à une incapacité au RIOT :
Des régimes de chimiothérapies multiples en préopératoire
OR = 5,9 ; p = 0,039
Les complications postopératoires
OR = 2,0 ; p = 0,039
L'hypertension
Ramos et al. J L'incapacité au RIOT en postopératoire dans les délais initialement prévus est associée à une Significative
Gastrointest diminution significative de :
Surg. 2020 [29] La survie sans maladie ; p = 0,008
La survie globale ; p = 0,004
Et ceci indépendamment de l'absence d'un traitement néoadjuvant, de l'âge et des
complications chirurgicales postopératoires.

HR : Hazard Ratio, OR : Odds Ratio

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Mise au point
Figure 1
Place du RIOT "Return to
intended oncologic therapy''
comme facteur intermédiaire

radiothérapie, etc. au temps prévu selon le plan thérapeutique carcinologique) (figure 1). La librairie « médiation » du logiciel
initialement prédéterminé) qui mettra toutes les chances du statistique R permet ce genre d'analyse, comme suggéré dans
côté du patient, plus que la simple épargne morphinique l'exemple de la figure 1 [30].
escomptée par l'ALR [27–29].

La réponse méthodologique serait-elle le


« Return to intended oncologic therapy » ? Exemple de codage R pour illustrer la place d'un facteur
de médiation
Le RIOT optimal dépend évidemment du type histologique du
cancer et d'autres facteurs oncologiques. La différence minimale library (mediation)
cliniquement importante du RIOT n'est pas universelle. Le RIOT Mediator.fit < - glm (RIOT  ALR + Z, data = data, family = binomial
peut être vu comme un substitut (surrogate), ou comme un (logit))
marqueur de récupération après une chirurgie, et sa corrélation Outcome.fit < - glm (pronostic  ALR + RIOT + Z, data=data,
avec une amélioration de la survie n'est pas encore très certaine.
family=binomial (logit))
Néanmoins de multiples papiers retrouvent le RIOT comme un
Final.mediation.model < - mediate (mediator.fit, outcome.fit,
prédicteur indépendant de la survie (tableau V). [28,29]
treat= « ALR », mediator= « RIOT », robustSE = TRUE, sims = 100)
D'un point de vue méthodologique, le RIOT est dans le chemin
Summary (final.mediation.model)
causal, c'est un facteur de médiation, un facteur intermédiaire et
non pas un facteur de confusion. D'un point de vue statistique, et
pour bien évaluer le rôle de l'ALR dans le pronostic carcinolo-
gique, on ne peut pas simplement ajuster sur le facteur « RIOT »
mais il faudra décomposer l'effet global recherché en un effet Cet effet de « facteur médiateur » est connu dans les études
indirect (comment le RIOT permet l'amélioration du pronostic) récentes portant sur l'ALR : « Un bloc interscalénique améliore le
et un effet direct (si l'ALR elle-même améliore le pronostic sommeil postopératoire chez les patients, et ce n'est pas parce

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Mise au point
TABLEAU VI
Association « anesthésiques locaux » et RIOT

Auteur, revue, Type cancer et méthodologie Association ALR et RIOT


année, [référence]
Hayden et al. Br J Cancer ovarien, étude randomisée en deux bras : Significative
Anaesth. 2020 [33] Groupe traitement : La technique décrite impliquant les anesthésiques locaux est
Ropivacaine intrapéritonéale et KT infiltration pour associée à une réduction de l'intervalle de temps avant l'initiation
3 jours postopératoire de la chimiothérapie après une chirurgie cytoréductive d'un cancer
Groupe contrôle : ovarien, donc un RIOT plus rapide.
Pas d'ALR
Délai avant initiation de chimiothérapie :
Contrôle : 29 vs.Traitement : 21 jours.
p = 0,021

ALR : anesthésie locorégionale

que le bloc interscalénique a un effet « somnifère » mais bien période périopératoire pour améliorer la réhabilitation des
parce qu'il diminue la douleur, et que le patient, ainsi mieux patients (dont la gestion de la douleur), et c'est sans doute
soulagé, va pouvoir mieux dormir. » [31] cet argument principal qui doit prévaloir. L'optimisation de
Si ce n'est pas l'ALR qui diminue la récidive en elle-même, elle l'ensemble des autres paramètres (gestion de l'anémie, nutri-
pourrait avoir un effet par le biais d'une diminution du délai de tion, réhabilitation, aide sociale et psychologique. . .), impliqués
reprise du plan thérapeutique et un retour plus précoce au RIOT. dans la prise en charge en anesthésie (médecine périopéra-
C'est donc cette « nouvelle » métrique qui peut être un meilleur toire) des patients pour chirurgie carcinologique est probable-
critère de jugement de substitution (surrogate endpoint) et qui ment à recommander. Cette approche multimodale contribuera
doit être le pivot de l'évaluation périopératoire des techniques au global à améliorer le pronostic des patients.
anesthésiques en chirurgie oncologique.
Le problème de la majorité des études est donc avant tout un
Conclusion
problème méthodologique concernant le choix du bon critère de En tant que médecins anesthésistes-réanimateurs impliqués
jugement. Autrement dit, il est fort probable que « nous ne dans la médecine périopératoire, nous devons nous poser les
sommes pas en train de poser la bonne question ni de faire la bonnes questions en évaluant les techniques anesthésiques
bonne hypothèse » [32]. proposées à nos patients. Le « RIOT » paraît donc comme un
À titre d'exemple, une étude publiée en 2020 s'intéresse à cette critère de jugement convenable permettant de mieux refléter la
relation entre l'utilisation d'un « anesthésique local » et le RIOT place de l'ALR dans la prise en charge globale d'un patient
(tableau VI) [33]. Les prochaines études prospectives qui per- devant avoir une chirurgie carcinologique au sein d'une appro-
mettraient peut-être d'établir le rôle de l'ALR dans une chirurgie che multi modale qui optimise la réhabilitation.
carcinologique doivent choisir le RIOT comme critère de
Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
jugement. liens d'intérêts.

Que faire en 2023 en l'absence de


certitudes ?
Même en l'absence de preuve robuste sur le pronostic carcino-
logique, l'anesthésie régionale doit être recommandée en

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Anesth Reanim. 2023; 9: 56–60

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Cas clinique commenté


Analgésie locorégionale en réanimation
traumatologique

Hugues Weber 1,2, Jonathan Charbit 1,2, Xavier Capdevila 1,2

Disponible sur internet le : 1. Lapeyronie University Hospital, Trauma Critical Care Unit, Montpellier, France
22 décembre 2022 2. Regional Network of Medical Organization and Management for Severe Trauma
in Occitanie, OcciTRAUMA Network, hôpital Lapeyronie, Montpellier, France

Correspondance :
Hugues Weber, Hôpital Lapeyronie, département d'anesthésie réanimation
Lapeyronie, 371, avenue du Doyen G.-Giraud, 34295 Montpellier, France.
h-weber@chu-montpellier.fr

Case report: Regional analgesia in trauma intensive care unit

Mots clés
Observation
Analgésie
Analgésie loco-regionale Un homme de 50 ans, sans antécédent, a été admis dans un
Réanimation centre de traumatologie de niveau 1 au décours d'un accident de
Traumatisme sévère la voie publique. L'examen clinique d'admission retrouvait un
Keywords état neurologique et hémodynamique stable, une saturation en
Analgesia oxygène à 89 % sous oxygénothérapie au masque haute
Loco-regional analgesia concentration, ainsi qu'une polypnée associée à un volet costal
Intensive Care Unit droit douloureux et une diminution du murmure vésiculaire en
Severe trauma regard. Le bilan lésionnel retrouvait des contusions pulmonaires
au lobe moyen droit, des fractures de côtes (arcs antérieurs et
latéraux de K1 à K9 droites), un hématome minime dans le
mésosigmoïde et une fracture comminutive du calcanéum
ouverte Cauchoix 1 (figure 1).
Introduction La stratégie chirurgicale proposée a alors été une stabilisation
Si les techniques d'analgésie locorégionale se sont largement précoce et définitive du foyer de fracture calcanéen droit par
imposées dans le contexte périopératoire, elles demeurent peu plaques vissées sous anesthésie générale. En postopératoire, le
employées en réanimation. Pourtant, l'analgésie locorégionale patient a ensuite été transféré intubé-ventilé en service de
est un outil clé pour réduire la consommation de dérivés mor- réanimation. Son séjour a été marqué par une pneumopathie
phiniques dans de nombreuses situations cliniques, ainsi que les acquise sous ventilation mécanique traitée efficacement par
effets secondaires liés à leur utilisation. antibiothérapie adaptée (amoxicilline – acide clavulanique).

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Cas clinique commenté


Figure 1
a : scanner thoracique en
fenêtrage osseux
b : scanner thoracique en fenêtrage
parenchymateux
c : scanner préopératoire du pied droit
d : radiographie postopératoire du pied
droit

À la 48e heure suivant son admission, l'amélioration respiratoire à l'utilisation de ces cathéters n'a été rapportée. Le patient a
permettait d'envisager un sevrage de la ventilation mécanique. été transféré au 10e jour en secteur d'orthopédie pour la suite de
Devant une insuffisance de l'analgésie systémique associant la prise en charge.
Paracétamol, Néfopam et Morphine, la pose d'un cathéter péri-
dural en regard de T5-T6 a alors été réalisée dans le but de Commentaires
réduire la douleur thoracique pariétale. La Ropivacaïne à la La large utilisation des techniques d'analgésie locorégionale en
concentration de 2 mg/mL était administrée de façon continue situation périopératoire repose sur des bénéfices qui ne sont
dans l'espace péridurale à un débit de 14 mg/h, avec la possi- plus à démontrer, notamment pour la gestion de la douleur post-
bilité de boli auto-contrôlés par le patient de 8 mg autorisés chirurgicale [1]. Celle-ci permet, en effet, de réduire les nom-
toutes les 20 minutes. Parallèlement, un bloc analgésique du breux effets néfastes liées à la douleur et la consommation de
nerf sciatique par voie poplitée échoguidée (mépivacaïne dérivés morphiniques (nausées, iléus, dépression respiratoire,
1,5 mg/mL, 20 mL) avec mise en place d'un cathéter (débit delirium, dépendance aux opioïdes ou apparition de douleur
continu de ropivacaïne 2 mg/mL à la posologie de 8 mg/h) a chronique). Cette réduction peut attendre jusqu'à 40 % de
été effectué. La consommation opioïde journalière du patient, consommation d'opioïdes dans certaines séries. L'utilisation
évaluée en équivalent morphinique intraveineux, a été réduite des techniques d'analgésie péri-nerveuse périphérique est éga-
de 17 à 6 mg après la réalisation des blocs. La réduction du score lement associée une diminution des nausées, de la sédation et
de douleur (échelle numérique) au repos de 6 à 2, rapidement du prurit par rapport à l'utilisation d'opioïdes seuls [2]. Pour
obtenue sur les deux sites, a permis l'extubation du patient autant, en situation de soins critiques, et particulièrement en
2 heures après l'introduction des anesthésiques locaux contexte de polytraumatologie, l'utilisation de l'analgésie loco-
(figure 2). Cette analgésie a ensuite perduré durant 8 jours grâce régionale reste très peu décrite alors qu'à l'inverse, l'incidence
à l'utilisation des deux cathéters. Aucune complication liée de la douleur chez ces patients demeurent élevée [3,4].

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H. Weber, J. Charbit, X. Capdevila

Cas clinique commenté


Figure 2
a : consommation opioïde journalière en équivalent morphinique intraveineux (en mg)
b : scores de douleur au repos et à la mobilisation (échelle numérique)

Plusieurs études relèvent la bonne faisabilité des techniques patients traumatisés thoraciques par péridurale par rapport aux
d'analgésie locorégionale en service de soins critiques [5]. opioïdes intraveineux, les patients du groupe opioïdes systémi-
Cependant, certaines conditions spécifiques à la réanimation, ques présentaient 6 fois plus de risques (IC à 95 % 1,0–35) de
telles que les états septiques, les perturbations de l'hémostase développer une pneumonie après ajustement avec la présence
liées aux pathologies aiguës ou bien pharmacologiquement de lésions pulmonaires [7]. Une large étude de cohorte rétro-
induites, ainsi que les restrictions de mobilisation des patients spective de plus de 800 patients traumatisés thoraciques rap-
peuvent constituer une limitation à l'utilisation de ces techni- porte, par ailleurs, une réduction significative de la mortalité
ques [6]. Dans un essai contrôlé randomisé comparant l'anal- à 1 mois et 1 an chez les patients bénéficiant de l'analgésie
gésie systémique opioïde à l'utilisation d'une analgésie péridurale (rapports de côtes respectifs de 0,08 [IC à 95 % 0,01–
péridurale chez 408 patients traumatisés sévères (ISS 25  8) 0,43] et 0,12 [IC à 95 % 0,04–0,42]) [10]. D'autres approches
avec atteintes thoraciques, un tiers des patients n'ont pu béné- d'analgésie locorégionale ont également été proposées pour la
ficier d'un cathéter péri-médullaire en raison de la présence de prise en charge des lésions thoraciques post-traumatiques et
fractures rachidiennes au bilan lésionnel, près de 2 % en raison postopératoires telles que le bloc paravertébral, le bloc du fascia
d'une coagulopathie associée, et 1 % devant une instabilité exothoracique ou les blocs intercostaux [11]. Ces techniques,
hémodynamique [7]. apparaissant possiblement moins efficaces que le cathéter péri-
Par ailleurs, les patients de réanimations sont soumis à une dural, présentent néanmoins l'avantage sécuritaire de ne pas
immunodéficience acquise faisant redouter des complications intéresser l'espace rachidien, réduisant le risque d'hématome
infectieuses en rapport avec l'insertion et le maintien prolongé épidural ou d'infection péri-médullaire. Ces techniques sem-
des cathéters, y compris péri-nerveux. L'incidence des infections blent induire moins de sympatholyse avec hypotension arté-
locales liées aux cathéters péri-nerveux semble plus importante rielle [12].
chez les patients de soins critiques ou traumatisés sévères par L'utilisation de l'analgésie locorégionale péridurale dans le cadre
rapport à la population de postopératoire programmé. Cepen- des pathologies abdominales sévères a largement été décrite.
dant, cette incidence reste inférieure à 3 % dans la littérature Dans une série observationnelle multicentrique française décri-
[8]. Dans le cadre de l'analgésie péridurale, la tunnelisation vant l'usage du cathéter péridural en service de réanimation,
sous-cutanée du cathéter permettrait de réduire ce taux d'infec- celui-ci était associé à une bonne faisabilité, sans évènement
tion [9]. indésirable notable chez les 107 patients atteints d'une patho-
Les traumatismes thoraciques sont connus pour induire des logie abdominale grave qui en bénéficiaient [5]. Dans cette
douleurs aiguës importantes et susceptibles d'altérer la méca- série, 3 des patients concernés étaient hospitalisés dans le cadre
nique ventilatoire et d'inhiber la toux. Ce phénomène est la d'un traumatisme abdominal sévère nécessitant une prise en
source d'une importante morbi-mortalité, notamment en ter- charge chirurgicale. Une méta-analyse Cochrane de 2016, éva-
mes de formations d'atélectasies et de pneumopathies. L'anal- luant les effets de l'association d'une analgésie péridurale
gésie péridurale thoracique dans ce cadre a prouvé sa à l'anesthésie générale, dans le cadre des chirurgies abdomi-
supériorité par rapport à une analgésie intraveineuse en termes nales majeures, a rapporté une diminution de la douleur post-
de gestion de la douleur et de réduction de ces complications opératoire (réduction équivalente à 2,5 sur une échelle de 0 à
pulmonaires. Dans un essai randomisé comparant l'analgésie de 10), une accélération du retour du transit gastro-intestinal

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Cas clinique commenté


(réduction équivalente à 17,5 h), sans affecter l'incidence des documenté, ce risque semble néanmoins assez faible [16]. Sa
fistules anastomotiques [13]. Une fois de plus, la population prévention repose principalement sur la quantification totale
post-traumatique y était représentée, mais dans une faible des doses administrées et le respect des doses maximales
proportion. théoriques. La plus-value des blocs périphériques ne se résume
De nouvelles techniques relevant des blocs de paroi abdominale pas à son action sur la douleur. Le bloc sympathique induit en
ont été décrites comme des alternatives possibles. Si la durée parallèle par les anesthésiques locaux pourrait avec une utilisa-
d'efficacité du Transversus Abdominis Plane (TAP) bloc semble tion continue favoriser la vascularisation terminale des seg-
insuffisante pour assurer une analgésie satisfaisante durant le ments traumatisés, spécifiquement bénéfique après une
séjour en réanimation, la mise en place de cathéters associés chirurgie de ré-implantation [17]. À l'inverse, l'emploi de l'anal-
à cette technique de bloc de paroi assurerait une efficacité gésie locorégionale sur des patients à risque de syndrome des
prolongée dans le temps en unité de soins critiques, y compris loges reste controversée car elle masquerait la douleur, élément
dans les suites de procédures de laparotomies urgentes [14]. diagnostique clinique principal révélant cette complication.
S'agissant de l'analgésie locorégionale périphérique, celle-ci Néanmoins, la crainte d'un retard diagnostique de syndrome
s'est généralisée en période périopératoire grâce à de nom- des loges sous analgésie locorégionale ne devrait plus être un
breuses publications démontrant son innocuité, sa faisabilité et frein à la réalisation de cette technique, compte tenu de l'avè-
son efficacité. En contexte polytraumatologique particulière- nement de nouvelles techniques physiologiques simples de
ment, les foyers de fractures ostéosynthésées ou non sont monitorage direct des pressions des loges [18].
des lésions douloureuses à prendre en charge durant le séjour
en secteur de soins critiques. Les techniques d'analgésie péri-
Conclusion
nerveuse sont applicables à ces patients traumatisés sévères Contrairement à leur utilisation en situation périopératoire, les
hospitalisés en réanimation. En 2022, une étude prospective a techniques d'analgésie locorégionale sont peu utilisées en réa-
évalué l'utilisation systématique et précoce de l'analgésie loco- nimation. De nombreuses situations cliniques spécifiques aux
régionale chez 28 patients traumatisés consécutifs dans un patients de soins critiques limitent parfois leurs usages. Pour-
grand centre de traumatologie canadien de niveau 1. Ces tant, l'utilisation de l'analgésie locorégionale, périmédullaire ou
patients étaient cependant de gravité intermédiaire puisque périphérique, assure une optimisation de la prise en charge de la
leur score ISS était compris entre 9 et 15. Les résultats ont douleur avec efficacité et permet une épargne morphinique
objectivé 24 heures après l'admission une diminution significa- significative. D'autres bénéfices, notamment sur la fonction
tive de 55 % de l'intensité douloureuse (EVA moyenne 6,3 respiratoire et la reprise du transit, rendent leurs emplois intér-
versus 3,0 ; p < 0,01) et une réduction significative de 61 % essants en secteur de soins critiques.
de la consommation d'opioïdes (9,9 versus 3,9 mg/j ; p < 0,01) Le contexte de la traumatologie sévère représente une indica-
permise grâce à l'analgésie péri-nerveuse. La durée du séjour en tion élective de l'analgésie locorégionale, y compris quand il
unité de soins critiques était également diminuée de 57 % (11,5 intéresse une association de plusieurs sites douloureux comme
versus 4,9 ; p < 0,01) [15]. Les études sur la population des en témoigne notre cas clinique commenté. Les bénéfices de ces
patients traumatisés sévères en réanimation sont en revanche techniques péri-nerveuses au-delà la prise en charge analgé-
manquantes. En situation multilésionnelle, l'insertion de plu- sique devraient encourager leur développement de façon plus
sieurs cathéters péri-nerveux peut être proposée simultané- générale dans de nombreux autres domaines de la réanimation.
ment chez un même patient. Ces situations doivent
Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
cependant faire considérer un risque théorique d'une toxicité liens d'intérêts.
systémique aux anesthésiques locaux. Bien que mal

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Cas clinique commenté


ALR et fractures du col du fémur

Sophie Diemunsch, Eric Noll

Disponible sur internet le : Hôpital de Hautepierre, hôpitaux universitaires de Strasbourg, service d'anesthésie-
6 janvier 2023 réanimation-médecine périopératoire, Strasbourg, France

Correspondance :
Eric Noll, Hôpital de Hautepierre, hôpitaux universitaires de Strasbourg, service
d'anesthésie-réanimation-médecine périopératoire, 1, avenue Molière, 67098
Strasbourg, France.
eric.noll@chru-strasbourg.fr

Regional anesthesia for hip fracture

Mots clés Cas clinique


ALR
Fractures de l'extrémité Un patient âgé de 96 ans a été admis en service de traumato-
supérieure du fémur logie pour FESF droite survenue dans son lieu de vie en EHPAD.
Médecine périopératoire Ses antécédents comprenaient une arythmie cardiaque par
Keywords fibrillation auriculaire compliquée d'accident vasculaire cérébral,
Regional anesthesia une hypertrophie bénigne de la prostate, une hépatite virale A
Hip fracture et une rupture de la coiffe des rotateurs gauches. Il avait été
Perioperative medicine opéré il y a plus de 20 ans d'une cholécystectomie. Son traite-
ment habituel comprenait : fluindione, nicorandil, amiodarone

L es fractures de l'extrémité supérieure du fémur (FESF)


représentent un groupe nosologique important pour les équipes
et tamsulosine.
Le bilan biologique réalisé lors de l'admission aux urgences
retrouvait : hémoglobine 10,3 g/dL, plaquette 247 G/L, coa-
de traumatologie. Leur incidence est estimée à plus de gulation : INR 2,12 ; TCAr 2,0 ; fibrinogène 5,1 g/L ; débit de
300 000 cas par an aux États-Unis [1–3] et à 4,5 millions dans filtration glomérulaire (DFG) : 71 mL/min/1/73 m2.
le monde [4]. À l'échelle individuelle, une FESF est associée
à une augmentation significative du risque de morbidité et de Commentaires
mortalité à court et à moyen terme [5,6]. Les équipes d'anes- Question 1 : l'équipe de traumatologie vous
thésie-réanimation jouent un rôle important dans la réduction propose d'inscrire le patient au programme
de cette morbidité en permettant un délai bref entre l'admission opératoire de la salle d'urgence du jour. Quels
et l'ostéosynthèse de la FESF [7]. L'optimisation de la prise en éléments d'évaluation vont vous permettre de
charge périopératoire a pour but une récupération fonctionnelle peser la balance bénéfice risque périopératoire ?
rapide des capacités de déambulation post fracturaire. Dans la L'évaluation préopératoire des patients est un temps particu-
poursuite de ces objectifs, le recours à l'anesthésie locorégio- lièrement important qui répond à deux objectifs principaux :
nale (ALR) est un élément important que nous allons discuter  une optimisation du statut médical préopératoire visant à per-

dans ce cas clinique. mettre une prise en charge chirurgicale dans les meilleurs

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S. Diemunsch, E. Noll

Cas clinique commenté


délais (idéalement dans les 48 heures qui suivent l'admission (AG vs ALR) pour diminuer la mortalité après chirurgie de la
afin de diminuer la morbi-mortalité postopératoire) [8] ; FESF » [8]. Au-delà du choix de la technique, la mise en œuvre
 établir une stratégie individualisée de prise en charge anes-
d'une stratégie « moderne » est probablement plus décisive
thésique périopératoire. pour améliorer le devenir des patients. Pour l'AG, il est recom-
Dans notre situation, l'âge élevé, les comorbidités, notamment mandé « d'effectuer une titration avec des agents anesthési-
cardiovasculaires, la vie en institution et l'anémie à l'admission ques de courte durée d'action, à dose adaptée à la
sont des facteurs de risque de morbidité et de mortalité pério- pharmacologie du patient âgé et à un monitorage de la pro-
pératoire. Ces éléments justifient d'une information particuliè- fondeur de l'anesthésie » [8]. Pour la rachianesthésie, « il faut
rement claire et intelligible du patient et de ses proches sur les réduire, ou titrer les doses d'anesthésiques locaux [. . .] pour
risques associés à la procédure en parallèle du bénéfice attendu. réduire les hypotensions peropératoires » [8]. Quelle que soit la
Dans le cadre de ces discussions, le pronostic sombre et l'incon- technique retenue, il est recommandé de « traiter toute hypo-
fort associé à l'option qui serait l'absence d'intervention chirur- tension peropératoire afin notamment de limiter le risque
gicale est une information significative. d'apparition de complications rénales ou myocardiques » [8].
Sur le plan biologique, l'anémie est un facteur de risque de Un objectif de pression artérielle à respecter peut être 70 % de la
mortalité. Son étiologie est probablement mixte liée à l'héma- pression artérielle moyenne préopératoire [8].
tome périfracturaire, l'hémodilution liée à l'hydratation IV et aux
comorbidités préexistantes. L'évaluation de la fonction rénale Question 3 : quelle technique d'anesthésie
est difficile dans ce contexte et nécessite une réévaluation locorégionale périphérique faut-il utiliser ?
clinique et biologique régulière. La survenue d'une fracture de l'extrémité supérieure du fémur
Le bilan de coagulation retrouve un INR nécessitant une réver- est une source de douleurs, en général intenses [4]. L'utilisation
sion de l'action de l'antivitamine K pris par le patient. Elle peut de blocs périnerveux périphériques est un élément potentiel-
être obtenue par une administration de vitamine K (5 à 10 mg lement efficace pour la prise en charge de ces douleurs, avec un
par voie orale) et suivie d'un contrôle de l'INR 6 heures plus tard. profil de risque intéressant et reconnu [13]. Une méta-analyse a
Si l'intervention a lieu avant 6 heures ou que le contrôle d'INR récemment synthétisé le niveau de preuve associé à l'utilisation
n'est pas satisfaisant (objectif INR inférieur à 1,5 pour une des principaux bloc périnerveux pour l'analgésie périopératoire
anesthésie générale (AG) et inférieur à 1,2 pour une rachianes- des fractures de l'extrémité supérieure du fémur [13]. Quarante-
thésie), l'utilisation de concentré de complexe prothrombinique trois études regroupant 2750 patients ont été incluses dans
(CCP) peut s'avérer nécessaire. cette analyse. Les techniques d'ALR périphériques les plus étu-
En complément du bilan déjà réalisé, ECG et un bilan pré- diées sont le bloc fémoral (n = 22) et le bloc du compartiment
transfusionnel (groupe et RAI) sont recommandés. De manière ilio-fascial (n = 21). L'ALR périphérique était efficace pour dimi-
générale, il est important de considérer lors de l'étape d'évalua- nuer l'intensité des douleurs aiguës postopératoires, la confu-
tion préopératoire que la réalisation d'une ostéosynthèse dans sion aiguë postopératoire, les pneumopathies postopératoires,
les 48 heures qui suivent l'admission pour FESF est un élément le délai de remobilisation postopératoire et le coût de l'analgé-
associé à une diminution de la morbidité et de la mortalité. sie postopératoire. C'est la raison pour laquelle la réalisation
d'un bloc fémoral ou ilio-fascial [14] est recommandée dans le
Question 2 : quelle technique d'anesthésie faut-il cadre de la stratégie analgésique périopératoire pour FESF [8].
privilégier entre AG et rachianesthésie ? Ces techniques ont l'avantage de pouvoir être administrées dès
L'identification de la technique d'anesthésie idéale pour la la période préopératoire afin de notamment optimiser l'anal-
chirurgie d'ostéosynthèse des FESF est une source de contro- gésie lors des périodes de mobilisation. À l'inverse, les infil-
verse ancienne. Des données rétrospectives semblaient montrer trations d'anesthésiques locaux intra-articulaires et/ou sous-
une association entre le recours à l'anesthésie neuraxiale et une cutanées ne sont pas recommandées [8]. Dans notre cas cli-
morbi-mortalité moindre que lors du recours à l'AG [9,10]. Deux nique, la réalisation, dès la période préopératoire, d'un bloc
grands essais multicentriques contemporains ont exploré cette périnerveux de type bloc fémoral, échoguidé, utilisant un anes-
question : l'étude REGAIN [11] en Amérique du Nord et l'étude thésique local de longue durée d'action tel que la naropéïne, est
RAGA [12] en Chine n'ont pas retrouvé de différence sur la une option intéressante.
survenue de confusion ou de mortalité postopératoire entre
les groupes de patients pris en charge en peropératoire avec Conclusion
ou sans rachianesthésie. Ces études ne nécessitent donc pas de La prise en charge périopératoire des patients nécessitant une
réévaluation de la recommandation de la Société française ostéosynthèse pour fracture de l'extrémité supérieure du fémur
d'anesthésie réanimation sur la prise en charge des FESF concer- bénéficie fréquemment de l'utilisation de techniques d'anes-
nant la technique d'anesthésie, qui précise que dans le cas thésie locorégionale. Si, dans le cas général, l'utilisation de la
général, « il ne faut pas privilégier une technique d'anesthésie rachianesthésie n'a pas fait la preuve de sa supériorité

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Cas clinique commenté


comparée à l'anesthésie générale seule, les blocs périnerveux un des buts est de permettre une intervention dans les 48 h qui
périphériques tels que le bloc fémoral ou ilio-fascial sont, eux, suivent l'admission du patient.
associés à des bénéfices cliniques significatifs. Ils doivent, donc,
Déclaration de liens d'intérêts : EN déclare avoir été consultant pour
dès que possible, être intégrés à la stratégie d'anesthésie dont Edwards Lifesciences, Masimo, MSD ; SD ne déclare aucun conflit d'intérêt.

Références
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Cas clinique commenté


Mastectomie avec curage axillaire

Lana Zoric 1, Philippe Sitbon 2, William Jacot 3

Disponible sur internet le : 1. Institut du cancer Montpellier, ICM, service anesthésie réanimation, Montpellier,
5 janvier 2023 France
2. Service d'Anesthésie, Gustave Roussy Cancer Campus, Université Paris-Saclay,
Villejuif, France
3. Département d'Oncologie Médicale, Institut du Cancer de Montpellier, IRCM
INSERM U1194, Université de Montpellier, Montpellier, France

Correspondance :
Lana Zoric, Institut régional du cancer de Montpellier Val d'Aurelle, Service
anesthésie réanimation, 208, avenue des Apothicaires, 34298 Montpellier, France.
Lana.zoric@gmail.com

Mots clés
Analgésie sein
Mastectomie
Bloc pecto serratus
Chimiothérapie néoadjuvante
Bloc interpectoral
Keywords Mastectomy with axillary curage
Analgesia
Breast
Mastectomy
Pecto serratus block
Neoadjuvant chemiotherapy

Cas clinique Cette seconde intervention de mastectomie avec curage axil-


Madame F, âgée de 72 ans, a présenté une première localisation laire a été réalisée sous anesthésie générale associée à un bloc
d'un adénocarcinome ayant conduit à la réalisation d'une tumo- interpectoral ou « interpectoral plane block , IPP » (=Injection in
rectomie du sein droit, complétée par une radiothérapie the plane between the pectoralis major and pectoralis minor
(25 séances en 6 semaines) et la prescription d'une hormono- muscles) et un bloc pectoserratus ou Pectoserratus plane block
thérapie prolongée. Elle a gardé comme séquelles des douleurs (PSP = Injection in the plane between the pectoralis minor and
mammaires prolongées post radiothérapie qui ont cédé au bout serratus anterior muscles) avant l'incision chirurgicale. Pour le
de 6 mois. Deux ans après cette chirurgie initiale, elle présente IPP + PSP, réalisé en décubitus dorsal, 10 mL de ropivacaine
une récidive locale sous la forme d'une deuxième néoplasie de 2 mg/mL ont été injectés entre les muscles grand et petit
type adénocarcinome, HER2 surexprimé, localement évoluée pectoral qui sont repérés grâce à la sonde d'échographie para-
avec un aspect inflammatoire. En pré opératoire, une chimio- llèle à la clavicule (plan de passage du nerf pectoral latéral).
thérapie néo-adjuvante lui a été proposée avec une réponse Pour le bloc pecto serratus, La sonde a été déplacée en position
cliniquement satisfaisante. Dans ses antécédents, il est noté un postéro inférieure jusqu'au bord latéral du muscle petit pectoral,
psoriasis, une dyslipidémie et un syndrome dépressif traité au entre la 3e et la 4e cotes. Une injection de 20 mL de ropivacaine
long cours. 2 mg/mL a été réalisée entre le muscle petit pectoral et le

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https://doi.org/10.1016/j.anrea.2022.12.008
© 2022 Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Cas clinique commenté


muscle serratus (plan de passage du nerf intercosto-brachial et vers l'aisselle jusqu'à bien visualiser sur la même image mGP,
des branches latérales des nerfs intercostaux). En fin d'inter- mPP et mS. Il est souhaitable de repérer la branche pectorale de
vention, une analgésie multimodale par voie intraveineuse l'artère acromio-thoracique qui se situe entre les deux fascia
associait : paracetamol, ketoprofene et nefopam. En SSPI, la musculaires de mGP et mPP, au contact des nerfs pectoraux, en
première évaluation de la douleur était évaluée à 1/10 (échelle utilisant le mode « couleur » de l'échographe. L'aiguille est
EN de 0 à 10). En service, l'analgésie multimodale était pour- positionnée près de cette artère après avoir traversé le mGP,
suivie avec un recours possible à un opiacé (morphine p.o 5 mg). une injection de 10 mL d'anesthésique local est réalisée entre
À J1, l'EN maximale était notée à 2/10 (sans recours aux mGP et mPP. Après cette première injection, l'aiguille traverse le
opiacés). À J2, la patiente regagnait son à domicile avec des mPP et 20 mL sont injectés entre mPP et le m. serratus. Par
antalgiques non opiacés. rapport à la description princeps, la deuxième injection peut être
réalisée non pas sur, mais sous le m. serratus. Ceci gêne moins la
Commentaires dissection et le repérage des ganglions par le chirurgien et
Analgésie par bloc pectoral, l'expertise pourrait même entraîner une meilleure analgésie [2]. Une
anesthésique variante de ce bloc consiste à réaliser en premier l'injection
L'analgésie locorégionale réalisée pour cette intervention est un entre mPP et mS, ce plan étant plus profond pourrait être plus
bloc interpectoral + pectoserratus (IPP + PSP), initialement difficile à visualiser après l'injection entre mGP et mPP.
dénommé « PECS 2 ». Il s'agit d'un bloc de compartiment
Aspects anatomiques et cliniques du bloc interpectoral et
échoguidé décrit en 2012, consistant à injecter en deux injec-
pectoroserratus
tions, un anesthésique local (A.L.) entre les fascia des muscles
Le bloc interpectoral et pectoserratus (IPP + PSP) a été décrit en
Grand Pectoral (mGP) et Petit Pectoral (mPP), puis entre le
2012, un an après la description du bloc inter pectoral appelé
muscles mPP et le muscle serratus (mS) [1].
PECS1 [3]. Il constitue une bonne alternative au bloc paraverté-
Aspect technique du bloc Interpectoral + pectoserratus bral pour la chirurgie de la partie antéro-latérale du thorax, en
(figure 1) particulier pour la mastectomie avec curage axillaire. Il ne
En pratique, l'aiguille de ponction est positionnée, environ 4 cm couvre pas la partie interne ou para-sternale du thorax. Rappe-
sous la clavicule entre ses deux tiers internes et son tiers lons que la sensibilité graisseuse, glandulaire et cutanée du sein
externe. La sonde d'échographie est ajustée en se dirigeant dépend de l'innervation issue des nerfs thoraciques de T3 à T6.

Figure 1

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L. Zoric, P. Sitbon, W. Jacot

Cas clinique commenté


La sensibilité de la zone axillaire dépend de la racine T2. Ainsi, protocoles utilisés. Afin d'illustrer ce débat nous citerons deux
l'injection d'A.L. entre le muscle petit pectoral et le muscle études aux résultats opposés :
serratus permet de bloquer le contingent latéral des nerf spi- Étude 1 : supériorité du PECS 2 par rapport au BPV pour la durée
naux qui quittent leur trajet sous-costal au niveau de la partie du bloc (294 vs 197 min) et pour la consommation de morphine
latérale du thorax en traversant le muscle Serratus. Cette injec- (3,90 vs 5,30 mg par 24 h) [8]. Cette bonne efficacité du IPP
tion en regard du muscle serratus permet l'analgésie de la partie + PSP pourrait aussi s'expliquer par le blocage lors de l'injection
antéro-latérale du thorax sur plusieurs métamères. entre les mPP et mGP des nerfs long thoracique et thoraco-
L'injection entre petit et grand Pectoral (IPP) bloque les nerfs dorsal qui ne sont pas atteints par le BPV. Or il s'avère que
pectoraux, issus du plexus brachial, qui passent par ce plan souvent, une des carences d'analgésie du BPV concernent les
interfacial inter pectoral. Cette injection avait été initialement patients ayant bénéficié d'un curage axillaire. Cependant,
décrite comme procurant un bénéfice sur l'analgésie dans la aucune étude n'a comparé le bloc Interpectoral + pectoserratus
chirurgie pour pose de prothèses mammaires [3]. Son méca- au bloc paravertébral réalisé en 2 injections T2/T3 et T4/T5, qui
nisme d'action analgésique reste débattu et source de contro- semblent mieux contrôler, aussi bien la zone de mastectomie,
verse car en bloquant les nerfs pectoraux, ce sont des nerfs que la zone du curage.
moteurs ne possédant que quelques rares contingents de fibres Étude 2 : le BPV entraîne une analgésie de plus longue durée
nerveuses sensitives C qui sont bloqués. Ces branches ne sont (346 min) que le bloc du Serratus avec une consommation de
sensibles uniquement que lorsque le muscle est en ischémie. morphine plus faible [9,10].
Une explication plus plausible de l'effet analgésique de ce bloc Pour dépassionner ce débat, une méta-analyse conclue récem-
serait la diffusion de l'A.L. vers la région axillaire, à l'émergence ment que le IPP + PSP procurerait une analgésie comparable au
des nerfs intercostaux latéraux qui participent à l'innervation BPV et que sa réalisation pouvait être envisagée en première
sensitive du sein. Dans le IPP + PSP block, l'injection inter-pec- intention. Des recommandations récentes sur l'analgésie pour
torale IPP pourrait renforcer l'efficacité de l'injection entre petit chirurgie majeure du sein recommandent le IPP + PSP en alter-
pectoral et serratus PSP. native au BPV [11,12]. Plusieurs autres questions restent à tran-
Le IPP + PSP block a montré une efficacité analgésique dans la cher comme les concentrations et les quantités d'anesthésiques
chirurgie du sein, en particulier pour la mastectomie [1,4–8]. Il locaux à injecter, ainsi que l'intérêt ou non des cathéters pour
est facile à réaliser sous échographie et se réalise plus serei- des perfusions de plusieurs jours. À ce jour, il n'y a pas d'étude
nement sur un patient endormi que le bloc paravertébral car les comparative entre différents volumes ou concentrations. Des
injections échoguidées sont à distance de la plèvre, des racines volumes totaux de 30 mL sont souvent décrits avec 20 mL pour
nerveuses ou des vaisseaux. Il peut ainsi être exécuté dès la fin l'injection entre le muscle petit pectoral et le serratus. La ropi-
de l'anesthésie, chez un patient en décubitus dorsal donc sans vacaïne est souvent utilisée à des concentrations qui ne doivent
changement de position, pendant le temps qui précède pas excéder 3,75 à 5 mg/mL.
l'incision.
IPP + PSP versus bloc des érecteurs pour mastectomie
Le bloc paravertébral
Sans aucun débat, le IPP + PSP est supérieur au bloc de l'érecteur
Comparativement au bloc de paroi, le BPV est un bloc plus
du rachis pour l'analgésie postopératoire après mastectomie
profond, de réalisation plus difficile (plus longue courbe
[13]. Le bloc des érecteurs n'a pas sa place dans cette indication
d'apprentissage) mais dont l'injection unique en T4 procure
et selon les études, plus ou moins aussi efficace que le bloc du
une qualité d'analgésie étagée de T2 à T6, ce qui couvre souvent
Serratus [14,15].
toute la chirurgie du sein et curage (une injection multi-étagée
pourrait apporter une meilleure couverture). La difficulté du BPV
Pour l'anesthésie de la mastectomie : pas de bloc de
tient compte d'une moins bonne visibilité échographique, chez
paroi seul
un patient en décubitus latéral ou ventral. En outre, le BPV est
Le IPP + PSP block est recommandé pour une épargne morphi-
associé au risque de pneumothorax même si sous échographie
nique dans le cadre de l'analgésie multimodale d'une mastec-
cette incidence est très faible [7].
tomie mais il doit toujours être associé à une anesthésie
IPP + PSP versus bloc paravertébral (BPV) pour générale car sa diffusion n'est en général que de 3 à 6 derma-
mastectomie : pas qu'une guerre d'école. . . tomes de façon inconstante. Ceci est insuffisant pour être sûr de
À ce jour, deux stratégies d'analgésie s'opposent pour la mas- toujours bloquer les racines de T2 à T6 en cas de mastectomie
tectomie. D'un côté, les défenseurs des blocs de paroi qui curage axillaire [14]. D'autre part, il ne couvre pas la partie
privilégient la double injection (IPP + PSP block) et de l'autre antéro-médiale du thorax, un bloc para-sternal peut compléter
les partisans du BPV. Les données récentes de la littérature cette lacune.
penchent d'un côté ou de l'autre sans réel bénéfice en termes En conclusion le bloc Interpectoral + pectoserratus a largement
d'épargne morphinique ou de durée d'analgésie selon les montré son efficacité analgésique dans la chirurgie majeure du

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Cas clinique commenté


sein et peut être proposé en alternative au bloc paravertébral, principalement dans les sous-types triple négatifs et sur expri-
notamment quand le patient est déjà endormi. mant HER2 [17] a fait discuter un élargissement du périmètre de
la CTNA. De plus, un traitement post-opératoire dans le cas de
Chimiothérapie néo adjuvante, l'expertise
non-pCR a été démontré efficace dans ces mêmes sous-types,
oncologique
qu'il s'agisse du T-DM1 dans les cancers surexprimant HER2
Initialement proposée uniquement aux patientes atteintes d'un
[18], de la capécitabine [19] dans les tumeurs triple négatives,
cancer du sein inflammatoire, ou dans l'objectif de réduire le
ou de l'olaparib chez les patientes porteuses d'une mutation
volume tumoral, afin d'augmenter les chances de chirurgie
germinale de BRCA1 / BRCA2 [5,20]. Les indications de la CTNA
conservatrice, la place de la chimiothérapie néoadjuvante
incluent donc actuellement les tumeurs volumineuses pour
(CTNA) du cancer du sein a fortement évoluée ces dernières
lesquelles une réduction de volume pourrait laisser envisager
années. En effet, au-delà de ces indications, et de l'avantage
une conservation mammaire, les cancers du sein inflammatoires
théorique d'un traitement plus précoce de la maladie micro
(de manière systématique), et les tumeurs triple négatives et
métastatique, le pronostic des patientes traitées par une chi-
HER2-surexprimées dès le T2, de par sa capacité à pouvoir
miothérapie néo adjuvante, versus une chimiothérapie adju-
indiquer un traitement post-opératoire selon le degré de
vante, a longtemps été considéré comme équivalent, entre
réponse.
autres suite à la méta-analyse de Mauri et al. [16]. Cependant,
la démonstration que l'obtention d'une réponse pathologique Déclaration de liens d'intérêts : Les auteurs déclarent ne pas avoir de
complète (pCR) sur les pièces opératoires post CTNA était asso- liens d'intérêts.
ciée à une nette amélioration des chances de guérison,

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Anesth Reanim. 2023; 9: 68–72

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Cas clinique commenté


Bloc pudendal en pédiatrie

Hugues Ludot, Daphné Michelet

Disponible sur internet le : American Memorial Hospital Pôle URAD, CHU de Reims, 51092 Reims, France
26 décembre 2022
Correspondance :
Hugues Ludot, American Memorial Hospital Pôle URAD, CHU de Reims,
51092 Reims, France.
hludot@orange.fr

Pudendal block in pediatrics

Mots clés
à terme, sans antécédent personnel ou familial, que la marche
Hypospadias
est acquise, sans troubles de la crase sanguine notable. Au
Anesthésie
terme de la consultation, un bibloc pudendal périnéal antérieur
Analgésie
est proposé à la famille associé à une narcose inhalée sous
Bloc pudendal
masque facial en ambulatoire. En préopératoire, le bloc est
Pédiatrie
réalisé avec 0,3 ml/kg de lévobupivacaine 0,25 % de chaque
Échographie
côté. Aucun complément analgésique n'est nécessaire en per-
Keywords
opératoire. En SSPI, aucun antalgique complémentaire n'est
Hypospadias
nécessaire en dehors des 15 mg/kg intraveineux de paracéta-
Anesthesia
mol de principe. L'enfant ressort à domicile à H + 6. Un protocole
Analgesia
antalgique postopératoire associant bétamethasone 10 gout-
Pudendal block
tes/kg matin, midi et soir per os 48 h et paracétamol par voie
Ultrasound
orale pendant 5 jours est prescrit.
Anatomie : le canal d'Alcock (figure 1)
Le périnéeou plancher pelvien est l'ensemble des parties molles
Cas clinique commenté fermant le détroit inférieur de la cavité pelvienne [1–6]. De
Cas clinique forme losangique, il est limité par la symphyse pubienne en
Un nourrisson de 18 mois, pesant 9,4 kg pour 77 cm, est adressé avant, le coccyx en arrière, les tubérosités ischiatiques, les
pour cure chirurgicale d'un hypospade moyen avec orifice uré- branches ischio-pubiennes et les ligaments sacro-tubéreux laté-
thral à mi-fût pénien et prépuce incomplet sans coudure de ralement. On le divise en deux parties par une ligne reliant les
verge. L'urologue pédiatre propose une reconstruction de type deux tubérosités ischiatiques, la ligne bi-tubérale : un périnée
Onlay avec sonde de calibrage uréthral pendant 10 jours en antérieur ou urogénital comprenant les organes génitaux exter-
système double couche sans antibioprophylaxie. À la consulta- nes, vulve, scrotum et pénis, et un périnée postérieur ou région
tion pré-anesthésique, nous pouvons noter que l'enfant est né anale, entre lesquels siège le noyau fibreux central du périnée.

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Anesth Reanim. 2023; 9: 68–72

Cas clinique commenté

Figure 1
Anatomie du nerf pudendal

Enfin, il comprend trois étages, un plan cutané doublé du fascia et sacro-coccygiens et recouvert par le fascia pariétal pelvien. Au
superficiel, un espace superficiel fait des muscles transverses niveau du périnée antérieur, le diaphragme uro-génital forme
superficiels et du sphincter anal externe, un espace profond ou un plan moyen, avec le sphincter uréthral externe et les muscles
diaphragme pelvien constitué des muscles élévateurs de l'anus transverses profonds entourés de leurs fascias supérieur et

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H. Ludot, D. Michelet

Cas clinique commenté


inférieur. Le périnée postérieur contient le canal anal et le accompagné de son artère (zone de potentiel conflit neurologique
rectum périnéal avec son appareil sphinctérien. Il est limité mécanique). Ce passage inter ligamentaire proche de l'épine
en profondeur par le plan musculaire des releveurs de l'anus ischiatique offre un excellent repère échographique transglutéal.
et de coccygiens, en surface par le plan musculaire superficiel, Puis il se dirige vers la tubérosité ischiatique pour longer la paroi
sphincter externe, bandes fibreuses, septas dérivés et fascia latérale de la fosse ischiorectale formée par la face médiale du
superficiel. Le rectum périnéal est entouré d'espaces cellulo- muscle obturateur interne et son aponévrose dans un dédouble-
graisseux séparés d'aponévroses : un espace péri-anal ou mar- ment de laquelle il chemine, accompagné de ses vaisseaux satel-
ginal au contact du canal, le fascia péri-anal qui le sépare de lites, artère et veine pudendales écho-repérables [6]. À l'entrée du
l'espace ischio-anal ou fosse ischiorectale. Cette fosse située canal, le nerf donne une première branche de division, le nerf
entre ischion et canal anal sous les muscles élévateurs anal et rectal inférieur qui assure l'innervation du sphincter externe de
coccygien occupe la majeure partie du périnée postérieur. Elle a l'anus, de la muqueuse anale, des téguments péri-anaux et de la
une forme de dièdre arrondi en demi-sphère autour du rectum partie terminale du rectum. À la sortie du canal, à proximité de la
périnéal qui constitue sa face médiale étendue du raphé coccy- tubérosité ischiatique (zone de conflit mécanique potentiel,
gien en arrière à la ligne blanche (coalescence antérieure des cycliste), le nerf se divise en deux branches terminales, le nerf
muscles releveurs) en avant. Sa face latérale est formée par le périnéal et le nerf dorsal du pénis (clitoris). La fosse ischiorectale
muscle obturateur interne et son dédoublement aponévrotique est une voie d'accès au bouquet pudendal. Nerf mixte sensitif
où chemine le bouquet pudendal, le canal d'Alcock. La base est (50 %), moteur (20 %) avec une composante végétative (30 %), il
constituée des téguments du périnée superficiel, peau, fascia est donc accessible à l'électroneurostimulation. Sa plus grosse
superficiel, et de bandes fibreuses et septas dérivés pour branche terminale, le nerf périnéal, donne naissance d'une part
l'essentiel du muscle longitudinal du canal anal qui contribuent à des rameaux superficiels, les nerfs scrotaux/labiaux médial et
à la prévention du risque de prolapsus rectal lors de la déféca- latéral sensitifs qui traversent le diaphragme urogénital pour se
tion ; elle offre une résistance importante à sa traversée par une distribuer au revêtement cutané de la partie postérieure du scro-
aiguille à biseau court, et à une injection trop superficielle. Le tum (grandes lèvres), complétant les branches terminales de la
sommet du dièdre est fermé par l'insertion de l'aponévrose de branche génitale du nerf génito-fémoral (nerf spermatique
l'obturateur interne sur le muscle releveur de l'anus. Elle externe) ; d'autre part à des branches plus profondes destinées
contient les vaisseaux hémorroïdaux, les branches du nerf aux muscles transverses du périnée, bulbocaverneux, ischiocaver-
pudendal à destinée anale, dans un tissu cellulo graisseux neux et constricteur de l'urèthre et enfin le nerf du bulbe qui se
beaucoup plus fluide et lâche, autorisant les variations de distribue aux corps caverneux et à l'urèthre.
volume de l'ampoule rectale au gré de son état de vacuité, Le nerf dorsal du pénis/clitoris longe la branche ischiopubienne
et à proximité immédiate de la tubérosité ischiatique, le canal à la face interne de la membrane urogénitale, pénètre dans
pudendal où peuvent diffuser les anesthésiques locaux injectés l'espace sous pubien où il abandonne un rameau vers le corps
sans résistance dans cet espace, réalisant un bloc pudendal caverneux, s'accole au ligament suspenseur de la verge (exten-
antérieur trans-périnéal, voie préférentielle en pédiatrie [1–3]. sion de fascia de Scarpa) pour rejoindre latéralement l'artère
dorsale de la verge qu'il va accompagner sur toute sa longueur
Innervation sous le fascia de Buck, pour se terminer au niveau du gland et
L'innervation somatique périnéale, motrice et sensitive, est innerver la majeure partie de la peau du pénis/clitoris, sauf la
assurée essentiellement par le nerf pudendal (ex nerf honteux), face ventrale et le frein du prépuce qui dépendent du nerf
continuation du plexus pudendal ou bandelette inférieure du périnéal [4].
plexus sacral formée par la réunion des branches ventrales La zone cutanée périnéale innervée par les nerfs pudendaux est
primaires des nerfs sacrés S2-S4, parfois S1 et S5, alors en en forme de triangle isocèle à sommet au-dessus des organes
contribution variable. S'il est formé surtout à partir de S2-S3, génitaux externes et base au-dessous de l'anus. Il existe une
on parle de plexus pré fixé, et à partir de S3-S4, de plexus post innervation complémentaire par les branches génitales des
fixé. Ce nerf présente de nombreuses variations anatomiques nerfs ilio hypogastriques, ilio inguinaux et génitofémoraux pour
regroupées en cinq types principaux d'organisation des fibres le mont de Vénus, la base du pénis et le tiers antérieur des
nerveuses, selon qu'il est constitué d'un ou plusieurs troncs qui grandes lèvres. Le nerf cutané fémoral postérieur de la cuisse
se ramifient ou se réunissent. Le nerf pudendal quitte le pelvis participe par ses rameaux cluniaux inférieurs à la région glutéale
en passant entre les muscles piriforme (ex pyramidal du bassin) périanale et par le nerf long scrotal (ex nerf pudendal inférieur)
et coccygien à la partie inférieure du grand foramen ischiatique qui fait une boucle autour de la tubérosité ischiatique, franchit le
(ou grande échancrure sciatique). Après un court trajet sous fascia lata pour cheminer sous l'aponévrose superficielle du
glutéal, il regagne le pelvis par la petite échancrure sciatique en périnée vers le scrotum (grandes lèvres). Cette innervation
passant entre le ligament sacro-épineux en avant et le ligament accessoire explique l'insuffisance du bloc pudendal stricto sensu
sacro-tubéreux en arrière à proximité de l'épine ischiatique pour l'anesthésie totale du périnée, et de la vulve.

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Anesth Reanim. 2023; 9: 68–72

Cas clinique commenté


À cette grande voie d'innervation périnéale surtout somatique  approche par la voie transglutéale : utilisée pour la confirma-
par les racines sacrées via les nerfs pudendaux, s'ajoute celle du tion diagnostique et le traitement des névralgies pudendales
plexus hypogastrique inférieur, neurovégétative sympathique par conflit interligamentaire, dont les douleurs chroniques
et parasympathique. C'est une lame paire réticulée, située près périnéales de l'adulte ;
du rectum et du fornix vaginal, composée par le nerf hypogas-  approche antérieure échoguidée : la plus usitée en anesthésie.

trique issu du plexus hypogastrique supérieur sympathique, les Le patient est installé en « grenouille » ou en position de
nerfs splanchniques sacraux sympathiques et les nerfs splanch- lithotomie. Les repères, quelle que soit la technique de loca-
niques pelviens parasympathiques (érecteurs) qui innerve les lisation retenue, restent l'anus et les tubérosités ischiatiques
organes pelviens par trois plexus : rectal moyen, vésical et palpables.
utérovaginal. Mais les nerfs pudendaux ont une participation Le pouls pudendal n'est pas perceptible. Le point d'entrée de
fonctionnelle importante dans la miction, la défécation, l'érec- l'aiguille est au milieu du segment anus – projection cutanée de
tion, l'éjaculation et l'accouchement. l'épine ischiatique. Le contact osseux ischiatique n'est pas
recherché, au risque de réaliser une injection sous-périostée
inefficace ou intra-canalaire. L'artère pudendale, et par consé-
Technique (figure 2) quent les nerfs situés à proximité immédiate, sont repérés en
Il existe principalement deux approches vers le nerf pudendal : doppler couleur. La sonde est mobilisée pour amener le bouquet
antérieure trans-périnéale et postérieure trans-glutéale. Ces pudendal, la cible, au centre de l'écran, l'aiguille est dirigée en
techniques sont basées soit sur la recherche de repères anato- dehors ou dans le plan ultrasonique vers cette cible. La confir-
miques et des pertes de résistance à la progression trans tissu- mation du bloc repose sur l'observation échographique du
laire d'une aiguille à biseau court, soit par déplacement des structures tissulaires et de la diffusion de
électroneurostimulation à la recherche d'une réponse motrice l'anesthésique local qui vient encercler l'artère pudendale. Il
appropriée de ce nerf mixte, soit par guidage radioscopique ou est utile d'ajouter une électroneurostimulation : contraction
tomodensitométrique plus souvent en algologie, soit plus récent musculaire, le plus souvent du sphincter anal homolatéral (« clin
par échoguidage : d'œil anal »).

Figure 2
Sono anatomie et
échoguidage

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H. Ludot, D. Michelet

Cas clinique commenté


Indications et AL risque d'hyperalgésie postopératoire et de chronicisation de
Le bloc pudendal trans-périnéal est un bloc d'espace, tous les la douleur et d'éviter les troubles comportementaux à distance.
anesthésiques locaux disponibles sur le marché sont potentiel- Caudale vs pudendal
lement utilisables, selon la puissance et la durée du bloc anal- L'anesthésie par voie caudale, remarquablement sécuritaire et
gésique désiré. On évite les solutions adrénalinées, l'artère efficace (plus de 96 % succès) chez le petit enfant, autorise tous
pudendale satellite étant de type terminal. Le contenu adipeux les types de chirurgie pour tous les types d'hypospadias à condi-
lâche de la fosse ischiorectale constitue une zone de stockage tion de n'être pas contre-indiquée par des anomalies de crase
des anesthésiques locaux lipophiles et de relargage progressif, sanguine, ou des anomalies anatomiques spinales (8 % des
surtout marqué pour les molécules de longue durée d'action enfants coréens avec hypospade présenteraient un dysraphisme
comme la bupivacaine, la lévobupivacaine et la ropivacaine : spinal de degré variable). Une incidence de 1,9 % de compli-
leur durée d'action est beaucoup plus longue que dans d'autres cations sans lendemain sont rapportées dans le recueil PRAN
blocs périphériques, pouvant dépasser 18 heures pour une portant sur 18650 actes, à type d'injections intra osseuse, intra
injection unique. Des volumes de 0,1 à 0,15 ml/kg par côté thécale, intra vasculaire, de rachi anesthésies totales, des blocs
suffisent à une analgésie postopératoire du territoire scrotal, moteur résiduels, des retards mictionnels nécessitant un son-
mais il faut injecter 0,3–0,4 ml/kg sans dépasser 15–20 ml par dage évacuateur et empêchant l'acte ambulatoire, mais sans
côté pour obtenir une anesthésie complète de la totalité du séquelle à long terme. Toutefois, l'anesthésie par voie caudale
territoire pudendal (hypospadias, chirurgie extensive vulvaire semble inférieure au bloc pudendal dans plusieurs études ran-
ou périnéale . . .). Le nerf rectal inférieur « libre » dans la fosse domisée : les patients sous anesthésie caudale demandent
ischiorectale est atteint en premier, les branches périnéales et significativement plus fréquemment et plus précocement des
pénienne/clitoridienne abritées sous le repli aponévrotique du antalgiques de recours, et une meilleure satisfaction parentale
canal d'Alcock sont bloquées plus tardivement. pour le bloc pudendal, sans différence peropératoire en besoin
Chez l'enfant, les principales indications sont l'analgésie pério- de supplément antalgique, en durée d'anesthésie et en durée
pératoire de la chirurgie pénoscrotale et vulvovaginale. À ce opératoire. De nombreuses études et méta analyses n'ont pu
jour, l'utilisation du bloc pudendal reste anecdotique pour la apporter la preuve formelle de la responsabilité de la caudale
plupart des équipes (moins de 2 % des ALR pédiatriques). dans une fréquence plus élevée de fistules.
Cependant, le bloc pudendal échoguidé est plus qu'une alter- Rappelons que le bloc pudendal ne couvre pas toute la sensi-
native à l'anesthésie caudale, car il n'expose pas aux compli- bilité cutanée, scotale ou vulvaire [1–6].
cations de rétention urinaire, de paralysie résiduelle transitoire
des membres inférieurs et est réalisable même chez les plus Conclusion
grands et en cas d'anomalie spinale associée. Parmi les pro- Le bloc pudendal échoguidé couplé à la neurostimulation est
cédures chirurgicales urologiques fréquentes de l'enfant, la cure une technique sécuritaire, fiable, facile à acquérir qui devrait
d'hypospadias (1 enfant/200) est réputée être la plus algogène. être positionné en première place comparé à l'anesthésie cau-
Une prise en charge dynamique de la douleur per et postopé- dale. Ce bloc doit s'insérer dans une stratégie et une approche
ratoire est indispensable à une qualité optimale des soins, multimodale.
permettant de diminuer la consommation d'opioïdes périopé-
ratoire, de contrer la sensibilisation neuronale, d'infléchir le Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
liens d'intérêts.

Références
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at the entrance of the pudendal (Alcock) randomized controlled trial. Reg Anesth Pain V, Gomez Gonzalez AM, Ortiz Zableh AM,
canal description of anatomy and clinical Med 2016;41:610e5. http://dx.doi.org/ Ortiz Azuero A. Anestesia regional guiada por
technique. Reg Anesth Pain Med 10.1097/AAP.0000000000000447. ultrasonido en territorio del nervio pudendo.
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en proctologie et en obstétrique. Ann Fr sound-guided transperineal approach.
Anesth Réanim 2006;25:1127–33.

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Fiche fash
Fiche Flash : anesthésie locorégionale de
l'adulte. Blocs périphériques. . . les essentiels
en 6 points

Olivier Choquet 1, Philippe Cuvillon 2

Disponible sur internet le : 1. Lapeyronie university hospital, department of anesthesiology and critical care
22 décembre 2022 medicine, 34295 Montpellier Cedex 5, France
2. Nîmes university hospital, R-UM103 IMAGINE, université de Montpellier, division
of anesthesia critical care, pain and emergency medicine, Nîmes, France

Correspondance :
Philippe Cuvillon, Nîmes university hospital, UR-UM103 IMAGINE, université de
Montpellier, division of anesthesia critical care, pain and emergency medicine,
Nîmes, France.
philippe.cuvillon@chu-nimes.fr

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O. Choquet, P. Cuvillon

Fiche fash

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Fiche flash
Fiche Flash : les blocs du pied et de la
cheville

Olivier Rontes 1, Marie Virtos 2, Vincent Atthar 1

Disponible sur internet le : 1. Clinique Medipôle Garonne, 45, Rue De Gironis, 31100 Toulouse, France
9 janvier 2023 2. Médipôle Garonne clinique du Sport, 45, rue de Gironis, 31036 Toulouse cedex,
France

Correspondance :
Olivier Rontes, Médipôle Garonne clinique du Sport, 45, rue de Gironis,
31036 Toulouse cedex, France.
olivierrontes@gmail.com

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O. Rontes, M. Virtos, V. Atthar

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Fiche flash
Fiche Flash : blocs du poignet et Walant

Sébastien Bloc 1, Cyril Quemeneur 2, Frédéric Le Saché 3,4,5

Disponible sur internet le : 1. CMC Ambroise-Paré, département d'anesthésie, 92200 Neuilly-sur-Seine, France
6 janvier 2023 2. AP–HP, Pitié-Salpêtrière Hospital, Sorbonne University, Department of
Anaesthesiology and Critical Care, GRC 29, DMU DREAM, Paris, France
3. AP–HP, 6 Sorbonne Université, Department of Anaesthesiology and Intensive
Care, DMU DREAM, Paris, France
4. Clinique Remusat, 75016 Paris, France
5. Clinique Jouvenet, 75016 Paris, France

Correspondance :
Sébastien Bloc, CMC Ambroise-Paré, département d'anesthésie, 92200 Neuilly-sur-
Seine, France.
sebebloc@gmail.com

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S. Bloc, C. Quemeneur, F. Le Saché

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S. Bloc, C. Quemeneur, F. Le Saché

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Fiche flash
Fiche Flash : anesthésie locorégionale de
l'adulte. « 5 étapes pour réussir un cathéter
à domicile »

Axel Maurice Szamburski 1, Xavier Capdevila 2, Laurent Delaunay 3, Philippe Cuvillon 4

Disponible sur internet le : 1. Clinique Juge, Marseille, France


23 décembre 2022 2. Inserm Unit 1298 Montpellier NeuroSciences Institute, Department of
Anesthesiology and Critical Care Medicine, Lapeyronie University Hospital,
Montpellier University, 34295 Montpellier cedex 5, France
3. Clinique générale, 4, chemin de la Tour la Reine, Annecy, France
4. UR-UM103 IMAGINE, Division of Anesthesia Critical Care, Pain and Emergency
Medicine, Université Montpellier, Nîmes University Hospital, place du Professeur-
Debré, 30000 Nîmes, France

Correspondance :
Philippe Cuvillon, UR-UM103 IMAGINE, Division of Anesthesia Critical Care, Pain and
Emergency Medicine, Université Montpellier, Nîmes University Hospital, place du
Professeur-Debré, 30000 Nîmes, France.
philippe.cuvillon@chu-nimes.fr

5 steps to a successful home catheter

Mots clés Déclaration de liens d'intérêts :


Anesthésie les auteurs déclarent ne pas
avoir de liens d'intérêts.
Cathéter

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A.M. Szamburski, X. Capdevila, L. Delaunay, P. Cuvillon

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Veille bibliographique
Transfusion pré-hospitalière de plasma pour
les patients en choc hémorragique
traumatique : les études re-Phill et PREHO-
PLYO

Jean-Denis Moyer 1, Fanny Bounes 2, Arthur James 3, pour le groupe le masque et la plume

Disponible sur internet le : 1. AP–HP.Nord, DMU Parabol, hôpital Beaujon, département d'anesthésie-
19 décembre 2022 réanimation, Paris, France
2. Hôpital Rangueil, pôle anesthésie-réanimation médecine périopératoire, CHU
Toulouse, Toulouse, France
3. AP–HP, Sorbonne université, GRC 29, groupe hospitalier universitaire AP–HP-
Sorbonne université, site Pitié-Salpêtrière, département d'anesthésie-
réanimation, 75013 Paris, France

Correspondance :
Jean-Denis Moyer, Hôpital Beaujon, département d'anesthésie réanimation, 100,
boulevard du Général-Leclerc, 92110 Clichy, France.
Jean-denis.moyer@aphp.fr

Prehospital plasma transfusion for traumatic hemorrhagic shock: the re-Phill


and PREHO-PLYO studies

Introduction
Chez le patient traumatisé sévère, le choc hémorragique représente, à la phase initiale de la prise
en charge, la cause la plus fréquente d'insuffisance circulatoire. Il se caractérise par une perte
rapide et importante de sang non compensable par l'organisme.
Au-delà de la nécessité de contrôler le plus rapidement possible la source hémorragique, la prise
en charge du choc hémorragique traumatique repose sur une compensation rapide des pertes
sanguines et sur le traitement spécifique de la coagulopathie (« damage control » hémostatique).
En effet, lorsqu'une hémorragie est intense, il existe quasi systématiquement une coagulopathie
dont la genèse est multifactorielle [1]. Les mécanismes identifiés correspondent entre autres à une
hyperfibrinolyse, une dégradation du glycocalyx endothélial, une dysfonction plaquettaire, l'acti-
vation de la protéine C et une consommation des facteurs de la coagulation, dont le fibrinogène
[1,2]. La prévention et la prise en charge de la coagulopathie dans ce contexte sont des enjeux
importants, tout comme la lutte contre l'hypothermie et l'acidose métabolique associées. En effet,
la survenue d'une coagulopathie secondaire à un traumatisme sévère est associée à une aug-
mentation de la morbidité et de la mortalité, d'autant que les patients les plus graves sont

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également plus à risque de présenter une coagulopathie [3–5]. coagulation (temps de prothrombine 1,2 vs 1,3,
La prise en charge des malades traumatisés en choc hémorra- p = < 0,001 respectivement) dans l'étude PAMPer, tandis que
gique a évolué ces dernières années avec en particulier l'admi- l'étude COMBAT ne montrait aucune différence de mortalité
nistration d'acide tranexamique, une stratégie d'hypotension à J28 (15 % dans le groupe plasma vs 10 % dans le groupe
permissive limitant le remplissage vasculaire excessif, ou encore contrôle, p = 0,37) ni de paramètres de coagulation. Cela était
le principe de la chirurgie écourtée (ou damage control probablement due à la différence de durée de prise en charge
surgery). pré-hospitalière. Une analyse combinée de ces deux études a
Une autre évolution consiste à administrer des produits sanguins été publiée en 2019 et rapporte un bénéfice de la transfusion
plus précocement, ce qui pose la question de l'administration de pré-hospitalière de plasma avec une augmentation de la survie
produits sanguins labiles dès la prise en charge pré-hospitalière à J28 (risque relatif (RR) = 0,65, intervalle de confiance à 95 %
des patients les plus graves. En parallèle, la transfusion précoce (IC95 %) [0,47–0,90] ; p = 0,01) [11]. Une constatation essen-
est recommandée avec des ratios plasma frais congelé (PFC)/ tielle de cette analyse secondaire était que le temps de trans-
concentré globules rouges (CGR) d'une part et concentré pla- port pré-hospitalier était, dans le groupe contrôle,
quettaire (CP)/CGR d'autre part, plus élevés. Les études réali- significativement associé à la hausse de la mortalité dès lors
sées en milieu militaire ont grandement participé à améliorer qu'il dépassait 20 min, alors que cette association n'était pas
les pratiques en termes de transfusion et de compréhension du observée chez les patients traités par du plasma en pré-
timing de survenue de la coagulopathie, permettant l'établis- hospitalier.
sement de recommandations [6–8]. En 2007, Borgmann et al. Cette discordance sur les bénéfices de la transfusion de plasma a
ont publié une étude rétrospective conduite auprès de 246 mili- entraîné de nouvelles investigations sur son importance en pré-
taires blessés nécessitant une transfusion massive ( 10 CGR au hospitalier. Deux nouvelles études ont ainsi été publiées les
cours des 24 premières heures)[9]. Les auteurs observaient une premiers mois de 2022.
réduction significative de la mortalité dans le groupe ayant
bénéficié du ratio PFC/CGR le plus élevé. Plus récemment, L'étude RePHILL [12]
l'étude randomisée multicentrique PROPRR a cherché à déter- Dans cette étude multicentrique réalisée dans un contexte civil
miner le ratio PFC/CGR optimal [10]. La comparaison de en Grande Bretagne (entre novembre 2016 et janvier 2021),
338 patients transfusés avec un ratio CP:PFC:CGR de 1:1:1 avec 432 patients adultes (âge médian de 38 ans) ont été randomisés
342 patients transfusé avec un ratio CP:PFC:CGR de 1:1:2 ne pour recevoir soit du sérum salé à 0,9 % (groupe contrôle,
révélait pas de différence en termes de mortalité à 24 h ou J30. n = 223), soit un pack de deux culots globulaires associés
Ainsi, bien que les recommandations ne permettent pas de à du plasma lyophilisé (groupe interventionnel, n = 209) [12].
trancher entre un ratio PFC/CGR de 1:1 ou de 1:2, elles sont Les patients étaient inclus s'ils étaient victimes d'un trauma-
formelles sur l'importance de ne pas retarder leur administra- tisme, avaient plus de 16 ans et présentaient une pression
tion, en associant simultanément PFC et le premier CGR [6]. artérielle systémique (PAS) < 90 mmHg et/ou l'absence de
Au-delà de leurs effets hémostatiques, les PFC pourraient avoir pouls radial. Le critère de jugement principal (CJP) était un
des effets bénéfiques sur l'altération du glycocalyx et sur la critère composite associant la mortalité hospitalière et/ou
réactivité vasculaire. Ces hypothèses posent la question de l'absence de clairance du lactate (définie comme une réduction
l'évaluation d'une administration précoce des PFC lors de la de 20 % de lactatémie dans les deux heures suivant la rando-
prise en charge extra-hospitalière. Aux États-Unis, deux études misation). Les auteurs ne trouvaient aucune différence sur le
randomisées publiées en 2018 (PAMPer et COMBAT study) se critère composite avec 128 (64 %) évènements dans le groupe
sont intéressées à cette question. Elles évaluaient l'association interventionnel contre 135 (65 %) évènements dans le groupe
de l'administration de deux unités de PFC en pré-hospitalier chez contrôle (RR ajusté = 1,01 [0,88–1,17]). L'analyse des critères de
des patients à risque de choc hémorragique avec l'amélioration jugement secondaire objectivait dans le groupe interventionnel
de la survie hospitalière. De designs similaires, les études ont une augmentation significative du taux d'hémoglobine à l'arri-
comme différence notable le moyen de transport vers l'hôpital : vée à l'hôpital (133 g.L 1 vs 118 g.L 1, p < 0,0001) et du
l'étude PAMPer se déroulait en territoire non urbain avec trans- volume de produits sanguins transfusés au cours des 24 pre-
port héliporté (durée médiane de prise en charge pré-hospita- mières heures d'hospitalisation. Il n'existait en revanche pas
lière de 41 minutes) tandis que l'étude COMBAT se déroulait d'effet sur la mortalité hospitalière (43 % vs. 45 %, groupe
dans un milieu urbain avec des transports terrestres (durée contrôle vs interventionnel, RR ajusté = 0,97 [0,78–1,2]), sur la
médiane de prise en charge pré-hospitalière de 18 minutes). lactatémie à l'arrivée, sur la clairance du lactate, sur les para-
Ces deux études ont présenté des conclusions différentes. L'uti- mètres vitaux à l'arrivée à l'hôpital, sur l'INR à l'arrivée ou encore
lisation de plasma était associée à une diminution de mortalité sur la proportion de patients décédés au cours des 3 premières
à J30 (23,2 % dans le groupe plasma vs 33 % dans le groupe heures de prise en charge. La fréquence des effets indésirables
contrôle, p = 0,03) et une amélioration des paramètres de était similaire entre les deux groupes. Au-delà du résultat

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décevant de cette étude méthodologiquement rigoureuse, plu- contexte civil, a cherché à évaluer l'impact de l'administration
sieurs limites peuvent être avancées. Tout d'abord, le critère de pré-hospitalière de PLYO chez des patients à risque de choc
jugement principal composite associant la mortalité et la clai- hémorragique [13]. Ainsi, 150 patients ont été inclus dans
rance du lactate est discutable. Mettre au même niveau un l'étude, dont 134 dans l'analyse statistique : 68 patients dans
critère pronostic majeur et un critère qui ne peut être considéré le groupe recevant le PLYO (groupe PLYO) et 66 dans le groupe
comme important du point de vue des patients doit être discuté. recevant le sérum salé 0,9 % (groupe contrôle). Les patients
Ensuite, l'usage d'un critère d'inclusion assez large (présence inclus étaient majoritairement des hommes, jeunes et victimes
d'hypotension), destiné à faciliter les inclusions, pourrait avoir d'un traumatisme non pénétrant (60 %) sévère (ISS médian du
conduit à l'inclusion de patients n'étant pas susceptibles de groupe contrôle : 25 vs 29 dans le groupe PLYO). Le CJP était l'INR
bénéficier d'un traitement précoce par transfusion de culots à l'admission. L'étude ne trouvait pas de différence entre les
et de plasma. En effet, si les patients présentaient des signes deux groupes avec un INR à 1,21 [écart interquartile : 1,12–1,49]
de choc hémorragique, peu d'entre eux présentaient une déglo- dans le groupe PLYO contre 1,20 [1,10–1,9] dans le groupe
bulisation importante. De plus, on constate que, quel que soit le contrôle (p = 0,88). Le recours à une transfusion massive
groupe, l'INR à l'arrivée était supérieur à 1,5 pour moins de 20 % (10 culots globulaires dans les 24 premières heures, 10 %
des patients tandis que la quantité moyenne de culots trans- (n = 7) vs. 6 % (n = 4) ; p = 0,37), le recours à la chirurgie en
fusés à 24 h ne dépassait pas 6,5. Il est également important de urgence dans les 24 premières heures (72 % (n = 49) vs. 71 %
noter que les délais pré-hospitaliers dans cette étude étaient (n = 47), p = 0,91) et la mortalité à J28 18 % (n = 12) vs. 15 %
très courts, de l'ordre de 30 minutes. De fait, l'hypothèse d'un (n = 10), p = 0,7, groupe PLYO vs groupe contrôle respective-
potentiel effet de la transfusion pré-hospitalière de plasma frais ment) étaient équivalents dans les deux groupes. Il est à noter,
congelés dans un système où les délais d'arrivée à l'hôpital et pour positionner ce travail par rapport aux autres publiés sur le
donc d'accès à la transfusion seraient plus longs restes plausibles sujet, que le délai entre le traumatisme et l'arrivée à l'hôpital
et à explorer. Ensuite, il doit être pris en compte que seuls était d'environ 90 minutes dans les deux groupes.
432 patients ont été recrutés (du fait des difficultés de recru-
tement au cours de la pandémie COVID), alors que le calcul du Que nous apportent ces études concernant la
nombre de sujets nécessaires en prévoyait 490. Ce point est transfusion pré-hospitalière ?
particulièrement important quand il est constaté que la morta- Les résultats négatifs de ces deux études (re)posent la question
lité à 3 h est réduite de 16 à 22 % par la transfusion précoce de l'intérêt de la transfusion pré-hospitalière. En effet, si la
(cette observation n'étant pas confirmée par l'examen de la différence initiale des résultats des études PAMPer et COMBAT
mortalité hospitalière, possiblement par manque de puissance avait intuitivement amené à la conclusion que l'utilisation de
de l'étude). Enfin, le traitement utilisé dans cette étude était du plasma pouvait bénéficier aux patients dont les délais de trans-
plasma lyophilisé tandis que du plasma décongelé avait été port étaient les plus longs, les résultats de RePHILL et PREHO-
utilisé dans les études COMBAT et PAMPer. PLYO ne semble pas conforter cette hypothèse. En effet, les
délais de transport des deux études étaient plus longs que dans
L'étude PREHO-PLYO [13] l'étude COMBAT (RePHILL : 26 min, PREHO-PLYO : 60 min) et
Le plasma lyophilisé (PLYO) est un plasma sous forme de poudre aucune différence en termes de pronostic n'a été retrouvée dans
qui se conserve entre +2 et 25 8C et dont le délai de péremption ces deux études. Par ailleurs, il est intéressant de noter que
est de 2 ans. Un flacon de PLYO est équivalent à une unité de l'utilisation de plasma n'était pas associée comme dans l'étude
plasma thérapeutique. Il est obtenu par lyophilisation à partir de PAMPer à une amélioration des paramètres hémostatiques lors
mélange de PFC issus d'aphérèse provenant de dix donneurs au de l'arrivée à l'hôpital. Cependant, contrairement aux études
maximum, de groupe A, B, AB. Ceci permet d'obtenir un plasma PAMPer et COMBAT, la plupart des patients des études PREHO-
compatible quel que soit le groupe sanguin A, B, O du receveur. PLYO et RePHILL ont reçu de l'acide tranexamique dès la phase
L'ensemble de ces caractéristiques en font un produit extrême- pré-hospitalière, ce qui a pu contribuer, en limitant la fibrinolyse,
ment intéressant pour faire face aux contraintes opérationnelles à maintenir les taux de fibrinogène dans les limites de réfé-
du pré-hospitalier. Ainsi, au vu des données de PAMPer et de la rence. S'il semble physiopathologiquement cohérent qu'une
facilité d'utilisation du PLYO, des recommandations françaises transfusion précoce de plasma (PFC ou PLYO) puisse améliorer
publiées en 2020 recommandent la transfusion de 2 à 4 PLYO le pronostic des patients les plus graves, nous ne bénéficions pas
dans le cadre des transports médicalisés des patients présentant encore de données suffisantes pour recommander son utilisa-
une hémorragie nécessitant l'activation d'un protocole de trans- tion systématique en pré-hospitalier, même si cela ne signifie
fusion massive (accord fort). Cependant, aucune étude spéci- pas une transfusion pré-hospitalière soit sans intérêt. Il est
fique ne venait soutenir cette recommandation. Dans ce également important de souligner que ces études confirment
contexte, une étude randomisée, contrôlée, multicentrique, la faisabilité de la transfusion hospitalière (en particulier en
menée par le Service de Santé des Armées Français dans un France par l'usage de PLYO) tout en illustrant qu'il est encore

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nécessaire de poursuivre les travaux de recherche pour identifier même si l'administration de plasma lyophilisé semble présenter
les patients les plus susceptibles d'en bénéficier. La coagulopa- l'avantage d'un stockage plus facile et donc d'un risque moins
thie des patients traumatisés est entre autres médiée par important de perte de produits sanguins précieux.
l'intensité des lésions [14,15] (que l'on peut dénommer charge Enfin, la place du plasma et de la transfusion pré-hospitalière en
traumatique), l'intensité du saignement et l'apparition d'un état général sera probablement amenée à évoluer compte tenu des
de choc. Nous ne pouvons donc pas exclure que l'effet béné- travaux de recherche actuels relatifs à l'utilisation du sang total
fique du plasma puisse être prépondérant chez certains patients. qui pourrait, à nouveau, changer notre approche transfusion-
Faut-il cibler les patients les plus graves (Hb < 11 g.dL 1, Shock nelle pour les patients traumatisés les plus graves.
index > 1. . .) ou les patients présentant des lésions multiples et
sévères, comme majoritairement retrouvés dans les traumatis- Conclusion
mes par décélération. Quid de la population avec choc hémor- Si l'intérêt physiopathologique de la transfusion de plasma la
ragique et traumatisme crânien grave ? Faut-il continuer à mixer plus précoce possible et donc pré-hospitalière semble évident,
les populations des traumatismes pénétrants et non pénétrants ? la transposition de ces effets bénéfiques théoriques sur un
Le taux de traumatisme pénétrant dans l'étude PREHO-PLYO bénéfice clinique n'est à ce jour pas encore solidement docu-
(30 %) et RePHILL (23 %) était similaire à celui de l'étude mentée. De nouvelles études seront donc nécessaires pour
PAMPer (20 %) et moitié moindre que celui de l'étude COMBAT déterminer les meilleures modalités d'administration et les
(50 %), ce pourrait avoir conduit à l'inclusion de moins de typologies de patients les plus susceptibles de bénéficier
patients présentant une coagulopathie et pourrait expliquer, d'une transfusion pré-hospitalière.
en partie, les résultats négatifs obtenus. Beaucoup de questions
Déclaration de liens d'intérêts : Fanny Bounes et Jean-Denis Moyer ne
sont donc en attente de réponse. déclarent aucun conflit d'interet.
L'identification de la meilleure façon d'administrer du plasma Arthur James a reçu des honoraires de LFB pour un projet éducatif.
reste elle aussi sujette à discussion (Plasma décongelé vs PLYO)

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