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Illich autonmie
Dans une société morbide prévaut l’idée qu’une mauvaise santé définie et
diagnostiquée est infiniment préférable à toute autre forme d’étiquetage négatif.
Cela vaut mieux que d’être catalogué comme criminel ou comme déviant
politique, comme paresseux, comme tire-au-flanc [175]. De plus en plus de
gens savent dans leur subconscient qu’ils sont fatigués et malades de leur
travail et de leurs loisirs passifs, mais ils veulent qu’on leur mente et qu’on leur
dise que la maladie physique les exempte de toute responsabilité politique et
sociale. Ils veulent que leur docteur se comporte comme un homme de loi et
comme un prêtre. En tant qu’homme de loi, le médecin exempte le patient de
ses devoirs normaux et lui permet de retirer de l’argent des fonds d’assurance
qu’il a été obligé de constituer. En tant que prêtre, le médecin se fait le
complice du patient dans la création d’un mythe selon lequel ce dernier ne
serait que la victime innocente de mécanismes biologiques, et non le déserteur
paresseux, cupide ou envieux d’une lutte sociale dont l’enjeu est la maîtrise des
instruments de production.(..)
Mais si notre intention n’est pas de faire plus de choses
pour les gens mais plutôt de leur garantir plus de libertés
pour faire les choses eux-mêmes, le nombre de
possibilités ouvertes devient presque illimité.
P133
Cette théorie de l’attachement est reprise par un des plus célèbres psychologues
cognitivistes actuels : Jeffrey Young qui affirme que, selon les soins ou les carences
affectives premières, l’enfant développera pour toujours des schémas cognitifs, des
scénarios qui peuvent se révéler autodestructeurs pour lui ou pour son environnement.
En France, Boris Cyrulnik voit avec l’éthologie la confirmation de l’impact de ces
premiers liens sur les relations de l’enfant à l’autre, de l’enfant à sa mère. À ce titre, il
semble proche des affirmations de la psychologie classique. Pourtant, Boris Cyrulnik
ne cesse de nous dire que, malgré tous les déterminismes, l’homme peut devenir
résilient et se construire au-delà des aléas de la vie, si dramatiques qu’ils aient été.
N’y at-il pas une contradiction entre ses deux hypothèses ? La parole de Cyrulnik est
la plus écoutée dans notre société. N’y a-t-il pas un risque d’accentuer cette croyance
« psy » selon laquelle même si l’humain peut dépasser ses adversités, l’essentiel se
joue dans la prime enfance avec les premiers liens affectifs à la mère ou à ses
substituts ? La théorie de la résilience proposée par Cyrulnik tend à montrer qu’il n’y
a pas de logique ou de finalité incontournable lorsque l’humain rencontre telle ou telle
adversité. Pourquoi cet enfant qui a souffert d’une carence affective profonde devient-
il fort ou résilient alors que cet autre, avec ce même manque, devient si fragile ou
sombre dans la pathologie ? La théorie de la résilience signe cette faculté de l’homme
à pouvoir dépasser les adversités, qu’il les ait rencontrées dans la petite enfance ou
plus tard. Rien n’est déterminé. Il est attaché aux hypothèses de la théorie de
l’attachement, mais paradoxalement il démontre qu’il n’existe (là encore ?) aucune loi
déterministe : tel enfant carencé peut dépasser sa souffrance avec sa future histoire,
ses futures rencontres, j’ajouterai avec ses « futures synthèses de vie ».
TRAUMA informed mais pas tout est joué d’avance : Depuis les recherches du
psychanalyste René Spitz, dans les années 1950, ce déterminisme de la première
relation à la mère, ou des premières relations objectales, a toujours été enseigné dans
nos facultés de psychologie : les enfants qui sont précocement séparés de leur mère
entrent dans une dépression « anaclitique ». Point de salut pour le tout-petit s’il ne
peut pas vivre auprès de sa « vraie mère ». Nous ne sommes plus dans la théorie de
l’attachement, « telle mère engendre telle ou telle pathologie », nous entrons dans
l’affirmation irréfutable du « tout est joué très tôt ». L’enfant ne peut donc pas exister
autrement que par ce lien à sa mère et s’il a expérimenté une carence maternelle
profonde, les dés sont jetés. Or Cyrulnik rappelle que les recherches de Spitz ont été
analysées d’une façon quelque peu cavalière : s’il est exact que des nourrissons ont
souffert de cette dépression par manque de présence maternelle, la recherche
entreprise omet d’évoquer les autres enfants qui n’en ont pas souffert : « Sur cent
vingt-trois nourrissons privés de mère, dix-neuf ont développé la forme anaclitique
devenue célèbre et vingt-trois ont souffert de troubles psychoaffectifs réversibles, soit
un tiers d’évolution mortelle ou grave dont tout le monde parle, et deux tiers de
récupération silencieuse. Personne ne s’est intéressé aux quatre-vingt-un enfants qui,
ayant subi la même agression, n’y ont pas succombé 114 . »
Il devient donc incontournable, a contrario de l’hypothèse psychanalytique
freudienne, de ne pas exclusivement chercher l’origine d’un dysfonctionnement
psychique et comportemental dans l’existence d’un traumatisme unique. Cette quête
du « trauma » qui explique tout, refuse de tenir compte de toute l’histoire du sujet : ce
qu’il a vécu, ce qu’il a souffert mais aussi et surtout comment il s’est construit en
dépit de tous ses « malgré ». La psychobiographie, l’étude de l’histoire, du vécu de
chacun permet de boucler la boucle : il ne s’agit pas de trouver « la » cause de tout
mais de savoir décrypter comment tel ou tel événement de vie, qu’il soit heureux ou
destructeur, a participé à la construction de soi. Comment la vie que j’ai menée, les
rencontres que j’ai faites, les contextes dans lesquels j’ai évolué ont-ils forgé ma
personnalité, comment ont-ils accentué ou régulé mon tempérament, comment ont-ils
fait de moi un résistant ou un soumis, un égocentrique ou un humaniste, un homme
heureux ou un tourmenté ?
Mais comment accepter sa destinée si le psychothérapeute vous fait uniquement
prendre conscience que tout est joué depuis l’enfance ? Celui qui souffre trouve une
certaine réponse, mais il est appelé à se résigner, et, dès lors, il n’y a plus cette
acceptation qui l’autorise à vivre de nouveau, à quitter les cicatrices du passé. Toute
entreprise psychothérapique se doit de ne pas enseigner sa vérité.
« Ce que nous appelons psychothérapie n’est au fond rien d’autre que d’amener le
malade à pouvoir enfin “voir” comment est faite la structure globale de la présence
humaine ou de l’être-dans-le-monde et jusqu’à quel point de cette structure il s’est
égaré, ou encore : à partir de la présomption, le ramener “sur terre” d’où seulement
sont possibles un nouveau départ et une nouvelle ascension118 . »