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Bernard MATHIEU
Institut d’égyptologie François Daumas
UMR 5140 (CNRS - Université Montpellier 3 Paul-Valéry)
La métrique est l’étude des formes poétiques régulières : vers ou « mètres » ou « stiches »,
groupes de vers (distiques, tristiques, stances, strophes), poèmes entiers (formes fixes).
La métrique se distingue donc de la rhétorique, art du discours visant à « bien parler » et/ou à
persuader un auditoire 1.
La stylistique, discipline qui se nourrit de la rhétorique classique et de la linguistique
moderne, porte sur un champ plus large : l’étude des conditions formelles de la littérariré d’un
texte, par rapport au « degré zéro » de l’écriture.
1. État de la question.
Vl. VIKENTIEF, « The Metrical Scheme of the “Shipwrecked Sailor” », BIFAO 35, 1935, p. 1-40.
A.H. GARDINER : « The problem of metre in Egyptian literature is wellnigh insoluble » 2.
J.R. TOWERS, « Are Ancient Egyptian Texts Metrical? », Manchester Univ. Egypt. and Orient.
Society Journal 20, 1936, p. 41-44.
La théorie de G. Fecht 3.
1
. Le terme « rhétorique » est pris toutefois dans un sens plus large dans les études exégétiques de R. MEYNET,
L’analyse rhétorique. Une nouvelle méthode pour comprendre la Bible, éd. du Cerf, Paris, 1989 ; id., Traité de
rhétorique biblique, éd. Lethielleux, Paris, 2007.
2
. A.H. GARDINER, The Library of A. Chester Beatty. The Chester Beatty Papyrus n° 1, E. Walker, London, 1931,
p. 28.
3
. Ses principales études sont les suivantes :
« Die Wiedergewinnung der altägyptische Verskunst », MDAIK 19, 1963, p. 54-96 ;
« Die Form der altägyptischen Literatur: metrische und stilistische Analyse », ZÄS 91, 1964, p. 11-63 ;
« Die Form der altägyptischen Literatur: metrische und stilistische Analyse », ZÄS 92, 1965, p. 10-32 ;
Literarische Zeugnisse zur “Persönlichen Frömigkeit” in Ägypten. Analyse der Beispiele aus den ramessidischen
Schulpapyri, Heidelberg, 1965, 133 p. ;
« Stilistische Kunst », dans Handbuch der Orientalistik, Ägyptologie, 2. Abschnitt : Literatur, 2. Aufl., Leiden,
Köln, 1970, p. 19-51 ;
« Schiksalsgöttinnen und König in der “Lehre eines Mannes für seinen Sohn », ZÄS 105, 1978, p. 14-42 ;
« Ptahhotep und die Disputierer (Lehre des Ptahhotep nach Pap.Prisse, Max. 2-4, Dév. 60-83) », MDAIK 37, 1981,
p. 143-150 ;
« Prosodie », dans LÄ IV, 1982, col. 1127-1154 ;
« Metrische Umschreibung mit Anmerkungen zum Verständnis von Metrik und Aussage », dans E. Hornung, Der
ägyptische Mythos von der Himmelskuh, OBO 46, 1982, p. 109-127 ;
« Die Belehrung des Ba und der “Lebensmüde” », MDAIK 47, 1991, p. 113-126.
1
apparaître qu’un Kolon peut être extrêmement bref (sæ=f, son fils) ou très développé (rnp.t-sp-37-
n†r-nfr, l’an 37 du dieu parfait). Le présupposé qui préside à toute analyse métrique, selon
G. Fecht, est qu’il doit toujours exister une régularité « macro-structurelle », généralement une
symétrie (par exemple [2-3-2] + [3-3] + [2-3-2], c’est-à-dire [3 vers - 2 vers - 3 vers]).
La théorie de J.L. Foster.
La théorie de Foster repose quant à elle sur le concept de « thought couplet » (= distique
comme unité sémantique) 4.
Comme J.L. Foster, M. Lichtheim admet sans difficulté la prépondérance des couples de vers
dans la poésie égyptienne, mais visiblement rétive à la systématisation fechtienne 5, elle renonce à
toute définition formelle et ne voit dans le style poétique qu’une extension plus rythmée de
l’« orational style ».
Ni les synthèses de G. Burchard 6, ni celle de H. Buchberger 7, ne prétendent apporter
véritablement du neuf.
2. Principes généraux.
4
. « Thought Couplets in Khety’s Hymn to the Inundation », JNES 34, 1975, p. 1-29 ; Thought Couplets and Clause
Sequences in a Literary Text: the Maxims of Ptah-Hotep, The Soc. for the Study of Egyptian Antiquities, Toronto,
1977, 45 + 26 p. ; « Sinuhe: the Ancient Egyptian Genre of Narrative Verse », JNES 39, 1980, p. 89-117 ; « “The
Shipwrecked Sailor”: Prose or Verse? (Postponing Clauses and Tense-Neutral Clauses) », SAK 15, 1988, p. 69-109 ;
« Thought Couplets in The Tale of Sinuhe, MÄU 3, 1993 ; « Thought Couplets and the Standard Theory: a Brief
Overview », LingAeg 4, 1994, p. 139-163. Voir également G. P OSENER , L’Enseignement loyaliste. Sagesse
égyptienne du Moyen Empire, Librairie Droz, Genève, 1976, p. 13 ; Y. KOENIG, BIFAO 79, 1979, p. 104 et n. 4.
5
. « Have the Principles of Ancient Egyptian Metrics Been Discovered? », JARCE 9, 1971-1972, p. 104-110 (sa réponse
est négative !).
6
. « Die formale Aufbau altägyptischer Literaturwerke : zur Problematik der Erschliessung seiner Grunstrukturen »,
SAK 10, 1983, p. 79-118 ; Ûberlegungen zur Form der ägyptischen Literatur. Die Geschichte des Schiffbrüchigen
als literarisches Kunstwerk, ÄAT 22, 1993 ; « Metrik, Prosodie und Formaler Aufbau ägyptischer literarischer
Texte », dans A. Loprieno (éd.), Ancient Egyptian Literature. History & Forms, ProbÄg 10, Leiden, 1996, p. 447-
463.
7
. Transformation und Transformat. Sargtextstudien I, ÄgAbh 52, 1993, p. 21-25.
2
Alexandrins « dogmatiques » :
3. Le distique heptamétrique.
1 2 3 4
— — — — (stiche A)
5 6 7
— — — (stiche B)
8
. Du grec hepta, « sept », et metron, « mesure ». Voir B. MATHIEU, « Études de métrique égyptienne. I. Le distique
heptamétrique dans les chants d'amour », Revue d’égyptologie 39, 1988, p. 63-82 ; id., « Études de métrique
égyptienne. II. Contraintes métriques et production textuelle dans l’Hymne à la Crue du Nil », Revue d’égyptologie
41, 1990, p 127-141.
3
Eulogie royale de Sinouhé :
pr.t hæ.t Ïft we=f
ntf dæj(w) Ïæs.wt
On va et vient selon son ordre,
car c’est lui qui a soumis les contrées étrangères.
4
Je veux te montrer le pays dans la tourmente,
ce qui ne s’était jamais produit s’étant produit.
Ø nfr=w tw Ø nfr=w tw
Jmn Ø nfr=w tw (P. Chester Beatty IV, r° 9, 12-13)
Que tu es bon, que tu es bon,
Amon, que tu es bon !
nn jn(t)=tw=k nn jn(t)=tw=k
Òm-r(æ) nn jn(t)=tw=k (O. Leipzig, 6-7)
On n’ira pas te chercher, on n’ira pas te chercher,
échauffé, on n’ira pas te chercher !
psÌ(=w) Îr psÌ(=w) Îr
Rc psÌ(=w) sæ=k (Socle Behague, p. 25)
Horus a été mordu, Horus a été mordu,
Rê, ton fils a été mordu !
psÌ(=w) Îr psÌ(=w) Îr
pæ Îty (?) psÌ(=w) Îr (P. Turin CG 54051 v° 3, 6)
Horus a été mordu, Horus a été mordu,
Héty (?), Horus a été mordu !
Un bon exemple de travail de composition métrique est fourni par deux distiques tirés, l’un
d’un texte dédicatoire attribué à Sésostris Ier (P. Berlin 3029, ou « Rouleau de cuir de Berlin »), et
l’autre du « Texte de la Jeunesse » de Thoutmosis III.
5
Il (= Atoum) prendra son essor de même qu’il m’a fait prendre (le pouvoir),
et j’approvisionnerai ses autels sur terre.
Ici, le rédacteur a utilisé les périphrases d=f wsÏ=f et d=j wsÏ au lieu des causatifs attendus
swsÏ=f sw et swsÏ=j, pour obtenir deux unités accentuelles au lieu d’une, et atteindre ainsi le
nombre voulu.
Le découpage en distiques et en stiches est bien souvent facilité, dans un texte en hiératique
inscrit sur papyrus, rouleau de cuir, tablette ou ostracon, par une marque formelle spécifique, la
ponctuation : après avoir terminé une page en effet, le scribe ajoutait fréquemment, à l’encre rouge
ou noire, des points destinés à séparer les uns des autres les distiques ou les stiches. De même, la fin
∂
d’une section, ou stance (en égyptien QL Ìw.t, litt. château), était parfois signalée par ce qu’il est
convenu d’appeler le signe de la pause (ù, à lire peut-être grÌ, s’arrêter) ; en outre, le début
d’une nouvelle stance pouvait être en rubrique, c’est-à-dire écrit à l’encre rouge.
Qu’un texte ne soit pas ponctué, notons-le bien, — c’est le cas de tous les textes gravés et de
différents textes sur papyrus ou ostracon — ne signifie nullement qu’il ne soit pas métriquement
structuré. Inversement, un texte ponctué n’implique pas obligatoirement qu’il soit composé en vers.
Déterminer les unités accentuelles ne pose guère de difficultés dans la mesure où ne sont
accentuées métriquement que les unités qui le sont phonologiquement. En règle générale, on posera
que constitue une unité accentuelle tout mot normalement accentué, c’est-à-dire ni enclitique, ni
proclitique.
6
sr=sn ec n jjt(=f)
nÒny n Ïprt=f (Nauf., 30-32)
9
. Du grec ennéa, « neuf », et metron, « mesure ». Voir B. MATHIEU, « Études de métrique égyptienne. III. Une
innovation métrique dans une “litanie” thébaine du Nouvel Empire », Revue d’égyptologie 45, 1994, p. 139-154.
7
1 2 3 4 5
— — — — — (stiche A)
6 7 8 9
— — — — (stiche B)
8
Je veux leur faire voir en ta majesté le souffle de feu,
comme la manifestation de Sekhmet dans sa pestilence
Cette structure est bien représentée également dans les Lamentations d’Ipouour, ce qui donne
une indication précieuse sur la date de rédaction, très controversée, de ce texte.
10
. Stèle trouvée dans le grand temple d’Amon à Karnak, dans la cour nord du VIe pylône. Voir A. MARIETTE, Karnak,
pl. XI ; P. LACAU, Stèles du Nouvel Empire , CGC. 34001-34064, Le Caire, 1909, p. 17-21 et pl. VII ; Urk. IV, 614-
618.
9
mk sw m-c Ïmw.w-sw mj-rÏw.w-sw
Ïæsty.w Ìmw(=w) m-kæ.wt JdÌw
Vois, c’est à la disposition de qui l’ignore comme de qui le connaît ;
les étrangers sont passés maîtres dans les travaux du Delta ! (P. Leiden I 344 r° 4, 7-8)
10
mtn js wæ(=w) r-sbj Ìr-jcr.t
[nÏt] n(y).t-Rc shr(w.t) Tæ.wy
Voyez, en arriver à se rebeller contre l’uraeus,
la puissante de Rê qui a pacifié le Double-Pays ! (P. Leiden I 344 r° 7, 3-4)
Le tristique ennéamétrique, constitué lui aussi de neuf unités accentuelles, est un distique
heptamétrique traditionnel auquel s’ajoute une séquence de deux unités accentuelles 11. Distique
heptamétrique « augmenté » :
1 2 3 4
— — — — (stiche A)
5 6 7
— — — (stiche B)
8 9
— — (stiche C)
11
. Voir B. MATHIEU, « Études de métrique égyptienne. IV. Le tristique ennéamétrique dans l’Hymne à Amon de
Leyde », Revue d’égyptologie 48, 1997, p. 109-163 et 6 pl.
11
sachant broyer ses membres
ainsi que ses os.
1 2 3 4 5
— — — — — (stiche A)
6 7 8 9
— — — — (stiche B)
10 11 12
— — — (stiche C)
12
. Dernière édition : F. ADROM, Die Lehre des Amenemhet, BiAeg XIX, 2006.
12
hæ.w=f m Ïsbd sæ.wt m Ìe
sæt.w cæ.w m Ìmtj
Je me suis fait construire un domaine orné d’or,
avec des plafonds de lapis-lazuli, des parois d’argent,
des sols et des vantaux de cuivre.
Voir aussi, peut-être, P. Chester Beatty VII, r° 5, 7-8 (texte magique) :
13