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Les mots sont des fenêtres : ou des murs : introduction à la

communication nonviolente
n -j Résolution
I I des conflits
-L-*- et médiation
Maintenant que vous connaissez les étapes du proces­
sus de la Communication NonViolente, j’aimerais voir avec
vous comment les appliquer à la résolution des conflits.
Il peut s’agir de conflits entre vous-même et quelqu’un
d’autre, ou il se peut que l’on vous demande - ou que vous
choisissiez - d’intervenir dans des conflits entre d’autres
personnes : des membres de votre famille, un couple, des
collègues de travail, voire des inconnus qui se disputent.
Quelle que soit la situation, la résolution de conflit fait
appel à tous les principes que j’ai exposés précédemment
dans ce livre : observer une situation, identifier et nommer
des sentiments, relier ces sentiments à des besoins, et adres­
ser des demandes réalisables à une autre personne dans un
langage clair et concret, un langage d’action positif.
Cela fait plusieurs décennies que j’emploie la Com­
munication NonViolente pour résoudre des conflits dans
le monde entier. J’ai rencontré toutes sortes de gens mal­
heureux : des couples, des familles, des salariés et leurs
employeurs, ou encore des groupes ethniques en guerre.
D’après mon expérience, il est possible de résoudre prati­
quement n’importe quel conflit à la satisfaction de toutes
les parties en présence. Tout ce qu’il faut, c’est beaucoup

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Les mots sont des fenêtres

de patience, la volonté d’établir une connexion de cœur


à cœur, la détermination à suivre les principes de la CNV
jusqu’à ce que le conflit soit résolu, et enfin la confiance
dans le fait que le processus fonctionnera.

Une connexion de cœur à cœur


L’essentiel est Si l’on veut résoudre un conflit en faisant appel à la
de créer une CNV, l’essentiel est d’établir une connexion entre les gens
connexion entre
les gens. en conflit. C’est cette connexion qui permettra à toutes les
autres étapes du processus de se dérouler : elle sera indis­
pensable pour que chacune des parties ait envie de savoir
ce que l’autre ressent et de quoi elle a besoin. Chaque partie
en présence doit également savoir dès le départ que le but
n’est pas d’amener l’autre à faire ce qu’elle veut. Lorsque
cela est clair pour tout le monde, il devient possible (et par­
fois même facile) d’avoir une conversation sur les moyens
de répondre aux besoins de chacun.
Avec la CNV, nous essayons de vivre selon un système
de valeurs différent tout en recherchant un changement
social. Il est extrêmement important que toute connexion
que nous mettons en place soit à l’image du monde que
nous entendons créer. Il faut que chacun de nos pas soit
aligné, sur le plan énergétique, avec ce que nous cherchons
à créer ; comme un hologramme serait le reflet de la qualité
de relation que nous souhaitons. En d’autres mots, c’est
dans notre manière de faire changer les choses que l’on
perçoit le système de valeurs que nous soutenons. Lorsque
nous comprenons la différence entre ces deux objectifs,
nous nous abstenons consciemment à essayer de faire faire
quelque chose à l’autre. Au lieu de cela, nous nous atta­
chons à créer du respect et de la sollicitude réciproques,
de sorte que chacun sente que ses besoins comptent et
prenne conscience que les besoins et le bien-être de chacun

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Résolution des conflits et médiation

sont interdépendants. Lorsque cela se produit, des conflits


apparemment insolubles se résolvent subitement avec une
étonnante facilité.
Quand on me demande d’intervenir dans un conflit, je
m’efforce d’amener les deux parties à se relier l’une à l’autre
avec sollicitude et respect. C’est souvent là que réside la dif­
ficulté. Une fois cette connexion créée, je les aide à mettre
en place des stratégies qui permettront de sortir du conflit
à la satisfaction de tous. Notez bien que je parle de satis­
faction et non de compromis ! Pour résoudre un conflit,
on essaie le plus souvent de parvenir à un compromis, ce
qui signifie que chaque partie renonce à quelque chose et
qu’aucune n’est satisfaite. Avec la CNV c’est différent : notre
objectif est de satisfaire pleinement les besoins de tous.

Résolution de conflit en CNV et médiation traditionnelle


Penchons-nous à nouveau sur la connexion de coeur
à coeur que la CNV vise à créer, cette fois au travers de la
médiation par un tiers, c’est-à-dire une personne qui inter­
vient pour résoudre un conflit entre deux autres parties.
Quand je travaille avec deux personnes ou deux groupes
qui n’arrivent pas à se sortir d’un conflit, mon approche est
très différente de celle qu’adoptent souvent les médiateurs
professionnels.
Ainsi, je rencontrai un jour en Autriche un groupe de
médiateurs professionnels intervenant dans des conflits
internationaux en tous genres, notamment entre syndicats
et patronat. Je leur décrivis plusieurs conflits dans lesquels
j’avais été médiateur, dont un, marqué par de grandes vio­
lences physiques, qui avait opposé des propriétaires ter­
riens californiens et des travailleurs migrants. Je leur parlai
aussi d’une médiation entre deux tribus africaines (que
j’explique en détail dans mon ouvrage Parler de paix dans

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Les mots sont des fenêtres

un monde de conflits) et de quelques autres conflits dange­


reux et profondément enracinés.

Un participant me demanda combien de temps je


m’accordais pour étudier une situation dans laquelle
j’étais appelé à intervenir comme médiateur. Il se référait
à la méthode de travail habituelle de la plupart des média­
teurs : on examine d’abord les enjeux du conflit, puis on
mène la médiation en se concentrant exclusivement sur ces
enjeux au lieu de s’attacher à créer une connexion de cœur
à cœur entre les parties en présence. En fait, lors d’une
médiation classique, il se peut très bien que les personnes
en conflit ne se trouvent même pas dans la même pièce. J’ai
un jour fait partie d’un groupe concerné par une média­
tion. Notre groupe était dans une pièce, l’autre dans une
autre, et le médiateur faisait la navette entre les deux. Il
nous demandait : “Que voulez-vous qu’ils fassent ?”, puis il
allait demander aux autres s’ils étaient d’accord. Il revenait
ensuite chez nous pour nous dire : “Ils ne veulent pas faire
cela, mais que pensez-vous de ceci ?”

Nombre de médiateurs définissent leur rôle comme


celui d’une “troisième tête” réfléchissant à un moyen de
mettre tout le monde d’accord. Ils ne pensent pas une
seconde à créer une connexion de qualité entre les parties,
négligeant ainsi le seul outil de résolution de conflit qui ait
jamais fonctionné à ma connaissance. Lorsque, à la réu­
nion tenue en Autriche, je décrivis la méthode de la CNV
et le rôle de la connexion de cœur à cœur, un des partici­
pants objecta qu’il s’agissait là de psychothérapie et que les
médiateurs n’étaient pas des psychothérapeutes.

Selon mon expérience, la création d’un lien entre les


gens à ce niveau ne relève en rien de la psychothérapie
mais touche à l’essence même de la médiation, car lorsque

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Résolution des conflits et médiation

les gens se relient de cœur à cœur le problème se résout le


plus souvent tout seul.
Lorsque les Si, au lieu d’avoir une troisième tête qui demande “Sur
gens se relient quoi pouvons-nous nous mettre d’accord ici ?”, nous arri­
de cœur à cœur,
le problème se vons à faire en sorte que chaque partie nomme clairement
résout souvent ses besoins, c’est-à-dire exprime de quoi elle a besoin main­
tout seul. tenant de la part de l’autre, nous découvrirons ce qu’il y a
moyen de faire pour satisfaire les besoins de tout le monde.
Nous pourrons alors élaborer des stratégies que les parties
seront d’accord de mettre en œuvre lorsque la médiation
sera terminée et qu’elles auront quitté la pièce.

Les étapes de la résolution de conflit en CNV -


un bref aperçu
Avant d’examiner plus en détail certains des éléments
essentiels de la résolution de conflit, j’aimerais esquisser
les différentes étapes du processus à suivre pour sortir d’un
conflit entre nous-mêmes et une autre personne. Ces étapes
sont au nombre de cinq. Chacune des deux parties peut
exprimer ses besoins la première mais, par souci de sim­
plicité, supposons que nous commençons par les nôtres.
• D’abord, nous exprimons nos propres besoins.
• Ensuite, nous essayons d’identifier les besoins réels de
l’autre, quelle que soit la manière dont il s’exprime.
S’il ne formule pas un besoin mais une opinion, un
jugement ou une analyse, nous en tenons compte et
nous continuons à rechercher le besoin qui se cache
derrière ses paroles et en est à l’origine.
• En troisième lieu, nous vérifions que l’autre et nous-
mêmes avons parfaitement identifié nos besoins
mutuels et, si ce n’est pas le cas, nous continuons à
chercher les besoins au-delà des mots.

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Les mots sont des fenêtres

• Quatrièmement, nous donnons autant d’empathie


qu’il est nécessaire pour que chacun puisse entendre avec
précision les besoins de l’autre.
• Cinquièmement, après avoir clarifié les besoins des
deux parties dans la situation en question, nous proposons
des stratégies de résolution du conflit, que nous exprimons
dans un langage d’action positif.
Éviter toute Pendant tout le processus, nous nous écoutons l’un
parole qui
l’autre avec le plus grand soin, en évitant toute parole qui
laisse entendre
que l’autre a laisserait entendre que l’une ou l’autre des deux parties a
tort. tort.

Quelques mots sur les besoins, les stratégies et l’analyse


Étant donné qu’il est primordial de comprendre et
d’exprimer les besoins pour résoudre les conflits à l’aide
de la CNV revoyons ici cette notion essentielle qui a été
développée tout au long de cet ouvrage, et en particulier
au chapitre 5.
Fondamentalement, les besoins sont les ressources qui
sont nécessaires à la vie pour se perpétuer. Nous avons tous
des besoins physiques : l’air, l’eau, la nourriture, le repos.
Nous avons aussi des besoins psychologiques, comme
la compréhension, le soutien, l’honnêteté ou le sens. J’ai
la conviction que tous les êtres humains ont les mêmes
besoins, quels que soient leur nationalité, leur religion, leur
sexe, leur niveau de revenu, leur éducation, etc.
Ensuite, voyons la différence entre les besoins d’une
personne et la stratégie qu’elle adopte pour y répondre.
Lorsque l’on veut résoudre un conflit, il est important de
faire clairement cette distinction entre besoins et stratégies.
Beaucoup d’entre nous ont de grandes difficultés à
exprimer leurs besoins : la société nous a appris à critiquer,

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Résolution des conflits et médiation

à insulter, à communiquer (mal) par des moyens qui nous


séparent les uns des autres. Dans un conflit, chacune des
deux parties passe souvent trop de temps à essayer de
prouver qu’elle a raison et que l’autre a tort, au lieu de prê­
ter attention à ses propres besoins et à ceux de l’autre. Ces
conflits verbaux peuvent bien trop facilement dégénérer en
violence, et même en guerre.

Pour éviter de confondre besoins et stratégies, je tiens


à rappeler que les besoins ne font jamais référence à une
action particulière à effectuer par quelqu’un. À l’inverse,
les stratégies, qui peuvent se présenter sous la forme de
demandes, de désirs, de souhaits ou de “solutions”, se
réfèrent à des actions précises que certaines personnes pour­
raient effectuer.

Par exemple, je rencontrai un jour un homme et une


femme qui avaient pratiquement perdu tout espoir de sau­
ver leur couple. Je demandai au mari lesquels de ses besoins
n’étaient pas satisfaits dans son mariage. Il me répondit :
“Il faut que je sorte de ce mariage”. Ce dont il me parlait,
c’était une action précise (sortir du mariage) à effectuer par
une personne précise (lui-même). Il ne nommait pas un
besoin ; il formulait une stratégie.

Je le lui fis remarquer, en lui suggérant de clarifier ses


propres besoins et ceux de sa femme avant de mettre en
œuvre sa stratégie consistant à “sortir de ce mariage”. Une
fois que tous deux se furent reliés à leurs besoins mutuels,
ils découvrirent que ces besoins pouvaient être satisfaits
par d’autres stratégies que la séparation. Le mari se rendit
compte qu’il avait besoin d’être apprécié et compris pour
le stress engendré par son travail, qui était très prenant ; la
femme, quant à elle, identifia ses besoins de proximité et de
connexion avec son mari alors que celui-ci était occupé par
son travail la plus grande partie de son temps.

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Les mots sont des fenêtres

Lorsqu’ils eurent réellement compris leurs besoins


mutuels, ce mari et cette femme purent se mettre d’accord
sur différentes stratégies qui répondaient à leurs besoins à
tous les deux tout en leur permettant de gérer les exigences
du travail du mari.
Chez un autre couple, le manque de connaissance du
“langage des besoins” se traduisait par une confusion entre
l’expression de besoins et la formulation d’analyses, et
finissait par provoquer des actes de violence physique. Le
mari, qui participait à une formation professionnelle, avait
fondu en larmes en décrivant sa situation et, à la fin de la
journée, m’avait demandé si lui et sa femme pouvaient me
parler en privé. C’est ainsi que je fus invité à intervenir
comme médiateur.
Je les rencontrai chez eux un soir. Pour commencer, je
leur dis : “Je sais que vous souffrez tous les deux énormé­
ment. Je vais d’abord vous demander d’exprimer, chacun
de vous, les besoins qui ne sont pas satisfaits dans votre
relation. Une fois que vous aurez compris les besoins de
l’autre, je suis convaincu que nous pourrons élaborer des
stratégies pour y répondre”.
Ne connaissant pas le “langage des besoins”, le mari
commença par dire à sa femme : “Le problème avec toi,
c’est que tu es complètement insensible à mes besoins”.
Elle répondit de la même manière : “Ça te ressemble
bien, tiens, de dire des choses injustes comme ça !”
Au lieu de parler de leurs besoins, ils formulaient leur
analyse de la situation, qui peut facilement être prise pour
une critique par celle ou celui qui écoute. Comme je l’ai
écrit plus haut dans ce livre, les analyses qui impliquent
que l’autre a tort sont fondamentalement des expressions
tragiques de nos besoins insatisfaits.

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Résolution des conflits et médiation

Dans le cas de ce couple, le mari avait besoin de sou­


tien et de compréhension, mais l’exprimait en parlant
de “l’insensibilité” de sa femme. Celle-ci avait également
besoin d’être bien comprise, mais elle le disait en repro­
chant à son mari d’être "injuste”. 11 fallut un certain temps
pour explorer toutes les couches de besoins du mari et de
la femme, mais ce n’est qu’après avoir réellement reconnu
et apprécié leurs besoins mutuels qu’ils purent finale­
ment entamer la recherche de stratégies pour régler leurs
anciens conflits.
J’ai travaillé dans une entreprise où, à un moment
donné, le moral du personnel et la productivité plon­
gèrent en raison d’un conflit très perturbant. À l’intérieur
d’un même service, deux équipes s’opposaient au sujet du
choix d’un logiciel et la tension était très forte. Une équipe
avait travaillé très dur pour développer le logiciel qui était
utilisé à ce moment-là et elle voulait le conserver. Eautre
équipe tenait beaucoup à ce qu’un nouveau logiciel soit
élaboré.
Je commençai par demander à chacune des parties les­
quels de leurs besoins seraient mieux nourris par le logiciel
qu’ils préconisaient. Toutes deux répondirent par une ana­
lyse intellectuelle que l’autre partie prit pour de la critique.
Un membre du groupe favorable à un nouveau logiciel
dit : “Nous pouvons rester excessivement conservateurs
mais je pense que, dans ce cas, nous risquons de perdre
notre emploi dans l’avenir. Aller de l’avant, c’est prendre
des risques et oser montrer que nous savons nous éloigner
du passé”. Un membre de l’autre groupe répondit : “Moi,
je pense que ce n’est pas dans notre intérêt de sauter de
manière impulsive sur n’importe quelle nouveauté qui
croise notre chemin”. Ils reconnurent qu’ils répétaient ces
mêmes analyses depuis des mois et que cela ne leur appor­
tait rien, sauf des tensions de plus en plus fortes.

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Les mots sont des fenêtres

L’analyse Quand nous ne savons pas comment exprimer directe-


intdtectudle ment et ciairement ce jont nous avons besoin et que nous
est souvent L
perçue comme sommes uniquement capables de formuler des analyses qui
une crîtitpie. sont perçues par les autres comme des critiques, la guerre
n’est jamais loin - qu’elle soit verbale, psychologique ou
physique.

Sentir intuitivement les besoins des autres,


quoi qu’ils disent

Pour résoudre les conflits à l’aide de la CNV, nous


devons nous entraîner à entendre les besoins de l’autre,
quelle que soit sa manière de les exprimer. Si nous voulons
vraiment lui apporter une aide, la première chose à faire est
d’apprendre à traduire n’importe quel message en expres­
sion d’un besoin. Ce message peut prendre la forme d’un
silence, d’une dénégation, d’une remarque critique ou,
dans l’idéal, d’une demande. Il s’agit donc d’affiner notre
capacité à entendre le besoin qui se cache dans tout mes­
sage, même si, au début, nous devons essayer de le deviner.
Imaginons que je suis en conversation avec quelqu’un.
Si je pose une question à l’autre personne à propos de ce
qu’elle vient de dire et qu’elle me répond “Quelle question
idiote”, j’entends qu’il y a un besoin qui s’exprime sous
la forme d’un jugement envers moi. J’entreprends alors de
deviner quel pourrait être ce besoin : peut-être ma question
ne satisfaisait-elle pas le besoin de l’autre d’être compris.
Dans un autre exemple, si je demande à mon partenaire
de parler des tensions qu’il y a dans notre relation et qu’il
me répond : “Je ne veux pas en parler”, je vais peut-être
sentir chez lui le besoin de se protéger contre les consé­
quences possibles d’une discussion sur notre relation.
Notre travail sera donc d’apprendre à reconnaître le besoin

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Résolution des conflits et médiation

Apprendre à dans des paroles qui n’en expriment ouvertement aucun.


entendre les
besoins, quelle Cela demande de la pratique, et il faut toujours essayer de
que soit la deviner. Lorsque nous croyons comprendre ce dont l’autre
manière dont personne a besoin, nous pouvons vérifier avec elle, puis
l’autre les
exprime.
l’aider à mettre des mots sur ce besoin. Si nous parvenons
à entendre véritablement celui-ci, une connexion se crée
à un niveau différent : c’est une étape essentielle vers une
résolution réussie du conflit.
Lors des ateliers destinés aux couples mariés, je
recherche souvent le couple qui vit le conflit le plus ancien
afin de démontrer ma prédiction selon laquelle, dès lors
que chacune des parties est capable de nommer les besoins
de l’autre, il ne faut pas plus de vingt minutes pour mettre
fin au conflit. À un de ces ateliers, il y avait un couple qui
se disputait depuis trente-neuf ans pour des questions
d’argent. Après six mois de mariage, la femme avait fait
descendre deux fois leur compte courant en négatif, après
quoi le mari avait pris le contrôle de leurs finances et inter­
dit à sa femme demettre des chèques. Depuis ce moment,
les deux riavaient jamais cessé de se disputer à ce sujet.
La femme mit ma prédiction en doute, objectant que,
même si leur couple était heureux et communiquait bien,
leur conflit était enraciné depuis tellement longtemps qu’il
serait impossible à régler si rapidement. Je lui demandai de
me dire tout d’abord si elle savait quels étaient les besoins
de son mari dans ce conflit.
Elle répondit : “Manifestement, il ne veut pas que je
dépense le moindre centime”. Le mari s’exclama aussitôt :
“C’est ridicule !”
En affirmant que son mari ne voulait pas qu’elle dépense
un centime, la femme évoquait ce que j’appelle une straté­
gie. Même si elle avait bien deviné la stratégie adoptée par
son mari, elle n’avait aucunement identifié son besoin. On

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Les mots sont des fenêtres

retrouve ici la distinction essentielle entre l’une et l’autre :


selon ma définition, un besoin ne fait pas référence à une
action spécifique, comme dépenser ou ne pas dépenser de
l’argent. Je dis alors à la femme que tous les êtres humains
partagent les mêmes besoins et que, si elle pouvait seu­
lement comprendre ceux de son mari, la question serait
réglée. Quand je l’invitai à nouveau à nommer les besoins
de son mari, elle répondit : “Il est tout à fait comme son
père”, évoquant ainsi le fait que son beau-père rechignait à
dépenser. A ce stade, elle se livrait à une analyse.
Je l’arrêtai pour lui redemander : “Quel était son
besoin ?”
Il devint clair que, même après trente-neuf années de
“bonne communication”, elle n’avait toujours aucune idée
des besoins de son mari.
Je me tournai alors vers le mari. Puisque votre femme
n’est pas en lien avec vos besoins, pourquoi ne le lui dites-
vous pas ? Quels besoins nourrissez-vous chez vous-même
en lui interdisant d’utiliser le chéquier ? Il répondit : “Mar­
shall, c’est une épouse merveilleuse, une mère formidable.
Mais quand il s’agit d’argent, elle est complètement irres­
ponsable”. Ce genre de diagnostic (“Elle est irresponsable”)
relève d’un langage qui empêche toute résolution paci­
fique d’un conflit. Quand l’une des parties entend dans
les paroles de l’autre un reproche, un diagnostic ou une
interprétation, il est probable que les énergies en présence
seront orientées vers l’autodéfense et la contre-attaque plu­
tôt que vers la sortie du conflit.

Les critiques J’essayai d’entendre le sentiment et le besoin qui étaient


et diagnostics vivants en lui quand il qualifiait sa femme d’irresponsable :
empêchent “Ressentez-vous de la peur parce que vous avez besoin
une résolution
pacifique des d’être rassuré que votre famille sera protégée du point de
conflits. vue économique ?” Il acquiesça. Il se trouve que j’avais bien

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Résolution des conflits et médiation

deviné, mais il n’était pas indispensable de tomber juste du


premier coup : même si je m’étais trompé, j’avais concentré
mon attention sur ses besoins, et c’était l’essentiel. En fait,
mal deviner le besoin de l’autre peut l’aider à se relier à son
vrai besoin, car cela le fait sortir du mode “analyse” pour
mieux se connecter à ce qui est vivant en lui.

Les besoins ont-ils été entendus ?


Le mari avait finalement découvert son besoin : pré­
server la sécurité de sa famille. Eétape suivante consistait
à s’assurer que sa femme avait entendu ce besoin. Cette
étape est essentielle dans la résolution de conflit : nous ne
pouvons pas partir du principe que, lorsqu’une des parties
exprime clairement un besoin, l’autre l’entend forcément
de manière exacte. Je demandai donc à la femme : “Pouvez-
vous reformuler le besoin de votre mari tel que vous l’avez
entendu dans cette situation ?” “Eh bien, ce n’est pas parce
que j’ai mis le compte courant en négatif deux ou trois fois
que je vais continuer à le faire”.
Sa réponse n’est pas inhabituelle. Lorsque nous avons
accumulé de la souffrance pendant de nombreuses années,
nous pouvons avoir plus de mal à entendre clairement,
même si ce qui est exprimé est clair pour d’autres. Je dis
ensuite à la femme : “J’aimerais vous dire ce que moi, j’ai
entendu votre mari exprimer, et j’aimerais que vous le
reformuliez ensuite. J’ai entendu votre mari dire qu’il a un
besoin de protection de sa famille, et qu’il a peur parce qu’il
veut être sûr que cette protection est assurée”.
Eempathie soulage la souffrance qui empêche
d’entendre.
Cependant, elle souffrait encore trop pour m’entendre.
C’était le moment de faire appel à une autre compétence

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Les mots sont des fenêtres

qui est nécessaire pour engager véritablement un proces­


sus de résolution de conflit en CNV Lorsque les gens sont
en colère, ils ont souvent besoin d’empathie avant de pou­
voir entendre ce que les autres leur disent. Dans ce cas,
je changeai de cap : au lieu d’essayer de faire répéter à la
femme ce que son mari avait dit, j’essayai de comprendre
sa souffrance - cette souffrance qui l’empêchait d’entendre
son mari. 11 est important, surtout quand une souffrance
est ancienne, de donner assez d’empathie aux parties pour
les rassurer quant au fait que cette souffrance est reconnue
et comprise.
Je m’adressai donc à la femme avec empathie : “On
dirait que vous êtes vraiment blessée et que vous avez un
grand besoin de donner aux autres la confiance que vous
Les gens ont
souvent besoin savez tirer les leçons du passé”. Je vis alors dans ses yeux à
d’empathie quel point elle avait besoin d’être comprise pour cela. “Oui,
avant de exactement”, répondit-elle ; mais quand je lui demandai
pouvoir
entendre ce que
de reformuler ce que son mari avait exprimé, elle dit : “Il
dit Vautre. pense que je suis trop dépensière”.
De même que nous ne sommes pas entraînés à expri­
mer nos propres besoins, la plupart d’entre nous n’ont pas
appris à entendre ceux des autres. Tout ce que cette femme
entendait, c’était des reproches ou des diagnostics de la
part de son mari. Je l’encourageai à essayer simplement
d’entendre les besoins de celui-ci. Je dus répéter le besoin
de son mari (la sécurité de sa famille) deux fois de plus
pour qu’elle finisse par l’entendre. Ensuite, après quelques
autres échanges, tous deux purent entendre leurs besoins
respectifs. Et, tout comme je l’avais prédit, une fois qu’ils
eurent compris - pour la première fois en trente-neuf ans
- les besoins que chacun nourrissait par rapport à leur
situation financière, il fallut moins de vingt minutes pour
trouver des moyens concrets de satisfaire leurs besoins à
tous les deux.

222
Résolution des conflits et médiation

Plus j’accumule d’expérience en médiation au fil des ans


et mieux je comprends ce qui mène les familles à la dispute
et les nations à la guerre, plus je suis convaincu que la plu­
part des écoliers pourraient résoudre ces conflits. Si nous
pouvions simplement dire : "Voici les besoins des deux par­
ties et voici les ressources disponibles. Que peut-on faire
pour répondre à ces besoins il serait facile de mettre fin
aux conflits. Au lieu de cela, notre mode de pensée s’at­
tache à déshumaniser l’autre en lui collant des étiquettes
et en le jugeant, jusqu’à ce que le moindre conflit devienne
très difficile à résoudre. La CNV nous aide à éviter ce piège
et, ainsi, améliore nos chances de parvenir à une solution
satisfaisante pour tous.

Parler au présent et dans un langage d’action


positif pour résoudre les conflits

Si j’ai déjà parlé de l’importance de parler au présent et


dans un langage d’action positif au chapitre 6, j’aimerais
présenter ici quelques autres exemples dans le contexte de
la résolution de conflit. Une fois que chaque partie s’est
reliée aux besoins de l’autre, l’étape suivante consiste à trou­
ver des stratégies qui satisfont ces besoins. Il est important
de ne pas passer trop vite à la recherche de stratégies, car
cela pourrait aboutir à un compromis qui n’apporterait pas
une résolution aussi profonde et authentique que possible.
Si les parties entendent pleinement leurs besoins respectifs
avant de se pencher sur les solutions, il y aura beaucoup
plus de chances qu’elles adhèrent aux accords conclus par
la suite. Le processus de résolution du conflit doit aboutir
à des actions qui satisfont les besoins de chacun, et la for­
mulation de stratégies en langage d’action clair, présent et
positif contribuera à atteindre ce but.

223
Les mots sont des fenêtres

S’exprimer en langage présent, c’est parler de ce que l’on


veut à ce moment-ci. Par exemple, une des parties pourrait
dire : “J’aimerais que tu me dises si tu serais d’accord de.,
et décrire ce qu’elle voudrait que l’autre fasse. La formula­
tion d’une demande en langage présent commençant par
“Serais-tu d’accord de..favorise un échange respectueux.
Si l’autre partie répond qu’elle n’est pas d’accord, la suite
de l’échange consistera naturellement à essayer de com­
prendre ce qui l’empêche d’être d’accord.
À l’inverse, une demande telle que “J’aimerais que tu
viennes avec moi au cinéma samedi soir” n’est pas formulée
en langage présent et ne dit rien de ce qui est demandé à
l’autre à ce moment-ci. Le recours au langage présent per­
met d’affiner cette demande. Si l’on dit par exemple : “Que
dirais-tu d’aller avec moi au cinéma samedi soir ?”, il y aura
plus de clarté et de connexion dans l’échange. Nous pou­
vons clarifier encore davantage la demande en indiquant ce
que nous attendons de l’autre au moment même : “Tu serais
d’accord de me dire comment tu te sens à l’idée d’aller avec
moi au cinéma samedi soir ?” Plus nous serons clairs quant
à la réponse que nous attendons maintenant de l’autre, plus
nous avancerons effectivement vers la résolution du conflit.

Utiliser des verbes d’action


Au chapitre 6, nous avons abordé le rôle du langage
d’action dans la formulation de demandes en CNV Dans
les situations de conflit, il est particulièrement important
de mettre l’accent sur ce que nous voulons plutôt que sur ce
que nous ne voulons pas. Parler de ce que l’on ne veut pas
peut facilement provoquer de la confusion et de la résis­
tance entre les parties en conflit.
Le langage d’action signifie que l’on utilisera des verbes
d’action et que l’on évitera les paroles qui rendent l’échange

224
Résolution des conflits et médiation

obscur ou qui peuvent facilement être prises pour des


attaques. J’aimerais illustrer mon propos par un exemple :
un jour, une femme exprimait un besoin de compréhension
qui n’était pas satisfait dans la relation avec son partenaire.
Après que celui-ci fut capable d’entendre avec exactitude
et de reformuler ce besoin de compréhension, je me tour­
nai vers la femme et je lui dis : “Maintenant, passons aux
stratégies. Que voulez-vous que votre partenaire fasse pour
satisfaire votre besoin de compréhension ?” Elle se tourna
vers lui et dit : “J’aimerais que tu m’écoutes quand je te
parle”. “Mais je t’écoute quand tu parles rétorqua le par­
tenaire. 11 n’est pas inhabituel, lorsque quelqu’un nous dit
qu’il aimerait bien que nous l’écoutions quand il parle, que
nous entendions des accusations et que nous en éprou­
vions un certain ressentiment.
Le langage Ils poursuivirent leur échange, le partenaire répé­
d’action tant “Mais je t’écoute” et la femme objectant “Non, tu ne
nécessite
l’utilisation de m’écoutes pas”. Ils me dirent qu’ils avaient cette “conversa­
verbes d’action. tion” depuis douze ans, situation classique dans les conflits
où les parties utilisent des termes vagues comme “écouter”
pour exprimer des stratégies. Je préconise plutôt l’utilisa-
tion de verbes d’action pour décrire quelque chose que nous
voyons ou entendons se produire - quelque chose qui peut
être enregistré à l’aide d’une caméra vidéo. On “écoute” dans
sa tête, et c’est invisible pour les autres. Un moyen de véri­
fier que quelqu’un écoute réellement est de lui demander
de reformuler ce qui vient d’être dit : nous demandons à la
personne d’effectuer une action que nous pouvons obser­
ver nous-mêmes. Si l’autre partie est capable de nous dire
ce qui vient d’être exprimé, nous savons qu’elle a entendu
et qu’elle nous écoutait effectivement.
Dans un autre conflit de couple, la femme voulait être
assurée que son mari respectait ses choix. Lorsqu’elle eut
réussi à exprimer son besoin, l’étape suivante consistait à

225
Les mots sont des fenêtres

clarifier sa stratégie pour nourrir ce besoin et à adresser


une demande à son mari. Elle lui dit : “Je veux que tu me
donnes la liberté de grandir et d’être moi-même”. “C’est ce
que je fais”, répondit-il. Et comme avec l’autre couple, il
s’ensuivit une succession stérile de “Non, tu ne le fais pas”
et de “Si, je le fais”.
Des formules vagues comme “Donne-moi la liberté
de grandir” ont souvent pour effet d’aggraver le conflit.
Dans ce cas-ci, le mari a entendu que sa femme le jugeait
comme étant dominateur. Je fis remarquer à la femme que
ce qu’elle voulait n’était pas clair pour son mari : “Pourriez-
vous lui dire exactement ce que vous voudriez qu’il fasse
pour répondre à votre besoin de respect de vos choix ?”
“Je veux que tu me laisses —”, commença-t-elle. Je
l’interrompis : “laisser” est trop vague. “Que voulez-vous
vraiment dire quand vous demandez à quelqu’un de vous
“laisser” faire quelque chose ?”
Après quelques secondes de réflexion, elle comprit
quelque chose d’important : ce qu’elle voulait vraiment,
quand elle disait par exemple “Je veux que tu me laisses
exister” ou “Je veux que tu me laisses grandir”, c’était que
son mari lui dise que, quoi qu’elle fasse, il l’accepterait.
ta préservation Quand elle eut compris ce qu’elle demandait vraiment
du respect est _ qU’q ^se quelque chose -, elle se rendit compte que
poiar^oudre œ Qu’e^e voulait ne laissait pas beaucoup de liberté à son
un conflit avec mari et ne laissait pas beaucoup de place au respect de ses
choix à lui. Or, la préservation du respect est essentielle
pour résoudre un conflit avec succès.

Traduire un “non”
Lorsque nous exprimons une demande, il est très
important d’être respectueux de la réaction de l’autre, qu’il

226
Résolution des conflits et médiation

soit d’accord ou non avec cette demande. De nombreuses


médiations auxquelles j’ai assisté consistaient à attendre
que les gens s’usent au point d’accepter n’importe quel
compromis. Ce genre de conclusion est très différent d’une
sortie de conflit dans laquelle les besoins de tous sont satis­
faits et personne ne ressent aucune perte.
Au chapitre 8, nous avons découvert l’importance de ne
pas entendre un “non” comme un rejet. Écouter attentive­
ment le message qui se cache derrière le “non” nous aide
à comprendre les besoins de l’autre : Quand il dit “non”,
il dit qu’il a un besoin qui l’empêche de dire “oui” à ce que
nous demandons. Si nous parvenons à entendre le besoin
derrière un “non”, nous pouvons poursuivre le processus
de résolution de conflit - en continuant de nous attacher à
trouver un moyen de nourrir les besoins de tous - même si
l’autre partie dit “non” à la stratégie particulière que nous
lui avons présentée.

La CNV et le rôle du médiateur


Bien que j’aie proposé dans ce chapitre des exemples
de médiations que j’ai menées entre des parties en conflit,
l’accent a surtout été mis jusqu’à présent sur la résolution
de conflits entre nous-mêmes et une autre personne. 11 y a
toutefois quelques éléments à garder à l’esprit si nous vou­
lons utiliser nos outils de CNV en tant que médiateur pour
aider deux autres parties à se sortir d’un conflit.
Votre rôle, et la confiance dans le processus
Au moment d’entamer une médiation, une bonne idée
peut être de commencer par assurer aux parties concernées
que nous ne sommes pas là pour choisir notre camp mais
pour les aider à s’entendre l’une l’autre, et pour les guider
vers une solution répondant aux besoins de chacun. Selon

227
Les mots sont des fenêtres

les circonstances, il pourra également être utile de partager


notre confiance dans le fait que, si les parties suivent les
étapes du processus en CNV, leurs besoins à toutes les deux
seront satisfaits à la fin.
Rappelez-vous : il ne s’agit pas de nous
Au début de ce chapitre, j’ai souligné que l’objectif
n’était pas d’amener l’autre à faire ce que nous voulons.
Cela vaut également pour les médiateurs qui interviennent
dans les conflits des autres. Même si nous souhaitons peut-
être que le conflit se résolve de telle ou telle manière, sur­
tout s’il oppose des membres de notre famille, des amis
ou des collègues, nous devons nous rappeler que nous
ne sommes pas là pour atteindre nos propres objectifs. Le
L’objectif n’est médiateur a pour rôle de créer un espace dans lequel les
pas d’amener parties peuvent se relier l’une à l’autre, exprimer et com­
les parties à
faire ce que prendre leurs besoins respectifs, et parvenir à des stratégies
nous voulons. pour satisfaire ces besoins.

L’empathie d’urgence
En tant que médiateur, je souligne que mon intention
est d’arriver à ce que les deux parties se sentent comprises
de manière précise et entière. Malgré cela, il n’est pas rare
que, dès que j’exprime de l’empathie envers l’une d’elles,
l’autre m’accuse immédiatement de favoritisme. Ce qu’il
faut faire à ce moment-là, c’est donner une empathie d’ur­
gence. On dira par exemple : “Vous semblez être vraiment
en colère, et vous auriez besoin d’avoir l’assurance que
vous aurez votre place à la table ?”
Une fois que cette empathie a été donnée, je rappelle
aux parties que chacune aura l’occasion d’être entendue et
que le tour de la seconde viendra après la première. Ensuite,
il est utile de leur faire confirmer qu’elles sont d’accord

228
Résolution des conflits et médiation

d’attendre, par exemple en leur demandant : “Êtes-vous


suffisamment rassurés que vous aurez l’occasion de vous
faire entendre ?”
Il sera peut-être nécessaire de faire cette vérification plu­
sieurs fois pour maintenir la médiation sur la bonne voie.

Suivre l’échange : garder les yeux sur la balle


Dans notre rôle de médiateur, nous devons suivre l’évo­
lution de l’échange en écoutant très attentivement ce qui a
été dit et en veillant à ce que chaque partie ait l’occasion
d’exprimer ses propres besoins, d’écouter ceux de l’autre et
de formuler des demandes. Nous devons également “gar­
der les yeux sur la balle”, c’est-à-dire retenir ce qu’une par­
tie a dit en dernier lieu pour pouvoir y revenir après que
l’autre partie a été entendue.
Cela peut être difficile, surtout quand la conversa­
tion s’anime. En pareille situation, je trouve souvent utile
d’écrire, par exemple sur un tableau blanc ou sur un tableau
de conférence, les éléments essentiels de l’intervention de
la partie qui vient d’exprimer un sentiment ou un besoin.
Cette forme de suivi visuel peut aussi rassurer les
deux parties quant au fait que tous leurs besoins seront
entendus. En effet, il arrive souvent que l’on n’ait pas
le temps de nommer en une fois tous les besoins d’une
des parties parce que l’autre interrompt le processus pour
s’exprimer. Si le médiateur prend le temps de noter les
besoins de manière visible pour toutes les personnes pré­
sentes, celui qui écoute aura davantage confiance dans
le fait que ses propres besoins seront également pris en
compte. Ainsi, chacun pourra plus facilement accorder
toute son attention à ce qui exprimé dans le moment
présent.

229
Les mots sont des fenêtres

Maintenir la conversation dans le présent


Une autre qualité importante à mettre en œuvre lors
d’une médiation est la conscience du moment : qui a besoin
de quoi en ce moment précis ? Qu’est-ce que les parties
demandent maintenant ? Il faut une grande pratique pour
parvenir ainsi à rester dans le moment présent, car nombre
d’entre nous n’ont jamais appris à le faire.
À mesure que nous avancerons dans le processus de
médiation, nous entendrons probablement beaucoup de
références aux événements du passé et aux changements
que les parties souhaiteraient dans l’avenir. Cependant,
la résolution d’un conflit ne peut se produire que dans le
moment présent, et c’est sur ce moment que nous devons
concentrer toute notre attention.
Continuer d’avancer
Le médiateur a également pour tâche d’éviter que la
conversation ne s’enlise. Cela peut se produire très facile­
ment, car les gens pensent souvent que, s’ils racontent la
même histoire encore une fois, ils seront finalement com­
pris et l’autre partie fera ce qu’ils veulent.
Pour continuer de faire avancer le processus, le média­
teur doit poser des questions efficaces et, en cas de besoin,
maintenir ou même accélérer le rythme. 11 y a quelques
temps, je devais diriger un atelier dans une petite ville de
province, ^organisateur me demanda si je voulais bien l’ai­
der à régler un conflit personnel en rapport avec la division
d’une propriété familiale. J’acceptai d’intervenir comme
médiateur, sachant que nous ne disposions que de trois
heures entre deux ateliers.
Le conflit familial tournait autour d’un homme qui pos­
sédait une grande ferme et s’apprêtait à prendre sa retraite.
Ses deux fils étaient en bagarre au sujet de la division de

230
Résolution des conflits et médiation

la propriété. Ils ne se parlaient plus depuis huit ans, alors


qu’ils vivaient tout près l’un de l’autre du même côté de la
ferme. Je rencontrai les frères, leurs femmes respectives et
leur sœur, tous mêlés à cet imbroglio juridique et à ces huit
années de souffrance.
Pour faire avancer les choses - et rester dans les
temps -, je dus accélérer le processus de médiation. Afin
d’éviter qu’ils perdent du temps à raconter les mêmes his­
toires encore et encore, je demandai à l’un des frères si je
pouvais jouer son rôle ; je changerais ensuite de côté pour
jouer celui de l’autre frère.
Après quelques minutes, je demandai en plaisantant si
je pouvais vérifier avec mon "réalisateur” que je jouais bien
le rôle. Me tournant vers le frère dont j’avais pris la place, je
vis une chose à laquelle je n’étais pas préparé : il avait des
larmes dans les yeux. Je supposai qu’il vivait une empathie
profonde à la fois pour lui-même, du fait que j’avais joué
son rôle, et pour la douleur de son frère, qu’il n’avait plus
vu depuis si longtemps. Le lendemain, le père s’approcha
de moi, les yeux aussi embués de larmes, pour me dire que,
la veille au soir, toute la famille était allée dîner ensemble
pour la première fois depuis huit ans. Alors que le conflit
durait depuis des années sans que les avocats des deux par­
ties ne parviennent à trouver un accord, il avait suffi que
chaque frère entende la douleur et les besoins de l’autre
au travers du jeu de rôle pour y mettre fin facilement. Si
j’avais attendu que les deux racontent leurs histoires, il
aurait fallu beaucoup plus de temps. Quand je fais appel à
cette méthode, je me tourne régulièrement vers la personne
dont je joue le rôle, que j’appelle “mon réalisateur”, pour
vérifier si mon jeu est juste. Pendant un moment, j’ai pensé
que j’étais bon acteur car, très souvent, les gens pleuraient
et disaient : “C’est exactement ce que j’essayais de dire !”
Cependant, maintenant que je forme les autres au jeu de

231
Les mots sont des fenêtres

Utiliser le jeu rôle, je sais que n’importe qui peut arriver au même résul­
de rôle pour
accélérer le
tat à condition de se relier à ses propres besoins, Quoi qu’il
processus de se passe, nous avons tous les mêmes besoins. Les besoins
médiation. sont universels.
Je travaille parfois avec des personnes qui ont été violées
ou torturées et, quand l’auteur des faits est absent, j’assume
son rôle. Souvent, la victime est surprise de m’entendre,
lors du jeu de rôle, dire la même chose que son violeur ou
son bourreau, et elle me demande : “Mais comment saviez-
vous ?”. La réponse à cette question, je crois, est que je sais
parce que je suis un être humain. Nous le sommes tous.
Quand nous exprimons nos sentiments et nos besoins, nous
ne nous préoccupons pas des problèmes qui se posent mais
nous nous mettons simplement à la place de l’autre, nous
essayons d’être l’autre. Nous ne pensons pas à “bien jouer le
rôle”, même si nous vérifions de temps en temps avec notre
“réalisateur” parce qu’on ne peut pas toujours jouer juste.
Lejeu de Personne ne joue toujours juste, et ce n’est pas grave, Si nous
rôle consiste n’allons pas dans le bon sens, la personne dont nous jouons
simplement à
se mettre à la
le rôle nous le fera savoir d’une manière ou d’une autre, nous
place de l’autre. donnant ainsi une autre occasion de rectifier le tir.

Savoir interrompre
Parfois, les médiations deviennent très animées, les par­
ties se criant dessus ou essayant de parler plus fort l’une que
l’autre. Pour maintenir le processus sur les rails dans de telles
circonstances, nous devons être capables d’interrompre les
échanges avec une certaine aisance. Au cours d’une médiation
que je menai un jour en Israël, j’avais des difficultés parce que
mon traducteur était trop poli. Je finis par lui apprendre à être
méchant : “Dites-leur de la fermer lui dis-je. “Dites-leur d’at­
tendre au moins que la traduction soit finie avant de recom­
mencer à se crier dessus.” Donc, lorsque les deux parties crient

232
Résolution des conflits et médiation

ou parlent en même temps, je m’interpose : “S’il vous plaît, s’il


vous plaît, s’il vous plaît !" Je répète cette phrase aussi fort et
aussi souvent que nécessaire pour regagner leur attention.
Au moment de capter leur attention, il faut être rapide.
Si la personne se met en colère quand nous l’interrom­
pons, nous pouvons deviner qu’elle souffre trop pour nous
entendre. C’est alors le moment de lui donner une empa­
thie d’urgence. Voici un exemple de ce que cela pourrait
donner, tiré d’une réunion en entreprise :
La personne qui parle : C’est toujours la même chose !
Ils ont déjà convoqué trois réunions, et à chaque fois ils
trouvent une nouvelle raison pour nous dire que le projet
ne peut pas se faire. La dernière fois, ils ont même signé un
accord ! Maintenant ils nous font encore une promesse, et
il n’y aura rien de plus : juste une nouvelle promesse ! Cela
ne sert à rien de travailler avec des gens qui...
Le médiateur : S'il vous plaît ...S'il vous plaît ...S’IL VOUS
PLAÎT ! Pourriez-vous reformuler ce que l’autre personne
vient de dire ?
La personne qui parle : (se rendant compte qu’il n’avait pas
écouté l’autre) Non !
Le médiateur : Vous ressentez beaucoup de méfiance en ce
moment, et vous auriez besoin d’avoir confiance dans le fait
que les gens feront ce qu’ils disent ?
La personne qui parle ; Euh, évidemment, mais...
Le médiateur : Alors pourriez-vous me dire ceci : quand
ils ont parlé, qu’est-ce que vous avez entendu ? fe vais le
répéter pour vous. Ce que j’entends chez l’autre partie, c’est
un grand besoin d’intégrité. Pourriez-vous me répéter cela,
pour que je sois sûr que nous nous comprenons tous ?
La personne qui parle : (silence)
Le médiateur : Non ? Alors, je vais vous le dire encore une
fois.
Et nous le répétons.

233
Les mots sont des fenêtres

Nous pourrions voir notre rôle comme celui d’un tra­


ducteur : nous traduisons le message de chacune des parties
afin qu’il soit compris par l’autre. Je demande aux parties
de s’habituer à ce que je les interrompe pour les besoins de
la résolution du conflit. Lorsque je les interromps, je vérifie
également auprès de la personne qui parle si elle estime
que je la traduis de manière exacte. Je traduis de nombreux
messages, mais je ne fais que deviner et c’est toujours la
personne qui parle qui décidera en fin de compte de l’exac­
titude de ma traduction.
Le médiateur Il est important de se rappeler que, si l’on interrompt
interrompt les
les gens et que l’on capte leur attention de cette manière,
parties pour
revenir dans k c’est pour revenir dans le processus consistant à formuler
processus. des observations neutres, identifier et exprimer les senti­
ments, relier les sentiments à des besoins, et formuler des
demandes dans un langage clair et concret, un langage
d’action positif.

Quand les gens refusent de se rencontrer face à face


Je sais que nous pouvons obtenir de bons résultats lorsque
nous réunissons des personnes pour leur permettre d’expri­
mer leurs besoins et de formuler leurs demandes. Cependant,
l’une des plus grandes difficultés auxquelles j’ai dû faire face
est tout simplement de rencontrer les deux parties. Parce qu’il
faut parfois du temps à une partie pour clarifier ses propres
besoins, les médiateurs doivent pouvoir rencontrer chacune
des parties en conflit afin quelles puissent exprimer leurs
besoins avant d’entendre ceux de l’autre. Or, on nous dit sou­
vent : “Non, ça ne sert à rien de leur parler, ils n’écouteront
pas. J’ai déjà essayé et ça ne marche pas”.
Pour répondre à cette difficulté, j’ai recherché des stra­
tégies permettant de résoudre un conflit lorsque les par­
ties ne veulent pas se réunir. Une méthode qui donne des

234
Résolution des conflits et médiation

résultats prometteurs consiste à utiliser un enregistreur


audio. Je travaille alors séparément avec chaque partie en
jouant le rôle de l’autre. S’il y a dans notre vie deux per­
sonnes qui souffrent trop pour être prêtes à se rencontrer,
c’est une possibilité à envisager.

Ainsi, j’eus un jour affaire à une femme qui souffrait


énormément en raison d’un conflit avec son mari, et notam­
ment à cause de la façon dont il dirigeait sa colère contre elle.
D’abord, je l’écoutai d’une manière qui l’aida à exprimer clai­
rement ses besoins et lui permit de se sentir accueillie avec
une compréhension respectueuse. Ensuite, je jouai le rôle de
son mari et lui demandai de m’écouter tandis que j’exprimais
ce que je supposais être les besoins de ce dernier. Une fois
que les besoins des parties en conflit eurent été clairement
nommés dans ce jeu de rôle, j’invitai la femme à faire écouter
l’enregistrement à son mari afin de recueillir sa réaction.

Comme j’avais bien deviné les besoins du mari, celui-ci


ressentit un immense soulagement au moment d’écouter
l’enregistrement. Étant davantage en confiance après s’être
senti compris, il accepta plus tard de venir à une séance
de médiation, ce qui nous permit de travailler ensemble
jusqu’à ce que l’un et l’autre trouvent des moyens de satis­
faire leurs besoins dans un respect mutuel.

Lorsque le plus difficile, dans la résolution d’un conflit,


est de réunir les parties dans la même pièce, l’utilisation de
jeux de rôle enregistrés peut apporter la solution.

La médiation informelle : mettre le nez


dans les affaires des autres
On parle de “médiation informelle” lorsque nous
intervenons comme médiateur sans qu’on nous l’ait

235
Les mots sont des fenêtres

demandé - ou, en d’autres termes, quand nous mettons le


nez dans les affaires des autres.
Un jour, je faisais des achats dans une épicerie quand je
vis une femme frapper son petit enfant. Elle allait le faire à
nouveau quand j’intervins. Elle ne m’avait pas demandé :
“Marshall, pourriez-vous mener une médiation entre
nous ?”
Une autre fois, je marchais dans les rues de Paris, et
une femme marchait à côté de moi. Soudain, un homme
assez éméché arriva en courant derrière elle, la retourna et
la gifla. Comme je n’avais pas le temps de parler avec cet
homme, je recourus à l’usage protecteur de la force en le
maîtrisant au moment où il allait la frapper à nouveau. Je
m’interposai entre les deux et mis ainsi le nez dans leurs
affaires. À une autre occasion, lors d’une réunion en entre­
prise, j’observai deux groupes pris dans une discussion
interminable sur une question ancienne, et je m’en mêlai
à nouveau.
Lorsque nous observons des comportements qui nous
préoccupent - sauf dans une situation nécessitant l’usage
de la force dans un but de protection, telle que décrite au
chapitre 12 —, la première chose à faire est de se relier empa-
thiquement aux besoins de la personne dont le comporte­
ment nous déplaît. Dans la première situation évoquée plus
haut, si nous voulions que l’enfant subisse davantage de
violence, nous pourrions, au lieu de donner de l’empathie
à la mère, lui reprocher d’avoir frappé son enfant. Une telle
réaction de notre part ne ferait qu’empirer la situation.
Pour apporter une vraie aide dans ces situations de
médiation informelle, nous devons avoir acquis une grande
maîtrise du langage des besoins et être versés dans l’art
d’entendre le besoin qui se cache dans tout message, même
le besoin qui peut amener une personne à en gifler une

236
Résolution des conflits et médiation

Nous devons autre. Nous devons également avoir une grande pratique
être versés dans
l’art d’entendre
de l’empathie verbale afin que les autres ressentent notre
le besoin dans connexion à leurs besoins.
n’importe quel
message. Il faut se souvenir que, lorsque nous choisissons de
nous mêler des affaires de quelqu’un d’autre, il ne suffit
pas d’aider cette personne à se relier à ses propres besoins.
Il s’agira aussi de pratiquer toutes les autres étapes traitées
dans ce chapitre. Par exemple, après avoir donné de l’em­
pathie à la mère du petit enfant, nous poumons lui dire
que nous accordons de l’importance à la sécurité et que
nous avons un besoin de protection des gens, puis nous
pourrions lui demander si elle est d’accord d’essayer une
autre stratégie pour satisfaire son besoin avec son enfant.

Nous nous abstiendrons, cependant, de mentionner


nos propres besoins en rapport avec le comportement de
l’autre personne tant qu’il ne sera pas clair pour celle-ci
que nous comprenons ses besoins et que nous en tenons
compte. Sinon, elle ignorera complètement nos besoins et
ne verra pas qu’ils sont les mêmes que les siens. Comme
l’a dit si joliment Alice Walker dans La Couleur pourpre :
“Et un jour que j’étais assise tranquille, à me sentir comme
une pauvre gosse abandonnée, que j’étais vraiment, là ça
m’est venu d’un coup, une impression de faire partie de
tout ça, de pas être à part, en dehors, tu comprends ? Par
exemple l’idée que si je coupe un arbre c’est mon bras qui
va saigner.”

Si nous ne nous assurons pas que chacune des deux


parties est consciente de ses propres besoins et de ceux de
l’autre, nous aurons du mal à réussir une médiation infor­
melle. Nous risquons de penser qu’il ne sera pas possible
de répondre à tous les besoins des deux parties, et toute
notre attention sera alors concentrée sur la satisfaction des
nôtres. Si nous ajoutons à ce mode de pensée des jugements

237
Les mots sont des fenêtres

moraux du genre “qui a tort ou raison”, n’importe lequel


d’entre nous peut devenir militant et violent, et aveugle
même aux solutions les plus évidentes. À ce moment-là, le
conflit semble impossible à résoudre - et il le sera effective­
ment si nous n’entrons pas en lien avec l’autre personne en
lui donnant d’abord de l’empathie sans nous focaliser sur
nos propres besoins.

238
Résolution des conflits et médiation

Résumé
La résolution de conflit à l’aide de la CNV est différente des
méthodes de médiation traditionnelles ; au lieu de débattre
des enjeux, des stratégies et des solutions de compromis,
nous nous attachons avant tout à cerner les besoins des deux
parties, et ce n’est qu’après cela que nous recherchons des
stratégies pour satisfaire ces besoins.
Nous commençons par créer une connexion de cœur à
cœur entre les parties en conflit. Ensuite, nous faisons en
sorte que celles-ci aient l’occasion d’exprimer pleinement
leurs besoins, que chacune écoute attentivement les besoins
de l’autre et que, une fois tous les besoins entendus, elles for­
mulent avec clarté des actions réalisables pour satisfaire ces
besoins. Nous évitons de porter des jugements ou d’analyser
le conflit, en restant plutôt concentrés sur les besoins.
Lorsqu’une partie souffre trop pour entendre les besoins
de l’autre, nous lui donnons de l’empathie, en prenant tout
le temps nécessaire pour qu’elle sache que sa douleur a été
entendue. Nous n’entendons pas un “non” comme un rejet,
mais plutôt comme une expression du besoin qui empêche la
personne de dire “oui”. Ce n’est qu’après que tous les besoins
ont été entendus que nous passons au stade des solutions, en
demandant aux parties de formuler des demandes réalisables
dans un langage d’action positif.
Lorsque nous intervenons comme médiateur dans un
conflit entre deux autres parties, les mêmes principes s’ap­
pliquent. En outre, nous suivons attentivement le déroule­
ment des échanges, nous donnons de l’empathie quand cela
est nécessaire, nous veillons à ce que la conversation reste
axée sur le présent, nous la faisons avancer et nous interrom­
pons les parties si nécessaire pour revenir au processus.
Avec ces outils et cette compréhension, nous pouvons
pratiquer et aider les autres à résoudre des conflits , même
anciens, à la satisfaction de tous.

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