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1
Anesthésie du patient
polytraumatisé
Pierre Carli, Caroline Télion
Sommaire
Abréviations INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
ACTH : hormone corticotrope hypophysaire ÉVALUATION DE LA GRAVITÉ DU POLYTRAUMATISME . . . . . . . . . . 2
AIS : Abreviated Injury Score ANESTHÉSIE-RÉANIMATION À LA PHASE PRÉHOSPITALIÈRE . . . . . . 3
ASCOT : A Severity Characterisation Of ANESTHÉSIE-RÉANIMATION À LA PHASE HOSPITALIÈRE . . . . . . . . . 8
Trauma
PÉRIODE POSTOPÉRATOIRE IMMÉDIATE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
ETO : échographie transœsophagienne
ETT : échographie transthoracique PARTICULARITÉS EN FONCTION DU TERRAIN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
GCS : Glasgow Coma Score CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
ISS : Injury Trauma Score
MTOS : Major Trauma Outcome Study
PaCO2 : pression partielle artérielle
© Groupe Liaisons SA, février 2001. La photocopie non autorisée est un délit.
en oxygène
PAM : pression artérielle moyenne
PAS : pression artérielle systolique
PETCO2 : pression télé-expiratoire de CO2
PIC : pression intracrânienne
PNI : pression artérielle non invasive
PPC : pression de perfusion cérébrale
RAI : recherche d’agglutinines irrégulières
RCP : réanimation cardiopulmonaire
RTS : Revised Trauma Score
SAMU : service d’aide médicale d’urgence
SMUR : service mobile d’urgence
et de réanimation
SaO2 : saturation artérielle en oxygène
SpO2 : oxymétrie pulsée
TRISS : Anagramme composé avec les lettres
des scores qui le composent : RTS , ISS
Introduction
Le polytraumatisé est un blessé présentant au moins deux lésions dont l’une peut engager le pronostic vital à plus ou moins court terme.
En France, le ramassage et le traitement initial des polytraumatisés bénéficient d’une médicalisation précoce[1] , assurée par les équipes de
réanimation préhospitalière des SAMU-SMUR dont l’intervention vise à une stabilisation des détresses vitales pour permettre au blessé
d’atteindre dans de bonnes conditions l’hôpital le mieux adapté à son état [2]. De la phase préhospitalière à la phase postopératoire, les
anesthésistes réanimateurs sont impliqués dans la prise en charge de ces patients. Les conditions de réalisation d’une anesthésie chez un
patient polytraumatisé sont délicates. En effet, l’anamnèse et l’évaluation clinique restent fréquemment imprécises. L’urgence impose le
plus souvent, que ce soit en milieu préhospitalier ou intrahospitalier, l’anesthésie d’un patient instable ou stabilisé provisoirement dont le
bilan lésionnel est inachevé.
Évaluation de la gravité où ils sont très utilisés pour le triage dans les pays anglo-saxons. En
effet, une évaluation chiffrée dès ce stade permet d’estimer la gravité
du polytraumatisme du tableau et, en conséquence, de décider d’orienter ou non le patient
vers un « Trauma Center ». En France, où la prise en charge préhospi-
FACTEURS PRONOSTIQUES talière est médicalisée, l’intérêt d’un tel outil de triage est plus limité ;
– les scores anatomiques décrivent les lésions de la victime et en
Les accidents représentent globalement la 4e cause de mortalité en conséquence ne peuvent être calculés qu’a posteriori, en analysant le
France et aux États-Unis, après les maladies cardiovasculaires, les dossier ou le rapport d’autopsie. Le chef de file de ces scores est
cancers et les pathologies cérébrovasculaires, mais ils arrivent en tête l’Abreviated Injury Score (AIS) qui a été modifié à plusieurs reprises
chez les sujets de 1 à 35 ans. En Europe, les accidents de la voie publi- depuis 1970 [5]. Ce score permet de classer par ordre de gravité les
que, générant en France 9 000 décès par an, sont les principaux res- lésions de six régions déterminées du corps. À l’aide d’un dictionnaire
© Groupe Liaisons SA, février 2001. La photocopie non autorisée est un délit.
ponsables de traumatismes. Leur incidence annuelle est de 363 pour descriptif, on cote les lésions de chaque territoire de 1 à 6, 6 dési-
100 000 habitants, avec 15 décès immédiats pour 100 000 habitants gnant par convention une lésion mortelle d’emblée. L’AIS, qui s’appli-
[3]. que à des traumatismes fermés et pénétrants, est bien corrélé à la
L’analyse précise des circonstances de l’accident permet d’établir mortalité, à condition de tenir compte de l’âge de la victime. À partir
une première approche de la gravité potentielle du traumatisme. Le de l’AIS, il est facile de calculer l’Injury Trauma Score (ISS) qui est la
type d’impact, la violence du choc, l’origine du traumatisme condi- somme des carrés des AIS des trois lésions principales du blessé [6].
tionnent l’extension et la gravité des lésions. Par exemple, toute décé- Les scores anatomiques servent principalement à classer les blessés
lération brutale doit faire suspecter un traumatisme du rachis, et un dans des groupes de gravité équivalente, ce qui est fondamental pour
choc thoracique direct doit faire rechercher des lésions pulmonaires, les étudier. Ils s’intègrent aussi dans les outils d’évaluation de la qua-
cardiaques et aortiques. lité et du pronostic ;
saxon. Le TRISS, comme les scores qui sont à sa base, notamment imputable au traumatisme, soit favorisée par la mise en route d’une
l’AIS et l’ISS, a des limitations importantes qui amènent à analyser ventilation mécanique.
individuellement le cas de chaque patient, quand le pronostic est
apparemment aberrant. Les principaux griefs que l’on peut for- ■ Détresses circulatoires
muler à son encontre sont la limitation des lésions à 3, et donc
l’absence de prise en compte de lésions secondaires, ainsi que la Il faut rechercher immédiatement le pouls carotidien, chez tout
faible intégration de l’âge de la victime. D’autres scores tels que patient inconscient ou quand la pression artérielle est imprenable. La
l’ASCOT (A Severity Characterisation Of Trauma) ont été déve- première cause de détresse circulatoire chez le polytraumatisé est
loppés pour pallier ces défauts, mais le TRISS reste la méthode de l’hypovolémie (Tableau 4), qui peut induire un arrêt cardiorespiratoire
loin la plus employée. se traduisant le plus fréquemment par un rythme sans pouls. La réa-
nimation cardiopulmonaire (RCP) est inefficace en l’absence de traite-
ment étiologique. À l’inverse, dans les lésions médullaires, la réponse
Évaluation de la gravité du polytraumatisme à la RCP est rapide, avec un faible remplissage. Toute hémorragie
• Les détresses vitales et les lésions présentes chez le polytrau- extériorisée doit être contrôlée par la compression directe d’un tronc
matisé se potentialisent. artériel ou par un pansement compressif.
• Le mécanisme lésionnel et le contexte accidentel doivent être
systématiquement recherchés, afin d’orienter la recherche de cer- ● Tableau 3 Principales causes de détresse respiratoire
taines lésions.
• Le score de Glasgow permet une évaluation précise et repro- Traumatisme crânien avec coma profond
ductible de l’état neurologique. Obstruction des VAS : corps étranger, fracture du pharynx
• Le RTS objective précisément la conjonction des détresses res-
piratoire, hémodynamique et neurologique, le TRISS est la Pneumothorax ou hémopneumothorax
méthode de référence pour analyser le pronostic. Traumatisme pariétal étendu
● Tableau 4 Principales causes de détresse circulatoire la pression artérielle, surtout de sa valeur moyenne, reste une moda-
lité efficace de surveillance de l’état hémodynamique du patient trau-
Hypovolémie, hémorragie matisé. En effet, Velmahos et coll. démontrent la bonne corrélation
Pneumothorax suffocant entre la PNI et l’index cardiaque mesurés chez le patient traumatisé
[10]. L’oxymétrie pulsée peut être gênée par la vasoconstriction
Contusion myocardique secondaire à l’état de choc ou à l’hypothermie.
Infarctus du myocarde La capnographie et la capnométrie (PETCO2) sont utiles pour la
vérification de la bonne position de la sonde d’intubation [11]. Elles se
Épanchement péricardique compressif (tamponade) révèlent indispensables à l’adaptation de la ventilation mécanique
Embolisation
chez le polytraumatisé ayant une instabilité hémodynamique [12].
Chez le traumatisé crânien, il faut de plus assurer une légère hyper-
Lésions médullaires hautes ventilation (PETCO2 = 30 mmHg). Une baisse brutale de la PETCO2, en
l’absence de modification ventilatoire, peut témoigner d’un collapsus
● Tableau 5 Indications de l’intubation trachéale brutal.
Score de Glasgow ≤ 8
INTUBATION TRACHÉALE
États de choc
■ Intubation trachéale en urgence
Obstruction des voies aériennes
Le contrôle des voies aériennes est indispensable pour améliorer
États d’agitation nécessitant une sédation les échanges gazeux et les protéger de l’inhalation bronchique. L’intu-
bation chez le patient traumatisé répond à un critère d’urgence et de
Hypoxie
réanimation, ne permettant pas une anamnèse ou un examen clini-
Arrêt cardiorespiratoire que précis. Les indications de l’intubation trachéale sont exposées
dans le tableau 5. La préoxygénation doit être systématique avant
toute tentative d’intubation. La méthode de référence est la ventilation
■ Détresses neurologiques spontanée au masque facial. Parfois insuffisante ou totalement ineffi-
Cliniquement, on ne peut évaluer précisément l’état neurologique cace, la ventilation manuelle au masque expose au risque d’inhalation
d’un traumatisé que si la ventilation et la circulation sont contrôlées. bronchique.
Signalés par une agitation, des troubles de conscience pouvant appa- Le polytraumatisé est un patient à l’estomac plein et, le trauma-
raître après un intervalle libre ou par un coma susceptible de s’aggra- tisme perturbant la motricité digestive, il est impossible de prédire le
ver rapidement ; il faut en évaluer la profondeur grâce à l’échelle moment de la vacuité digestive [13]. De plus, outre le traumatisme lui-
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numérique de Glasgow. Des facteurs autres que le traumatisme crâ- même, l’ingestion d’alcool ou de médicaments, le choc, la douleur et
nien peuvent induire un coma (intoxication éthylique aiguë, hypoten- l’anxiété peuvent majorer le ralentissement de la vidange gastrique.
sion, hypoxie) et doivent être systématiquement recherchés. L’augmentation de la pression intra-abdominale est directement
transmise à l’estomac et, normalement, il n’existe aucun gradient de
■ Désordres métaboliques pression entre ces deux structures. Le sphincter inférieur de l’œso-
phage évite en situation habituelle les régurgitations, mais de nom-
Le traumatisme, la perfusion de solutés non réchauffés, les condi-
breux médicaments diminuent son tonus. Expérimentalement,
tions climatiques sont source d’hypothermie qu’il est indispensable
Tournadre a pu démontrer que la succinylcholine, associée soit au
de limiter. L’hypothermie peut en effet altérer l’hémodynamique,
propofol soit au thiopental, augmentait la pression du sphincter infé-
l’hémostase et provoquer des désordres immunitaires. Un choc
rieur de l’œsophage [14]. De nombreuses études ont retrouvé une
hémorragique est responsable d’une acidose métabolique, secon-
corrélation entre un taux élevé de pneumopathie d’inhalation et la
daire à la souffrance tissulaire. Cette acidose diminue la contractilité
réalisation d’une induction anesthésique en urgence. En 1973, Came-
myocardique, la vasoconstriction et l’efficacité des catécholamines. Il
ron rapportait une mortalité parallèle au nombre de lobes pulmo-
faut donc, impérativement, corriger l’acidose et traiter l’état de choc, et
naires atteints (41 % pour un lobe atteint, 90 % pour deux lobes ou
non injecter des bicarbonates.
plus). La régurgitation comporte l’inhalation de débris alimentaires,
de sang, d’os ou de liquide gastrique. Les particules de petite taille
MONITORAGE induisent de petits collapsus pulmonaires, et les volumineuses des
Un monitorage de la respiration, de la fréquence cardiaque, de la obstructions pulmonaires complètes. L’inhalation de liquide gastrique
pression artérielle non invasive (PNI) et de l’oxymétrie pulsée (SpO2) [15] génère des brûlures chimiques des voies aériennes dont l’impor-
doit être mis en place le plus rapidement possible. Il permet de dépis- tance dépend à la fois du degré d’acidité et du volume inhalé. Les ris-
ter toute aggravation brutale et de surveiller l’efficacité des traite- ques deviennent importants à partir d’une inhalation de 0,4 mL/kg à
ments entrepris. Les variations de la pression artérielle et de la un pH < 2,5 [16]. Afin de limiter les effets délétères des inhalations, il
fréquence cardiaque ne reflètent pas que la volémie, et peuvent en est indispensable de disposer d’un aspirateur de mucosités relié à des
particulier être liées à la douleur. Quoi qu’il en soit, le monitorage de sondes de gros calibre [14, 16]. Dans l’urgence qui caractérise la prise
■ Intubation difficile [37, 38], mais elle est loin d’être facile et ne permet chez l’adulte que
L’incidence de l’intubation difficile est très variable en médecine l’introduction d’une sonde d’intubation de calibre 6,5. De plus, on
préhospitalière et dépend avant tout de la façon dont on la définit. En risque au cours de la manœuvre de mobiliser le masque laryngé. Afin
France, elle varie de 4 à 11 % lors de la première tentative, et de 2 à de faciliter cette intubation, un masque laryngé modifié a été conçu :
3 % après trois tentatives (soit une valeur proche de celle du bloc le Fastrach.
opératoire) [20-23]. L’intubation difficile est habituellement due à une Le COPA ressemble à une canule de Guédel munie d’un ballonnet.
difficulté voire à l’impossibilité de visualiser l’orifice glottique. En Facile d’emploi, il ne constitue qu’un moyen de sauvetage car il
médecine préhospitalière, la plupart des difficultés rencontrées sont n’assure aucune protection des voies aériennes.
imputables à une mauvaise technique, mais il existe des intubations
difficiles vraies [24]. En urgence, on ne peut habituellement pas
rechercher les critères objectifs d’intubation difficile auxquels on se ● Tableau 6 Facteurs influençant la réalisation d’une intubation
réfère lors d’anesthésies programmées (ouverture de bouche, score orotrachéale chez le traumatisé
de Mallanpati, distance thyromentonnière), mais certaines particula-
Immobilisation cervicale, maintien de l’axe tête-cou-tronc
rités anatomiques doivent rendre prudent : cou court, incisives supé-
rieures proéminentes, micromandibulie (Tableau 6). À ces critères Cou court
anatomiques s’ajoutent des facteurs dépendant de la pathologie, des
conditions de prise en charge ou des facteurs environnementaux. Incisives proéminentes
Le respect de l’axe tête-cou-tronc, l’immobilisation du rachis cervi- Rétrognatisme ou micromandibulie
cal par un collier cervical rigide en cas de traumatisme crânien rend
l’exposition de la glotte difficile [25]. Un traumatisme facial, par la pré- Traumatisme facial
sence de sang, de débris intrabuccaux ou par une mobilité des maxil- Traumatisme du larynx
laires, peut gêner l’intubation. Mais Vijayakumar, dans une étude
récente portant sur 160 patients, n’a pas constaté de majoration de Insuffisance de sédation et/ou absence de curarisation
L’intubation transtrachéale rétrograde est une technique simple et culaire sur le pronostic et la morbidité postopératoire [39]. Ainsi, le
facile. Elle nécessite un kit spécifique qui permet de ponctionner la pronostic était plus favorable chez les patients qui ne recevaient
membrane intercricothyroïdienne. Le guide métallique, introduit au aucun remplissage à la phase préhospitalière et à la phase préopéra-
travers de l’aiguille, est orienté vers la bouche, puis la sonde d’intuba- toire par rapport aux réanimations classiques. Mais cette étude
tion est introduite sur le guide. souffre de nombreux biais : les traitements complémentaires, les
Dans la ventilation transtrachéale percutanée, on introduit un lésions associées et les causes de la mortalité n’étaient pas précisés ;
cathéter court au niveau de la membrane intercricothyroïdienne. le protocole n’a bien souvent pas été respecté ; le remplissage
Cette technique est une solution d’attente, de sauvetage. En effet, elle du groupe témoin équivalait à quelques centaines de mL de cristal-
ne permet qu’une oxygénation et non une réelle ventilation. loïdes ; enfin, l’analyse statistique est discutable [40].
La cricothyroïdotomie percutanée ou la coniotomie sont des Le remplissage vasculaire est effectué par des cristalloïdes, des col-
méthodes simples d’emploi mais il faut parfaitement connaître l’ana- loïdes ou les deux. Rien ne permet d’affirmer la supériorité d’une de
tomie et la technique afin d’éviter des complications dramatiques. La ces solutions. En effet, des méta-analyses ont récemment rapporté la
trachéotomie chirurgicale n’a aucune indication en médecine pré- supériorité des colloïdes, et en particulier de l’albumine, mais elles
hospitalière. portaient sur de faibles effectifs, d’âges et de pathologies différentes
[41, 42]. Les cristalloïdes isotoniques diffusent rapidement dans le
PRISE EN CHARGE HÉMODYNAMIQUE tissu interstitiel et procurent une expansion volémique de 30 % envi-
ron. Ils sont dépourvus d’effet anaphylactique. Les colloïdes ont un
■ Remplissage vasculaire pouvoir oncotique et une durée d’expansion volémique qui dépen-
dent des caractéristiques physiques de chaque solution, mais tou-
L’hypovolémie secondaire à une hémorragie extériorisée ou non,
jours supérieurs aux cristalloïdes iso-osmotiques. Les gélatines
est la première cause de désordre hémodynamique chez le polytrau-
peuvent induire des réactions anaphylactoïdes, et les hydroxyéthyl-
matisé. La compensation de cette hypovolémie nécessite un apport
amidons des troubles de l’hémostase, par altération des fonctions
rapide de solutés, imposant deux abords veineux périphériques avec
plaquettaires.
des cathéters courts de gros calibre (14 ou 16 G). En raison de la
vasoconstriction, il faut choisir les veines céphalique et basilique au Les cristalloïdes hypertoniques et des solutés transporteurs d’oxy-
pli du coude, la veine saphène interne ou la veine fémorale. En cas gène ont été proposés. Bien que prometteurs, ils sont encore à l’étude
d’échec, il faut recourir à un abord veineux central (jugulaire interne, et leur utilisation n’est pas généralisée [43].
sous-clavière) qui ne constitue pas une voie de remplissage. Long à Le remplissage vasculaire rapide et prolongé induit une hémodilu-
poser, il nécessite une parfaite maîtrise de la technique afin de limiter tion responsable de troubles de l’hémostase et d’une diminution du
les risques iatrogènes (hématome, pneumothorax, hémopneumo- transport de l’oxygène, ce qui aggrave l’ischémie tissulaire, surtout si
thorax). La voie intra-osseuse, utilisée chez l’enfant car de réalisation la volémie n’est pas correctement compensée. Une non-réponse au
simple, permet en revanche un remplissage rapide dans un espace remplissage rapide après une perfusion d’un équivalent de 2 000 mL
de cristalloïdes environ, témoigne d’une hémorragie particulièrement
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jamais collabé. Le but de la réanimation hémodynamique préhospi-
talière est de maintenir une pression de perfusion satisfaisante per- active et souligne l’urgence de l’hémostase chirurgicale. L’efficacité du
mettant le transport vers l’hôpital. Cette pression de perfusion remplissage vasculaire est suivie sur la disparition des signes de choc
dépend des lésions présentes ou présumées. S’il s’agit d’une lésion et la stabilisation de la pression artérielle. La réalisation d’un micro-
unique, un certain degré d’hypotension est facilement supporté hématocrite ou d’une analyse rapide de l’hémoglobine permet d’éva-
(pression artérielle systolique à 80 mmHg en l’absence de trauma- luer le degré d’hémodilution [44].
tisme crânien). À l’inverse, chez le traumatisé crânien atteint de lésions
multiples, toute hypotension artérielle peut considérablement ■ Oxygénothérapie
aggraver l’atteinte cérébrale. Il faut dans ce cas maintenir une pres-
Le choc hémorragique induit une hypoperfusion tissulaire entraî-
sion artérielle systolique de 110 à 120 mmHg. Cette attitude, prônée
nant une inadéquation entre les apports et les besoins en O2. Il faut
par les équipes préhospitalières européennes, est très décriée par les
donc administrer de l’oxygène, soit à haute concentration par un
tenants du « scoop and run » (traduction littérale : jeter un coup d’œil
masque facial, soit par une intubation et une ventilation mécanique.
et courir). Ces derniers, en se fondant sur des études expérimentales
utilisant un modèle d’hémorragie non contrôlée, considèrent que le
remplissage vasculaire est inutile et dangereux avant le contrôle ■ Vasoconstricteurs
chirurgical de l’hémorragie. Le principal argument des opposants à À la phase initiale du choc hémorragique, les médicaments vaso-
tout remplissage vasculaire au cours des hémorragies est que l’aug- actifs (dopamine, adrénaline) peuvent permettre de maintenir la pres-
mentation de la pression artérielle est une source d’augmentation du sion artérielle et la pression de perfusion des organes lésés, en
saignement. De plus, l’hémodilution induite par le remplissage vas- attendant que le remplissage vasculaire fasse son effet. Aucune étude
culaire provoque des troubles de la coagulation qui pérennisent le n’a mis en évidence leur efficacité en termes de mortalité ou de mor-
saignement. Ces données expérimentales sont toutefois difficiles à bidité dans ces circonstances, mais l’administration d’adrénaline peut
transposer en clinique. Une seule étude randomisée, incluant des s’avérer nécessaire en cas de collapsus brutal lors de la manipulation
patients ayant une hypotension secondaire à un traumatisme péné- du patient hypovolémique, lors de l’induction d’une anesthésie géné-
trant du thorax, a rapporté des effets négatifs du remplissage vas- rale ou lors d’un syndrome de levée brutale d’une compression.
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mettent de détecter les lésions responsables des détresses mais aussi
de mettre en évidence des lésions latentes. Ainsi, le scanner cérébral
doit être systématique chez tout patient devant bénéficier d’une anes-
Prise en charge initiale des détresses vitales thésie générale et ayant présenté un traumatisme crânien, même
• Au stade initial de la prise en charge d’un traumatisé, quelles mineur. Les autres examens complémentaires sont réalisés en fonc-
que soient les circonstances, il faut vérifier et contrôler la liberté tion des circonstances de l’accident ou du tableau clinique (radiogra-
des voies aériennes, l’oxygénation et l’hémodynamique. phie de membres, scanner thoracique ou abdominal, artériographie) ;
• Les causes de détresses respiratoires peuvent être multiples – le patient ne présente aucune détresse mais le mécanisme lésion-
chez le polytraumatisé : atteinte centrale, obstruction des voies nel peut faire craindre l’existence de lésions potentiellement graves
aériennes, lésion pleuropulmonaire. (défenestré de grande hauteur, passager d’un véhicule où les autres
• La première cause de détresse circulatoire chez le polytrauma- occupants sont décédés, etc.). Dans ce cas, même quand l’examen cli-
tisé est l’hypovolémie.
• Un monitorage de la respiration, de la fréquence cardiaque, non ● Tableau 8 Explorations complémentaires systématiques à effectuer
invasif de la pression artérielle et de l’oxymétrie pulsée doit être chez le patient polytraumatisé stabilisé
mis en place le plus rapidement possible.
Groupe , RAI
• La pression cricoïdienne est la technique la plus efficace pour
Numération sanguine et plaquettes, hémostase
prévenir les régurgitations lors de l’intubation. Bilan biologique
Gaz du sang
• L’hypotension relève d’un remplissage vasculaire, d’une oxygé- Ionogramme sanguin, urée, créatinine
nation et éventuellement de vasoconstricteurs.
• La sédation en préhospitalier doit être systématique si on envi- Radiographie de thorax (face)
Radiographie de rachis cervical, dorsal et lombaire
sage une intubation endotrachéale.
Bilan anatomique Radiographie de bassin
• L’analgésie repose sur la morphine chez le patient ne nécessi- Échographie abdominopelvienne
tant pas d’hypnotique. Scanner cérébral
d’autres. Tout traumatisme du thorax impose la réalisation systéma- Le recueil de la diurèse est un indicateur de la perfusion viscérale
tique d’un électrocardiogramme, à la recherche de troubles de la mais aussi de l’hémolyse et de l’intégrité du tractus urinaire. Le son-
conduction ou de la repolarisation pouvant évoquer une contusion dage urinaire est contre-indiqué chez l’homme si on suspecte une
myocardique. Ce bilan pourra être complété par une échocardio- lésion urétrale.
graphie qui permettra de confirmer un diagnostic lésionnel ou de Le monitorage de la température centrale est indispensable dès
rechercher l’étiologie de troubles hémodynamiques. l’arrivée du patient, surtout s’il a séjourné en ambiance froide, humide
Une douleur abdominale, un trouble de conscience ou des perturba- ou en cas de remplissage massif.
tions hémodynamiques doivent faire effectuer une échographie abdo- Comme à la phase préhospitalière, les mesures de la saturation en
minopelvienne afin de rechercher des épanchements intra-abdominaux oxygène et de la PETCO2, bien qu’essentielles, peuvent être difficiles à
dont l’étendue et l’étiologie pourront être confirmées par un scanner. Il interpréter en cas de choc.
faut systématiquement rechercher des lésions rénales par une urogra-
phie intraveineuse, éventuellement réalisable au décours d’un scanner. ■ Voies aériennes et intubation
On effectue en général une radiographie du bassin en cas de choc Le maintien de la liberté des voies aériennes répond aux mêmes
violent ou de lésions abdominopelviennes, devant les difficultés du impératifs qu’en préhospitalier. La réalisation de l’intubation endo-
diagnostic clinique de ces lésions. Des douleurs ou des déformations trachéale est soumise aux mêmes contraintes, mais elle s’effectue
des membres doivent être explorées par des radiographies. souvent dans de meilleures conditions du fait de l’environnement
professionnel (personnel compétent, brancard ou table d’opération
■ Monitorage et surveillance adaptés). En cas d’intubation difficile, on peut recourir aux moyens
La surveillance du rythme cardiaque peut parfois être faussement décrits à la phase préhospitalière, mais la technique de référence est
rassurante. En effet, en cas d’hypovolémie, l’arrêt cardiaque se mani- l’intubation par fibroscopie. Quand on craint une intubation difficile,
feste le plus fréquemment par un rythme sans pouls. Il convient donc que ce soit en raison de la morphologie du patient ou d’une patholo-
de surveiller de façon attentive la pression artérielle moyenne qui gie sous-jacente connue, on peut utiliser cette technique en première
reste un bon reflet de l’hémodynamique. Afin d’améliorer la sur- intention. Elle devient plus hasardeuse lorsque des tentatives d’intu-
bation ont fait saigner une glotte devenue œdémateuse ou lorsqu’il PRISE EN CHARGE PEROPÉRATOIRE
existe un saignement buccopharyngé. La voie nasotrachéale, classi-
La prise en charge peropératoire du polytraumatisé repose avant
quement employée, ne peut être utilisée qu’après avoir formellement
tout sur la poursuite des traitements entrepris depuis la phase
éliminé une lésion de la base du crâne.
préhospitalière. Ces patients peuvent subir des interventions très
■ Détresse circulatoire diverses, de la chirurgie de sauvetage (thoracotomie ou laparotomie
La poursuite d’un remplissage vasculaire est parfois nécessaire afin d’hémostase, décompression d’un hématome intracrânien) à la
de maintenir l’hémodynamique. La pose de voies veineuses supplé- réduction d’une fracture périphérique.
mentaires dès l’arrivée du patient peut s’avérer indispensable mais
parfois difficile, du fait de la vasoconstriction secondaire à l’hypovolé- ■ Monitorage
mie et à l’hypothermie. Le débit de perfusion par une voie veineuse Le monitorage mis en place initialement est vérifié et maintenu. De
dépend de plusieurs facteurs : taille du cathéter intraveineux, pression nouveaux appareils de monitorage du rythme cardiaque permettent
régnant dans la veine et viscosité du soluté de remplissage. Quand le de détecter une ischémie myocardique, sous réserve d’utiliser au
remplissage se fait par un système simple utilisant la pesanteur, le moins la dérivation DII et de monitorer le segment ST. L’ischémie
débit dépend du diamètre du cathéter. L’adjonction d’accélérateurs de myocardique peut être évoquée soit devant un sous-décalage hori-
perfusion à galets permet un débit constant et élevé. zontal, ascendant ou descendant, soit devant un sus-décalage. On ne
Le rétablissement de la volémie est la première urgence, mais il faut peut porter le diagnostic d’ischémie myocardique que si les modifica-
également maintenir une masse globulaire équivalente à une hémo- tions du segment ST durent plus de 20 secondes [62].
globinémie comprise entre 8 à 10 g/100 mL. La sécurité transfusion- La réalisation de microhématocrites et la détermination du groupe
nelle impose l’apport d’une transfusion isogroupe, isorhésus. En sanguin au chevet du malade sont les seuls résultats biologiques
urgence, l’attente de ce sang peut faire courir un risque vital. Il faut dont nous pouvons, en pratique disposer instantanément au bloc
alors, après réalisation d’un prélèvement pour groupe sanguin, trans- opératoire à l’heure actuelle. La généralisation des minilaboratoires
fuser le patient en culots globulaires O négatif s’il s’agit d’une femme portables permettra également de disposer des gaz du sang, du
et O positif s’il s’agit d’un homme. ionogramme sanguin et de l’hémogramme.
L’apport massif de solutés induit des complications spécifiques ■ Induction anesthésique
s’intriquant à la pathologie initiale. Les troubles de l’hémostase sont
Les anesthésiques utilisés pour l’induction anesthésique doivent
le plus souvent dus à la dilution des facteurs de la coagulation et des
permettre une perte de conscience rapide sans induire de perturba-
plaquettes. Leur traitement repose sur l’administration de plasma
tion hémodynamique. En effet, l’induction anesthésique peut démas-
frais congelé et de concentrés plaquettaires. La survie des patients ne
quer une hypovolémie, induisant une hypotension auparavant
semble pas être corrélée à l’importance de la transfusion mais plus à
compensée par une vasoconstriction sympathique. Aucun agent
la gravité de la pathologie et à la qualité de sa prise en charge [58, 59].
n’apparaît ici comme idéal ; ainsi, on peut utiliser les barbituriques, la
Des transfusions importantes induisent une hypothermie, une aci-
kétamine, les benzodiazépines et l’étomidate [63], à condition de maî-
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dose, une hyperkaliémie, une hypocalcémie [60, 61].
triser parfaitement leurs maniements.
En fonction des résultats des examens complémentaires et de
l’évolution du patient au cours de la réanimation, on peut classer les ● Barbituriques
lésions par ordre de priorité thérapeutique, puis intervenir chirurgica- Le thiopental est l’agent de référence pour une anesthésie à
lement, le plus souvent en un temps, au besoin avec plusieurs équi- séquence rapide. La profondeur de l’anesthésie est atteinte en 30 à
pes spécialisées. 60 secondes, coïncidant avec le pic d’action du suxaméthonium. Lors
de l’attaque de Pearl Harbor, l’utilisation de fortes doses de thiopental
Prise en charge hospitalière préopératoire chez les blessés hypovolémiques, a occasionné de profondes hypo-
• L’admission d’un patient répond à deux impératifs : nécessité de volémies et des arrêts cardiorespiratoires [64]. Plus l’injection est
faire face à une urgence thérapeutique en cas de détresse vitale et rapide, plus le risque d’effets hémodynamiques est important. La res-
obligation de diagnostiquer toutes les lésions en cause. tauration de la volémie avant l’induction et l’injection de petites doses
• Chez un patient stabilisé et monitoré, un bilan lésionnel complet de thiopental autorisent son emploi chez le patient traumatisé.
permet de hiérarchiser les lésions et les traitements à entreprendre. ● Kétamine
• Tout patient présentant un traumatisme crânien avec troubles
L’administration intraveineuse de kétamine à la dose de 2 mg/kg
de conscience doit être considéré comme ayant un traumatisme
induit une perte de conscience en moins d’une minute. Ses effets car-
du rachis, jusqu’à preuve du contraire.
diovasculaires chez le sujet sain sont doubles : action vasodilatatrice
• Le monitorage du rythme cardiaque doit se doubler de celui de
directe sur les vaisseaux et effets sympathomimétiques dépendant de
la pression artérielle.
l’augmentation de la sécrétion d’adrénaline et de noradrénaline. En
• L’échographie transœsophagienne permet de monitorer la volé-
cas de choc prolongé, une insuffisance de sécrétion des catécholami-
mie et la fonction cardiaque.
nes peut démasquer l’effet vasodilatateur [65]. Une étude expérimen-
• Le rétablissement de la volémie est la première urgence, mais il
tale chez les singes hypovolémiques démontre la rapidité de la
faut également maintenir une masse globulaire équivalente à une
réaction sympathique à l’hypovolémie. La stimulation exogène du
hémoglobinémie comprise entre 8 à 10 g/100 mL.
système sympathique par l’injection de kétamine semble participer
● Étomidate ■ Entretien
Pour obtenir une induction rapide, la posologie utile de l’étomidate Pour l’entretien de l’anesthésie, il est indispensable de choisir des
est de 0,25 mg/kg. Il est exclusivement métabolisé par le foie, et toute agents ayant un minimum de retentissement physiologique. On
diminution du débit hépatique ralentit sa vitesse d’élimination. Il recourt le plus souvent à une anesthésie balancée. Avec les halo-
confère une stabilité hémodynamique, que le patient soit normo- ou génés, on peut effectuer une titration dont la modulation dépend du
hypovolémique. On peut donc le recommander en cas de choc, mais type de chirurgie et de l’état du patient. Cependant, tous ces agents
il inhibe la sécrétion de corticoïdes, diminue la réponse à l’ACTH et le diminuent la contractilité myocardique et les résistances vasculaires
taux d’aldostérone [73]. Chez le traumatisé, cet effet, qui apparaît dès systémiques. L’isoflurane, le desflurane, le sévoflurane semblent avoir
la première injection d’étomidate, peut se révéler particulièrement des effets similaires. Le protoxyde d’azote doit être évité. Il induit une
néfaste [74-76] mais les manifestations d’insuffisance surrénalienne dépression myocardique, mais les études expérimentales démontrant
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ne surviennent que pour des perfusions prolongées. Cet effet indési- son action sur la contractilité myocardique sont controversées
rable est parfaitement corrigé par un traitement substitutif, et permet [85, 86]. Très diffusible, il risque de provoquer une distension gazeuse
d’utiliser l’étomidate en toute sécurité. des cavités naturelles ou artificielles, pouvant démasquer brutalement
un pneumothorax ou une embolie gazeuse. Enfin, il limite les possibi-
● Propofol lités d’apport d’oxygène.
À la dose de 2,5 mg/kg, le propofol procure une perte de cons- Les morphiniques sont fréquemment utilisés pour l’entretien de
cience en moyenne en 35 secondes. Son injection rapide dans une l’anesthésie chez le polytraumatisé. Ils réduisent les effets hémodyna-
veine périphérique est douloureuse. Les effets hémodynamiques du miques liés à la chirurgie. Il faut en diminuer les doses (sufentanil,
propofol sont plus importants que ceux du thiopental chez les fentanyl, alfentanil) en cas d’hypovolémie. L’analgésie est assurée par
patients ASA I et II. Le propofol diminue notablement les résistances une perfusion continue dont on peut ajuster le débit en fonction du
vasculaires systémiques, avec hypotension artérielle, ce qui rend cet type d’intervention et de l’hémodynamique. Le rémifentanil possède
agent difficilement utilisable chez le patient hypovolémique [77]. des propriétés pharmacocinétiques théoriquement intéressantes :
délai et durée d’action brefs et prévisibles, et relation dose-effet
● Morphiniques étroite. Mais on ne connaît pas encore les effets de cet agent dans
En séquence d’induction habituelle, le fentanyl ou le sufentanil l’hypovolémie.
sont administrés quelques minutes avant l’intubation afin d’en limiter Les myorelaxants sont administrés sous couvert d’un monitorage
les effets hémodynamiques, mais une telle pratique est dangereuse de la curarisation. Tous les curares non dépolarisants peuvent être
en médecine d’urgence. Le choc hypovolémique modifie la pharma- utilisés en relais du suxaméthonium. Seuls les antécédents du patient
cocinétique des morphiniques (augmentation des concentrations guident le choix.
plasmatiques, diminution de la distribution et de l’excrétion rénale)
[78, 79]. Des doses de 5 μg/kg de fentanyl ou de 1 à 2 μg/kg de ■ Complications
sufentanil peuvent induire une rigidité thoracique, une hypotension L’anesthésie d’un polytraumatisé présentant de multiples lésions
artérielle et des mouvements tonicocloniques [80]. Chez le patient est une anesthésie à risque, grevée de complications parfois vitales.
Nous n’aborderons pas les complications directement liées à la chi- lées, que les principales lésions sont traitées et que les examens
rurgie. La principale complication est l’arrêt cardiaque, le plus souvent effectués préalablement sont attentivement revus, on peut décider
secondaire à une hypovolémie. Dû à un « désamorçage », il survient d’investigations supplémentaires afin de dépister des lésions secon-
en général au décours immédiat de l’incision chirurgicale. On peut le daires. Une lésion oubliée (du rachis, des membres par exemple) peut
détecter rapidement par palpation du pouls carotidien (fréquence se révéler secondairement par une complication grave ou être à l’ori-
élevée des rythmes sans pouls). Son traitement repose sur un rem- gine de séquelles aux lourdes implications médicolégales.
plissage massif et sur les algorithmes habituels de l’arrêt cardiaque au Ainsi, après vérification de l’anamnèse du patient et de la correction
bloc opératoire. des lésions reconnues, on peut décider d’une extubation quand l’état
Le polytraumatisé présente à la fois une coagulopathie de dilution de conscience et la température sont normaux, l’hémodynamique
et de consommation. Il existe donc fréquemment un saignement dif- stable et la fonction ventilatoire satisfaisante. Si à l’inverse, il faut
fus et incontrôlable auquel peut s’ajouter une microthrombose dif- maintenir l’intubation, la ventilation et la sédation, la première
fuse. La biologie met en évidence un taux de plaquettes effondré, un complication postopératoire est l’infection pulmonaire, favorisée par
taux de fibrinogène inférieur à 1 g/L et la présence de produits de la présence d’un traumatisme thoracique [88]. Dès l’arrivée en salle de
dégradation de la fibrine. La première étape du traitement repose, si réveil ou en réanimation, outre la poursuite du monitorage aupara-
possible, sur la correction de l’étiologie. Ensuite, il faut perfuser des vant mis en place, il faut effectuer une radiographie du thorax et un
plaquettes, du plasma frais congelé et des cryoprécipités, sans atten- dosage des gaz du sang. La radiographie contrôle la position de la
dre les résultats des prélèvements biologiques. Il faut maintenir un sonde d’intubation et de la voie veineuse centrale et recherche un
taux de plaquettes supérieur à 100 000 et un taux de fibrinogène à épanchement pleural ou une atteinte parenchymateuse, et les gaz du
2 g/L. sang permettent d’ajuster les paramètres ventilatoires.
L’hypothermie est la complication la plus fréquente chez le poly- L’insuffisance rénale est fréquente au décours d’un traumatisme.
traumatisé. Elle réduit le métabolisme de base de 8 % (pour chaque Initialement fonctionnelle, elle peut devenir organique quand une
degré Celsius perdu, la consommation d’oxygène est certes dimi- hypovolémie persiste, et surtout en présence d’un syndrome sep-
nuée), mais cet effet bénéfique est négligeable par rapport à ses effets tique, d’une rhabdomyolyse, d’injections répétées de produits de
indésirables. En effet, l’hypothermie augmente la viscosité sanguine, contraste ou de surdosages en antibiotiques. Il faut impérativement la
diminue le volume plasmatique, altère la fonction plaquettaire et pro- prévenir en corrigeant rapidement toute hypovolémie, que l’on peut
voque des troubles du rythme cardiaque. Si la température est dépister par la quantification de la diurèse et la surveillance des iono-
inférieure à 30 °C, la dépression de l’automatisme cardiaque grammes sanguins et urinaires.
s’accompagne d’une hyperexcitabilité [87]. Le polytraumatisé étant un L’infection sur cathéter est à redouter chez le polytraumatisé. Son
malade fragile, il faut avant tout prévenir toute hypothermie, en main- traitement est avant tout préventif. La première mesure consiste en
tenant une température ambiante chaude et en utilisant des liquides l’ablation ou le remplacement de tous les cathéters posés en extra-
de perfusion ou de lavage réchauffés, ainsi qu’une couverture chauf- hospitalier, dans les 24 heures suivant l’admission.
fante (type Bair Hugger). Le syndrome de défaillance multiviscérale est la complication la
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plus redoutable chez le polytraumatisé. Il est corrélé à la fois à la gra-
vité du traumatisme et à la durée du choc hémorragique. La libération
Prise en charge peropératoire d’endotoxines est un phénomène fréquent et précoce au décours des
• Les anesthésiques utilisés pour l’induction anesthésique doivent polytraumatismes, et Pfeiffer a rapporté 100 % de décès quand leur
permettre une perte de conscience rapide sans induire de pertur- taux dépassait 12 pg/mL [89]. L’atteinte respiratoire est la plus fré-
bation hémodynamique. quente, la plus précoce et la plus grave [90]. Le traitement de ce syn-
• Pour l’entretien de l’anesthésie, il faut choisir les agents ayant le drome est avant tout préventif, comportant un contrôle précoce de
moins de répercussions physiologiques. l’hémodynamique et de l’oxygénation.
• La principale complication peropératoire est l’arrêt cardiaque, le
plus souvent secondaire à une hypovolémie.
Prise en charge postopératoire
• Le polytraumatisé étant un malade fragile, il faut prévenir toute
hypothermie. • Une des principales préoccupations en postopératoire est la
lésion non détectée lors du bilan lésionnel effectué en urgence.
• En postopératoire, après la vérification de l’anamnèse et le trai-
Période postopératoire immédiate tement des lésions reconnues, une extubation peut être envisagée.
• Elle impose une normalisation de l’état de conscience et de la
La prise en charge postopératoire du polytraumatisé dépend de la température, une stabilité hémodynamique et une fonction venti-
gravité des lésions, de la durée de la chirurgie et de l’état antérieur du latoire satisfaisante.
patient. Une des principales préoccupations en postopératoire est la • Il faut impérativement prévenir le passage d’une insuffisance
lésion non détectée lors du bilan lésionnel effectué en urgence. Ce rénale fonctionnelle à une insuffisance rénale organique en corri-
risque est d’autant plus grand que le blessé présentait initialement geant rapidement toute hypovolémie.
une détresse vitale, ce qui a limité le nombre d’examens complémen- • Le syndrome de défaillance multiviscérale est la complication la
taires effectués à l’arrivée. Dès que les fonctions vitales sont contrô- plus redoutable chez le polytraumatisé.
Particularités en fonction du terrain varier la PIC et la PPC, ne provoquent pas d’ischémie cérébrale [94].
La curarisation ne sera poursuivie que si la sédation s’avère insuffi-
sante.
Nous décrirons ici certaines spécificités liées soit à l’état antérieur
Le pronostic des traumatismes crâniens est corrélé à la précocité et
du patient soit à l’association de diverses lésions. Mais il ne faut pas
à l’efficacité du traitement de toute détresse ventilatoire ou hémo-
oublier que l’essentiel est de respecter avant tout les règles de survie.
dynamique. Ainsi, dès l’admission, un contrôle clinique et biologique
des paramètres ventilatoires et hémodynamiques s’impose.
Outre la surveillance habituelle, chez un patient correctement
ANESTHÉSIE DU TRAUMATISÉ CRÂNIEN sédaté, perfusé et ventilé, il faut mesurer la PIC en continu chez tout
Un traumatisme crânien chez un polytraumatisé impose un exa- traumatisé présentant un score de Glasgow ≤ 8. Le scanner, même
men clinique minutieux et répété. Une altération de la conscience s’il n’est pas un critère suffisant pour décider de monitorer la PIC, a
rend l’interrogatoire impossible, mais n’est pas synonyme d’atteinte ici une valeur d’orientation car certaines images font évoquer une
neurologique, pouvant en particulier être secondaire à une hypovolé- hypertension intracrânienne : diminution de la visibilité des citernes
mie ou à une hypoxie. Dans ce cas les troubles de conscience s’atté- peripédonculaires, déviation de la ligne médiane de plus de 3 mm
nuent ou disparaissent avec leur correction. ou hémorragie sous-arachnoïdienne [95]. Toute hypertension intra-
Dès la prise en charge préhospitalière, il faut s’attacher à maintenir crânienne (PIC > 25 mmHg) doit être traitée, soit étiologiquement
une pression de perfusion cérébrale supérieure à 70 mmHg. En (cause métabolique ou cérébrale), soit par des solutions osmotiques
l’absence de monitorage, cela équivaut à maintenir une PAM supé- ou des diurétiques, soit encore par un drainage ventriculaire
rieure à 90 mmHg ou une PAS inférieure à 120 mmHg. On choisit les externe.
solutés de remplissage en fonction de leur osmolarité. Parmi les cris- Chez ces patients, quel que soit le type de chirurgie, l’anesthésie
talloïdes, l’osmolarité du chlorure de sodium à 0,9 % est de repose le plus souvent sur la poursuite de la sédation entreprise en
300 mOsm/kg ; celle du Ringer-lactate est de 255 mOsm/kg et ce préhospitalier ou dans l’unité d’accueil. Une légère augmentation
soluté doit être évité. Parmi les colloïdes, les hydoxyéthylamidons des doses d’anesthésiques et d’analgésiques est parfois utile, ainsi
seraient les solutés de choix mais leurs effets secondaires rendent qu’une curarisation. Le premier médicament utilisé est le midazolam,
leur emploi de plus en plus controversé. Il faut corriger au plus vite dont on limite les effets hémodynamiques en l’administrant en per-
toute hypotension par une expansion volémique et, si nécessaire, par fusion continue à doses croissantes. Le propofol abaisse la PIC, mais
l’adjonction de catécholamines. il faut l’utiliser avec prudence en raison de ses effets hémodynami-
ques puissants. Les barbituriques, longtemps recommandés comme
De même, l’hypoxie (< 65 mmHg), l’hypercapnie (> 45 mmHg)
protecteurs cérébraux, n’ont jamais réellement fait preuve de leur
mais aussi l’hypocapnie profonde (< 25 mmHg) sont délétères chez
efficacité. Au cours des administrations prolongées, ils s’accumulent
le traumatisé crânien. Le contrôle des voies aériennes et de la venti-
dans le tissu graisseux, avec risque de relargage et donc d’hypo-
lation est indispensable pour tout patient présentant un score de
tension artérielle grave. L’étomidate procure une bonne stabilité
© Groupe Liaisons SA, février 2001. La photocopie non autorisée est un délit.
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• L’incidence des décollements placentaires est de 2 à 4 % dans
plus petites.
les traumatismes mineurs et de 20 à 50 % dans les traumatismes
Le remplissage vasculaire doit être débuté précocement. Les col- majeurs.
loïdes sont déconseillés chez la femme enceinte, du fait des risques • Le fœtus étant très sensible à l’hypoxie maternelle, l’oxygéno-
d’anaphylaxie [43]. Les recommandations de consensus préconisent thérapie doit être précoce.
les cristalloïdes pour les hémorragies modérées et l’albumine à 4 % • Il faut éviter les vasoconstricteurs qui induisent une vaso-
pour les hypovolémies sévères. Mais, en pratique, l’albumine est rare- constriction placentaire diffuse et importante et détournent tout
ment disponible en préhospitalier et le risque anaphylactique devient ou partie de la circulation fœtale vers la mère, mais on peut être
relatif si le remplissage revêt un caractère vital pour la mère. La pré- amené à les utiliser pour sauver la vie de la mère.
vention du syndrome cave doit être précoce et permanente, y
compris au bloc opératoire et jusqu’à l’extraction fœtale. La patiente
doit être couchée systématiquement en décubitus latéral gauche
pour limiter les perturbations hémodynamiques de la compression ANESTHÉSIE DE L’ENFANT
aortocave. Si le décubitus latéral gauche est impossible, il faut sur- Les accidents de la voie publique représentent la première cause de
élever la hanche droite avec un drap roulé ou récliner manuellement mortalité chez l’enfant de plus d’un an. Chez l’enfant polytraumatisé,
l’utérus vers la gauche. Il faut éviter les vasoconstricteurs qui indui- la lésion prédominante est neurologique. L’objectif initial repose,
sent une vasoconstriction placentaire diffuse et importante et détour- comme chez l’adulte, sur le maintien d’une hémodynamique et d’une
nent tout ou partie de la circulation fœtale vers la mère. On peut ventilation efficaces. La désobstruction des voies aériennes (ouver-
cependant être amené à les utiliser pour un sauvetage maternel, si les ture de bouche, aspirations endobuccales, pose d’une canule de
autres traitements sont inefficaces [99]. L’adrénaline est alors le médi- Guédel) doit être systématique. En effet, tout corps étranger ou inha-
cament de choix. lation minime peut facilement obstruer les voies aériennes chez
L’induction et l’entretien anesthésique (monitorage, anesthési- l’enfant, cette obstruction étant facilitée par les caractéristiques anato-
ques) répondent aux mêmes règles que pour tout adulte polytrau- miques propres à cet âge. Les indications d’intubation et de ventila-
matisé. tion sont identiques à celle de l’adulte. L’intubation s’effectue par voie
[6] Baker SP, O’Neil B. The Injury Severity Score: an update. J Trauma
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