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La métrique égyptienne

Présentation

Bernard MATHIEU
Institut d’égyptologie François Daumas
UMR 5140 (CNRS - Université Montpellier 3 Paul-Valéry)

La métrique est l’étude des formes poétiques régulières : vers ou « mètres » ou « stiches »,
groupes de vers (distiques, tristiques, stances, strophes), poèmes entiers (formes fixes).
La métrique se distingue donc de la rhétorique, art du discours visant à « bien parler » et/ou à
persuader un auditoire 1.
La stylistique, discipline qui se nourrit de la rhétorique classique et de la linguistique
moderne, porte sur un champ plus large : l’étude des conditions formelles de la littérariré d’un
texte, par rapport au « degré zéro » de l’écriture.

1. État de la question.

Les premiers travaux.

Vl. VIKENTIEF, « The Metrical Scheme of the “Shipwrecked Sailor” », BIFAO 35, 1935, p. 1-40.
A.H. GARDINER : « The problem of metre in Egyptian literature is wellnigh insoluble » 2.
J.R. TOWERS, « Are Ancient Egyptian Texts Metrical? », Manchester Univ. Egypt. and Orient.
Society Journal 20, 1936, p. 41-44.

La théorie de G. Fecht 3.

La définition de Fecht de l’unité métrique minimale, le « Kolon » (plur. « Kola »), repose


essentiellement sur l’observation des correspondances coptes. Sa « Liste der Regeln » fait

1
. Le terme « rhétorique » est pris toutefois dans un sens plus large dans les études exégétiques de R. MEYNET,
L’analyse rhétorique. Une nouvelle méthode pour comprendre la Bible, éd. du Cerf, Paris, 1989 ; id., Traité de
rhétorique biblique, éd. Lethielleux, Paris, 2007.
2
. A.H. GARDINER, The Library of A. Chester Beatty. The Chester Beatty Papyrus n° 1, E. Walker, London, 1931,
p. 28.
3
. Ses principales études sont les suivantes :
« Die Wiedergewinnung der altägyptische Verskunst », MDAIK 19, 1963, p. 54-96 ;
« Die Form der altägyptischen Literatur: metrische und stilistische Analyse », ZÄS 91, 1964, p. 11-63 ;
« Die Form der altägyptischen Literatur: metrische und stilistische Analyse », ZÄS 92, 1965, p. 10-32 ;
Literarische Zeugnisse zur “Persönlichen Frömigkeit” in Ägypten. Analyse der Beispiele aus den ramessidischen
Schulpapyri, Heidelberg, 1965, 133 p. ;
« Stilistische Kunst », dans Handbuch der Orientalistik, Ägyptologie, 2. Abschnitt : Literatur, 2. Aufl., Leiden,
Köln, 1970, p. 19-51 ;
« Schiksalsgöttinnen und König in der “Lehre eines Mannes für seinen Sohn », ZÄS 105, 1978, p. 14-42 ;
« Ptahhotep und die Disputierer (Lehre des Ptahhotep nach Pap.Prisse, Max. 2-4, Dév. 60-83) », MDAIK 37, 1981,
p. 143-150 ;
« Prosodie », dans LÄ IV, 1982, col. 1127-1154 ;
« Metrische Umschreibung mit Anmerkungen zum Verständnis von Metrik und Aussage », dans E. Hornung, Der
ägyptische Mythos von der Himmelskuh, OBO 46, 1982, p. 109-127 ;
« Die Belehrung des Ba und der “Lebensmüde” », MDAIK 47, 1991, p. 113-126.

1
apparaître qu’un Kolon peut être extrêmement bref (sæ=f, son fils) ou très développé (rnp.t-sp-37-
n†r-nfr, l’an 37 du dieu parfait). Le présupposé qui préside à toute analyse métrique, selon
G. Fecht, est qu’il doit toujours exister une régularité « macro-structurelle », généralement une
symétrie (par exemple [2-3-2] + [3-3] + [2-3-2], c’est-à-dire [3 vers - 2 vers - 3 vers]).

La théorie de J.L. Foster.

La théorie de Foster repose quant à elle sur le concept de « thought couplet » (= distique
comme unité sémantique) 4.

La voie moyenne de M. Lichtheim.

Comme J.L. Foster, M. Lichtheim admet sans difficulté la prépondérance des couples de vers
dans la poésie égyptienne, mais visiblement rétive à la systématisation fechtienne  5, elle renonce à
toute définition formelle et ne voit dans le style poétique qu’une extension plus rythmée de
l’« orational style ».
Ni les synthèses de G. Burchard 6, ni celle de H. Buchberger 7, ne prétendent apporter
véritablement du neuf.

2. Principes généraux.

Hymnes religieux, eulogies royales, contes mythologiques ou « populaires », chants d’amour,


textes sapientiaux, lettres « modèles », autobiographies, de nombreux textes littéraires égyptiens
sont composés en vers, selon des règles métriques très précises.
Toutefois, à la différence des poésies grecque ou latine, par exemple, fondées sur un
enchaînement réglé de syllabes longues et brèves, ou de la poésie française classique, qui repose sur
un nombre fixe de syllabes pour chaque vers (notamment octosyllabes, décasyllabes, alexandrins)
et sur l’emploi de la rime, la poésie égyptienne présente généralement une succession de distiques
— le distique étant un couple de deux vers ou stiches, et chaque stiche comportant un nombre fixe
d’unités accentuelles.

4
. « Thought Couplets in Khety’s Hymn to the Inundation », JNES 34, 1975, p. 1-29 ; Thought Couplets and Clause
Sequences in a Literary Text: the Maxims of Ptah-Hotep, The Soc. for the Study of Egyptian Antiquities, Toronto,
1977, 45 + 26 p. ; « Sinuhe: the Ancient Egyptian Genre of Narrative Verse », JNES 39, 1980, p. 89-117 ; « “The
Shipwrecked Sailor”: Prose or Verse? (Postponing Clauses and Tense-Neutral Clauses) », SAK 15, 1988, p. 69-109 ;
« Thought Couplets in The Tale of Sinuhe, MÄU 3, 1993 ; « Thought Couplets and the Standard Theory: a Brief
Overview », LingAeg 4, 1994, p. 139-163. Voir également G. P OSENER , L’Enseignement loyaliste. Sagesse
égyptienne du Moyen Empire, Librairie Droz, Genève, 1976, p. 13 ; Y. KOENIG, BIFAO 79, 1979, p. 104 et n. 4.
5
. « Have the Principles of Ancient Egyptian Metrics Been Discovered? », JARCE 9, 1971-1972, p. 104-110 (sa réponse
est négative !).
6
. « Die formale Aufbau altägyptischer Literaturwerke : zur Problematik der Erschliessung seiner Grunstrukturen »,
SAK 10, 1983, p. 79-118 ; Ûberlegungen zur Form der ägyptischen Literatur. Die Geschichte des Schiffbrüchigen
als literarisches Kunstwerk, ÄAT 22, 1993 ; « Metrik, Prosodie und Formaler Aufbau ägyptischer literarischer
Texte », dans A. Loprieno (éd.), Ancient Egyptian Literature. History & Forms, ProbÄg 10, Leiden, 1996, p. 447-
463.
7
. Transformation und Transformat. Sargtextstudien I, ÄgAbh 52, 1993, p. 21-25.

2
Alexandrins « dogmatiques » :

Que toujours dans vos vers le sens, coupant les mots,


Suspende l’hémistiche, en marque le repos (Boileau, L’Art poétique, 1674, où figurent
les célèbres « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement » et « Vingt fois sur le
métier remettez votre ouvrage »)

Rupture romantique (qui conserve paradoxalement la forme traditionnelle, comme le fit


Khâkhéperrêséneb !: « Ah, si je disposais de phrases inconnues, de vers originaux, de vocables
nouveaux qui n’aient jamais eu cours, et qui soient dénués de toute répétition ! ») :
J’ai disloqué ce grand niais d’alexandrin ;
Les mots de qualité, les syllabes marquises,
Vivaient ensemble au fond de leurs grottes exquises,
Faisaient la bouche en cœur et ne parlant qu’entre eux,
J’ai dit aux mots d’en bas : Manchots, boiteux, goîtreux,
Redressez-vous ! planez, et mêlez-vous, sans règles,
Dans la caverne immense et farouche des aigles ! (V. Hugo, Les Contemplations, 1856)

Différence entre syllabes et unités accentuelles :


Car enfin, ma Princesse, il faut nous séparer (Titus, dans Racine, Bérénice, 1670)
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue (Rimbaud, « Le Dormeur du val », 1870)

3. Le distique heptamétrique.

La poésie égyptienne « classique » repose sur le groupement binaire du distique. Ce distique


présente la caractéristique d’être toujours constitué d’un premier vers plus long que le second.
Le premier vers, que l’on appellera par convention stiche A, possède quatre unités
accentuelles, tandis que le second, le stiche B, n’en possède que trois.
« Distique heptamétrique » 8 (origine probable : autobiographies de la PPI :

1 2 3 4
— — — — (stiche A)
5 6 7
— — — (stiche B)

8
. Du grec hepta, « sept », et metron, « mesure ». Voir B. MATHIEU, « Études de métrique égyptienne. I. Le distique
heptamétrique dans les chants d'amour », Revue d’égyptologie 39, 1988, p. 63-82 ; id., « Études de métrique
égyptienne. II. Contraintes métriques et production textuelle dans l’Hymne à la Crue du Nil », Revue d’égyptologie
41, 1990, p 127-141.

3
Eulogie royale de Sinouhé :
pr.t hæ.t Ïft we=f
ntf dæj(w) Ïæs.wt
On va et vient selon son ordre,
car c’est lui qui a soumis les contrées étrangères.

Inscription du Spéos Artémidos (Hatchepsout) :


Km.t dÒr.t Èr Ìry.t=j
bæw=j Ìr-sks Ïæs.wt
L’Égypte et le désert sont sous l’empire de ma frayeur,
mon pouvoir faisant se courber les contrées étrangères

Texte de la Jeunesse (Thoutmosis III) :


d~n=f [jwt] Ïæs.wt nb.(w)t
m ksw n bæw Ìm=j
Il a fait venir toutes les contrées étrangères
courbées devant le pouvoir de Ma Majesté

Stèle de la Restauration (Toutânkhamon) :


Km.t DÒr.t Èr s.t-Èr=f
tæ nb m ksw n bæw=f
L’Égypte et le désert sont sous son autorité,
chaque pays étant courbé sous son pouvoir

Un distique heptamétrique de l’eulogie de Sésostris Ier dans Sinouhé est repris par


Thoutmosis III sur l’inscription de l’an 23 du temple de Ouadi Halfa (Bouhen) :

nÏt pw gr.t jr(w) m-ÏpÒ=f


pr-c nn twt-n=f
C’est un victorieux, qui a agi de son bras,
un héros qui n’a pas son pareil. (Sin., B 51-52)

nsw nÏt jr(w) m-ÏpÒ=f


pr-c nn twt-n=f
Un roi victorieux, qui a agi de son bras,
un héros qui n’a pas son pareil. (Urk. IV, 809, 1-2)

Comparons ces deux extraits de la Prophétie de Néferty :

d=j n=k tæ m snj -mn.t


tm(w) Ïpr(w) Ïpr(=w) (P. Petersbourg 1116 B, 38-39)

4
Je veux te montrer le pays dans la tourmente,
ce qui ne s’était jamais produit s’étant produit.

d=j n=k tæ m snj -mn.t


sæ-c m nb c (P. Petersbourg 1116 B, 54)
Je veux te montrer le pays dans la tourmente,
le traîne-misère devenu un homme d’influence.

Certains textes présentent une véritable « recette de fabrication » du distique heptamétrique :

(j)n-m(j) jn(w) tw (j)n-m(j) jn(w) tw


nes (j)n-m(j) jn(w) tw (Naufragé, 69-70 = 83-84)
Qui t’a amené, qui t’a amené,
petit, qui t’a amené ?

Ø nfr=w tw Ø nfr=w tw
Jmn Ø nfr=w tw (P. Chester Beatty IV, r° 9, 12-13)
Que tu es bon, que tu es bon,
Amon, que tu es bon !

nn jn(t)=tw=k nn jn(t)=tw=k
Òm-r(æ) nn jn(t)=tw=k (O. Leipzig, 6-7)
On n’ira pas te chercher, on n’ira pas te chercher,
échauffé, on n’ira pas te chercher !

psÌ(=w) Îr psÌ(=w) Îr
Rc psÌ(=w) sæ=k (Socle Behague, p. 25)
Horus a été mordu, Horus a été mordu,
Rê, ton fils a été mordu !

psÌ(=w) Îr psÌ(=w) Îr
pæ Îty (?) psÌ(=w) Îr (P. Turin CG 54051 v° 3, 6)
Horus a été mordu, Horus a été mordu,
Héty (?), Horus a été mordu !

Un bon exemple de travail de composition métrique est fourni par deux distiques tirés, l’un
d’un texte dédicatoire attribué à Sésostris Ier (P. Berlin 3029, ou « Rouleau de cuir de Berlin »), et
l’autre du « Texte de la Jeunesse » de Thoutmosis III.

d=f wsÏ=f mj rd~n=f j†=j


sefæ=j Ïæ.wt=f tp tæ (P. Berlin 3029, 24-27)

5
Il (= Atoum) prendra son essor de même qu’il m’a fait prendre (le pouvoir),
et j’approvisionnerai ses autels sur terre.

d=j wsÏ s.wt jr(w) wj


sefæ =j Ïæ.wt=f tp tæ (« Texte de la Jeunesse », col. 18)
Je ferai s’élargir les places de celui qui m’a créé (= Amon),
et j’approvisionnerai ses autels sur terre.

Ici, le rédacteur a utilisé les périphrases d=f wsÏ=f et d=j wsÏ au lieu des causatifs attendus
swsÏ=f sw et swsÏ=j, pour obtenir deux unités accentuelles au lieu d’une, et atteindre ainsi le
nombre voulu.

4. Distiques, stiches, et unités accentuelles.

Le découpage en distiques et en stiches est bien souvent facilité, dans un texte en hiératique
inscrit sur papyrus, rouleau de cuir, tablette ou ostracon, par une marque formelle spécifique, la
ponctuation : après avoir terminé une page en effet, le scribe ajoutait fréquemment, à l’encre rouge
ou noire, des points destinés à séparer les uns des autres les distiques ou les stiches. De même, la fin

d’une section, ou stance (en égyptien QL Ìw.t, litt. château), était parfois signalée par ce qu’il est
convenu d’appeler le signe de la pause (ù, à lire peut-être grÌ, s’arrêter) ; en outre, le début
d’une nouvelle stance pouvait être en rubrique, c’est-à-dire écrit à l’encre rouge.
Qu’un texte ne soit pas ponctué, notons-le bien, — c’est le cas de tous les textes gravés et de
différents textes sur papyrus ou ostracon — ne signifie nullement qu’il ne soit pas métriquement
structuré. Inversement, un texte ponctué n’implique pas obligatoirement qu’il soit composé en vers.

Déterminer les unités accentuelles ne pose guère de difficultés dans la mesure où ne sont
accentuées métriquement que les unités qui le sont phonologiquement. En règle générale, on posera
que constitue une unité accentuelle tout mot normalement accentué, c’est-à-dire ni enclitique, ni
proclitique.

sÒp(=w) Ïrpw Ìw(=w) mnj.t


Ìæt.t rd=t(j) Ìr-tæ (Nauf., 3-5)

Le maillet a été saisi, le pieu a été planté,


et l’amarre de proue fixée à terre.

mdw=k n n(y)-sw.t jb=k m-c=k


wÒb=k nn njtjt (Nauf., 15-17)

Tu parleras au roi en possession de ton esprit


et tu répondras sans balbutier.

6
sr=sn ec n jjt(=f)
nÒny n Ïprt=f (Nauf., 30-32)

Ils prévoyaient la tempête avant qu’elle n’arrivât,


l’orage avant qu’il n’advînt.

gm~n=j dæb.w jærr.t jm


jæq.t nb.t Òps.t
kæ.w jm Ìnc nqw.t
Òsp.wt mj jr=t(w)=s (Nauf., 47-50)

Je trouvai là des figues, du raisin,


et toutes sortes de légumes magnifiques.
Il y avait là des figues de sycomore entaillés et non entaillés,
des concombres comme s’ils étaient cultivés.

Ït.w Ìr gmgm tæ Ìr mnmn


kf~n=j Ìr=j gm~n=j
Ìfæw pw jw=f m jj.t
n(y)-sw 30 mÌ (Nauf., 59-63)

Les arbres craquaient et la terre tremblait ;


je me découvris le visage et je compris :
c’était un serpent qui venait,
et qui faisait trente coudées !

5. Structures dérivées (1) : le distique ennéamétrique.

Il existe au moins deux autres structures métriques attestées, le distique ennéamétrique 9 et le


tristique ennéamétrique. La première est une simple extension du distique heptamétrique. En effet,
le distique ennéamétrique est un couple de deux vers dont le premier (stiche A) possède cinq unités
accentuelles, tandis que le second (stiche B) en possède quatre.
Schématiquement, on représentera donc la structure d’un distique ennéamétrique de la façon
suivante :

9
. Du grec ennéa, « neuf », et metron, « mesure ». Voir B. MATHIEU, « Études de métrique égyptienne. III. Une
innovation métrique dans une “litanie” thébaine du Nouvel Empire », Revue d’égyptologie 45, 1994, p. 139-154.

7
1 2 3 4 5
— — — — — (stiche A)
6 7 8 9
— — — — (stiche B)

Il s’agirait peut-être d’une innovation formelle contemporaine des règnes d’Hatchepsout ou


de Thoutmosis III. On illustrera cette structure par un extrait de la litanie triomphale adressée par le
dieu Amon-Rê au pharaon dans la « Stèle poétique » de Thoutmosis III 10 :

d=j mæ=sn Ìm=k m nb st.wt


sÌe=k m Ìr.w =sn m snn=j
d=j mæ=sn Ìm=k cpr(=w) m Èkr<.w>=k
Òsp=k Ïc.w cÌæ Ìr wrry.t
d=j mæ=sn Ìm=k mj sÒd
s†(w) bs=f-m-se.t d=f jæd.t=f
d=j mæ=sn Ìm=k m mæj Ìsæ
jr=k s.t m Èæ.wt Ït jn.wt=sn
d=j mæ=sn Ìm=k m nb dmæ.t
bjk j†(w) m dgg.t=f r mrr=f (Stèle CGC 34010)

Je veux leur faire voir en ta majesté le seigneur des rayons


pour que tu éclaires à leurs yeux à mon image.
Je veux leur faire voir ta majesté revêtue de ta parure
saisissant les armes du combat sur le char.
Je veux leur faire voir en ta majesté l’étoile filante
qui lance ses jets de feu pour répandre sa luminescence.
Je veux leur faire voir en ta majesté le fauve terrifiant
pour que tu fasses d’eux des cadavres jonchant leurs vallées.
Je veux leur faire voir en ta majesté le seigneur des ailes,
le faucon qui ravit ce qu’il repère, à son gré.

Litanie thébaine (Séthy Ier, Karnak) :

d=j mæ=sn Ìm=k mj hh-[n-se.t]


mj Ïprw n-SÏm.t m-jæd.t=s

8
Je veux leur faire voir en ta majesté le souffle de feu,
comme la manifestation de Sekhmet dans sa pestilence

Litanie thébaine (Ramsès III, Médinet Habou) :

d=j mæ=sn Ìm=k Èr-nÏt.w mj-StÈ


Ìr-smæ Sbj m-Ìæ.t (M)skt.t
Je veux leur faire voir ta Majesté chargée de victoires comme Seth
tuant le Rebelle à la proue de la barque Mesektet

Cette structure est bien représentée également dans les Lamentations d’Ipouour, ce qui donne
une indication précieuse sur la date de rédaction, très controversée, de ce texte.

jw-ms Òwæw.w Ïpr(=w) m-nb.w Òpss.w


tm(w)-jr.t-n=f †bw.ty m-nb cÌcw
Hélas, les gueux sont devenus possesseurs de richesses,
et le va-nu-pied possesseur de fortunes ! (P. Leiden I 344 r° 2, 4-5)

jw-ms rm† mj gmw.w sbw Ït-tæ


nn-ms Ìe(w) Ìbs.w m-pæ-rk
Hélas, les hommes sont comme des ibis noirs, la contagion recouvre le pays,
et nul n’a de vêtement blanc en cette époque ! (P. Leiden I 344 r° 2, 8)

jw-ms jtrw m-snfw sw{r}j=tw jm=f


ny=tw m-rm† jb=tw mw
Hélas, le fleuve est du sang et l’on y boit,
on refoule les hommes quand on a soif d’eau ! (P. Leiden I 344 r° 2, 10)

jw-ms msw.w sr.w Ìw=tw r-sæ.wt


Èrd.w n(y.w)-nÌb.t d=w Ìr-ql
Hélas, les enfants des notables sont frappés contre les murailles,
et les enfants en bas âge sont laissés sur les terres hautes ! (P. Leiden I 344 r° 4, 3 ; 5, 6)

jw-ms JdÌw r-er=f nn dgæy=tw=f


mÌ-jb n(y)-Tæ-MÌw m-mtnw.w Ìw(.w)
Hélas, le Delta entier ne sera plus dissimulé,
la Basse-Égypte se fiant aux sentiers battus ! (P. Leiden I 344 r° 4, 5-6)

10
. Stèle trouvée dans le grand temple d’Amon à Karnak, dans la cour nord du VIe pylône. Voir A. MARIETTE, Karnak,
pl. XI ; P. LACAU, Stèles du Nouvel Empire , CGC. 34001-34064, Le Caire, 1909, p. 17-21 et pl. VII ; Urk. IV, 614-
618.

9
mk sw m-c Ïmw.w-sw mj-rÏw.w-sw
Ïæsty.w Ìmw(=w) m-kæ.wt JdÌw
Vois, c’est à la disposition de qui l’ignore comme de qui le connaît ;
les étrangers sont passés maîtres dans les travaux du Delta ! (P. Leiden I 344 r° 4, 7-8)

jw-ms Ìm.wt nb.t sÏm(=w) m-r(æ)=sn


mdw Ìnw.wt=sn dns(w)-pw r-bæk.w(t)
Hélas, toutes les domestiques tiennent des propos violents,
quand leurs maîtresses parlent, c’est pénible aux servantes ! (P. Leiden I 344 r° 4, 13-14)

jw-ms mæc.t Ït-tæ m-rn=s pwy


jsf.t-pw jrr(w)=sn Ìr-grg Ìr=s
Hélas, la maât recouvre le pays dans les mots,
mais c’est le mal, ce qu’on accomplit, en se fondant sur elle ! (P. Leiden I 344 r° 5, 3-4)

jw-ms cw.t nb.t jb=sn rm=w


mnmn.t Ìr-jm.t m-c-sÏrw tæ
Hélas, de toutes les bêtes la conscience est en pleurs
et les troupeaux gémissent à cause de l’état du pays ! (P. Leiden I 344 r° 5, 5)

jw-ms wæ.wt nw=w mtnw.w sæ=w


Ìms=tw Ìr-bæ.wt r-jjt Ïæwy
Hélas, les chemins sont surveillés et les routes gardées,
on reste assis dans les buissons jusqu’à ce que soit venu le noctambule (P. Leiden I 344 r° 5, 11)

jw-ms jt æq=w Ìr-wæ.t nb.t


sÌæ=w m-Ìbs.w Èsæ=w m-mrÌ.wt
Hélas, l’orge a disparu de tout côté,
on est dépourvu de vêtements, on est privé d’onguent (P. Leiden I 344 r° 6, 3)

Ìæ-rf jr~n=j Ïrw=j m-tæy æ.t


nÌm=f-wj m-c-wÏd.t=j jrrw(=j) jm=s
Ah, si j’avais fait entendre ma voix à cet instant,
elle m’aurait préservé de la douleur dans laquelle je suis plongé ! (P. Leiden I 344 r° 6, 5)

mtn <js> qrs(w) m-bjk m-Òfd.t


jw-jmn(w).t~n mÌr wæ(=w) r-Òw.t
Voyez, celui qui était enseveli en Faucon est dans un (simple) linceul,
et ce que cachait la pyramide se retrouve vide ! (P. Leiden I 344 r° 7, 2)

10
mtn js wæ(=w) r-sbj Ìr-jcr.t
[nÏt] n(y).t-Rc shr(w.t) Tæ.wy
Voyez, en arriver à se rebeller contre l’uraeus,
la puissante de Rê qui a pacifié le Double-Pays ! (P. Leiden I 344 r° 7, 3-4)

mtn sÒtæw n(y)-tæ Ïmm erw.w=f


sÌæw=w Ëny <w>hn~n=f n-wnw.t
Voyez, du secret du pays on ignore les limites,
la Résidence est dévoilée et s’est écroulée en une heure ! (P. Leiden I 344 r° 7, 4)

6. Structures dérivées (2) : le tristique ennéamétrique.

Le tristique ennéamétrique, constitué lui aussi de neuf unités accentuelles, est un distique
heptamétrique traditionnel auquel s’ajoute une séquence de deux unités accentuelles 11. Distique
heptamétrique « augmenté » :

1 2 3 4
— — — — (stiche A)
5 6 7
— — — (stiche B)
8 9
— — (stiche C)

Grand Hymne à Amon de Leyde (P. Leyde I-350), 3, 3 :

bjk ntry pe(=w) dnÌ.wy


ÏÏ(w) j†(w) pÌ(w)-sw
m-km n(y)-æ.t
Faucon divin aux ailes déployées,
qui s’élance, ayant saisi qui l’a attaqué,
en l’espace d’un instant.

Grand Hymne à Amon de Leyde (P. Leyde I-350), 5, 10-11 :

dpwy Ìr-cÏ jt(w) pÌ(w)-sw

rÏ(w) gmgm Ìc.w=f


Ìnc qs(.w)=f
Crocodile qui surgit et saisit qui l’a attaqué,

11
. Voir B. MATHIEU, « Études de métrique égyptienne. IV. Le tristique ennéamétrique dans l’Hymne à Amon de
Leyde », Revue d’égyptologie 48, 1997, p. 109-163 et 6 pl.

11
sachant broyer ses membres
ainsi que ses os.

7. Structures dérivées (3) : le tristique dodécamétrique.

Extension du tristique ennéamétrique. Les principales attestations connues, pour le moment,


figurent dans l’Enseignement d’Amenemhat 12.

1 2 3 4 5
— — — — — (stiche A)
6 7 8 9
— — — — (stiche B)
10 11 12
— — — (stiche C)

Enseignement d’Amenemhat, 1, 11-12 :

r-sæ msy.t pw Ïæwy Ïpr(=w)


Òsp~n=j m wnw.t n(y).t nfr -jb
ser=kw Ìr Ìnky.t=j bæg~n=j

C’était après le dîner, le soir venu,


tandis que j’étais allé prendre une heure de répit,
allongé sur mon lit, car j’étais las.

Enseignement d’Amenemhat, 2, 10-11 :

jw h(æ)b~n=j r Æbw Ìs~n=j r JdÌ.w


cÌc=kw Ìr erw.w mæ~n=j æb.w=f
jn~n=j erw ÍpÒ.t
J’ai marché jusqu’à Éléphantine, je me suis rendu jusqu’au Delta,
me tenant sur les confins, j’ai observé l’intérieur,
j’ai atteint les confins de la Grande Ourse

Enseignement d’Amenemhat, 3, 4-5 :

jw jr~n=j n=j pr sÈkr=w m nbw

12
. Dernière édition : F. ADROM, Die Lehre des Amenemhet, BiAeg XIX, 2006.

12
hæ.w=f m Ïsbd sæ.wt m Ìe
sæt.w cæ.w m Ìmtj
Je me suis fait construire un domaine orné d’or,
avec des plafonds de lapis-lazuli, des parois d’argent,
des sols et des vantaux de cuivre.

Voir aussi, peut-être, P. Chester Beatty VII, r° 5, 7-8 (texte magique) :

jn mj n=j bk.t twy n(y).t-sw.t


Ònc=j mtw.t jmy.t Ìcw=k
swæ=j s.t jmy.t c.wt=k
Apporte-moi, s’il te plaît, ce bourgeon de la plante sout
pour que j’écarte le venin qui se trouve dans ton corps,
et que je fasse s’éloigner celui qui se trouve dans tes membres.

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