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Dites-moi, jeune homme à l’œil vif et intelligent, n’êtes-vous pas désolé de rester
Apprendre à s’exprimer bouche close lorsqu’un bavard vient se moquer à votre nez de vos idées ? Tenez, voici
par exemple, un monsieur qui arrive dans votre groupe avec de belles phrases : Il vous
parle de «pêche progressive», de «lois océanographiques», des «engins rationnels» de
pêche, des «évolutions sociales» pour en arriver à vous démontrer avec élégance que
les pêcheurs bretons ne sont que des arriérés tournant le dos à la Science, et s’en-
croûtant par leur faute dans la misère... Vous, que répondez-vous ? Hélas ! Vous avez
bien senti votre sang bouillir, vous avez essayé peut-être de répliquer et d’exposer les
bonnes raisons pratiques des pêcheurs, mais, les mots ne vous viennent pas bien,
vous vous taisez, humilié, vexé... Et le monsieur s’en va, persuadé qu’il vous a donné
une bonne leçon, et ne soupçonnant pas vos points de vue judicieux et pratiques que
vous n’avez pas su exprimer plus clairement.
Voulez-vous un autre exemple ? Vous êtes à blaguer, sur le quai, entre camarades,
quand arrive un coiffeur, grand bavard, qui chante les vertus de l’eau-de-vie et raille
ceux qui n’en boivent pas. Vous qui êtes intelligent, vous savez bien que l’alcool ne
vaut rien, mais vous n’osez rien dire ; l’autre parait avoir la langue si bien pendue
que vous vous taisez, par crainte de ne pas pouvoir mettre les rieurs de votre côté ; et,
vous ragez en voyant quelques sourires moqueurs à votre adresse...
Voyons, cher ami, n’est-ce pas vrai que des humiliations de ce genre arrivent sou-
vent au marin-pêcheur ? Le marin voudrait répondre..., pourtant il se tait... Pourquoi ?
Ah! Ne me dites pas que c’est par timidité ! Non, vous n’êtes pas des «timides» : mais
vous ne savez pas comment vous y prendre : vous ignorez les règles qui vous auraient
appris à répliquer, à causer, à convaincre les autres.
Cependant, c’est facile, croyez-le bien. Tenez, vous allez vite l’apprendre en lisant
les règles suivantes. Et bientôt, vous saurez vous servir adroitement de la parole ; vous
deviendrez crâne comme tout, sûr de vous, même devant les beaux parleurs. Vous
verrez ensuite comme vous serez fier de pouvoir prendre avec succès la défense de vos
idées, et faire valoir vos droits ! Et vous vous ferez estimer et aimer davantage ! Vous
vous sentirez si fort quand vous posséderez cette arme puissante qu’est la parole bien
maniée ! Donc, à l’ouvrage ! Vous allez lire et relire avec soin les conseils qui suivent.
Vous vous exercerez à les mettre en pratique. Et vous serez étonné des progrès rapides
que vous ferez. Dam ! Je ne vous garantis pas que vous allez, en quelques semaines,
pouvoir rouler les parleurs de profession, les avocats, mais, tout de même, soyez cer-
tain que vous deviendrez très adroit pour défendre les idées qui vous sont chères : vous
riposterez et vous ne craindrez plus personne.
Voici donc, en quelques pages, les règles qui ont fait le succès de tous ceux qui
savent parler.
1° Parlez lentement.
2° Prononcez bien nettement chaque syllabe, souvent même les muettes des fins
de mots.
3° Articulez clairement tous les sons.
En effet, nous connaissons bon nombre de marins intelligents qui seraient des
causeurs très écoutés et très intéressants, s’ils voulaient parler quatre fois moins vite,
et bien prononcer. Les pêcheurs bretons ont une mauvaise tendance à parler beau-
coup trop vite. Qu’ils réfléchissent bien à cette confidence que faisait à l’un de ses
amis le célèbre barde breton, Th. Botrel : « Le secret de mon succès, mon secret,
pour impressionner mes auditeurs est bien simple : je m’applique à prononcer et à
articuler avec force tous les sons, toutes les syllabes ».
Rien de plus vrai ; soyez bien persuadés que les trois conseils donnés plus haut
sont tout à fait importants. Allons, exercez-vous !
Restez calme, parce que si vous vous emballez, vos idées se précipiteront et les
paroles viendront en désordre sur vos lèvres : vous serez embarrassé, vous bégaierez...
des mots irritants vous échapperont, et, ça aura pour résultat de buter l’autre qui,
dès lors, ne tiendra plus compte des bonnes raisons que vous pourriez lui donner.
Donc, quelle que soit votre vivacité, restez calme afin de rester très maître de vos
sentiments. Du reste, si vous avez soin de veiller à parler lentement, il vous sera tou-
jours facile de rester calme.
Dans la plupart des cas, il faut reculer carrément et avouer votre erreur. Votre
adversaire sera favorablement impressionné par votre franchise ; cela le mettra de
meilleure humeur pour vous céder à son tour sur un autre point qui vous tient à
cœur.
Il vous est toujours possible de vous dégager, par exemple, en faisant remarquer
que vous n’avez pas encore étudié suffisamment ce point-là, mais que telle personne
compétente pourrait répondre largement... Gardez-vous bien de répondre n’importe
quoi : mieux vaudrait alors le silence plutôt que du bavardage sans raisons... Surtout,
empressez-vous alors de lui poser à votre tour une question que vous savez embar-
rassante pour lui. Cela fera saisir qu’on ne peut pas répondre à tout, et il deviendra
plus indulgent pour vous.