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Hommes et Terres du Nord

Tourisme et villégiature balnéaire en France et en Belgique vers


1850
Michel Bonneau

Résumé
L'auteur présente les origines de la villégiature balnéaire en France à travers quelques exemples choisis plus
particulièrement sur les côtes de l'Ouest. Un tableau est ensuite brossé des principales stations de bains de mer vers
1850 d'Ostende à Saint-Malo. Les bains de mer d'Ostende sont présentés à travers des sources françaises du milieu du
siècle. Cette villégiature balnéaire avait acquis dès ses origines des traits qu'elle a conservés jusqu'à nos jours.

De schrijver presenteert de herkomst van de zomerverblijven in de badsteden van Frankrijk, door sommige voorbeelden in
het bijzonder gekozen op de Westoevers. Vervolgens werd een beschrij-ving gemaakt van de belangrijkste badplaatsen
van Oostende tot Saint-Malo omstreeks 1850. De badplaatsen van Oostende werden voorgesteld door de franse bronnen
van het midden der eeuw. Dit zomerverblijf in de badsteden heeft vanaf zijn oorsprong karaktertrekken verkregen, die ze
behou-den heeft tot op heden.

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Bonneau Michel. Tourisme et villégiature balnéaire en France et en Belgique vers 1850. In: Hommes et Terres du Nord,
1977/2. pp. 13-22;

doi : https://doi.org/10.3406/htn.1977.1548

https://www.persee.fr/doc/htn_0018-439x_1977_num_2_1_1548

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TOURISME ET VILLEGIATURE BALNEAIRE
EN FRANCE ET EN BELGIQUE VERS 1850

Michel BONNEAU

Le milieu du XIXème siècle constitue une période charnière dans l'histoire du tourisme
balnéaire. Avec le développement du chemin de fer, le progrès économique, l'urbanisation, la crois¬
sance de Paris, le mouvement touristique allait prendre une grande ampleur. Etudier les origines et
la géographie du tourisme balnéaire n'est pas seulement faire oeuvre d'historien, c'est aussi faciliter
la compréhension de la géographie touristique actuelle. En tourisme, plus qu'ailleurs, le poids des
héritages dans les structures actuelles est considérable.
Cette étude n'a pas la prétention d'être complète. Il s'agit d'une synthèse provisoire qui
peut être remise en cause par l'exploitation de sources locales et qui dépend assez étroitement de nos
propres sources 1 . Une synthèse de ce type est d'autant plus délicate que l'on se trouve en présence
d'un domaine relativement neuf, qui jusqu'ici, à l'exception des travaux d'historiens comme ceux de
Marc Boyer et Paul Gönnet 2 et de quelques géographes (L. Burnet, F. Cribier, M. Chadefaud, D.
Clary) ne semble guère avoir attiré les chercheurs français.

I - LES ORIGINES DE LA VILLEGIATURE BALNEAIRE EN FRANCE

Avant de devenir une mode, la villégiature maritime correspondait aux exigences médicales
répandues dans les guides et traités du XIXème siècle. La pratique des bains de mer était assimilée
au thermalisme. Dès les XVIème et XVIIème siècles, alors que les plages maritimes demeuraient
encore désertes, se plonger dans l'océan eût certainement paru l'acte d'un fou. L'on en peut juger
par le naïf effroi de Madame de Ludre qui ne pouvait se faire à cette horrible idée d'être "jetée nue
dans la mer" :
"Ah ! Zézu, ma sère de Grignan, la drôle de soze que d'être jetée toute nue dans la mer".
C'est dans les séjours fréquents de la duchesse de Berry à Dieppe vers 1820 que l'on voit
traditionnellement les débuts de la villégiature balnéaire. Si l'on en croit les mémoires de Madame
de Boigne, ce serait elle qui aurait pris en France le premier bain de mer. Elle s'était déjà trempée
dans la mer en Angleterre parce qu'elle souffrait d'un mal indéterminé. Elle raconte ainsi l'événement :
"mon frère me fit arranger une petite charrette couverte. On me procura à grand peine et à grands
frais un homme pour mener le cheval jusqu'à la lame et deux femmes pour entrer dans la mer avec
moi. Ces préparatifs excitèrent la surprise et la curiosité, à tel point qu'il y avait foule sur la grève.
On demandait à mes parents si j'avais été mordue d'un chien enragé. Un vieux monsieur vint trouver
mon père pour lui représenter qu'il assumait une grande responsabilité en permettant un acte si té¬
méraire". C'était à Dieppe en 1806. Dix ans après, les baigneurs arrivaient par centaines 3. Les bains
de Dieppe allaient assurer la suprématie des côtes normandes de la Manche dans cette première géo¬
graphie touristique. Tout en étant fréquentées par des personnalités moins illustres les côtes de l'Océan
n'ignoraient pas, à la même date, la pratique des bains de mer.
Il existe au sud de l'embouchure de la Loire deux sources d'eaux minérales, l'une à La
Plaine et l'autre à Pornic, qui attirèrent dès le début du siècle un grand nombre de buveurs. D'abord,
elles ne furent connues que des habitants du Pays de Retz, de Noirmoutier, d'une partie de la Vendée ;
vers 1820, leur réputation a grandi et on y accourt de beaucoup d'endroits, les médecins nantais
prescrivant leur usage à un grand nombre de malades. On n'en commence guère la fréquentation avant
la fin de juin et l'on cesse dans le courant de septembre. La Plaine-sur-mer ne se recommande pas seu¬
lement par ses eaux minérales ; ses bains de mer jouissent également d'une grande réputation. Les
bains de mer de Pornic sont davantage connus. On les "prend à la lame" sur une belle grève ou dans
des grottes. Les étrangers y sont nombreux. On trouve à Pornic la plupart des choses qui plaisent
ou qui sont nécessaires : comestibles à prix raisonnables, logements propres, population hospita¬
lière. Ce flux entraîna des aménagements spécifiques. Autrefois, la simple nature fournissait toutes
les distractions des buveurs. Si, parmi eux, il s'en trouvait des disposés à la gaîté, ils fournissaient
une partie de danse sur le terrain vague qui se trouvait au-dessus du rocher. En 1820, pour qu'ils

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fussent à l'abri du mauvais temps, l'on construisit sur ce même terrain une salle en bois. Elle servait
aux uns de refuge, aux autres de salon de danse. La promenade le matin et le soir, la recherche des
coquillages, les bains de mer pour ceux qui savent les supporter sont encore des objets de distractions.
11 a entraîné aussi une adaptation des populations littorales à ce phénomène nouveau : l'afflux im¬
portant "d'étrangers". Les "laboureurs" du hameau de Préfailles afferment leurs chambres garnies
des plus minces ustensiles de ménage pour chaque mois à raison de 15 F. par lit sauf draps. Pendant
la saison des eaux, ils se retirent dans leurs celliers ou leurs chambres de décharge. Ils couchent alors
sur la paille et se font un produit de leurs privations 4 . En 1820, il vient annuellement 120 à 150
malades de toutes les classes et de toutes les professions à La Plaine. Pendant la saison 1837, Pornic
et les communes voisines ont reçu chacune 1500 personnes qui y dépensent 100 à 150 000 francs 5 .
Plus au sud, à la Bernerie, en 1854, on construit un "pavillon d'abri" à proximité d'une source dé¬
couverte en juin 1851, destiné à "recevoir les étrangers qui viendront la visiter". Vers 1850, cette
côte nord de la baie de Bourgneuf était déjà très fréquentée par les baigneurs. En 1851, E. Souvestre
note que les baigneurs paisibles, chassés de Pornic, du Pouliguen et du Croisic par la mode, allaient
chercher un peu de solitude et de liberté à Piriac. Depuis l'ouverture d'une route praticable, ils n'é¬
taient plus contraints de prendre pour y arriver des trains de mulets ou des chariots à boeufs. Les
pataches et les coucous se disputaient à Guérande les voyageurs et les "touristes" 6 • Le Croisic était
en effet le grand centre de la presqu'île guérandaise, connu et fréquenté dès 1824. Gustace de
Grandpré constate dans ses "promenades" (1828) que "Le Croisic offre en été un séjour fort agréa¬
ble". En 1841, un entrepreneur d'Amboise ouvre un établissement de bains et il fait construire en
1847 "l'hôtel des bains".
C'est selon un processus voisin que s'est développée la villégiature balnéaire sur la Côte
d'Emeraude à partir de la source de la Fontaine des Eaux à Dinan et celle de Vaugarni à St Servan.
Dès avant 1789 la vogue de la Fontaine des Eaux était considérable. Le vallon des Eaux appartenait
alors au chapitre de Saint-Malo qui, en 1766, en fit cession à la ville qui y fit planter des allées d'ormes.
Les abords furent aménagés pour faciliter l'accès des promeneurs. Ce fut autour des deux sources
minérales de la Côte d'Emeraude que s'organisa le premier mouvement mondain. La saison remonte
à 1830. La bourgeoisie possédait des maisons de campagne à St Servan, à Pleudihen sur les bords
de la Rance, à Port St Jean. L'exode se faisait à Pâques. En 1830, M. Hovius fut nommé Maire de
St-Malo. Comme les autres riches Malouins, il possédait une maison de campagne à l'embouchure
de la Rance, un étang et la source de Vaugarni. Il imagina un "bal des eaux" fréquenté par la société
de Dinan qui y venait en bateau par la Rance. On commença à prendre des bains de mer et à louer
des "chambres garnies pour la saison d'été" à St-Malo. Cette clientèle trouvait à se loger d'autant
plus facilement que les familles appartenant à la noblesse et à la bourgeoisie passaient l'été à la cam¬
pagne et ne dédaignaient pas de louer leurs appartements aux étrangers qui fréquentaient leur plage 7 .
La cité des corsaires allait devenir l'initiatrice du tourisme en Bretagne.
C'est le chemin de fer qui est à l'origine du développement de la villégiature autour du
bassin d'Arcachon. Le 7 juillet 1841, deux ans avant que les chemins de fer de Paris à Orléans et à
Rouen fussent inaugurés, celui de Bordeaux à la Teste était ouvert au public. Ce n'était plus par
familles isolées mais par centaines que, pendant la belle saison, les baigneurs venaient de Bordeaux
et du reste de la France se plonger dans les eaux du bassin et se promener sur les plages. On com¬
mença à construire des châlets et de somptueuses villas au milieu des dunes. Arcachon comme le
note Elisée Reclus, allait devenir une "ville de plaisir et de nonchaloir" et accueillir 10 402 person¬
nes pendant la saison de 1862 pour un mois en moyenne 8. Arcachon devait détrôner les bains
de mer de Royan également fréquentés par la société bordelaise. La côte vendéenne est également
fréquentée. Les sables d'Olonne qui n'ont pas, comme Arcachon, la Rochelle ou Royan, "kiosques
turcs ou chinois, châlets suisses, villas italiennes" n'en ont pas moins le privilège depuis 1835 de re¬
cevoir tous les ans une société élégante. On n'y trouve pas de salons dorés et d'étiquette rigoureuse.
On y est tout à fait chez soi et comme à la campagne. On fait connaissance en allant à la baignade,
on se rencontre à la promenade sur le bord de la mer et le soir l'on est toujours certain de trouver
société choisie dans les salons sans préjudice des soirées musicales et dansantes. En 1845, la ville
achève de construire son établissement de bains. Quelques baigneurs ne rêvent que de parties de mer
et de pêche 9 .
Biarritz constitue le lieu de villégiature à la mode le plus au sud de cette côte atlantique.
Il se distingue des autres par l'affluence et la variété des baigneurs qu'il attire chaque année. On y
compte plusieurs bains de mer ayant chacun sa clientèle spéciale presque toujours composée d'indi¬
vidus des mêmes classes sociales. La population landaise fournit le gros de l'immigration. L'Espagne

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y envoie les plus illustres représentants de la "grandesse" espagnole et ses hommes d'Etat, l'Angleterre
ses millionaires excentriques. Le quartier du vieux port qui forme une petite anse abritée est affecté
à l'aristocratie des baigneurs. La "côte des basques" est un endroit retiré, difficile d'accès, domaine
des gens peu aisés, qui ne veulent pas paraître et qui viennent avec leurs provisions. Cette dernière
n'est fréquentée que par ceux qui visent à l'économie 1 0 .
Même la côte méditerranéenne, traditionnellement fréquentée par les hivernants d'octobre
à mai, s'ouvre à la villégiature balnéaire estivale du milieu du XIXème siècle 1 1 . Les Toulonnais ont
un véritable culte pour les grèves du Fort de la Malgue et vont s'y baigner. Pendant l'été, le dimanche,
des familles entières dressent "une tente avec la toile et les avirons du canot qui les amène. La mère
surveille les jeunes filles dont le corps mollement couché dans l'eau s'abandonne aux voluptés du
bain tandis que le père perché sur son écueil plonge et replonge patiemment sa ligne dans la mer" 1 2 .
Les Marseillais fréquentent la Villa Etienne ; Palavas est le Trouville des Montpelliérains mais en 1 864,
il n'est qu'un "Trouville naissant, tranquille, modeste qui ne sait rien encore des toilettes tapa¬
geuses" 1 3 .
La villégiature balnéaire était déjà largement développée sur les côtes françaises avant
1850 avec des caractères modernes 14 : lotissements de vacances, tourisme "populaire", fréquenta¬
tion saisonnière et de pointe, déplacements de "foule". Si les côtes de l'Atlantique et de la Méditer¬
ranée étaient surtout fréquentées par les populations des grandes villes régionales, celles de la Manche
et de la Mer du Nord en raison de la proximité de Paris et des grands foyers de peuplement, des ori¬
gines mêmes de la villégiature balnéaire, des facilités de déplacement, constituaient le lieu privilégié
pour les migrations estivales.

II - LA VILLEGIATURE BALNEAIRE D'OSTENDE A ST-MALO VERS 1850.

D. Clary a souligné le rôle du développement historique dans la géographie actuelle de la


côte normande 15 . En 1850, le littoral de la Manche et de la mer du Nord offre déjà de multiples
possibilités de villégiature et un premier aménagement, destiné exclusivement à la satisfaction de
ces besoins nouveaux qui apparaissent comme de plus en plus nécessaires. Il faut en effet satisfaire
les exigences de cette aristocratie de la naissance et de l'argent. Le tourisme balbutiant est déjà une
"monomanie". En 1843, l'éditorialiste de l'Illustration peut écrire dans le numéro de juillet : "Tout
est fini... il nous faut assister au départ de tous... Le branle-bas général a commencé ; cette heure
attendue avec tant d'impatience a sonné... Déjà une foule nombreuse est venue s'abattre sur la
plage". Mais il faut aller dans les lieux à la mode. "Qui oserait avouer dans un salon de Paris que pour
prendre des bains de mer, il a été tout simplement trouver la mer, n'importe où, au bout des belles
prairies de Normandie ou dans quelques crique ignorée. Pour prix de son aveu, le malencontreux
baigneur ne recueillerait que les sarcasmes et le titre d'original, qui n'est plus aussi recherché depuis
qu'il y en a tant...".
Et les lieux à la mode avant 1850, on les rencontre presque exclusivement d'Ostende à
Saint-Malo.
Le plus ancien est assurément Dieppe lancé par la duchesse de Berry avant 1830. Félix
Mornand à qui nous ferons beaucoup appel 16 décrit la première station de la Manche en 1850.
"Aux approches de la saison, la cité entière s'émeut et se métamorphose en une vaste auberge. Les
nombreux hôtels qu'alimente le service journalier des paquebots de Brighton ne suffisent plus, tant
s'en faut, à recevoir tous les baigneurs. Chaque citoyen de Dieppe se décerne aussitôt une patente
d'hôtelier et transforme en logements garnis le tiers, le quart, la moitié de sa maison, sinon sa maison
entière...". L'élément le plus important de la cité est l'établissement de bains, un des plus beaux
de France : "il se compose d'une grande galerie de 100 m. de longueur. Au milieu est un arc couvert :
à chaque extrémité sont des pavillons élégants, renfermant des salons à proximité desquels sont dis¬
posés des pontons ou escaliers en bois qui offrent un accès facile sur le sable où sont disposés de
nombreuses tentes. C'est là que l'on revêt le costume sacramentel".
Le rival de Dieppe est le Havre qui possède un établissement de bains récent fréquenté
par les artistes parisiens et une salle de spectables. Après 1830, les séjours annuels de la famille royale
au chateau d'Eu, les visites de la reine Victoria, ont valu au Tréport une importante clientèle estivale.
Les bains du Tréport étaient placés sous la protection du Comte de Paris. On avait construit pour lui
un petit palais sur le rivage. En 1850, Le Tréport comme résidence offrait assez peu de ressource.
Il n'existait ni salon, ni théâtre et ce n'était pas là qu'il fallait venir chercher la vie mondaine des

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eaux. C'est que Trouville déjà est à la mode. L. Burnet a retracé les origines de la première station
balnéaire de basse Normandie 1 7 lancée par les peintres Charles Mozin et Isabey, des hommes de
lettres comme
encore un véritable
Alexandre
établissement
Dumas etde des
bains
journalistes
comme celui
comme
de Frascati
Alphonseau Karr.
Havre.EnLes
1844,
choses
il n'y
onta lieu
pas
simplement : une trentaine de petites cabanes de coutil rayé sont rangées sur les bords de la mer.
Les baigneurs-jurés sont là tout près avec leurs vareuses rouges et leurs chapeaux cirés sur lesquels
on lit : "baigneurs-jurés — guides à la mer". Les femmes de cabinet entretiennent d'eaux des seaux
de sapin pour laver les pieds des baigneuses au sortir de la mer 1 8 . En 1850, Trouville n'a pas encore
réussi malgré l'avantage du sable fin sur les galets, l'habile propagande des feuilletonistes, à supplanter
entièrement Dieppe. Le "salon" de Trouville ne mérite pas encore son nom. L'on y trouve un mau¬
vais billard, un cabinet de lecture et une salle de bal de la dimension d'une chambre d'étudiant...
mais la liste d'abonnements s'enorgueillit de noms fort aristocratiques. Le duc de Pasquier, le comte
d'Hautpoul et plusieurs notabilités parlementaires y ont leur maison de campagne.
En dehors de Dieppe, Trouville et Le Tréport, la côte normande n'offre plus guère de
centres à la mode et aménagés vers 1850. Au nord du Havre, Saint-Adresse et Etretat commencent
à être bien connus. Fécamp l'est beaucoup moins et l'on y va pour avoir "un peu d'inédit et de
sauvagerie". On y est du Havre en deux heures et en cinq de Paris. On prend le chemin de fer jusqu'à
Beuzeville et de là des voitures omnibus. Fécamp est un pays où l'on peut s'abriter, se nourrir, vivre,
se promener sans avoir un million de rentes. Félix Mornand encourage ceux qui tiennent à prendre
honnêtement des bains de mer et non à enrichir les hôteliers normands et les couturières parisiennes
à se rendre à Fécamp. Avant 1850, il n'y a pas de lieu de villégiature important, à la mode, entre
Trouville et Saint-Malo. Cabourg-Dives s'éveille à peine. Son établissement de bains ne date que de
1854. On ne parlera d'Houlgate — Beuzeval, de Villerville, de Lion-sur-mer qu'à partir de 1860.
Cherbourg avait eu un établissement de bains de mer mais l'éloignement des grands centres l'avait
fait péricliter. Il faut attendre 1864 pour y trouver un nouvel établissement de bains de mer. La
pratique des bains de mer est attestée cependant avec une certaine ampleur, sur les côtes de l'Avran-
chin. Un rapport manuscrit rédigé en 1839 par le Commandant Peytier, chargé des levés de la carte
d'Etat-Major pour les feuilles de Coutances et d'Avranches 1 9 mentionne les sources minérales ferru¬
gineuses nombreuses dans l'Avranchin et qui sont "moins fréquentées depuis vingt ans, ce que l'on
doit à l'adoption des bains de mer. On en prend au Mont-Saint-Michel, à la Roche-Torin, au Gué de
l'Epine, à Avranches, au rocher dit "le Grouin du sud", à Vains, à Genest, sous les falaises de Saint-
Jean-le-Thomas et de Champeaux, lieu pittoresque et solitaire qui attire un grand nombre de baigneurs
logeant à Saint-Jean-le-Thomas, à Garolles, à Saint-Pair-sur -Mer, fréquenté chaque année par 150 à
200 baigneurs qui préfèrent ce lieu à Granville, dont les bains sont fréquentés chaque année par
environ mille personnes qui doivent laisser dans la ville au moins cent mille francs annuellement,
"Guidelou 20 vante aux bains de Granville, l'élégance et la commodité des "cabanes" de bains et
signale que les baigneurs peuvent se réunir "dans un édifice en bois avec piano, salle de bal, salon
de lecture et salles de jeux". Le Hercher ne mentionne au milieu du siècle que les bains de Granville
et de Saint-Pair 2 1 .
La côte picarde est encore très peu fréquentée à cette date en dehors du Crotoy dont la
plage est desservie en une demi-heure par un service d'omnibus au départ de Rue. Il s'agit d'un centre
de villégiature familiale. C'est le "pied-à-terre du citadin fatigué du tumulte des grandes villes. Au
parisien qui fuit la ville pour voir la mer et jouir d'un peu de calme et de solitude, il ne faut point le
bruit des rues, l'ennui des fastueux hôtels, l'étiquette du monde. Il faut un contraste à ce qu'il voit
pendant neuf mois de l'année et il trouve cela au Crotoy", Outre les promenades dans la forêt de
Crécy et dans la campagne de Marquenterre, des bateaux sont à sa disposition pour visiter la baie
de la Somme et aller jusqu'à la hauteur de Dieppe ou d'Etaples.
Plus au nord, la villégiature s'est concentrée à Boulogne fréquentée surtout par les Anglais.
Félix Mornand qui la visite en 1850 n'y voit que "ladies empanachées et gentlemen... Chaque jour les
paquebots de Londres, de Folkestone et de Douvres les amènent par cinquantaines. Ils occupent
tous les hôtels et les plus belles maisons privées. Tous les prospectus, les provocations, les flatteries
sont à leur adresse exclusive. Les guides sont en anglais. Les hôtels sont remarquablement vastes et
luxueux. Ils ne paraissent pas inférieurs à ceux de Suisse et d'Allemagne". Boulogne possède une
salle de spectacle et un établissement de bains ancien et réputé créé par un industriel, M. Versial
dès 1825. Un essai avait déjà été tenté vers la fin du XVIIIème siècle par Cléry de Bécourt, ancien
Maître des Eaux et Forêts du Boulonnais, qui avait installé un système balnéaire dont la nouveauté
assura un instant la vogue et qui fut l'objet d'un privilège spécial accordé pour 100 ans par lettres

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royales du 10 décembre 1785. Trente ans après, ce système ne répondait plus aux exigences de la
haute société : il fallait un établissement construit sur le bord de la mer ; c'est ce que comprit
M. Versial 22 . L'établissement est partagé en deux. La partie consacrée aux dames renferme un grand
salon, une salle de rafraîchissements, une chambre de repos et un salon de musique. La partie destinée
aux hommes est composée d'une salle de billards et d'autres pièces. En 1850, on s'y baigne différem¬
ment qu'à Trouville. On utilise pour cela "des voitures qui servent en même temps de cabinets de
toilette au baigneur qui s'y déshabille pendant le trajet qui le conduit à la mer. Ces voitures sont pour¬
vues d'un marche-pied à l'arrière. Arrivées dans l'eau, on leur fait décrire une conversion complète :
on tourne le timon du côté du rivage et le baigneur glisse dans la mer".
Si Boulogne est la grande station du Nord de la France, ce n'est qu'à Ostende que l'on
trouve en 1850 une station aménagée susceptible de rivaliser avec Dieppe.

III - LES BAINS DE MER A OSTENDE EN 1850.

La côte flamande n'a pas ignoré non plus les bains de mer. N. Vanhove fait remonter les
premières traces du tourisme sur le littoral à la fin du XVIIIème siècle 2 3 . C'est à Ostende que l'on
trouve en 1784 les premières cabines de plage, à l'initiative de l'Anglais W. Hasketh qui obtient l'au¬
torisation de construire un hangar sur la plage. Une véritable colonie anglaise, comme à Boulogne
plus tardivement, s'implante à Ostende. Après 1815, Ostende devient un centre international qui
attire la haute société d'autant plus que les nouvelles relations maritimes et ferroviaires allaient con¬
tribuer à l'essor de son tourisme 24 . En 1850, le réseau belge des chemins de fer compte 559 km.
et Ostende est la seule ville du littoral touchée par le chemin de fer. Elle est reliée à Anvers, Bruxelles,
Liège et Cologne. On peut s'y rendre de Lille par Mouscron et Bruges. Comme Dieppe, Ostende
bénéficiait des séjours de la famille royale. Grâce aux sources françaises et à Félix Marnand, nous
possédons une excellente description de la station de bains d'Ostende en 1849. En raison de l'in¬
térêt exceptionnel de ce texte dans l'histoire du tourisme balnéaire, et des difficultés à se le procurer,
nous en publions les extraits les plus significatifs 2 5 .
"La route de Dunkerque à Ostende côtoie ces dunes près desquelles Turenne remporta
une grande victoire. On ne peut voir la mer mais on l'entend souvent. Au-delà de Zuydcoote, le der¬
nier village français, on trouve la douane belge à trois lieues de Dunkerque. La visite des bagages
se faits promptement et poliment dans une petite maison située le long de la route où le tradition¬
nel "verkoopt men tranken" inscrit au-dessous du lion belge, invite les voyageurs à consommer les
produits de l'industrie nationale dès leur entrée dans le pays au lieu d'y apporter les leurs. On passe
ensuite à Furnes,une jolie petite ville peu connue des touristes comme tout ce qui n'est point dans
le réseau des lignes de fer... De Furnes on va à Nieuport, un autre municipe que fait vivre son port
de pêche. Enfin, après 8 ou 10 heures d'un trot pesant et continu, la voiture de MM. Van-Gend et
Compagnie, les Caillard-Laffitte de Belgique, s'arrête dans les murs d'Ostende.
C'est une ville forte, rectangulaire et bariolée, comme Dunkerque, de tous les tons de
la palette du badigeonneur depuis le blanc de lait jusques au vert pistache et au brun chocolat. Les
rues en sont tirées au cordeau. On n'y trouve point de monuments. Il ne s'y rencontre pas un édifice
qui remonte à plus de cent ans... Les villes régulières ne sont pas les plus gaies, et Ostende privée
aujourd'hui de commerce, qui n'a de vie que pendant la saison des bains, fait foi de cette vérité.
Le port et les bassins qui pourraient l'animer sont presque frappés de mort depuis les agrandissements
d'Anvers. La ville est du reste enfermée rigoureusement dans ses remparts et du côté de la plage même,
il faut monter sur les retranchements pour découvrir la pleine mer. La campagne qui l'avoisine est
plate, nue et monotone. En somme, rien ne ressemble moins qu'Ostende à un lieu de plaisance et
pourtant sa prospérité comme établissement thermal augmente chaque année à mesure que diminue
son importance comme port maritime et place manufacturière. Les étrangers sont la ressource de la
ville et l'alluvion de bank-notes qu'ils y déposent pendant trois mois suffit, nouveau limon d'Egypte.
à la fertiliser et à la faire vivre pour tout le reste de l'année. L'été dernier, quoique la moitié des
habitants fassent l'industrie de logeur et louent aux arrivants des "quartiers" garnis, il a fallu le plus
souvent attendre une semaine au moins l'hospitalité d'une chambre. Provisoirement, les retardataires
campaient, à la grâce de Dieu, sous les remises et dans les salles à manger métamorphosées en dortoirs.
Ostende doit cette vogue à sa grève admirable, au privilège d'être à peu près le seul port d'un petit
royaume il est vrai, mais prodigieusement peuplé et à la ligne de chemin de fer qui lui amène des
visiteurs de tous les points d'Allemagne. La Belgique c'est encore la France ; mais Ostende c'est la
Prusse, la Suisse, la Westphalie, la Saxe, l'Angleterre, la Russie, la Hollande, tout en un mot excepté
17
nous. Sans doute, notre magnifique développement de côtes présente assez de plages pour que nous
n'ayons pas à envier celles du voisin ; mais ce n'en est pas moins une impression triste que de ne plus
entendre la langue nationale dans un pays censé français, à quelques lieues de notre frontière, et de
chercher en vain parmi ces fronts tudesques quelques-unes de ces physionomies enjouées, dont la
naïveté narquoise et l'inexprimable cachet de badauderie et de finesse décèlent le vrai parisien. C'est
sur la digue que se confondent et se rencontrent à toute heure du jour les baigneurs. De toutes les
plages thermales, Ostende est sans contredit celle dont il est le plus exact de dire qu'on y vit au bord
de la mer. Les environs de la ville, dénués d'intérêt, n'offrant pas le moindre prétexte à excursion,
c'est sur cette chaussée longue de 300 pas sur 7 ou 8 en largeur que se réfugie et se concentre tout
le mouvement des baigneurs. C'est là que du matin au soir ils stationnent, fument, causent, boivent,
contemplent, lisent et se livrent à la promenade précipitée que le besoin de réaction nécessite au
sortir du bain. L'infinie variété de la mer dans son apparente monotonie peut seule rendre vraisem¬
blable et possible un mode d'existence et de locomotion si immuable... Elle laisse alors à découvert
une plage merveilleuse, unie comme l'allée sablée d'un parc anglais irréprochable, douce, moelleuse,
lustrée comme une étoffe de soie, et pourtant d'une consistance inébranlable sous le pied. La foule
des enfants et des baigneurs eux-mêmes se hâte de l'envahir avec des cris joyeux jusqu'à ce que le
retour du flot vienne circonvenir la chaussée d'un nouveau blocus maritime. Ces journées uniformes,
ont, moins le mal de mer, une grande analogie avec la vie de bord. En effet, les baigneurs parqués sur
leur éternelle chaussée, peuvent sans grand effort d'imagination, se croire sur le pont d'un navire.
Cette immobilité active et cette vie semi-nautique, semi-contemplative, suffirait difficilement je pense
à défrayer d'émotions et de jouissances un parisien ; c'est peut-être une des raisons pour lesquelles on
trouve à Ostende si peu de nos compatriotes ; mais les Allemands et les Flamands sont de meilleure
composition et s'amusent patiemment.
A l'extrémité est de la digue, celle qui fait face au chenal formant l'entrée du port sans
cesse animé par des barques de pêcheurs, des canots de plaisance et des paquebots britanniques,
s'élève le phare d'Ostende dont le fut svelte disparaît à demi sous une construction adossée à sa base,
contrairement aux règles de l'art et de la perspective, mais adaptée en revanche au goût et calculée
pour le plaisir des baigneurs... Cet édifice parasite n'est autre que le "Cercle du Phare" établissement
mixte et de grande ressource, où l'on trouve à la fois un restaurant, un café, une salle de danse et un
cabinet de lecture fort approvisionné de gazettes belges, anglaises et allemandes mais fort peu de
journaux français. Un modique prix d'abonnement donne droit d'entrée dans ce cénacle littéraire
et gastronomique pour le mois, la semaine et même la journée. Tout près du cercle est situé le "Pavil¬
lon royal" ou pavillon "stamers", autre restaurant, autre café dont l'abord n'est assujetti à aucune
rétribution. Entre les deux établissements, les libraires et des marchands de coquillages exotiques
dressent leur étalage en plein vent. De l'autre côté de la chaussée, celui qui regarde la mer, des haies
de chaises reçoivent du matin au soir mais surtout dans l'après-midi une multitude contemplative. Les
femmes devisent en s'occupant de quelques travaux d'aiguille ; les hommes fument, jouent ou boivent.
Les promeneurs passent et repassent entre les deux rangées de chaises et de tables, comme au bou¬
levard, devant le café de Paris...
Le zèle, la promptitude et la ponctualité des employés sont exemplaires. Le prix du bain,
voiture et costume compris, est d'une modicité extrême, et il est regrettable que cette modération
ne s'étende pas à tous les objets de la vie que l'affluence des étrangers a singulièrement fait renchérir
à Ostende depuis ces dernières années...
Comme toutes les villes de Belgique, Ostende possède nécessairement son "Casino" où
les baigneurs se mêlent aux habitants le soir, en quittant le bord de la mer. Cet établissement est
situé à l'Hôtel de ville, sur la grande place, qui est voisine de la plage. On y trouve un grand nombre
de journaux, des revues, un café, un estaminet et les étrangers y sont admis facilement sur la pré¬
sentation d'un membre habitant de la ville. C'est d'ordinaire le propriétaire de l'hôtel où on a pris
quartier, qui se charge spontanément de faire inscrire ses pensionnaires sur le registre du cercle
toujours libéralement ouvert à chaque nouveau nom moyennant ce patronage un peu banal. Cette
hospitalité facile et bienveillante, et, je me plais à ajouter, aussi désintéressée que possible (les étrangers
étant admis sans rétribution aucune durant les 10 ou 15 premiers jours au moins), est, pour eux
il faut l'avouer, une ressource précieuse dans une ville fermée, peu vivante, sans monuments ni en¬
virons. Du Casino dépend une salle de bal où des soirées de danse réunissent la population mixte des
citadins et des baigneurs une ou deux fois dans la semaine... Le jeu est sinon proscrit du moins fort
négligé aux bals du Casino d'Ostende. Il existe un théâtre à Ostende et une troupe se proposait de
l'exploiter au début de la saison dernière. Mais cette tentative n'a pas été heureuse. Soit insuffisance

18
des artistes, soit insouciance des spectateurs, il a fallu cesser bientôt l'entreprise faute de public.
Somme toute... la vie des bains à Ostende n'offre pas de ces jouissances irritantes, de ces
amusements de haut goût qui la relèvent et l'assaisonnent en certains séjours d'eaux thermales. Elle
est douce et simple, plutôt que somptueuse et raffinée, appropriée du reste aux besoins et aux ten¬
dances des baigneurs germaniques et flamands qui ne paraissent pas tenir prodigieusement à être
amusés, et se tiennent pour satisfaits d'une promenade sur la plage, d'une pipe fumée au Casino, de
la lecture approfondie de l'Allgemeine Zeitung et de ses quatre suppléments, d'un assez bon diner
et qui serait meilleur s'il n'était infecté par toutes les muscades et la cannelle des Moluques, d'une
ou plusieurs pintes de bières et du sommeil pesant qu'assure à l'homme vertueux cette quotidienne
succession de plaisirs sages et mesurés.
J'ai souvent entendu à Dieppe les baigneurs se plaindre amèrement qu'il ne fut pas pos¬
sible d'y faire une promenade en mer et que ni bateaux à vapeur ni canots ne fussent affectés à ce
service de plaisance. C'est une contrariété qu'ils n'éprouvent pas à Ostende. L'industrie du canotier
y est tellement en honneur que l'on ne saurait faire dix pas sur la plage sans être abordé, harcelé,
obstinément suivi par une troupe d'indigènes en chapeaux cirés, qui, à toute force, prétendent vous
faire les honneurs de leurs parages et vous supplient de disposer de leurs avirons, de leurs bras et de
leur barque, tout à votre service, prête à vous transporter au large, le long des côtes, en Hollande,
en Angleterre même, partout où le caprice de monsieur l'étranger voudra faire tourner la barre".
Félix MORNAND (1849)

IV - LA MODERNITE DU TOURISME BALNEAIRE AU MILIEU DU XIXème SIECLE.

Le texte de Mornand sur Ostende, les extraits de presse et de revues, les correspondances
les relations de voyage, les guides et traités, les documents d'archives, permettent de dégager les grands
traits du tourisme littoral avant l'époque des grandes transformations industrielles en France. Il est
frappant de constater que, dès ses origines, la villégiature balnéaire avait acquis des traits qu'elle
a conservés jusqu'à nos jours. Marc Boyer avait déjà souligné que le tourisme était né saisonnier et
Monique Dacharry qu'il avait très tôt pris des formes collectives : les estivants qui fréquentent avant
1850 les côtes françaises et belges, et davantage encore les côtes anglaises, ont un comportement
très voisin de ceux qui les fréquentent aujourd'hui.
La migration estivale apparaît déjà comme une impérieuse nécessité pour les populations citadi¬
nes en mal d'évasion urbaine. Même les élections de 1 849 n'ont pas arrêté les départs en vacances. Philippe
Busoni constate dans le courrier de Paris de l'Illustration que "si la politique était de sa compétence,
il blamerait l'arrêté de l'autorité qui fait du dimanche le grand jour électoral... il faudrait commencer
par fermer les portes de la ville. Cette mesure aurait arrête l'émigration de cette semaine qui fut
rarement plus considérable. Le motif de cette fuite ? Qu'est-ce donc ? Assurément ce ne peut être
le choléra, il a disparu ; encore moins sera-ce l'émeute qui heureusement ne peut plus servir à per¬
sonne mais cette rage de tourisme qui fait gémir les rails et soupirer les locomotives", et d'ajouter,
en août 1849, que les "évèvements d'aujourd'hui sont des voyages et que Paris est dépeuplé par les
vacances".

Il faut partir ; début mai, on commence les préparatifs. "Le Paris mondain et élégant met
des housses aux causeuses et aux fauteuils de ses salons, enveloppe ses bronzes et ses lustres d'un
voile de mousseline, jette une cuirasse de toile écrue sur la soie et ses tentures... Avant 15 jours la
plupart des hôtels du faubourg St Germain seront silencieux et déserts. L'herbe jusqu'au 1er décembre
aura le temps de croître dans les cours 26.". Mais tous ne partent pas : "le Paris immuable et
travailleur le Paris à qui les Dieux n'ont pas fait de loisir, reste toujours éveillé et debout dans son
cabinet, dans son atelier et dans sa boutique et le Paris ouvrier ! le Paris indigent ! C'est celui-là qui
n'a ni maison des champs, ni chaises de poste ni guide de voyageurs" 27 . Divers recoupements nous
conduisent cependant à penser qu'environ 50.000 parisiens sur 1 million quittaient la capitale vers
1850 d'autant plus que les grandes familles emmenaient avec elles leur domesticité (100.000 en
1860 et 200.000 en 1876).
On a accordé à partir du 1er septembre 1853 une indemnité de 40 centimes au kg. de
farine aux boulangers de Paris et de la Seine pour venir au secours des classes pauvres et l'on a en¬
registré en septembre une forte consommation de pain. Les chroniqueurs ont essayé d'en déterminer
la cause qui tenait en partie à des achats de pain à tarif moindre de la part des habitants de la Seine
et Oise qui ne bénéficiaient pas de cet avantage. Ces calculs sont fort intéressants car ils constituent
19
à notre connaissance la première estimation de flux touristique à partir des fluctuations de la bou¬
langerie, avec les remarques relevées aux archives de Loire Atlantique et concernant l'augmentation
du chiffre d'affaires des boulangers de la Plaine sur mer en 1823 (4.000 F. de pain acheté par les
"buveurs"). Nous ferons grâce au lecteur de tous les calculs et supputations 28 , ne retenant que ce
qui éclaire les vacances des Parisiens. "Le mois de septembre est celui où le nombre de Parisiens
absents est le plus considérable. On peut évaluer à 45.000 le nombre de ceux qui passent tout
ou partie de l'été à la campagne ou à la mer. La rentrée de ces emigrants momentanés est loin de
s'effectuer en octobre. Les familles seules qui ont des enfants à ramener dans les collèges se réins¬
tallent à Paris entre le 1er et le 15. Quant aux jeunes gens qui suivent les cours des facultés, aux
familles d'hommes de lois et de magistrats, dont la présence est nécessitée au commencement de
novembre par l'ouverture des cours et la rentrée des tribunaux, c'est alors qu'elles reviennent à Paris.
Les personnes sans profession, les riches en un mot, ou les familles aisées vivant de leur revenu ne
quittent la campagne que dans le courant de novembre et même en décembre. On peut estimer à
20-25.000 le nombre de Parisiens rentrés en octobre".
Il faut partir en outre dans les lieux à la mode, les stations chics, les bains élégants, re¬
trouver la même société qu'on vient de quitter. La plage est petite mais il faut s'y donner en spec¬
tacle pas plus ni moins qu'au Bois de Boulogne. La vie balnéaire est une vie mondaine avec ses
promenades sur la digue comme à Ostende, en attendant les "planches" de Deauville et sa potinière,
ses salons de lecture, ses spectacles et ses "vedettes", son animation artificielle, sa navigation de
plaisance dominée par les Anglais, sa vie nocturne, ses bals et ses représentations, ses défilés de mode.
On n'y va pas encore pour s'y faire bronzer mais cela ne tardera guère. Déjà on pratique les jeux
de plage, notamment pour les enfants surveillés par les nourrices. La spéculation commence à s'em¬
parer de cette activité nouvelle. Elle ne fut pas étrangère au lancement de Trouville. Quelques-unes
des grandes dames qui contribuèrent à lancer Trouville, ou leurs maris, possédaient des terrains sablon¬
neux et stériles en bordure de mer qui ne valaient pas un franc le mètre. D'autres en achetèrent.
On construisit sur ces landes des maisonnettes sous couvert de pavillons de plaisance. Les prix
augmentèrent dans une proportion inouïe... Elisée Reclus constate que la valeur des terrains
d'Arcachon s'accroît dans une porportion rapide et que les propriétaires qui retiraient un bien maigre
profit de leurs forêts vendent maintenant le mètre carré de sable "aussi cher que s'il était situé sur
la grande rue d'une cité populeuse". La publicité commence à créer les besoins. Les murs de Paris
se remplissent d'affichettes vantant leurs billets circulaires et organisent les "trains de plaisir". En
1850, 3.000 Parisiens sont allés à Dieppe le premier dimanche de juillet, moyennant 5 F. Indépen¬
damment de cette reprise du "voyage à Dieppe" des trains de plaisir hebdomadaires sont annoncés
pour Le Havre et autres "villes flottantes".

CONCLUSION

Le tourisme balnéaire n'est pas encore en 1850 la première forme de villégiature : ses
origines en sont encore trop récentes. Les séjours aux eaux thermales conservent leur suprématie :
Spa, Bade continuent à drainer vers elles la riche clientèle aristocratique. La résidence oisive à la
campagne dans les châteaux, les maisons de plaisance, est le fait d'une large partie de la grande et
moyenne propriété parisienne, et encore plus des notables provinciaux. Néanmoins, la villégiature
balnéaire naissante est de plus en plus à la mode et tend à supplanter les formes traditionnelles de la
vie des eaux. Des stations balnéaires sont nées à Dieppe, Brighton, Ostende. D'autres commencent
à s'imposer comme Trouville ou St Malo. Des "petits trous pas chers" (Fécamp, Le Crotoy...) se
révèlent. La haute société internationale ignore les frontières politiques. Les Espagnols fréquentent
Biarritz, les Allemands Ostende, les Anglais toutes les stations à la mode dont Ostende que les
Français ignorent. Les "frontières" sont liées davantage à la mode et aux clivages sociaux qu'aux
problèmes politiques. Le tourisme littoral est en train de modeler l'espace et d'imposer dès sa nais¬
sance un comportement de loisir largement maintenu jusqu'à nos jours. Il crée des structures, établit
des hiérarchies dont notre littoral actuel est encore largement héritier.
Michel Bonneau.
Université de Lille I.

20
NOTES

1. Nous avons dépouillé systématiquement "L'Illustration" de 1843 à 1939 qui reflète assez bien la vie touristique à travers la haute
société parisienne, la "Revue des deux mondes", de 1831 à 1939 et un certain nombre de journaux régionaux et locaux de même que
les
de Baedeker
relations depour
voyage.
la Belgique
Les guides
date sont
de 1843.
également
Ce n'est
précieux
qu'en 1853
mais lesqu'Hachette
guides français
fondesont
la bibliothèque
encore balbutiants
des chemins
en 1850.
de ferLe etpremier
en confie
guidela
ments
direction
littoraux
à A. Joanne.
du Calvados
Nousà laavons
Vendée.
également dépouillé tous les dossiers d'archives départementales relatives au tourisme des départe¬

2. Paul GÖNNET "Simples observations sur l'histoire des migrations touristiques", Annales de Démographie historique, 1971, Nouvel¬
les recherches, p. 43-56.
:

3. Mémoires de Madame de Boigne, extraits cités par Eugène Marsan, L 'Illustration, n°4.562, 1930.
4. Réponse du sous-préfet de Paimboeuf à l'enquête du Ministère de l'Intérieur sur les eaux minérales, 1823. Archives départementales
de Loire Atlantique.
5. Lettre du sous-préfet de Paimboeuf au Préfet de Loire Inférieure. Archives départementales.
6. SOUVESTRE E., "Scènes et moeurs des rives et des côtes", Revue des deux mondes, 1851, sur l'histoire du tourisme dans la
presqu'île guérandaise, voir les travaux de J.-B. VIGHETTI, "Le tourisme à La Baule et en presqu'île guérandaise de 1820 à nos jours",
4 vol. Editions Les Paludiers. La Baule, 1974/1976. Naissance et essor des stations balnéaires, 1848/1 900. Cahiers des amis de Guérande,
n°20, 1973, p. 28-36.
7. D'après les journaux la "Côte d'Emeraude" (1898-1912) et le "petit dinardais" (1911-1912). Archives départementales d'Ille et
Vilaine. Déjà au début du siècle, on se baignait à La Varde ou à la Guimorais ; dans l'eau les dames ne nageaient pas. Elles faisaient
"pigeon" c'est-à-dire qu'elles se dressaient et se plongeaient en cadence avec des ondulations de tourterelle. Ces baigneuses étaient
assez peu nombreuses. Dès Pâques, on partait en villégiature. Les Chateaubriand allaient à Combourg, les Porcon de la Barbinais à
la Flourie, la famille Lamennais à la Chesnaie.
8. RECLUS Elisée "Les plages et le bassin d'Arcachon", Revue des Deux mondes, 1863.
9. L'Illustration, 23 août 1945, et AMAURY Auguste, "Itinéraire de Nantes à Napoléon-Vendée et aux Sables", Paris, Hachette 1867,
qui décrit en 1845 les Sables comme la "ville de Dieppe et d'Ostende des côtes de l'Ouest".
10. L'Illustration, 20 septembre 1856.
11. BOYER Marc, "Le tourisme", Editions du Seuil, 1972, 260 pages.
12. L'Illustration, 23 août 1845.
13. L'Illustration, 17 septembre 1864 et 21 juillet 1860. C'est en 1859 qu'on construit les "bains de mer des Catalans à Marseille "et
Pierre Paget de constater" les côtes de la Manche et de l'Océan offrent de nombreux établissements aux malades et aux oisifs depuis
Boulogne jusqu'à Biarritz : pourquoi la Méditerranée n'aurait-elle pas aussi ses bains, elle dont le ciel est si bleu, les horizons si dorés
et les eaux si limpides".
14. Voir à ce sujet : DACHARRY Monique "Repères historiques de la géographie du tourisme", Bulletin n°6 de l'Association des
amis et anciens de l'Institut de géographie de Paris, 1968, pages 12-13.
15. CLARY Daniel "Le Tourisme sur la côte normande", Thèse de Doctorat d'Etat, Caen 1974.
16. MORNAND Félix, journaliste-Homme de lettres. Né en 1815 à Mâcon-Mort en 1867. A publié plusieurs ouvrages fondamentaux
pour l'histoire de la villégiature balnéaire, notamment La vie des eaux, vol. in-18°, 1853, Paris. Guide de Belgique, Hachette 1853,
Guide Cicerone, Bibliothèque des Chemins de fer.
:

17. BURNET L. "Tourisme et villégiature sur les côtes de France", Thèse, 1963. 484 pages.
18. L'Illustration, "Les bains de mer à Trouville", 7 septembre 1844.
19. Archives historiques du ministère de la guerre. Vincennes. Carton 1 241. fascicule 28, cité par Marius Dujardin, "Histoire des
bains de mer à Carolles et à Jullouville", Revue de l'Avranchin et du Pays de Granville, 1954, n°198, p. 190-213.
20. GUIDELOU, "Notice sur la ville de Granville", 1846.
21. Le Hercher, "L'Avranchin monumental et historique", 1854, et "La Normandie illustrée", 2 vol., 1852.
22. CASTELMANS H., L'Illustration, 11 juillet 1863. Après avoir passé aux mains de M. Mancel père et de ses héritiers (1850) l'éta¬
blissement devint la propriété de la ville de Boulogne. Il fut démoli en 1863 et remplacé par un casino.
23. VANHOVE N., "Le tourisme sur le littoral belge. Aujourd'hui et demain", 1974, 465 pages. Pro Civitate. Coll. Sciences Sociales.
24. Un service régulier Londres-Ostende est organisé en 1823 ; la liaison Douvres-Ostende date de 1846. La première liaison fer¬
roviaire Ostende-Malines date de 1839.
25. L'Illustration, 1849, et F. Mornand : "La vie des eaux".

21
26. L'Illustration, 13 mai 1843.
27. L'Illustration, 7 septembre 1844.
28. JOUBERT, "De la taxe du pain et de l'indemnité payée à la boulangerie" , L'Illustration, 21 mai 1853. "Des consommations
alimentaires et de l'alimentation de Paris", L'Illustration, 1 janvier 1854. "L'approvisionnement de la ville de Paris d'après l'admi¬
nistration municipale", L'Illustration, du 21 septembre 1844.

RESUME

L'auteur présente les origines de la villégiature balnéaire en France à travers quelques exem¬
ples choisis plus particulièrement sur les côtes de l'Ouest. Un tableau est ensuite brossé des principales
stations de bains de mer vers 1850 d'Ostende à Saint-Malo. Les bains de mer d'Ostende sont présentés
à travers des sources françaises du milieu du siècle. Cette villégiature balnéaire avait acquis dès ses
origines des traits qu'elle a conservés jusqu'à nos jours.

SAMEN VATTING

De schrijver presenteert de herkomst van de zomerverblijven in de badsteden van Frankrijk,


door sommige voorbeelden in het bijzonder gekozen op de Westoevers. Vervolgens werd een beschrij-
ving gemaakt van de belangrijkste badplaatsen van Oostende tot Saint-Malo omstreeks 1850. De
badplaatsen van Oostende werden voorgesteld door de franse bronnen van het midden der eeuw.
Dit zomerverblijf in de badsteden heeft vanaf zijn oorsprong karaktertrekken verkregen, die ze behou-
den heeft tot op heden.

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