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Sedated by James Davies

Illich autonmie
Dans une société morbide prévaut l’idée qu’une mauvaise santé définie et
diagnostiquée est infiniment préférable à toute autre forme d’étiquetage négatif.
Cela vaut mieux que d’être catalogué comme criminel ou comme déviant
politique, comme paresseux, comme tire-au-flanc [175]. De plus en plus de
gens savent dans leur subconscient qu’ils sont fatigués et malades de leur
travail et de leurs loisirs passifs, mais ils veulent qu’on leur mente et qu’on leur
dise que la maladie physique les exempte de toute responsabilité politique et
sociale. Ils veulent que leur docteur se comporte comme un homme de loi et
comme un prêtre. En tant qu’homme de loi, le médecin exempte le patient de
ses devoirs normaux et lui permet de retirer de l’argent des fonds d’assurance
qu’il a été obligé de constituer. En tant que prêtre, le médecin se fait le
complice du patient dans la création d’un mythe selon lequel ce dernier ne
serait que la victime innocente de mécanismes biologiques, et non le déserteur
paresseux, cupide ou envieux d’une lutte sociale dont l’enjeu est la maîtrise des
instruments de production.(..)

RECOUVRER L'AUTONOMIE contre la CONTRE


PRODUCTIVITE INDUSTRIELLE Nous vivons à une
époque où l’apprendre est programmé, l’habiter urbanisé,
le déplacement motorisé, les communications canalisées
et où, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité,
presque un tiers des denrées alimentaires consommées
proviennent de marchés éloignés. Dans une société
surindustrialisée à ce point, les gens sont conditionnés à
obtenir des choses et non à les faire. Ce qu’ils veulent,
c’est être éduqués, transportés, soignés ou guidés plutôt
que d’apprendre, de se déplacer, de guérir et de trouver
leur propre voie. Ce qui peut être fourni et consommé
déclasse ce qui peut être fait. illich (...)


Il est grand temps de reconnaître que l’éducation produite


par l’école, le transport produit par les véhicules à moteur
et les soins produits par la médecine sont les outputs d’un
mode de production coûteux en capital investi soit dans le
matériel, soit dans le savoir de l’élément producteur.
Chacun de ces produits fait concurrence à une valeur
d’usage dont les gens jouissent depuis toujours de façon
autonome  : les gens apprennent en observant et en
agissant  ; ils se déplacent par leurs propres moyens, ils
guérissent, ils prennent soin de leur santé et de celle des
autres. La plupart des valeurs d’usage ainsi produites sont
inaliénables sur un marché. L’action d’apprendre, de se
déplacer, de guérir n’apparaît pas dans le PNB. Il s’agit de
valeurs essentielles à la vie, produites par ceux-là mêmes
qui en jouissent et distribuées à peu près également dans
l’ensemble de la population. (...)


Pendant la plus grande partie de l’histoire de l’humanité,


la production de ces valeurs d’usage a eu plus
d’importance que la production de marchandises à l’aide
d’outils de grande taille. Pour la survie et le bien-être, les
efforts intelligents du producteur autonome se sont révélés
plus décisifs


que les équipements complexes ou les contrôles


bureaucratiques. (...)Sans doute, le produit industriel peut
rendre plus efficace l’action et plus indépendant l’acteur.
C’est le cas des bicyclettes, des livres et des antibiotiques,
qui peuvent d’ailleurs être produits plus efficacement
d’une manière industrielle. De même, la production
autonome peut être complétée par des outputs industriels
comme les véhicules motorisés qui permettent de dépasser
le niveau de mobilité des bicyclettes, à condition qu’ils ne
distordent pas l’espace dans lequel ces dernières évoluent.
Le secteur industriel peut contribuer, et contribue de fait, à
l’efficacité atteinte tant par le mode autonome que par le
mode hétéronome de production. Mais ce qui en général
n’est pas vu, c’est que le mode de production autonome
est, dans les sociétés industrielles et conformément à leur
logique, entravé, dévalorisé et bloqué par une nouvelle
configuration des aspirations, des lois et des
environnements qui favorise exclusivement l’expansion
croissante des industries et des professions.


L’efficacité atteinte par une société dans la poursuite de


ses objectifs sociaux dépend du degré de synergie entre
les deux modes de production, le mode autonome et le
mode hétéronome. (...) Elle dépend de la mesure dans
laquelle la combinaison d’une prise en charge de soi-
même et d’interventions médicales, de l’autoapprentissage
et de l’instruction par des tiers, de la marche à pied et du
transport par véhicule, donne un résultat non seulement
plus grand mais également plus satisfaisant que le recours
au seul mode autonome. 


Les applications techniques des découvertes scientifiques


peuvent accroître la productivité de chacun des deux
modes. (...)Tant que des innovations techniques
améliorent à la fois la production autonome et la
production hétéronome, la synergie sociale positive entre
les deux s’accroît. (...) Dès que le mode hétéronome est
privilégié au-delà d’un certain point, il s’établit un
monopole radical sur le procédé de production dans son
ensemble et dès lors la croissance des inputs hétéronomes
ne se traduit plus que par un déclin de la synergie
productive. Cette synergie devient bientôt négative et
aboutit à un phénomène paradoxal de contre-productivité
qui se développe en boule de neige. Chaque institution
produit plus de barrières à la réalisation de son objectif
que de facilités pour l’atteindre. À chaque accroissement
du produit correspond un éloignement du but qui
déclenche un redoublement de l’effort.(...)


Chaque institution rationnellement planifiée dans un but


technique produit des effets non techniques dont certains
ont le résultat paradoxal d’amoindrir l’homme et
d’appauvrir son milieu en réduisant sa capacité de se
débrouiller. Je recherche l’explication de ce phénomène
paradoxal qui apparaît lorsque le monopole radical exercé
par le mode industriel de production donne à sa synergie
avec la production autonome une valeur sociale négative.
(...)



Mais si notre intention n’est pas de faire plus de choses
pour les gens mais plutôt de leur garantir plus de libertés
pour faire les choses eux-mêmes, le nombre de
possibilités ouvertes devient presque illimité. 

BIOMEDICALISATION dedouane gratuitement le=> PRODUCTIVISME


In January 2005, two men entered a room in the UK government’s Cabinet Office to
address the prime minister’s strategy unit. The room was crammed with public
officials, MPs and senior advisers, all hoping to hear a solution to a problem vexing
the government: how to fix a mental health system in crisis. While millions of people
were being prescribed psychiatric drugs each year, the latest evidence was now
revealing that these drugs were far less safe and effective than originally supposed.
What was more, patients were complaining in their thousands of being offered no
alternative to medication, a situation that was quickly turning political after it
emerged that less than 1 per cent of the entire NHS budget was being spent on
psychological therapies. This meant that the average waiting time for receiving
talking therapy was 8–12 months. Even the government’s independent body for
clinical effectiveness, the National Institute for Clinical Excellence (NICE), was
declaring the situation unsustainable. And so crucial questions were now
reverberating through Whitehall. How could therapy provision be increased across the
country in a safe, economical and effective way? Was there a form of national
provision that, while addressing the needs of a nation, could also fit neatly within the
government’s budget constraints?
L’un deux was The second was an academic called David Clark, a professor of
psychology who had spent years championing a form of therapy known as cognitive
behavioural therapy (CBT), which had apparently shown superior results in the things
that mattered to public officials: treating people quickly and cheaply – getting them
well and back to work. Le but : que le service s’auto-rembourse et économise à l’Etat
1,5 milliards de livres en maintenant la productivité des gens, les gardant en emploi et
en dehors des pensions d’invalidité en depensant 0,6 milliards de livres ; Layard
opened by presenting the economic case: depression and anxiety cost the British
economy around £12 billion each year in incapacity benefits, lost productivity and
lost tax receipts.
=> Bref la TCC est directement développée d’une ambition économique,la TCC
devait permettre de reviser les structures de pensées, cognitives des malades pour les
orienter vers une pensée plus optimiste «CBT, a relatively new therapy that was
largely about changing people’s perspectives; helping them better adapt to the
circumstances in which they found themselves. The theory went that people continued
to be depressed or anxious because they were thinking and/or behaving in irrational or
distorted ways, so if you simply changed their style of thought and behaviour, you
would change how they felt.»
=> La TCC a donc l’objectif de changer la personne (attitude,
croyances,comportements) plutôt que sa situation ou de même adresser sa situation,
c’est un dressage pour adapter les gens à des situations où ils sont pourtant inadaptés,
inoffensif politiquement comme thérapie puisqu’elle individualise le problème. Le
programme ne serait qu’acessible aux personnes préalablement medicalisées
(reframed in terms of a depressive, anxiety or more serious internal mental disorder;
as a dysfunctional reaction to an apparently sane social world. In other words, the
service would ensure that the medicalisation (and so depoliticisation) of distress was a
precondition for receiving therapy. ‘No diagnostic assessment, no access’)
=> Domestication à grande echelle: By 2008, a full 32 IAPT therapy centres had been
opened, a figure that has now reached around 220. In short, the IAPT programme was
soon being heralded as one of the most ambitious and swiftly implemented state-run
therapy initiatives anywhere in the world. Its success was being marketed by
reference to the number of people being treated (nearly ten million since its inception
in 2005) and the solid results it was apparently achieving.
=> ET EN PLUS ca marchait pas, mais personne le savait car seul le programme lui-
même faisait les stats de sa réussite, et des professionels s’y sont interessés , Dr
Michael Scott (sur un petit echantillon toutefois): Once the data were analysed, he
found that whatever the condition being treated, only around 16 per cent of people
could be said to be actually recovering as a result of their IAPT therapy – an outcome
that was seriously at odds with the results being publicly reported by IAPT. ‘If you
look at the official IAPT results,’ Scott told me, ‘apparently half of people [46 per
cent] recover as part of their IAPT treatment. But here I was finding only a small
fraction of that reporting any positive experience at all.’
=> Il y avait un biais statistiques dans les chiffres officiels car ils ne comptent
volontairement pas une moitié de patients qui drop out avant la fin des 6 séances ,
omission qui inflate positivement le chiffre final ; SINON, l’étude de the University
of Chester’s Centre for Psychological Therapies les a compté only to discover that the
number of patients recovering through IAPT suddenly plummets from 46 per cent to
around 23 per cent; a figure that is, incidentally, far closer to the 16 per cent recovery
rate originally found in Scott’s research, sans compter les biais dans le décompte des
guéris (il suffit de perdre 2 points sur l’échelle sur les questionnaires de la depression
dans certains cas etc, pas de comparaison avec un control group donc on ne sait pas si
l’amelioration est sociale, environementale ou de la thérapie...)
=> Pas plus efficace donc pour la depression que de ne rien faire : What makes his
point all the more prescient is that the largest and most recent meta-analysis
conducted on recovery from depression showed that a full 23 per cent of people
spontaneously overcame their symptoms of depression within three months without
receiving any treatment at all4 – a figure that exactly matches IAPT’s 23 per cent
recovery rate when you analyse their data correctly. In other words, administering
IAPT to a patient may be, on average, no more effective than administering no
treatment at all.5
=> PRODUIT DU CAPITALISME : the service is failing, not because the therapy
itself is ineffective (there is ample evidence that the therapies IAPT uses work
effectively when deployed outside of the IAPT system), but rather because it has
appropriated and distorted the values and practices of psychotherapy to serve its fiscal
and pragmatic agenda. In this sense, IAPT was never really about healing people in
the way that most therapists understand, but about using therapy to serve abstract
economic aims.

P133
Cette théorie de l’attachement est reprise par un des plus célèbres psychologues
cognitivistes actuels : Jeffrey Young qui affirme que, selon les soins ou les carences
affectives premières, l’enfant développera pour toujours des schémas cognitifs, des
scénarios qui peuvent se révéler autodestructeurs pour lui ou pour son environnement.
En France, Boris Cyrulnik voit avec l’éthologie la confirmation de l’impact de ces
premiers liens sur les relations de l’enfant à l’autre, de l’enfant à sa mère. À ce titre, il
semble proche des affirmations de la psychologie classique. Pourtant, Boris Cyrulnik
ne cesse de nous dire que, malgré tous les déterminismes, l’homme peut devenir
résilient et se construire au-delà des aléas de la vie, si dramatiques qu’ils aient été.
N’y at-il pas une contradiction entre ses deux hypothèses ? La parole de Cyrulnik est
la plus écoutée dans notre société. N’y a-t-il pas un risque d’accentuer cette croyance
« psy » selon laquelle même si l’humain peut dépasser ses adversités, l’essentiel se
joue dans la prime enfance avec les premiers liens affectifs à la mère ou à ses
substituts ? La théorie de la résilience proposée par Cyrulnik tend à montrer qu’il n’y
a pas de logique ou de finalité incontournable lorsque l’humain rencontre telle ou telle
adversité. Pourquoi cet enfant qui a souffert d’une carence affective profonde devient-
il fort ou résilient alors que cet autre, avec ce même manque, devient si fragile ou
sombre dans la pathologie ? La théorie de la résilience signe cette faculté de l’homme
à pouvoir dépasser les adversités, qu’il les ait rencontrées dans la petite enfance ou
plus tard. Rien n’est déterminé. Il est attaché aux hypothèses de la théorie de
l’attachement, mais paradoxalement il démontre qu’il n’existe (là encore ?) aucune loi
déterministe : tel enfant carencé peut dépasser sa souffrance avec sa future histoire,
ses futures rencontres, j’ajouterai avec ses « futures synthèses de vie ».

TRAUMA informed mais pas tout est joué d’avance : Depuis les recherches du
psychanalyste René Spitz, dans les années 1950, ce déterminisme de la première
relation à la mère, ou des premières relations objectales, a toujours été enseigné dans
nos facultés de psychologie : les enfants qui sont précocement séparés de leur mère
entrent dans une dépression « anaclitique ». Point de salut pour le tout-petit s’il ne
peut pas vivre auprès de sa « vraie mère ». Nous ne sommes plus dans la théorie de
l’attachement, « telle mère engendre telle ou telle pathologie », nous entrons dans
l’affirmation irréfutable du « tout est joué très tôt ». L’enfant ne peut donc pas exister
autrement que par ce lien à sa mère et s’il a expérimenté une carence maternelle
profonde, les dés sont jetés. Or Cyrulnik rappelle que les recherches de Spitz ont été
analysées d’une façon quelque peu cavalière : s’il est exact que des nourrissons ont
souffert de cette dépression par manque de présence maternelle, la recherche
entreprise omet d’évoquer les autres enfants qui n’en ont pas souffert : « Sur cent
vingt-trois nourrissons privés de mère, dix-neuf ont développé la forme anaclitique
devenue célèbre et vingt-trois ont souffert de troubles psychoaffectifs réversibles, soit
un tiers d’évolution mortelle ou grave dont tout le monde parle, et deux tiers de
récupération silencieuse. Personne ne s’est intéressé aux quatre-vingt-un enfants qui,
ayant subi la même agression, n’y ont pas succombé 114 . »
Il devient donc incontournable, a contrario de l’hypothèse psychanalytique
freudienne, de ne pas exclusivement chercher l’origine d’un dysfonctionnement
psychique et comportemental dans l’existence d’un traumatisme unique. Cette quête
du « trauma » qui explique tout, refuse de tenir compte de toute l’histoire du sujet : ce
qu’il a vécu, ce qu’il a souffert mais aussi et surtout comment il s’est construit en
dépit de tous ses « malgré ». La psychobiographie, l’étude de l’histoire, du vécu de
chacun permet de boucler la boucle : il ne s’agit pas de trouver « la » cause de tout
mais de savoir décrypter comment tel ou tel événement de vie, qu’il soit heureux ou
destructeur, a participé à la construction de soi. Comment la vie que j’ai menée, les
rencontres que j’ai faites, les contextes dans lesquels j’ai évolué ont-ils forgé ma
personnalité, comment ont-ils accentué ou régulé mon tempérament, comment ont-ils
fait de moi un résistant ou un soumis, un égocentrique ou un humaniste, un homme
heureux ou un tourmenté ?
Mais comment accepter sa destinée si le psychothérapeute vous fait uniquement
prendre conscience que tout est joué depuis l’enfance ? Celui qui souffre trouve une
certaine réponse, mais il est appelé à se résigner, et, dès lors, il n’y a plus cette
acceptation qui l’autorise à vivre de nouveau, à quitter les cicatrices du passé. Toute
entreprise psychothérapique se doit de ne pas enseigner sa vérité.

la philosophie lacano-freudienne est déterministe, et de surcroît pessimiste avec un «


sens » de la vie quasi nihiliste. Cette théorie prône le plus souvent une résignation,
une sorte de « je porte ma croix » sans autre issue que la prise de conscience des
dégâts des traumatismes passés. Dans cette version, l’humain ne peut qu’être victime
de son histoire, de sa biologie. Si l’analysant – et c’est une bonne chose – en arrive à
accepter parfois ce qui est advenu, combien de fois cela se traduit-il par une passivité
et un refus d’agir ou de vivre à nouveau ?
Sartre est philosophe existentialiste, il rejette, on l’a beaucoup dit, cette soi-disant
responsabilité familiale qui contribue à l’annulation de soi : « Il s’est arrangé pour que
son présent fût hanté par un passé qui l’écrasât 124… » Le passé n’appartient ni aux
traumatismes de l’enfance, ni aux interactions familiales, il est un commencement. À
partir de ce que j’ai été, je vais peu à peu devenir.
Oui, un événement vécu sur un mode traumatique est un moment de vie qui a pu
générer un grand nombre de souffrances, d’émotions exacerbées, de peurs et de
colères. Oui, un idéal de vie peut se trouver anéanti par les aléas de la réalité et les
pensées nouvelles qui s’y sont immédiatement accolées. Mais ce trauma, aussi dur
qu’il ait pu être, s’il peut être, dans un premier moment de défense, oublié, il peut
aussi être reconnu, relativisé, voire accepté, dépassé par tous les moments de vie. La
quête d’un unique « pourquoi » ne suffit pas à la compréhension de soi. Nous le
verrons dans les chapitres suivants, ce sont tous les « déclencheurs » d’émotions, tous
ces petits accidents de la vie qui en disent beaucoup plus sur notre façon d’être que
l’analyse ou l’interprétation répétée des faits passés, qu’ils aient été traumatiques ou
non
Le cerveau n’est qu’un outil, il n’est pas intelligent, et l’instinct de survie lui fait
reproduire les mêmes réponses devant les dangers réels ou éventuels. À la suite d’un
événement « déclencheur », il produit des automatismes de réactions, de pensées, des
schémas cognitifs : ils sont le plus souvent inconscients pour répondre de façon
réflexe à tout aléa de vie, surtout si celui-ci ressemble à ce que j’ai déjà vécu et
ressenti. Le plus souvent, ces schémas entretiennent des réponses émotionnelles
comme l’anxiété ou la colère pour ne plus revivre la souffrance initiale, mais cette
peur ou cette défense agressive restent primaires et n’aident pas à mieux vivre lorsque
ce n’est pas notre survie qui est en jeu. Ces schémas sont des réponses réflexes,
inconscientes et c’est justement là le problème : l’humain veut et doit prendre
conscience de tous ces processus inconscients pour redynamiser sa vie. Être figé dans
ses automatismes inconscients, c’est rester victime des vécus dramatiques, c’est être
déterminé. C’est possible si nous ramenons à la conscience ces cognitions, ces
pensées automatiques qui sont attachées aux événements vécus. Si nous sommes
impuissants à défaire ou refaire le passé, à détruire tous les événements qui ont créé
de la douleur, nous pouvons comprendre, changer, relativiser ce que nous avons vécu.
Nous pouvons donc « penser » différemment notre « histoire » si nous décidons de
lutter contre les absolus de pensée qui ont marqué nos moments de vie les plus
négatifs au fer rouge. Mieux « penser » sa vie, c’est revenir à des préférences ou des
souhaits, à des projets de vie plus réalistes, c’est savoir confronter ses « injonctions
irrationnelles », ses exigences de vie pour retrouver une philosophie plus « rationnelle
», empreinte de « réalité » et non plus de son « unique réalité »… Il est donc utile de
connaître son « histoire » pour mieux comprendre cette lente construction de soi à
travers les épreuves ou les bonheurs de sa vie.
Redevenir soi ne peut se limiter à la simple prise de conscience des blessures générées
par des événements de vie. Le sujet se doit de comprendre et de remettre en cause la
philosophie de vie qu’il s’est progressivement créée, « que ce soit par le biais d’une
analytique fondamentale-ontologique de la présence au monde, que ce soit par le
chemin de l’élucidation de soi (Selbstverhellung) selon la philosophie de l’existence
116 ».

« Ce que nous appelons psychothérapie n’est au fond rien d’autre que d’amener le
malade à pouvoir enfin “voir” comment est faite la structure globale de la présence
humaine ou de l’être-dans-le-monde et jusqu’à quel point de cette structure il s’est
égaré, ou encore : à partir de la présomption, le ramener “sur terre” d’où seulement
sont possibles un nouveau départ et une nouvelle ascension118 . »

La psychothérapie existentielle sollicite le passé du sujet pour l’aider à saisir certaines


constructions psychiques, à rendre conscient bon nombre de processus, de pensées ou
d’automatismes émotionnels inconscients. Elle s’efforce de travailler sur cette
incontournable « acceptation du passé » qui délivre des conflits antérieurs et des
exigences irrationnelles ultérieures : des aléas de vie ont pu m’angoisser, me
culpabiliser, me déprimer, ce qui importe désormais est de voir ce qui m’a empêché
de me construire malgré tout. Il sera tout aussi important de saisir ce que cette histoire
m’a apporté comme dépassement, comme nouvelles attentes, comment j’ai pu, malgré
tout, générer une philosophie de vie heureuse et non névrotique. « En particulier le
caractère irrémédiable vient au passé de mon choix même du futur : si le passé est ce
à partir de quoi je conçois et projette un état de choses nouveau dans le futur, il est
lui-même ce qui est laissé sur place, ce qui, par conséquent, est lui-même hors de
toute perspective de changement : ainsi pour que le futur soit réalisable, il faut que le
passé soit irrémédiable 126 . »
J’ajoute cette autre hypothèse de la psychothérapie existentielle : je peux exister
malgré les déterminismes. Cette seconde proposition redonne toute la liberté à
l’individu d’être ou de ne pas être. Elle le rend responsable de retrouver son libre
arbitre malgré tous les déterminismes génétiques, familiaux, sociaux et, à l’inverse de
la psychanalyse freudienne, elle dénonce la couardise de ne rendre responsable de nos
souffrances que le passé ou « les autres ». Quels que soient nos malheurs passés, avec
l’intensité de leurs traumatismes, il sera toujours de notre responsabilité de vivre avec
et donc de les accepter : j’ai subi, j’ai souffert, mais comment vivre avec toutes ces
cicatrices ?
« Car si, comme Zola, nous déclarions qu’ils sont ainsi à cause de l’hérédité, à cause
de l’action du milieu, de la société, à cause d’un déterminisme organique ou
psychologique, les gens seraient rassurés, ils diraient : voilà, nous sommes comme ça,
personne ne peut rien y faire ; mais l’existentialisme, lorsqu’il décrit un lâche, dit que
ce lâche est responsable de sa lâcheté… il s’est construit comme lâche par ses actes
127 . » Il nous appartient de savoir vivre avec nos blessures pour ne pas les subir tout
au long de notre vie. Mais peut-on le faire seul ? C’est là que peut intervenir l’aide du
psychiatre. Celui-ci doit renouer avec la pratique de la psychothérapie.

Une psychothérapie existentielle exige une approche holistique de l’homme :


comment s’est-il construit, comment s’est-il déconstruit par son vécu, et surtout
comment a-t-il pensé et interprété sa vie ? S’est-il ou non enrichi de tel ou tel
événement, ou a-t-il décidé de se soumettre, de subir, de rester figé dans sa passivité ?
A-t-il voulu exister ou attendre que l’existence soit comme il a exigé qu’elle « devait
être » ? A-t-il décidé « d’être » ou de « n’être que l’effet de telle ou telle cause » ?
Une psychothérapie existentielle appréhende tous les faits de vie qui suscitent des
réponses émotionnelles disproportionnées, « dysfonctionnelles ».

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